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par Jessica Attali-Colas - Alexis Galtes - Jonathan Kochel - Annabelle Turc
le 29 Juillet 2025
Par Jessica Attali-Colas, Maître de conférences en Droit privé, Équipe Louis Josserand (CDF) ; Alexis Galtes, Avocat Associé, OXALYS AVOCATS, spécialiste en droit du travail ; Jonathan Kochel, Avocat en droit du travail et Annabelle Turc, Maître de conférences associée, Université Jean Moulin Lyon 3.
Sommaire :
PMA et discrimination du salarié
CA Lyon, Chambre sociale A, 19 février 2025, n° 21/08021
CA Lyon, chambre sociale B, 21 mars 2025, RG n° 22/02424
État d’ébriété manifeste et faute grave
CA Lyon, Chambre sociale C, 16 mai 2025, n° 22/01908
La caractérisation de l’exécution déloyale du contrat
CA Lyon, ch. soc. C, 30 mai 2025, n° 23/09640
♦ CA Lyon, Chambre sociale A, 19 février 2025, n° 21/08021 N° Lexbase : A45920LN
Mots-clefs : Procréation médicalement assistée (PMA) – discrimination – situation de famille - absence – rémunération – licenciement – planning – prescription des faits fautifs
Solution : Changer les plannings d’un salarié pour compenser ses absences en raison de son engagement dans une procédure de procréation médicalement assistée (PMA), le sanctionner parce qu’il le conteste et le licencier ensuite constitue une discrimination fondée sur la situation de famille prohibée.
Portée : L’employeur ne peut pas prendre en compte le projet parental de son salarié, engagé dans une procédure d’assistance médicale à la procréation (AMP), pour prendre des décisions à son égard sinon il s’agit d’une discrimination prohibée. Cette position, jusqu’à présent prétorienne, vient d’être confirmée par une loi.
Changement de planning et rappel de salaire – Un salarié a demandé une autorisation d’absence à son employeur pour « des raisons médicales et personnelles », précisant qu’il était engagé dans une procédure de PMA. L’employeur a accepté les absences, mais a modifié le planning, de sorte que le salarié a récupéré les heures d’absence, qui, par le jeu de la modification, n’ont pas été intégralement rémunérées. Or, depuis 2016, l’article L1225-16 du Code du travail N° Lexbase : L2145NAP prévoit que le conjoint de la salariée (« la personne » depuis le 1er juillet 2025 [1]) qui bénéficie d’une AMP bénéficie « d’une autorisation d’absence pour se rendre à trois […] actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours […] au maximum ». Le texte précise par ailleurs que « ces absences n’entraînent aucune diminution de la rémunération ». La modification du planning a donc été déclarée illicite par la cour d’appel et l’employeur a été condamné à un rappel de salaire équivalent au montant des heures non payées.
Annulation de l’avertissement – Le salarié a par ailleurs contesté le changement de planning auprès de sa hiérarchie, par écrit d’abord, puis lors d’un entretien téléphonique. Estimant qu’il avait manqué de respect à cette dernière, l’employeur l’a sanctionné d’un avertissement. Or, la cour d’appel a constaté que le ton employé dans le courrier n’était « ni déplacé ni agressif ». Du reste, l’employeur n’apportait pas la preuve que le salarié s’était montré agressif lors de l’entretien téléphonique. Les juges lyonnais ont donc annulé l’avertissement.
Discrimination fondée sur la situation de famille - Le salarié a avancé l’idée selon laquelle il avait été victime d’une discrimination en vertu de l’article L1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY. La cour d’appel a considéré que la modification des plannings, la diminution de la rémunération et l’avertissement « laissent supposer l’existence d’une discrimination, en raison de la situation familiale, puisqu’ils surviennent alors que le salarié a demandé à s’absenter pour suivre avec sa compagne une procédure d’assistance médicale à la procréation ». Or, elle a par la suite constaté que d’une part, l’avertissement n’était pas justifié et d’autre part, que l’employeur ne rapportait pas la preuve qu’il avait modifié les plannings de l’équipe pour prendre en compte les absences du salarié. Par conséquent, les juges lyonnais en ont déduit que la discrimination fondée sur la situation de famille était avérée.
