Par déclaration reçue au greffe le 18 juin 2024, M. [L] [P] a interjeté appel de ce jugement, portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, en intimant la SELARL [F] [O], ès qualités, et Mme la procureure générale.
Au terme de conclusions n°4 notifiées par voie dématérialisée le 30 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelant demande à la cour, au visa des
articles L. 653-1 et suivants et R. 653-1 et suivants du code de commerce🏛🏛, de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 11 juin 2024 en ce qu'il a :
' prononcé à l'encontre de M. [Aa] [T] [P], né le [Date naissance 2] 1980 à [Localité 18] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
' rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
- le confirmer en ce qu'il a :
' dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure,
Et, statuant à nouveau,
- débouter la société SELARL [F] [O] de l'ensemble de ses demandes, fins, prétentions et appel incident éventuel,
- tirer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective,
A tout le moins, dans l'éventualité d'une condamnation :
- juger qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'inscription de la condamnation à son casier judiciaire.
Au terme de conclusions n°2 notifiées par voie dématérialisée le 28 janvier 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, la SELARL [F] [O], ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L. 653-1 et suivants du code de commerce, de :
- confirmer le jugement rendu le 11 juin 2024 par le tribunal de commerce de Lyon sous le numéro RG n°2023F3020 en toutes ses dispositions,
En cas de réformation du jugement dont appel,
- prononcer, à titre principal, une mesure de faillite personnelle d'une durée de 4 ans à l'encontre de M. [L] [P],
- prononcer, à titre subsidiaire, une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 5 ans à l'encontre de M. [L] [P],
En tout état de cause,
- débouter M. [L] [P] de l'intégralité de ses demandes, prétention et moyens,
- condamner M. [L] [P] à lui payer, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [15] et [13] [P], une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [L] [P] aux entiers dépens de la présente instance.
Le ministère public, par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 29 août 2024, a requis la confirmation du jugement déféré qui prononce la condamnation de M. [L] [P] à une mesure de faillite personnelle pour quatre ans.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 février 2025, les débats étant fixés au 20 février 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'absence de motivation du jugement
Au soutien de son appel, M. [P] fait grief au tribunal de ne pas avoir motivé sa décision sur le principe et sur le quantum de la sanction prononcée au regard de la gravité des fautes retenues et de sa situation personnelle, en violation des dispositions de l'
article L. 653-8 du code de commerce🏛.
Il lui reproche de ne pas avoir caractérisé précisément la faute retenue à son encontre et de ne pas avoir justifié la durée de la sanction prononcée.
Il souligne que le tribunal a prononcé la sanction de faillite au regard de l'ensemble des manquements qui lui étaient imputés, ce qui signifie que plusieurs fautes ont été retenues à son encontre, alors que le grief tiré de l'omission volontaire de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours suivant la cessation des paiements ne peut légalement justifier qu'une mesure d'interdiction de gérer et non la sanction de faillite personnelle.
La prétendue violation par les premiers juges des dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛 n'est pas sanctionnée par la réformation du jugement mais par sa nullité, qui n'est pas demandée en l'espèce par l'appelant.
Le moyen tiré du défaut de motivation du jugement frappé d'appel est donc inopérant et la cour n'est pas tenue d'y répondre.
Sur les fautes de gestion du dirigeant
L'
article L. 653-3 du code de commerce🏛 énonce que « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée au 1° du I de l'article L. 653-1, sous réserve des exceptions prévues au dernier alinéa du I du même article, contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements,
2° (Abrogé),
3° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif,
II.-Peuvent en outre, sous la même réserve, être retenus à l'encontre d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou d'un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V les faits ci-après :
1° (Abrogé)
2° Sous le couvert de l'activité ou du patrimoine visés par la procédure masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de cette activité ou de ce patrimoine,
3° Avoir fait des biens ou du crédit de l'entreprise ou du patrimoine visés par la procédure un usage contraire à l'intérêt de cette entreprise ou de ce patrimoine à des fins personnelles ou pour favoriser une personne morale ou une entreprise dans laquelle il était intéressé, directement ou indirectement, ou un patrimoine distinct lui appartenant.»
Aux termes de l'
article L 653-4 du code de commerce🏛, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel,
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement,
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale,
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».
Selon l'
article L 653-5 du même code🏛, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.»
L'article L.653-8 du même code précise que « Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci ».
En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [Ab] est le dirigeant de la société [15] et [13] [P].
