Cahiers Louis Josserand n°7 du 29 juillet 2025 : Actualité

[Focus] Vie de l’équipe Louis Josserand

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le 04 Août 2025

1. Accords collectifs d’entreprise : des pratiques jugées discutables

Analyse d’un panel d’accords collectifs d’entreprise (74 au total), signés dans l’Ain, portant sur le temps de travail, l’égalité professionnelle et la rémunération, par des étudiants de LYON 3, campus de Bourg-en-Bresse, en partenariat avec le DREETS 01 (Ahlam NEBBACCH et Audrey CHAHINE) et l’Observatoire du dialogue social.

Annabelle Turc, Maître de conférences associé à l’Université Jean Moulin Lyon 3, équipe Louis Josserand

Étudiants de 3e année de licence de droit et de LP Rh et Paie 

Mots-clefs : temps de travail, accords d’entreprise, annualisation, heures supplémentaires, égalité, forfait jours, rémunération, dénonciation, préavis, innovation sociale, performance sociale, optimisation sociale, négociation collective, dialogue social.

Constat (Solution) : De nombreux accords d’entreprises ont pour objectif principal l’optimisation du temps de travail et la rémunération des salariés. Motivés par le besoin de flexibilité, certains accords dérogent certes à la branche, en application de l’article L 2253-1 du Code du travail N° Lexbase : L1406LKB, mais ne respectent pas les exigences légales. Force est de constater que le dialogue social est bien souvent déséquilibré, voire annihilé et que la validité des accords peut être légitimement remise en cause.

Portée : La restitution de l’analyse des étudiants a pu permettre de mettre en exergue :

  • une standardisation des accords sur la forme grâce à leurs accès via Légifrance ;
  • une hétérogénéité des accords sur le fond en raison de la qualité des signataires et leur niveau d’expertise ;
  • une regrettable absence de contrôle des dispositions de l’accord quant à sa conformité au droit positif.

Observations :

L’analyse comparative des accords d’entreprise permet de tirer plusieurs enseignements, tant sur la forme que sur le fond de ces instruments juridiques.

I. Une volonté manifeste d’adapter le droit positif aux besoins des entreprises

L’ensemble des accords étudiés poursuit des objectifs clairs : adapter les droits des salariés aux contraintes de l’activité économique et/ou pallier l’absence de dispositions conventionnelles et/ou déroger à un cadre juridique parfois jugé trop sévère.

Ainsi, des dispositifs tels que l’annualisation, la modulation ou encore les forfaits en jours ou en heures sont mis en œuvre de manière récurrente pour faire contourner à la stricte législation des heures supplémentaires. Par exemple, certains accords prévoient des contingents d’heures supplémentaires adaptés à l’activité. Parfois élevés, ils laissent supposer que les limites aux temps de travail, les repos quotidiens ou hebdomadaires, ainsi que les congés payés ne sont pas respectés. Sur le terrain, les entreprises recherchent la souplesse (sans maîtriser les conséquences en cas d’éventuel contentieux). Quant aux salariés, certains privilégient leur pouvoir d’achat.

À noter également, l’absence de mécanismes de suivi, notamment par la création de commissions ou l’organisation de bilans périodiques. Souvent jugés inutiles, ils sont pourtant destinés à garantir une mise en œuvre cohérente et équitable des dispositions conventionnelles. Ils demeurent insuffisamment opérationnels, faute d’être contraints.

Enfin, l’innovation conventionnelle reste toutefois limitée. Parfois les signataires consacrent des mécanismes opérationnels adaptés aux réalités du terrain, tels que la liberté dans le décompte des journées de travail, l’indemnisation forfaitaire pour l’utilisation d’outils personnels. Ces initiatives, encore isolées, laissent entrevoir une possible évolution du cadre légal.

II. Des dérives rédactionnelles révélatrices d’une insécurité normative

Sur le plan formel, la qualité rédactionnelle des accords suscite de vives réserves. Par exemple, les titres et les chapitres de certains documents ne correspondent pas au contenu effectif, rendant leur lecture confuse. La formulation des clauses, souvent imprécise, nuit à leur interprétation, ce qui altère la lisibilité des engagements pris et la sécurité juridique qui devrait en découler. L’opacité des accords compromet l’exercice des droits des salariés.

Plus préoccupant encore, sur le fond, certains accords comportent des stipulations expresses manifestement contraires au droit positif. Tel est le cas d’un accord imposant aux salariés l’acceptation d’heures supplémentaires sous peine de licenciement. Une telle disposition est fort heureusement inopposable.

Il est à noter des imprécisions ou des erreurs quant au préavis de trois mois applicable en cas de dénonciation, sans distinction entre dénonciation totale et partielle, ce qui contrevient à l’article L. 2261-10 du Code du travail N° Lexbase : L7180K9S.

En outre, peu d’accords précisent les éléments objectifs pris en compte dans l’évolution de la rémunération tels que l’ancienneté, les compétences acquises ou la performance individuelle ou collective. La transparence de ces critères améliorerait pourtant la gestion sociale du personnel. La prise en compte de l’inflation est trop souvent absente.

Cette hétérogénéité pose ainsi la question de l’équité entre les salariés et donc leur accès ou non à une négociation collective effective.