Conséquence de la discrimination sur la rupture du contrat – Après avoir prononcé l’avertissement, l’employeur a décidé de licencier le salarié. Or, comme le rappelle la cour d’appel, la procédure disciplinaire est encadrée par des règles et délais stricts. D’une part, les faits fautifs se prescrivent par deux mois. Dit autrement, l’employeur doit engager les poursuites disciplinaires dans les deux mois qui suivent la date à laquelle il a eu connaissance des faits qu’il considère fautifs [2]. De plus, le principe « non bis in idem » issu du Droit pénal a été transposé en Droit disciplinaire. Un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits. De façon extensive, la notification de la sanction épuise le pouvoir disciplinaire de l’employeur à l’égard de tous les faits connus de lui à cette date [3]. En l’espèce, les juges lyonnais ont rappelé que la procédure ayant été engagée le 24 juillet 2018, l’employeur ne pouvait reprocher au salarié des faits antérieurs au 24 mai 2018. Or, certains des faits considérés comme fautifs par l’employeur ont eu lieu avant cette date « hormis les contestations de changement de planning pour le mois de juillet, sanctionnées par l’avertissement notifié le 4 juillet 2018 et pour lesquelles l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire ».
Par ailleurs, l’employeur avait invoqué des faits postérieurs, mais qui ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse selon les juges lyonnais. Ces derniers en déduisent donc que le salarié a été licencié en raison de sa situation de famille ; l’employeur n’a pas établi que le licenciement était étranger à toute discrimination. Les juges ont donc annulé le licenciement et ont accordé des dommages et intérêts au salarié.
Originalité du motif de la discrimination retenu – La question du salarié qui s’estime victime d’une discrimination parce qu’il a entamé une procédure de PMA n’est pas nouvelle. La Cour de cassation s’est déjà prononcée dans un arrêt rendu le 28 juin 2018 [4]. En l’espèce, un employeur avait proposé à une salariée une modification de son contrat de travail après deux arrêts de quinze jours, chacun prescrit dans le cadre de tentatives de fécondation in vitro, et après que la salariée eut annoncé qu’elle serait de nouveau en arrêt pour les mêmes raisons. La Cour avait alors considéré que cela laissait supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé. La résiliation du contrat avait alors été prononcée aux torts de l’employeur et avait donc produit les effets d’un licenciement nul. Pourquoi les juges lyonnais ne se sont-ils pas fondés sur le même motif discriminatoire ? Jusqu’en 2021, la PMA n’était ouverte qu’aux couples hétérosexuels mariés, pacsés ou en concubinage depuis au moins deux ans, qui étaient en âge de procréer et qui présentaient une infertilité pathologique médicalement constatée ou qui risquaient de transmettre une maladie grave à leur enfant. Dit autrement, le recours à la PMA avait nécessairement une origine médicale. La mesure prise par l’employeur fondée sur cette procédure était donc fort logiquement une discrimination motivée par l’état de santé. Or, depuis 2021, les conditions d’ouverture de la PMA ont évolué. La loi relative à la bioéthique l’a en effet élargie aux couples de femmes et aux femmes seules [5]. Le recours à la PMA ne repose donc plus nécessairement sur une cause médicale. En revanche, cela concerne indubitablement la situation de famille du salarié. Quoi qu’il en soit, le positionnement de la jurisprudence est en parfait accord avec la loi du 30 juin 2025 visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail qui étend la protection de l’article L1142-1 du Code du travail N° Lexbase : L0696H9N aux salariés engagés dans une procédure de PMA [6].
Par Jessica Attali-Colas
[1] Loi n° 2025-595, du 30 juin 2025, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail, art. 2 N° Lexbase : L2326NAE.
[2] C. trav., art. L1332-4 N° Lexbase : L1867H9Z.
[3] Cass. soc., 22 mars 2011, n° 10-12.041, F-D N° Lexbase : A7731HI8.
