Jurisprudence : CA Lyon, 04-06-2024, n° 22/03634, Confirmation


N° RG 22/03634 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OJZ5


Décision du

Tribunal Judiciaire de LYON

Au fond

du 03 mai 2022


RG : 21/03155

ch 4


[G]

[B]


C/


S.A. LYONNAISE DE BANQUE


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


1ère chambre civile B


ARRET DU 04 Juin 2024



APPELANTS :


M. [H] [G]

[Adresse 1]

[Localité 3]


M. [Aa] [B]

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentés par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

ayant pour avocat plaidant Me Michel GODEST, avocat au barreau de PARIS,


INTIMEE :


La société LYONNAISE DE BANQUE

[Adresse 5]

[Localité 2]


Représentée par Me Antoine ROUSSEAU de la SELARL B2R & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 781

ayant pour avocat plaidant Me Frédéric PIAZZESI de la SELARL CABINET PIAZZESI AVOCATS, avocat au barreau de NICE, toque : 157


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 06 Avril 2023


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Février 2024


Date de mise à disposition : 14 mai 2024 prorogée au 28 mai 2024 prorogée au 04 Juin 2024, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile🏛


Audience tenue par Stéphanie LEMOINE, président, et Bénédicte LECHARNY, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,


assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier


A l'audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Composition de la Cour lors du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,


Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES


Le 18 avril 2014, M [B] a ouvert deux comptes bancaires à l'agence CIC de [Localité 7], l'un à son nom et le second au nom de son fils, M [Ab], alors mineur.


Tous deux reprochent à l'établissement bancaire d'avoir accumulé des fautes professionnelles à l'occasion du fonctionnement de leurs comptes.


Par exploit d'huissier de justice du 12 octobre 2017, MM [B] et [G] ont fait assigner la société CIC Lyonnaise de banque (la banque) devant le tribunal de grande instance de Lyon.



Par jugement du 3 mai 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a :

- débouté MM [Ac] et [G] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné in solidum MM [Ac] et [G] à prendre en charge les entiers dépens de l'instance qui pourront être directement recouvrés par l'avocat de la banque.

- condamné in solidum MM [Ac] et [G] à verser à la banque la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛.



Par déclaration du 19 mai 2022, MM [Ac] et [G] ont interjeté appel.


Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 18 janvier 2023, MM [Ac] et [G] demandent à la cour de :

- déclarer recevables et bien fondés MM [Ac] et [G] en leur appel.

- infirmer le jugement rendu le 3 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Lyon des chefs critiqués.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- condamner la banque à rembourser à M [B] la somme de 421.000 € à parfaire.

A titre subsidiaire,

Vu l'article 1927 du code civil🏛,

- condamner la banque à payer à M [G] la somme de 325.386,90 €.

En tout état de cause

- débouter la banque de l'ensemble de ses demandes


- condamner, en toutes hypothèses, la banque au paiement de la somme de 10.000 €, conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la banque au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Laffly & Associés, avocat au barreau de Lyon, conformément aux termes de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 31 mars 2023, la banque demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions

- condamner solidairement MM [Ac] et [G] au paiement d'une somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC

- condamner solidairement MM [Ac] et [G] aux entiers dépens distraits au profit de la SELARL B2R & associés, société d'avocats au barreau de Lyon, demeurant [… …], représentée par Me Rousseau.


L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 avril 2023.


Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.



MOTIFS DE LA DECISION


1. Sur la demande principale en paiement de M. [B]


M [B] sollicite la condamnation de la banque à lui rembourser la somme de 421.000 €. Il fait notamment valoir que:

- il appartient à la banque de démontrer qu'elle n'a pas eu un comportement fautif sous peine d'inverser la charge de la preuve,

- des opérations bancaires ont été réalisées sans qu'il n'en ai eu l'initiative, alors qu'il était en Lybie en pleine période de guerre civile,

- trois virements sont incontestablement fautifs représentant la somme de 421.000 €,

- la banque a manqué à son obligation de vigilance en s'adressant à lui par le biais d'une adresse mail tronquée et une adresse postale invalide, sans procéder à aucune investigation alors qu'elle était dans l'impossibilité de le joindre,

- pour pallier à son absence de réponse à l'occasion de virements importants, elle a réclamé des informations auprès de son fils mineur, sans s'interroger sur l'incohérence des causes de ces virements,

- à son retour de Lybie, il a trouvé son compte bancaire vide sans aucune explication de la banque.


La banque fait valoir en réplique que :

- M [B] n'apporte aucune preuve des faits qu'il allègue, se contentant de produire la plainte déposée par lui-même le 3 août 2017 et classée sans suite,

- M [B] est à l'origine des virements litigieux, ainsi qu'il résulte de l'envoi des justificatifs de ses virements en provenance de l'ambassade du Japon ou de Lybie via l'adresse mail qu'il prétend tronquée par son fils, sous l'influence d'un escroc,

- les virements litigieux ont été effectués au bénéfice de son fils mineur,

- M [B] a été défaillant dans la gestion de ses affaires, en laissant accéder son fils à ses identifiants Filbanque, sa boîte mail, ainsi qu'à son courrier,

- le préjudice n'est pas prouvé, seule étant produite une plainte déposée à l'encontre du prétendu escroc de son fils mineur,

- cette plainte ne fait l'objet d'aucune procédure en cours à ce jour.


