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par Quentin Némoz-Rajot - Brune-Laure Dugourd - Alexandre Quiquerez - Matthieu Richard - Lauryn Daville - Marion Deleporte - Jordi Mvitu Muaka - Sakina Dissa et Yasmine Dekhil
le 28 Juillet 2025
Par Quentin Némoz-Rajot, Maître de conférences, Centre de droit de l’entreprise, Équipe de recherche Louis Josserand, Directeur du Master Droit et Ingénierie Financière ; Brune-Laure Dugourd, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe de recherche Louis Josserand, Centre de droit de l’entreprise ; Alexandre Quiquerez, Professeur de droit privé, Université Lumière Lyon 2 ; Matthieu Richard, Doctorant contractuel en droit privé, Centre de droit de l’entreprise, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3 ; Lauryn Daville, Doctorante contractuelle en droit privé, Centre de droit de l’entreprise, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3 ; Marion Deleporte, Doctorante en droit privé, Équipe de recherche Louis Josserand, Centre de droit de l’entreprise, Université Lyon III Jean Moulin, Élève avocate, EFB ; Jordi Mvitu Muaka, Doctorant à l’Université Lyon 3 Jean Moulin, Équipe de recherche Louis ; Sakina Dissa, Doctorante en droit privé, Centre de droit des affaires, Université Toulouse 1 Capitole Josserand et Yasmine Dekhil, ATER et doctorante en Droit privé, Faculté de droit, Université Jean Moulin Lyon III
Sommaire :
À la recherche du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel !
La vigilance de la banque en balance avec celle du client
Même non actualisée, la situation de la société permet d’envisager la possibilité d’un redressement
L’instance en référé n’est toujours pas une instance en cours
Rupture du contrat de franchise et bonne foi post-contractuelle
Appréciation assouplie de la faute de vigilance du banquier prestataire de service de paiement
Caractère animateur d’une holding : il faut le voir pour le croire !
L’action individuelle à l’épreuve du préjudice social : une impasse juridique ?
♦ CA Lyon, 3e chambre A, 15 mai 2025, n° 24/07118 N° Lexbase : B7954AAT
Mots-clefs : entrepreneur individuel • bien mixte • comptabilité • liquidation judiciaire • patrimoine professionnel • patrimoine personnel • véhicule
Solution : Un véhicule utilitaire utilisé à des fins personnelles comme professionnelles par un entrepreneur individuel fait partie de son patrimoine professionnel en raison de son caractère utile à l’activité agricole exercée.
Portée : L’arrêt rappelle qu’un bien mixte appartenant à un entrepreneur individuel ne peut être inclus dans ses deux patrimoines. Dès lors qu’il est utile à l’activité professionnelle, il intègre le patrimoine professionnel et vient étoffer le gage des créanciers professionnels.
Depuis le 15 mai 2022 [1], les créanciers d’un entrepreneur individuel « subissent » la scission patrimoniale instaurée par la loi du 14 février 2022 [2]. La sécurité juridique imposait que cette « révolution copernicienne » [3] ne s’applique pas de manière rétroactive. Est-ce à dire que l’application de la réforme se réalise sans heurts ? Assurément non, tant des difficultés peuvent apparaître afin de déterminer le gage des créanciers d’un entrepreneur individuel, a fortiori lorsqu’il faut combiner les dispositions des livres V et VI du Code de commerce. Si Indiana Jones était à la recherche de l’Arche perdue, les créanciers d’un entrepreneur individuel sont, quant à eux, confrontés à la recherche comme à la détermination de son patrimoine professionnel. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date du 15 mai 2025 permet d’illustrer certaines difficultés pratiques induites par une innovation législative pourtant censée mieux protéger comme simplifier le fonctionnement de l’entreprise individuelle [4].
En l’espèce, un entrepreneur individuel exerçant une activité agricole fut placé en redressement judiciaire par un jugement du 3 octobre 2022 qui fixait la date d’état de cessation des paiements au 5 août de la même année. Par la suite, un jugement du 2 octobre 2023, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 14 mars 2024, a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire. Par ordonnance contradictoire du 29 août 2024, le juge-commissaire du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a ensuite ordonné la vente aux enchères publiques des biens mobiliers dépendant de la liquidation judiciaire de l’agriculteur, dont un véhicule Volkswagen Amarok. L’entrepreneur individuel a alors interjeté appel en estimant que ledit véhicule n’entrait pas dans le périmètre de la procédure collective. Il est alors question, pour les juges du second degré, d’établir si la voiture au cœur du litige faisait partie du patrimoine professionnel ou personnel de l’entrepreneur. Sous l’empire du droit issu de la loi du 14 février 2022 N° Lexbase : L6422MSN, le sort de ce bien mixte revêt une importance toute particulière pour les créanciers comme pour l’entrepreneur individuel (II), qui plus est lorsque ce dernier est confronté à une procédure collective au périmètre incertain (I).
I. Le périmètre de la procédure collective touchant l’entrepreneur individuel
La réforme de l’entreprise individuelle ne s’est pas contentée de rebattre les cartes en matière de protection patrimoniale en imposant une dualité patrimoniale automatique à tous les entrepreneurs individuels en activité [5]. Elle en décline également les conséquences en droit des entreprises en difficulté [6]. Le tribunal compétent pour toutes les procédures du Livre VI du Code de commerce devient ainsi une incontournable gare de triage [7]. En effet, en application de l’article L. 681-1, alinéa 1er du Code de commerce N° Lexbase : L3711MB3, qu’il s’agisse d’obtenir l’ouverture d’un surendettement des particuliers ou d’une procédure collective, il est nécessaire de présenter la demande devant le tribunal compétent en matière de droit des entreprises en difficulté. En l’espèce, l’entrepreneur individuel exerçant une activité agricole dans l’Ain, c’est donc le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse qui était compétent.
Au-delà de la compétence matérielle du tribunal, c’est surtout la question des patrimoines appréhendés par la procédure collective qui intéresse, pour des raisons antagonistes, tant l’entrepreneur que ses créanciers. À nouveau, la loi du 14 février 2022 a mis en place un régime spécifique, alambiqué, à l’article L. 681-2 du Code de commerce N° Lexbase : L3712MB4 [8]. À l’instar d’un rapport du CCSF, il faut reconnaître que « le dispositif mis en place s’avère cependant complexe et mal compris tant par les usagers que par les institutions en charge de son application » [9]. L’arrêt commenté l’illustre puisqu’on pourrait imaginer que la procédure collective ouverte à l’automne 2022, soit quelques mois après l’entrée en vigueur de la réforme, englobe les patrimoines de l’entrepreneur, et non son seul patrimoine professionnel. En effet, il semble « naturel » que des dettes professionnelles impayées de l’entrepreneur soient ici antérieures à l’entrée en vigueur de la scission patrimoniale et donc que certains créanciers « conservent pour gage l’ensemble des deux patrimoines du débiteur » [10]. Il devrait alors en découler de vraisemblables difficultés sur le patrimoine personnel et non uniquement sur le patrimoine professionnel.
Or, en l’espèce, il n’en est rien comme le rapporte l’arrêt qui réalise une application stricte de la réforme quant au périmètre de la liquidation [11] : « il est constant, selon les écritures des parties, que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire et le jugement de conversion du redressement en liquidation judiciaire ne précisent pas le périmètre de la procédure collective, le tribunal n'ayant pas indiqué sur quel patrimoine porte la procédure collective, alors que la scission en deux du patrimoine de l'entrepreneur individuel est d'ordre public. Cependant, le liquidateur judiciaire considère que la procédure collective ouverte à l'égard de M. [C] se limite au seul patrimoine professionnel de celui-ci, ce que ce dernier ne conteste pas ». En l’absence d’informations circonstanciées, il reste délicat d’apprécier l’opportunité de cette analyse qui a su convenir aux parties. Il est permis d’imaginer que le caractère famélique du patrimoine personnel de l’entrepreneur invitait peut-être le liquidateur à préférer cette solution limitée au seul patrimoine professionnel. Une fois le contenant fixé, reste à en déterminer le contenu.
II. Le sort des biens mixtes de l’entrepreneur individuel
En l’espèce, la liquidation judiciaire ne portait donc que sur le patrimoine professionnel de l’agriculteur ; patrimoine dont il était nécessaire d’établir la composition. Chacun sait que pour le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, une définition « négative et large » [12] a été retenue : il s’agit de tout ce qui n’est pas dans le patrimoine professionnel. Le patrimoine professionnel se compose, quant à lui, des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité professionnelle [13]. Ce critère légal de l’utilité ne manque pas d’interroger [14] et soulève de nombreuses difficultés [15]. Comme le rappellent opportunément les juges lyonnais : « pour déterminer si un bien fait partie du patrimoine du débiteur en procédure collective, il est nécessaire, en application de l'article L. 526-22 susvisé, d'apprécier son utilité à l'activité professionnelle de ce dernier ». Pour ce faire, l’article R. 526-26 du Code de commerce N° Lexbase : L6476MCT offre une grille de lecture bienvenue en donnant une liste non exhaustive de biens utiles tout en accordant une place majeure à l’enregistrement comptable des éléments [16]. Surtout et comme le remarque l’arrêt, ce texte affine la notion de biens, droits, obligations et sûretés utiles en précisant qu’il s’agit « de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité » [17].
À cette difficulté d’établir l’utilité ou son absence, s’ajoute une seconde : la nature mixte du bien en question. Deux hypothèses de biens mixtes – des biens utilisés à la fois à titre personnel et professionnel – sont visées par la loi : les biens immobiliers et les biens de mobilité [18]. Ces derniers demeurent, selon nous et en dépit d’une formule maladroite, soumis aux critères de droit commun. Il n’en va pas de même des biens immobiliers qui interrogent d’autant plus au regard des enjeux financiers qui les innervent [19]. En l’espèce, il était donc question d’un véhicule que l’on peut qualifier de bien mixte au regard du débat suscité quant à son inclusion ou non dans le patrimoine professionnel de l’agriculteur. Pour faciliter la tâche des créanciers, la loi fait peser sur l’entrepreneur individuel la charge de la preuve pour toutes les contestations qu’il élèverait à propos du contenu de ses patrimoines [20]. Autrement dit, il revenait bien à l’entrepreneur d’établir que son véhicule n’était pas utilisé à titre professionnel pour le faire échapper au gage de ses créanciers professionnels et donc à la procédure collective.
L’enjeu est de taille, car, en l’absence d’exigences réglementaires d’un degré minimum d’utilisation [21], la moindre utilisation à titre professionnel, même marginale, devrait impliquer l’inclusion de l’élément dans le patrimoine professionnel. Arbitrairement pour les biens mixtes, donc ceux « à la fois utiles à l'activité professionnelle et à la vie privée de l'entrepreneur, la solution est ici très simple, ils intègrent le patrimoine professionnel en raison de leur utilité » [22].
Ce raisonnement offre une solution aisée à comprendre comme à appliquer. Il s’inscrit dans la logique de simplification qui irrigue le système mis en place en 2022. Cependant, à la lecture des textes, cela n’apparaît pas si nettement. Pour ne pas réduire à peau de chagrin le contenu du patrimoine professionnel, il semble néanmoins nécessaire d’estimer que, par principe, un bien, droit, obligation ou sûreté dont est titulaire l’entrepreneur ne peut faire partie de ses deux patrimoines en même temps [23]. Cette répartition exclusive peut certes paraître injuste, mais elle semble être la plus viable comme la plus aisée à mettre en œuvre par les juridictions.
La cour d’appel de Lyon s’inscrit résolument dans ce mouvement à travers une application attendue du critère de l’utilité à un bien mixte. Elle confirme que le « véhicule a un caractère utilitaire, quand bien même il serait également utilisé à des fins personnelles, et qu'il répond aux critères énoncés par l'article R.526-26 du code de commerce, pour l'inclure dans le patrimoine professionnel de M. [C] et ordonner sa vente aux enchères publiques ». C’est donc vainement que l’entrepreneur a stratégiquement tenté de mettre en évidence les caractéristiques de son pick-up – véhicule « premium » de tourisme avec une cabine de 5 places assises – pour le faire passer pour un véhicule utilisé à des fins strictement personnelles.
L’analyse judiciaire se fonde sur deux arguments forts au sens de l’article R. 526-26 du Code de commerce. Le premier concerne les caractéristiques du pick-up : elles laissent entendre son utilité pour l’exercice de l’activité agricole. Il est ainsi démontré que le véhicule est, par nature, utile à l’activité exercée quand bien même l’entrepreneur possédait aussi d’un fourgon utilitaire. En ce sens, les juges retiennent que le pick-up « dispose d'une capacité de chargement importante, qui s'avère utile aux transports de matériels, marchandises ou animaux qu'implique l'activité d'exploitant agricole et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un véhicule tout terrain disposant d'un moteur de 180 chevaux, permettant de circuler aisément dans les chemins et terrains agricoles, ce qui n'est pas le cas du fourgon utilitaire Mercedes Benz utilisé par M. [C] pour effectuer des livraisons ». Au demeurant, il est signalé que c’est ce même pick-up qui fut utilisé pour faire visiter l’exploitation au liquidateur ; ce qui souligne une fois encore son caractère utile à l’activité. Somme toute, imaginerait-on Indiana Jones posséder lui aussi un pick-up, mais ne pas l’utiliser pour ses activités professionnelles ?
Le second argument a trait à la comptabilité. À lui seul, il justifie la solution prononcée et mériterait, selon nous, que l’arrêt lui accorde plus d’importance. Il est ainsi avancé que « le bilan de l'exploitant, arrêté au 31 décembre 2022, comporte des « autres immobilisations corporelles » valorisées pour 16 863 euros, pouvant correspondre au véhicule litigieux acheté le 9 décembre 2015 au prix de 44 700 euros, que le commissaire de justice a évalué à 20 000 euros dans son procès-verbal d'inventaire des 18 et 26 octobre 2022 ». Or, pour les entrepreneurs individuels classiques [24], la comptabilité joue un rôle majeur en raison de la présomption simple instaurée par l’article R. 526-26 du Code de commerce [25]. Tout laissait donc croire – les faits comme la comptabilité – que le Volkswagen Amarok était utile à l’activité agricole.
Conforme au sens de l’article L. 526-22 du Code de commerce N° Lexbase : L4205MLC et aux analyses doctrinales majoritaires, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon ne peut être qu’approuvé. Pour éviter des frais comme une perte de temps inopportune pour l’ensemble des protagonistes, il faut souhaiter que le contentieux lié au contenu du patrimoine professionnel des entrepreneurs ne devienne pas systématique. Dans cette optique, l’entrepreneur individuel aura tout intérêt à bien réfléchir au moment de l’acquisition d’un véhicule : le fera-t-il en lien avec son activité en choisissant un modèle adapté à celle-ci ? Le fera-t-il via son patrimoine personnel ou son patrimoine professionnel ? Comment l’acquisition sera-t-elle réalisée d’un point de vue comptable ? Autant d’interrogations qui mériteraient un accompagnement – trop rare en pratique – par un professionnel.
Par Quentin Némoz-Rajot
[1] Loi n° 2022-172, du 14 février 2022, art. 19 N° Lexbase : Z68410TX.
[2] C. com., art. L. 526-22 N° Lexbase : L4205MLC. Loi n° 2022-172, du 14 février 2022, en faveur de l'activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L6422MSN. V. not. J.-F. Hamelin, N. Jullian (dir.), La réforme du statut de l'entrepreneur individuel, LGDJ-Lextenso, 2023 ; Q. Némoz-Rajot (dir.), Dossier spécial, Réforme de l’entreprise individuelle par la loi du 14 février 2022, RLDC, 2022, n° 202, p. 30 ; T. Revet, La désubjectivisation du patrimoine, D., mars 2022, n° 9, p. 469 ; D. Poracchia, J.-N. Stoffel, Panorama sur le nouveau statut d'entrepreneur individuel, Bull. Joly sociétés, septembre 2022, n° BJS201h9, p. 52.
[3] J.-F. Hamelin et N. Jullian (dir.), op. cit., p. 23, n°24.
[5] V. not. Q. Némoz-Rajot, Une protection renforcée et simplifiée, RLDC, avril 2022, p. 31.