[4] Cass. soc., 28 juin 2018, n° 16-28.511, FS-P+B N° Lexbase : A5546XUX, JCP S, 2018, p. 1307, note G. Loiseau.
[5] Loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique N° Lexbase : L6246MS7.
[6] Loi n° 2025-595, du 30 juin 2025, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail, art. 1 N° Lexbase : L2326NAE.
♦ CA Lyon, chambre sociale B, 21 mars 2025, RG n° 22/02424 N° Lexbase : A57470CT
Mots-clefs : Surcharge de travail – durées maximales du travail – durées minimales de repos – temps de pause – charge probatoire – licenciement abusif
Solution : La cour d’appel de Lyon a statué sur le bienfondé des demandes d’un salarié relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail alors que ce dernier reprochait à son employeur des carences renouvelées en matière de santé et de sécurité. Elle considère que lesdits manquements justifient le versement de dommages et intérêts au regard du préjudice nécessairement subi par ce dernier, ainsi que la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Portée : Il incombe à l’employeur de suivre le temps de travail de ses salariés et de s’assurer du respect des dispositions légales et réglementaires en matière de durées minimales de repos, de durées maximales du travail et de temps de pause. La violation de ces dispositions d’ordre public constitue une atteinte à la santé et la sécurité du salarié, lui causant nécessairement un préjudice devant être indemnisé. Ces mêmes manquements constituent par ailleurs un élément d’appréciation par les juges de la gravité des fautes reprochées au salarié à l’appui de son licenciement pour faute grave.
1. La protection de la santé et la sécurité des travailleurs est un pilier de notre droit du travail interne sous l’influence notamment de la législation et de la jurisprudence européennes. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre en considération l’évolution significative de l’obligation de sécurité sur le fondement des articles L4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L4121-2 N° Lexbase : L6801K9R du Code du travail. Une autre illustration réside dans l’évolution jurisprudentielle de la notion de « préjudice nécessaire ». Cette notion d’origine prétorienne conduit à considérer que certains manquements de l’employeur, compte tenu de leur nature et leur gravité, justifient à eux seuls une réparation du préjudice subi sans qu’il soit nécessaire au salarié d’en démontrer l’existence. Les dommages et intérêts versés ont ainsi une certaine vocation punitive pour l’employeur.
Si cette notion n’est pas propre à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation [1], la doctrine y voit tout de même « une terre d’élection » [2] en Droit du travail. En effet, alors que la chambre sociale était revenue à une interprétation civiliste de la notion de préjudice dans son arrêt du 13 avril 2016 [3], conditionnant son indemnisation à la démonstration de son existence et de son étendue, nous assistons depuis peu à un retour en force [4] de la théorie du préjudice nécessaire. Pour exemple, il a notamment été jugé qu’un manquement de l’employeur en matière de durée du travail causait nécessairement un préjudice au salarié lui ouvrant droit à une indemnisation dans les situations suivantes :
Inversement, la chambre sociale de la Cour de cassation a écarté l’existence d’un préjudice nécessairement causé par un manquement de l’employeur, notamment en matière de suivi médical des travailleurs de nuit [8], de mauvaise exécution du forfait annuel en jours [9], ou encore de prise de congés payés [10].
Appréhender précisément les hypothèses dans lesquelles la théorie du préjudice nécessaire aura vocation à s’appliquer n’est donc pas chose aisée pour les praticiens [11].
2. L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 mars 2025 N° Lexbase : A57470CT apporte, en ce sens, une illustration singulière des conséquences attachées à la violation par l’employeur de ses obligations en matière de durée du travail et de droit au repos. En l’espèce, la société SPC Group a embauché un tourneur fraiseur, M. [U], le 27 août 2018. Moins d’un an après son embauche, la société SPC Group le convoque à un entretien préalable fixé le 27 septembre 2019 avant de lui notifier son licenciement pour faute grave par un courrier du 1er octobre 2019.
