Cahiers Louis Josserand n°7 du 29 juillet 2025 : Responsabilité

[Chronique] Droit de la responsabilité et des assurances

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par Pierrick Maimone et Farah El Faloussi

le 28 Juillet 2025

Par Pierrick Maimone, Docteur et ATER en droit privé, Université Lyon 3 et Farah El Faloussi, ATER à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe de recherche Louis Josserand, Centre du droit de la responsabilité et des assurances


 

Sommaire :

Responsabilité civile d’un notaire à l’égard des associés d’une SCI : rappels sur la faute et les préjudices

  • CA Lyon, 1re ch. civ. B, 18 février 2025, n° 23/03141

Quand le nombre et la gravité des fautes du conducteur victime entraînent l’exclusion de son droit à indemnisation

  • CA Lyon, 1re ch. civ. B, 27 mai 2025, n° 23/05603

Appréciation souveraine des juges quant à la gravité de la faute du conducteur victime d’un accident de la circulation : réduction ou exclusion de l’indemnisation ?

  • CA Lyon, 1re civ. B, 27 mai 2025, n° 23/05603

Responsabilité civile d’un notaire à l’égard des associés d’une SCI : rappels sur la faute et les préjudices

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 18 février 2025, n° 23/03141 N° Lexbase : A32800MG

Mots-clefs : responsabilité civile • notaire • devoir de conseil • faute • rectification fiscale • préjudice personnel des associés • préjudice de la société

Solution : Un notaire n’ayant pas procédé aux vérifications fiscales nécessaires lors de l’acquisition par une SCI d’un terrain à bâtir commet une faute civile, et ce, sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte les compétences personnelles de l’acquéreur. Le préjudice lié à la diminution du patrimoine d’une société lors de l’acquittement d’une dette fiscale non anticipée ne constitue alors pas un préjudice personnel des associés distinct du préjudice subi par la SCI.  

Portée : Si le notaire est tenu à un devoir de conseil quasi absolu, encore faut-il que les préjudices invoqués par les demandeurs soient bien personnellement subis par eux pour que les conditions d’engagement de la responsabilité civile de ce professionnel du droit soient réunies.


Par un arrêt en date du 18 février 2025, la cour d’appel de Lyon s’est prononcée sur la responsabilité civile d’un notaire dans le cadre d’un contrôle fiscal, ainsi que sur la distinction entre le préjudice social et le préjudice personnel des associés.

En l’espèce, une SCI a acquis, le 5 janvier 2016, un terrain à bâtir. Il était stipulé dans l’acte de vente que le vendeur ainsi que l’acquéreur « déclarent ne pas être assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l’article 256 A du code général des impôts ». Par la suite, la SCI a été dissoute de manière anticipée tout en subsistant jusqu’à la clôture de la procédure de liquidation. Deux mois après cette clôture, l’administration fiscale a adressé à la SCI une proposition de rectification quant aux taxes dues en raison de la vente du terrain, laquelle aurait dû être soumise à la TVA. Un avis de recouvrement est ensuite émis. Les deux associés de société sont chacun mis en demeure de payer à l’administration fiscale 16 634,50 euros. Ces sommes ont été versées par le biais du compte de la SCI. Les deux associés décident alors d’assigner en responsabilité, devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, le notaire et son assureur aux fins d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices personnels liés, selon eux, aux sommes qu’ils ont dû verser à l’administration fiscale. Par un jugement du 6 février 2023, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse déboute les associés de leurs demandes. Il a été jugé que bien que le notaire ait commis une faute, aucun préjudice subi personnellement par les associés ne pouvait être caractérisé. Les associés interjettent alors appel de la décision. Ils estiment tout d’abord que le notaire a bien commis une faute en ne procédant pas aux vérifications nécessaires quant à l’assujettissement des parties à la vente à la TVA. De cette faute, découlent, selon les associés, des préjudices qu’ils ont subis personnellement dès lors que la rectification fiscale a diminué l’actif de la société qui a été partagé entre eux lors de liquidation de la SCI. De leur côté, le notaire et son assureur répliquent notamment qu’aucune faute n’a été commise. Les juges d’appel lyonnais devaient donc se prononcer, d’une part, sur l’existence de la faute du notaire et, d’autre part, sur le caractère personnel du préjudice allégué par les demandeurs.