[6] V. not. A Bézert, L’entrepreneur individuel en difficulté, RLDC, avril 2022, p. 52 ; F. Pérochon, Professionnels indépendants en difficulté : premiers regards sur la loi du 14 février 2022, Bull. Joly entreprises, mars 2022, n° BJE200n8.
[7] V. not. P. Cagnoli, Le tribunal de la procédure collective : chef d’orchestre des procédures de défaillance économique, RPC, n° 6, novembre-décembre 2022, dossier 40.
[8] V. not. A Bézert, Entrepreneur individuel en difficulté : bilan d’étape mitigé, RLDA, mai 2025.
[9] CCSF, Rapport sur les évolutions liées au nouveau statut de l’entrepreneur individuel : un sujet clé pour 7,1 millions d’entrepreneurs, p. 51 [en ligne].
[10] F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, LGDJ, coll. Manuels, 12e éd., 2024, p. 243, n° 500.
[11] C. com., art. L. 681-2, II N° Lexbase : L3712MB4.
[12] F. Pérochon et alii, op. cit., p. 234, n° 483.
[13] C. com., art. L. 526-22, al. 3, précité.
[14] V. not. C. Favre-Rochex, Le nouveau patrimoine professionnel, JCP E, 2022, 1136, spéc. n°8 ; I. O. Tidjani, La confusion des patrimoines de l'entrepreneur individuel : le critère d'utilité source de confusion, Gaz. Pal., 17 décembre 2024, n° 41, p. 13.
[15] V. not. Q. Némoz-Rajot, Protéger et simplifier autrement l’entreprise individuelle, RLDA, mai 2025, p. 24.
[16] Encore faut-il ne pas être un micro-entrepreneur et tenir une comptabilité adaptée.
[17] C. com., art. R. 526-26, I N° Lexbase : L6476MCT.
[18] C. com., art. R. 526-26, I, 2°, précité.
[19] V. not. Q. Némoz-Rajot, La protection du patrimoine immobilier de l’entrepreneur individuel à la suite de la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, IP, mai 2025.
[20] C. com., art. L. 526-22, al. 8. V. not. S. Tisseyre, La constitution et la composition du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, RLDC, avril 2022, p. 33.
[21] En faveur de cette idée, v. la préconisation de l’IFPPC : IFPPC, Réforme de l’entreprise individuelle : les propositions de l’IFPPC pour une protection réellement effective des entrepreneurs [en ligne].
[22] N. Jullian, Entrepreneur individuel, Rep. com. Dalloz, n° 31. Add. F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, précité, p. 236, n° 486.
[23] V. not. B. Dondero, Place à l’entrepreneur individuel à deux patrimoines (EI2P) !, Revue des sociétés, avril 2022, n° 4, p. 199, spéc. n° 61 ; E. Guégan, Les contours du patrimoine professionnel, in J.-F. Hamelin et N. Jullian (dir.), La réforme du statut de l'entrepreneur individuel, préc., p. 57, n° 102. À l’inverse, il faut imaginer qu’un élément puisse figurer dans le patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel et dans le patrimoine de son conjoint commun en biens. V. en ce sens N. Jullian, Entrepreneur individuel, précité, n° 117.
[24] Les obligations comptables édulcorées d’un micro-entrepreneur, à l’inverse, ne permettent pas d’identifier les biens qui composent le patrimoine professionnel.
[25] V. not. D. Poracchia et J.-N. Stoffel, Panorama sur le nouveau statut d'entrepreneur individuel, op. cit.
♦ CA Lyon, 3e chambre A, 1re chambre civile A, 27 février 2025, n° 22/01922 N° Lexbase : A6745639
Mots-clefs : obligation aux dettes • contribution aux pertes • liquidateur • fin de non-recevoir.
Solution : Seul le liquidateur est habilité à agir pour obtenir la contribution des associés aux pertes sociales. Par ailleurs, un associé ne peut invoquer l’obligation aux dettes sociales prévue à l’article 1857 du Code civil N° Lexbase : L2054ABP à l’encontre d’un autre associé.
Portée : L’arrêt s’inscrit pleinement dans la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le liquidateur a lui seul qualité à agir pour demander la fixation de leur contribution aux pertes sociales. Il réaffirme également que la qualité d’associé occulte celle de créancier, empêchant l’associé de demander à ses coassociés le remboursement du solde de son compte-courant.
Le droit des sociétés s’avère parfois impuissant à apaiser les tensions économiques nées entre associés. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 27 février 2025 en donne une parfaite illustration. À la suite de la dissolution anticipée d’une SCI, une SARL associée de la SCI a saisi le tribunal judiciaire de Lyon pour obtenir la condamnation de son coassocié au titre de sa contribution aux pertes. Elle faisait également valoir qu’elle disposait d’une créance certaine, liquide et exigible à l’encontre de son coassocié, pour la moitié du solde du compte-courant. Après le rejet de sa demande par le tribunal, la SARL interjeta appel.
Dans la lignée des arrêts de la Cour de cassation, et de façon particulièrement pédagogique, la cour d’appel de Lyon revient sur la distinction entre contribution aux pertes et obligations aux dettes. L’arrêt rappelle d’abord que l’article 1832, alinéa 3 du Code civil N° Lexbase : L2001ABQ impose aux associés de contribuer aux pertes de la société, proportionnellement à leur participation au capital social, lorsque la société enregistre des résultats déficitaires au moment de sa liquidation. Elle précise à juste titre que cette contribution relève des rapports internes à la société et, plus particulièrement, des rapports entre les associés et la société.
L’action sociale tendant au paiement des pertes sociales, et donc au comblement du passif social, concerne le patrimoine de la société. Or, la société, une fois en liquidation judiciaire, est dessaisie et seul le liquidateur peut exercer ses droits et actions en vue de reconstituer le gage des créanciers [1]. La demande de fixation de la contribution aux pertes, comme l'action en exécution de la contribution aux pertes, est ainsi réservée au seul liquidateur [2]. Toute action d’un associé, ou d’un dirigeant se heurte à une fin de non-recevoir que le juge peut relever d’office [3]. Ce faisant, la cour d’appel se conforme à une jurisprudence établie de la Cour de cassation, qui a pu adopter la même solution à propos d’une SCI dans un arrêt du 3 mai 2018 [4], et des SNC [5].
Une incertitude subsiste toutefois à la lecture de l’arrêt commenté, dans la mesure où l’associé a procédé à la dissolution anticipée de la société. Il n’est donc pas certain que la société ait été en liquidation judiciaire au sens du Livre VI du Code de commerce ; la clôture de cette dernière entraînant la dissolution de la société. Il nous semble alors que, si le résultat avait été identique, la cour d’appel a fait application d’un fondement erroné. En effet, l’article L. 641-9 du Code de commerce N° Lexbase : L3693MBE ne s’applique qu’aux liquidations judiciaires. Néanmoins, même en cas de liquidation amiable, le liquidateur désigné est le représentant de la société, et donc le seul habilité à demander aux associés de s’exécuter au profit de celle-ci [6].
Ensuite, la cour revient sur l’obligation aux dettes des associés. Elle rappelle que cette obligation issue de l’article 1857 du Code civil N° Lexbase : L2054ABP permet aux tiers de poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé. Cette action est cependant réservée aux tiers à la société, entendus strictement. Or, l’associé qui a consenti un apport en compte-courant, bien qu’en partie tiers contractant de la société, conserve sa qualité d’associé. Il est donc fait abstraction de sa qualité de tiers et il ne peut demander le remboursement de sa créance. Cette solution reprend l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2012 [7].
Bien que non remise en cause depuis lors, cette solution s’avère fortement critiquable, car elle fait abstraction de l’engagement contractuel pris par l’associé et la société. En présence d’un apport en compte courant, l’associé devient un cocontractant de la société, comparable à un établissement de crédit qui lui consentirait un soutien financier [8]. Si l’on comprend que sa qualité d’associé soit prise en compte, cela ne justifie pas d’écarter sa qualité de tiers cocontractant. En tant qu’associé obligé aux dettes sociales à proportion de sa participation dans le capital social, il supportera nécessairement une partie de la dette non remboursée. Il paraît donc excessivement sévère, alors qu’il a déjà consenti un concours à la société, que l’autre partie de la dette sociale ne soit pas supportée par ses coassociés. D’un point de vue économique, cela risque de priver les sociétés civiles d’une importante source de financement.
Par ailleurs, cette solution ne s’accorde pas pleinement avec plusieurs règles entourant le remboursement des comptes-courants d’associés. D’une part, alors même qu’il n’est pas un tiers à la société, le dirigeant qui a été autorisé par les associés à consentir un prêt en compte courant d’associé [9] peut en demander le remboursement aux associés, dans les conditions des articles 1857 et 1858 N° Lexbase : L2055ABQ du Code civil. D’autre part, cette solution entre en contradiction avec la position de la Cour de cassation qui tend à distinguer strictement la qualité de prêteur et celle d’associé de l’apporteur en compte courant, afin de justifier son remboursement à tout moment [10]. En attendant une solution plus adaptée, on peut se demander si une stipulation contractuelle, prévoyant que l’associé de la SCI peut demander à ses coassociés le remboursement du solde du compte-courant à hauteur de leur participation dans le capital social, serait efficace.
Par Brune-Laure Dugourd
[1] C. com., art. L. 641-9 N° Lexbase : L3693MBE.
[2] Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-24.888, F-P+B N° Lexbase : A9524HXZ ; Cass. com. 3 mai 2018, n° 15-20.348, FS-P+B+I N° Lexbase : A4379XM7.
[3] V. Cass. com. 3 mai 2018, n° 15-20.348, FS-P+B+I N° Lexbase : A4379XM7, appliquant l’article 125 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9729MMB.
[4] Cass. com. 3 mai 2018, n° 15-20.348, précité.
[5] Cass. com., 27 septembre 2016, n° 15-13.348, F-P+B N° Lexbase : A7279R4D.
[6] V. en ce sens à propos du recouvrement des apports, Req. 26 mai 1886.
[7] Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.844, F-P+B N° Lexbase : A6657IKR.
[8] V. not. H. Hovasse, L'associé créancier social et l'article 1857 du Code civil, Droit. soc., n° 7, juillet 2012, comm. 119 ; J.-F. Barbièri, note sous Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.844, précité : Bull. Joly sociétés, juillet 2012, p. 571.
[9] Sur cette possibilité, v. X Delpech, Rép. soc., n° 32.
[10] Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-18.749, F-P+B N° Lexbase : A1093HRW.
♦ CA Lyon, 4 juin 2024, n° 22/03634 N° Lexbase : A85245GS
Mots-clefs : banque • devoir de vigilance • compte bancaire • virement • chèque
Solution : Si la banque est tenue d’une obligation de vigilance concernant le fonctionnement du compte, le client doit s’abstenir de toute négligence grave concernant ses dispositifs de sécurité personnalisés.
Portée : Au-delà des contentieux actuels et déjà classiques d’hameçonnage et de faux conseiller bancaire, la présente affaire pose des questions originales, d’une part, de communication de ses identifiants de boîte mail et de compte et, d’autre part, de remise de chèques à un mineur à des fins de liquidation du compte.
Les opérations de paiement non autorisées sont l’un des contentieux les plus fréquents opposant la banque et un particulier qui est son client. Certaines fraudes sont récentes, telles que l’hameçonnage (« phishing ») et de faux employés de banque (« spoofing »). D’autres, plus classiques et moins sophistiquées, continuent d’apparaître. Elles impliquent au moins trois protagonistes : une banque, son client et un escroc. Victime d’un transfert de monnaie scripturale qu’il n’a pas autorisé ou dont il n’a pas pleinement mesuré la portée, parfois pour un montant correspondant à la quasi-intégralité de son épargne, le client cherche à engager la responsabilité de sa banque pour être indemnisé à hauteur du montant des fonds transférés. Suivant une stratégie d’attaque dorénavant typique, le client plaide la violation de l’obligation de vigilance de la banque. Or, comme un auteur l’a pertinemment déjà fait remarquer à propos de cette obligation, « parfois maniée sur le ton de l'évidence, elle n'a pourtant rien d'évident » [1] et son application est souvent rejetée par les juges, dans la mesure où elle s’applique à des circonstances particulières.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date du 4 juin 2024 concerne un litige où deux titulaires de compte ont reproché à leur banque diverses négligences, de l’ouverture des comptes jusqu’à leur clôture. La chronologie des faits est assez complexe à la lecture de l’arrêt. Les principaux faits dans cette affaire, si l’on tente de les clarifier et de les reconstituer, semblent être les suivants.
À titre principal, Monsieur B et Monsieur G sollicitent la condamnation de la banque pour manquement à son obligation de vigilance sur les trois virements réalisés, en demandant le remboursement de la somme de 421 000 euros. À titre subsidiaire, ils invoquent le défaut de vigilance, en sollicitant des dommages-intérêts d’un montant de 325 386,90 euros, correspondant au virement intervenu le 18 novembre 2016.
De manière très classique, la banque se défend sur le terrain de son devoir de non-ingérence. Elle invoque aussi la faute de Monsieur B qui avait laissé son fils accéder à ses identifiants bancaires, à sa boîte mail ainsi qu’à son courrier.
Par jugement du 3 mai 2022, le tribunal judiciaire de Lyon rejeta l'ensemble de leurs demandes. La cour d’appel de Lyon a confirmé entièrement cette décision.
L’arrêt se fonde essentiellement sur la faute du client pour avoir communiqué ses identifiants personnels (I) et sur l’absence de faute de la banque concernant l’ordre de paiement dirigé vers le compte camerounais (II).
I. La faute du père pour communication de ses identifiants personnels
Selon la cour d’appel de Lyon, il ressort du courriel demandant un nouveau code d'accès, et contenant son identifiant confidentiel, que deux situations sont concevables : soit Monsieur B était à l'origine de cette demande, soit il avait commis des négligences graves en communiquant à son fils les identifiants à la fois de sa messagerie électronique et de son compte bancaire.
La cour d’appel aurait pu mentionner et se baser sur l'article L. 133-16 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5114LGI, lequel oblige le client à préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés. Cela inclut, bien entendu, l’identifiant de connexion à la plateforme en ligne de la banque.
Toutefois, en l’espèce, il y a un point délicat qui mérite d’être soulevé. En effet, l’arrêt mentionne que Monsieur B dispose d’un seul et même identifiant, à la fois pour accéder à son compte personnel, mais aussi pour le compte de son fils, auquel il a accès en qualité d’administrateur légal. Or, la banque lui reproche d’avoir communiqué cet identifiant à son fils. Est-il interdit au représentant légal de communiquer ses identifiants à la personne représentée, titulaire du compte ? Le Code monétaire et financier et le Code civil ne nous semblent pas répondre précisément à cette question. Les conditions générales du compte sont susceptibles d’apporter une règle contractuelle. L’une d’entre elles, par exemple, stipule que « Le(les) représentant(s) légal(aux) est(sont) responsable(s) de la régularité du fonctionnement du compte du mineur non émancipé au regard des dispositions du code civil. Le(les) représentant(s) légal(aux) peut(peuvent) autoriser expressément le mineur de 16 ans ou plus, à faire fonctionner le compte sous la seule signature de ce dernier. Dans tous les cas, le compte fonctionne sous l'entière responsabilité du(des) représentant(s) légal(aux) qui devra(devront) répondre vis-à-vis de la Banque de toutes conséquences des opérations effectuées par le mineur sur ce compte. Le(les) représentant(s) légal(aux) n’est (ne sont) plus habilité(s) à faire fonctionner le compte du mineur dès sa majorité ». Il y est aussi écrit que « Pour accéder au Service, le souscripteur se voit attribuer un numéro d’identification, ainsi qu’un seul mot de passe communiqué confidentiellement ». Ces conditions générales n’apportent pas explicitement la réponse, mais on peut penser que l’autorisation expresse délivrée par le représentant légal au mineur de faire fonctionner seul le compte nécessite que ce dernier ait à sa disposition un identifiant personnel et un mot de passe. À notre sens, cela doit passer par une intervention de la banque qui va délivrer ces données d’accès à titre personnel. Autrement dit, le représentant légal et la personne sous protection devraient détenir des identifiants différents. Nous sommes bien dans le cadre de l’expression « dispositifs de sécurité personnalisés » de l’article L. 133-15 du Code monétaire et financier. N° Lexbase : L5115LGK Sur un plan pratique, la banque doit savoir exactement qui se connecte grâce aux traces informatiques laissées dans ses archives.