Le salarié conteste son licenciement devant le Conseil de prud’hommes de Lyon et sollicite, en sus de ses indemnités de rupture, le versement de dommages et intérêts pour non-respect du temps de pause, de la durée maximale de travail quotidien et hebdomadaire, ainsi que le non-respect de la contrepartie obligatoire en repos. Il obtient alors partiellement gain de cause devant le Conseil de prud’hommes de Lyon, qui requalifie son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre le versement des conséquences salariales et indemnitaires afférentes.
Le 30 mars 2022, la société SPC Group interjette appel de ce jugement devant la cour d’appel de Lyon, qui sera saisie de l’entier litige au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail par suite de l’appel incident effectué par le salarié en cours de procédure.
3. En premier lieu, rappelant le caractère d’ordre public attaché aux dispositions relatives aux durées maximales de travail, durées minimales de repos et aux temps de pause, la cour d’appel de Lyon réaffirme par ailleurs qu’il « incombe à l’employeur de rapporter la preuve du respect des durées maximales de travail (en ce sens : Cass. Soc., 23 mai 2017, n° 15-24.507), ainsi que des temps de pause (en ce sens : Cass. Soc., 15 mai 2019, n° 17-28.018) »
Elle relève ensuite que :
Il n’en fallait pas plus à la cour d’appel de Lyon pour sanctionner les carences de la société SPC Group dans le respect de la législation en matière de durée du travail, de repos et de temps de pause, mais aussi, incidemment, au titre de l’absence totale de suivi individuel du temps de travail du salarié [12], faisant ainsi une parfaite application dans le cas présent de la théorie prétorienne du préjudice :
« Ainsi, l’employeur échoue à rapporter la preuve du respect aussi bien des durées maximales de travail que des temps de pause. […] Ainsi, M. [U] a droit à réparation du préjudice subi au vu du [seul [13]] constat du non-respect par l’employeur des dispositions d’ordre public ci-dessus. Compte tenu de la répétition et de l’ampleur de ces violations des dispositions légales, édictées pour protéger la santé du salarié, l’indemnisation du préjudice sera fixée justement à hauteur de 5 000 euros. »
4. En deuxième lieu, et c’est là que réside le caractère singulier de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, les juges du fond ont invalidé le licenciement pour faute grave du salarié à l’aune des répercussions des carences précitées de la société SPC Group, en matière de durées maximales du travail ou encore de temps de pause, sur son état de santé. En synthèse, la société SPC Group reprochait au salarié d’avoir adopté un comportement « non conforme à [ses] obligations professionnelles : dénigrement, altercations avec [ses] collègues », un tel comportement caractérisant, selon les termes employés dans la lettre de licenciement : une « exécution déloyale du contrat de travail […] incompatible avec [son] maintien dans l’entreprise ». Après avoir analysé les faits reprochés, la cour d’appel de Lyon a confirmé le caractère fautif de ces derniers. Néanmoins, elle a considéré que les faits visés dans la lettre de licenciement n’étaient pas suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement au vu du contexte dans lequel ils avaient été commis : « Ces comportements, s’ils sont fautifs, ont eu lieu dans le contexte décrit ci-dessus : M. [U] a accompli de nombreuses heures supplémentaires, sans bénéficier de la contrepartie en repos obligatoire, a refusé de décaler ses horaires de travail alors que son employeur n’a pas respecté de délai de prévenance quand il l’a sollicité à cette fin et ne faisait pas respecter les durées maximales de travail. Dans ces circonstances, ils ne justifient pas la mesure de licenciement prise à l’encontre de M. [U]. »
5. Cette sanction peut paraître un peu rude pour l’employeur, compte tenu de la nature des propos tenus par le salarié à l’encontre non seulement de ses collègues de travail, mais également de ses supérieurs hiérarchiques : « le grand dadais de [N] », « les branleurs de la rectif », allant même jusqu’à insulter son supérieur hiérarchique en ces termes « ça fait longtemps que je voulais te le dire, mais tu es un gros con, tu vas voir ce qui va t’arriver », ou encore indiquant à réception de sa mise à pied que la société SPC Group était « une boîte de merde », que « demain [il trouverait] du travail ailleurs, mieux payé et sans avoir à [se] faire chier », que « le dernier patron qui [lui] a fait ça, il l’a payé cher ».
