La lettre juridique n°392 du 22 avril 2010

La lettre juridique - Édition n°392

Éditorial

Réforme de la procédure pénale : recherche "MAM" désespérément...

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N9471BN4

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Allez ! Disons le tout net : aucune réforme actuelle ne cristallise autant l'attention, ne suscite autant de crispations et, finalement, n'est autant marquée par les doutes qu'elle suscite (en attendant la prochaine réforme des retraites), que cette réforme de la procédure pénale, tant attendue, mais tant décriée...

C'est que, avant même que l'avant-projet de loi ne soit soumis à la concertation aux principaux corps professionnels de la justice pénale (magistrats et avocats), cette réforme, aux allures d'Arlésienne, s'inscrivait après celle de la carte judiciaire qui, et c'est le moins que l'on puisse dire, n'avait pas brillé par le dialogue, voire, ne serait-ce, par l'écoute des arguments des principaux protagonistes judiciaires.

Ensuite, en posant comme préalable non négociable la "suppression" du juge d'instruction et le report de ses fonctions d'enquête sur la tête d'un Parquet dont il est nullement question de revenir sur la dépendance du statut à l'égard de l'exécutif, cette réforme s'engageait forcément mal, au pays de Voltaire et Rousseau, c'est-à-dire dans un pays dont le terreau révolutionnaire aspire, ne serait ce que putativement, à "déboulonner" les élites !

Enfin, si l'on ajoute au timing et au manque de diplomatie, la surdité du ministère régalien de la Justice aux exigences et récriminations de la Cour européenne des droits de l'Homme, tant au sujet de la garde à vue et de la présence de l'avocat à la première heure pour une efficacité de la défense, qu'en ce qui concerne la dépendance du Parquet mise en cause lorsqu'il est en charge de la détention provisoire : le tableau, bien que picaresque et empreint de plusieurs touches de pinceau ("Magendie", "Guinchard" et surtout "Léger"), est loin de constituer une "Impression soleil levant"...

Alors faut-il que tous les acteurs de cette pièce en trois actes (Acte I - L'avant-projet ; Acte II - Les contre-propositions ; Acte III - Le projet définitif ; en oubliant peut être l'Epilogue devant le Parlement) veuillent sincèrement réformer une justice pénale plus que centenaire, pour dépasser le climat délétère qui entoure, malheureusement, cette réforme essentielle pour la modernisation de la notre démocratie.

Seulement, voilà : alors que la partition devrait être la même pour les défenseurs des droits et libertés, bien que le thème orchestré soit souvent un requiem pour la détention carcérale, les violons semblent mal accordés et le diapason de l'unité ne semble pas battre la mesure...

Première fausse note : devant l'insoutenable attente d'une réponse des Sages de la rue de Montpensier sur la légalité de la garde à vue à la suite d'un ribambelle de questions prioritaires de constitutionnalité, ce sont les magistrats de la Cour de cassation qui dégainent les premiers, dans un avis à remettre prochainement au Garde des Sceaux, et dont la sonorité nous est déjà parvenue par voie de presse. En substance, les Hauts magistrats considèrent que l'avant-projet de loi "ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l'exercice des droits de la défense et des victimes", en remettant en cause le rôle du Parquet dans la garde à vue. Et, de préciser que "le contrôle de la garde à vue ne peut dépendre de l'autorité de poursuite" (le Parquet). Ce contrôle, exercé par un juge indépendant, doit être "prompt et automatique" et "comporter le pouvoir d'ordonner la libération de la personne gardée à vue", si le juge l'estime nécessaire. La Cour de cassation souligne que le juge de l'enquête et des libertés, chargé, dans l'avant-projet de loi, d'exercer un contrôle des enquêtes conduites par le Parquet, et non plus par le juge d'instruction, doit avoir "une permanence d'intervention" dans les investigations. Autrement dit, la Cour régulatrice craint une "paralysie" de certaines enquêtes (source Le Point.fr).

Premier bémol, toutefois : l'Ordre des avocats de Paris, représentant la moitié de la profession d'avocat, par la voie de son vice-Bâtonnier Jean-Yves Leborgne, soutient la suppression du juge d'instruction. "Je suis favorable depuis toujours à l'orientation générale du projet, qui était également celle du rapport Delmas-Marty'", confie le vice-Bâtonnier au Figaro, "et qui consiste à confier l'enquête et les poursuites au parquet, sous le contrôle d'un juge du siège aux pouvoirs renforcés". Et loin de vouloir pratiquer la politique de la chaise vide, comme l'ont fait les syndicats de magistrats notamment, le barreau de Paris accepterait bien l'idée que le Parquet soit en charge de l'enquête, si son indépendance dans la conduite de l'enquête est garantie et, surtout, si les droits de la défense et les libertés sont renforcées. La pierre d'achoppement, pour le ténor parisien de l'avocature, est bien l'équilibre des pouvoirs et droits dans le cadre de l'instruction et de l'audience pénale.

"A hue et à dièse", le Conseil national des barreaux et l'Union syndicale de la magistrature tentent l'unité du corps judiciaire face à l'exécutif. Le discours est sensiblement le même que celui prononcé par l'Etat major de l'Ordre parisien, et sans doute celui que tiendra la Conférence des Bâtonniers : introduire ou renforcer le contradictoire à tous les stades de la procédure. Mais, chanter en canon demande beaucoup d'habilité ; le Conseil national et l'Union syndicale ont précisé que les propositions présentées n'étaient pas directement liées à la concertation "imposée" par la Garde des Sceaux sur l'avant-projet de réforme, même qu'ils souhaitaient, dans ce cadre, se positionner en "force de proposition"... Dans la concertation, mais pas autour de la table... quand le barreau de Paris accepte de s'asseoir et de négocier ce qui est négociable et profitable pour les droits de la défense...

Et bien, dans ces circonstances particulières et peu propices à l'aboutissement d'une réforme acceptable par l'orchestre judiciaire, il n'y a qu'une seule personne qui peut mettre de l'ordre : le chef d'orchestre, alias le Garde des Sceaux. Et, si l'on avait pu dire de la précédente locataire de la place Vendôme, "who's that girl", Michèle Alliot-Marie a un passé qui plaide pour elle.

Il n'est point besoin de remonter à sa naissance à Villeneuve-le-Roi, le 10 septembre... (restons courtois), pour entrevoir tout le bénéfice qu'il y aurait à tirer de négocier avec l'ancienne ministre de la Défense et ancienne ministre de l'Intérieur. Il n'y a qu'à ce souvenir que, lorsqu'elle est nommée, en 2002, ministre de la Défense, ne l'attendent rien de moins que la loi de programmation militaire, la consolidation de la professionnalisation de l'armée, la restructuration du GIAT et la transformation de la DCN ! Au final, sans tomber dans le panégyrique, le ministre aura su conquérir et conserver l'estime d'un corps militaire, peu amène, augmenter considérablement le budget de la Défense... et défendre les crédits prévus par la loi de programmation, contre le locataire de Bercy de l'époque (2004)... Nicolas Sarkozy. Et, comme ministre de l'Intérieur, l'on retiendra essentiellement la réforme des services de renseignement français, avec la fusion de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et de la Direction centrale des Renseignements généraux (DCRG) au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le 1er juillet 2008 ; ce qui, convenons en, n'était pas une mince affaire.

Par conséquent, on ne pourra pas dire que "MAM" n'était pas le bon ministre au bon moment : elle sait mener des réformes difficiles, dans la concertation. Gageons, alors, que l'appendice "d'Etat" ne soit pas purement décoratif, et qu'il lui laisse les coudées franches pour arrondir les contours d'une réforme de la procédure pénale nécessaire mais acceptable par tous.

"La bonne politique n'est pas de s'opposer à ce qui est inévitable ; la bonne politique est d'y servir et de s'en servir", nous livre d'Ernest Renan dans La Réforme intellectuelle et morale de la France.

Reste que négocier avec la Grande muette et avec l'orchestre polyphonique du barreau ne relève pas forcément de la même approche...

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Fiscalité du patrimoine

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - avril 2010

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par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en matière de fiscalité du patrimoine, réalisée par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris. Cette chronique nous rappelle que le recel successoral emporte de lourdes conséquences sur le plan civil. Le juge de l'impôt y ajoute une peine complémentaire, même si cette dernière est temporaire, à savoir la possibilité pour l'administration de réclamer au receleur le complément de droits dus sur les biens réintégrés à la succession (Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21.080, FS-P+B). On remarquera, également, s'agissant de la qualification de versement en rente (déductible du revenu du débiteur) ou en capital (non déductible) pour les prestations compensatoires à la suite d'un divorce, que ce sont les modalités selon lesquelles le juge a prescrit au débiteur de s'en acquitter qui permettent de trancher (CAA Paris, 5ème ch., 18 février 2010, n° 08PA04916, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, aux termes d'une décision du 5 février 2009, le tribunal administratif d'Amiens retient que la circonstance qu'une distribution de bénéfices entre les mains des porteurs de parts ne soit pas conforme aux montants fixés par la délibération de l'assemblée générale régulièrement composée, ne fait pas obstacle, à hauteur de ses droits dans la société, à ce que la part allouée, conformément aux termes de cette même délibération, puisse permettre de prétendre au bénéfice de l'avoir fiscal attaché (TA Amiens du 5 février 2009, n° 0700155, mentionné aux tables du recueil Lebon).


I - Solidarité fiscale pour le paiement des droits de succession : Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21.080, FS-P+B (N° Lexbase : A1717ETR)

Au nom de la solidarité édictée par l'article 1709 du CGI (N° Lexbase : L4051ICZ), le juge décide que l'héritier condamné pour recel successoral peut être poursuivi pour le règlement de l'ensemble des droits de succession exigibles par les héritiers, y compris ceux dus sur les biens recélés. En revanche, au-delà de cette obligation au paiement, la Cour de cassation précise que, s'agissant de la contribution au paiement, seul l'héritier non receleur est redevable des droits sur les bien recelés.

A - Obligation au paiement : la double peine provisoire de l'héritier receleur

L'hériter indélicat qui a dissimulé certains biens dépendant de la succession, soit pour se les approprier, soit pour les soustraire aux créanciers du défunt est sévèrement sanctionné lorsque sa fraude est découverte. Il est, d'une part, réputé acceptant la succession purement et simplement, de sorte que les créanciers peuvent éventuellement le poursuivre sur ses biens personnels et, d'autre part, privé de ses droits dans les biens recelés. Cette peine, civile, se cumule avec une peine, fiscale, puisque, au nom de la solidarité, l'administration peut lui réclamer les droits dus sur les biens recelés. Dans l'affaire récemment soumise à la Haute juridiction, un héritier et le conjoint survivant avaient dissimulé à l'enfant d'un précédent mariage des fonds détenus par le défunt en Suisse. Ayant eu connaissance du jugement de première instance retenant à leur encontre un recel successoral, l'administration avait notifié un rappel de droits de succession à l'héritier receleur. A la suite de sa condamnation définitive en appel, ce dernier avait donc contesté ce rappel en soutenant qu'il n'était redevable d'aucun droit sur les biens recelés au motif qu'ils avaient été attribués à l'enfant du premier lit. Sur pourvoi, la Cour de cassation précise que, néanmoins, l'administration reste en droit, sur le fondement de la solidarité fiscale prévue à l'article 1709 du CGI, de lui réclamer l'ensemble des droits dus au titre de la succession. En effet, même si l'auteur du recel est privé de tout droit sur les biens recelés, il n'en demeure pas moins héritier. A ce titre, il est donc solidaire pour le paiement de tous les droits de succession dus, y compris ceux sur les biens intégrés à la suite de la découverte du recel. Il est donc ultérieurement contraint de se retourner contre son cohéritier, auquel ont été attribués les biens recélés, pour lui réclamer la quote-part de droits sur ces biens.

B - Contribution au paiement : l'héritier non receleur est redevable final des droits

Dans toutes les situations, que le recel soit reconnu avant ou après le dépôt de la déclaration de succession, seul l'héritier victime et attributaire des biens recelés est redevable définitif des droits sur ces biens qui viennent augmenter sa part successorale. La difficulté à résoudre concerne, d'une part, le point de départ du délai pour déposer la déclaration complémentaire lorsque le recel est avéré postérieurement au dépôt de la déclaration initiale et, d'autre part, l'existence de pénalités.

  • Recel découvert après le dépôt de la déclaration

La première question à résoudre est la suivante : doit-on considérer que les biens recelés ont été omis ou qu'ils rentrent dans la succession du défunt ?

Si la déclaration complémentaire est déposée par la victime du recel, il est incontestable que le point de départ pour la déposer est la date à laquelle l'héritier étranger au recel en a eu connaissance, soit en principe, dans les six mois de la décision définitive condamnant le receleur. Par suite les pénalités de retard ne peuvent commencer à courir que si ce délai est dépassé. En effet, le jugement qui constate le détournement est le titre en vertu duquel la succession ou certains ordres d'héritiers sont devenus propriétaires de valeurs ne dépendant pas en apparence de la succession au moment du décès. C'est le jugement qui fixe la réalité de la transmission, et c'est lui aussi, par conséquent, qui doit servir de base au délai de six mois accordé pour le paiement de l'impôt.

En revanche, si la déclaration complémentaire est déposée par l'héritier receleur, ce dernier reconnaît, ainsi, une omission puisqu'il avait connaissance de la soustraction frauduleuse de biens dépendant de la succession. Dans cette hypothèse les pénalités de retard devraient pouvoir être réclamés au seul receleur. Cependant, on remarquera que dans cette hypothèse, dans l'affaire qui était soumise à la Cour, l'administration avait, avant l'appel, prononcé le dégrèvement des majorations réclamés aux héritiers receleurs.

  • Recel découvert avant le dépôt de la déclaration

Dans l'hypothèse où la découverte du recel est antérieure à la déclaration de succession et que les biens ou valeurs divertis ont été omis, les parties ont alors commis une omission parfaitement caractérisée (en ce sens, Maguero, Traité alphabétique des droits d'enregistrement, de timbre et d'hypothèque, v. Recel, n° 22). Les pénalités de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) sont, alors, applicables. Le recouvrement de ces pénalités est assuré et suivi, conformément aux dispositions de l'article 1736 du CGI (N° Lexbase : L5775IEM), contre tous les débiteurs tenus du principal des impôts ou déclarés solidaires par le même code pour le paiement des pénalités.

II - Impôt sur le revenu et déductibilité des pensions et prestations compensatoires versées sous forme d'avantage en nature : CAA Paris, 5ème ch., 18 février 2010, n° 08PA04916, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0179ETS)

Le juge considère que la mise à disposition d'un bien au profit de l'ex-épouse, mise à disposition assortie de conditions spécifiques en cas de déménagement ou de remariage, constitue une prestation compensatoire sous forme de rente et non sous forme de capital. Le débiteur est donc en droit de la déduire de son revenu imposable.

Prestation compensatoire : rente ou capital ?

Avant la réforme introduite en 2000, le droit civil accordait une préférence au versement de prestation compensatoire sous forme de capital. Lorsque le patrimoine du débiteur le permettait, cette prestation était versée sous forme de capital (C. civ., art. 274 N° Lexbase : L2840DZ9). A défaut, elle prenait la forme d'une rente (C. civ., art. 276 N° Lexbase : L2843DZC). En revanche, le droit fiscal incitait au versement d'une rente, celle-ci étant déductible du revenu imposable. Ce qui n'était pas accordé au versement en capital. La loi du 30 juin 2000 (loi n° 2000-596 N° Lexbase : L0672AIQ), maintenant la prééminence d'un versement en capital, en a facilité l'attribution en prévoyant, notamment, un versement échelonné sur une période de huit ans, le "capital renté". D'où l'intérêt de la qualification de capital ou de rente. Il convient, alors, de se référer aux modalités selon lesquelles le juge a prescrit au débiteur de s'acquitter de la prestation. Ainsi, des versements mensuels imposés pour une durée de quinze ans sont représentatifs d'une prestation sous forme de rente, même si leur montant fixé en considération de la charge d'emprunt de son bénéficiaire n'a pas fait l'objet d'une indexation (CE Contentieux, 26 janvier 2000, n° 178564 N° Lexbase : A5414AY8). De même, constitue une prestation compensatoire sous forme de rente, d'une part, la prise en charge du paiement des échéances restant dues de prêts contractés par le couple, d'autre part, un versement en argent échelonné sur trois ans (CE 9° et 10 ° s-s-r., 14 mai 2007, n° 264495 N° Lexbase : A3866DW4). En revanche, si la convention de divorce stipule que l'ex-époux doit verser une prestation correspondant à l'attribution viagère d'un droit d'usage et d'habitation sur un immeuble dont il est propriétaire, cet abandon de biens constitue un versement en capital (CE 9° et 10° s-s-r., 14 mai 2007, n° 278499, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3876DWH).

Autrement dit, le critère retenu pour qualifier de rente ou de capital est celui des modalités de versement. Le juge retient le rythme et la durée et non la nature intrinsèque de l'avantage accordé. Ainsi, une prestation versée en quarante mensualités est une rente (CE Contentieux, 9 octobre 1991, n° 67692 N° Lexbase : A9119AQS). Ce qui est conforme à la règle civile qui, lorsque le débiteur ne dispose pas de liquidités suffisantes pour verser un capital lui permet de constituer ce capital en trente six mensualités (Cass. civ. 2, 14 octobre 1987, n° 86-15.182 N° Lexbase : A4625CHR). Dans l'affaire soumise à la cour administrative d'appel de Paris, ce critère a été, une nouvelle fois mis en oeuvre. Ainsi, se référant aux modalités selon lesquelles le débiteur a été dans l'obligation de s'acquitter de la prestation, le juge, constatant qu'il n'avait pas été imposé à l'ex-époux une attribution viagère d'un droit immobilier, mais une jouissance gratuite, susceptible d'être substituée par une somme d'argent, en a déduit que la prestation était versée sous forme de rente, déductible.

III - Distribution de bénéfices entre les mains des porteurs de parts non conforme aux montants fixés par la délibération de l'assemblée générale régulièrement composée : TA Amiens, 5 février 2009, n° 0700155 (N° Lexbase : A8775EIT)

La décision régulière des distributions, ouvrant droit à l'avoir fiscal, est démontrée par la production d'une copie du procès-verbal de la délibération de l'assemblée générale de la société distributrice.