Dans cette affaire, les motifs retenus par les juges lyonnais nous paraissent insuffisants pour établir que Monsieur B aurait été à l’origine des virements litigieux ou qu’il aurait commis une négligence grave à l’origine de ces virements. Rappelons que le prestataire de services de paiement doit rembourser à son client toute opération de paiement dont ce dernier conteste être l’auteur, sauf à établir, d’une part, que l’opération a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre et, d’autre part, que l’utilisateur a agi frauduleusement ou n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave à ses obligations [2]. La Cour de cassation juge de manière constante que la preuve de la fraude ou de la négligence grave de l’utilisateur du service de paiement ne peut se déduire du seul fait que l'instrument de paiement ou les données personnelles qui lui sont liées ont été effectivement utilisés [3]. Au surplus, il apparaît que la Haute juridiction est en général assez sévère à l’égard des banques et n’admet la caractérisation de la négligence grave que lorsqu’il est prouvé que le client a communiqué ses données personnelles, alors qu’une personne normalement vigilante aurait décelé la fraude. Précisons que c’est sur le prestataire de services de paiement que pèse la charge de prouver, le cas échéant, que l’opération a été effectuée par son client [4].
En l’espèce, la banque a bien écrit initialement à l’adresse électronique sécurisée communiquée par le client à l’ouverture du compte. Or, la réponse à ce courriel avait été donnée à partir d’une autre adresse électronique. Par la suite, la banque a continué d’échanger avec le client sur cette seconde adresse électronique, puis sur une troisième. Monsieur B a donc soutenu devant les tribunaux qu’échanger avec lui sur cette adresse électronique, considérée comme non sécurisée, était une faute de la part de la banque. Or, à partir de cette deuxième adresse, le client a communiqué à la banque les documents sollicités dans le premier courriel (envoyé via l’adresse électronique 1), et nécessaires pour justifier l’origine de ces virements. Il était donc difficile pour le client de soutenir qu’il n’avait pas reçu le premier courriel et que la réponse avait été émise par un escroc. De même, le point important vient du fait que les échanges litigieux étaient une discussion « continue » (chaque courriel répondait au précédent) initiée à partir de l’adresse électronique sécurisée et poursuivie à partir d’autres adresses. Il y a donc présomption que Monsieur B était bien la personne à l’origine de ces échanges. Cela montre que les juges du fond s’attachent au « faisceau d’indices » sur l’identité du correspondant.
Dans cette affaire, les virements litigieux n’ont pas été réalisés grâce à une authentification forte, celle-ci ayant été mise en place en France à partir du 15 mai 2021. L’usage d’un mot de passe ne suffit plus depuis lors. Il faut relever une certaine légèreté de la part de la banque qui n’a procédé à des échanges que par courriels. Ces échanges ne transitaient pas par la plateforme de la banque. Cette pratique semble d’ailleurs avoir disparu aujourd’hui. Les correspondances avec les conseillers clientèle doivent aujourd’hui se réaliser via l’espace de banque en ligne ou l’application mobile, ce qui nécessite de passer par un identifiant personnel et un mot de passe. De plus, l’ordre de virement doit être passé par son appareil de confiance (téléphone portable ou ordinateur personnel). On peut donc penser que les faits en cause ne se reproduiraient pas de la même façon aujourd’hui grâce à l’exigence d’authentification forte.
En résumé, la cour d’appel de Lyon ne disposait pas de moyens légaux pour retenir incontestablement la faute de la banque pour avoir transmis un nouvel identifiant de compte par simple courriel. Selon nous, la réception de plusieurs courriels émanant de trois adresses électroniques différentes aurait dû, à elle seule, éveiller ses soupçons et l’inciter à faire preuve d’une vigilance accrue, notamment en procédant à des vérifications d’identité du donneur d’ordre du virement. De surcroît, une négligence de la part de Monsieur B quant à la conservation de ses données d’accès à sa boîte mail et à son compte est très discutable, dans la mesure où les messageries électroniques peuvent faire l’objet d’intrusions frauduleuses. Dans ce prolongement, un simple identifiant de compte peut être intercepté dans la boîte mail, voire dans des correspondances envoyées par la banque. On ne peut nier d’ailleurs que les membres de la famille – époux ou partenaire et enfants – peuvent souvent avoir aisément accès à ces données.
II. Le défaut de faute de la banque relativement au compte du mineur
Pour ce qui concerne la demande en paiement de Monsieur G, l’arrêt retient qu’il ne peut être tenu compte, dans ses rapports avec la banque, qu'il était sous influence d'une personne malhonnête qui aurait abusé de son jeune âge. Il est ajouté que la banque, qui ne peut s'immiscer dans les affaires de son client, n'est pas tenue de le conseiller sur l'opération envisagée. Par conséquent, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir vérifié que le projet d'achat d'un terrain agricole au Cameroun était opportun et de ne pas s'être opposée au virement.
La cour d’appel de Lyon précise que « la circonstance que le montant du virement correspondait au solde du compte n’est pas, en outre, de nature à révéler une anomalie alors qu’il est justifié que le compte était clôturé et les sommes versées sur un compte d’attente ». Il faut néanmoins préciser que le montant des virements n’est pas le seul paramètre à prendre en compte pour analyser l’anomalie. Les juges prennent en considération, notamment, le pays de destination des fonds [5]. Il est devenu classique de distinguer les anomalies matérielles des anomalies intellectuelles. Les premières sont des irrégularités visibles sur l'ordre lui-même ou dans son exécution, qu'une banque diligente aurait dû déceler par une simple vérification formelle. Les secondes sont des irrégularités qui supposent une analyse du contexte ou de l’intention, qui sont donc non immédiatement décelables par une simple lecture de l’ordre. Ces dernières impliquent une appréciation intellectuelle du comportement ou de la logique de l'opération. Les paramètres des anomalies intellectuelles sont divers : opération d’un montant anormalement élevé par rapport au solde ou aux habitudes du client, succession de paiements, paiement vers un pays exotique, etc.
Une pratique intéressante a été rapidement évoquée par l’arrêt alors qu’elle mérite de s’y attarder. La banque avait remis à Monsieur G un chèque de banque de 325 576,16 euros correspondant au solde de son compte alors qu'il était encore mineur. Elle l’a d’ailleurs effectué à deux reprises, en raison de la perte du chèque initial. Pour écarter la responsabilité de la banque, les juges lyonnais ont constaté que ces chèques n'ont pas été débités, de sorte qu'aucun préjudice ne peut être retenu. Pour autant, cette pratique nous semble très risquée et à écarter. Il est étonnant qu’une banque remette un chèque d’un montant substantiel à un mineur alors qu’elle n’est jamais entrée en contact de manière sûre et personnelle avec son représentant légal. De manière générale, l’émission de chèques d’un montant important nous paraît si risquée qu’il semble préférable d’utiliser le virement, moyen de paiement bien plus sûr et moderne. Les tireurs comme les tirés doivent comprendre que les risques de falsification et de perte des chèques sont trop importants pour les utiliser pour des montants élevés. Dans le cas particulier de la remise d’un chèque à un mineur pour liquider un compte clôturé, la qualification d’acte de disposition devrait permettre de considérer que le chèque est nul et qu’une action en nullité des représentants légaux soit ouverte [6]. Dans cette situation, une action en responsabilité pour faute contractuelle devrait également pouvoir être engagée, mais elle s’est heurtée en l’espèce à l’absence de dommage économique.
Si le devoir de vigilance était au cœur de cette affaire, la question du respect des obligations de lutte contre la LCB/FT n’a été nullement évoquée. Un montant habituellement élevé oblige la banque à un contrôle renforcé – par exemple pour se renseigner sur l’origine de fonds [7] – ce qu’elle peut particulièrement analyser si des virements successifs d’un montant important sont effectués. La responsabilité civile de la banque réceptrice de l’ensemble des ordres de virement litigieux, que ce soit de Monsieur B ou de son fils, ne pouvait être utilement recherchée en l’état actuel de la jurisprudence. En effet, selon une jurisprudence ferme [8], la victime d’agissements frauduleux ne peut demander indemnisation à une banque si celle-ci n’a pas respecté les obligations de LCB/FT, car celles-ci ne protègent que l’intérêt général [9]. Toutefois, cette solution ne convainc pas entièrement pour les raisons suivantes :
Il n’en demeure pas moins qu’il nous semble impossible de faire condamner la banque à des dommages-intérêts pour manquement au devoir de vigilance, à la fois, au titre du droit commun et au titre du « droit de la LCB/FT », compte tenu du principe non bis in idem. En revanche, il ne nous semblerait pas absurde de permettre aux victimes d’agir à titre subsidiaire sur le fondement de l’obligation de vigilance en LCB/FT.
Pour conclure, la vigilance nous semble être un devoir partagé entre la banque et son client. Conformément au droit commun de la responsabilité civile, la banque est susceptible d’être exonérée totalement ou partiellement en cas de faute de son client. Ainsi, la responsabilité éventuelle de la banque ne peut qu’être analysée, au cas par cas, à l’aune de celle de son client. Les fautes respectives de la banque et du client doivent être comparées, afin de savoir s’il peut y avoir exonération totale ou partielle de responsabilité.
Par Alexandre Quiquerez
[1] H. Causse, L'évanescente obligation de vigilance de l'établissement financier, Lexbase Affaires, juin 2014, n° 385 N° Lexbase : N2591BUI
[2] C. mon. fin., art. L. 133-23 N° Lexbase : L5125LGW et L. 133-19, IV N° Lexbase : L5118LGN.
[3] Par ex. : Cass. com., 18 janvier 2017, n° 15-18.102, FS-P+B+I N° Lexbase : A0605S9B ; Cass. com., 21 novembre 2018, n° 17-18.888, F-D N° Lexbase : A0142YNL.
[4] Cass. com., 16 septembre 2008, n° 07-14.822, F-D N° Lexbase : A4001EAG.
[5] Pour un arrêt récent en ce sens : Cass. com., 12 juin 2025, n° 24-10.168, FS-B N° Lexbase : B2739AIB.
[6] CA Douai, 28 mai 2020, n° 19/01909 N° Lexbase : A70118DZ, où il fut même jugé que la clôture du compte, étant un acte de disposition, nécessitait l'accord de l'autre parent du mineur titulaire du compte ou du juge des tutelles (la mère était ici décédée).
[7] C. mon. fin., art. L. 561-10-2 N° Lexbase : L5140LBY.
[8] Cass. com., 21 septembre 2022, n° 21-12.335, F-B N° Lexbase : A25258KQ ; Cass. com., 28 avril 2004, n° 02-15.054 N° Lexbase : A9943DBU.
[9] CA Paris, 27 mars 2024, n° 22/07290 N° Lexbase : A79232Y4.
[10] Cass. com., 27 septembre 2023, n° 21-21.995, F-B N° Lexbase : A11521II.
♦ CA Lyon, 3e ch. A, 16 janvier 2025, n° 24/06059 N° Lexbase : A80340KR
Mots-clefs : procédures collectives • liquidation judiciaire • cessation des paiements • caractérisation du redressement manifestement impossible
Solution : Les documents comptables, insuffisants à remettre en cause la caractérisation de la cessation des paiements, car trop anciens et imprécis, peuvent toutefois permettre « d’envisager la possibilité d’un redressement judiciaire », et ce, « même si la situation [du débiteur] n’a pas été actualisée à la date de l’audience ». L’arrêt infirme donc le jugement de première instance qui ouvrait une procédure de liquidation judiciaire, et prononce l’ouverture d’un redressement judiciaire.
Portée : La cour d’appel de Lyon apprécie strictement le critère légal de l’impossibilité manifeste de redressement, nécessaire à l’ouverture d’une liquidation judiciaire.
L’article L. 640-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4038HB8 pose deux conditions pour l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire : il faut constater la cessation des paiements, et l’impossibilité manifeste de redressement. Cette seconde condition est rigoureusement appréciée [1], c’est-à-dire comme synonyme d’évidence de l’impossibilité de redressement [2]. Elle constitue la clef entre liquidation et redressement judiciaire.
En l’espèce, un créancier ne parvenant pas à obtenir le paiement de sa créance fit assigner sa débitrice en liquidation judiciaire. Le tribunal de commerce de Lyon rendit un jugement prononçant l’ouverture de la liquidation judiciaire, après avoir constaté la cessation des paiements et l’impossibilité manifeste de redressement. Le débiteur forma appel de cette décision et demanda à titre principal de juger qu’il n’était pas en cessation des paiements. Subsidiairement, il contestait le caractère irrémédiablement compromis de la situation dans laquelle il se trouvait, de sorte à échapper à l’ouverture d’une liquidation.
Au soutien de ses demandes, la débitrice fit valoir que la dette détenue contre elle par l’intimé avait été réglée. Elle remet plus largement en question la caractérisation de la cessation des paiements. Les documents comptables de juillet 2024 qu’elle verse au débat caractériseraient selon elle la capacité de la société, avec son actif disponible, à faire face à son passif exigible, lequel aurait été artificiellement gonflé par l’effet de la liquidation, et ne devrait dès lors pas être pris en compte pour caractériser la cessation des paiements [3].
Classiquement, lorsqu’un appel est interjeté, l’appréciation de la cessation des paiements doit être réalisée au jour où statue la Cour [4]. Cette règle traduit la différence entre la cessation des paiements, et la simple gêne momentanée [5]. Or, en l’espèce les documents comptables datent de juillet 2024, soit plusieurs mois avant l’audience, qui s’est déroulée en décembre. Ces documents ne parviennent d’ailleurs pas à établir que les autres créances déclarées n’étaient pas devenues exigibles au moment de l’ouverture de la procédure, ce qui serait nécessaire pour les retrancher de la caractérisation de la cessation des paiements [6]. Ainsi les conseillers lyonnais ne remettent-ils pas en cause la caractérisation de la cessation des paiements des premiers juges. L’arrêt d’appel fixe provisoirement la même date de cessation des paiements que les juges du tribunal de commerce. Rappelons que cette date n’est que provisoire, et peut faire l’objet d’un ou plusieurs reports en arrière [7], susceptibles d’allonger la période suspecte. En revanche, les mêmes éléments comptables, insuffisants à remettre en cause la caractérisation de la cessation des paiements à la date de l’audience, suffisent pour justifier que le redressement de l’entreprise n’est pas manifestement impossible. Dès lors, la Cour d’appel de Lyon infirme le jugement du tribunal de commerce en ce qu’il ouvre une liquidation judiciaire et prononce un redressement judiciaire.
Il aurait pourtant pu sembler opportun de confirmer l’ouverture de la liquidation, faute pour le débiteur d’avoir réussi à démontrer des perspectives suffisantes de redressement. Il s’agirait alors d’aligner les critères d’appréciation du caractère manifestement impossible du redressement sur ceux de la cessation des paiements. On apprécie bien la cessation des paiements au jour de l’instance, et on comprend que cela implique des informations comptables et économiques actualisées. Comment justifier, alors, que l’on puisse « envisager la possibilité d’un redressement » avec des informations qui ne seraient pas actualisées ? Sans doute à travers la grande rigueur avec laquelle les juges du fond envisagent, souverainement [8], la condition du « redressement manifestement impossible » ; notamment à Lyon [9]. Cumulée à la cessation des paiements, elle justifie l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire [10]. Ainsi, ce qui justifie qu’on ouvre un redressement plutôt qu’une liquidation n’est pas la preuve de la possibilité de redressement, mais bien l’absence de preuve de l’impossibilité de redressement. En d’autres termes, c’est bien d’une appréciation rigoureuse du caractère manifestement impossible du redressement dont se charge le tribunal pour arbitrer entre une procédure de liquidation ou de redressement. Cette logique explique que les arrêts d’appel qui ouvrent une liquidation, sans caractériser précisément l’impossibilité manifeste de redressement, s’exposent à la censure [11].