Dans sa décision du 18 février 2025, la cour d’appel de Lyon confirme en tout point le jugement de première instance : si le notaire a bien commis une faute, aucun préjudice personnel ne peut être caractérisé, tant et si bien que les demandes indemnitaires des associés doivent être rejetées.

S’agissant tout d’abord de la faute du notaire, les juges d’appel lyonnais appliquent exactement la jurisprudence judiciaire relative au fait générateur de la responsabilité civile de cette profession du droit. Il est en effet admis que les notaires sont tenus à un devoir de conseil qui les oblige à procéder aux vérifications des faits et des conditions qui permettent d’assurer l’utilité et l’efficacité des actes réalisés [1]. La Cour de cassation a précisé, dans plusieurs arrêts, que ce devoir de conseil s’applique en ce qui concerne les enjeux fiscaux des actes notariés [2]. En l’espèce, la cour d’appel a noté que le notaire n’avait pas procédé aux vérifications nécessaires quant à l’assujettissement des parties à la TVA pour la cession du terrain à bâtir. Les juges d’appel ont donc logiquement considéré que le notaire avait manqué à son devoir de conseil et avait, dès lors, commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Se posait ensuite la question de l’incidence, sur la faute du notaire, des compétences de la SCI, en tant qu’elle était une professionnelle de l’immobilier. Les juges d’appel lyonnais rappellent alors, en citant l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 avril 2007 N° Lexbase : A9109DUW, que le notaire est tenu à un devoir de conseil à l’égard de ses clients, peu important leurs compétences personnelles. Si cette solution peut apparaître comme sévère en ce qu’elle crée « une obligation de conseil absolue » [3], il s’agit cependant d’une position très classique de la Cour de cassation, affirmée dans un certain nombre d’arrêts [4].

S’agissant ensuite du préjudice personnel des associés, la cour d’appel de Lyon applique, là aussi, une solution classique de la jurisprudence. Les enjeux sont connus. Une société immatriculée ayant la personnalité juridique, elle est distincte des associés qui détiennent ses droits sociaux. Dès lors, comme le rappellent à juste titre les juges d’appel lyonnais, si une société subit un préjudice qui peut notamment consister en la diminution de son patrimoine, les associés ne peuvent demander la réparation de leur propre préjudice qu’à la double condition qu’il soit personnel et distinct du préjudice social [5]. Or, le succès d’une demande d’indemnisation sollicitée personnellement par les associés est rare, à tel point que certains auteurs parlent « de l’introuvable préjudice personnel de l’associé » [6]. Dans ce cadre, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt du 21 septembre 2004, que « l’amoindrissement du patrimoine ne peut constituer le préjudice subi personnellement par l’associé, distinct du préjudice social » [7]. En l’espèce, les associés demandaient la réparation d’un préjudice qui aurait consisté en la diminution de l’actif de la société qui a été réparti entre eux, par la suite, lors de la liquidation de la SCI. La cour d’appel de Lyon ne pouvait donc que rejeter les demandes indemnitaires des associés qui avançaient, à tort, que la diminution du boni de liquidation constituait un préjudice personnel distinct du préjudice social. Seul ce préjudice, si sa réparation avait été demandée, aurait donc pu être indemnisé.

Par Pierrick Maimone

 

[1] Par ex., v. : Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 N° Lexbase : A2257ACL ; Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n° 05-21.189, F-P+B N° Lexbase : A7785DWA.

[2] Par ex., v. : Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B N° Lexbase : A0335DMD ; Cass. civ. 1, 20 décembre 2017, n° 16-13.073, FS-P+B N° Lexbase : A0630W99.

[3] Ph. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats 2023/2024, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2023, 13e éd., § 3124.303, spéc. p. 1434.

[4] Par ex., v. : Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-15.734 N° Lexbase : A8057C48 ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B N° Lexbase : A3375ELL ; Cass. civ. 3, 10 octobre 2018, n° 16-16.548, FS-P+B N° Lexbase : A3338YGQ.