L'avoir fiscal, supprimé depuis le 1er janvier 2005, était exclusivement attaché aux produits distribués à titre de dividendes, en vertu d'une décision régulière prise par l'assemblée générale des actionnaires de la société distributrice, dans les conditions prévues par la loi du 24 juillet 1966 (loi n° 66-537 N° Lexbase : L6202AGS), sur les sociétés commerciales, (CGI, art. 158 bis N° Lexbase : L2613HLD). Ces dispositions conduisent, notamment, à refuser l'avoir fiscal, d'une part, aux sommes réintégrées dans les bénéfices de la société, tels que, par exemple, les intérêts alloués aux associés sur les sommes prêtées par eux à la société, et non déductibles pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés en vertu des articles 39-1-3° (N° Lexbase : L3894IAH) ou 212 (N° Lexbase : L3967HLI) du CGI, d'autre part, aux recettes commerciales dissimulées, appréhendées directement par des associés ou administrateurs, taxées nonobstant leur reversement ultérieur dans la caisse sociale. Les distributions régulières sont des distributions de dividendes décidées par l'assemblée générale des actionnaires ou des associés, réunie annuellement pour statuer sur les comptes de l'exercice écoulé ou des distributions d'acomptes sur dividendes effectuées avant l'approbation des comptes de l'exercice. L'organe normalement habilité pour prendre la décision de distribution est l'assemblée générale ordinaire des associés (C. com., art. L. 232-11 N° Lexbase : L6291AIT et L. 232 -12 N° Lexbase : L6292AIU). Au cas particulier de l'affaire soumise au tribunal administratif d'Amiens, le refus d'accorder l'avoir fiscal à la distribution décidée par la société a été jugé injustifiée au motif que l'associé produisait une copie du procès-verbal de la délibération de l'assemblée générale de la société dont une des résolutions prévoyait effectivement une distribution de dividendes.

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Rémunération

[Jurisprudence] La Cour de cassation apporte des précisions sur l'assiette des minima conventionnels

Réf. : Cass. soc., 7 avril 2010, n° 07-45.322, Société de transports en commun de Limoges (STCL), FS-P+B (N° Lexbase : A5782EUP)

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N9426BNG

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Les effets conjugués des 35 heures et de la crise économique et financière qui secoue depuis quelques mois la société française ont fait ressurgir les contentieux de l'application des minima conventionnels, les entreprises ne pouvant parfois justifier de leur respect qu'en intégrant un certain nombre de primes dont la nature pourrait sembler douteuse (I). C'est dans ce contexte social parfois tendu qu'intervient un nouvel arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 7 avril 2010 qui affirme, de manière tout à fait justifiée, que "la circonstance qu'une prime ait pour objectif le maintien du pouvoir d'achat n'exclut pas qu'elle soit versée en contrepartie du travail" (II).



Résumé

En l'absence de dispositions conventionnelles contraires, toutes les sommes versées en contrepartie du travail entrent dans le calcul de la rémunération à comparer avec le salaire minimum garanti.
La circonstance qu'une prime ait pour objectif le maintien du pouvoir d'achat n'exclut pas qu'elle soit versée en contrepartie du travail.

I - Principes applicables à la détermination de l'assiette des minima conventionnels

  • Problématique de l'assiette des minima conventionnels

Sous réserve du respect du salaire minimum national interprofessionnel de croissance (Smic), qui constitue un socle d'ordre public (social), les partenaires sociaux peuvent instaurer des rémunérations minimales conventionnelles plus favorables.

Plusieurs difficultés peuvent naître lors de l'application de ces dispositions, qu'il s'agisse d'apprécier la situation des salariés dans les classifications conventionnelles ou de vérifier s'ils perçoivent ou non le minimum exigé. Cette dernière difficulté provient du fait que toutes les sommes perçues par le salarié ne doivent pas être prises en compte pour vérifier s'il perçoit la rémunération minimum prévue par accord collectif, seuls les éléments de "rémunération" devant être pris en compte, à l'exception de toutes autres sommes n'ayant pas cette nature.

Dans un certain nombre d'hypothèses, en pratique assez fréquentes, les partenaires sociaux déterminent eux-mêmes la liste des sommes versées au salarié devant être, ou non, intégrées dans l'assiette du minimum conventionnel, et les juges feront d'ailleurs une application stricte de ces dispositions dès lors qu'elles ne dérogent pas au montant du Smic (1). Lorsque l'accord pose un principe d'inclusion de toutes les sommes perçues et exclut une liste limitative de sommes (méthode en pratique favorable à l'employeur), alors cette liste faisant figure d'exception sera interprétée de manière restrictive (2). Mais lorsque l'accord postule le caractère limitatif des sommes devant entrer dans l'assiette du minimum conventionnel, toutes les sommes qui ne figurent pas dans cette liste doivent, par conséquent, en être exclues et venir en supplément du minimum (solution favorable donc aux salariés) (3).

  • Analogie avec la détermination de l'assiette du Smic

Lorsque l'accord collectif ne prévoit rien (4), il appartient au juge de déterminer si les sommes versées au salarié entrent ou non dans l'assiette du minimum conventionnel et ce dernier trouvera dans les dispositions du Code du travail applicables au Smic une aide précieuse car l'analogie est ici des plus évidentes.

Avant sa recodification, l'article D. 141-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3714AB8) disposait que "le salaire horaire à prendre en considération [...] est celui qui correspond à une heure de travail effectif compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire, à l'exclusion des sommes versées à titre de remboursement de frais, des majorations pour heures supplémentaires prévues par la loi et, pour la région parisienne, de la prime de transport".

Ce texte a été légèrement réécrit à l'occasion de sa recodification, même si son sens et sa portée n'ont, bien entendu, pas été modifiés (5). L'article D. 3231-6 du Code du travail (N° Lexbase : L9056H9B) dispose, désormais, que "le salaire horaire à prendre en considération pour l'application de l'article D. 3231-5 (N° Lexbase : L9059H9E) est celui qui correspond à une heure de travail effectif compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire. Sont exclues les sommes versées à titre de remboursement de frais, les majorations pour heures supplémentaires prévues par la loi et la prime de transport".

La lecture du texte apporte plusieurs enseignements (6).

L'article D. 3231-6 donne deux séries d'indications pour son interprétation, les premières positives, en désignant des catégories de sommes perçues et devant entrer dans l'assiette de calcul, les secondes négatives comportant une liste d'exclusions.

Au titre des inclusions, il convient de prendre en compte les "avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire".

Au titre des exclusions, le texte vise "les sommes versées à titre de remboursement de frais, les majorations pour heures supplémentaires prévues par la loi et la prime de transport".

Le moins que l'on puisse dire est que l'article D. 3231-6 ne livre pas véritablement de critère opérationnel en visant les "majorations diverses ayant le caractère d'un complément de salaire".

Il convient donc de se demander, pour sonder les intentions du texte, quels sont les "caractères" du salaire, pour ensuite appliquer le résultat à des sommes pouvant être assimilées au salaire "de base".

  • Critère de la contrepartie

La Cour de cassation a, au fil des années, précisé les critères pertinents à prendre en compte.

C'est, tout d'abord, l'analyse de la cause du versement qui constitue le critère prépondérant, et c'est, d'ailleurs, sur ce point que se concentrent les désaccords. Selon la Cour de cassation, doivent être intégrées dans l'assiette les primes qui sont la "contrepartie effective du travail fourni" (7) et exclues les "primes qui ne rémunèrent pas le travail fourni" (8). Ont ainsi été intégrées dans l'assiette une prime annuelle de congés (9), de vacances (10) ou de jours fériés (11), de treizième mois (12) ou de fin d'année (13), une prime de bilan (14), une prime de rendez-vous (15), une prime de polyvalence liée à la "performance" du salarié (16), une prime de rentabilité (17) ou de rendement (18), une prime "qualité" (19) ou de "valeur personnelle" (20), une prime d'avancement d'échelon (21), de commissionnement (22), une prime d'amplitude journalière "versée aux salariés des entreprises de transports routiers [...] dès lors qu'elle s'ajoutait au salaire de base garanti, qu'elle est garantie dans les mêmes conditions que le salaire de base [...], qu'elle présente un caractère uniforme et forfaitaire et constitue une rémunération sur lequel le salarié peut toujours compter" (23), ou, encore, une prime de compensation horaire (24), et plus généralement à toutes les compensations salariales (25). Il s'agit ici encore de primes ayant pour cause le travail du salarié, plus exactement la durée du travail du salarié, mais sans qu'il soit question de travail effectif ; la meilleure preuve est que la prime d'amplitude journalière vise une période "qui correspond aux nombres d'heures séparant le début de la journée de travail de son achèvement" et qui "ne saurait se confondre avec le temps effectif de conduire, celle-ci étant interrompue par des périodes de repos" (26).

Les sommes qui constituent la contrepartie de frais réellement exposés par le salarié dans l'exercice de son travail sont donc logiquement exclues de l'assiette des minima car ils ne sont pas la contrepartie du travail du salarié, mais de la dépense effectuée (27). C'est, d'ailleurs, le sens des nombreuses circulaires ministérielles publiées depuis 1950 pour préciser la liste des sommes qui doivent être intégrées dans l'assiette du Smic (28).

  • Sommes exclues

En revanche, la prime qui trouve sa cause dans des éléments étrangers au travail du salarié doit logiquement être exclue de l'assiette de calcul du Smic, qu'il s'agisse d'écarter des primes liées à des données ou des qualités inhérentes à la personne du salarié, indépendantes donc du travail réalisé (prime d'ancienneté (29), d'assiduité (30) ou de fidélité (31)), des données collectives indépendantes du travail du salarié (32), car la prime dépend alors "de facteurs sur lesquels les salariés n'avaient pas d'influence directe" (33), des primes visant à compenser des "sujétions particulières" (34) (alors que la prise en compte des conditions générales de la relation de travail relève des compléments de rémunération, comme cela a été montré antérieurement), qu'il s'agisse de l'insalubrité (35), la pénibilité (36), l'insécurité (37), la cherté de la vie du salarié (38), le "travail de nuit, le dimanche ou les jours fériés", car "ces sommes ne correspondent pas à un travail qui différerait de celui des périodes diurnes ou des jours ouvrables mais compensent la privation d'un repos nocturne, dominical ou légal" (39), ou la soumission à une obligation de non-concurrence (40).

Ont également été écartées de l'assiette du Smic des primes dont le montant présente un caractère aléatoire et qui ne peuvent, dès lors, être intégrées dans l'assiette puisqu'elles ne peuvent avoir pour cause le travail accompli par le salarié qui relève d'une logique commutative, à l'instar du salaire (41). Il s'agit ici d'exclure les primes d'assiduité (42) ou de "non-accident" (43).

La jurisprudence écarte également des primes en cas de versement irrégulier (44), rejoignant en cela doublement les critères du salaire qui doit être payé une fois par mois (45) et dont le montant doit être constant (46), puisque connu à l'avance, et se fonde sur la mensualisation de certaines primes qui perdent ainsi leur caractère indemnitaire et peuvent, dès lors, être intégrées dans l'assiette du Smic, comme une prime de chauffage versée chaque mois et d'un montant fixe (47), ou la prime d'amplitude "versée aux salariés des entreprises de transports routiers [...], dès lors qu'elle s'ajoutait au salaire de base garanti, qu'elle est garantie dans les mêmes conditions que le salaire de base[...], qu'elle présente un caractère uniforme et forfaitaire et constitue une rémunération sur lequel le salarié peut toujours compter" (48), ou d'une garantie mensuelle de rémunération (49). C'est également en raison du caractère non périodique de son paiement qu'une prime de fin d'année a pu être écartée de l'assiette du Smic, la Cour ayant souligné, pour s'en justifier, qu'elle était "habituellement réglée au personnel de l'entreprise en deux fois, par une avance au mois de juin, et par le règlement du solde au mois de décembre" (50). C'est d'ailleurs la position de l'administration depuis 1981 (51).

II - Confirmation de l'inclusion de sommes versées en contrepartie du travail ayant pour finalité le maintien du pouvoir d'achat

  • L'affaire

C'est dans ce contexte qu'intervient cette nouvelle décision concernant l'assiette des minima conventionnels prévus par la Convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs.

En l'espèce, 66 salariés de la Société de transports en commun de Limoges (STCL) avaient saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire en invoquant la convention d'entreprise du 10 février 1975, qui prévoit "un versement de 22 francs par agent à compter du 1er janvier 1975 en réajustement de l'indice des prix pour l'exercice considéré. Ce versement sera fait au titre de l'amélioration du pouvoir d'achat pour l'année 1974" et en contestant le fait qu'à partir de janvier 2002, la STCL avait décidé d'inclure ce "versement uniforme" dans le salaire de base versé.

Le conseil de prud'hommes de Limoges leur avait donné raison après avoir considéré que le "versement uniforme" avait pour objectif le maintien du pouvoir d'achat des salariés et qu'il était donc sans lien avec le travail proprement dit.

Ce jugement est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant que "la circonstance qu'une prime ait pour objectif le maintien du pouvoir d'achat n'exclut pas qu'elle soit versée en contrepartie du travail".

  • Confirmation du critère général de la contrepartie

L'arrêt confirme, tout d'abord, le critère tiré de l'analyse de la cause des sommes concernées qui doivent être versées "en contrepartie" du travail effectué, la Cour ne reprenant pas la référence au caractère "direct" de celle-ci et qui apparaissait dans certains arrêts antérieurs (52).

  • Indifférence de la finalité de la prime

La Cour prend toutefois position sur un élément intéressant, à savoir la finalité de la prime litigieuse, qui était ici d'assurer le maintien du pouvoir d'achat. Selon la Haute juridiction, en effet, la circonstance que la prime vise à en assurer le maintien n'est pas de nature à exclure son intégration dans l'assiette du minimum conventionnelle.

La solution est extrêmement intéressante dans la mesure où elle permet à la Haute juridiction de donner du sens à sa jurisprudence.

Lorsqu'elle considère, en effet, que les primes entrent dans l'assiette du minimum conventionnel parce qu'elles sont versées en contrepartie du travail fourni par le salarié, la Haute juridiction signifie simplement que le salarié acquiert ce droit en fournissant à l'employeur sa prestation de travail, sans, d'ailleurs, nécessairement que la prime ait pour finalité de rémunérer directement le travail fourni.

Affirmer le contraire serait, en effet, confondre salaire et rémunération, car si le premier apparaît comme la contrepartie directe et immédiate du travail effectif fourni par le salarié, la seconde décrit plus largement des sommes versées en contrepartie du travail, mais qui ont, par hypothèse, une finalité autre que le paiement de contrepartie du travail effectivement fourni. Dans ces conditions, il est logique d'affirmer qu'une prime peut avoir pour finalité de sauvegarder le pouvoir d'achat des salariés, ce qui constitue une finalité à la fois étrangère au travail fourni et distincte du salaire, et entrer dans l'assiette de la rémunération dès lors qu'elle constitue un droit acquis par le travail du salarié. On peut, alors, considérer que le salaire présente une dimension contractuelle en ce qu'il constitue la contrepartie directe du travail auquel le salarié s'engage, alors que la rémunération présente une dimension nettement plus institutionnelle et appartient d'une manière plus large au statut du salarié.

Il serait toutefois inexact de considérer que la finalité de la prime ne pourrait jamais jouer aucun rôle dans la détermination des sommes entrant ou non dans l'assiette. Ce critère de la cause/finalité (encore appelée cause finale dans la quadrilogie aristotélicienne) vient, en effet, corroborer celui de la cause/contrepartie (encore appelée cause efficiente). Si l'on reprend l'exemple des sommes versées au salarié en remboursement de frais professionnels réellement engagés, cette somme n'est pas versée en contrepartie du travail fourni, mais de frais engagés, et a pour finalité de compenser un débours qui présente un caractère professionnel, et non de rémunérer un travail accompli.

Mais si elles vont souvent de paire lorsqu'elles concernent des situations simples (le salaire d'un côté, les frais de l'autre), ces deux conceptions de la cause se séparent parfois lorsqu'il s'agit d'apprécier des éléments de rémunération, des sommes pouvant trouver leur origine dans l'accomplissement de la prestation de travail et avoir une finalité plus large que la rétribution du travail, les sommes versées cherchant en réalité à récompenser la fidélité du salarié, son engagement au service de l'entreprise et le niveau de vie que son travail est susceptible de lui garantir.