Une simple requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse paraissait suffisante et plus opportune dans ce contexte. La double sanction prononcée au titre de l’exécution du contrat de travail, avec une indemnisation automatique du préjudice revendiqué par le salarié et au titre de la rupture du contrat de travail, avec l’invalidation consécutive du licenciement pour faute grave, du seul constat de manquements en matière de santé et de sécurité, fait ainsi office de double peine pour l’employeur.
Cette décision constitue un rappel d’actualité sur l’impérative nécessité pour l’employeur de suivre le temps de travail de ses salariés en veillant à ce que les contraintes liées à l’activité, temporaires ou non, ne se traduisent pas en violations réitérées aux durées maximales de travail et/ou minimales de repos.
Par Alexis Galtes
[1] Voir notamment Cass. civ. 3, 9 septembre 2009, n° 08-11.154, FS-P+B N° Lexbase : L6801K9R (en matière de droit de propriété), Cass. civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-13.591, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1522EYZ (en matière médicale).
[2] J. Mouly, Les présomptions de dommage en droit du travail : abandon ou simple reflux ?, RJS 7/16, p. 491
[3] Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293, FS-P+B+R N° Lexbase : A6796RIK.
[4] Me C. Hillig-Poudevigne, et Me R. Rabelle, Le préjudice nécessaire : ça s’en va et ça revient !, actuEL RH du 1er octobre 2024.
[5] Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636 N° Lexbase : A84022RM.
[6] Cass. soc., 7 février 2024, n° 21-22.809, n° 21-22.994, FS-B N° Lexbase : A66142K8.
[7] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944, FS-B N° Lexbase : A35415XG.
[8] Cass. soc., 11 mars 2025, n° 21-23.557, FS-B N° Lexbase : A3033644.
[9] Cass. soc., 11 mars 2025, n° 24-10.452, FS-B N° Lexbase : A3035648.
[10] Cass. soc., 11 mars 2025, n° 23-16.415, FS-B N° Lexbase : A302864W.
[11] Pour une clé de compréhension des derniers revirements de la chambre sociale sur ce sujet, v. le numéro spécial Le préjudice nécessairement subi, La Sociale le Mag’, n°36, avril 2025.
[12] En violation notamment de l’article D3171-8 du Code du travail N° Lexbase : L9137H9B.
[13] Cette précision aurait été la bienvenue, bien que sous-entendue dans les motifs de l’arrêt commenté.
♦ CA Lyon, Chambre sociale C, 16 mai 2025, n° 22/01908 N° Lexbase : B4548AAP
Mots-clefs : Faute grave – état d’ébriété – refus d’éthylotest – preuve – sécurité au travail – règlement intérieur – licenciement disciplinaire – ancienneté
Solution : L’état d’ébriété manifeste d’un salarié lors de sa prise de poste, conjugué à son refus injustifié de se soumettre à un éthylotest conforme au règlement intérieur, peut constituer une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise nonobstant son ancienneté importante.
Portée : Par cet arrêt, la cour confirme les exigences de preuve pesant sur l’employeur en matière disciplinaire tout en rappelant que l’atteinte à la sécurité peut suffire à caractériser une faute grave, indépendamment de l’ancienneté du salarié.
1. L’arrêt rendu par la chambre sociale C de la cour d’appel de Lyon le 16 mai 2025 (n° 22/01908 N° Lexbase : B4548AAP) s’inscrit dans une jurisprudence constante en matière d’atteinte grave à la sécurité des personnes.
2. En l’espèce, un salarié de la société La Poste a été licencié pour faute grave après s’être présenté à son poste en état d’ébriété manifeste et avoir refusé de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie.
3. Ce salarié a contesté son licenciement en affirmant d’une part que ce dernier avait été prononcé en raison de sa participation à un mouvement de grève (moyen rejeté par la cour au motif notamment qu’il ne prouvait pas sa participation à un tel mouvement) et en soutenant d’autre part qu’il n’était pas en état d’alcoolisation manifeste.