Le jugement critiqué retient que la comptabilité tenue par le dirigeant est irrégulière et qu'elle ne donne pas une image fidèle ou sincère de la société et considère que ce manquement démontre la carence de M. [P] dans la gestion administrative et comptable de son entreprise et que les éventuelles négligences de l'expert comptable, qui n'ont pas été démontrées, ne le dédouanent pas de ses obligations.
Pour conclure à l'infirmation du jugement qui a prononcé une mesure de faillite personnelle à son encontre, M. [P] rappelle que seules les fautes volontaires autorisent le prononcé d'une telle sanction et relève que le grief tiré du caractère irrégulier de la comptabilité de la société ne concerne que la rédaction des liasses fiscales, donc les comptes annuels, sans qu'il lui soit reproché de ne pas avoir tenu de comptabilité.
Il fait valoir que, pour limiter les coûts et compte tenu de la faible activité du groupe, il a tenu lui-même pendant plusieurs années la comptabilité de la société à l'aide d'un logiciel de comptabilité, ce que la loi autorise, ayant effectué l'ensemble des déclarations fiscales nécessaires à l'activité de la société sans jamais faire l'objet de redressement fiscal, les comptes des exercices 2016 à 2018 étant déposés au greffe du tribunal de commerce.
Il prétend n'avoir jamais volontairement souhaité se soustraire à ses obligations comptables et affirme qu'il n'est pas davantage un dirigeant malhonnête qui aurait sciemment voulu dissimuler des agissements délictueux par l'absence d'établissement de la comptabilité.
Il explique que, concommitament au développement du groupe, il a pris attache avec un expert-comptable pour lui confier la tenue de la comptabilité des exercices 2019 et 2020, pour laquelle il a réglé un acompte sur les honoraires, en refusant toutefois de payer le dépassement de forfait demandé, et que l'expert comptable n'a jamais réalisé sa mission alors qu'il lui avait transmis l'ensemble des éléments nécessaires à l'établissement des bilans, l'absence de règlement intégral de la somme fixée par la lettre de mission ne constituant pas un motif de non-réalisation de ses diligences.
Il indique que, malgré cette carence fautive, il a fait tout son possible pour effectuer les déclarations fiscales relatives aux exercices 2019 et 2020, ce qui établit qu'il tenait bien une comptabilité pour la société, en précisant que, s'il ne dispose pas d'une lettre de mission signée, cela ne signifie pas qu'il n'aurait pas mandaté d'expert-comptable, ce dont il justifie par les échanges de courriels qu'il verse aux débats.
Il considère que les fautes commises par l'expert-comptable excluent toute faute volontaire du dirigeant et permettent d'expliquer les difficultés qu'il a rencontrées au titre des exercices clos au 31 décembre 2019 et postérieurement, ayant ensuite saisi un second expert-comptable pour lui confier la mission de reprendre la comptabilité de la société depuis l'exercice 2016, afin de démontrer sa parfaite bonne foi et son absence de volonté de commettre la moindre faute.
Il ajoute qu'il a par ailleurs parfaitement coopéré aux opérations de liquidation judiciaire et qu'il n'a pas tiré le moindre profit personnel de la société.
Il ressort des éléments du dossier, et notamment des bilans simplifiés établis par la [15] et [14] pour les exercices clôturés les 31 décembre 2016, 2017, 2018 et 2019, que la comptabilité tenue par la société est affectée de nombreuses irrégularités et qu'elle contrevient manifestement aux règles et principes comptables.
Il peut notamment être relevé que, dans ces bilans simplifiés, l'actif et le passif ne sont jamais équilibrés, qu'aucun report à nouveau n'est comptabilisé à l'ouverture de chaque exercice et que le bilan redémarre à zéro à chaque exercice, les capitaux propres fluctuant à la hausse ou à la baisse alors qu'ils n'ont pas été reconstitués et les pertes n'ayant jamais été affectées au compte report à nouveau.
Il ressort également des documents produits que le résultat comptable des exercices 2020 et 2018 n'est pas le même entre le bilan et le compte de résultat et qu'un emprunt obligataire émis en 2019 pour un montant de 150 000 euros n'a jamais été comptabilisé, alors que, par ailleurs, l'absence de procédure de vérification de comptabilité par l'administration fiscale ne démontre pas la régularité de la comptabilité.
La production par M. [P], en cause d'appel, d'une comptabilité réétablie a posteriori par un autre expert-comptable, confirme que la comptabilité tenue par le dirigeant était gravement erronée et totalement différente de celle établie a posteriori.