(1) Dernièrement Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 07-42.873, M. Christian Rouillon, F-D (N° Lexbase : A0813EM3).
(2) Cass. soc., 7 mai 2002, n° 00-40.354, M. Jean-Luc Carde c/ M. José Baillet, FS-P (N° Lexbase : A6077AYQ), Dr. soc., 2002, p. 776, et les obs. ; Cass. soc., 2 avril 2003, n° 01-40.338, Société Assurances Chevalier Provence c/ M. Raymond Vivares, F-P (N° Lexbase : A6412A7M), Dr. soc., 2003, p. 661, et les obs..
(3) Cass. soc., 22 mai 2001, n° 98-45.645, M. Gérard Nuss c/ Mlle Lydie Thevenot (N° Lexbase : A4880ATW), Dr. soc., 2001, p. 766, et les obs..
(4) D'où la formule présente dans cet arrêt, comme dans de nombreux autres, témoignant du caractère supplétif des critères mis en oeuvre par le juge : "en l'absence de dispositions conventionnelles contraires [...]".
(5) Conformément au principe d'interprétation constante du Code du travail récemment affirmé par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 08-44.376, FS-P+B N° Lexbase : A7680EQI et nos obs., La Cour de cassation gardienne du principe de recodification du Code du travail à droit constant, Lexbase Hebdo n° 382 du 11 février 2010 - édition sociale N° Lexbase : N1653BNK).
(6) G. Pignarre, Salaire et accessoires, J.-Cl. Travail-Traité, Fasc. 25-10.
(7) Cass. soc., 25 novembre 1997, n° 95-41.234, Mme Marie-Joseph Coulaud, et autres c/ Etablissements Bachelier (N° Lexbase : A3349C3G). Pour l'intégration des garanties mensuelles de rémunération mises en place après le passage aux 35 heures, Cass. soc., 17 juin 2003, n° 00-21.407, Assedic des Hauts-de-France c/ Société Rabot-Dutilleul, FS-P (N° Lexbase : A8747C8H), Dr. soc., 2003, p. 1031, et les obs..
(8) Cass. soc., 28 septembre 2005, n° 03-41.571, Mme Nadia Labadi, F-D (N° Lexbase : A5819DKQ) : "les primes qui ne rémunèrent pas le travail fourni, mais sont liées à la présence ou à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, n'entrent pas dans le calcul de ce minimum".
(9) Cass. soc., 12 février 1985, Dr. soc., 1985, p. 819, chron. J. Savatier.
(10) Cass. soc., 17 mars 1988, n° 85-41.930, Société anonyme Cambrai Chrome c/ Mme Goulin (N° Lexbase : A7605AAW) ; Cass. soc., 2 mars 1994, n° 89-45.881, Mme Bouvier (N° Lexbase : A0409ABR), Bull. civ. V, n° 76 ; Cass. soc., 26 septembre 2001, n° 00-40.819, Société Axa Conseil, inédit (N° Lexbase : A1071AWL) ; CA Aix-en-Provence, 18ème ch. soc., 29 mars 1990 ; CA Aix-en-Provence, 9ème ch. soc., 26 mars 1990.
(11) Cass. soc., 26 septembre 2001, n° 00-40.819, préc..
(12) L'intégration dans l'assiette est, toutefois, subordonnée à sa mensualisation (Cass. soc., 17 mars 1988, n° 85-41.930, Société anonyme Cambrai Chrome c/ Mme Goulin N° Lexbase : A7605AAW, Bull. civ. V, n° 187 ; Cass. crim., 29 novembre 1988, n° 86-92.449, Lenoir Jérôme N° Lexbase : A8833AAE, Bull. crim. n° 405 ; CA Aix-en-Provence, 18ème ch. soc., 29 mars 1990 ; CA Aix-en-Provence, 9ème ch. soc., 26 mars 1990). Face à une "prime de treizième mois devant être payée annuellement et par référence à un salaire qui n'est connu qu'à la fin de l'année", les sommes sont exclues (Cass. crim., 27 janvier 1987, n° 84-95.098, Pierre J. N° Lexbase : A1984AB4, Bull. crim. V, n° 46). L'administration du travail va, d'ailleurs, au-delà puisqu'elle considère comme intégrable les primes de treizième mois, versées en une ou deux fois dans l'année, mais uniquement au titre du mois où elles sont versées (voir tableau préc.). L'analyse de G. Pignarre sur ce point est donc dans un premier temps erronée (Fasc. préc., n° 67), même si elle finit par l'admettre (n° 73).
(13) Cass. soc., 2 mars 1994, n° 89-45.881, préc..
(14) Cass. soc., 14 mai 1987, n° 84-43.769, M Maillard c/ Société à responsabilité limitée Mécaniglace (N° Lexbase : A7452AAA), Bull. civ. V, n° 322.
(15) Cass. soc., 13 mars 1990, n° 87-41.726, Groupement Progemin c/ Mme Roux (N° Lexbase : A3333AHW), Bull. civ. V, n° 116.
(16) Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.906, M. Gérald Kessler c/ Société à responsabilité limitée Sodetal Production (N° Lexbase : A8640AG4), Dr. soc., 1995, p. 503.
(17) Cass. soc., 30 mars 1994, n° 92-40.531, Société Aux Economes c/ Przybylinski (N° Lexbase : A2406AG9), RJS, 1994, n° 533 ("les 'gueltes', peu important qu'elles consistent en un pourcentage imprévisible et aléatoire sur le montant des ventes, constituent un élément de rémunération devant être ajouté au salaire de base fixe") ; Cass. soc., 4 juin 2002, n° 00-42.262, Mme Muriel Bertelli c/ Société Solodec, FS-P (N° Lexbase : A8582AYI), Dr. soc., 2002, p. 901, notre note.
(18) Cass. soc., 4 janvier 1958, Dr. soc., 1958, p. 212, Bull. civ. IV, n° 3 (se fonde sur l'absence de caractère aléatoire, instable et variable) ; Cass. soc., 17 octobre 1958, Dr. soc., 1959, p. 148, concl. R. Lindon ; Cass. soc., 25 novembre 1997, n° 95-41.234, Mme Marie-Joseph Coulaud, et autres c/ Etablissements Bachelier, inédit (N° Lexbase : A3349C3G).
(19) Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-42.261, M. Olivier Régis Beaumanoir c/ Mutuelle du Mans assurances-vie, F-D (N° Lexbase : A7323A3M).
(20) Cass. soc., 25 novembre 1997, n° 95-41.234, préc..
(21) Cass. soc., 24 novembre 1998, n° 97-43.728, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France c/ M. Tetillon et autres, publié (N° Lexbase : A6952C8Y) ; Cass. soc., 17 février 1999, n° 97-45.561, Mme Brigitte Lépine et autres, Mme Naïma Madak et autres, Mme Michèle Martin-Papin et autres c/ Fédération des organismes primaires et régionaux d'assurance maladie pour l'enfance inadaptée (Fopramei) et autres, inédit (N° Lexbase : A3535CLI) ; Cass. soc., 2 juin 1999, n° 97-45.739, Fédération des organismes de Sécurité sociale (Foss) du Sud-Est c/ Mme Carole Antunes et autres, inédit (N° Lexbase : A3535CLI) ; Cass. soc., 4 juillet 2001, n° 99-42.603, Fédération des organismes de Sécurité Sociale du Sud-Est c/ Mme Colette Fournier et autres, inédit (N° Lexbase : A5568CM8) ; Cass. soc., 4 février 2003, n° 00-45.280, Union pour la gestion des établissements des Caisses d'assurance maladie des régions Alpes, FS-D (N° Lexbase : A9129A4U) ; Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 02-43.701, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hauts-de-Seine c/ Mme Nicole Ben Khiria, F-D (N° Lexbase : A0611DBA).
(22) Cass. soc., 20 novembre 2001, n° 99-44.086, Mme Martine Ferron c/ Société HFP Phenix, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A8369CXA).
(23) Cass. crim., 18 juillet 1991, n° 89-83.128, Mendes Maïa Miguel et autre (N° Lexbase : A5046ABI).
(24) Cass. soc., 15 octobre 1987, n° 85-41.535, Société à responsabilité limitée Skalski Meubles c/ Mme Vincent et autre (N° Lexbase : A1979ABW), Bull. civ. V, n° 576. Sur ce point également, G. Pignarre commet une erreur en affirmant que "les indemnités compensatrices des réductions d'horaire" ne sont généralement pas considérées par les tribunaux comme des sommes versées en contrepartie du travail effectué et ne sont donc pas imputables sur les augmentations du Smic et des salaires minima (V. TI Auxerre, 12 août 1980, Dr. ouvrier, 1981, p. 64, note S. A.) (préc., n° 72).
(25) Cass. soc., 19 mars 1985, n° 84-43.194, Fédération Nationale des Travailleurs de la Céramique et autres c/ Société Lafarge-Réfractaires et autres (N° Lexbase : A3261AAZ), Dr. soc., 1985, p. 491 ; Cass. soc., 10 décembre 1985, n° 82-43.515, Société Kléber-Colombes c/ Catier et autres, Lexilas.
(26) Cass. crim., 11 mai 1982, n° 81-93.406, Giraux (N° Lexbase : A9600AAS).
(27) Sur la distinction entre les sujétions liées au travail, qui n'entrent pas dans l'assiette du principe de non-discrimination salariale, et les sujétions liées à l'emploi, qui justifient que les sommes versées le soient également aux représentants du personnel : Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-44.859, Mme Josiane Ayribat-Mane, FS-P+B (N° Lexbase : A6520ESB).
(28) Circulaire du 23 septembre 1950, qui fait référence aux primes, "qui, sans équivoque, correspondent effectivement à des dépenses supplémentaires pour les salariés, en raison du caractère ou des conditions particulières de leur travail" ; circulaire DRT n° 3/81 du 29 juillet 1981, qui fait référence "à des sujétions supplémentaires pour les salariés".
(29) Cass. soc., 1er juin 1983, n° 81-40.010, SA Preciss Fabrique d'Appareils Volumétriques de Précision pour Laboratoires c/ Dame Guillot, publié (N° Lexbase : A6639CEM), Bull. civ. V, n° 295 ; Cass. crim., 3 janvier 1986, n° 84-95.123, Jean B. (N° Lexbase : A3465AAL), Bull. crim., n° 4 ; Cass. soc., 27 janvier 1987, n° 84-95.098, préc., Bull. crim. n° 46 ; Cass. soc., 17 mars 1988, n° 84-14.494, Société anonyme Sofrapain Lyon c/ Urssaf de Lyon et son arrondissement (N° Lexbase : A8470AAX), Bull. civ. V, n° 194 ; Cass. crim., 29 novembre 1988, n° 86-96.566, Robert M., inédit (N° Lexbase : A1822C7M) ; Cass. soc., 12 novembre 1992, n° 89-45.090, Samda c/ Mme Allaire, inédit (N° Lexbase : A1971CSS) ; Cass. soc., 24 février 1993, n° 89-45.840, SA Proden Bravo c/ Mme Demoncy, inédit (N° Lexbase : A4702CZ8) ; Cass. soc., 19 juin 1996, n° 93-45.958, Fédération des organismes de Sécurité sociale région Sud-Est c/ M. Edouard Antunes et autres, inédit (N° Lexbase : A0249CXI) ; Cass. soc., 23 avril 1997, n° 94-41.701, Fédération des organismes de Sécurité sociale (Foss) de la région du Sud-Est, agissant pour le Centre Hélio marin de Vallauris c/ M. Yvan Borel et autres, inédit (N° Lexbase : A0980CZC) ; Cass. soc., 1er juin 1983, n° 80-41666, Société Wed c/ Fiquoy, publié (N° Lexbase : A6637CEK), Bull. civ. V, n° 294 et 295 ; Cass. soc., 19 juin 1996, n° 93-45.958, Fédération des organismes de sécurité sociale région Sud-Est c/ M. Edouard Antunes et autres, inédit (N° Lexbase : A0249CXI), RJS, 1996, n° 1048 ; Cass. soc., 26 septembre 2001, n° 00-40.819, préc. ; Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 02-43.701, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hauts-de-Seine c/ Mme Nicole Ben Khiria, F-D (N° Lexbase : A0611DBA) ; Cass. soc., 8 juin 2005, n° 04-46.233, Caisse de Mutualité sociale agricole, F-D (N° Lexbase : A6582DIM) ; Cass. soc., 28 septembre 2005, n° 03-41.571, Mme Nadia Labadi, F-D (N° Lexbase : A5819DKQ).
(30) Cass. crim., 10 mai 1983, n° 82-90.654, publié (N° Lexbase : A9149CGX), Bull. crim., n° 137 ; Cass. soc., 27 janvier 1987, n° 84-95.098, préc. ; Cass. soc., 12 novembre 1992, n° 89-45.090, Samda c/ Mme Allaire, inédit (N° Lexbase : A1971CSS) ; Cass. soc., 19 juin 1996, n° 93-45.958, préc. ; Cass. soc., 23 avril 1997, n° 94-41.701, préc. ("récompenser la stabilité et l'assiduité des salariés") ; Cass. soc., 19 mars 1985, n° 83-45.027, Société Usines et Aciéries de Sambre et Meuse SA c/ Pronier, Boucart, Carmelez, Vasseur, Genard et autres (N° Lexbase : A2827AAX), Bull. civ. V, n° 192.
(31) Indemnité de non-concurrence : Cass. soc., 14 janvier 1988, n° 85-42.047, M. Goldschmidt c/ Société à responsabilité limitée Synergie (N° Lexbase : A6749AA9), Bull. civ. V, n° 43.
(32) Cass. crim., 5 novembre 1996, n° 95-82.994, X et autre (N° Lexbase : A9655AAT), Bull. crim. n° 393 ; Cass. soc., 25 novembre 1997, n° 95-41.234, préc. (prime de groupe) ; Cass. soc., 7 avril 2004, n° 02-41.616, Société Coopérative Lorans c/ M. Bruno Henri, F-D (N° Lexbase : A8428DBR) (prime de résultat collectif) ; Cass. soc., 2 avril 2003, n° 01-41.852, M. Jean-François Le Gallouedec c/ Société Coopérative Lorans, F-D (N° Lexbase : A6582A7W).
(33) Cass. crim., 5 novembre 1996, n° 95-82.994, préc..
(34) Cass. soc., 17 mars 1988, n° 85-41.930, préc. ; Cass. soc.,13 octobre 2004, n° 02-44.650, Société des cinémas de Quétigny, F-D (N° Lexbase : A6083DDN) : "prime dite 'de complexe', d'un montant égal à 10 % du salaire [...] attribuée dans les complexes cinématographiques à l'employé de caisse assurant seul la vente des billets pour plusieurs salles, [...] ayant pour objet de compenser des sujétions particulières" ; Cass. soc., 24 novembre 2004, n° 02-44.488, SPPH c/ Mme Marie-Laure Bardot, F-D (N° Lexbase : A0297DEQ) : "prime d'équipe [...] destinée à indemniser les salariés des sujétions particulières qu'ils subissaient du fait des changements de rythme de travail de certains services".
(35) Cass. soc., 19 mars 1985, préc..
(36) Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 98-44.627, Société Pellerin c/ M. Vincent et autres (N° Lexbase : A4837AGA), Dr. soc., 2000, p. 206, notre note.
(37) Accordée au salarié en raison d'une absence d'accidents du travail causés dans l'entreprise (Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-42.758, Société Beugniet c/ M. Gosselin N° Lexbase : A6285AGU, Dr. soc., 2001, p. 1004, notre note).
(38) Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-41.031, Association Réunion des assureurs maladie c/ Mlle Juliana Boyer, F-P (N° Lexbase : A6285AGU), Dr. soc., 2003, p. 659, notre note : "la prime de 'cherté de la vie' dans les départements d'outre mer [qui] n'est pas été perçue en contrepartie du travail et ne constitue pas un complément de salaire au sens de l'article D. 141 3 du Code du travail".
(39) Cass. soc., 17 mars 1988, n° 84-14.494, préc. ; Cass. soc., 29 mars 1995, D., 1995, somm. p. 372.
(40) Cass. soc., 14 janvier 1988, n° 85-42.047, préc..
(41) Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-41.191, M. Christophe Fauconneau Dufresne, F-P+B (N° Lexbase : A1112ELR) ; Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-42.551, Société Etienne Lacroix, F-D (N° Lexbase : A0944EMW) : le salaire minimum conventionnel correspondant à la classification dont bénéficie la salariée n'inclut pas le "complément individuel non indexé" (Cini), qui est variable selon les salariés.
(42) Cass. soc., 27 janvier 1987, n° 84-95.098, préc..
(43) Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-42.758, préc. ; Cass. soc., 23 mars 2005, n° 02-46.715, Société Recyclage, emballage, industrie (REI) c/ M. Christophe Cadain, F-D (N° Lexbase : A4107DHL).
(44) Cass. soc., 3 mars 1988, n° 86-40.001, Société Les ateliers mécaniques du Velay c/ M. Archer et autres (N° Lexbase : A7800AA7), Bull. civ. V, n° 158. Pour un "bonus discrétionnaire" : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-40.600, Société BNP Paribas, F-D (N° Lexbase : A7413DY9).
(45) C. trav., art. L. 3242-1, al. 3 (N° Lexbase : L0880H9H).
(46) Cass. soc., 17 mars 1988, n° 84-14.494, préc., a contrario : "la commission de première instance, appréciant les éléments qui lui étaient soumis, a estimé qu'il n'était pas établi que les primes d'ancienneté et d'assiduité étaient versées de façon uniforme et systématique à tous les salariés au lieu d'être fixées en fonction de la situation individuelle de chacun d'eux".
(47) Cass. soc., 9 mars 1989, n° 86-40.834, Mme Arberet c/ Consorts Lafaille et autre (N° Lexbase : A2421AH7), Bull. civ. V, n° 204.
(48) Cass. crim., 18 juillet 1991, n° 89-83.128, préc..
(49) Cass. soc., 19 mars 1985, n° 84-43.194, préc..
(50) Cass. crim., 29 novembre 1988, n° 86-92.449, préc..
(51) En ce sens G. Pignarre, préc., n° 64.
(52) Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 06-45.987, Société Bonna Sabla, F-D (N° Lexbase : A4836D9Y) ; Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-42.142, Société Les 4 Murs, FS-D (N° Lexbase : A3553EL8) : "les primes objet du litige n'étaient pas liées directement à l'exécution par celle-ci de sa prestation de travail et ne constituaient pas en conséquence un élément de salaire entrant dans le calcul du minimum garanti" (commission mensuelle brute de 1 % du chiffre d'affaires, prime de progression et primes trimestrielle et annuelle de gestion calculées sur le chiffre d'affaires).


Décision

Cass. soc., 7 avril 2010, n° 07-45.322, Société de transports en commun de Limoges (STCL), FS-P+B (N° Lexbase : A5782EUP)

Cassation CPH Limoges, section commerce, 5 octobre 2007

Textes visés : Convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs et l'annexe VI à cette convention, art. 20

Mots clef : rémunération ; minima conventionnel ; assiette

Lien base : (N° Lexbase : E0877ETN)

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Avocats/Déontologie

[Questions à...] Etat de lieux des obligations anti-blanchiment à la charge des avocats - Questions à William Feugère, avocat associé du Cabinet Campbell, Philippart, Laigo & Associés et membre du Conseil de l'Ordre de Paris

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N9498BN4

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

L'article 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) qui définit le blanchiment, considère qu'il est, notamment, constitué par "le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit". Les avocats, qui contribuent à la réalisation de toutes opérations, sont directement concernés par ces dispositions, d'autant que nulle référence n'est faite à l'intention de celui qui prête son concours. Parce qu'ils sont particulièrement exposés au risque de contribuer à un acte de blanchiment, l'ordonnance du 30 janvier 2009 (ordonnance n° 2009-104, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme N° Lexbase : L6934ICS) soumet la profession à une série d'obligations, dont celle, particulièrement décriée, de déclarer tout soupçon quant à l'origine des fonds. Le texte transpose la Directive 2005/60 du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (N° Lexbase : L3529HD3), dite "3ème Directive anti-blanchiment", dernière étape du dispositif voulu par la Communauté européenne (1). Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré William Feugère, avocat associé du Cabinet Campbell, Philippart, Laigo & Associés et membre du Conseil de l'Ordre de Paris pour un exposé détaillé des obligations anti-blanchiment à la charge des avocats et des raisons pour lesquelles ceux-ci rejettent le dispositif.
Lexbase : Le 25 février 2010, la CJUE a condamné la France (2) pour son retard dans la transposition de la 3ème Directive anti-blanchiment. Cette transposition est-elle achevée ?

William Feugère : L'article 45 de la 3ème Directive anti-blanchiment fixait au 15 décembre 2009 l'échéance de sa transposition complète par les Etats membres. N'ayant pas été informée des dispositions prises par la France à l'issue de ce délai, la Commission a engagé à son encontre (ainsi qu'à l'encontre de quatorze autres Etats, dont tous les autres Etats fondateurs de l'Union) la procédure en manquement prévue à l'article 226 du Traité CE . Elle a émis, le 6 juin 2008, un avis motivé l'enjoignant à se conformer à son obligation dans un délai de deux mois. La France n'ayant, une nouvelle fois, pu justifier de la transposition complète de la Directive, la Commission a saisi la CJUE.

L'Etat arguait que certaines mesures auraient été prises depuis lors, la transposition complète de la Directive devant être achevée dans les prochains mois. Mais l'argument a été rejeté par le juge, qui a rappelé que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'Etat membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour (3).

En réalité, les derniers points essentiels ont été transposés par une ordonnance capitale pour les avocats -en ce qu'elle pose les obligations à leur charge-, celle du 30 janvier 2009. Le texte a été pris sur le fondement de l'habilitation expressément donnée au Gouvernement par l'article 152 de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) pour transposer la 3ème Directive, ainsi que la Directive du 1er août 2006, portant mesures d'exécution (4).

Le décret du 2 septembre 2009 (décret n° 2009-1087, relatif aux obligations de vigilance et de déclaration pour la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme N° Lexbase : L6979IE9) et celui du 6 janvier 2010 (décret n° 2010-9, pris pour l'application de l'ordonnance du 30 janvier 2009 aux sociétés de ventes volontaires, aux commissaires-priseurs judiciaires, aux huissiers de justice, aux notaires, aux avocats et aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation N° Lexbase : L2368IGS) sont les derniers textes venus compléter l'ordonnance du 30 janvier 2009.

Lexbase : Quelles obligations sont mises à la charge de l'avocat dans le cadre de la lutte contre le blanchiment ?

William Feugère : L'ordonnance du 30 janvier 2009 met à la charge des avocats des obligations préventives de vigilance et d'identification du client et du bénéficiaire de la "relation d'affaire", ainsi que des obligations de déclaration de soupçon et de communication à Tracfin, en cas de doute sur l'existence d'un blanchiment, pour certaines activités de la profession (définies dans la liste fixée à l'article L. 561-3 I du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7104IC4) et lorsqu'ils agissent en qualité de fiduciaire. La répression constitue la troisième strate du dispositif.

