Jurisprudence : CA Lyon, 20-02-2025, n° 22/04150

CA Lyon, 20-02-2025, n° 22/04150

A90520HQ

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N° RG 22/04150 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OK7Q


Décision du

Juge des contentieux de la protection de [Localité 5]

Au fond

du 13 mai 2022


RG : 11-18-4250


S.A. CREDIT LYONNAIS


C/


[T]


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


6ème Chambre


ARRET DU 20 Février 2025



APPELANTE :


S.A. CREDIT LYONNAIS

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentée par Me Pierre BUISSON, avocat au barreau de LYON, toque : 140


INTIME :


M. [V] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]


Représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

assisté de Me Gaël COLLIN du Cabinet COLMAN Avocats SELARL, avocat au barreau de PARIS


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 07 Janvier 2025


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Janvier 2025


Date de mise à disposition : 20 Février 2025



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Joëlle DOAT, présidente

- Evelyne ALLAIS, conseillère

- Stéphanie ROBIN, conseillère


assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière


A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.


Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES


M. [V] [T], titulaire d'un compte courant ouvert auprès de la société bancaire Crédit lyonnais, a procédé à neuf reprises entre le 4 août 2016 et le 21 novembre 2017 à l'acquisition de diamants, par l'intermédiaire d'une plate-forme internet dénommée Diamond Thrust, deux paiements étant effectués au moyen de sa carte bancaire, les sept autres au moyen de virements, à hauteur d'une somme totale de 104 434 euros.


Suivant offre préalable acceptée le 7 novembre 2017, le Crédit lyonnais a consenti à M. [T] un prêt personnel d'un montant de 50 000 euros remboursable en 50 mensualités de 1 143,21 euros chacune, au taux contractuel de 4 % l'an.


Le 15 mars 2018, M. [T] a déposé plainte contre X pour escroquerie entre les mains de M. le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.


Par acte d'huissier en date du 5 juillet 2018, M. [T] a fait assigner le Crédit lyonnais devant le tribunal d'instance de Lyon, pour s'entendre condamner cette banque à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts.


M. [T] a fait valoir en première instance, d'une part que la banque avait manqué à son obligation de vigilance au regard du fonctionnement inhabituel de son compte bancaire, d'autre part qu'elle avait manqué à son obligation de mise en garde lors de l'octroi du prêt.



Par jugement en date du 13 mai 2022, le juge des contentieux de la protection a :


- condamné le Crédit lyonnais à payer à M. [T] la somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas réaliser les virements des sommes de 18 000 euros et 33 484 euros effectués les 7 et 21 novembre 2017 au profit de 'Blues Diams Ltd'


- condamné le Crédit lyonnais à payer à M. [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛


- ordonné l'exécution provisoire du jugement


- rejeté toutes les autres et plus amples demandes des parties (demande de dommages et intérêts au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, demande de déchéance du droit aux intérêts et demande en réparation d'un préjudice moral)


- condamné le Crédit lyonnais aux dépens.


Le premier juge a estimé que la banque avait manqué à son obligation de vigilance en n'alertant pas son client sur le caractère suspect des deux opérations de virement des sommes de 18 000 euros et 33 484 euros effectuées les 7 et 21 novembre 2017 au profit de 'Blues Diams Ltd', mais qu'elle n'avait pas commis de faute en ce qui concerne les virements antérieurs à cette date.



Le Crédit lyonnais a interjeté appel de ce jugement, le 3 juin 2022.


Il demande à la cour :


- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à M. [T] la somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts, une indemnité de procédure et les dépens


- de confirmer le jugement pour le surplus


- de débouter M. [T] de son appel incident et de toutes ses demandes


- de condamner M. [T] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 au bénéfice de Maître Buisson, avocat.


Il fait valoir en substance que :


- le banquier n'a pas le droit de s'immiscer dans les opérations et mouvements régulièrement ordonnés par son client


- l'émission d'un paiement au bénéfice d'un 'destinataire inhabituel' n'est pas une anomalie intellectuelle de fonctionnement du compte


- l'importance des mouvements antérieurs ne doit pas conduire le banquier à s'interroger sur la cause ou l'opportunité de l'ordre de paiement régulier qu'il exécute


- la banque, en sa qualité de prestataire de service de paiement, n'est pas tenue d'alerter son client au titre d'un devoir de vigilance et n'a d'autre obligation que de rejeter un ordre de virement faux ou irrégulier ou de le faire confirmer s'il est douteux


- les paiements ordonnés par M. [T] ne présentaient aucune anomalie, leur régularité n'est pas discutée et ils étaient provisionnés


- l'emploi des fonds relevait de la décision discrétionnaire de M. [T] et de sa seule responsabilité


- la liste noire de l'AMF (Autorité des Marchés Financiers) répertorie des adresses de sites internet et non pas des personnes ou des numéros de compte et n'est pas à l'usage des banques


- le site Blues Diams Ltd ne figurait pas dans la liste noire de l'AMF antérieurement aux virements en cause


- les virements ayant été effectués au sein de la zone Sepa, les banques étant ressortissantes de l'Union européenne, ils n'attiraient pas spécialement l'attention en termes de sécurité.


