Jurisprudence : CA Lyon, 13-03-2025, n° 21/01748, Confirmation

CA Lyon, 13-03-2025, n° 21/01748, Confirmation

A11430BX

Référence

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N° RG 21/01748 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NOLS


Décision du

Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE CEDEX 1

Au fond

du 03 mars 2021


RG : 2020j00087

ch n°


Caisse CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAV OIES


C/


S.A.S. SADU


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


3ème chambre A


ARRET DU 13 Mars 2025



APPELANTE :


La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Sis [Adresse 2]

[Localité 1]


Représentée par Me Bertrand POYET, de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938


INTIMEE :


La société SADU,

Société par actions simplifiée (SAS),

prise en la personne de ses représentants domiciliés en cette qualité audit siège.

Sis [Adresse 4]

([Localité 3]


Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 15 Février 2022


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Octobre 2024


Date de mise à disposition : 12 Décembre 2023 puis prorogé au 13 Mars 2025 les parties ayant été avisées



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillere

- Viviane LE GALL, conseillere


assistés pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffiere


A l'audience, un magistrat de la Cour a fait le rapport,


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Sophie DUMURGIER, président, et par Céline DESPLANCHES, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



EXPOSÉ DU LITIGE


La SAS Sadu a conclu deux contrats de fourniture de matériels avec les sociétés Krystal et R-System. La société Krystal a effectué une délégation de paiement au profit de la société R-System, titulaire d'un compte de dépôts à vue à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies.


Ainsi, dans le cadre des contrats conclus avec la société Sadu (tiré), la société R-System (tireur) a émis deux lettres de change, une première en date du 24 septembre 2018, avec échéance au 24 décembre 2018, pour un montant de 97 662 euros et une seconde en date du 29 octobre 2018, avec échéance au 31 janvier 2019 pour un montant de 98 880 euros.


Par jugements des 18 décembre 2018 et 22 juillet 2019, le tribunal de commerce de Chambéry a ouvert une procédure de redressement puis de liquidation judiciaire à l'égard de la société R-System. La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies a déclaré ses créances à la procédure.


La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies a pris à l'escompte les deux lettres de change tirées par la société R-System sur la société Sadu, qui les a acceptées en prévision de la livraison du matériel. Toutefois, n'ayant pas reçu ce dernier, la société Sadu a refusé de payer les effets.


Par ordonnance de référé du 14 janvier 2019, le président du tribunal de commerce de Saint-Étienne a dit irrecevables les demandes en paiement formulées par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies au motif qu'il existait une contestation sérieuse.


Par acte introductif d'instance du 30 février 2020, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies a assigné la société Sadu en paiement devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne.



Par jugement contradictoire du 3 mars 2021, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a :


dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies n'est pas de bonne foi et qu'elle ne peut se prévaloir du principe de l'inopposabilité des exceptions,

débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies de l'ensemble de ses demandes,

condamné la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel des Savoies à payer à la société Sadu la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

dit que les dépens, dont frais de greffe taxés et liquidés à 74,32 euros, sont à la charge de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies,

dit qu'il n'y a lieu à exécution provisoire du jugement.



La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies a interjeté appel par déclaration du 9 mars 2021.


***


Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 juin 2021, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies demande à la cour, au visa des articles L.511-7, L.511-12, L. 511-19 et L.511-44 du code de commerce🏛🏛🏛🏛, de :


réformer le jugement du tribunal de commerce du 3 mars 2021 en ce qu'il a :


dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies n'est pas de bonne foi et qu'elle ne peut se prévaloir du principe de l'inopposabilité des exceptions,

débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies de l'ensemble de ses demandes,

condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies à payer à la société Sadu la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.


Statuant a nouveau :


juger la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies recevable et bien fondée,

juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies n'a pas agi de mauvaise foi,


En conséquence :


À titre principal au titre du droit cambiaire :


condamner la société Sadu à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies :


la somme de 97 662 euros au titre de la lettre de change créée le 24 septembre 2018,

la somme de 98 880 euros au titre de la lettre de change créée le 29 octobre 2018.

juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies n'a pas agi de mauvaise foi,


À titre subsidiaire, sur le plan fondamental :


condamner la société Sadu à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies :


la somme de 97 662 euros au titre de la lettre de change créée le 24 septembre 2018,

la somme de 98 880 euros au titre de la lettre de change créée le 29 octobre 2018,

juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies n'a pas agi de mauvaise foi.