Dans le cadre de la prévention, l'avocat doit vérifier l'identité de son client et celle du bénéficiaire effectif de la "relation d'affaires" (C. mon. fin., art. L. 561-5 N° Lexbase : L7211IC3). Il vérifie la réalité de celle-ci, sa nature et son objet, par des documents écrits probants (carte d'identité, extrait K-Bis, etc.). En réalité, le professionnel doit appréhender cette relation dans son intégralité, tout son long. Le décret du 2 septembre 2009 adapte cette obligation de vigilance au risque encouru, distinguant :

- la vigilance "normale" ;

- la vigilance "allégée", lorsque le client est réputé sûr ;

- et la vigilance "renforcée", lorsque le client est chef d'un Etat étranger, notamment, ou qu'on ne l'a pas directement rencontré.

Les documents attestant du respect des obligations de vigilance quant à l'identité du client et l'opération doivent être conservés cinq ans à compter, selon le cas, de la fin des relations ou de l'exécution des opérations. Le décret du 6 janvier 2010 fixe les conditions de communication aux autorités professionnelles de ces documents.

L'article L. 561-15 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7202ICQ) pose l'obligation pour les avocats de déclarer à Tracfin "les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme". Mais, la déclaration de soupçon ne s'applique pas :

- aux activités de l'avocat qui se rattachent à une procédure juridictionnelle (au sens le plus large, incluant, notamment, la médiation, l'arbitrage, etc.) ;

- et aux informations recueillies à l'occasion d'une consultation juridique, sauf si elle est fournie à des fins de blanchiment, mais c'est une évidence.

Notons que les diligences accomplies par les banques dans le cadre de l'opération en cause ne dispensent pas l'avocat de procéder à ses propres vérifications.

L'ordonnance du 30 janvier 2009 empêche toute relation directe entre Tracfin et l'avocat, faisant du Bâtonnier un filtre. Ainsi, l'avocat doit nécessairement adresser à celui-ci sa déclaration de soupçon, afin qu'il la transmette à Tracfin. De la même façon, Tracfin ne peut demander à un avocat la communication des pièces qu'il conserve que par l'intermédiaire du Bâtonnier de l'Ordre auprès duquel il est inscrit.

En cas de soupçon, l'avocat doit s'abstenir de poursuivre l'opération jusqu'à ce qu'il ait procédé à la déclaration. Tracfin dispose, alors, d'un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la déclaration pour s'opposer à l'exécution de l'opération.

L'article L. 561-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7152ICU) pose le principe d'exonération de l'avocat ayant déclaré son soupçon et impose à l'Etat de réparer tout préjudice résultant d'une déclaration de soupçon.

La 3ème Directive anti-blanchiment supprime le tipping of. Désormais, l'avocat n'est plus en droit d'informer son client de la déclaration de soupçon. C'est, d'ailleurs, un délit. Mais, la Directive et l'ordonnance lui donnent le droit de le dissuader, en amont de toute déclaration. Des dérogations à la confidentialité existent : peuvent s'informer mutuellement de l'existence d'une déclaration les avocats d'un même cabinet ou d'un même réseau et ceux qui interviennent pour un même client et pour une même opération.

Quant à la répression, qui n'est pas prévue dans l'ordonnance, rappelons que le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende, la peine doublant, en application de l'article 324-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) (dix ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende), "lorsque le blanchiment est commis en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle". Il y a en fait trois délits distincts, dont un en matière de stupéfiants et un en matière douanière.

Lexbase : Les avocats ont dénoncé ce dispositif. Pour quelles raisons le jugent-ils insatisfaisant ? Des recours ont-ils été introduits ?

William Feugère : Si la France a autant tardé à transposer la 3ème Directive anti-blanchiment (alors qu'elle a, finalement, opté pour la reprise pure et simple des dispositions communautaires, à quelques rares exceptions obtenues de haute lutte par la profession d'avocat), c'est, surtout, en raison des vives protestations, en particulier des avocats, qui, essentiellement, dénoncent l'atteinte aux droits fondamentaux des citoyens et refusent le rôle de délateur que leur impose l'ordonnance du 30 janvier 2009. La déclaration de soupçon est une obligation de dénonciation à la charge de l'avocat. En tant que telle et eu égard aux principes essentiels régissant sa profession, notamment, le secret professionnel et l'indépendance, elle est lui totalement inadaptée. Ces principes, notamment le secret, ne sont pas d'ailleurs des protections de l'avocat, ni même du client (qui ne peut décharger son avocat de son obligation de secret), mais sont garantis dans l'intérêt général. Quelle démocratie admet que les avocats dénoncent ceux qu'ils doivent conseiller et défendre ; force les avocats à devenir des auxiliaires de police ?

Par ailleurs, le dispositif est difficilement applicable et source d'insécurité juridique. Ainsi, l'avocat est dans l'incapacité matérielle de vérifier l'origine des fonds. Alors qu'il ne peut manier des espèces, que tous les fonds passent nécessairement par une banque, on lui dénie le droit de s'en remettre aux vérifications opérées par les banques.

Par ailleurs, la notion de "soupçon" a été définie par le Conseil d'Etat, en matière bancaire, comme l'absence de certitude (CE 6° s-s., 31 mars 2004, n° 256355 N° Lexbase : A8078DBS).

Mais, nous n'aurons jamais de certitude ; devra-t-on, par conséquent, déclarer toutes nos opérations ? Bercy avait tenté de l'imposer en matière fiscale. C'est inacceptable.

On peut citer d'autres éléments d'incertitude. L'ordonnance du 30 janvier pose que les obligations de vigilance et de déclaration de soupçon naissent dès lors qu'il y a "relations d'affaires", mais ne précise pas ce qu'une telle relation recouvre, ni à quel moment elle se noue.

Le champ d'application de la déclaration de soupçon est, en outre, bien trop large, dans la mesure où il concerne toute situation dans laquelle intervient la rédaction d'actes (soit la plus grande partie de l'activité de l'avocat en général et de l'avocat conseil en particulier).

Enfin, alors que les textes précédents ne s'appliquaient qu'en cas de blanchiment du produit d'infractions d'une particulière gravité (trafic de stupéfiants, terrorisme...), désormais, sont concernées toutes les infractions punies de plus de trois ans. C'est-à-dire la quasi-intégralité des crimes et délits. Cela inclut, d'ailleurs, la fraude fiscale (constituée dès lors que les sommes non déclarées atteignent 153 euros).

Le décret du 16 juillet 2009 (5) fixe des critères restrictifs pour la fraude fiscale : seule une fraude "aggravée" serait concernée (notamment, l'utilisation de sociétés écrans, la réalisation d'opérations financières incohérentes au regard des activités habituelles de l'entreprise, etc.). Mais ces dispositions sont mal rédigées et floues, donc, inapplicables.

Au-delà de ces imprécisions, ce qui importe fondamentalement, c'est que les avocats ne sauraient devenir auxiliaires de Tracfin et de la police. Cela contrevient à des principes fondamentaux supérieurs aux Directives et aux lois, reconnus, notamment, par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Ainsi en est-il du droit au silence : si je dénonce mon client, je trahis sa parole, alors qu'il aurait eu le droit de se taire, s'il avait été interrogé directement par les services de police.

Tous les recours possibles ont été introduits. Le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux ont saisi le Conseil d'Etat de l'ordonnance du 30 janvier 2009 et de chacun de ses décrets d'application. Aucune décision n'a encore été rendue.

Lexbase : Quels conseils donnez-vous à vos confrères pour se prémunir des risques de blanchiment ?

Wiliam Feugère : L'ordonnance du 30 janvier 2009 impose aux avocats de mettre en place des procédures écrites destinées à assurer une mise en oeuvre efficace des préventions (création de systèmes d'évaluation et de gestion des risques de blanchiment, diffusion de procédures et d'informations régulières à l'ensemble des membres de leurs personnels concernés, etc.).

Mais ces obligations de prévention n'ont, en réalité, rien de nouveau pour les avocats. La déontologie impose de vérifier l'identité de son client. Les rédacteurs d'actes le savent depuis toujours. On ne peut prendre le risque de faire signer une cession d'actions ou de fonds de commerce sans vérifier que celui qui se présente comme le cédant est le véritable propriétaire. Une obligation de résultat pèse sur l'avocat en matière juridique : il engage sa responsabilité sur les mentions de son acte. L'acte d'avocat en sera la reconnaissance.

Par ailleurs, contrairement aux notaires, qui ont l'obligation d'instrumenter, l'avocat a le devoir de se déporter en cas de doute sur la probité du client. Il peut en amont dissuader son client de réaliser l'opération. En cas de persistance, il lui rend son dossier, ce n'est plus son client.

A cet égard, le fait que Tracfin ne s'oppose pas à l'opération après une déclaration de soupçon n'exonère pas l'avocat de son obligation de se déporter : on peut être instrumentalisé par Tracfin, qui n'a pas nécessairement intérêt à stopper tout de suite l'opération.

C'est l'expérience de l'avocat, aiguisant son intuition, qui l'alertera. En cas d'incertitude, qu'il n'hésite pas à en parler à son Ordre.


(1) Dispositif, par ailleurs, constitué de la Directive 91/308 du 10 juin 1991 (N° Lexbase : L7622AUT) et de la Directive 2001/97 du 4 décembre 2001 (N° Lexbase : L9218A48).
(2) CJCE, 25 février 2010, aff. C-170/09 (N° Lexbase : A2530ESI).
(3) Not. CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-23/05 (N° Lexbase : A0980DLU) et CJCE, 17 janvier 2008, aff. C-152/05 (N° Lexbase : A6706D3R).
(4) Directive 2006/70, portant mesures de mise en oeuvre de la Directive 2005/60 pour ce qui concerne la définition des "personnes politiquement exposées" (N° Lexbase : L4619HBK).
(5) Décret n° 2009-874, pris pour application de l'article L. 561-15-II du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4874IEA).

newsid:389498

Justice

[Evénement] Réforme de la procédure pénale : la nouvelle enquête pénale passée au crible du CNB et de l'USM

Lecture: 9 min

N9504BNC

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Le 7 janvier 2009, Nicolas Sarkozy faisait part de sa volonté de moderniser, de clarifier et d'équilibrer la procédure pénale, laissant présager une refonte globale de celle-ci. Environ un an après (soit, le 23 février 2010), Michèle Alliot-Marie a présenté, devant le Conseil des ministres, l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale et a ouvert, sur ce texte fortement décrié, une concertation de deux mois, pour le moins limitée : aucune discussion n'aura, en effet, lieu sur le statu quo, à savoir la suppression du juge d'instruction et le statut du Parquet (Lire Avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale : Michèle Alliot-Marie ouvre la concertation... tout en faisant la sourde oreille, Lexbase Hebdo n° 22 du 11 mars 2010 - édition professions N° Lexbase : N4848BNU). Atterrés, tant par le texte, que par le postulat posé par le Garde des Sceaux, les principaux acteurs concernés (le Conseil national des barreaux - CNB, le barreau de Paris et l'Union syndicale des Magistrats - USM) avaient décidé de faire front commun et de livrer "une bataille sans merci", afin de voir instaurer un réel contrepoids aux pouvoirs d'un Parquet tout puissant. Le CNB a, alors, pris l'initiative d'organiser un colloque sur la réforme de la procédure pénale, qui s'est tenu à la Maison de la Chimie, le 25 mars 2010, et auquel ont participé un certain nombre des plus grandes personnalités du monde du droit, Robert Badinter en tête. La réforme a été abordée, au cours de cette journée, sous les angles de la nouvelle enquête pénale et de la nouvelle audience pénale (sur ce dernier point, lire Yann Le Foll, La nouvelle audience pénale : un calendrier serré et un contenu contesté, Lexbase Hebdo n° 392 du 21 avril 2010 - édition privée générale N° Lexbase : N7403BNI).
Ce jour là, le CNB et l'USM parlaient sans l'intervention du Bâtonnier de Paris. C'est que, si tous s'accordent sur la nécessité de réformer la procédure et sur la médiocrité de nombre de réponses apportées par le ministre de la Justice, il est difficile de s'entendre sur les mesures à mettre en place. Alors que le CNB fustige la suppression du juge d'instruction, Jean Castelain déclare y être favorable. Dans un tel climat conflictuel, Henri Leclerc, président de l'USM, a préféré se retirer de la négociation et le barreau de Paris vient d'annoncer qu'il présentera des avis et propositions distincts de ceux du Conseil. Autant dire que la partie est loin d'être gagnée...

Mais, pour l'heure, revenons à l'analyse du CNB.

La nécessité d'une réforme globale, respectueuse des principes constitutionnels

Dans son discours d'introduction, Thierry Wickers, président du CNB, a dénoncé la multiplication des textes de circonstance, venant modifier la procédure pénale : pas moins de six depuis le début de l'année 2010 ! Certains d'entre eux pourraient, en outre, ne jamais être appliqués. Il en va, par exemple, ainsi de la loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-291, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale N° Lexbase : L5930HU8), qui impose la collégialité de l'instruction pour chaque information judiciaire ouverte. L'application de cette loi a été différée en 2011. L'avant-projet de loi présenté par Michèle Alliot-Marie exclut cette option.

Le Conseil, convaincu de l'absolue nécessité de changer de système ("quand on ne cesse de réformer la procédure pénale, c'est qu'elle tombe en ruine"), plaide, au contraire, pour une réforme globale et réfléchie, qui tienne compte, surtout, des principes constitutionnels. Et, de souligner que, aujourd'hui, seuls 4 % des affaires laissent une place aux droits de la défense.

Le CNB souhaite rompre avec la tendance actuelle, qui consiste à transférer progressivement tous les pouvoirs au Parquet, tout en le maintenant sous l'autorité de l'exécutif et sans évolution de son statut. S'il doit se résoudre à voir supprimé le juge d'instruction, le Conseil revendique l'indépendance du Parquet, ainsi qu'un renforcement du contradictoire et des droits de la défense, pour qu'enfin, chacun se batte "à armes égales". Manifestement, le projet de loi préparé par "MAM" est, à cet égard, loin d'être satisfaisant.

L'efficacité de la réforme est fonction des moyens humains et matériels que le Gouvernement voudra bien lui consacrer. Or, aucune étude d'impact n'a jusqu'alors été réalisée et la question de l'aide juridictionnelle est éludée dans le cadre du projet de loi. Comment, alors, aborder un chantier aussi laborieux et aux enjeux si fondamentaux, sans un minimum de sérieux ?

Une réforme en adéquation avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH)

Vincent Berger, jurisconsulte de la CEDH et professeur au Collège d'Europe, est venu exposer les préceptes fixés par le droit européen. Il a souligné la volonté de la CEDH de respecter les traditions et particularités des systèmes nationaux en matière de procédure pénale. La Cour exclut, donc, d'imposer une unique procédure aux Etats membres. Elle a, en revanche, le souci d'assurer une égalité parfaite entre les justiciables et les Etats parties à la Convention. Dans cette optique, les différents systèmes internes tendent de plus en plus à converger.

La procédure pénale a une place centrale pour l'Europe. En atteste l'abondance de la jurisprudence. Celle-ci, bien que pléthorique et difficile à maîtriser, est, toutefois, consolidée. Récemment, trois affaires (dont deux en cours) ont apporté des éclaircissements quant :

- aux motivations de la Cour d'assises (CEDH, 13 janvier 2009, req. 926/05 N° Lexbase : A9609ELH) ;

- à la recevabilité ou à l'appréciation des preuves (CEDH, 30 juin 2008, req. 22978 /05 N° Lexbase : A0809EA9) ;

- et à la liberté d'expression des juges (CEDH, 8 décembre 2009, req. 45291/06).

Concernant la garde à vue, les juges européens ont posé des exigences tenant à la durée et à la présence de l'avocat au cours de la procédure.

La question de la durée est régie par l'article 5 § 3 de la Convention (N° Lexbase : L4786AQC), aux termes duquel "toute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure". Après avoir décidé qu'un délai de 4 jours et 6 heures fixait la limite du "raisonnable", la Cour l'a, depuis peu, réduit à 3 jours et 23 heures, compte tenu du caractère mineur et non violent de l'infraction. La flexibilité des juges sur ce point est nécessaire, bien que, comme le reconnaît l'intervenant, elle soit source d'une certaine inquiétude, en particulier au regard de la sécurité juridique.

Les exigences quant à la présence de l'avocat ont été rappelées et affinées dans deux affaires, "Salduz" et "Dayanan". Dans le premier arrêt (CEDH, 27 novembre 2008, req. 36391/02 N° Lexbase : A3220EPX), le juge européen érige le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, au rang des éléments fondamentaux du procès équitable ; étant précisé que l'accès à un avocat doit être consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sous peine de porter "une atteinte irrémédiable aux droits de la défense". Des raisons impérieuses peuvent, toutefois, être avancées pour justifier des restrictions à ce droit, sous réserve que celles-ci soient clairement circonscrites et strictement limitées dans le temps.

Dans la même lignée, l'arrêt du 24 septembre 2009 (CEDH, 24 septembre 2009, req. n° 7025/04 N° Lexbase : A4246EPX), pose que "le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire par la police porte irréversiblement atteinte aux droits de la défense et amoindri les chances pour [le mis en cause] d'être jugé équitablement". La solution a été encore réitérée quelques jours plus tard dans l'arrêt "Dayanan" (CEDH, 13 octobre 2009, req. 7377/03 N° Lexbase : A3221EPY) : "l'équité d'une procédure requiert que l'accusé, dès qu'il est privé de liberté, puisse obtenir toute la gamme d'interventions propres au conseil".

Une question demeure, néanmoins : dans quelles mesures l'intervention de l'avocat peut-elle être limitée ou interdite ?

Sur le sujet d'une concentration excessive des prérogatives du Ministère public, Vincent Berger, tout comme l'ensemble des participants au colloque, s'est dit impatient de connaître la décision de la Cour à intervenir dans l'affaire "Medvedyev". L'arrêt rendu le 29 mars 2010 (CEDH, 29 mars 2010, req. 3394/03 N° Lexbase : A2353EUP) aurait, en effet, pu régler la question de la qualité et de l'indépendance du Procureur de la République, mais les juges ont préféré botté en touche. La chambre (CEDH, 10 juillet 2008, req. 3394/03 N° Lexbase : A5462D98) avait considéré qu'il n'était pas une autorité judiciaire au sens conventionnel. La Grande chambre élude la question, dès lors que les requérants ont été présentés à un juge d'instruction. Elle rappelle, toutefois, que le paragraphe 1 c de l'article 5 de la Convention (relatif à l'autorité judiciaire compétente) forme un tout avec le paragraphe 3 de ce même article (faisant référence à un juge ou un autre magistrat habilité par la loi). Enfin, en énonçant que "le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du Ministère public", la Cour laisse supposer, pour certains, que l'indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif n'est pas assurée. Eu égard à l'imprécision de l'arrêt sur la question, les espoirs se cristallisent, aujourd'hui, sur l'affaire "Moulin".