Par Matthieu Richard
[1] Sur le pouvoir souverain des juges du fond, v. Cass. com., 12 mai 1998, n° 96-10.256 N° Lexbase : A2602ACD ; RTD com., 1998, 927, obs. C. Saint-Alary-Houin ; pour un exemple de jurisprudence lyonnaise, v. CA Lyon, 3e ch. A, 27 juin 2024, n° 23/09254 N° Lexbase : A88615M7 : M. Richard, Appréciation rigoureuse du caractère manifeste de l’impossibilité de redressement, in Droit des affaires, Cahiers Louis Josserand, janvier 2025, n° 6 N° Lexbase : N1486B3G.
[2] A. Jacquemont, N. Borga et T. Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté, Manuel, LexisNexis, 2022, pp. 535, n° 844.
[3] Cass. com., 26 mai 1999, n° 96-22.635 N° Lexbase : A8667AHH : RTD com., 1999, 953, obs. A. Laude ; Act. proc. coll., 1999, n° 168, obs. J. Vallansan ; Rev. proc. coll., 2000, p. 46, obs. J.-M. Deleneuville.
[4] Cass. com., 9 mai 1987 : RPC, 1987, n° 4, p. 29, obs. Didier.
[5] A. Jacquemont, Redressement judiciaire – Causes d’ouverture. – Cessation des paiements, JurisClasseur Procédures collectives, 13 mars 2023, fasc. 2155, §48.
[6] Cass. com., 14 décembre 1993, n° 91-18.635 N° Lexbase : A6520AB4 : D., 1994, 43.
[7] C. com., art. L. 631-8 N° Lexbase : L7315IZX, V. ég. A. Jacquemont, N. Borga et T. Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté, précité, p. 189 et s., n° 265 s.
[8] Cass. com., 6 juillet 2010, n° 09-67.345, F-P+B N° Lexbase : A2430E4R : D., 2010, actu. 1781, obs. A. Lienhard.
[9] CA Lyon, 3e ch. A, 27 juin 2024, n° 23/09254, précité.
[10] C. com., art. L. 640-1 N° Lexbase : L4038HB8.
[11] Cass. com., 20 avril 2017, n° 15-21.394, F-D N° Lexbase : A3319WA8 : Act. proc. coll., 2017, 30 mai 2017, n° 10, alerte 153. V. également, Cass. com., 24 mai 2009, n° 08-12.733, F-D N° Lexbase : A2125EEG.
♦ CA Lyon, 8e ch., 23 avril 2025, n° 24/03332 N° Lexbase : A05860PE
Mots-clefs : procédure collective • instance en cours • interdiction des poursuites individuelles • référé-provision
Solution : L’instance en référé-provision n’est pas une instance en cours au sens de l’article L. 622-22 du Code de commerce N° Lexbase : L7289IZY. Elle est donc soumise au principe d’interdiction des poursuites individuelles posé par l’article L. 622-21 du Code de commerce N° Lexbase : L9125L74.
Portée : La cour d’appel de Lyon fait une application directe de la solution posée par la Cour de cassation et constamment reprise depuis une trentaine d’années, selon laquelle l’instance en référé n’est pas une instance en cours.
Le juge du provisoire bénéficie d’une grande liberté puisqu’il n’est pas saisi du fond [1]. Ce caractère provisoire peut néanmoins devenir une source de fragilité lorsqu’une procédure collective est ouverte. La cour d’appel de Lyon a ici l’occasion de faire application d’une solution classique à une situation classique. À la question de savoir si l’instance en référé est une instance en cours lorsque la société est mise en liquidation au cours de la procédure d’appel, la cour d’appel répond par la négative.
En l’espèce, un bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire à son preneur à bail, puis l’assigne en référé afin de faire constater la résiliation du bail et ordonner l’expulsion du mauvais payeur. Une ordonnance de référé rendue le 26 février 2024 par le Président du tribunal de commerce de Lyon condamne notamment le preneur à un paiement provisionnel au titre des loyers impayés. Le preneur à bail interjette appel le 17 avril 2024. Il espère voir le bailleur débouté de ses demandes, ou à tout le moins « limiter notablement les demandes financières », et reconventionnellement faire condamner le bailleur pour de prétendues manœuvres dolosives lors de la négociation du bail commercial. Le bailleur ne l’entend évidemment pas de la sorte. Il espère voir constater la résiliation du bail, ordonner l’expulsion du preneur et le voir condamné par provision à payer à la fois l’arriéré des charges et loyers (124 879,51 euros), et le montant de la clause indemnitaire prévu au contrat (12 487,51 euros).
Le 19 février 2025, la liquidation judiciaire du preneur à bail est prononcée. Quel est alors l’effet de cette liquidation judiciaire sur l’instance en référé-provision ? L’article L. 622-21 du Code de commerce N° Lexbase : L9125L74 pose le principe de l’interruption de toute instance en cours menée par un créancier antérieur du débiteur en procédure collective lorsque cette action porte sur le paiement d’une somme d’argent. L’instance en cours « tend à obtenir, de la juridiction saisie du principal, une décision définitive sur l’existence et le montant de cette créance. » [2]. À la lumière de cet article et de la jurisprudence constante sur cette question [3], l’action en référé-provision n’est pas une instance en cours. L’ordonnance de référé est avant tout une décision provisoire [4]. La doctrine avait ainsi avancé qu’étant donné que la décision de référé « se bornait à constater la créance sur le seul terrain du provisoire et n’avait aucune autorité de chose jugée au principal », elle ne pouvait donner lieu à mention à l’état des créances [5]. C’est à cette position que s’est ralliée la Cour de cassation dès 1994, sans l’avoir remise en question depuis.
Comme l’action n’est pas interrompue par l’effet de l’article L. 622-21 du Code de commerce, le créancier est soumis à l’interdiction des poursuites individuelles, et non au régime posé par l’article L. 622-22 du Code de commerce N° Lexbase : L7289IZY. Accueillir la demande de provision ou constater l’acquisition de la clause résolutoire contreviendrait à ce principe d’interdiction des poursuites, d’ordre public « interne et international » [6]. Dans une telle situation, comment est alors réglée la situation du créancier ? La cour d’appel de Lyon répond que « la décision sur la créance appart[ient] au juge-commissaire ». Notons aussi que si le créancier avait obtenu sa provision antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, il n’aurait pas échappé à la nécessaire déclaration de sa créance, sous peine de la voir inopposable à la procédure [7], et sans que le sort que le juge commissaire réserve à la créance ne puisse être présagé [8].
À la première lecture de la décision, la compréhension du lien de causalité pourrait sembler mal aisée. La jurisprudence constante à ce sujet, et les différents commentaires qui en sont proposés, éclaire cette décision qui s’inscrit dans un précédent constant. L’attendu de principe posé en 1994 par la Cour de cassation, et réitéré sous l’empire de la loi de 2005 N° Lexbase : L5315MSN, est repris. Ainsi, c’est bien parce que l’action n’est pas une instance en cours qu’elle ne peut être suspendue, et qu’à défaut de pouvoir être suspendue, l’instance doit être interdite [9], et le créancier soumis au contrôle du juge-commissaire. Cette décision apporte donc sa pierre à l’édifice d’un pouvoir renforcé et généralisé du juge commissaire [10].
Par Matthieu Richard
[1] C. Chainais et al., Procédure civile: droit commun et spécial du procès civil, modes amiables de résolution des différends, MARD, Précis, Dalloz, 2024, p. 1557, n° 1936.
[2] Cass. com., 12 juillet 1994, n° 91-20.843 N° Lexbase : A4846ACH : JCP E, 1995, I, 417, n° 9, obs. Ph. Pétel ; RTD com., 1995, 482, obs. A. Martin-Serf. Solution reconduite sous l’empire de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5315MSN, v. Cass. com., 6 octobre 2009, n° 08-12.416, F-P+B N° Lexbase : A8705ELY : RTD com., 2010, 198, obs. A. Martin-Cerf. Pour une application plus récente, v. par ex. Cass. com., 19 septembre 2018, n° 17-13.210, F-P+B N° Lexbase : A6548X7N : RTD com., 2019, p. 213, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal., 2019, p. 70, obs. D. Boustani ; Dalloz actualité, 2 octobre 2018, obs. X. Delpech ; LEDEN, novembre 2018, n° 111y9, p. 3, note F. Mélin ; Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-22.753, F-D N° Lexbase : A33447RB : Procédures, juillet 2022, n° 7, comm. 176, obs. B. Rolland
[3] Cass. com., 12 juillet 1994, précité ; Cass. com., 6 octobre 2009, précité : « tel n’est pas le cas de l’instance en référé, qui tend à obtenir une condamnation provisionnelle ; que la créance faisant l’objet d’une telle instance doit être soumise à la procédure normale de vérification et à la décision du juge-commissaire. »
[4] CPC, art. 484 N° Lexbase : L6598H7I.
[5] A. Martin-Serf, obs. précité sous Cass. com. 12 juillet 1994 : RTD com., 1995, 482
[6] Cass. civ. 1, 6 mai 2009, n° 08-10.281, FS-P+B+I N° Lexbase : A7526EGT : Act. proc. coll., 2009, comm. 182, note Th. Mastrullo ; JCP G, 2009, act. 255, obs. J. Béguin ; JCP E, 2009, 1814, n° 2, obs. Ph. Pétel ; LEDEN, juillet 2009, p. 5, obs. F. Mélin ; RPC, janvier-février 2010, comm. 9, note O. Staes.
[7] C. com., art. L. 622-26 N° Lexbase : L9127L78.
[8] Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-22.753, précité.
[9] V. en ce sens A. Martin-Serf, obs. précité sous Cass. com. 12 juillet 1994 : RTD com., 1995, 482.
[10] V. A. Jacquemont, N. Borga et T. Mastrummo, Droit des entreprises en difficulté, Manuel, LexisNexis, 2022, p. 193, n° 270.
♦ CA Lyon, 3e ch. A, 27 mars 2025, n° 24/03930 N° Lexbase : A76130EP
Mots-clés : SAS • procédures collectives • liquidation judiciaire • responsabilité pour insuffisance d’actif • dirigeant personne morale • solidarité
Solution : La cour d’appel de Lyon confirme le jugement prononçant la condamnation solidaire du dirigeant personne morale de la SAS en liquidation judiciaire et de son dirigeant.
Portée : En l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeante d’une SAS, la responsabilité pour insuffisance d’actif est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit, mais également par son représentant légal.
Dans le cadre d’une SAS, la loi se borne à exiger la désignation d’un président. Pour le reste, les actionnaires sont libres d’organiser la gestion de la SAS comme ils l’entendent [1]. On sait d’ailleurs qu’il est largement fait usage de la possibilité ouverte par les textes de confier la gestion d’une SAS à une personne morale [2]. Or, aux termes de l’article L. 651-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3702MBQ, peuvent être poursuivis au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif prévue à l’article L. 651-2 N° Lexbase : L3704MBS, non seulement les dirigeants personnes morales, mais également leurs « représentants permanents ». Toutefois, à la différence de la SA dans laquelle la désignation d’un représentant permanent est imposée dès lors que sa gestion est confiée à une personne morale [3], le régime de la SAS demeure silencieux sur ce point. La figure du représentant permanent est tout simplement absente – ni prévue, ni exclue – du régime légal de la SAS. Se pose donc la question de savoir si, en l’absence de représentant permanent, le représentant légal du dirigeant personne morale d’une SAS peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article L. 651-2. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 27 mars 2025 porte précisément sur cette problématique.
En l’espèce, une SAS a été créée en 2015. Deux ans plus tard, M. X., alors président et associé unique de cette SAS, a fondé plusieurs filiales ainsi qu’une société holding. En 2018, cette holding est devenue associée unique et présidente de la SAS. En septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SAS. Cette procédure a ensuite été convertie en liquidation judiciaire en décembre de la même année. En 2023, le liquidateur a engagé une action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre de la société holding et de son dirigeant, M. X. En avril 2024, le tribunal de commerce de Lyon les a condamnés solidairement à payer la somme de 309 524 euros au titre de l’insuffisance d’actif constatée. Les défendeurs ont interjeté appel du jugement.
Il est acquis, depuis que la Haute cour a pris position sur ce point en 2022 [4], que la désignation d’un représentant permanent est possible dans une SAS, mais qu’elle demeure facultative. On sait également depuis 2023, qu’en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent, lorsque la personne morale en liquidation judiciaire est une SAS dirigée par une personne morale, la sanction patrimoniale prévue à l’article L. 651-2 du Code de commerce est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit, mais aussi par son représentant légal [5]. Un arrêt de 2024 [6] a ensuite confirmé cette solution tout en apportant une précision essentielle : lorsqu’un représentant permanent a été désigné conformément aux statuts, seule cette personne physique est susceptible de voir sa responsabilité engagée solidairement pour insuffisance d’actif. Le représentant légal du dirigeant personne morale ne pourrait donc pas être condamné à ce titre, sauf à cumuler cette fonction avec celle de représentant permanent. Ainsi, la désignation d’un représentant permanent permettrait au représentant légal d’échapper à cette responsabilité solidaire pour insuffisance d’actif, à condition que cette désignation ait été faite conformément aux statuts [7]. En revanche, si aucun représentant permanent n’a été désigné, ce sera le dirigeant, représentant légal, qui assumera cette responsabilité. En l’espèce, aucun représentant permanent du dirigeant personne morale n’avait été nommé en vertu des statuts. Sans ambages donc, les juges d’appel ont fait application de la solution de principe consacrée par la Cour de cassation en 2023 pour retenir la responsabilité du représentant légal.
La cour d’appel de Lyon confirme donc le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon, sauf en ce qu’il a condamné solidairement la nouvelle société et son dirigeant à payer la somme de 309 524 euros au titre de l’insuffisance d’actif constatée. Finalement, elle condamne le dirigeant personne morale de la SAS et son représentant légal à s’acquitter solidairement de la somme de 130 000 euros à titre de contribution à l’insuffisance d’actif.
La souplesse statutaire propre à la SAS ne doit pas faire obstacle à l’application des règles de responsabilité dans les procédures collectives. À défaut de représentant permanent, le représentant légal de la personne morale dirigeante d’une SAS peut donc voir sa responsabilité engagée au titre de l’insuffisance d’actif. Cette lecture pragmatique de l’article L. 651-1 du Code de commerce pallie utilement le silence des textes encadrant la gestion de la SAS.
Par Lauryn Daville
[1] C. com., art. L. 227-5 N° Lexbase : L6160AIY.
[2] C. com., art. L. 227-7 N° Lexbase : L6162AI3.
[3] V., nota. C. com., art. L. 225-20 N° Lexbase : L3629IP4 et art. L. 225-76 N° Lexbase : L3634IPB.
[4] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.089, F-D N° Lexbase : A19137K3 : Rev. sociétés, 2022, p. 291, note A. Couret ; JCP E, 2022, p. 1185, note B. Dondero ; Bull. Joly sociétés, mai 2022, p. 27, note J.-L. Périn ; D. Gallois-Cochet, La clause statutaire prévoyant la désignation d'un représentant permanent du président de SAS personne morale est licite, mais son effet est limité, Gaz. Pal., 21 juin 2022, p. 67 ; Dr. sociétés, 2022, n° 107, note J.-F. Hamelin ; Dr. et patr. octobre 2023, p. 44, obs. D. Poracchia.
[5] Cass. com., 13 décembre 2023, n° 21-14.579, F-B N° Lexbase : A5499188 : Dalloz actualité, 12 janvier 2024, obs. T. Duchesne ; JCP E, 2024, p. 1116, obs. A. Tehrani ; ibid. 2024, p. 1167, note B. Dondero ; Bull. Joly sociétés, mars 2024, p. 42, note N. Jullian ; F. Reille, Responsabilité pour insuffisance d'actif du représentant légal de la personne morale dirigeante, en cas de liquidation d'une SAS, Gaz. Pal., 19 mars 2024, n° 10, p. 78 ; Dr. sociétés, 2024, no 38, note J.-P. Legros ; Bull. Joly entreprises, mars-avril 2024, p. 51, note T. Favario ; RPC, 2024, n° 60, obs. A. Martin-Serf ; Dr. et patr., octobre 2024, p. 59, obs. D. Poracchia.