[5] Par ex., v. : Cass. com., 4 mars 1986, n° 84-15.282 N° Lexbase : A3139AAI ; Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-27.901, F-P+B N° Lexbase : A4435MDM.

[6] N. Jullian, À la recherche de l’introuvable préjudice personnel de l’associé, D., 2021, 1992.

[7] Cass. com., 21 septembre 2004, n° 03-12.663, F-D N° Lexbase : A4210DDB.


Quand le nombre et la gravité des fautes du conducteur victime entraînent l’exclusion de son droit à indemnisation

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 27 mai 2025, n° 23/05603 N° Lexbase : B1352AES

Mots-clefs : accident de la circulation • loi Badinter • victime conductrice • faute de la victime • exclusion du droit à indemnisation

Solution : Un conducteur, victime d’un accident de la circulation, qui commet plusieurs fautes ayant joué un rôle causal dans la survenance de ses préjudices, doit voir son droit à indemnisation exclu, et non pas simplement réduit, lorsque ses manquements sont nombreux et particulièrement graves.

Portée : La multiplicité et la gravité des fautes d’un conducteur victime d’un accident de la circulation peuvent conduire à exclure le droit à indemnisation de ce conducteur.


Par un arrêt en date du 27 mai 2025, la cour d’appel de Lyon s’est prononcée sur l’exclusion du droit à indemnisation d’une victime conductrice d’un véhicule terrestre à moteur en application de loi n° 85-677, du 5 juillet 1985, dite loi « Badinter » N° Lexbase : L7887AG9.

En l’espèce, alors qu’une personne circulait sur un quad, celle-ci a tenté d’échapper à son contrôle par des agents de police. Lors de la course-poursuite, le conducteur du quad a heurté un pont et a été éjecté de son véhicule. Ayant subi divers dommages, le conducteur assigne en justice l’agent judiciaire de l’État et la Caisse prime d’assurance maladie de la Loire, devant le tribunal judiciaire de Saint-Étienne, aux fins d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices. Par une décision du 8 juin 2023, les juges stéphanois de première instance estiment que le conducteur du quad a bien été victime d’un accident de la circulation, au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 N° Lexbase : C93968K9, dans le cadre duquel les véhicules de police étaient effectivement impliqués. Cependant, dès lors que la victime a tenté d’échapper au contrôle de police auquel elle aurait dû se soumettre en enfreignant un certain nombre de règles du Code de la route, le tribunal judiciaire de Saint-Étienne a estimé que le conducteur avait commis une faute de nature à réduire son droit à indemnisation de 50 %, en application de l’article 4 de la loi « Badinter » N° Lexbase : C94318KI. L’agent judiciaire de l’État et la victime interjettent alors appel de la décision. Aucune des parties ne conteste l’implication des véhicules dans l’accident et, ce faisant, l’application de la loi « Badinter ». Les débats se concentrent sur la réduction ou l’exclusion du droit à indemnisation, donc sur le jeu de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985. L’agent judiciaire de l’État estime en effet que la multiplicité des fautes du conducteur, causes exclusives de l’accident, et leur gravité devraient conduire les juges à exclure le droit à indemnisation de la victime. Celle-ci avance quant à elle que ses fautes ne devraient conduire qu’à une réduction de son droit à indemnisation de 25 %.

La cour d’appel de Lyon devait donc apprécier les fautes du conducteur et leur rôle causal dans la survenance de l’accident et, incidemment, des dommages subis par celui-ci pour déterminer si son droit à indemnisation devait être seulement réduit en partie ou intégralement exclu. Dans leur arrêt du 27 mai 2025, les juges d’appel lyonnais tranchent en faveur de la deuxième solution et estiment donc que le conducteur du quad, victime de l’accident de la circulation, doit voir son droit à indemnisation exclu.