Une réforme garantissant une enquête indépendante : les rôles respectifs du Parquet et du JEL

Haritini Matsopoulou, Professeur de droit privé à la faculté Jean Monnet (Paris Sud XI) et Directrice de l'IEJ a, également, fustigé les liens profonds et étroits qui existent entre le Parquet et la Chancellerie, alors même que le Garde des Sceaux avait assuré, maintes fois, que le projet permettrait le respect des garanties d'indépendance et d'impartialité du Parquet. Ainsi que le souligne l'intervenante, le troisième paragraphe de l'article 5 de la Convention vise aussi bien le juge du Parquet que le magistrat du siège, l'indépendance constituant la qualité essentielle de l'autorité judiciaire.

Alors qu'à l'origine, la CEDH se livrait à une appréciation in concreto de cette indépendance, les juges ont opté pour une appréciation in abstracto dans l'affaire "Medvedyev" : la simple possibilité d'une intervention du pouvoir exécutif suffit à émettre un doute sérieux sur l'indépendance du Parquet. Rappelons, seulement, que l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 (ordonnance n° 58-1270, portant loi organique relative au statut de la magistrature [LXB= L5336AGQ]) pose le principe de la subordination hiérarchique du Parquet à l'exécutif ("les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice"). Rappelons, aussi, que les procureurs de la République sont nommés par décret du Président de la République, sur la proposition du Garde des Sceaux.

Comment considérer le Parquet comme impartial, quand l'avant-projet de loi de Michèle Alliot-Marie envisage que celui-ci instruise à charge et à décharge ; qu'il se prononce, en amont, sur des actes privatifs de liberté et, qu'il soit investi, en aval, des fonctions de poursuites ?

Aux termes de l'avant-projet de loi, le procureur de la République, dans le cadre de l'enquête judiciaire pénale, peut faire procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité. Il aura, à ce titre, le contrôle absolu de toutes les mesures de garde à vue (dont il pourra à souhait décider les prolongations). "C'est un problème !". Pour Haritini Matsopoulou, toutes les questions relatives à la garde à vue devraient relever de la compétence du juge des enquêtes et des libertés (JEL). Il en va, également, ainsi de l'attribution de la qualité de partie pénale, en tant qu'acte juridictionnel. Le JEL devrait, en réalité, avoir le contrôle absolu de l'enquête et non pas un droit de regard purement formel sur le travail du Parquet, visant à valider des actes éventuellement douteux. C'est, notamment, à lui, que devrait revenir la décision de classer une affaire ou de la renvoyer devant une juridiction pénale, en cas de contestation d'une partie.

Au contraire, le texte présenté par le ministre de la Justice instaure la toute puissance du Parquet au détriment du JEL, "juge éclipse" (puisque la Chancellerie a refusé qu'il soit juge statutaire).

Le Ministère public concentrerait les pouvoirs d'enquête et de poursuite et se substituerait aux juridictions de jugement, eu égard aux fonctions juridictionnelles (notamment, attribution de la qualité de partie pénale à l'instance) et quasi-juridictionnelles (alternatives aux poursuites, etc.) qui lui seraient attribuées. Cette toute puissance a, également, été dénoncée, si besoin était, par Jean-Paul Jean, Avocat général près la cour d'appel de Paris et Professeur associé à l'Université de Poitiers : "le mot 'Parquet' trouve son origine dans le 'parc', qui désigne la juste distance entre les parties et le juge. Qu'en est-il de cette distance en l'espèce ?".

Christophe Regnard, vice-Président chargé de l'instruction au TGI de Nanterre et Président de l'USM a partagé ces vues. Il a regretté que les propositions formulées dans le rapport "Delmas-Marty" sur la mise en état des affaires pénale et qui reconnaissent au JEL un rôle dominant, n'aient pas été retenues.

Une réforme qui associe pleinement l'avocat à la procédure

Après avoir dressé l'historique de l'évolution du rôle de l'avocat dans le cadre de la procédure pénale, Franck Natali, vice-Président de la commission libertés et droits de l'Homme du CNB a conclu que, aujourd'hui, ce professionnel est associé aux enquêtes préliminaires, de flagrance et d'instruction.

Demain, il interviendra dans le cadre d'une enquête unique. A ce titre, le Garde des Sceaux a déclaré dans une interview que le contradictoire serait pleinement garanti pour toutes les enquêtes. Mais, aux vues du texte présenté, la situation ne changerait quasiment pas.

Sur la question de la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, le texte de Michèle Alliot-Marie prévoit un accès à un avocat dès la première heure de la procédure, ce dernier pouvant à nouveau intervenir à la douzième heure, mais, à chaque fois, pour une demi-heure. Les règles dérogatoires seraient maintenues. Notamment, en cas de terrorisme, l'avocat ne serait associé à la procédure qu'à la soixante-douzième heure de celle-ci. Mais, dans tous les cas, si l'officier de police judiciaire estime que cette présence est susceptible de nuire au déroulement de l'enquête, il pourrait s'y opposer.

Les avocats revendiquent, quant à eux, une présence tout au long de la mesure, avec un accès permanent aux pièces du dossier concernant leurs clients. Ils dénoncent, en outre, la création d'une audition libre de quatre heures pour les délits passibles d'une peine de prison inférieure ou égale à cinq ans, véritable zone de non droits.

Selon un article du Point, en date du 16 avril 2010, les Hauts magistrats de la Cour de cassation, réunis en assemblée générale, auraient considéré que l'avant-projet de loi de MAM "ne garantissait pas suffisamment les équilibres institutionnels et l'exercice des droits de la défense et des victimes". En ce sens, la Cour de cassation rejoint les positions du CNB et de l'USM.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] De la fraude en matière de bail dérogatoire

Réf. : Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-70.338, Société Jasmin "P'tit Mec et P'tite Nana", FS-P+B (N° Lexbase : A5821EU7)

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N9499BN7

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 07 Octobre 2010

La fraude commise lors de la conclusion de baux dérogatoires successifs interdit au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur au droit à la propriété commerciale et suspend le délai de prescription de l'action de ce dernier tendant à voir reconnaître le bénéfice du statut des baux commerciaux. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2010. En l'espèce, par acte du 24 novembre 1999, des locaux à usage commercial avaient été donnés à bail à une société pour une durée de vingt-trois mois s'achevant le 31 octobre 2001. Par un deuxième acte du 7 octobre 2001, le bailleur avait donné à bail à l'associée majoritaire de la société initialement locataire les mêmes locaux pour la même durée s'achevant le 6 octobre 2003. Enfin, par un troisième contrat, le bailleur avait donné de nouveau à bail les mêmes locaux à la société preneur du premier bail pour une durée de vingt-trois mois s'achevant le 6 septembre 2005. Le propriétaire avait manifesté le 20 octobre 2005 son intention de mettre fin à ce dernier bail. La société locataire l'avait alors assigné pour se voir reconnaître le bénéfice du statut des baux commerciaux.


I - Sur l'éviction du statut des baux commerciaux par la conclusion d'un bail dérogatoire

Le statut des baux commerciaux est, pour ses dispositions essentielles, d'ordre public (C. com., art. L. 145-15 N° Lexbase : L5743AIK et L. 145-16 N° Lexbase : L5744AIL). Cependant, ce statut offre lui-même la possibilité aux parties d'y déroger, dès la conclusion du bail, à certaines conditions. Elles peuvent, en effet, en application de l'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L2320IBK) conclure un bail dérogatoire au statut. Le bail dérogatoire était, sous l'empire de l'ancienne rédaction de l'article L. 145-5 du Code de commerce, un bail "initial, unique et d'une durée de deux ans au plus" (1).

Lorsque le preneur reste et est laissé en possession des lieux par le bailleur, il se crée alors automatiquement un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux. De la même manière, et avant sa modification par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie ("LME" N° Lexbase : L7358IAR), si les parties renouvelaient ou concluaient un nouveau bail, ce dernier s'y trouvait soumis, même si la durée totale des baux conclus était inférieure à deux années (2).

Au motif que l'article L. 145-5 du Code de commerce n'opère aucune distinction entre bailleur et preneur, la Cour de cassation a reconnu également au bailleur la possibilité de se prévaloir de la création d'un bail commercial en présence d'un preneur qui est resté en possession des lieux à l'expiration du bail dérogatoire (3).

L'article 44 de la "LME" a modifié l'article L. 145-5 du Code de commerce. Le nouveau texte dispose désormais que "les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger [au statut] à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans". L'adjectif "totale" concerne la durée des baux successifs : un bail dérogatoire peut donc avoir une durée de deux ans ou moins. Dans ce dernier cas, plusieurs baux peuvent être conclus, à la condition que la somme de leur durée soit au plus égale à deux ans.

L'article L. 145-5 du Code de commerce n'a pas été modifié, par ailleurs, en ce qu'il prévoit qu'à l'expiration de cette durée (implicitement et, désormais, en présence de plusieurs baux dérogatoire, la durée totale des baux successifs), il s'opère un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux si le preneur reste et est laissé en possession des lieux.

Il a été ajouté un troisième alinéa à l'article L. 145-5 du Code de commerce pour limiter l'hypothèse d'application du statut des baux commerciaux, en cas de renouvellement exprès ou de conclusion d'un nouveau bail, à celle où un tel acte serait conclu "à l'expiration de cette durée", sous-entendu, celle du bail initial ou, en cas de successions de baux dérogatoires, la somme de la durée de chacun de ces derniers.

Sous l'empire de l'ancienne rédaction de l'article L. 145-5 du Code de commerce, la jurisprudence avait reconnu aux parties la possibilité d'échapper à la création d'un bail commercial en dépit du maintien dans les lieux du preneur et de conclure un nouveau bail dérogatoire en s'appuyant sur la théorie de la renonciation à un droit acquis.

Cette solution devrait toujours prévaloir sous l'empire de la nouvelle rédaction pour les cas où le preneur serait resté et laissé en possession à l'expiration de la durée autorisée du ou des baux dérogatoires.

II - Sur la possibilité pour les parties de renoncer à un droit acquis à se prévaloir du bénéfice du statut des baux commerciaux

En principe, une fois le bail dérogatoire expiré, la conclusion d'un nouveau bail, entre les mêmes parties et sur le même local, sous réserve de la nouvelle faculté de conclure plusieurs baux dérogatoire dans la limite d'une durée totale de deux années (voir ci-avant), entraîne l'application du statut des baux commerciaux (4). Le fait que le preneur soit resté en possession des lieux à l'expiration du bail dérogatoire, sans opposition du bailleur, emporte également à lui seul la création d'un bail commercial (5).

Cependant, la Cour de cassation a rapidement admis que les parties pouvaient valablement renoncer à la faculté d'invoquer le bénéfice d'un bail commercial à la condition que le droit soit né.

Il a ainsi été jugé que les parties pouvaient conclure un nouveau bail échappant aux dispositions du statut des baux commerciaux dès le premier jour suivant la date à laquelle le bail dérogatoire a expiré, "le bénéfice du [statut des baux commerciaux] étant acquis" et le locataire pouvant y renoncer en pleine connaissance de cause (6). En revanche, tant que le bail dérogatoire n'est pas expiré, le droit n'est pas né et les parties ne peuvent valablement y renoncer (7).

La renonciation à se prévaloir du statut des baux commerciaux doit être effectuée par les deux parties (8) et être non équivoque (9). A cet égard, et bien que le contraire ait pu être précédemment jugé, la seule conclusion d'un nouveau bail dérogatoire ne vaut pas à elle seule renonciation (10).

Dans l'arrêt rapporté, le bailleur tentait d'invoquer la renonciation du preneur à se prévaloir du statut des baux commerciaux. En effet, lorsque le troisième bail dérogatoire avait été conclu, celui qui avait été initialement conclu avec la société locataire était expiré. Les parties pouvaient en conséquence a priori conclure un nouveau bail échappant au statut des baux commerciaux en renonçant à leur droit à se prévaloir de l'application du statut des baux commerciaux, droit né à compter de l'expiration du premier bail dérogatoire. En outre, dans l'intervalle, un bail dérogatoire avait été conclu avec (en apparence seulement) un autre preneur. Cependant, la Cour de cassation refuse au bailleur la possibilité de se prévaloir d'une renonciation du preneur à ses droits en raison de la fraude qu'il avait commise.

III - Sur les effets de la fraude en matière de bail dérogatoire

Il n'est pas rare de voir les bailleurs tenter d'échapper aux dispositions impératives du statut des baux commerciaux. Les preneurs peuvent aussi avoir intérêt à tenter d'éluder ces dispositions dans la mesure où un bail commercial les engage, au minimum, pour une durée de trois années (C. com., art. L. 145-4 N° Lexbase : L0803HPG).

La Cour de cassation sanctionne les montages qui, derrière les apparences, consistent en réalité à conclure plusieurs baux dérogatoires entre les mêmes parties et sur les mêmes locaux, sans qu'une renonciation régulière au bénéfice du statut ait eu lieu. Ainsi, le preneur qui s'est vu initialement consentir un bail dérogatoire, puis qui reste dans les lieux à la suite d'un nouveau bail conclu avec un prête-nom, s'est vu reconnaître le droit d'invoquer le bénéfice d'un bail commercial (11).

Dans l'arrêt rapporté, la Haute juridiction affirme qu'en concluant un deuxième bail dérogatoire avec l'associée majoritaire de la société initialement locataire, le bailleur avait agi en fraude de ses droits. A cet égard, elle relève que l'associée majoritaire, qui n'était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés, justifiait que le commerce exploité était resté le même, avec la même enseigne, qu'elle avait réglé les loyers, notamment en 2003, qu'elle avait toujours payé l'électricité, le téléphone et la taxe professionnelle et que le bailleur avait agi en fraude des droits de la société locataire en concluant en toute connaissance de cause un deuxième bail dérogatoire avec un prête-nom.

La fraude a également été retenue en présence de la conclusion de quarante baux successifs pendant une durée de plus 3 ans, portant sur des locaux commerciaux qualifiés faussement "d'emplacements" (12).

L'existence d'une fraude permet au preneur, dont les droits ont été éludés, de se prévaloir d'un bail commercial (13). Dans son arrêt du 8 avril 2010, la Cour de cassation a ainsi constaté la création d'un bail commercial à l'issue de l'expiration du bail dérogatoire initial.

De surcroît, il faut peut-être y voir une application de l'adage fraus omnia corrumpit, le bailleur ne pourra se prévaloir de la prescription de l'action du preneur tendant à voir constater la création d'un bail commercial à l'issue du bail dérogatoire. C'est un apport de la décision commenté. En effet, dans la mesure où cette demande se fonde sur une disposition du statut des baux commerciaux, elle devrait être soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce (N° Lexbase : L8519AID) (14). Il a ainsi été jugé que le preneur dispose d'un délai de deux années à compter de l'expiration du bail dérogatoire pour revendiquer le bénéfice des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 145-5, à savoir, la création d'un bail soumis au statut des baux commerciaux (15). Cependant, et selon l'arrêt rapporté, la fraude commise par le bailleur a suspendu la prescription pendant la durée du bail conclu avec le prête-nom, permettant en l'espèce au preneur d'échapper à la prescription de son action.

Il a été par ailleurs jugé que la convention dite "d'occupation précaire", consécutive à cinq conventions successives pareillement dénommées et conclues soit avec le véritable preneur, soit avec une personne qui s'est dit prête-nom, était frauduleuse comme conclue pour faire échec à l'application du statut légal des baux commerciaux. Au visa du principe selon lequel la fraude corrompt tout, la Cour de cassation a affirmé que le bailleur n'était pas recevable à invoquer contre l'occupant une clause de la convention frauduleuse régulatrice du droit de cession protégé par l'article L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5744AIL) (16).


(1) J.-P. Blatter, Les conventions exclues du statut des baux commerciaux, Rev. Loyers, 2004, p. 64.
(2) Cass. civ. 3, 21 mars 2006, n° 05-10.149, Société Alexime c/ Mme Isabelle, F-D (N° Lexbase : A8056DNP).
(3) Cass. civ. 3, 27 avril 1988, n° 87-11.667, Société civile immobilière Saint-Claude c/ Société Vitrage isolant technique (N° Lexbase : A8437AAQ).
(4) Cass. civ. 3, 20 décembre 1977, n° 75-13.899, Leboeuf c/ Arnal (N° Lexbase : A7183AG7) ; Cass. civ. 3, 20 avril 2005, n° 03-20.357, Mme Nadine Cau, épouse Bouet c/ Société Aldiva, FS-D (N° Lexbase : A9629DH4).
(5) Cass. civ. 3, 25 novembre 1975, n° 74-13.075, Consorts Rolland c/ Pousset, SA Gaston Pousset (N° Lexbase : A7109AGE) ; Cass. civ. 3, 8 octobre 1986, n° 85-11.962, M. Garcia c/ Epoux Chevalier (N° Lexbase : A5187AAD) ; Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 00-13.943, Société Vacances Educatives, F-D (N° Lexbase : A0468AXM).
(6) Cass. civ. 3, 20 février 1985, n° 83-15.730, Consorts Ruberti c/ Mme Raibaud (N° Lexbase : A7645AGA).
(7) Cass. civ. 3, 7 février 1996, n° 94-11.909, Epoux Doyat c/ M. Licciardi et autre (N° Lexbase : A9653AB7) ; Cass. civ. 3, 21 novembre 2001, n° 00-14.761, Société civile immobilière (SCI) Alsace entrepôts c/ Société Alsacienne de supermarchés (SASM), FS-D (N° Lexbase : A2032AXK) ; Cass. civ. 3, 12 décembre 2006, n° 05-20.242, Mme Colette Bear, F-D (N° Lexbase : A9094DSM).
(8) Cass. civ. 3, 24 novembre 2004, n° 03-12.605, Société Brand Nord-Picardie c/ Société Base de Chaulnes, FS-P+B (N° Lexbase : A0339DEB).
(9) Cass. civ. 3, 15 juin 1976, n° 75-11.313, Consorts Fracchia c/ Dame Robert (N° Lexbase : A7133AGB) ; Cass. civ. 3, 24 novembre 2004, n° 03-12.605, préc..
(10) Cass. civ. 3, 19 novembre 2003, n° 02-15.887, Société Théâtre Le Rex c/ Mme Danielle Montoudis, FS-P+B (N° Lexbase : A2035DAM).
(11) Cass. civ. 3, 15 juin 1976, n° 75-11.313, Consorts Fracchia c/ Dame Robert (N° Lexbase : A7133AGB) ; Cass. civ. 3, 9 février 1994, n° 91-21.907, Mme Vaillard et autre c/ Mme Gondon et autre (N° Lexbase : A8492AGM) ; Cass. civ. 3, 5 juillet 1995, n° 93-11.436, Mme Victoria Carassonglou, veuve Goubert c/ M. Frédéric Comte et autres (N° Lexbase : A8030AHU).
(12) Cass. civ. 3, 24 janvier 1996, n° 94-10.322, Société européenne de supermarchés et autre c/ M. Amesz (N° Lexbase : A9590ABS).
(13) Cass. civ. 3, 15 juin 1976, n° 75-11.313, préc..
(14) Voir, par ex., pour une action tendant à voir qualifier de bail commercial un contrat de location-gérance, Cass. civ. 3, 29 octobre 2008, n° 07-16.185, Mme Chantal Arambel, FS-D (N° Lexbase : A0591EBI).
(15) CA Paris, 16ème ch., sect. A, 29 novembre 2006, n° 05/03451, Marina c/ Chazar ; AJDI, 2007, p. 199.
(16) Cass. civ. 3, 1er avril 2009, n° 07-21.833, M. Michel Yang Ting, FS-P+B (N° Lexbase : A5140EE4).