[6] Cass. com., 20 novembre 2024, n° 23-17.842, F-B N° Lexbase : A78806HC : T. Duchesne, SAS, dirigeant personne morale et responsabilité pour insuffisance d’actif : les liaisons dangereuses, épisode 2, Dalloz actualité, 29 novembre 2024 [en ligne] ; JCP E, 2025, p. 1020, note T. Bonneau ; Bull. Joly sociétés, janvier 2025, p. 29, note P.-L. Périn et J. Molinié ; APC, 2025, n° 24, obs. J.-C. Pagnucco ; Dr. sociétés, 2025, n° 12, note J.-F. Hamelin ; LEDEN, février 2025, p. 5, obs. E. Miglietta ; A. Cerati, Insuffisance d'actif : responsabilité du représentant légal d'une personne morale et de son représentant permanent, Gaz. Pal., 18 mars 2025, n° 10, p. 69 ; Bull. Joly entreprises, mars-avril 2025, p. 24, note T. Favario.
[7] P.-L. Périn et J. Molinié, Le responsable de l’insuffisance d’actif est le représentant permanent désigné par la personne morale présidente de SAS, Bull. Joly sociétés, 2025, p. 30, n° 7.
♦ CA Lyon, 3e ch. A, 17 avril 2025, n° 24/05020 N° Lexbase : A23420MP
Mots-clefs : liquidation judiciaire • sanction du chef d'entreprise en matière de procédure collective • condition de la faillite personnelle • tenue d’une comptabilité irrégulière • responsabilité du cabinet d’expertise-comptable
Solution : Par un arrêt en date du 17 avril 2025, la cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement du tribunal de commerce ayant prononcé une mesure de faillite personnelle à l’encontre du dirigeant en considération de plusieurs fautes ayant aggravé les difficultés de la société débitrice.
Portée : Le chef d’entreprise ne saurait se retrancher derrière la défaillance du cabinet d’expertise-comptable pour se défaire de ses propres fautes de gestion.
Le traitement des difficultés des entreprises s’inscrit dans un arbitrage entre des intérêts parfois antagonistes : ceux du dirigeant, des créanciers, des salariés ou encore de l’État. Il ne faut toutefois pas perdre de vue l’intérêt collectif, véritable colonne du temple de cette discipline.
Ainsi, l’ouverture d’une procédure collective n’implique pas systématiquement le prononcé d’une sanction personnelle à l’encontre des dirigeants dans la mesure où leur cause est également prise en compte et où il convient désormais de distinguer l’homme de l’entreprise [1]. Ce n’est donc qu’en présence d’un acte déshonnête, qui ne doit donc rien à la mauvaise fortune, qu'une sanction pourra être prononcée et c’est ce dont il est débattu en l’espèce.
Quelques éléments de faits. Dans la présente affaire, une société par actions simplifiée (SAS) a été placée en liquidation judiciaire en 2021. Trois ans plus tard, en 2024, le dirigeant de cette société a fait l’objet d’une condamnation à une mesure de faillite personnelle motivée par la constatation d’une comptabilité irrégulière. Cette dernière ne reflétait en effet ni fidèlement ni sincèrement la situation financière de l’entreprise, symptôme d’une carence du dirigeant dans sa gestion administrative et comptable. Il conteste toutefois sa responsabilité en soutenant que ces irrégularités résultaient en réalité de négligences imputables à l’expert-comptable chargé de l’établissement des comptes. Cet argument soulève une question centrale : dans quelle mesure le dirigeant peut-il se décharger de ses obligations comptables en invoquant la faute d’autrui, ici, le cabinet d’expertise-comptable ?
Le rôle de la comptabilité d’une société. Pour rappel, l’article L. 123-12 du Code de commerce N° Lexbase : L5570AI7 impose aux commerçants l’obligation de tenir une comptabilité régulière. Celle-ci est en effet, selon Claude Perochon, un excellent outil pour décrire la situation et l’activité de l’entreprise [2]. Pour quiconque sait la lire, elle permet ainsi d’informer, et c’est en ce sens que l’absence ou l’irrégularité de tenue comptable peut justifier des sanctions dont celle de faillite personnelle.
Les conditions de la faillite personnelle. Cette sanction professionnelle a pour objet, en cas d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire (ou de redressement), de punir le dirigeant de fait ou de droit ayant adopté un comportement « malhonnête », notamment lorsqu’il « a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables » [3]. La conséquence est alors de l’écarter de la vie des affaires pendant une certaine durée selon la gravité de ses fautes [4], sans pouvoir excéder quinze années [5].
L’application des règles par les juges dans l’arrêt commenté. La cour d’appel de Lyon fait œuvre de pédagogie et de transparence quant au prononcé de la sanction. Si la qualité de dirigeant est requise, les juges en font mention même en l’absence de contestation, pour démontrer ensuite l’existence d’une comptabilité entachée de nombreuses irrégularités imputables au dirigeant de la société. Par exemple, et sans procéder à une énumération, il est pointé le déséquilibre récurrent entre l’actif et le passif. Pour l’ensemble des manquements, sont étudiés à la fois leur nature, leur durée, l’intérêt personnel poursuivi par le dirigeant au détriment de l’intérêt social et les conséquences sur l’aggravation du passif. Ces éléments fondent la sanction et en déterminent le quantum ici d’une durée de quatre ans.
Ultimement, le dirigeant tentait de se soustraire à ladite sanction en affirmant avoir mandaté un expert-comptable, ce dont il justifiait par la production d’échanges de courriels. Toutefois, la cour constate des irrégularités comptables antérieures à l’intervention alléguée de ce professionnel et l’absence de transmissions de pièces nécessaires à l’exécution de sa mission. Dans ces conditions, le dirigeant demeurait tenu d’assurer la régularité de la comptabilité de sa société. Autrement dit, un dirigeant ne saurait invoquer la carence d’autrui pour masquer ses propres manquements, une logique d’évitement que l’étymologie même du mot faillite issu de l’italien fallita signifiant « faute » vient implicitement condamner. A contrario, il serait possible de croire qu’une exonération de responsabilité du dirigeant serait admissible en présence d’un mandat dûment établi, de pièces régulièrement transmises et d’une faute avérée de l’expert-comptable dans l’exécution de sa tâche [6].
En somme, lorsqu’une entreprise traverse des difficultés, elle se heurte soudain à une réalité institutionnelle jusque-là distante. Ce monde judiciaire, souvent perçu comme abstrait, s’impose alors avec une rigueur implacable, pas toujours comprise et éprouvante pour ceux qui la subissent. Dans cette tourmente, l’expert-comptable apparaît comme un soutien indispensable à la fois technique et moral. Parfois, il peut former un rempart, mais encore faut-il qu’il ait pu exercer convenablement ses missions. Ainsi, il ne doit être érigé en bouc émissaire et sacrifié sur l’autel de la responsabilité lorsque le dirigeant lui-même a failli à ses obligations.
Par Marion Deleporte
[1]Autrefois fondé sur la répression des « faillis », le droit des entreprises en difficulté privilégie aujourd’hui la prévention, la négociation et la rapidité. L’échec, qui n’est plus perçu comme infamant aux yeux de la société, est alors considéré comme une composante possible de la vie des affaires.
[2] P. Baruch, N. Kerscaven, G. Melyon, R. Noguera, Comptabilité générale, Vuibert, 1re éd., 2018, p. 6, n° 5.
[3] C. com., art. L. 653-5, 6° N° Lexbase : L7346IZ4.
[4] La Cour de cassation exige effectivement que la durée de la sanction soit définie selon un principe de proportionnalité aux fautes (Cass. com., 1er décembre 2009, n° 08-17.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2873EP4) rappelé récemment (Cass. com., 15 janvier 2025, n° 23-22.205, F-D N° Lexbase : A97706QW) sans excéder pour autant quinze ans (C. com., art. L. 653-11 N° Lexbase : L3328ICA).
[5] La sanction emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise (C. com., art. L. 653-2 N° Lexbase : L4144HB4).
[6] En ce sens : CA Douai, 30 novembre 2023, n° 23/01205 N° Lexbase : A597117B.
♦ CA Lyon, 3e chambre A, 13 mars 2025, n° 21/01748 N° Lexbase : A11430BX
Mots-clés : droit cambiaire • lettre de change • escompte • inopposabilité des exceptions • bonne foi.
Solution : La cour d’appel de Lyon retient que la mauvaise foi du porteur d’une lettre de change peut faire échec au principe de l’inopposabilité des exceptions découlant de l’acceptation par le tiré de l’ordre de paiement émis après la constitution d’une lettre de change par son créancier.
Portée : L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans la lignée de décisions tendant à faire de l’escompte des lettres de change une opération particulièrement risquée lorsqu’elle est effectuée par la banque domiciliataire des comptes du tireur.
L’escompte d’une lettre de change est une opération qui repose sur le transfert de la propriété de ce titre à une banque en contrepartie d’une somme d’argent correspondant au montant de la provision de la lettre de change, déduction faite d’une commission perçue par le banquier escompteur. Celui-ci est le plus souvent le domiciliataire des comptes de l’émetteur de la lettre de change. Cette opération constitue en pratique une forme de crédit à court terme qu’une entreprise peut solliciter pour ses besoins de trésorerie sans attendre le paiement de ses créances à l’échéance. Par la suite, la banque peut réclamer le paiement au débiteur de la lettre de change qui, en principe, ne peut lui opposer d’exceptions tirées de son rapport avec le créancier tireur. Mais comme l’illustre l’arrêt commenté, ce mécanisme est parfois utilisé par la banque du tireur pour se prémunir contre la survenance imminente de son insolvabilité, à l’insu et au détriment du débiteur tiré. Dans ce cas, comme le juge ici la cour d’appel de Lyon, la connaissance de la situation déficiente de son client empêchera la banque concernée de réclamer le paiement de la créance due par le tiré.
En l’espèce, deux sociétés avaient conclu deux contrats de fourniture de matériels aux termes desquels la société proposant la vente de ces matériels avait émis deux lettres de change reposant sur les créances détenues contre la société acquéreuse. Cette dernière avait accepté les deux lettres de change émises en prévision d’une livraison de matériels achetés avant la date d’échéance de paiement du prix de vente. La société chargée de la vente du matériel fit par la suite l’objet d’une procédure de redressement, puis de liquidation judiciaire. Avant l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la banque domiciliataire du compte de dépôts de la société placée en liquidation décida de prendre à l’escompte les deux lettres de change tirées par celle-ci. Mais n’ayant pas été livrée depuis la conclusion du contrat, la société tirée refusa de payer la banque bénéficiaire de la lettre de change. Face à ce refus, la banque bénéficiaire tenta en vain d’obtenir une injonction de payer en référé du président du tribunal de commerce de Saint-Étienne. Selon cette décision, il existait une contestation sérieuse faisant obstacle au traitement de la demande en référé [1]. L’affaire a ensuite été jugée au fond par le tribunal de commerce qui a rejeté la demande de paiement, au motif que la banque bénéficiaire n’était pas de bonne foi et qu'elle ne pouvait pas se prévaloir du principe de l'inopposabilité des exceptions qui, classiquement, contraint le débiteur tiré de payer le porteur d’une lettre de change dès sa présentation [2].
La cour d’appel de Lyon confirme le jugement rendu en première instance par le tribunal de commerce, en estimant également que le comportement de la banque bénéficiaire de la lettre de change était constitutif d’une mauvaise foi qui, par exception au principe de l’inopposabilité des exceptions, prive le porteur du titre de la possibilité de solliciter le paiement de la créance actionnée. Pour caractériser la mauvaise foi de la banque, les juges lyonnais s’appuient sur les circonstances dans lesquelles l’escompte des deux titres est intervenu et sur la situation financière du tireur au moment des faits. En l’occurrence, ils observent que les comptes du tireur ont été régulièrement débiteurs depuis leur ouverture auprès de la banque bénéficiaire des lettres de change. Ces deux lettres de change ont constitué les seuls mouvements de fonds rendant provisoirement les comptes créditeurs et permettant de régler les salaires et d'autres dettes importantes. Sur l'ensemble de l'année, le compte du tireur est systématiquement débiteur et les nombreux intérêts au titre du découvert, mais aussi les frais pour rejets de prélèvements, ne pouvaient être ignorés par la banque, qui a le compte ouvert dans ses livres et ne peut que recevoir des alertes quant à la situation. Par conséquent, le choix d’escompter les deux lettres de change ne peut que semer le doute sur la bonne foi de la banque concernée puisque l’insolvabilité de son client était sur ce point avérée. Au regard de ces éléments, la cour d’appel de Lyon conclut que la mauvaise foi de la banque est caractérisée et que la société tirée est fondée à lui opposer l'inexécution par le tireur des contrats qui permettaient l'émission des deux lettres de change.
Mais si les juges du second degré retiennent une définition de la mauvaise foi qui peut sembler adapter aux circonstances particulières des faits de cette affaire, il n’en demeure pas moins qu’elle s’éloigne de la lettre de l’article L. 511-12 du Code de commerce N° Lexbase : L6665AIP qui, sur ce point, indique que la mauvaise foi suppose de démontrer que « le porteur, en acquérant la lettre, […] ait agi sciemment au détriment du débiteur ». L’intention de nuire du porteur doit être établie, le cas échéant au moment de l’acquisition du titre par le porteur, si bien que la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient une interprétation stricte de ce texte [3]. Néanmoins, la Chambre commerciale admet que l’escompte des lettres de change par la banque du tireur peut cacher une intention de nuire au débiteur cambiaire, lorsque ce choix n’a d’autre but que le paiement de certains de ses frais de service ou de remboursement du découvert consenti à son client [4]. L’arrêt commenté s’inscrit dans la lignée de décisions tendant à faire de l’escompte des lettres de change une opération particulièrement risquée, lorsqu’elle est effectuée par la banque domiciliataire des comptes du tireur [5]. En effet, les informations que la banque peut posséder, à partir des mouvements de fonds sur les comptes de son client, lui permettent de déterminer le moment où la situation de celui-ci est irrémédiablement compromise. Ceci met la banque en situation d’organiser au préalable le recouvrement de ses créances, le cas échéant en réalisant l’escompte d’une lettre de change émise par le client en potentielle situation d’insolvabilité, puisque, en raison du mécanisme cambiaire de cet effet de commerce, la banque pourra toujours exiger le paiement de la créance au débiteur tiré, sans que ce dernier ne soit en mesure de lui opposer une exception tirée de sa relation avec le tireur, dont notamment l’inexécution par ce dernier de ses obligations contractuelles.
Par Jordi Mvitu Muaka
[1] CPC., art. 872 N° Lexbase : L0848H48 : « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ».
[2] C. com., art. L. 511-12 N° Lexbase : L6665AIP.
[3] V. not., Cass. com. 26 juin 1956 : Gaz. Pal., 1956, n° 2, p. 331.
[4] Cass. com., 9 juillet 1979, n° 78-10.787 : D., 1980, p. 265, note M. Vasseur.
[5] V. not., Cass. com., 2 février 1976, n° 74-12.711 N° Lexbase : A7069CEK : JCP, 1977, II, 18714, note C. Gavalda.
♦ CA Lyon 3e chambre A, 27 mars 2025, n° 21/04644 N° Lexbase : A77280EX
Mots-clés : contrat de franchise • résiliation • retrait enseigne • astreinte conventionnelle • bonne foi
Solution : Dans un litige relatif à l’exécution d’une astreinte conventionnelle, la cour d’appel de Lyon a invoqué la bonne foi pour modifier le quantum de la sanction prévue, au détriment d’un franchiseur ayant tardé à réclamer le retrait de son enseigne du point de vente de l’ancien franchisé, après la résiliation du contrat de franchise.
Portée : Si la bonne foi s’invite, encore davantage depuis la réforme du droit des obligations, dans chacune des phases de la relation contractuelle, y compris donc au moment de sa rupture, l’arrêt rendu par les juges lyonnais apporte une illustration éclairante sur les effets que son invocation peut entrainer sur les prétentions des parties.