Comme nous l’avons exposé, l’existence de fautes imputées au conducteur victime n’était pas discutée. La cour d’appel n’avait qu’à se prononcer sur l’incidence de ces fautes sur le droit à indemnisation de la victime qui, en application de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985, ont « pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages […] subis ». Comment donc déterminer si ce droit à indemnisation doit être réduit ou exclu ? Dès lors que la réponse à cette question relève de l’appréciation souveraine des juges du fond [1], la Cour de cassation laisse une grande liberté aux juges. La cour régulatrice n’a apporté que quelques rares précisions concernant l’application de l’article 4 de la loi « Badinter ». Elle a ainsi eu l’occasion d’affirmer que toute faute du conducteur victime, même dans le cadre d’un accident complexe impliquant plusieurs véhicules [2], doit conduire à la limitation ou à l’exclusion du droit à indemnisation de la victime, à la condition que cette faute ait joué un rôle causal dans la survenance des dommages [3]. De plus, la Cour de cassation a pu rappeler que l’article 4 de la loi « Badinter » n’exige pas que la faute du conducteur victime soit la cause exclusive de l’accident pour que son droit à indemnisation soit exclu [4]. Malgré certaines critiques qui ont pu être formulées par une partie de la doctrine [5], la cour régulatrice estime aussi que la faute de la victime doit être appréciée sans que les comportements des autres conducteurs impliqués dans l’accident soient pris en compte [6].

En l’espèce, la cour d’appel de Lyon fait une stricte application de la jurisprudence de la Cour de cassation pour exclure le droit à indemnisation du conducteur victime. Les juges d’appel mettent tout d’abord en lumière le fait que, quand bien même ils ne doivent pas prendre en considération les comportements des autres conducteurs impliqués dans l’accident, leurs agissements n’ont, en aucun cas, constitué la cause exclusive de celui-ci. Il est ensuite relevé que les fautes du conducteur victime ont indéniablement joué un rôle causal dans la survenance de ses dommages. La cour d’appel de Lyon se penche enfin sur le comportement du conducteur : conduite d’un véhicule non homologué, non adapté à la route, sans compteur de vitesse, de clignotant et de plaques d’immatriculation, refus d’obtempérer, conduite dangereuse, franchissement d’un stop, vitesse excessive au vu des conditions de circulation. Force était de constater que le conducteur victime avait commis un certain nombre de manquements au Code de la route, corroborés par des témoins. En prenant en considération ces fautes, et en soulignant expressément leur gravité et leur rôle causal dans la survenance des préjudices du conducteur victime, la cour d’appel de Lyon en a logiquement déduit que le droit à indemnisation de ce dernier ne peut pas seulement être réduit de 50 %, il doit être intégralement exclu.

Cette solution peut, à première vue, sembler sévère pour le conducteur, d’autant que l’objectif de la loi « Badinter » est de favoriser l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Cependant, et dans l’attente d’une éventuelle réforme du droit de la responsabilité civile, il est régulièrement souligné que la loi du 5 juillet 1985 [7], ainsi que son application par la jurisprudence [8], sont défavorables aux conducteurs victimes en ce qui concerne la réduction ou l’exclusion de leur droit à indemnisation. Strict, l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 27 mai 2025 n’en est en définitive pas moins conforme au droit positif de l’indemnisation des victimes d’accident de la circulation.

Par Pierrick Maimone

 

[1] Par ex., v. : Cass. civ. 2, 14 janvier 1998, n° 96-12.585 N° Lexbase : A2653ACA ; Cass. civ. 2, 22 janvier 2004, n° 02-14.918, FS-P+B N° Lexbase : A8782DAI.

[2] Par ex., v. : Cass. mixte, 28 mars 1997, n° 93-11.078 N° Lexbase : A3024CK9 ; Cass. civ. 2, 6 mai 1997, n° 95-14.996 N° Lexbase : A0492AC9.

[3] Sur l’exigence du rôle causal de la faute, v. par ex. : Cass. civ. 2, 16 octobre 1991, n° 89-14.865 N° Lexbase : A4468AHX. Sur l’obligation qui incombe aux juges du fond de réduire ou de limiter le droit à indemnisation du conducteur victime fautif, v. par ex. : Cass. civ. 2, 27 janvier 2000, n° 98-12.363 N° Lexbase : A1543CKD.

[4] Par ex., v. : Cass. civ. 2, 9 octobre 2003, n° 01-17.109, FS-P+B N° Lexbase : A7159C9Z ; Cass. civ. 2, 31 mai 2005, n° 04-86.476, F-P+F N° Lexbase : A7664DIP.