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Avril 2010

Lecture: 12 min

N9502BNA

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Deux arrêts et un avis contentieux du Conseil d'Etat sont ici mis en évidence. Le premier traite de "l'affaire du stade Jean Bouin" dans laquelle la cour administrative d'appel de Paris a qualifié le contrat d'utilisation de ces équipements sportifs de délégation de service public (CAA Paris, 25 mars 2010, n° 09PA01920, n° 09PA02632, n° 09PA03008, Association Paris Jean Bouin, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt apporte d'utiles précisions quant aux implications des principes généraux de la commande publique en matière de détermination et d'information des concurrents sur les critères d'attribution des marchés (CE 2° et 7° s-s-r., 31 mars 2010, n° 334279, Collectivité territoriale de Corse, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, par un avis contentieux du 31 mars 2010 (CE 2° et 7° s-s-r., 31 mars 2010, n° 333627, Mme Renard, publié au recueil Lebon), la juridiction administrative a élargi le bloc de compétence administrative instituée par la loi "MURCEF" du 11 décembre 2001 en jugeant que l'action directe d'une victime intentée contre l'assureur d'une personne publique relevait de la compétence du juge administratif car trouvant sa source dans le marché public d'assurances préalablement conclu.
  • L'affaire du "stade Jean Bouin", suite (CAA Paris, 25 mars 2010, n° 09PA01920, n° 09PA02632, n° 09PA03008, Association Paris Jean Bouin, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4879EUA)

L'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris était attendu. Il faut dire que la question de la qualification juridique du contrat par lequel la ville de Paris a confié l'exploitation des équipements sportifs implantés sur son domaine public a déjà fait l'objet de plusieurs décisions juridictionnelles et que celle rendue le 25 mars 2010 par la cour administrative d'appel de Paris n'est pas la dernière, puisque la collectivité territoriale et son cocontractant ont, d'ores et déjà, formé un recours en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'arrêt qualifiant ce contrat, non de contrat d'occupation du domaine public comme elles le prétendaient, mais de délégation de service public. Le rappel du contexte de l'affaire permettra de comprendre sa portée.

Par deux délibérations des 5 et 6 juin 2004, le Conseil de Paris a habilité son maire, M. Bertrand Delanoë, à signer avec l'association Paris Jean Bouin une convention autorisant cette dernière à occuper, pour une durée de vingt ans, les dépendances du domaine public constituées du site du stade Jean Bouin et du site des terrains de tennis de l'allée Fortunée. Cette convention a été conclue le 11 août 2004, et ce n'est que le 29 octobre 2004 que le maire de Paris a informé la société Paris Tennis que sa candidature pour l'attribution de cette convention n'avait plus lieu d'être. Saisi par la société évincée, le tribunal administratif de Paris a annulé, par un jugement du 31 mars 2009 (1), la décision de signature du 11 août 2004, ainsi que la décision de rejet de sa candidature du 29 octobre 2004. Les juges parisiens ont estimé que la convention litigieuse n'était pas une simple convention d'occupation domaniale dont la passation pouvait intervenir sans avoir à respecter une procédure formalisée, mais une délégation de service public dont la conclusion ne pouvait intervenir que dans le respect de la procédure de publicité requise par l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0551IGI). Saisie par les signataires du contrat, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la demande de sursis à exécution formée par l'association Paris Jean Bouin contre le jugement de première instance (2). L'article R. 811-15 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3292ALI) permettait, en effet, au juge d'appel de prononcer en urgence, et à titre provisoire, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris. Cependant, celui-ci a considéré que les conditions de son prononcé n'étaient pas réunies, dès lors que les moyens invoqués par l'association requérante ne paraissaient pas, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.

Saisi à son tour de l'affaire en qualité de juge de cassation, le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur la rectitude juridique de l'arrêt rendu en appel. Il l'a fait dans un contexte tout à fait particulier. En effet, la justice pénale avait été saisie par la société Paris Tennis à la fin de l'année 2007 d'une plainte contre X avec constitution de partie civile pour favoritisme et prise illégale d'intérêts. En novembre 2009, les juges chargés de l'affaire avait alors convoqué le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë (lequel avait déjà été auditionné comme témoin pendant l'été), le président de l'association Paris Jean Bouin, M. Jacques Lelièvre, ainsi que le dirigeant du groupe Lagardère, M. Arnaud Lagardère. La convocation de ce dernier s'expliquait par le fait que le groupe Lagardère avait, dès 2004, conclu un partenariat avec l'association précitée et avait obtenu d'elle, en 2005, une sous-concession permettant l'utilisation de terrains de tennis et un emplacement pour un centre d'expertise technique. Entre temps, le maire de Paris, sans doute soucieux d'apaiser la situation, avait annoncé son intention de reprendre la gestion du stade Jean Bouin en régie municipale à compter du 20 janvier 2010. Ces auditions furent, néanmoins, reportées dans l'attente de l'intervention imminente de l'arrêt du Conseil d'Etat, report qui se comprenait aisément, car la suite pénale de l'affaire était largement dépendante de la question de la qualification juridique du contrat d'occupation du stade Jean Bouin.

A cette question, le Conseil d'Etat n'a pas apporté de réponse dans son arrêt du 13 janvier 2010 (3), précisément parce qu'il ne le pouvait pas. Les juges du Palais Royal ont, en effet, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel au motif que celle-ci a commis une erreur de droit dès lors que l'ensemble des éléments relevés par elle n'était pas de nature à caractériser la dévolution de la gestion d'une mission de service public. Le moyen tiré de ce que le contrat litigieux ne pouvait être qualifié de délégation de service public a donc été jugé, en l'état de l'instruction, comme sérieux et justifiant le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif sur le fondement de l'article R. 811-15 du Code de justice administrative. Pour autant, le litige n'était pas définitivement clos. La cour administrative d'appel de Paris restait saisie du fond du litige, c'est-à-dire de l'appel exercé par la ville de Paris et l'association Paris Jean Bouin.

C'est par un arrêt fleuve (21 pages !) et particulièrement argumenté que la cour administrative d'appel de Paris a statué sur le fond de l'affaire et conclu que la convention litigieuse n'était pas une simple convention d'occupation du domaine public dont la passation pouvait intervenir sans avoir à respecter une quelconque procédure de publicité et de mise en concurrence, mais bien une délégation de service public dont la conclusion ne pouvait intervenir que dans le respect des dispositions de la loi "Sapin" du 29 janvier 1993 (loi n° 93-122, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques N° Lexbase : L8653AGL), codifiée aux articles L. 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales. Le raisonnement développé par les juges d'appel est particulièrement didactique et s'articule autour de deux temps tenant à l'existence d'une mission de service public, d'une part, et au mode de rémunération du cocontractant, d'autre part. Cet effort de pédagogie ne doit sans doute rien au hasard. Il s'explique facilement au regard du contexte politique et judiciaire entourant l'affaire. Il s'explique aussi par la volonté du juge d'appel de répondre dans une certaine mesure à l'arrêt du Conseil d'Etat du 13 janvier 2010 et par la quasi-certitude que son arrêt serait frappé d'un recours en cassation et serait donc examiné à la loupe par la Haute juridiction administrative.

S'agissant de l'identification d'une mission de service public, la cour administrative d'appel de Paris reprend le considérant de principe de l'arrêt "APREI" du 22 février 2007 (4). En l'absence de qualification législative de l'activité, l'on sait qu'il existe plusieurs méthodes alternatives de délimitation du service public. La première est celle qui avait été posée par l'arrêt "Narcy" de 1968 (5) et qui repose sur la réunion de trois critères liés à l'existence d'une mission d'intérêt général, au contrôle de l'administration et à l'octroi à la personne privée gestionnaire de l'activité de prérogatives de puissance publique. La seconde méthode (et qui constitue l'apport de l'arrêt "APREI" par rapport à l'arrêt "Narcy") repose sur la recherche de la volonté de l'administration d'ériger ou non l'activité à qualifier en mission de service public. Même en l'absence de prérogatives de puissance publique, une personne privée peut être regardée comme gérant un service public lorsque, "eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées, ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission".

C'est précisément cette dernière option qu'a utilisée la cour administrative d'appel de Paris dans la présente espèce. Elle s'est appuyée sur divers indices concordants pour établir "la volonté de la ville" de confier à l'occupant des installations une véritable mission de service public. Pour conclure à cette qualification, la cour s'est fondée, en premier lieu, sur le caractère d'intérêt général de l'activité (affectation des équipements à la pratique des sports individuels et collectifs, à la compétition et au spectacle sportif), mais aussi, et c'est une interprétation assez libre des conditions posées par la jurisprudence "APREI", sur les "relations organiques ou fonctionnelles" entre l'association et la ville. Plus précisément, ont été jugés décisifs le fait que le cocontractant assurait la gestion de l'ensemble sportif Jean Bouin avec l'aide financière de la ville (la cour relève le versement d'importantes subventions annuelles au profit du Stade français et le versement, entre 2001 et 2006, d'une subvention d'un montant de 91 000 euros à l'association Paris Jean Bouin) et sous son contrôle (intervention de la collectivité pour régler un différend opposant l'association au Stade français par exemple). Les multiples conventions d'objectifs définissant les engagements pris par l'association en contrepartie de la subvention et les moyens donnés à la ville pour en contrôler l'exécution ont été considérées, en deuxième lieu, comme démontrant que la collectivité avait voulu conserver et effectivement utiliser les moyens juridiques et pratiques de définir les conditions d'exercice de cette activité d'intérêt général menée par l'occupant au sein de ses équipements domaniaux, d'en contrôler le respect, et de corriger les éventuelles déviations. En troisième lieu, la cour a relevé l'existence d'une obligation de mise à disposition d'installations au profit de scolaires et d'une définition par les services de la ville du calendrier général de l'utilisation du stade par le public scolaire et des conditions tarifaires de cette utilisation. "La modicité de la redevance demandée à l'association" a été considérée, en quatrième lieu, comme un révélateur de l'existence d'obligations de service public pesant sur l'association. Au total, et en cinquième lieu, la ville n'a pas simplement permis à l'association d'occuper des installations domaniales ; elle lui a, également, confié la gestion d'une mission de service public.

Pour identifier une délégation de service public, encore fallait-il s'assurer que la rémunération de l'association Paris Jean Bouin était substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service public. La ville de Paris soutenait que tel n'était pas le cas, car les recettes tirées par l'association de l'occupation des équipements étaient minimes au regard des recettes tirées de son activité statutaire, recettes provenant des cotisations versées par ses adhérents et par d'éventuels contrats de sous-location. La cour n'a pas suivi cette argumentation. Elle a logiquement considéré que la perception de ces recettes statutaires ne pouvait pas être déconnectée de l'utilisation des équipements sportifs. Plus encore, dès lors que le montant des recettes n'était pas garanti par la concession, l'existence d'un risque d'exploitation était avérée et le contrat répondait donc au critère financier de la délégation de service public.

  • Les principes généraux de la commande publique exigent d'indiquer les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre mais n'impliquent pas une obligation d'information des candidats sur la méthode de notation de la valeur technique de l'offre (CE 2° et 7° s-s-r., 31 mars 2010, n° 334279, Collectivité territoriale de Corse, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4209EUG)

La dictature de la transparence a ses limites ! C'est l'impression qui ressort à la lecture de l'arrêt du 31 mars 2010 par lequel le Conseil d'Etat a précisé les implications des principes généraux de la commande publique en matière de détermination et d'information des candidats sur les critères d'attribution des marchés, sur leurs conditions de mise en oeuvre, et sur la méthode de notation de la valeur technique de l'offre.

Dans la présente espèce, la collectivité territoriale de Corse avait, par un avis d'appel public à la concurrence du 18 juin 2009, engagé une procédure de passation d'un marché ayant pour objet l'exécution des travaux d'aménagement d'un créneau de dépassement sur une route nationale. Cet avis précisait que l'offre économiquement la plus avantageuse serait déterminée en fonction de la valeur technique de l'offre, retenue pour 60 %, et du prix des prestations, pour 40 %, et que le critère de la valeur technique de l'offre serait évalué pour moitié en fonction, d'une part, de l'organisation du chantier, du phasage et du planning afin de respecter les délais, et, d'autre part, de la provenance et de la qualité des matériaux. Le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia a annulé la procédure de passation de marché à procédure adaptée (MAPA) au motif que le pouvoir adjudicateur avait méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence en ne faisant pas figurer dans les documents de consultation la méthode de notation retenue pour apprécier le critère de la valeur technique des offres.

Le Conseil d'Etat a censuré cette ordonnance en précisant que, si les principes généraux de la commande publique imposaient effectivement d'indiquer dans les documents de consultation les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre (6), ils n'imposaient pas, en revanche, d'informer les candidats de la méthode de notation des offres. C'est assurément une solution de bon sens qui permet de préserver la liberté du pouvoir adjudicateur sans renier, pour autant, les principes généraux de la commande publique. En effet, il faut bien comprendre que, par cette décision, le Conseil d'Etat s'est refusé à exiger des pouvoirs adjudicateurs qu'ils soient contraints de communiquer leur grille d'analyse de chacun des critères d'attribution. Il faut dire que la collectivité territoriale de Corse avait été très précise dans la présente espèce et qu'il aurait été difficile d'exiger encore plus de précision de sa part. Très concrètement, la Haute assemblée a considéré qu'il n'était pas nécessaire d'indiquer dans le document de consultation la méthode de chiffrage retenue pour apprécier le critère de la valeur technique des offres. Rien n'imposait donc au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats sur la méthode de chiffrage des sous-critères liés à l'organisation du chantier, d'une part, et à la provenance des matériaux, d'autre part.

  • Le juge administratif est compétent pour connaître de l'action directe de la victime contre l'assureur d'une personne publique (CE 2° et 7° s-s-r., 31 mars 2010, n° 333627, Mme Renard, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4205EUB)

Par un avis contentieux du 31 mars 2010, rendu sur le fondement de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0060AAH), le Conseil d'Etat vient d'apporter une précision d'une grande importance pratique en matière de détermination de la compétence juridictionnelle pour connaître de l'action directe d'une victime contre l'assureur d'une personne publique.

Le tribunal administratif d'Orléans avait été saisi d'une demande tendant à la condamnation solidaire d'une commune et de son assureur à l'indemniser des préjudices subis à la suite d'une chute survenue dans la cour attenant à la salle des fêtes. Se posait donc la question de savoir qui, du juge judiciaire ou du juge administratif, était compétent pour connaître de cette action. Restait, également, dans l'hypothèse où le juge administratif serait compétent, à déterminer si ce dernier pouvait éventuellement examiner si le sinistre à l'origine du litige était au nombre de ceux couverts par la garantie de l'assureur.

Le Conseil d'Etat a posé, tout d'abord, le principe de la compétence du juge administratif pour connaître d'une telle action. Il l'a fait au terme du raisonnement qui suit. Les contrats d'assurances conclus par les personnes publiques sont des marchés publics et sont donc, en application de la loi "MURCEF" du 11 décembre 2001 (loi n° 2001-1168, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE), des contrats administratifs. Même si l'article L. 124-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L4188H9Y) ouvre au profit de la victime la possibilité d'intenter une action directe contre l'assureur, il va de soi que cette action d'une personne privée contre une autre personne privée trouve son fondement dans le contrat administratif préalablement conclu entre l'assureur et la collectivité publique. En exerçant son action contre l'assureur, la victime cherche tout simplement à faire exécuter les obligations contractuelles qu'il a souscrites envers la personne publique et la compétence doit donc être celle du juge administratif. Nul doute que cette solution vise à consolider le bloc de compétence administrative instituée en matière de marchés publics par la loi "MURCEF".

En revanche, le Conseil d'Etat a estimé qu'il n'entrait pas dans l'office du juge de rechercher si le préjudice invoqué par la victime était effectivement garanti par le contrat d'assurances conclu par la collectivité publique.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) TA Paris, 31 mars 2009, n° 0607283 (N° Lexbase : A4923EI8).
(2) CAA Paris, 24 juin 2009, n° 09PA01921, Association Paris Jean-Bouin (N° Lexbase : A2656EQG).
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 13 janvier 2010, n° 329576, Association Paris Jean Bouin - Ville de Paris (N° Lexbase : A2655EQE).
(4) CE Sect., 22 février 2007, n° 264541, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (N° Lexbase : A2709DUU), Rec. CE, p. 92, concl. C. Vérot, JCP éd. A, 2007, 2066, concl. C. Vérot, note M.-C. Rouault, RDSS, 2007, p. 499, concl. C. Vérot, note G. Koubi et G.-J. Guglielmi, AJDA, 2007, p. 793, chron. C. Landais et J. Boucher, JCP éd. A, 2007, I, 177, chron. B. Plessix, RFDA, 2007, p. 803, note C. Boiteau.
(5) CE Sect., 28 juin 1963, n° 43834, Narcy (N° Lexbase : A1155EWP), Rec. CE, p. 401, AJDA, 1964, p. 91, note A. de Laubadère, RDP, 1963, p. 1186, note M. Waline.
(6) Voir déjà en ce sens : CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2010, n° 333569, Communauté de communes de l'enclave des Papes (N° Lexbase : A4414ESB), JCP éd. A, 2010, 2132, comm. F. Linditch ; CE Sect., 30 janvier 2009, n° 290236, Agence nationale pour l'emploi (N° Lexbase : A7437ECG), BJCP, 2009, n° 64, p. 201, concl. B. Dacosta, p. 211, obs. C. M., Contrats Marchés publ., 2009, comm. 121, note W. Zimmer, RDI, 2009, p. 242, note S. Braconnier, RJEP, 2009, comm. 32, note D. Moreau.