En tout état de cause :


condamner la société Sadu à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société Sadu aux dépens de procédure, avec droit de recouvrement.


***


Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 6 septembre 2021, la société Sadu demande à la cour, au visa de l'article L.511-12 du code de commerce, de :


déclarer mal fondé l'appel de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies,

confirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Étienne du 3 mars 2021,

juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies n'est pas de bonne foi et qu'elle ne peut pas se prévaloir du principe de l'inopposabilité des exceptions,

débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies de l'intégralité de ses demandes,

condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies à verser à la société Sadu la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.


La procédure a été clôturée par ordonnance du 15 février 2022, les débats étant fixés au 9 octobre 2024.


Pour un plus ample exposé des moyens des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur la demande en paiement des lettres de change


Le Crédit Agricole fait valoir que :


sur le fondement du rapport cambiaire, par son acceptation, le tiré ne peut plus faire valoir d'exception, de sorte que l'intimée est tenue de régler les deux lettres de change,

les deux lettres de change ont été acceptées par l'intimée ce qui créé une présomption d'existence d'une créance dont elle peut solliciter le paiement,

la caractérisation de la mauvaise foi du porteur suppose de démontrer une volonté de nuire aux intérêts du débiteur, ce qui n'est pas démontré,

la négligence ou l'imprudence de la banque sont insuffisantes à caractériser sa mauvaise foi,

la mauvaise foi du porteur n'est pas retenue par la jurisprudence même s'il a connaissance de l'état de cessation des paiements du tireur et de la position débitrice de son compte, cette situation n'induisant pas nécessairement l'impossibilité pour le tireur d'exécuteur son obligation envers le tiré,

la mauvaise foi du porteur doit être démontrée au jour de l'acquisition de la lettre de change, étant indiqué qu'à cette date, elle ne pouvait avoir connaissance du fait que la société R-System, qui était in bonis, allait faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire,

la mise en œuvre initiale d'une procédure de redressement judiciaire démontre que la situation n'était pas irrémédiablement compromise,

l'intimée ne peut lui faire grief d'avoir réalisé l'escompte en période suspecte alors que cette période a été fixée trois mois plus tard,

le rejet de trois chèques, le solde débiteur du compte et l'existence de frais bancaires ne suffisaient pas à déterminer le caractère totalement obéré de la situation de la société R-System,

la confirmation de la décision déférée sur le point de la mauvaise foi de la concluante, menacerait la sécurité des échanges commerciaux,

en l'absence de caractérisation de la mauvaise foi, aucune exception ne peut lui être opposée.


La société Sadu fait valoir que :


la mauvaise foi doit être appréciée lors de l'acquisition du titre par le porteur,

l'appelante est la banque du groupe Herka, auquel appartient la société R-System, de sorte qu'elle pouvait apprécier la situation de cette dernière,

la banque connaissait la situation irrémédiablement compromise de la société R-System notamment ses multiples impayés, son découvert bancaire, le rejet des chèques émis et son état de cessation des paiements, ce qui caractérise sa mauvaise foi,

l'escompte a été réalisé lors de la période suspecte,

la proximité entre l'endossement et l'escompte démontre la mauvaise foi de la banque,

elle peut opposer à la banque les exceptions d'inexécution qu'elle serait en droit d'opposer à la société R-System en raison de sa mauvaise foi,

les commandes liées aux lettres de change n'ont pas été livrées de sorte qu'elle peut refuser le paiement,

la délégation de paiement a été signée entre la société Krystal et la société R-System, pendant la période suspecte, de sorte qu'elle peut être remise en cause, et exclut toute créance au profit du Crédit Agricole.


Sur ce,


L'article L.511-12 du code de commerce dispose que :

'Les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur.'


Il est constant que le Crédit Agricole a pris à l'escompte les lettres de change aux dates suivantes :


le 1er octobre 2018 pour la somme de 97.662 euros,

le 30 octobre 2018 pour la somme de 98.880 euros.