[5] P. Oudot, V° « Responsabilité. Régime des accidents de la circulation » , Rép. Dalloz civ., 2019 (actu. : 2024), § 195.

[6] Par ex., v. : Cass. civ. 2, 14 novembre 2002, n° 00-19.028, F-P+B N° Lexbase : A7123A39 ; Cass. civ. 2, 13 octobre 2005, n° 04-17.428, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8426DKB.

[7] Sur les projets de réforme et le sort actuel des conducteurs victimes, v. not. : S. Porchy-Simon, La modernisation des conditions de la responsabilité civile, in Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile, C. Cerquira et V. Monteillet (dir.), Dalloz, coll. Thèmes & commentaires, 2021, p. 86.

[8] P. Oudot, « Responsabilité. Régime des accidents de la circulation », Rép. Dalloz civ., 2019 (actu. : 2024), § 191.


Appréciation souveraine des juges quant à la gravité de la faute du conducteur victime d’un accident de la circulation : réduction ou exclusion de l’indemnisation ?

♦ CA Lyon, 1re civ. B, 27 mai 2025, n° 23/05603 N° Lexbase : B1352AES

Mots-clefs : accident de la circulation • implication des véhicules dans l’accident (oui) • droit à indemnisation (non) • faute de la victime conductrice (oui) • critère de gravité de la faute • exclusion d’indemnisation (oui)

Solution : Une victime conductrice d’un accident de la circulation se voit exclure l’indemnisation de ses préjudices pour avoir commis diverses fautes graves ayant contribué à la réalisation du dommage.

Portée : Il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement la gravité de la faute commise par la victime conductrice justifiant la limitation ou l’exclusion de son droit à indemnisation, en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs.


La faute du conducteur victime d’un accident de la circulation demeure le talon d’Achille de la loi « Badinter » du 5 juillet 1985 [1]. Cette question, traitée par l’article 4 de ladite loi N° Lexbase : C94318KI, revêt une importance déterminante dans la mesure où elle conditionne le droit à indemnisation du conducteur victime : selon les cas, l’indemnisation peut être limitée ou même exclue. C’est précisément sur cette problématique que la cour d’appel de Lyon a eu à se prononcer dans un arrêt rendu le 27 mai 2025.

En l’espèce, le conducteur d’un véhicule de type quadricycle à moteur a été victime d’un accident de la circulation, en tentant d’échapper à son interpellation par deux agents de police. Un jugement de première instance en date du 8 juin 2023 a retenu une faute du conducteur victime, qui a eu pour conséquence une réduction de 50 % de son droit à indemnisation. L’un des agents judiciaires de l’État a interjeté appel du jugement, considérant que les fautes de conduites du conducteur victime étaient à l’origine exclusives de la réalisation de son préjudice, justifiant qu’aucune indemnisation ne soit allouée. Par un appel incident, le conducteur victime réclame l’entière indemnisation de son préjudice.

La question posée à la cour d’appel de Lyon était donc de savoir si les différentes fautes commises par le conducteur victime étaient de nature à limiter son droit à indemnisation, voire à l’exclure totalement.

Selon une motivation enrichie, la cour d’appel de Lyon a jugé que les diverses fautes commises par le conducteur victime présentaient une certaine gravité qui justifiait d’exclure son droit à indemnisation. Elle commence par rappeler qu’il résulte de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 que, lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages subis, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage. La cour d’appel de Lyon se livre ensuite à une analyse méticuleuse de l’ensemble des fautes commises par le conducteur victime. Elle relève la conduite d’un véhicule non homologué et non adapté à la circulation sur route bitumée, le refus d’obtempérer à la sommation de s’arrêter des forces de l’ordre entrainant l’adoption d’une conduite dangereuse ou encore le franchissement d’un stop sans s’arrêter ainsi qu’une vitesse excessive dans un virage au regard des caractéristiques du véhicule et de la dangerosité de l’intersection. L’ensemble de ces fautes, considérées comme ayant contribué à la réalisation du préjudice de la victime, a conduit la cour à retenir leur gravité et, en conséquence, à exclure tout à indemnisation du conducteur victime.