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Procédure pénale

[Evénement] La nouvelle audience pénale : un calendrier serré et un contenu contesté

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par Yann Le Foll

Le 07 Octobre 2010

Dans un discours du 7 janvier 2009, le Président de la République faisait part de sa volonté de moderniser, de clarifier et d'équilibrer la procédure pénale. Plus d'un an après, le 23 février 2010, le Garde des Sceaux et ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, présentait en Conseil des ministres l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale, l'objectif étant, pour elle, d'aboutir à une "procédure pénale plus moderne, compréhensible par tous, mais aussi plus impartiale, équitable et surtout plus respectueuse des droits des victimes et des garanties de la défense". L'avant-projet du futur Code de procédure pénale, doté de 730 articles consacrés, principalement, à la phase d'enquête -garde à vue, enquête, détention provisoire- a été préparé par un groupe de travail constitué de magistrats du siège et du Parquet, d'avocats, d'universitaires et de parlementaires. Le 3 mars 2010, une large concertation de deux mois a été lancée -avec les associations et organisations professionnelles de magistrats, d'avocats, de policiers, de gendarmes et de victimes- dans le but de permettre aux participants de faire part de leurs propositions, afin d'enrichir et d'améliorer le texte. C'est dans ce cadre que s'est tenu, le 25 mars 2010 à la Maison de la Chimie à Paris, un colloque organisé par le Conseil national des barreaux et consacré à la réforme de la procédure pénale (1). Au cours de la seconde partie de la journée, les intervenants ont débattu de la nouvelle audience pénale, l'occasion d'échanger leurs vues concernant les développements à venir de ce point de la réforme de la procédure pénale. Déjà empreint de nombreuses controverses, ce projet concrétise, de l'avis général, l'accroissement des pouvoirs du Parquet dans la procédure pénale, le ministère public conduisant déjà aujourd'hui 96 % des enquêtes, contre 4 % dévolues au juge d'instruction, dont le projet programme, par ailleurs, la disparition au profit du juge de l'enquête et des libertés. Ce sujet est d'autant plus sensible que celui-ci connaît des affaires criminelles ou de procédures les plus complexes nécessitant de lourdes investigations ou l'emploi de mesures attentatoires aux libertés (perquisitions, saisies, écoutes téléphoniques ou détention provisoire) (2). Concernant une concentration excessive des prérogatives du ministère public, l'on peut signaler qu'aux termes d'un arrêt de Grande chambre très attendu, rendu le 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France et a confirmé sa sentence à l'égard du procureur de la République (cf. CEDH, 10 juillet 2008, Req. 3394/03 N° Lexbase : A5462D98), estimant que ce dernier n'est pas une autorité judiciaire (CEDH, 29 mars 2010, req. 3394/03, Medvedyev c/ France N° Lexbase : A2353EUP). La CEDH rappelle, ainsi, que, pour être qualifié d'autorité judiciaire, le magistrat compétent "doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties", ce qui peut sonner comme un sérieux avertissement, la réforme proposée refusant, en effet, de modifier le statut du procureur de la République.

Cette évolution avait commencé avec la comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) (C. pr. pén., art. 495-7 N° Lexbase : L0876DY4 et s.), créée par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), sorte de plaider coupable à la française, qui permet une négociation de la peine (y compris l'emprisonnement) avec le Parquet (3). Rappelons que ce mécanisme donne au procureur de la République la possibilité de proposer une peine maximale d'un an de prison à une personne qui reconnaît avoir commis un délit, évitant, ainsi, une enquête parfois longue et un procès public. Le plaider coupable ne concerne, toutefois, que les délits punis d'une peine de cinq ans d'emprisonnement maximum. Déjà, à l'époque, sa mise en place avait été houleuse, avec des remises en cause, à la fois par la Cour de cassation (Cass. avis, 18 avril 2005, n° 00-50.004, Laurent X... N° Lexbase : A9305DH4) et par le Conseil d'Etat (CE référé, 11 mai 2005, n° 279833 N° Lexbase : A2048DIP et n° 279834 N° Lexbase : A2049DIQ).

A ce sujet, la première intervenante, Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la Magistrature, souligne que cette évolution, notamment avec le développement de la comparution immédiate, comporte des risques attentatoires aux droits du prévenu, avec une forte hausse constatée des classements sans suite et une impossibilité, pour l'avocat, d'assurer une bonne défense de son client faute de temps pour préparer le dossier. Cette procédure, à l'origine prévue comme une réponse judiciaire rapide, est devenue, selon elle, un mode de gestion préjudiciable aux justiciables, une sorte de justice "du chiffre". Par ailleurs, l'avant-projet de loi prévoit, désormais, deux motifs de classement, à savoir des motifs juridiques (C. pr. pén., art. 337-1, futur) ou des motifs de fait (C. pr. pén., art. 338-1, futur), ce qui risque encore d'accélérer ce processus. Le classement pourra aussi être décidé sans enquête judiciaire préalable (C. pr. pén., art. 331-9, futur), ou après constat de la réussite d'une mesure alternative (C. pr. pén., art. 331-10, futur). Il précise aussi que cette procédure pourra être mise en oeuvre par le procureur de la République, pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement au moins égale à deux ans, et en cas de flagrance, pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement au moins égale à six mois (C. pr. pén., art. 334-27, futur).

En outre, au terme de cette procédure, près de la moitié des mesures répressives est décidée par le Parquet, puisque le juge du siège ne peut qu'accepter ou refuser la peine choisie. Clarisse Taron souligne que la composition pénale, une autre des composantes des "circuits courts", mesure alternative aux poursuites pénales instaurée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999, renforçant l'efficacité de la procédure pénale (N° Lexbase : L2004ATE), et prévue par les articles 41-2 (N° Lexbase : L4793H9E) et 41-3 (N° Lexbase : L8035G7Q) du Code de procédure pénale, semble être une alternative souhaitable à cette "dérive", puisqu'elle ne constitue pas une condamnation et contribue à désengorger les juridictions. Elle peut, en effet, consister en le versement d'une simple amende au Trésor public, à la remise d'un véhicule, ou à l'accomplissement d'un travail non rémunéré au sein d'une personne morale ou d'une association.

Si l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale ne traite pas du jugement des affaires pénales en tant que tel, des prémices sont tout de même esquissées, reprises, notamment du rapport "Léger", qui tend à faire du président un simple arbitre de l'audience, ne disposant plus, en conséquence, de la direction et de la conduite des débats, comme l'indique le deuxième intervenant, Alain Blanc, Président de chambre à la cour d'appel de Douai et président de l'Association française de criminologie (4). Rappelons, pour mémoire, que le rapport "Léger" soulignait que, "compte tenu du caractère inquisitoire de notre procédure, le président participe activement à la recherche de la vérité [...] Comme le juge d'instruction, il est à la fois enquêteur et juge durant la première phase du procès". Dès lors, la conduite de l'audience, telle qu'elle existe aujourd'hui, "permet difficilement au président de conserver son impartialité".

C'est pourquoi ce rapport propose que l'énoncé initial des faits et des charges retenus contre l'accusé ou le prévenu devienne la charge, non plus du président de l'audience, mais du ministère public. Or, comme le souligne Alain Blanc, la garantie d'impartialité de l'audience publique est consubstantielle de celle du juge. En définitive, ne disposant plus de la direction de l'audience, le président veillerait uniquement, en arbitre impartial, "au bon déroulement des débats", avec en creux, l'idée que la vérité va survenir de la confrontation des parties. L'audience serait, dès lors, conduite à titre principal par le ministère public, les avocats de la partie civile et de la défense se voyant pour leur part conférer le droit d'interroger le prévenu ou l'accusé. L'on peut craindre, là aussi, un accroissement inconsidéré des pouvoirs du Parquet. Dès lors, en effet, que le ministère public est chargé, lors de l'audience, de défendre les intérêts de la société, peut-on attendre de lui qu'il conduise les débats et l'instruction en toute neutralité ? La soumission hiérarchique du Parquet au pouvoir exécutif paraît donc incompatible avec l'exigence d'une enquête menée "à charge et à décharge", car, comme le rappellera plus tard avec force Robert Badinter lors de la conclusion de ce colloque, le Parquet est une partie.

L'impartialité "ontologique" des présidents est, d'ailleurs, remise en cause par le troisième intervenant, Richard Sédillot, vice-président de la commission libertés et droits de l'Homme du Conseil national des barreaux. Selon lui, dans de nombreux cas, le président s'est déjà fait une idée sur la culpabilité ou l'innocence de l'accusé avant la tenue des débats. La solution serait, à l'inverse, qu'il n'ait pas connaissance du dossier avant l'audience, s'inspirant ostensiblement du modèle du procès anglo-saxon, la common law étant, selon lui, plus à même de garantir l'égalité des chances. Ce à quoi Alain Blanc réplique qu'un président peut lire un dossier en échafaudant des hypothèses, sans pour autant se former une conviction inébranlable sur le dossier. Celui-ci craint une évolution vers une situation de juge "aléa", voire de juge "voiture-balai", comme peut, par exemple, l'illustrer la loi sur les "peines-planchers" (loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs N° Lexbase : L1390HY7). Il conclut en reprenant la notion de juste distance proposée par le professeur Geneviève Giudicelli Delage, à savoir que "la garantie juridictionnelle de la phase d'enquête ne peut être effective que si le juge est en position de juste distance : ni trop près pour ne pas être aveuglé, ni trop loin pour ne pas être aveugle".

Concernant la procédure applicable plus spécifiquement en matière criminelle, le rapport "Léger" préconise l'instauration d'une procédure de jugement allégée en matière criminelle en cas de reconnaissance préalable de culpabilité par l'accusé, ceci afin d'engager une réduction des frais de la justice pénale et d'améliorer le délai de rendement. Pourtant, comme le rappelle Alain Blanc, l'aveu n'est pas toujours un gage absolu de fiabilité, en témoigne l'emblématique affaire d'"Outreau". La CRPC criminelle pourrait donc aboutir à une audience sans peine, ou sans examen des faits en cas d'aveu, ce qui aurait pour effet de priver les victimes de leur droit à un procès, lesquelles ont le droit "sacré" de connaître les circonstances exactes dans lesquelles le crime a été commis. Nous sommes donc en présence d'un nouveau risque d'absence d'égalité de traitement des justiciables, déjà illustré par la multiplication des modes de poursuites des délits (10 rien que concernant le vol), par l'utilisation différenciée des procédures sur le territoire hexagonal en fonction des choix faits par le Parquet, situation inédite dans laquelle le législateur a décidé de mettre en concurrence les modes de répression des délits (l'utilisation de la composition pénale ou de la CRPC pouvant aller de 1 à 60 selon les juridictions), et par la gestion managériale de la justice évoquée précédemment, même si, comme le rappelle Alain Blanc, celle-ci peut avoir ses justifications, notamment en période de restrictions budgétaires.

Venant clôturer les débats, Robert Badinter, sénateur de Hauts-de-Seine, ancien ministre de la Justice et ancien président du Conseil constitutionnel, pointe le calendrier serré de la réforme puisqu'un examen du projet de loi n'est prévu que fin 2010 ou début 2011, ce qui semble court pour adopter le texte avant la fin de la législature, sans compter qu'en période préélectorale, qui plus est de forte crise économique, les élus sont confrontés à des attentes plus immédiates de leurs concitoyens. "Les députés de la majorité souhaitent être réélus et le résultat des régionales ne leur a sûrement pas été indifférent", a-t-il souligné, ajoutant qu'il ne pensait pas que le projet aille plus loin qu'une première lecture au Sénat. Il marque, en outre, un certain scepticisme à l'égard du contenu de ce projet, puisque s'il indique que nous sommes toujours dans une phase de concertation, il constate que celle-ci ne porte pas sur l'ensemble du texte et, notamment sur ses points cardinaux, à savoir le statut du Parquet et la suppression du juge d'instruction. La Garde des Sceaux avait, en effet, déclaré avant le début de la concertation, que "refuser la réforme ou réclamer le maintien du juge d'instruction pour la neutraliser n'aurait pas de sens".

L'ancien Garde des Sceaux pointe le fait que la suppression du juge d'instruction va à rebours des dernières réformes adoptées par le Parlement ces dernières années, et, notamment, de la collégialité des juges d'instruction, seule capable de mettre fin à la solitude du juge, souvent terreau de l'erreur judiciaire. Il rappelle qu'étant ministre, il avait fait adopter la loi n° 85-1303 du 10 décembre 1985, portant réforme de la procédure d'instruction en matière pénale (N° Lexbase : L9920IGI), qui instaurait cette collégialité. Elle fut écartée pour des raisons budgétaires par la loi du 30 décembre 1987, relative aux garanties individuelles en matière de placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire et portant modification du Code de procédure pénale (loi n° 87-1062 N° Lexbase : L9921IGK). La loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-291, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale N° Lexbase : L5930HU8) a créé ces pôles de l'instruction, accru les possibilités de cosaisine de plusieurs juges d'instruction et prévu l'entrée en vigueur le 1er janvier 2010 de la collégialité, toutefois reportée au 1er janvier 2011 par la loi du 12 mai 2009 (loi n° 2009-526, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures N° Lexbase : L1612IEG).

Il reprend, ensuite, l'idée de la création souhaitable d'un statut individuel d'un magistrat du Parquet, différente de la situation d'un Parquet hiérarchisé. Selon lui, la voie à suivre est celle d'une procédure contradictoire où le ministère public n'aurait pas toutes les cartes en main face à des justiciables souvent dépourvus de moyens. Toutefois, cela nécessite des budgets à la mesure des ambitions annoncées, alors que les sommes allouées par les pouvoirs publics en France sont ridiculement faibles par rapport à nos voisins européens, anglais ou allemands. Il rappelle, à cet égard, qu'en Grande-Bretagne, le budget de l'aide juridictionnelle est égal à celui de l'intégralité du ministère de la Justice français, hors administration pénitentiaire.

Il reste que le parcours de la réforme de la procédure pénale semble encore incertain, puisque le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont abandonné la concertation le 25 mars 2010, suivis le 31 mars par l'Association française des magistrats instructeurs. Par ailleurs, le Conseil national des barreaux et l'Union syndicale des magistrats, dans un communiqué de presse du 3 mars 2010, "constatent que le texte proposé ne répond pas aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de respect du procès équitable et des droits de la défense". Le CNB a récemment ajouté que "l'accroissement conséquent des moyens matériels nécessaires à l'exercice de la défense, notamment lorsqu'elle intervient au titre de l'aide juridictionnelle, est indispensable". La question des moyens semble donc être en première ligne, puisque l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, instaurant la collégialité de l'instruction, pourtant votée à l'unanimité, avait déjà été reportée faute de moyens. Pour autant, les raisons plus structurelles de conflits persistent, telle l'indépendance du Parquet, la place des droits de la défense, ou la revalorisation du rôle du juge et des avocats. Reste à savoir si la concertation lancée début mars 2010 par la Garde des Sceaux réussira à aplanir tous les différends.


(1) La première partie de la journée est relatée par Anne Lebescond in Lexbase Hebdo n° 28 du 21 avril 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N9504BNC).
(2) Lire Rapport "Léger" : questions à Bernard Blais, Avocat général honoraire à la Cour de cassation sur quelques propositions de la Commission, Lexbase Hebdo n° 364 du 22 septembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9286BLI).
(3) Lire Réformer le parquet est inéluctable, par Mireille Delmas-Marty, Le Monde du 5 avril 2010.
(4) A ce sujet, lire Romain Ollard, Projet de réforme de la procédure pénale : présentation du rapport définitif du comité de réflexion sur la justice pénale, Lexbase Hebdo n° 367 du 14 octobre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0886BMR).

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Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Conditions de recours à un expert par le CHSCT dans le cadre d'un "projet important" : le nombre de salariés concernés ne saurait déterminer à lui seul l'importance du projet

Réf. : Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-15.086, CHSCT de l'établissement de la région Sud Est Rhône Alpes de la société Nextiraone France, FS-P+B (N° Lexbase : A7691ERB)

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N9496BNZ

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'article L. 4614-12 du Code du travail (N° Lexbase : L1819H9A) est clair : le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8 (N° Lexbase : L1754H9T). Et audit article de préciser la notion, pour le moins vague, de "projet important", en retenant que le CHSCT est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
Les décisions en la matière sont plutôt rares et la notion de "projet important" reste finalement appréciée au cas par cas. Elles méritent donc d'être soulignées, surtout lorsque la Haute juridiction semble opérer un changement de cap. Un arrêt du 10 février 2010 est, à cet égard, pour le moins révélateur. Les juges du Quai de l'Horloge retiennent, en effet, par cet arrêt, que le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l'importance du projet, il faut que le projet en cause soit de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail, poursuivant, ce faisant, un travail de clarification nécessaire de l'article L. 4614-12 du Code du travail. Dans cette affaire, le CHSCT d'une société avait décidé de recourir à une mesure d'expertise aux fins d'apprécier les conséquences sur les conditions d'hygiène, de sécurité et les conditions de travail d'un projet emportant réorganisation du service commercial. Saisi d'une demande d'annulation des délibérations, la cour d'appel a fait droit à la demande de l'employeur en retenant que le projet d'aménagement n'était pas suffisamment important ni en termes de salariés concernés, ni en termes d'impact sur les conditions de travail. Elle avait donc annulé la mesure de désignation par le CHSCT de l'expert pour apprécier les conséquences de la réorganisation du service commercial, qui impliquait une dizaine de salariés, jugeant que ce nombre n'était pas significatif d'un "projet important" autorisant cette expertise. Le CHSCT fait grief à l'arrêt de faire droit à cette demande alors, selon le moyen, que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et qu'un projet important s'entend d'un changement significatif des conditions de travail des salariés, indépendamment du nombre de salariés concernés. Dès lors, en jugeant que, pour être considéré comme important, un projet doit concerner un nombre significatif de salariés et en refusant, en conséquence, d'examiner la portée du projet, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 4614-12 et L. 4612-8 du Code du travail.

Par cet arrêt, la Haute juridiction retient que l'importance d'un projet de réorganisation dans l'entreprise ne s'évalue pas seulement en fonction du nombre de salariés concernés : "si le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l'importance du projet, la cour d'appel, qui a constaté, en l'espèce, que le projet en cause n'était pas de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail, a pu statuer comme elle a fait". En revanche, elle approuve l'annulation de la mesure de désignation de l'expert par les juges du fond, la portée du projet en cause n'étant pas de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail.

Les juges du Quai de l'Horloge précisent donc, dans cet arrêt, que le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l'importance d'un projet pour justifier le recours à l'expertise par un CHSCT, conformément aux dispositions de l'article L. 4614-12 du Code du travail. Il appartient au juge de rechercher si le projet en cause est de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail. Le message est clair. Peu importe le nombre de salariés concernés, le juge doit avant tout rechercher si le projet est de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation semble donc ici quelque peu s'écarter des textes et, notamment, d'une circulaire de 1993 (1), qui prévoit qu'un projet important concerne "un nombre significatif de salariés et conduit, sur le plan qualitatif, à un changement déterminant des conditions de travail des salariés concernés". Selon ce texte donc, un projet important est celui qui va concerner un nombre conséquent de salariés par rapport à l'effectif et qui va induire un changement important des conditions de travail. Les critères quantitatifs et qualitatifs sont ici cumulatifs. Or, dans l'arrêt du 10 février, le critère devient essentiellement qualitatif.

Depuis quelques années, les juges avaient tendance à laisser au CHSCT une marge de manoeuvre importante leur permettant de recourir à un expert dès lors que le projet modifiait les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail. Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme donc cette tendance, finalement, peu importe le nombre de salariés concernés, l'essentiel étant que le projet impacte les conditions de travail, entendues dans son sens le plus large. Or, en l'espèce, les juges ont estimé que le fait que deux vendeurs connaissent une extension de leur secteur d'activité ne suffisait pas à établir une modification des conditions de travail.

La Haute juridiction reconnaît, depuis 2001, que le contrôle des juges du fond doit se limiter à la constatation de l'existence d'un projet important modifiant les conditions de travail, ou d'hygiène et de sécurité (2). Ainsi, les juges du fond n'ont pas à apprécier l'utilité d'une telle expertise dès lors que l'existence d'un tel projet est constatée. A cet égard, les juges ont estimé que le projet de réorganisation en cause ne prévoyant aucune transformation de poste, aucun changement de métier, aucun nouvel outil ni modifications des cadences ou des normes de productivité, n'était pas un projet important permettant au comité de faire appel à un expert (3).