Pour apprécier la mauvaise foi de la banque invoquée par la société intimée, il convient d'analyser la situation du compte de la société R-System à la date des deux escomptes et plus globalement d'analyser le fonctionnement du compte de cette dernière sur la période antérieure à son placement en redressement judiciaire, étant rappelé est constant que la société liquidée n'a jamais exécuté les contrats de livraison de matériels ayant mené à l'émission des deux lettres de change querellées.


Au 30 septembre 2018, le compte de la société R-System est débiteur de la somme de 85.447,80 euros, et seul l'escompte de la somme de 97.662 euros permet au compte de redevenir créditeur.


Durant le mois d'octobre, le fonctionnement du compte ne permet de déceler aucun mouvement créditeur jusqu'au 30 octobre 2019. Les seuls mouvements créditeurs sont issus des rejets des prélèvements réalisés sur le compte par les organismes sociaux, les opérateurs d'énergie et les titulaires d'abonnement aux bases de données et de comptabilité soit des crédits inopérants puisque venant annuler le prélèvement antérieur, sans compter l'ajout systématique de frais de prélèvements, venant accroître le débit du compte.


Avant l'escompte de la seconde lettre de change le 30 octobre 2019, le compte est à nouveau débiteur de la somme de 101.468,10 euros. Cette opération permet au compte d'être créditeur à la fin du mois ce qui permet notamment de régler les salaires et d'autres sommes importantes.


Sur l'année, le fonctionnement du compte est essentiellement débiteur, seuls les escomptes et quelques virements de la maison mère, la société Herka, pour alimenter la trésorerie, permettent de ramener le compte en position créditrice, notamment entre les mois de mai et juillet 2019, plus aucun virement n'intervenant à compter de mois de septembre, les opérations étant majoritairement au débit du compte.

En outre, peu de factures sont réglées au comptant.


Sur l'ensemble de l'année, le compte de la société R-System est systématiquement débiteur et les nombreux intérêts au titre du découvert, mais aussi les frais pour rejets de prélèvements, ne peuvent être ignorés par le Crédit Agricole, qui a le compte ouvert dans ses livres et ne peut que recevoir des alertes quant à la situation.


La position du compte à la fin du mois de septembre était débitrice et le choix d'escompter la première lettre de change dans cette situation ne permet au compte de redevenir créditeur que de manière artificielle, ce qui est également le cas lors du second escompte, alors que sur le mois d'octobre 2019, les rejets de prélèvements se multiplient.

Le 10 octobre 2019, on constate également le rejet de plusieurs chèques émis au mois de septembre 2019.

Enfin, il est rappelé que lors du placement en redressement judiciaire de la société R-System le 18 décembre 2018, la date de cessation des paiements a été fixée au 15 janvier 2018. Certes, l'appelante ne pouvait deviner cette date lors des deux escomptes, mais elle vient démontrer le fonctionnement anormal mais surtout débiteur du compte sur l'année 2018.


Au regard de ces éléments, la mauvaise foi du Crédit Agricole est caractérisée et la société Sadu est fondée à lui opposer l'inexécution par la société R-System des contrats qui fondaient l'émission des deux lettres de change, étant rappelé que l'inexécution contractuelle n'est pas contestée par l'appelante.


Le Crédit Agricole ne développe aucun moyen particulier à titre subsidiaire c'est-à-dire hors droit cambiaire. Toutefois, il ne peut qu'être remarqué que la société Sadu était bien fondée à refuser de payer les sommes réclamées alors qu'elle pouvait se prévaloir de l'exception d'inexécution prévue à l'article 1219 du code civil🏛.


Par conséquent, il convient de confirmer dans son intégralité la décision déférée.


Sur les demandes accessoires


Le Crédit Agricole, qui échoue en ses prétentions, est condamné à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel.


L'équité commande d'accorder à la société Sadu une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Le Crédit Agricole est condamné à lui payer la somme de 5 000 euros.



PAR CES MOTIFS,


La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel,


Confirme en intégralité la décision déférée,


Y ajoutant


Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies à supporter les dépens de la procédure d'appel,


Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoies à payer à la SAS Sadu la somme de 5 000 euros à titre d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.


LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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