La résiliation du contrat de franchise ne met pas nécessairement fin aux obligations nées de ce contrat, car certaines d’entre elles continuent d’engager les parties à la cessation de la relation d’affaires. L’une des plus importantes concerne l’obligation de retrait des éléments d’identification de l’enseigne et des produits du franchiseur du point de vente exploité par l’ancien franchisé. Mais puisque cette obligation émane d’un rapport contractuel organisé au préalable, la cour d’appel de Lyon indique dans le présent arrêt que le principe de bonne foi, qui a encadré la relation d’affaires avant sa rupture, régit également l’exécution des engagements qui subsistent à l’issue de la résiliation du contrat de franchise.
En l’espèce, une enseigne spécialisée dans la distribution de produits alimentaires et diététiques avait conclu un contrat de franchise pour une durée de cinq ans avec un exploitant franchisé. Ce contrat prévoyait une clause en vertu de laquelle le franchisé était tenu de la cessation immédiate de l’exploitation de l’enseigne et de la fin du référencement sur les pages jaunes de son établissement, sous peine d’astreinte de 300 euros par jour de retard. La résiliation du contrat de franchise intervint près de trois ans après sa conclusion, mais c’est seulement à l’issue de trois autres années supplémentaires que la société détentrice de l’enseigne fit constater par voie d'huissier que l'enseigne était toujours présente au point de vente, ainsi que le référencement sur les pages jaunes. Elle a par la suite émis une facture de la somme due par l’ancien franchisé en tenant compte du nombre de jours d'astreinte depuis la fin du contrat, facture que l’ancien franchisé refusa de payer, en dépit d’une injonction de payer prononcée par le président du tribunal de commerce de Fréjus.
En instance d’appel, le franchiseur soutenait que la mise en demeure, bien qu’effectuée près de trois ans après la résiliation du contrat litigieux, ne faisait pas obstacle à l’application de la sanction contractuellement prévue, face à la poursuite sans autorisation de l’exploitation de l’enseigne par le franchisé. En outre, selon le franchiseur, la clause établissait une astreinte qui ne dédommageait pas le préjudice subi, mais contraignait le débiteur à s'exécuter, ce qui permet de la calculer sans considération de la situation des parties à l’issue de la résiliation du contrat. L’ancien franchisé reprochait quant à lui au franchiseur de réclamer le paiement de l’astreinte sans accorder au préalable un délai lui permettant d’exécuter son obligation de retrait de l’enseigne, ce qui pouvait être constitutif soit d’un abus, soit d’une mauvaise foi de la part du franchiseur.
La cour d’appel de Lyon fait droit à la demande du franchiseur en considérant que l’inaction de l’ancien exploitant de l’enseigne constituait un manquement à l’obligation de cessation de tout lien avec le réseau de franchise ; manquement qui impliquait précisément de retirer du point de vente tout logo, enseigne et tous les signes d'appartenance au réseau. Si le manquement a été caractérisé, la sanction réclamée par le franchiseur a toutefois été adaptée par les juges lyonnais qui, sur ce point, reprochent à ce dernier sa mauvaise foi [1]. En l’occurrence, l’arrêt énonce que si le franchisé « devait, dans les huit jours suivant la cessation du contrat, déposer l'enseigne et cesser toute mention de la marque […], il convient de relever, […] que la société [le franchiseur] a particulièrement tardé à s'assurer que ces obligations avaient été remplies. Elle a ainsi laissé s'écouler un délai de près de trois ans et quatre mois, alors que le contrat prévoyait à son profit une astreinte de 300 euros par jour de retard ». Face à ce constat, l’astreinte ne devait courir qu’à compter de la date de mise en demeure adressée par le franchiseur, soit près de trois ans après la résiliation du contrat. Sur ce point, la réévaluation du quantum de la sanction ne fait que rappeler l’assimilation de l’astreinte fixée contractuellement à une clause pénale [2] dont le juge peut modérer le montant ou les modalités de calcul [3].
Dans sa décision, la cour d’appel de Lyon invite les parties au contrat à se montrer diligentes, même à l’issue de la résiliation du contrat conclu, dès lors que la rupture de la relation contractuelle ne met pas fin à tous les engagements dont ces dernières seraient convenues. Le franchiseur, en l’espèce, n’avait pas veillé à vérifier si l’ancien exploitant avait rempli son obligation de restitution, mais également son obligation de ne plus faire figurer la marque exploitée sur les répertoires électroniques. Or, ce contrôle pouvait intervenir à l’expiration du délai de huit jours fixé contractuellement. Le recours à la bonne foi dans ce cadre vient sanctionner l’inaction prolongée du franchiseur, qui ne s’est décidé à agir que plus de trois ans après la rupture du contrat. Sans caractériser expressément une intention de nuire, la cour d’appel retient une mauvaise foi du franchiseur en raison du profit que son inaction lui procure à travers l’application de l’astreinte conventionnelle. L’arrêt a été rendu sous l’empire du droit ancien, mais sa solution parait aisément transposable aux contrats soumis aux dispositions en vigueur du droit des contrats depuis la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 sur le fondement de l’article 1104 du Code civil N° Lexbase : L0821KZG.
Par Jordi Mvitu Muaka
[1] L’arrêt se fonde sur l’article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations du 10 février 2016.
[2] V. not., Cass. civ. 1, 9 mars 1977 : Bull. civ. I, n° 126 ; Cass. com. 29 juin 2010, n° 09-14.123, F-D N° Lexbase : A6712E3Y: RDC, 2011, p. 47, obs. Y. Laithier.
[3] Sur la modération de la clause pénale, v. É. Alfandari, Le contrôle des clauses pénales par le juge, JCP, 1971, I, 2395 ; également C. civ., art. 1231-5 N° Lexbase : L0617KZU.
♦ CA Lyon, 3e chambre A, 7 mars 2024, n° 23/02236 N° Lexbase : A92272TW
Mots-clés : responsabilité civile contractuelle du banquier • conditions générales • suspension fautive des services bancaires • abus de droit
Solution : Sur le fondement de l’abus de droit, la cour d’appel de Lyon énonce que le banquier peut engager sa responsabilité civile lorsqu’il décide, sans information ni mise en demeure préalable, de suspendre ses services bancaires en ligne à l’égard d’un client. L’attention portée au respect des obligations de vigilance issue du Code monétaire et financier ne suffit pas à justifier de plein droit l’application d’une telle mesure.
Portée : L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon contribue à appréhender les effets des règles de vigilance et de compliance, émanant de la régulation des activités bancaires, sur les contrats conclus entre les établissements bancaires et leurs clients.
Afin de prévenir le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les établissements bancaires sont astreints à un certain nombre d’obligations de vigilance [1]. Ils doivent notamment recueillir des informations précises sur l’identité de tout client, dès le début de la relation d’affaires, et tout au long de celle-ci lorsque des changements affectant sa situation surviennent [2]. Lorsque le client est une société, la banque est tenue de s’informer sur l’identité de ses dirigeants et de chacun de ses associés [3]. Le défaut de diligence de la banque expose celle-ci à des sanctions disciplinaires [4].
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon portait sur l’hypothèse du défaut de communication des documents d’identité sur le nouveau président d’une SAS à la banque domiciliataire de son compte courant. Cette dernière avait réitéré sa demande près d’un mois après avoir pris connaissance du changement de présidence au sein de la société. À l’issue d’une énième demande d’information restée sans réponse, l’établissement suspendit l'accès en ligne au compte de la société, considérant que la manière avec laquelle le président nommé s'employait à éluder ses demandes la tenait dans une situation d'incertitude faisant peser à son encontre un risque de sanction disciplinaire. En effet, une clause de la convention de compte courant réservait à la banque le droit de suspendre l'accès au service en ligne afin de procéder aux vérifications complémentaires d'usage, dans le cadre de son obligation de vigilance et en vue de protéger le client contre toute opération frauduleuse. La clause attribuait en somme un pouvoir de sanction unilatéral à la banque s’exerçant contre son client.
La décision rendue par les juges lyonnais ne remet pas en cause la validité de cette clause qui, au demeurant, apparaît comme une clause de style dans les conventions de compte courant [5]. Les juges d’appel remettent surtout en cause la motivation de la décision prise par la banque. En l’occurrence, ces derniers considèrent que la banque a procédé sans information, ni mise en demeure préalable à la suspension de l'accès aux services bancaires en ligne. Deux jours avant cette suspension, un rendez-vous avait pourtant été convenu avec la société cliente à la semaine suivante, pour notamment « faire le point sur les documents de mise à jour » demandés par la banque. La tenue de ce rendez-vous aurait été l’occasion pour la société cliente de transmettre en mains propres les documents attendus, en l’occurrence l’extrait K-Bis de moins de trois mois et la pièce d'identité du nouveau dirigeant de la SAS.
La cour d’appel de Lyon se fonde dans ce litige sur l’abus de droit pour sanctionner l’exercice par la banque d’une prérogative contractuellement convenue entre les parties. Elle se rapproche ainsi de la lignée des décisions jurisprudentielles relatives à la validité de clauses accordant à une partie le pouvoir d’imposer unilatéralement certaines décisions à son cocontractant [6] . Cette jurisprudence se fonde sur l’abus pour encadrer l’exercice de ce pouvoir accordé à une partie dans le cadre du contrat. Ce recours à l’abus du droit semblait nécessaire dans ce litige, car, en principe, la suspension des services bancaires en ligne était limitée à quatre situations expressément énoncées dans la convention de compte courant, en l’occurrence : impossibilité de prélever le prix pour quelque cause que ce soit ; l’existence d'un incident bancaire affectant un des comptes du client, notamment blocage ; l’avis à tiers détenteur ou saisie-attribution ; la procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire du client.
Ainsi, si la banque peut se réserver le droit de suspendre inopinément ses services dans le cadre de son obligation professionnelle de vigilance, c’est à la condition que cette décision ne soit constitutive d’abus. Dans le litige ayant conduit à la saisine des juges d’appel, cet abus se manifestait par les circonstances dans lesquelles la décision litigieuse a été prise. La suspension des services en ligne a été décidée sans information préalable du client, avant la tenue d’un rendez-vous au cours duquel les documents requis auraient pu être transmis par le nouveau dirigeant de la société cliente. En un mot, c’est très certainement le caractère hâtif de la décision que la cour d’appel de Lyon condamne.
Par Jordi Mvitu Muaka
[1] C. mon. fin., art. L. 561-5 et s N° Lexbase : L5147LBA.
[2] C. mon. fin., art. L. 561-5-1 N° Lexbase : L4971LBQ.
[3] C. mon. fin., R. 561-5 N° Lexbase : L0931LWE.
[4] C. mon. fin., art. L. 561-36 N° Lexbase : L0309NAP ; v. également, ACPR, décembre n° 2016-10 du 8 novembre 2017[en ligne] ; ACPR, décembre no 2017-05 du 17 avril 2018 [en ligne].
[5] V. not., M. Storck, La clôture du compte bancaire, in J. Lasserre Capdeville (dir.), La responsabilité civile du banquier aujourd'hui, LexisNexis, coll. Actualité, 2022, p. 47 et s.
[6] V. not., Cass., ass. plén., 1er décembre 1995, n° 93-13.688 N° Lexbase : A8251AB9, n° 91-15.578 N° Lexbase : A1731AAD, n° 91-15.999 N° Lexbase : A5967AHH et n° 91-19.653 N° Lexbase : A5344ABK ; Cass. com., 4 novembre 2014 : J. Ghestin, De la fixation unilatérale des prix dans l’exécution d’un contrat d’approvisionnement exclusif, D., janvier 2015, n° 3, p. 183 ; égal. P. Lokiec, Contrat et pouvoir : essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels, préf. A. Lyon-Caen, LGDJ, 2004, n° 2.
♦ CA Lyon, 6e chambre, 20 février 2025, n° 22/04150 N° Lexbase : A90520HQ
Mots-clés : responsabilité civile du banquier • devoir de vigilance • services de paiement • liste noire
Solution : Le banquier prestataire de services de paiement n’engage pas sa responsabilité lorsque les paiements litigieux effectués pour le compte de son client ne présentent manifestement aucun caractère anormal ni irrégulier.
Portée : Les juges lyonnais, dans cet arrêt, adoptent une analyse de jurisprudence constante sur le contenu de l’obligation de vigilance. Ils retiennent néanmoins une conception moins stricte du caractère manifeste de l’irrégularité devant alerter la banque à l’égard des paiements effectués par son client.
En vertu du devoir de vigilance, l’établissement de crédit est chargé, avant d'exécuter une opération pour le compte de son client, d’examiner la régularité apparente de celle-ci. Il s’agit d’une obligation émanant de la jurisprudence [1], rattachée à l’exercice de la profession bancaire. Elle constitue une exception au principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de ses clients. Ce principe autorise le banquier à exécuter des transactions pour le compte de ses clients, même lorsque celles-ci seraient illicites ou frauduleuses [2]. Par exception à ce principe, le banquier peut être chargé de contrôler les opérations effectuées par ses clients. Cette immixtion du banquier constituant alors une exception, les conditions de son déclenchement sont appréciées de manière stricte. Mais cette appréciation stricte est source d’un contentieux presque intarissable visant à une plus grande responsabilisation des banques à l’égard des fraudes et des escroqueries, dont les clients sont couramment victimes, telles que la fraude aux faux conseillers bancaires, les falsifications de RIB et la création de comptes bénéficiaires fictifs, ou encore la fraude à la remise de chèques.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent arrêt. Ce dernier concernait l’exécution par une banque de neuf virements au bénéfice d’une plateforme placée sur liste noire par l’AMF et la Banque de France. En effet, un particulier avait donné à sa banque l’ordre d’effectuer plusieurs virements d’un montant relativement élevé dans des comptes domiciliés à Malte et au Danemark, qui avaient été ouverts au bénéfice d’une plateforme d’achat-revente de diamants. L’ensemble des opérations se déroula sur une durée de huit mois, et peu de temps avant l’exécution des derniers virements, la plateforme concernée fut placée sur la liste noire de l'AMF et de la Banque de France. À la découverte du montage frauduleux dont il a été victime, ce client fait assigner la banque domiciliataire en invoquant un manquement au devoir de vigilance au regard du fonctionnement inhabituel non détecté de son compte bancaire.
La cour d’appel de Lyon déboute la demande de réparation formulée par le client. D’une part, les anomalies qui entachaient les virements effectués ne pouvaient être considérées comme apparentes. Selon les juges lyonnais, pour un banquier normalement vigilant, les opérations de virement en l'espace de neuf mois, au profit d'une même société européenne sur un compte bancaire situé dans un pays européen, dont seules les deux dernières portaient sur des montants relativement élevés, avaient l'apparence d'un investissement donnant lieu à une contrepartie ou à un bénéfice. Ces opérations ne présentaient donc pas de caractère anormal, aucun élément ne permettant de suspecter une éventuelle fictivité de la société bénéficiaire. Du reste, le caractère anormal de ces opérateurs était difficilement décelable au regard du fonctionnement antérieur du compte du client qui avait toujours été créditeur.
D’autre part, la cour d’appel de Lyon ne retient pas la responsabilité de l’établissement de crédit, pour l’exécution du virement, en dépit de la mention sur liste noire du bénéficiaire des virements litigieux. En cause, la valeur probante de la liste noire. Les juges précisent les conditions, ici absentes, sous lesquelles il est possible de se prévaloir de cette liste. En l’occurrence la liste noire dressée doit être à usage des banques et les noms mentionnés doivent permettre l’identification du bénéficiaire de la transaction exécutée par la banque pour le compte de son client. Sur la base de ces critères, la cour d’appel écarte, à juste titre semble-t-il, la liste noire dressée par l’AMF, car elle mentionne un nom de site internet sans autre référence permettant d’identifier nommément la société bénéficiaire des virements litigieux. Les juges lyonnais ne se prononcent pas en revanche sur la liste établie par la Banque de France, aussi invoquée par le client, car elle n’avait pas été fournie. La production de cette liste aurait peut-être permis d’établir le caractère apparent de l’irrégularité des transactions, en suivant ici le raisonnement formulé à l’égard de la liste de l’AMF, car les actes de cette autorité administrative visent spécialement les établissements bancaires. La même analyse peut être rapportée aux actes de l’Autorité des contrôles prudentiels et de résolution en raison de ses attributions dans la régulation des activités bancaires. Quoi qu’il en soit, l’analyse retenue par la cour d’appel de Lyon dans son arrêt élargit relativement le champ de la vigilance qui classiquement se limite tantôt à la régularité du document matériel transmis à la banque par son client, tantôt à la nature des opérations effectuées par le client et au fonctionnement du compte, ce que la doctrine résume par une distinction entre anomalies matérielles et anomalies intellectuelles [3]. Dans son analyse, la cour d’appel laisse suggérer que la situation du bénéficiaire de l’opération, certes connue de la banque seule, peut intégrer le champ des irrégularités apparentes, seuil à partir duquel l’inaction de la banque devient fautive.