4. Après avoir rapidement écarté le motif de nullité allégué par le salarié, la cour rappelle les principes fondamentaux gouvernant le licenciement disciplinaire. Selon l’article L1232-1 du Code du travail N° Lexbase : L8291IAC, celui-ci doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse ; et s’il s’agit d’une faute grave, encore faut-il que les faits reprochés soient d’une gravité telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris pendant la durée du préavis.
La faute grave s’apprécie in concreto, en tenant compte notamment de l’ancienneté, de l’attitude générale et des fonctions du salarié, ainsi que de l’importance des manquements reprochés [1].
Par ailleurs, en matière de faute grave, la charge de la preuve pèse exclusivement sur l’employeur [2]. Celui-ci doit ainsi établir la matérialité des faits et leur imputabilité disciplinaire, dans le respect du principe selon lequel le doute doit profiter au salarié [3].
5. Or ici, la société La Poste s’est montrée particulièrement diligente : deux attestations précises et concordantes de salariés ont été produites, décrivant un salarié à l’haleine alcoolisée, admettant avoir bu du whisky jusqu’à 2 heures du matin et refusant à plusieurs reprises de se soumettre à l’éthylotest prévu par le règlement intérieur, alors même que sa tournée de distribution s’effectuait en véhicule motorisé. Il sera ici rappelé qu’une clause du règlement intérieur peut précisément prévoir le recours à l’éthylotest lorsqu’il s’agit de vérifier le taux d’alcoolémie d’un salarié qui conduit par exemple des véhicules automobiles [4].
6. Au contraire, les éléments de preuve apportés par le salarié ont été jugés non probants (ce dernier invoquait notamment des analyses sanguines, mais ayant eu lieu plusieurs heures ou plusieurs jours après les faits).
7. L’une des particularités de l’arrêt tient à la conciliation entre gravité des faits et ancienneté du salarié. En l’espèce, le salarié pouvait se prévaloir de 17 années d’ancienneté. Il mettait ainsi en avant le caractère disproportionné du licenciement alors qu’il s’agissait selon lui d’un fait isolé.
8. La cour a, au contraire, retenu que les agissements du salarié venaient à la suite d’un précédent avertissement pour des faits d’introduction d’alcool dans l’entreprise. Au surplus, cet arrêt rappelle implicitement que la faute grave peut aussi bien dépendre d’une approche quantitative des manquements (accumulation de manquements réitérés) que d’une approche plus qualitative desdits manquements. Ainsi en l’espèce, la fonction occupée par le salarié semble avoir été déterminante : en exposant potentiellement lui-même et autrui à un danger (du fait de la conduite d’un véhicule), le salarié contrevenait directement à ses obligations essentielles de sécurité aux termes desquelles il se doit de « prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail » [5]. Or, en matière de sécurité, la faute grave est plus facilement caractérisée par les juges, eu égard aux conséquences potentiellement dramatiques qui peuvent en découler [6].
Les juges ont ainsi déduit que les derniers faits reprochés constituaient une atteinte à la sécurité au travail qui obligeait l’employeur à prendre des mesures immédiates propres à les faire cesser et qu’ils caractérisaient la faute grave, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris pendant la durée du préavis.
9. Cette décision s’inscrit ainsi dans la continuité d’une jurisprudence bien établie en matière d’alcoolémie au travail. En effet, le contrôle d’alcoolémie prévu par le règlement intérieur n’est ni optionnel, ni soumis au bon vouloir du salarié, dès lors qu’il repose sur des critères légitimes et qu’il est proportionné. Le refus illégitime de s’y soumettre est ainsi en lui-même fautif [7]. Plus encore, le seul fait d’être en état d’ébriété manifeste sur son lieu de travail peut être constitutif d’une faute, et même d’une faute grave lorsque cela est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger [8] ou lorsqu’il en résulte des conséquences sur la qualité du travail réalisé et/ou sur le fonctionnement ou l’image de l’entreprise [9].