Réponse de la cour


Selon l'article L. 133-23 du code monétaire et financier🏛, lorsqu'un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l'opération de paiement n'a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l'opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu'elle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

L'utilisation de l'instrument de paiement telle qu'enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l'opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière. Le prestataire de services de paiement, y compris, le cas échéant, le prestataire de services de paiement fournissant un service d'initiation de paiement, fournit des éléments afin de prouver la fraude ou la négligence grave commise par l'utilisateur de services de paiement.


Ainsi que l'ont exactement rappelé les premiers juges, dans les rapports qu'elle entretient avec ses clients, la banque est soumise à un devoir de vigilance lui imposant de vérifier la régularité formelle et intellectuelle des opérations exécutées, afin de déceler toute anomalie apparente, susceptible d'être relevée par un employé de banque normalement diligent, cette obligation étant néanmoins contrainte par un devoir de non-ingérence, qui fait interdiction à la banque de s'immiscer dans la gestion des comptes de ses clients et de procéder à un contrôle d'opportunité de ses opérations.


Le 18 avril 2014, M. [B] a ouvert deux comptes auprès de la banque, au sein de l'agence de [Localité 7], l'un à son nom et l'autre au nom de son fils, encore mineur.


Il soutient qu'il ne serait pas à l'origine des trois virements en date des 8, 9 et 18 juin 2015, d'un montant respectif de 26 000 euros, 25 000 euros et 370 000 euros, réalisés depuis son compte vers celui de son fils et explique que ce dernier, sous l'influence d'un escroc, aurait créé un faux compte courriel à l'aide duquel il aurait sollicité de la banque de nouveaux identifiants afin de se connecter à la plateforme Filbanque à partir de laquelle son fils aurait viré les fonds sur son compte.


Il est constant entre les parties que les virements litigieux entre les deux comptes du père et du fils ont été réalisés à partir de la plateforme Filbanque avec les identifiant et mot de passe personnels de M. [B].


En premier lieu, l'identifiant permettant à M. [B] d'accéder à la plate forme Filbank et donc aux relevés de ses comptes, ainsi qu'aux services financiers, dont les ordres de virements, est mentionné sur la convention de compte du 18 avril 2014, qu'il a souscrite avec la banque. Il est mentionné en outre que le mot de passe lui a été remis sur un document séparé et que, reconnaissant leur caractère confidentiel, il s'engage à les mettre en sécurité.


Il en résulte que M. [Ac] avait en sa possession les identifiant et mot de passe nécessaires pour consulter et faire fonctionner ses comptes et qu'il s'est engagé à ne pas les révéler.


En deuxième lieu, les virements ont été réalisés à partir du compte personnel de M. [B] sur le compte de son fils, alors mineur, ouvert le même jour dans la même agence bancaire, auquel il était rattaché et avait donc accès en sa qualité d'administrateur légal avec les mêmes identifiant et mot de passe, ainsi qu'il résulte des deux conventions de compte conclues avec la banque le 18 avril 2014.


Il en résulte que M. [B] pouvait à tout moment vérifier les mouvements financiers entre les deux comptes qui étaient liés.


En troisième lieu, l'identifiant de M. [B] a été modifié à partir d'une adresse mail qu'il a communiquée. Selon la fiche de synthèse de la banque, au jour de l'ouverture des comptes, M. [B] a déclaré que son adresse mail de contact était « [Courriel 9] », ce qu' il reconnaît.


Suivant un mail du 5 mai 2015, la banque a demandé à M. [B] de justifier de la provenance des fonds qu'il avait virés depuis l'ambassade du Japon en Lybie sur son compte en France, compte tenu de leurs montants importants.


M. [B] soutient qu'il n'a pas reçu ce mail qui aurait été envoyé à une adresse inexacte, soit « [Courriel 8] ».


Si l'impression du mail laisse effectivement apparaître une adresse mail tronquée à laquelle il manquerait la fin « UK », il ressort du mail du 6 mai 2015 émanant de l'adresse « [Courriel 11] » que le message envoyé par la banque a été lu puisque divers documents justificatifs - au demeurant illisibles- lui sont adressés en réponse.


Or, suivant un courriel du 26 mai 2015 émanant de cette dernière adresse, dans lequel est précisé l'identifiant de M. [Ac], il est demandé à la banque la communication d'un nouveau code d'accès à la plate forme Filbank qui doit être envoyé à l'adresse « [Courriel 10] », ce que la banque a fait suite à un nouveau courriel du 3 juin 2015.