Ces manquements traduisent une méconnaissance des exigences légales encadrant la négociation collective. Ils révèlent un besoin impérieux d’un contrôle des conventions collectives et un accompagnement juridique des partenaires sociaux et/ou un contrôle institutionnel par les autorités compétentes.

La possibilité de négocier des accords d’entreprise, sans prise en considération des dispositions conventionnelles, peut laisser place à des dérives.

En définitive, ce travail pédagogique a mis en lumière les enjeux attachés à la négociation collective. Si elle permet une adaptation fine aux réalités économiques, elle suppose en contrepartie une vigilance constante pour garantir le respect des principes fondamentaux du droit du travail.

L’accord collectif d’entreprise est un levier en termes de gestion sociale, encore faut-il savoir bien l’utiliser.


2. Articulation des sources légales et conventionnelles en droit du travail : approche franco-brésilienne

Xavier Aumeran, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe de recherche Louis Josserand

Conférence de Juliano Barra (Docteur en droit, Professeur à l’Université Mackenzie de Sao Paulo, Avocat aux Barreaux de Sao Paulo et Lisbonne), avec Florence Bergeron (Professeur à l’Université de Montpellier, École de droit social de Montpellier) et Xavier Aumeran (Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe de recherche Louis Josserand).

De part et d’autre de l’Atlantique, les droits du travail brésilien et français connaissent des dynamiques d’évolution des sources relativement similaires, en particulier par un renforcement de la place et de l’autorité de la norme conventionnelle négociée. L’approche comparatiste était au cœur de la conférence organisée le 26 mars 2025 par l’Équipe de recherche Louis Josserand, dans le prolongement de travaux initiés en 2021 (La négociation collective en droit brésilien, conférence du 17 juin 2021) et poursuivis par un colloque à l’Université Mackenzie les 11 et 12 novembre 2024.

Le Professeur Barra a débuté sa conférence par une présentation du système juridique et judiciaire brésilien, en particulier du droit du travail. Il a notamment précisé qu’une branche judiciaire spécialisée est dédiée aux contentieux du travail, uniquement composée de juges professionnels. Abondamment mobilisée, elle témoigne d’une grande judiciarisation des relations de travail. Afin de comprendre le droit du travail brésilien, il a également été souligné l’importance de la Constitution. Comprenant de nombreuses dispositions relatives au droit du travail, celle-ci encadre des questions parfois très précises, telles que la durée minimale du congé maternité, la durée maximale du travail quotidien et hebdomadaire, ou encore le taux de majoration des heures supplémentaires.

Le premier temps de la comparaison était consacré à l’articulation entre la loi et les conventions collectives. Après la présentation du droit français par la Professeure Bergeron, Juliano Barra a souligné l’érosion du principe de faveur constaté en droit brésilien. Désormais, il est en effet possible de déroger à la loi par voie de convention ou d’accord collectif, à la condition de respecter les « droits absolument indisponibles » des parties. Hormis en doctrine, cette limite au pouvoir de la convention collective, introduite par le Tribunal fédéral suprême, n’est toutefois pas davantage précisée. En regard du droit français, et notamment de l’article L.1 de notre Code du travail N° Lexbase : L5724IAA, le Professeur Barra a également indiqué que le Brésil n’avait pas de culture d’une sollicitation des partenaires sociaux avant l’intervention du législateur.

Le deuxième temps de la comparaison portait sur l’articulation entre la convention collective et le contrat de travail. La présentation du droit français a permis de souligner que l’approche de cette question, traditionnellement empreinte du principe de faveur, était progressivement renouvelée depuis vingt-cinq ans, par le développement des cas légaux de primauté de la convention collective sur le contrat de travail. En droit brésilien, le législateur a introduit en 2017, à l’article 444 de la Consolidation des lois du travail (CLT), la figure du « travailleur hypersuffisant ». Il est considéré que ces salariés, au moins diplômés d’un niveau de licence et disposant d’un salaire relativement important pour le Brésil, peuvent négocier plus directement et égalitairement avec leur employeur. Les stipulations de leur contrat de travail vont primer sur la loi et la convention collective, y compris en cas de clause contractuelle moins favorable. Ici encore, en revanche, cette faculté de dérogation n’est pas possible pour les « droits absolument indisponibles » tels qu’évoqués par Tribunal fédéral suprême.

Enfin, le dernier temps de la comparaison portait sur l’épineuse question, au moins en droit français, de l’articulation des conventions et accords collectifs de travail entre eux. Alors même que quatre réformes législatives ont porté, en treize ans, sur cette thématique en France, depuis 2004, le droit brésilien est, à cet égard, beaucoup plus simple. Jusqu’en 2017, le principe de faveur régissait cette articulation. Désormais, l’accord collectif, conclu au niveau de l’entreprise, prime sur la convention collective, qui dispose d’un champ plus large (CLT, art. 620). À la différence du droit français, pour lequel l’accord de niveau supérieur s’impose sur treize thématiques, en droit brésilien, un principe de proximité s’applique systématiquement.

Indéniablement, en dépit des dissemblances persistantes de législation, la France comme le Brésil partagent l’idée d’un recul de la loi en droit du travail.

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