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Ainsi que le souligne le liquidateur judiciaire, les comptes annuels de la société sont en totale contradiction avec les principes comptables fondamentaux, notamment le principe de bonne information et le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture par rapport au bilan de clôture, et qu'ils ne donnent pas une image sincère du débiteur.
En sa qualité de président de la société, M. [S] est le seul responsable de ces irrégularités et ne saurait se retrancher derrière la prétendue défaillance du cabinet d'expertise-comptable qu'il avait mandaté alors que, d'une part, les irrégularités constatées sont antérieures à l'intervention de ce dernier et que, d'autre part, l'appelant, qui n'a pas intégralement payé l'expert comptable et ne lui a versé qu'un acompte de 1 000 euros, ne démontre pas lui avoir transmis l'ensemble des documents et pièces comptables que celui-ci avait sollicités par courriels des 30 novembre 2020, 30 décembre 2020, 12, 19 et 24 janvier 2021, demeurés sans réponse, et ne rapporte ainsi pas la preuve d'une carence du cabinet comptable dans l'exercice de sa mission.
La reconstitution a postériori de la comptabilité ne saurait faire disparaître le manquement répété du dirigeant en terme de gestion.
Ce manquement caractérisé de M. [P], compte tenu de sa durée et de ses conséquences sur l'aggravation du passif s'élevant à 149 346,38 euros, compte courant d'associé inclus, ne relève pas d'une simple négligence mais d'une volonté délibéré du dirigeant de ne pas assumer les obligations relevant de sa gestion de droit, étant animé par un intérêt personnel que démontrent les relevés bancaires qu'il produit, révélant que des dépenses ont été réalisées par la société à son profit ou celui de son épouse, sans rapport avec l'intérêt social, alors que, par ailleurs, aucun actif n'a pu être appréhendé durant les opérations de liquidation judiciaire.
Cette faute de gestion suffisant à justifier le prononcé d'une sanction personnelle, il n'y a pas lieu, en l'absence d'appel incident de l'intimée, de se prononcer sur l'absence de dépôt de la déclaration de cessation des paiements.
Sur la sanction prononcée
M. [P] considère que la sanction prononcée est disproportionnée au regard de la gravité des griefs invoqués par le liquidateur, qui ne sont pas à l'origine de l'état de cessation des paiements de la société et de sa déconfiture, cette dernière ayant subi de plein fouet les effets de la crise sanitaire et de l'échec de son projet d'acquisition immobilière à [Localité 12].
Il fait valoir qu'il n'a jamais été animé d'intentions malicieuses ou frauduleuses, qu'il a régulièrement tenu la comptabilité de la société et rempli ses obligations déclaratives, qu'il n'a pas omis sciemment de déclarer l'état de cessation des paiements et que le passif de la société est limité puisqu'il s'élève, hors compte courant d'associé, à la somme de 69 200,43 euros, après déduction du dépôt de garantie versé au titre du bail, dont près de 25 000 euros sont contestables.
Il ajoute qu'il a investi dans la société une part importante de ses économies personnelles, les 77 000 euros figurant sur son compte courant lors de l'ouverture de la procédure collective étant perdus, et que la SCI [10] a également perdu la somme investie à hauteur de 150 000 euros.
Il indique enfin qu'une pathologie cardiaque lui a été diagnostiquée au début de l'année 2023, que son état de santé est préoccupant et invalidant, qu'il n'exerce plus d'activité depuis 2023 et n'a pas perçu de rémunération durant cette année, étant bénéficiaire du RSA, en précisant avoir toujours travaillé dans le domaine de l'immobilier, disposant de la carte professionnelle d'agent immobilier depuis près de 20 ans, et soulignant qu'il ne pourra pas continuer à exercer ce métier si une sanction de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer est prononcée à son encontre, ce qui est totalement disproportionné et inéquitable.
La nature du manquement reproché au dirigeant et sa répétition démontrent les carences de celui-ci dans la gestion d'une société et justifient le prononcé d'une sanction personnelle pour le tenir éloigné de la vie des affaires.
Au regard de la gravité de la faute de gestion commise et de la situation de M. [P], la sanction de faillite personnelle pour une durée de quatre années prononcée par les premiers juges est proportionnée et mérite d'être confirmée.
Sur les dépens et les frais de procédure
M. [Ab] qui succombe en ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel.
Il est par ailleurs équitable de mettre à sa charge une partie des frais de procédure exposés en appel par la SELARL [O], ès-qualités.
Il sera ainsi condamné à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.