Par Jonathan Kochel
[1] Cass. soc., 15 décembre 2011 n° 10-22.712, F-D N° Lexbase : A4753H8K.
[2] Cass. soc., 28 mars 2012, n° 10-27.779, F-D N° Lexbase : A9988IGZ.
[3] C. trav., art. L.1235-1 N° Lexbase : L8060LGM.
[4] Circ. DRT, n° 5-83 du 15 mars 1983 n° 1242 : BOMT n° 83-16 N° Lexbase : L5055IUR.
[5] C. trav., art. L4122-1 N° Lexbase : L1458H9U.
[6] CA Riom, 18 mai 2021, n° 18/01090, SARL Yves G. c/ B N° Lexbase : A20194SL.
[7] CA Orléans, 30 novembre 2023, n° 22/00063, Sté SKF France c/ Z N° Lexbase : A9260174.
[8] Cass. soc., 22 mai 2002, n° 99-45.878, FS-P+B N° Lexbase : A7132AYS.
[9] Cass. soc., 9 février 2012 n° 10-19.496, F-D N° Lexbase : A3620IC3 ; Cass. soc., 7 mai 2014, n° 13-10.985, F-D N° Lexbase : A9192MKN
♦ CA Lyon, ch. soc. C, 30 mai 2025, n° 23/09640 N° Lexbase : B3980AGI
Mots-clefs : Exécution déloyale du contrat de travail, perte de confiance, cause réelle sérieuse de licenciement, règlement intérieur, soustraction de matériel, silence du salarié.
Solution : L’exécution déloyale du contrat est caractérisée dès lors que le salarié a soustrait du matériel informatique à son employeur, sans autorisation et sans l’avertir postérieurement. La faute disciplinaire n’est pas nécessairement requise. La cause réelle et sérieuse est caractérisée par le manquement avéré du salarié à ses obligations contractuelles.
Portée : La perte de confiance de l’employeur envers le salarié ne constitue pas en elle-même une cause réelle et sérieuse de licenciement. Les circonstances exceptionnelles relatives à la période de pandémie COVID-19 ne sont pas de nature à excuser un comportement déloyal du salarié ayant soustrait à l’entreprise du matériel informatique. Le salarié peut être légitimement sanctionné dès lors que les règles édictées au sein de l’entreprise lui ont été notifiées.
Dans cet arrêt de la Cour d’appel de Lyon rendu le 30 mai 2025 N° Lexbase : B3980AGI, plusieurs thèmes relatifs au droit du travail sont traités (discipline, télétravail, organisation, loyauté, etc.). Il constitue ainsi un arrêt intéressant, d’une part parce qu’il rappelle les grands principes jurisprudentiels applicables, et d’autre part parce que l’exécution déloyale du contrat n’est pas toujours corrélée à la commission d’une faute, qu’elle soit sérieuse, grave ou lourde.
Les obligations auxquelles est soumis le salarié au cours de la relation contractuelle nécessitent d’être articulées les unes avec les autres.
La notion de loyauté repose sur un principe de droit civil, a fortiori transposable en droit du travail : le salarié est naturellement tenu par cette obligation de loyauté et de bonne foi dans l’exécution de son contrat de travail. S’il résulte de son comportement une exécution déraisonnable, partielle et/ou défectueuse, l’exécution déloyale du contrat peut être caractérisée, sous réserve que les faits soient matériellement vérifiables. En l’espèce, la société a procédé à une enquête interne auprès des services, ce que le salarié considère d’ailleurs comme vexatoire.
Le salarié exerçant ses fonctions en télétravail, en l’espèce contraint par les périodes de confinement liées au COVID-19, a commis un manquement avéré en ne respectant pas les règles relatives à l’utilisation du matériel informatique de la société, étant précisé le règlement intérieur.
Pour comprendre le déroulement des faits reprochés, dans un contexte de COVID-19 qui a largement entaché l’exécution des contrats de travail, nous pouvons nous demander si le licenciement n’était effectivement pas disproportionné, comme le souligne le salarié dans sa défense.