Sous cet angle, la décision de la cour d’appel doit être approuvée, s’inscrivant en parfaite conformité avec la jurisprudence habituelle. En effet, pour réduire ou exclure le droit à indemnisation du conducteur victime, la faute doit avoir joué un rôle causal dans la réalisation du dommage [2]. Le lien de causalité s’apprécie par rapport au dommage et non à l’accident [3]. Ainsi, la vitesse excessive du véhicule de la victime ne pourra être considérée comme une faute causale si elle n’a eu aucune influence sur la réalisation du dommage [4]. En l’espèce, le conducteur victime a adopté une conduite dangereuse en excédant les limitations de vitesse. Le rapport d’expertise a indiqué explicitement que cet excès de vitesse a eu pour effet de lui faire perdre le contrôle du véhicule. Cette faute, cumulée à un ensemble d’autres fautes, a bien concouru à la réalisation de son préjudice.

Toutefois, une fois établis la faute du conducteur victime et son rôle causal dans la réalisation du dommage, le juge doit déterminer son incidence sur le droit à indemnisation de la victime. Pour ce faire, il doit se référer à la seule gravité de la faute du conducteur victime [5], qui est de nature à réduire ou exclure son droit à indemnisation. Dans un premier temps, la Cour de cassation avait décidé que la faute du conducteur victime excluait son droit à indemnisation lorsqu’elle était la cause exclusive de l’accident [6]. Dans le cas contraire, elle ne venait que le limiter. Mais, par deux arrêts rendus le 6 avril 2007, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a jugé que seul le lien de causalité entre la faute et le préjudice subi par la victime conductrice est de nature à exclure ou réduire son droit à indemnisation [7]. En l’espèce, l’appelant soutenait que les fautes commises par la victime étaient à l’origine exclusive de la réalisation de son dommage et devaient être de nature à exclure totalement le droit à indemnisation de la victime conductrice. Or, même si les juges d’appel sont arrivés à la même solution, ils se sont référés à la seule gravité des fautes qui ont contribué à la réalisation du dommage. L’arrêt s’inscrit ainsi en conformité avec une jurisprudence désormais bien acquise sur ce point.

Par Farah El Faloussi

 

[1] Loi n° 85-677, du 5 juillet 1985, tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation N° Lexbase : L7887AG9.

[2] Cass. civ. 2, 7 février 1990, n° 86-17.023 N° Lexbase : A2012AHY : RTD civ., 1990, 486, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 5 octobre 1994 : RTD civ., 1995, 385, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 18 mars 1998, n° 93-19.841 N° Lexbase : A2320ACW ; Cass. crim., 27 juin 2006, n° 05-86.372, FS-P+F N° Lexbase : A3848DQL et n° 05-87.343, F-P+F N° Lexbase : A4701DQ8 (2 esp.) : RTD civ., 1996, 781, obs. P. Jourdain ; RCA, 2006, n° 335, obs. H. Groutel.

[3] Cass. mixte, 28 mars 1997, n° 93-11.078 N° Lexbase : A3024CK9 ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-10.869, FS-D N° Lexbase : A8246BS9, Cass. crim. 31 mai 2005, n° 04-86.476, F-P+F N° Lexbase : A7664DIP et n° 04-86.231, F-P+F N° Lexbase : A7662DIM (2e espèce).

[4] Pour une illustration, v. Cass. crim. 27 juin 2007, n° 05-87.343, F-P+F N° Lexbase : A4701DQ8 : la vitesse excessive du véhicule de la victime n’a pas contribué à la réalisation de son préjudice.

[5] Pour une illustration récente, v. Cass. civ. 2, 9 mars 2023 n° 21-11.157, F-D N° Lexbase : A40229HG : S. Abravanel-Joly, Seul le degré de gravité de la faute victime est de nature à réduire ou exclure son indemnisation, BJDA, 1er mai 2023, n° 86, comm. 11.

[6] Cass. civ. 2, 29 avril 1986, n° 84-15.095 N° Lexbase : A3130AA8.

[7] Cass. ass. plén. 6 avril 2007, n° 05-81.350 N° Lexbase : A9501DUG et n° 05-15.950, F-D N° Lexbase : A3797DQP.

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