Par Jordi Mvitu Muaka
[1] V. not., Cass. com., 25 avril 1967: JCP, 1967, II, 15306, obs. C. Gavalda ; Cass. com., 3 janvier 1977, n° 75‑11.853 N° Lexbase : A7157AG8.
[2] Cass. civ., 28 janvier 1930 : RTD civ., 1930, p. 369, obs. R. Demogue ; Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-20.088, F-D N° Lexbase : A7121NAY : LEDB, mars 2015, p. 5.
[3] J. Lasserre Capdeville et alii., Droit bancaire, Dalloz, 4e éd., 2024, n° 281.
♦ CA Lyon, 1re civ. A, 22 mai 2025, n° 22/00138 N° Lexbase : B6852AEI
Mots-clés : société holding • caractère animateur • participation active • impôt sur la fortune • redressement fiscal
Solution : Le caractère animateur d’une holding ne saurait se déduire d’intentions déclarées, mais doit se matérialiser par des actes concrets.
Portée : La cour d’appel confirme fermement les critères exigés pour bénéficier des régimes de faveur attachés à la qualification de holding animatrice et en précise les conditions.
À l’instar de Saint Thomas, la cour d’appel adopte dans son appréciation du caractère animateur des holdings une démarche rigoureuse, fondée sur des exigences probatoires strictes : seul compte ce qui peut être vu ou, en l’occurrence, ce qui peut être démontré. Pierre angulaire de la fiscalité patrimoniale, cette notion essentielle tant en matière de droits de mutation à titre gratuit, d’imposition du revenu et des plus-values, mais également d’impôt sur la fortune permet aux contribuables de réclamer le bénéfice d’avantages fiscaux spécifiques.
En l’espèce, afin de bénéficier d'une réduction sur l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), deux époux réalisèrent deux investissements successifs, en 2009 et en 2010, par le biais de participations aux augmentations de capital d’une société. En application des dispositions de l’article 885-0 V bis du Code général des impôts N° Lexbase : L4759ICA [1], dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 N° Lexbase : L6021MSS, un tel investissement leur permettait de bénéficier d'une réduction d'ISF, à concurrence de 75 % du montant investi [2]. Cette société, qui avait pour objet la mise en relation d'investisseurs redevables de l'ISF et des PME ayant besoin de financements, prit une participation dans une autre société en 2010. Par une proposition de rectification de décembre 2012, l’administration fiscale remit en cause cette réduction fiscale au motif que la société bénéficiaire des versements n'exerçait pas une activité commerciale d'animation. Après rejet de la réclamation contentieuse formée par les époux, ces derniers assignent l'administration fiscale devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Lyon aux fins d'être déchargés du rehaussement d'impôt. Par jugement du 8 décembre 2021 (n° RG 17/8024), le tribunal judiciaire de Lyon les déboute de l’ensemble de leurs demandes. Ils interjettent alors appel le 4 janvier 2022, mais la cour d’appel confirme le jugement précédent en toutes ses dispositions.
Les époux tentent dans un premier temps d’invoquer l’irrégularité de la procédure. Un motif bien vite écarté par la cour, qui confirme au contraire la validité de la procédure menée par l’administration fiscale.
Dans un deuxième temps, les époux contestent le bien-fondé de la rectification, faisant valoir le fait que l’implication de la société holding dans la gestion de la société opérationnelle, par la signature d’un pacte d’actionnaires et d’un contrat d’animation notamment, démontrait son rôle actif et prouvait son caractère animateur. L’administration fiscale considère en revanche que cela ne justifie en rien le rôle d’animation de la holding, arguant que les époux se prévalent de l'organisation des liens entre la société holding et les sociétés opérationnelles sans mentionner ni produire d’éléments concrets.
Pour se prononcer, la cour d’appel revient sur la notion même de holding animatrice [3] et en particulier sur les critères permettant de prouver le caractère animateur d’une société holding. Rappelant la nécessité d’un rôle d’animation effectif [4], et ce, dès la souscription au capital de la holding ; la cour refuse de reconnaître un caractère animateur à la société au titre du premier versement, celle-ci n’ayant pris à cette date aucune participation dans une société opérationnelle. Le pouvoir d’animation d’une holding suppose une prévalence de celle-ci dans la conduite des affaires de la société opérationnelle, devant se traduire par une véritable influence sur la structure et les décisions économiques de la société. Ni un niveau de participation minoritaire[5], ni quelques documents contractuels sans mise en œuvre concrète ne permettaient aux époux de prouver une telle influence, et ce, quand bien même la société holding aurait défini en son sein une stratégie, n’étant en réalité pas en mesure de l’imposer. L’absence de moyens humains propres à la holding, indicateur flagrant d’inactivité, n’a fait que renforcer cette impression. Enfin, de manière beaucoup plus littérale, la cour retient l’importance de la terminologie utilisée dans les documents contractuels : le terme d’« investisseur », désignant la holding, en opposition à l’appellation d’« entrepreneur » pour l’associée historique, constitue un indice défavorable supplémentaire.
En définitive, cet arrêt permet de préciser clairement les critères permettant de prouver le rôle d’animation d’une holding, et par la même de bénéficier des régimes de faveur attachés à la qualification de holding animatrice. Cette qualité ne repose pas simplement sur une intention déclarée ou sur une construction juridique formalisée par des documents contractuels sans portée réelle. Au contraire, l’animation doit être démontrée par des faits précis, dès la souscription des contribuables réclamant le bénéfice des régimes susvisés, et doit se traduire par une implication active, effective et continue dans la gestion et la stratégie des sociétés opérationnelles.
Par Sakina Dissa
[1] Selon les dispositions de cet article, les contribuables qui souscrivaient au capital initial ou aux augmentations de capital de sociétés, en numéraire ou en nature par apport de biens nécessaires à l'exercice de l'activité, constituant de petites ou moyennes entreprises (PME) exerçant exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et se trouvant en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion, au sens des lignes directrices concernant les aides d'État visant à promouvoir les investissements en capital-investissement dans les PME (2006/C 194/02), pouvaient imputer sur leur impôt de solidarité sur la fortune 75 % des versements effectués au titre de ces souscriptions, dans la limite de 50 000 euros d’avantage fiscal.
[2] « Est assimilée à une société constituant une PME exerçant à titre prépondérant une activité éligible la société holding qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales constituant des PME exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et se trouvant en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion, et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. » (Cass. com., 3 mars 2021, n° 19-21.161, FS-D N° Lexbase : A01174KK : RJF, 1/22, n° 90).
[3] « Une société holding qui a pour activité principale, outre la gestion d'un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, est animatrice de son groupe. » (CE, 3e-8e-9e-10e ch. réunies, 13 juin 2018, n° 395495, n° 399121, n° 399122 et n° 399124 N° Lexbase : A9347XQA : FR, 31/18 inf. 1, p. 3.
[4] Elle confirme ainsi un principe posé par la Cour de cassation : Cass. civ. 3, 9 mai 2019, n° 16-24.701, FS-P+B+I N° Lexbase : A0799ZB9.
[5] En l’espèce, la holding détenait seulement 49 % de la société opérationnelle.
♦ CA Lyon, 6e ch., 28 mai 2025, n° 24/00135 N° Lexbase : B6317AEP
Mots-clés : responsabilité civile du dirigeant • préjudice personnel (non) • préjudice social, obligation de loyauté • recevabilité de l’action (non)
Solution : Faute de préjudice personnel distinct de celui subi par la société, la cour d’appel de Lyon déclare irrecevable l’action d’une associée en responsabilité civile du dirigeant.
Portée : L’arrêt confirme une jurisprudence constante exigeant la distinction entre le préjudice personnel et celui social. Il révèle surtout la difficulté persistante à isoler un préjudice personnel, la frontière entre eux restant ténue.
Lorsque le dirigeant manque à ses obligations, c’est parfois l’associé qui en paie le prix, lésé dans son intérêt propre. Distinguer préjudice personnel et social demeure toutefois un exercice incertain, malgré une jurisprudence abondante. L’arrêt de la cour d’appel de Lyon en date du 28 mai 2025 en témoigne.
Une associée minoritaire assigne en justice l’associé majoritaire et gérant de la société, lui reprochant, en sa qualité de gérant, d’avoir commis une faute contractuelle envers la société, laquelle constitue une faute quasi-délictuelle à son égard. Il lui est notamment reproché de ne pas avoir donné suite à plusieurs propositions d’achat plus avantageuses, la société ayant finalement été vendue à un prix inférieur. Elle invoque ainsi un manquement à son devoir de loyauté, qui lui a causé un préjudice personnel. Sur ce fondement, elle l’a assigné en réparation de ses préjudices matériel et moral, réclamant 280 000 euros à titre principal pour perte de chance de vendre ses parts à meilleur prix, et autant à titre subsidiaire pour le préjudice moral d’avoir vu la valeur de ses parts diminuer. La cour d’appel infirme la décision de première instance ayant admis l’action et juge cette dernière irrecevable. Elle s’est, en réalité, confrontée à la question classique, mais déterminante de l’identification du préjudice personnel de l’associé.
L’exercice de l’action individuelle en responsabilité civile de droit commun se teinte de spécificités lorsqu’il concerne les enjeux propres aux relations sociétaires, qui en façonnent profondément la portée (I). La jurisprudence, abondante mais hétérogène, peut alors placer l’associé dans une véritable impasse juridique (II).
I. L’action en responsabilité civile individuelle sous le prisme sociétal
L’article 1843-5 du Code civil N° Lexbase : L2019ABE offre à l’associé deux actions en réparation : l’action ut singuli visant à réparer un préjudice social, et l’action individuelle dont l’objectif est de réparer un préjudice « purement » personnel. C’est cette seconde voie qui est au cœur de l’arrêt commenté. Or, son régime n’étant pas précisé, il faut recourir au droit commun de la responsabilité civile [1]. Par ailleurs, la réunion des conditions posées par l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9 – faute, préjudice et lien de causalité – s’apprécie ici au regard des particularités du droit des sociétés.
Une faute incontestée, mais discutable. La faute, bien que non définie légalement, se caractérise par « tout fait, d’action ou d’abstention, qui viole une prescription légale ou qui ne correspond pas au comportement de référence qu'aurait adopté une personne raisonnable placée dans la même situation »[2]. L’article 1850 du Code civil N° Lexbase : L2047ABG prévoit que la faute peut découler d’un manquement du dirigeant à ses obligations légales, statutaires ou d’une faute de gestion [3]. Si les deux premiers cas impliquent une faute présumée, la faute de gestion pose davantage de difficultés, car le dirigeant est tenu à une obligation de moyens et non de résultat [4]. La faute de gestion a donné place à divers débats et redondances jurisprudentielles. Qualifiée parfois de catégorie « fourre-tout » [5], la faute de gestion recouvre des comportements affectant la société, sans qu’elle doive être lourde ou dolosive [6]. En l’espèce, l’arrêt ne retient pas l’existence d’une faute de gestion : l’associée reproche au dirigeant une « faute contractuelle » commise à l’égard de la société, laquelle aurait, selon elle, entraîné un préjudice personnel du fait du non-respect de son devoir de loyauté.
Ce devoir, création purement prétorienne à la portée encore incertaine, est parfois mobilisé pour caractériser une faute de gestion, mais peut également être invoqué de manière isolée. La jurisprudence en distingue classiquement deux composantes : d’une part, une obligation d’information, consacrée notamment par l’arrêt « Vilgrain » [7] ; or, en l’espèce, si l’associée soutient que plusieurs propositions d’achat n’ont pas été menées à terme, aucun élément ne prouve que le dirigeant ait dissimulé des informations ou poursuivi un intérêt personnel ; d’autre part, une obligation de non-concurrence, abondamment illustrée par la jurisprudence [8], mais étrangère aux faits de l’espèce.
La jurisprudence [9] tend toutefois à élargir le devoir de loyauté, imposant aux dirigeants un devoir de transparence général vis-à-vis des associés. Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2012 [10], a jugé coupable le dirigeant qui s’est approprié une « opportunité d’affaires » dont il avait connaissance du fait de ses fonctions, au détriment de la société [11]. Pourtant, en l’espèce, ce n’est pas le cas, le gérant ne s’est approprié aucune opportunité qui pourrait bénéficier à la société.
Toutefois, force est de constater que l’apport de la preuve de la faute du dirigeant par l’associé est généralement aisé [12]. Il suffit que l’associé mette en évidence un comportement dénué d’une diligence suffisante [13]. En l’espèce, la faute n’a pas été contestée par le dirigeant, celui-ci ayant opposé une fin de non-recevoir fondée uniquement sur l’absence de qualité et d’intérêt à agir, faute d’un préjudice personnel. Un préjudice qui semble aller de soi, mais qui est, en réalité, un véritable casse-tête.
Un préjudice personnel ? Plutôt un casse-tête. En effet, le préjudice constituait le point nodal du litige, soulignant une particularité du droit des sociétés en matière de responsabilité civile des dirigeants. Ce régime de responsabilité se heurte à la dualité des préjudices : personnel pour l’associé, social pour la société. Dès lors qu’un même préjudice ne saurait fonder deux réparations distinctes [14], une vigilance particulière s’impose afin d’éviter que l’action individuelle ne soit détournée de sa finalité par un associé confronté aux limites de l’action ut singuli [15], laquelle n’ouvre droit à aucune réparation directe et, qui plus est, reste à sa charge en cas d’échec [16]. Aussi, la jurisprudence rappelle-t-elle sans cesse l’exigence de rapporter la preuve d’un préjudice personnel distinct [17], même si cette distinction demeure difficile à établir. Pour ce faire, les juges opèrent une analyse in concreto, centrée sur la nature du préjudice. La doctrine retient, a priori, un double critère pour qualifier un préjudice personnel : il doit être distinct du préjudice social [18] et sa réparation ne doit pas se confondre avec celle de ce dernier [19].
Dans une affaire proche, la Cour de cassation a jugé que la cession de titres à un prix faible, imputable à une mauvaise gestion du dirigeant, ne constituait qu’un préjudice corollaire de celui subi par la société [20]. La raison en est simple : la réparation du préjudice social éteint nécessairement le préjudice personnel lié à la perte de valeur des titres [21]. En l’espèce, l’associée invoque un préjudice matériel de perte de chance sérieuse de vendre ses parts à un prix élevé, évalué au montant exact de la perte qu’elle estime avoir subie, ainsi qu’un préjudice moral d’un montant équivalent, à titre subsidiaire. Elle soutient que ce dommage est personnel et distinct, dès lors qu’elle seule a perçu le produit de la cession. Toutefois, si la perte de chance peut certes justifier un préjudice réparable [22], il n’en va pas de même lorsqu’elle se traduit par une dévaluation des titres. Dans ce cas, elle est généralement considérée comme un corollaire du préjudice social [23], car la baisse de la valeur des parts compense en principe l’insuffisance d’actif constatée [24]. C’est cette analyse qu’a retenue la cour d’appel de Lyon dans l’affaire commentée, en écartant les prétentions de l’associée au motif que le préjudice allégué relevait exclusivement de la sphère sociale. À titre comparatif, un arrêt de la Cour de cassation [25], proche mais distinct, concernait un manquement au devoir de loyauté, également accompagné d’une perte de chance : un dirigeant avait acheté les actions d’un associé à un prix très bas, puis les avait revendues à un tiers à un prix supérieur, sans informer l’associé des négociations ni du prix proposé [26]. Ce manquement traduisait une forme de trahison qui a conduit les juges à sanctionner le dirigeant pour indemniser le préjudice personnel subi par l’associé [27]. Ce n’est pas le cas dans la décision commentée, puisque les raisons pour lesquelles les précédentes propositions de vente n’avaient pas abouti restent obscures. Plus anciennement, la cour d’appel de Lyon, dans un arrêt de 1984 [28], avait déjà admis qu’une gestion maladroite provoquant des pertes, nécessitant une réduction de capital et une diminution significative des actions détenues par un associé, pouvait justifier une action individuelle. Cependant, une différence majeure existe ici : la société a été vendue, ce qui constitue un préjudice collectif affectant tous les associés. De surcroît, cette situation n’a pas entraîné d’exclusion ni de dilution des droits d’un associé, conditions qui auraient caractérisé un préjudice personnel, mais aussi « spécial » [29].