La société n’a pas invoqué de faute disciplinaire, pourtant souvent déterminante sur le terrain de la loyauté. L’employeur entendait peut-être limiter ainsi le risque de voir le licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse le 17 septembre 2020 suivant une procédure régulière de licenciement pour motif personnel. Il lui est reproché d’avoir emporté une unité centrale appartenant à l’entreprise sans avoir respecté les procédures applicables et relatives à la gestion interne (demande d’autorisation, information, etc.).
Il conteste son licenciement devant le Conseil des prud’hommes de Bourg-en-Bresse qui le déboute par jugement du 24 novembre 2023. Puis il saisit la cour d’appel de Lyon le 20 décembre 2023 pour faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et demander réparation du préjudice en résultant, notamment pour licenciement vexatoire.
Il revient ainsi à la cour d’appel de se prononcer sur plusieurs points :
Le problème de droit qui se pose est donc de déterminer si l’exécution déloyale du contrat repose sur des faits matériellement vérifiables, justifiant la cause réelle et sérieuse du licenciement.
La cour d’appel confirme la position des juges de première instance. Les juges retiennent le manquement avéré, rejettent le caractère disproportionné des mesures prises par la société et statuent que le licenciement est pourvu d’une cause réelle et sérieuse. Le licenciement est donc bien fondé sur l’exécution déloyale du contrat, même en l’absence de faute établie. La notion de motif réel et sérieux déborde largement de la définition de la faute grave pour s’étendre à des agissements de moindre importance. La Cour de cassation a ainsi souligné que « la cause réelle et sérieuse peut exister même en l’absence de faute », même si le manquement commis par le salarié n’est pas intentionnel et présente un caractère isolé, même en l’absence de sanction disciplinaire antérieure, d’avertissement ou d’observations, et ce, quelle que soit l’ancienneté du salarié [1].
Il a été jugé par la Cour de cassation que ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement le fait d’avoir détourné un ordinateur laissé en dépôt dans son bureau, les juges du fond ayant constaté que cet ordinateur était obsolète et qu’il avait été laissé au rebut [2]. Or, en l’espèce, ce n’est pas le cas, et le comportement du salarié (son silence, son mode de soustraction du matériel, etc.), son expérience, son ancienneté, caractérisent sa déloyauté. La solution retenue est cohérente.
Ainsi, les circonstances vexatoires et la mesure disproportionnée que le salarié dit avoir subi et ayant conduit à la rupture sont infondées et donc rejetées. En outre, il appartient au salarié de rapporter la preuve que l’employeur n’a pas exécuté de façon loyale le contrat, ce qu’il ne fait pas dans cette affaire, notamment en n’alertant pas son employeur sur un défaut d’outils nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions.
Les juges auraient peut-être pu se montrer plus cléments eu égard au contexte de COVID-19. L’exécution déloyale du contrat par le salarié aurait-elle pu bénéficier de circonstances atténuantes ?
Somme toute, l’absence d’autorisation, puis d’information du salarié caractérise la cause réelle et sérieuse du licenciement, peu importe la détermination d’une faute. Les faits sont matériellement établis et en découle une perte de confiance. Le motif de licenciement ne repose donc pas en l’espèce sur une simple perte de confiance, qui, nous le savons, depuis un arrêt du 29 mai 2001 « ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement, même quand elle repose sur des éléments objectifs. Seuls ces éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu en résulter pour l’employeur » [3].
En l’espèce, les juges du second degré ont donc appliqué la jurisprudence constante, tout en statuant sur un contexte « exceptionnel » lié à la pandémie COVID-19, qui n’est pas de nature à excuser le comportement déloyal du salarié.
Par Annabelle Turc
[1] Cass. soc., 25 avril 1985, n° 83-40.766, n° 1641, P : Bull. civ. V, n° 261 N° Lexbase : A2759AAG.
[2] Cass. soc., 9 décembre 2003, n° 01-44.168, inédit N° Lexbase : A4280DAR.
[3] Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-46.341, n° 2435 P : Bull. civ. V, n° 183 N° Lexbase : A4701ATB.
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