M. [T] demande à la cour :


- d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant de son préjudice


statuant à nouveau,


- de condamner le Crédit lyonnais à lui payer la somme de 51 484 euros à titre de dommages et intérêts au titre du manquement à son devoir de vigilance au regard du fonctionnement inhabituel de son compte bancaire


- de débouter le Crédit lyonnais de ses demandes


- de confirmer pour le surplus


- de débouter le Crédit lyonnais de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile


- de condamner le Crédit lyonnais à 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.


M. [T] fait valoir en substance que :


- la banque ne peut se retrancher derrière le caractère autorisé du virement pour se dégager de toute responsabilité


- il existait de nombreuses anomalies apparentes permettant de détecter un fonctionnement inhabituel de son compte bancaire


- les fonds avaient une destination inhabituelle, à savoir le Danemark et Malte


- les cinq opérations antérieures à celles retenues par le premier juge présentaient elles-aussi un caractère inhabituel, en ce qui concerne les montants et la fréquence.


- dès réception des fonds issus du prêt, il a demandé à sa banque de virer la somme dans son intégralité sur un compte bancaire domicilié dans une banque maltaise, ce qui aurait dû alerter la banque


- la plate-forme Blue Diams (www.bluediams.com) a été placée sur la liste noire de l'AMF (Autorité des marchés financiers) et sur la liste noire de l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et de la Banque de France le 24 juillet 2017


- la présence de la plate-forme frauduleuse sur la liste noire d'une autorité compétente constitue une anomalie intellectuelle devant amener un établissement bancaire à exercer son devoir général de vigilance.


M. [T] considère que, par son manquement à son devoir général de vigilance, la banque lui a causé un préjudice caractérisé par la perte de chance de ne pas réaliser des investissements au profit de plate-formes frauduleuses.


L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 janvier 2025.



SUR CE :


Le rejet de la demande de dommages et intérêts fondée sur le manquement de l'obligation de mise en garde au titre de l'octroi d'un prêt, le rejet de la demande de déchéance des intérêts et le rejet de la demande en réparation du préjudice moral ne sont pas remis en cause par M. [T] devant la cour.


Ces dispositions sont confirmées.


M. [T] fonde ses demandes contre le Crédit lyonnais sur les dispositions de l'article 1231-1 nouveau du code civil🏛 en invoquant le manquement de la banque à son devoir de vigilance.


En vertu du devoir de vigilance et de surveillance auquel il est tenu, le banquier doit, avant d'exécuter une opération au profit ou pour le compte de son client, examiner la régularité apparente de celle-ci.


Mais ce devoir de vigilance est limité à la détection des anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, puisqu'il est interdit au banquier de s'immiscer dans les affaires de son client.


Les anomalies intellectuelles portent sur la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.


Elles doivent être aisément décelables.


Il n'appartient pas au banquier d'accomplir des diligences particulières pour s'assurer de la régularité et de l'opportunité des actes de son client.


En l'espèce, M. [T], après avoir effectué le 4 août et le 10 août 2016 deux paiements par carte bancaire au bénéfice de 'Grey Aa Ab' et de 'Hipay Wallet' pour les montants respectifs de 4 982 euros et de 1 000 euros, a donné à sa banque l'ordre d'effectuer les virements suivants :


- 5 000 euros et 1 500 euros le 22 août 2016 au bénéfice de Upaycard Ltd au Danemark


- 4 165 euros le 31 août 2016 au bénéfice de Upaycard Ltd au Danemark


- 15 000 euros le 30 septembre 2016 au bénéfice de Upaycard Ltd au Danemark


- 21 303 euros le 9 mars 2017 au bénéfice de Upaycard Ltd au Danemark


- 18 000 euros le 7 novembre 2017 au bénéfice de Blues Diams Ltd à Malte


- 33 484 euros le 21 novembre 2017 au bénéfice de Blues Diams Ltd à Malte.


Ainsi, quatre virements pour un montant total de 25 665 euros ont été effectués le 22 août, le 31 août et le 30 septembre 2016, en l'espace d'un mois, sur le compte bancaire d'une société de forme juridique anglo-saxonne (Ltd) ayant un compte ouvert au Danemark.


Le cinquième virement sur le compte de la société Upaycard Ltd n'a été effectué que près de six mois plus tard, trois jours après que le compte de M. [T] eut été crédité, le 6 mars 2017, d'un versement émanant de la même société Upaycard Ltd en provenance d'une banque danoise, d'un montant de 3 225,98 euros.


M. [T] a ensuite reçu le 18 mai 2017 un versement de la part d'une société Moorwand en provenance d'une banque danoise, d'un montant de 2 047 euros.