Un lien de causalité… absence de facto. Pour qu’un événement soit juridiquement reconnu comme cause d’un dommage, il doit avoir joué un rôle déterminant dans le déroulement des faits [30]. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de s’attarder sur ce point, car le lien de causalité direct fait défaut. Si la faute et le préjudice entraînent en principe une présomption de causalité, ici, le préjudice personnel n’a pas été établi.
Il ressort de ce qui précède que le droit commun de la responsabilité civile s’est progressivement façonné au prisme des enjeux sociétaires. Il est désormais nécessaire d’examiner une jurisprudence constante qui, malgré ses nuances, enferme l’associé dans une impasse juridique, le privant de recours du seul fait de sa qualité.
II. Une jurisprudence constante débouchant sur une impasse juridique
La jurisprudence est constante : le préjudice social absorbe le préjudice personnel. La rareté des cas où un préjudice personnel est effectivement retenu en constitue la preuve manifeste. Si ce préjudice n’est pas juridiquement exclu, son identification demeure particulièrement délicate, compte tenu de la complexité propre au droit des sociétés. Pour mieux identifier le préjudice personnel, un auteur [31] propose de vérifier si des intérêts patrimoniaux distincts sont en jeu. Par exemple, lorsque le préjudice est de nature quasi-discriminatoire [32], son identification est plus aisée. Il convient toutefois de souligner que la jurisprudence, bien que rare, n’exclut pas la reconnaissance d’un préjudice personnel, même lorsqu’il est de nature patrimoniale, témoignant ainsi d’une volonté certaine de protection de l’associé dans certains cas isolés.
Une jurisprudence protectrice de l’associé. Parmi les exemples marquants, un arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021 [33] illustre cette tendance protectrice. La Cour a reconnu l’existence d’un préjudice personnel distinct pour un associé supportant un redressement fiscal lié à une société « semi-transparente ». Contrairement aux sociétés à personnalité fiscale opaque, ces structures transfèrent directement aux associés la charge fiscale, rendant le redressement fiscal supporté personnellement par l’associé un préjudice personnel, distinct du préjudice social. En revanche, dans notre cas d’espèce, le préjudice invoqué ne découle pas d’une charge fiscale personnelle, mais d’une perte liée à la valeur de la société elle-même, qui relève donc d’un préjudice collectif affectant l’ensemble des associés [34].
Plusieurs arrêts [35] tendent à reconnaître et protéger les intérêts personnels de l’associé, mais ces arrêts restent minoritaires face à une majorité qui demeure peu sensible aux préjudices individuels.
Une jurisprudence aveugle à l’égard de l’associé. La tendance dominante est en effet celle d’un refus quasi systématique de la reconnaissance d’un préjudice personnel [36]. Cette posture peut, dans certaines situations, placer l’associé dans une véritable impasse juridique, surtout lorsque l’action ut singuli s’avère difficile, voire impossible à engager. Cette situation soulève une interrogation essentielle : l’associé ne serait-il pas, de par sa qualité même, privé de toute réparation lorsque le litige porte sur la dépréciation de ses titres ? [37]
Un arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2021 [38] illustre ce risque. Un associé avait intenté une action en responsabilité contractuelle contre une banque d’affaires, invoquant un préjudice personnel résultant de l’exécution défectueuse d’un contrat de mandat. La Haute cour a rejeté cette demande au motif que le préjudice personnel distinct n’était pas établi, malgré la double qualité contractuelle de l’associé. De plus, l’action ut singuli ne pouvant être exercée à l’égard de tiers [39], cette voie était également fermée. Enfin, la liquidation de la société empêchait également toute action par celle-ci. Une analyse intéressante [40] propose de ne plus se limiter au seul critère du caractère personnel du préjudice, mais d’y ajouter celui de sa certitude. Autrement dit, il est proposé de déplacer l’examen du stade de la recevabilité – fondé sur le caractère personnel du préjudice – vers celui du fond, en vérifiant la certitude du préjudice allégué. Une telle évolution permettrait de mieux cerner l’existence de deux préjudices distincts, et offrirait aux associés une voie d’action moins formaliste et potentiellement plus équitable.
Transposée à notre cas, si la société en cause avait été une SARL ou une SAS [41], les associés auraient pu, en théorie, se regrouper pour engager une action ut singuli, permettant un partage des frais. Mais en l’occurrence, la configuration des rapports sociaux – entre une associée minoritaire (20 %), ancienne concubine du gérant poursuivi (79 %), et la fille de ce dernier (1 %) – rend peu envisageable une telle action collective, exposant ainsi l’associée à une impasse juridique concrète. Certes, une autre voie théorique, envisageable dans certaines configurations, consisterait à faire désigner un nouveau dirigeant, lequel pourrait engager lui-même l’action au nom de la société (action ut universi), évitant ainsi les contraintes propres à l’action ut singuli. Une telle hypothèse traduirait un retour au principe, selon lequel l’action en responsabilité pour réparer un préjudice subi par la société appartient aux représentants légaux de cette dernière, l’action ut singuli n’ayant vocation à s’y substituer qu’en cas d’inertie des titulaires de l’action ut universi [42].
Au regard de la jurisprudence analysée, les juges privilégient une appréciation in casu, sans édicter de critères uniformes, afin de conserver une marge d’appréciation large pour qualifier chaque situation isolément. Le cas d’espèce illustre une fois de plus la véritable épreuve à laquelle sont confrontés les juges, tiraillés entre la protection des associés et la prévention des recours redondants.
Par Yasmine Dekhil
[1] C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9. V. par ex. M. Cozian, F. Deboissy, A. Viandier, Droit des sociétés, 37e éd., LexisNexis, 21 août 2024, pp. 183 et s.
[2] N. Jullian, À la recherche de l’introuvable préjudice personnel de l’associé, note sous Cass. civ. 3, 12 mai 2021, n° 19-13.942, FS-P N° Lexbase : A85064RH, D., novembre 2021, n° 38, p. 1992.
[3] C. civ., art. 1850 N° Lexbase : L2047ABG.
[4] D. Gibirila, Dirigeants sociaux – Responsabilité civile, n° 1053, JCI, LexisNexis.
[5] Q. Némoz-Rajot, Les interventions judiciaires spécifiques au droit des sociétés in bonis, Y. Reinhard (dir.), thèse, Université Lyon 3, 3 décembre 2015, p. 465 N° Lexbase : X0364CRW.
[6] Cass. com., 19 juin 2001, n° 98-18.929 N° Lexbase : A6191ATH : D. Gibirila, op. cit.
[7] Cass. com., 27 février 1996, n° 94-11.241 N° Lexbase : A2401ABK. Pourtant, le fondement juridique retenu dans cet arrêt était la réticence dolosive. V. par ex. J.-B. Lenhof, Réflexions sur l'obligation de loyauté dans les SARL, Lexbase Affaires, décembre 2011, n°277 N° Lexbase : N9269BS4 ; V. A. Six, Droit des sociétés : Le devoir de loyauté du directeur général une nouvelle fois réaffirmé !, 20 janvier 2015, modifié, 3 juin 2015.
[8] v. par ex. Cass. com., 11 février 1964, : Bull. civ. III, n° 67 et Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049, F-P+B N° Lexbase : A9345HZ7.
[9] V. aussi Cass. com., 12 mars 2013, n° 12-11.970, F-D N° Lexbase : A9651I9C, où la Cour de cassation a considéré coupable le dirigeant qui « s’abstient d’informer l’associé cédant ses actions de circonstances de nature à influer sur son consentement ». Cette rigueur s’étend aussi aux cours d’appels, v. par ex. CA Versailles, 12e ch., 1er juillet 2014, n° 12/07800 N° Lexbase : A2794MSB.
[10] Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-24.305, F-P+B N° Lexbase : A1643IZU. V. en ce sens : J.-B. Lenhof, Variations sur le fondement juridique du devoir de loyauté, La lettre juridique, février 2013, n° 516 N° Lexbase : N5758BTG.
[11] Et ce même si la société n’est pas directement concernée par l’opération envisagée : l’immeuble en litige correspondait à celui que la clinique louait pour l’exercice de son activité. Les associés avaient exprimé leur intention de l’acquérir à titre personnel, en confiant au dirigeant un mandat pour réaliser cette opération. Le fait que la société elle-même n’ait pas été directement concernée a conduit la cour d’appel de Paris à rejeter leur demande d’indemnisation. V. en ce sens : A. Six, op. cit.
[12] Contrairement à la situation des tiers, pour lesquels la Cour de cassation exige une « faute détachable des fonctions ». Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092 N° Lexbase : A1619B9T. V. en ce sens ; H. Le Nabasque, Enfin une définition de la faute détachable, Bull. Joly sociétés, juillet 2003, n° 7, p. 786.
[13] D. Gibirila, op. cit.
[14] Cass. civ. 2, 9 février 2023, n° 21-21.217, F-B N° Lexbase : A44829CY. Add. J. Pocard, Responsabilité civile – Conditions générales de l’action en responsabilité, JCI, LexisNexis, 28 mai 2024, n° 4623 ; N. Jullian, À la recherche de l’introuvable préjudice personnel de l’associé, précité.
[15] J.-J. Ansault, À la recherche du préjudice personnel subi par l’associé, note sous Cass. com., 30 mai 2018, n° 17-10.393, F-D N° Lexbase : A1680XQB, Bull. Joly sociétés, novembre 2018, p. 630.
[16] F. Marmoz, Fiches de Droit des sociétés, Rappels de cours et exercices corrigés, 4e éd., ellipses, 2022, p. 152 et s., M. Caffin-Moi, Préjudice personnel de l’associé : des questions, toujours des questions..., note sous Cass. com., 4 novembre 2021, n° 19-12.342, FS–B N° Lexbase : A06657BA, RDC, juin 2022, n° 2, p. 69.
[17] Cass. com., 26 janvier 1970, n° 67-14.787 N° Lexbase : A6532AGZ ; Cass. com., 30 mai 2018, n° 17-10.393, F-D N° Lexbase : A1680XQB ; Cass. com., 4 novembre 2021, n° 19-12.342.
[18] En procédure collective, le préjudice personnel doit être distinct de celui de la société et du préjudice collectif des créanciers. V. en ce sens : I. Parachkévova-Racine, Retour sur le préjudice personnel de l’associé agissant à l’encontre du dirigeant, note sous l’arrêt Cass. com., 2 juin 2021, n° 19-23.758, F-D N° Lexbase : A23694UB, in Restructuration des sociétés en difficulté, Bull. Joly sociétés, septembre 2021, p. 47.
[19] N. Jullian, op.cit.
[20] Cass. com., 26 janvier 1970, n° 67-14.787, précité.
[21] Y. Guyon, M. Buchberger, Dirigeants sociaux - Responsabilité civile, n° 132-10, JCI, LexisNexis, 20 septembre 2024, § 91-92.
[22] J. Pocard, Responsabilité civile – Conditions générales de l’action en responsabilité, JCI, LexisNexis, 28 mai 2024, n° 4623. Toutefois, la perte de chance implique une indemnisation proportionnée à l’incertitude de sa réalisation, et non au gain attendu. V. en ce sens : Cass. ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056 N° Lexbase : A6865DRP et Cass. com., 7 janvier 2004, n° 01-17.426, F-D N° Lexbase : A6938DA9. Dans ce dernier, la Cour de cassation a décidé que « la valeur de la chance de céder des titres ou participations ne peut être égale au prix attendu de la cession projetée ». Certaines circonstances ont, toutefois, donné lieu à une réparation intégrale, v. par ex. CA Paris, 5e-8e ch. réunies, 17 septembre 2013, n° 12/14712 N° Lexbase : A2016KLA. V. plus généralement : J.-B. Lenhof, Perte d’une chance d’investir et réparation du préjudice personnel subi par des actionnaires, note sous l’arrêt Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21.547, FS-P+B N° Lexbase : A1721ETW, Lexbase Droit privé, avril 2010, n° 390 N° Lexbase : N7363BNZ.
[23] Cass. com., 15 juin 2002, n° 97-10.886, F-D N° Lexbase : A7958AXZ.
[24] J.-B. Lenhof, Perte d’une chance d’investir et réparation du préjudice personnel subi par des actionnaires, op. cit.
[25] Cass. com. 15 mars 2017 n° 15-14.419, F-D N° Lexbase : A2828UCQ.
[26] M. Caffin-Moi, Devoir de loyauté du dirigeant : les limites de la réparation du préjudice, note sous, Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-14.419, LEDC, n° 110t4, juin 2017, p. 7.
[27] Toutefois, la réparation accordée dans cet arrêt restait limitée, excluant une indemnisation intégrale de la différence entre les prix. La Cour de cassation a confirmé ce principe, rappelant que la perte de chance ne peut être indemnisée à hauteur de l’avantage espéré, du fait de son incertitude. V. en ce sens, ibid.
[28] CA Lyon, 1re ch., 5 juillet 1984 : JurisData n° 1984-041205 ; V. Guyon, M. Buchberger, op. cit.
[29] Cass. com., 18 juillet 1989, n° 87-20.261 N° Lexbase : A5077CWX. V. Guyon, M. Buchberger, op. cit.
[30] J. Pocard, op. cit.
[31] F. Teffo, Réflexions sur le fondement de la reconnaissance du préjudice individuel de l’associé, Rev. des sociétés, 2019, 237, n° 23.
[32] J.-J. Ansault, op. cit., p. 631.
[33] Cass., civ. 3, 12 mai 2021, n° 19-13.942, FS-P N° Lexbase : A85064RH.
[34] N. Jullian, op. cit.
[35] V. en ce sens : D. Gibirila, op. cit., qui cite à titre d’exemples de préjudices personnels reconnus : la surévaluation des apports d’un actionnaire entraînant une majoration injustifiée de sa participation (Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-13.112, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8437DIC) ; ainsi que l’erreur intentionnellement induite par les dirigeants envers les actionnaires minoritaires lors d’une réduction de capital visant à racheter leurs titres à un prix inférieur (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-19.679 N° Lexbase : A5936DLG).
[36] V. en ce sens : ibid. L’auteur cite à titre d’exemples : Le préjudice financier subi par un associé correspondant à la perte proportionnelle à ses parts dans la société (CA Aix-en-Provence, 7 juillet 2004 : RJDA, 2005, n° 1351). Aussi, la simple diminution du patrimoine social ne constitue pas un préjudice personnel pour l’associé (Cass. com., 21 septembre 2004, n° 03-12.663, F-D N° Lexbase : A4210DDB ; Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-14.724, F-D N° Lexbase : A8948INQ).
[37] M. Caffin-Moi, Préjudice personnel de l’associé : des questions, toujours des questions..., op. cit.
[38] Cass. com., 4 novembre 2021, n° 19-12.342.
[39] M. Caffin-Moi, op. cit., p. 69.
[40] Ibid, p.70.
[41] C. com., art. L.223-23 N° Lexbase : L5848AIG et L. 227-1 N° Lexbase : L5335MKS.
[42] Sur ce point, v. J. Gallois, L'associé est-il vraiment le seul à pouvoir exercer l'action ut singuli ?, n°1146, La Semaine Juridique - Entreprise et affaires, 11 mai 2023, n° 19. V. plus généralement : Y. Guyon, M. Buchberger, op. cit., § 88.
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