SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mars 2025
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 300 FS-B
Pourvoi n° T 23-16.415
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 30 mars 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MARS 2025
Mme [S] [C], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 23-16.415 contre l'arrêt rendu le 25 août 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant au syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], dont le siège est [Adresse 1], représenté par son syndic la société Warren & Associés, dont le siège est [Adresse 3], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [C], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat du syndicat des copropriétaires du [Adresse 1], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Aa Ab, Le Quellec, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, Segond, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 août 2022), Mme [C] a été engagée en qualité de gardienne à service permanent par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1].
2. Licenciée le 25 juillet 2016, la salariée a saisi, le 6 juillet 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes en paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une somme au titre du préjudice subi du fait du manquement à l'obligation de sécurité, alors « que l'employeur, tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise sur le fondement de l'
article L. 4121-1 du code du travail🏛, doit en assurer l'effectivité ; que le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être regardé comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière ; qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ; qu'il en résulte que le seul constat du non-respect par l'employeur du droit aux congés payés du salarié ouvre droit à la réparation ; qu'en l'espèce, il était établi que la salariée avait été empêchée par son employeur de prendre ses congés payés au titre de l'année 2016 ; que pour débouter la salariée de sa demande indemnitaire au titre du manquement à l'obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a jugé que la salariée ne précisait pas le préjudice en résultant ; qu'en statuant ainsi, quand que le seul constat du non-respect par l'employeur du droit aux congés payés du salarié ouvre droit à la réparation, la cour d'appel a violé les
articles L. 4121-1, L. 4121-2, et L. 3141-1 du code du travail🏛🏛, ensemble du principe du droit social de l'Union selon lequel chaque travailleur a droit au congé annuel payé. »
Réponse de la Cour
4. Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.
5. En cas de manquement de l'employeur à son obligation, les droits à congé payé du salarié sont soit reportés en cas de poursuite de la relation de travail, soit convertis en indemnité compensatrice de congé payé en cas de rupture du contrat de travail. Il en découle qu'un tel manquement n'ouvre pas, à lui seul, le droit à réparation et il incombe au salarié de démontrer le préjudice distinct qui en résulterait.
6. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que le salarié ne démontrait pas l'existence d'un préjudice résultant du défaut de prise de congés payés en 2016 et que sa demande en paiement de dommages-intérêts devait être rejetée.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais, sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à juger que le licenciement était l'aboutissement de faits de harcèlement moral, que le licenciement était nul et de nul effet et en paiement d'indemnités pour licenciement nul et en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral alors « qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nulle ; que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral puis, dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, il ressortait des propres constations de l'arrêt que la salariée avait établi ''l'existence matérielle de faits précis qui, pris dans leur ensemble, (laissaient) supposer l'existence d'un harcèlement moral'', et qu'à la suite des explications de l'employeur, l'avertissement du 8 septembre 2015 était demeuré injustifié et l'absence de prise de congés payés en 2016 demeurait comme un manquement inexpliqué de l'employeur ; de l'ensemble de ces constatations, il ressortait que l'employeur avait manqué de prouver que les agissements reprochés n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en jugeant, pour débouter la salariée de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la nullité consécutive de son licenciement, que ''toutefois, ces deux seuls éléments ne (relevaient) pas du harcèlement moral en ce qu'ils n'(avaient) pas eu pour effet de dégrader les conditions de travail de la salariée, ni d'altérer sa santé physique'', la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il ressortait que l'employeur n'avait pas prouvé que les agissements reprochés n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement moral et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, a violé les
articles L. 1152-1, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail🏛🏛🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :
9. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
10. Pour débouter la salariée de ses demandes tendant à juger que le licenciement était l'aboutissement de faits de harcèlement moral, que le licenciement était nul et de nul effet et en paiement d'indemnités pour licenciement nul et en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral, l'arrêt, après avoir retenu que la salariée établissait l'existence de faits précis qui, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, relève que l'avertissement injustifié du 8 septembre 2015, et contesté uniquement dans le cadre de la procédure prud'homale initiée en juillet 2018, et l'absence d'interrogation de la salariée sur ses dates de congés en 2016, ne relèvent pas du harcèlement moral en ce qu'ils n'ont pas eu pour effet de dégrader les conditions de travail de la salariée, ni d'altérer sa santé physique, la dégradation de l'état de santé de la salariée étant bien postérieure à la rupture du contrat de travail survenue le 25 juillet 2016, cette dernière ayant été hospitalisée le 6 août 2017, soit plus d'un an après la rupture contractuelle.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'avertissement du 8 septembre 2015 était injustifié et que l'employeur ne fournissait aucune explication sur l'absence de sollicitation de la salariée quant à la fixation de ses congés en 2016, ce dont il résultait que l'employeur ne prouvait pas que ces deux agissements étaient étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il déboute Mme [C] de ses demandes tendant à juger que le licenciement était l'aboutissement de faits de harcèlement moral et qu'il était nul et en paiement des sommes de 47 380,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, de 9 476,04 euros à titre de dommages-intérêts pour les faits de harcèlement moral et en ce qu'il condamne Mme [C] à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] la somme de 300 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et aux dépens, l'arrêt rendu le 25 août 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] à payer à la SCP Lyon-Caen et Thiriez la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt-cinq.