Ainsi, pour un banquier normalement vigilant, les cinq opérations de virement en l'espace de neuf mois, au profit d'une même société européenne sur un compte bancaire situé dans un pays européen, dont seules les deux dernières portaient sur des montants relativement élevés, avaient l'apparence d'un investissement donnant lieu à une contrepartie ou à un bénéfice, de sorte que ces opérations en elles-mêmes ne présentaient pas de caractère anormal, aucun élément ne permettant de suspecter une éventuelle fictivité de la société Upaycard Ltd.


M. [T] expose que c'est postérieurement aux deux derniers versements que la plate-forme Blue Diams l'a contacté pour l'inciter à devenir client 'VIP' afin d'augmenter ses plus-values, en lui indiquant qu'en ce cas, il devaitd'abord effectuer un nouvel apport de 50 000 euros, raison pour laquelle il a demandé à sa banque de lui consentir un crédit à la consommation de même montant qui lui a été accordé.


M. [T] a donc approvisionné son compte bancaire au moyen d'un prêt dont il ne soutient pas en cause d'appel qu'il n'avait pas les capacités financières de le rembourser, afin de procéder à deux nouveaux virements en l'espace de deux semaines, pour un total de 51 484 euros, au bénéfice d'une société Blues Diams Ltd dont le compte bancaire était situé à Malte.


Ces deux virements avaient, comme les cinq virements antérieurs, l'apparence d'un investissement, puisqu'ils étaient opérés en faveur d'une société de droit anglo-saxon, dont le compte bancaire était situé dans un pays appartenant à l'Union européenne et à la zone euro.


Dès lors, au regard du fonctionnement antérieur du compte de M. [T] qui avait toujours été créditeur, ces opérations ne présentaient pas de caractère anormal aisément décelable du seul fait de leur destination, de leur montant et de leur date, les deux virements litigieux intervenant au demeurant huit mois après le précédent virement au profit de la société Upaycard Ltd.


M. [T] affirme que le Crédit lyonnais devait avoir connaissance de ce que la société Blues Diams Ltd au profit de laquelle il a exécuté les deux derniers ordres de virement de son client était une société suspecte puisque la plate-forme www.bluediams.com figurait sur la liste noire de l'AMF, de l'APCR et de la Banque de France le 24 juillet 2017.


Il produit aux débats :


- une capture d'écran d'une page du site de l'Autorité des Marchés Financiers datée du 24 juillet 2017 intitulée 'listes noires et mises en garde' , les signaux qui doivent vous alerter : vous ne connaissez pas la personne qui vous contacte, on vous promet des rendements très élevés et sans risque, vous devez prendre une décision rapidement, vous devez effectuer un virement sur un RIB à l'étranger (...) faisant apparaître le nom www.bluediams.com


- une capture d'écran datée du 19 octobre 2022 d'une page du site de la Banque de France intitulée 'listes noires et alertes des autorités' conseillant aux particuliers de vérifier que la personne ou la société qui le sollicite est autorisée à proposer ce produit en France et signalant que l'APCR et l'AMF publient et mettent à jour régulièrement cinq listes noires de sites ou entités non autorisés à proposer en France (...) 5) des investissements dans des biens divers (diamants, vin, crypto-actifs).


D'une part, la preuve de ce que le site www.bluediams.com figurait sur la liste noire de la Banque de France et de l'Autorité prudentielle de contrôle et de résolution (APCR) le 24 juillet 2017 ne résulte pas de ces deux documents, le second étant daté du 19 octobre 2022.


Or, il n'est pas démontré que la liste noire dressée par l'Autorité des marchés financiers était à usage des banques.


D'autre part, comme le relève à juste titre le Crédit lyonnais, le site de l'AMF mentionne un nom de site internet, si bien qu'il n'est pas possible pour la banque d'établir un rapprochement entre ledit site et le nom d'une société et son numéro de compte.


Dans ces conditions, la faute qu'aurait commise le Crédit lyonnais en exécutant les ordres de virement litigieux n'est pas démontrée.


Il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts de M. [T], le jugement étant infirmé en ce qu'il l'a partiellement accueillie.


Le jugement est également infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.


Il y a lieu de condamner M. [T] aux dépens de première instance et d'appel.


Les demandes de M. [T] devant le premier juge et devant la cour fondées sur l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées par voie de conséquence.


L'équité ne commande pas de condamner M. [T] à payer au Crédit lyonnais une indemnité de procédure au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.



PAR CES MOTIFS


Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :


CONFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts fondée sur le manquement de l'obligation de mise en garde au titre de l'octroi d'un prêt, la demande de déchéance des intérêts et la demande en réparation du préjudice moral


INFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions


STATUANT à nouveau,


REJETTE la demande de dommages et intérêts formée par M. [T]


CONDAMNE M. [T] aux dépens de première instance et d'appel


DIT que les dépens d'appel pourront être recouvrés par Maître Buisson, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛


REJETTE les demandes des deux parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.


LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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