Il ressort de la chronologie des faits et de la circonstance que le courriel demandant un nouveau code d'accès contenait l'identifiant confidentiel de M. [Ac], que ce dernier était à l'origine de cette demande ou qu'il a commis des négligences graves en communiquant à son fils tout à la fois les identifiants de sa boîte mail et de son compte bancaire, ce qu'il reconnaît en indiquant que c'est ce dernier - alors sous influence- qui a écrit les courriels litigieux.


Or, dans cette hypothèse, la responsabilité de la banque ne sautait être retenue. ,


De même, il ne peut être fait grief à la banque d'avoir demandé des explications sur les motifs des virements d'un montant important à la fois à M. [B] et à son fils, M. [Ab], alors que ces fonds lui étaient destinés et qu'il était le seul à habiter sur place, à [Localité 6].


Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient, par confirmation du jugement, de débouter M. [B] de sa demande en remboursement de la somme de 421 000 euros, correspondant aux trois virements réalisés au mois de juin 2015 de son compte sur celui ouvert au nom de son fils.


2. Sur la demande subsidiaire en paiement de Ab. [G]


M [G] sollicite la condamnation de la banque à lui payer la somme de 325.386,90 €. Il fait notamment valoir que :

- la banque a eu un comportement fautif dans l'exécution de son mandat au sens de l'article 1927 du code civil,

- la somme de 325.386,90 euros correspond à un virement intervenu le 18 novembre 2016, alors qu'il était majeur depuis un mois, dans un contexte qui aurait dû alerter la banque : de nombreux virements suspects ont eu lieu sur son compte alors qu'il était mineur, un tel virement avait déjà été avorté par la banque réceptionnaire des fonds au Cameroun et cette somme correspondait exactement aux fonds disponibles restants,

- la banque aurait dû procéder à un examen renforcé de cette opération.


La banque fait valoir en réplique que :

- en vertu du principe de non-ingérence, elle ne pouvait s'immiscer dans les affaires de son client qui en l'espèce disposait librement de ses fonds propres,

- l'opération a été réalisée au guichet, par le titulaire du compte en personne,

- le RIB fournit correspondait à un compte au nom de M. [G] au Cameroun,

- le transfert de la somme n'avait pas un caractère inattendu puisqu'elle avait clôturé son compte depuis plus d'un an et la somme se trouvait sur un compte d'attente,

- cette opération avait une apparence de régularité qui décharge de toute obligation de vigilance.


Réponse de la cour


Si M. [G] reproche à la banque diverses fautes commises dans la gestion de son compte durant sa minorité, il y a lieu de relever qu'il sollicite sa condamnation à lui payer la somme de 325 386, 90 euros, qui correspond à un virement qu'il a réalisé à partir de son compte le 18 novembre 2016, alors qu'il était majeur.


M. [G] reconnaît qu'il a donné pour instruction à la banque de réaliser ce virement, qu'il a effectué sur place, en se rendant dans l'agence bancaire.


Or, il ne peut être tenu compte, dans ses rapports avec la banque, qu'il était sous influence d'une personne malhonnête qui aurait abusé de son jeune âge.


Par ce seul motif, il convient de confirmer le jugement ayant débouté M. [Ab] de ses demandes.


Néanmoins, il est ajouté que la banque, qui ne peut s'immiscer dans les affaires de son client, n'est pas tenue de le conseiller sur l'opération envisagée, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir vérifié que le projet d'achat d'un terrain agricole au Cameroun dont il était justifié était opportune et de ne pas s'être opposée au virement.


La circonstance que le montant du virement correspondait au solde du compte n'est pas, en outre, de nature à révéler une anomalie alors qu'il est justifié que le compte était clôturé et les sommes versées sur un compte d'attente.


S'agissant de la remise, à deux reprises, à M. [G] d'un chèque de banque de 325.576,16 euros correspondant au solde de son compte alors qu'il était encore mineur, force est de constater que ces chèques n'ont pas été débités, de sorte qu' aucun préjudice ne peut être retenu.


Enfin, le virement de cette même somme à destination d'une banque camerounaise alors que M. [G] était mineur ne lui a encore une fois pas été préjudiciable car l'opération a été refusée par cette banque, étant précisé qu'en tout état de cause le RIB produit par M. [G] indiquait que les fonds devaient être transférés sur un compte ouvert à son nom.


Pour l'ensemble de ces raisons, il convient de confirmer le jugement ayant débouté M. [Ab] de ses demandes.


3. Sur les autres demandes


Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.


L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la banque, en appel. MM [Ac] et [G] sont condamnés in solidum à lui payer à ce titre la somme de 2.000 €.


Les dépens d'appel sont in solidum à la charge de MM [Ac] et [G] qui succombent en leur tentative de remise en cause du jugement.



PAR CES MOTIFS


LA COUR,


Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,


Statuant à nouveau et y ajoutant,


Condamne in solidum MM [B] et [G] à payer à la société Lyonnaise de banque, la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,


Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,


Condamne in solidum MM [B] et [G] aux dépens de la procédure d'appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.


La greffière, Le Président,

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