A contrario, après avoir constaté que, sur un effectif de 400 salariés, 255 étaient postés, que le changement d'horaire les affectait directement et que le médecin du travail avait rappelé que le travail posté était en soi perturbateur des rythmes biologiques, et conclu qu'il était préférable de se rapprocher de ces rythmes biologiques, la cour d'appel en a exactement déduit que les conditions posées par le Code du travail qui permet au CHSCT de recourir à une expertise étaient réunies (4). De même, tout projet définissant un nouveau métier de la logistique, dont les grandes orientations sont définies, la durée et la mise en oeuvre programmées et qui concerne la majorité des postes du service touché justifie le recours à un expert (5).

De la même manière, ont été reconnus comme importants par les juges et justifiant, à ce titre, la désignation d'un expert, la mise en service d'une nouvelle ligne de TGV (6) ; le projet de réorganisation mis en place à l'initiative de la direction d'un groupe entraînant la disparition d'une société, ainsi qu'une nouvelle organisation des établissements de cette société et le transfert d'une partie de son personnel au service d'une autre société relevant d'un autre groupe (7) ; le projet ayant trait à la négociation sur l'organisation et la réduction du temps de travail dans l'entreprise (8) ; le projet dont les grandes orientations étaient définies, dont la durée était programmée et la mise en oeuvre était prévue et qui aboutissait à la définition d'un nouveau métier de la logistique (9) ; l'installation d'un service important dans de nouveaux locaux plus vastes et mieux aménagés que les anciens (10) ; la décision d'instituer un cadre d'évaluation en mettant en place des entretiens individualisés des salariés (11) ; ou, encore, la mise en place d'un système de contrôle du temps de travail, même exceptionnel (12)...

On ne peut que se réjouir d'une telle décision. En effet, jusqu'à présent, la Haute juridiction laissait à l'appréciation des juges du fond la détermination de la qualification de "projet important". En reprenant la main et en faisant prévaloir le critère qualitatif sur le critère quantitatif, sans, cependant, exclure le second, les juges du Quai de l'Horloge se rapprochent finalement de la lettre de l'article L. 4612-8 du Code du travail : est important le projet impliquant un aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; un changement de produit ou d'organisation du travail ou une modification de cadences et des normes de productivité. Même si, à notre sens, toute mesure à caractère individuel ne saurait être susceptible de recevoir le sceau de "projet important", ce serait oublier la vocation collective initiale assignée au CHSCT.


(1) Circ. min. n° 93-15 du 25 mars 1993 (N° Lexbase : L3031AI4).
(2) Cass. soc, 14 février 2001, n° 98-21.438 (N° Lexbase : A3422AR8).
(3) Cass. soc., 26 juin 2001, n° 99-16.096, Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail c/ Electricité de France (EDF) (N° Lexbase : A7901ATS).
(4) Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-18.240, Société Sogerail c/ M. Kaeuflinget autres (N° Lexbase : A7691AHC).
(5) Cass. soc., 1er mars 2000, n° 97-18.721, Société anonyme Régie nationale des usines Renault c/ Comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail n° 2 de l'usine Renault (N° Lexbase : A0275AUQ).
(6) Cass. soc., 2 février 2005, n° 03-12.949, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ Comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) (N° Lexbase : A6252DGN).
(7) Cass. soc., 29 septembre 2009, n° 08-17.023, Société Forclum Ile de France, F-P+B (N° Lexbase : A5853ELD) et les obs. de S. Tournaux, La mission des experts désignés par les comités en cas de restructuration, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale ([LXB=N0849BM]).
(8) CA Paris, 1ère ch., sect. S, 31 mai 2000, n° 1999/14750, SA Cooper coopération pharmaceutique française c/ CHSCT de l'établissement de Melun de la société Cooper (N° Lexbase : A8368DNA).
(9) Cass. soc., 1er mars 2000, n° 97-18.721, préc..
(10) Cass. crim., 7 mars 2000, n° 99-85.385, Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'ensemble des divisions régionales SNCF, inédit (N° Lexbase : A0281CP4).
(11) Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964, Association pour la gestion du groupe Mornay Europe (AGME), FS-P+B+R (N° Lexbase : A9461DZG).
(12) Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-17.494, Fédération générale agroalimentaire de la CFDT c/ Fédération nationale du personnel d'encadrement de la production, F-D (N° Lexbase : A2260DIK).

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Rémunération

[Jurisprudence] L'utilisation de son domicile à des fins professionnelles par le salarié : une sujétion qui doit faire l'objet d'une indemnisation

Réf. : Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865, M. Assibat, FS-P+B (N° Lexbase : A5814EUU)

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N9429BNK

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Combien de salariés français, lorsqu'ils rentrent chez eux, le soir ou le week-end, ne se libèrent pas totalement de leurs obligations professionnelles ? A la demande de l'employeur qui fournit, qui un ordinateur portable, qui un téléphone mobile aux fonctions variées, qui un abonnement à internet, nombre d'entre eux tentent de "s'avancer" comme le fait le lycéen qui prépare, le week-end, ses devoirs du courant de la semaine suivante. Cette situation, très fréquente, comporte l'immense inconvénient de brouiller les temps de travail et de repos, mais aussi de faire du domicile du salarié une petite "annexe" de l'entreprise. C'est à cette situation que la Chambre sociale de la Cour de cassation entend réagir dans un arrêt rendu le 7 avril 2010. En jugeant que l'occupation du domicile du salarié à la demande de l'employeur constitue une immixtion dans sa vie privée (I), la Cour de cassation pose des limites et des conditions spécifiques à une telle pratique parmi lesquelles la plus symbolique est celle de l'obligation d'indemniser la sujétion subie par le salarié (II).

Résumé

L'occupation, à la demande de l'employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail. Si le salarié, qui n'est tenu ni d'accepter de travailler à son domicile, ni d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail, accède à la demande de son employeur, ce dernier doit l'indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile. Le juge, appréciant souverainement l'importance de la sujétion subie par les salariés, peut fixer le montant de l'indemnité devant leur revenir.

I - L'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles : une immixtion dans la vie privée

  • Les sujétions subies par le salarié

Ni le Code du travail, ni la jurisprudence ne définissent la notion de sujétion imposée au salarié (1). Le langage courant définit la sujétion comme un état de dépendance par rapport à quelqu'un, d'assujettissement à quelqu'un (2).

Rapportée au contrat de travail, cette définition est trop vaste. En effet, la caractéristique même du contrat de travail tient à l'établissement d'un lien de subordination entre le salarié et l'employeur. En concluant le contrat de travail, le salarié accepte de soumettre au pouvoir de direction de l'employeur et, par voie de conséquence, s'assujettit à lui. Malgré le renouvellement de sa figure, la subordination serait donc la forme la plus aboutie de sujétion concédée par le salarié dans le contrat de travail (3).

A côté de cette sujétion générale que constitue la subordination, il existe parfois dans les relations de travail un certain nombre de sujétions particulières. Ces sujétions sont de véritables modalités de l'obligation principale à la charge du salarié, c'est-à-dire des aménagements de l'obligation de fournir une prestation de travail (4)

  • L'indemnisation des sujétions subies par le salarié

Que les sujétions imposées au salarié trouvent leur source dans le Code du travail, dans les conventions collectives ou dans le contrat de travail, elles donnent parfois lieu au versement au salarié d'une indemnité compensant la contrainte particulière.

Les exemples tirés du Code du travail sont nombreux. Sans exhaustivité, on pourrait citer la majoration de salaire des heures supplémentaires (5), l'indemnisation du temps d'astreinte (6) ou encore le doublement du salaire dans certains cas de dérogation au repos dominical (7).

Les conventions collectives de branche fourmillent, elles aussi, de "primes", "indemnités" et autres "contreparties" versées au salarié en raison de sujétions particulières qu'il subit. Ainsi, par exemple, la Convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, dont l'article 12-2 de l'avenant n° 265 du 21 avril 1999 prévoit une prime pour certains cadres "en fonction des sujétions spécifiques qu'ils supportent, non liées au fonctionnement de l'établissement ou du service" (8).

Enfin, le contrat de travail prévoit impérativement, depuis 2002, une contrepartie financière à la contrainte acceptée par le salarié par l'intermédiaire d'une clause de non-concurrence (9).

Malgré ce panorama, il subsiste de grandes disparités et certaines sujétions ne donnent lieu à aucune indemnisation.

  • Les sujétions non indemnisées

Si certaines sujétions ne sont pas indemnisées, il convient de soigneusement distinguer les sujétions qui sont des contraintes additionnelles à la relation de travail et le remboursement des frais professionnels qui sont versés au salarié lorsque celui-ci a dû exposer une somme d'argent pour effectuer sa prestation de travail (10).

Néanmoins, certaines contraintes agrémentant la prestation de travail ne donnent obstinément pas lieu à contrepartie ou indemnisation. C'est, par exemple, le cas des clauses de mobilité dont la mise en oeuvre n'impose pas, par principe, le versement d'indemnités particulières malgré l'atteinte manifeste portée à la vie personnelle et familiale du salarié.

Il en va de même du travail à domicile. En effet, si le travailleur à domicile doit nécessairement percevoir une rémunération forfaitaire, il n'est nullement imposé que cette rémunération prenne en considération la sujétion consistant à voir son travail envahir son domicile (11). C'est sur une situation assez proche que portait l'affaire sous examen.

  • En l'espèce : les problèmes soulevés

Les responsables de secteur d'une grande société multinationale avaient saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement d'une indemnité au titre de l'occupation partielle de leur domicile privé à des fins professionnelles, activité consistant dans des tâches administratives. L'employeur prenait à sa charge les frais de matériel informatique et de communication nécessaires à ces tâches.

Une clause du contrat de travail de ces salariés prévoyait que leur rémunération tenait compte de la sujétion résultant de l'occupation de leur domicile privé à des fins professionnelles. La cour d'appel de Versailles, saisie de l'affaire, avait annulé cette clause contractuelle, jugé que les salariés devaient bénéficier d'une indemnité compensant la sujétion particulière et avait souverainement fixé le montant de cette indemnité (CA Versailles, 17ème ch., 23 mai 2008, n° 07/03437, Nestlé Waters marketing et distribution c/ Alexandre Assibat N° Lexbase : A9559EQ4).

L'arrêt fit l'objet d'un pourvoi introduit par l'employeur et d'une demande reconventionnelle introduite par les salariés.

L'employeur soutenait, pour l'essentiel, que l'exécution du contrat de travail pour partie à domicile étant prise en compte dans l'économie générale du contrat de travail, si bien qu'aucune indemnité n'était due aux salariés. Il réfutait également l'argument de la cour d'appel selon lequel, puisque d'autres salariés de l'entreprise, chefs de région, bénéficiaient d'une indemnité forfaitaire pour travail à domicile, le principe d'égalité de traitement imposait que les chefs de secteurs bénéficient eux aussi d'une indemnité.

Les salariés contestaient quant à eux le mode de fixation de l'indemnité par le juge. En effet, la cour d'appel avait fait une appréciation de la sujétion subie et avait tenu compte du temps moindre consacré par les salariés à leurs tâches administratives par rapport aux responsables régionaux et des coûts proportionnels de fonctionnement générés par l'occupation de leur domicile privé qui en découlaient. La cour avait, par conséquent, refusé de verser aux salariés la prime forfaitaire prévue pour les chefs de région et avait opéré son propre calcul.

  • En l'espèce : les réponses apportées

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette l'ensemble des moyens soulevés par les parties. La motivation, riche et détaillée, fournit un grand nombre d'enseignements sur l'indemnisation des sujétions subies par les salariés.

D'abord, la Cour dispose que "l'occupation, à la demande de l'employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail". Le salarié "n'est tenu ni d'accepter de travailler à son domicile, ni d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail", mais s'il l'accepte, l'employeur "doit l'indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile".

Ensuite, s'agissant de la comparaison des situations des chefs de région et des chefs de secteur, la Cour estime que ces salariés se trouvaient "dans la même situation au regard de la sujétion considérée puisque les uns comme les autres voyaient transformer une partie de leur domicile en bureau", si bien que rien ne légitimait une différence de traitement. Cependant, "il existait des éléments objectifs et pertinents justifiant l'octroi d'indemnités différentes aux deux catégories de personnel considérées, en l'occurrence un taux d'occupation différent, en termes de temps et d'espace, du domicile des salariés à des fins professionnelles".

II - L'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles : une sujétion qui doit être indemnisée

  • Le travail à domicile : une sujétion pour le salarié

Le principal enseignement de l'arrêt commenté tient à ce que l'occupation du salarié à son domicile constitue une sujétion qui doit être indemnisée par l'employeur. Pour la Cour de cassation, l'utilisation du domicile pour le travail constitue une immixtion dans la vie privée du salarié et n'entre pas, à ce titre, dans l'économie générale du contrat de travail.

C'est d'abord, à notre connaissance, la première fois que la Chambre sociale consacre l'expression jusqu'ici utilisée par la doctrine, d'économie générale du contrat de travail (12). L'idée serait qu'il existerait un socle, un ensemble de conditions d'exécution du contrat de travail qui constitueraient son économie générale et que l'immixtion dans la vie privée du salarié ne pourrait, par principe, pas entrer dans cette économie générale. Ce ne serait que lorsque le contrat est à proprement parler un contrat de travailleur à domicile que l'immixtion entrerait dans l'économie du contrat.

On constatera que la Chambre sociale opère un choix quant au travail à domicile. Parfois considéré par les salariés comme un avantage, un mode d'exécution du travail permettant une certaine marge de liberté du fait de l'éloignement du pouvoir de direction de l'employeur, ce mode de travail est aussi particulièrement flexible et implique une confusion entre vie personnelle et vie professionnelle, une confusion des temps de travail et des temps de repos. C'est donc à une appréciation in abstracto que se livre la Chambre sociale : d'une manière générale, faire travailler le salarié à son domicile pour une partie de son activité est une immixtion, une contrainte, une sujétion.

  • Le consentement du salarié, élément nécessaire au travail partiellement effectué à domicile

Deuxième temps du raisonnement, cette sujétion n'étant pas initialement constitutive de l'économie générale du contrat, cette modalité ne peut être imposée au salarié qui n'est pas tenu d'installer ses dossiers et son matériel à son domicile. Cette affirmation est manifestement destinée à juguler les situations dans lesquelles des salariés demeurent en réalité à disposition de leur employeur soirs et week-end. L'installation de ces matériels au domicile du salarié ne pouvant lui être imposé, il convient d'en conclure que le salarié ne pourra être licencié pour avoir refusé une telle installation.

La mise en pratique de cette mesure risque de s'avérer délicate car, on le sait bien, si la prise en charge par l'employeur de l'abonnement internet comporte le risque d'un brouillage des temps, il a aussi l'avantage de permettre au salarié de bénéficier d'internet à titre personnel aux frais de l'entreprise. En outre, la frontière entre occupation du domicile "commandée" par l'employeur et occupation du domicile par le salarié "de plein gré" risque d'être parfois bien délicate à tracer.

  • L'obligation d'indemniser la sujétion et ses potentialités

Troisième temps de l'argumentation : si le salarié accepte l'installation du matériel et des dossiers, l'employeur "doit l'indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile". En ce qui concerne les frais professionnels, il est probable qu'il n'y ait rien là d'exceptionnel, puisqu'il est constant que les frais exposés pour les besoins de l'activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être remboursés au salarié (13).

En revanche, l'obligation imposée par le juge d'indemniser la sujétion particulière née de l'immixtion dans la vie privée du salarié apparaît comme beaucoup plus innovante et semble ouvrir des perspectives variées.

En effet, le travail partiellement effectué à domicile n'est pas la seule hypothèse dans laquelle le travail s'immisce dans la vie privée du salarié. Que dire, par exemple, des clauses de résidence ? Si l'on sait que la validité de ces clauses est très strictement encadrée, il arrive pourtant parfois qu'elles soient jugées valables. Ces clauses portent nécessairement atteinte à un aspect de la vie privée du salarié, sa liberté de domicile. La Chambre sociale pourrait prochainement imposer aux employeurs d'indemniser la sujétion subie par les salariés contraints à une clause de résidence.

Mais si l'on pousse le raisonnement plus loin encore, on se souviendra que, pour la Chambre sociale, la mise en oeuvre d'une clause de mobilité porte atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié (14). Cette atteinte doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Pour autant, justifiée ou non, il s'agit bien d'une immixtion de du travail sur la vie privée, sur la liberté de domicile, sur l'organisation du temps familial. Là encore, il ne serait pas surprenant que la Cour de cassation étende l'indemnisation des sujétions aux hypothèses de mise en oeuvre des clauses de mobilité.

La comparaison entre les clauses de mobilité ou de résidence et le travail partiellement effectué à domicile pose cependant la question, par effet de miroir, de l'exigence d'une justification de l'atteinte portée. En effet, puisqu'il s'agit d'une sujétion subie par le salarié, on aurait pu s'attendre à ce que la Chambre sociale fasse application, dans cette affaire, de la règle issue de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), selon laquelle nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. Si le travail à domicile porte atteinte au droit à la vie privée, comme semblent le sous-entendre les juges, pourquoi substituer à l'exigence de justification un simple accord du salarié ?

  • Le montant de l'indemnité

Enfin, il faut remarquer que, comme il se l'autorise en matière de fixation des indemnités compensant les temps d'astreinte (15), le juge judiciaire semble ici s'octroyer la faculté de déterminer le montant des indemnités qui seront versées au salarié.

Les chefs de secteurs réclamaient le versement de la prime forfaitaire servie aux chefs de régions en application du statut collectif de l'entreprise. La Chambre sociale fait alors une application millimétrée du principe d'égalité de traitement des salariés en matière de rémunération.

En effet, dans un premier temps, elle invoque l'égalité de traitement entre les chefs de services et les chefs de régions pour justifier que, si les uns sont indemnisés pour la sujétion constituée par le travail à domicile, il y aurait différence de traitement si les autres ne l'étaient pas. Il y a, implicitement, application du principe "à travail égal, salaire égal", ce qui n'étonne pas puisque la sujétion est identique et que l'indemnité servie en contrepartie d'une sujétion est toujours qualifiée par la Cour de cassation de rémunération (16).

Dans un second temps, se plaçant sur un terrain de justice distributive, les juges apprécient l'intensité de la sujétion imposée aux chefs de secteurs, intensité moindre par rapport à celle subie par les chefs de régions. Elle en déduit que les chefs de secteurs ne doivent pas percevoir l'indemnité forfaitaire mais une indemnité spécialement calculée pour compenser la sujétion subie. Si le raisonnement est séduisant, il faut bien reconnaître que, là encore, l'évaluation de l'intensité de la sujétion et de l'indemnité correspondante risque d'être bien délicate...


(1) La notion est mieux connue en droit administratif où elle désigne des "obligations que l'administration peut imposer à des particuliers dans un but d'intérêt public", v. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, sous la dir. de Ph. Malinvaud, PUF, 8ème éd., 2007, v° sujétion.
(2) Dictionnaire Trésor de la langue française, v° sujétion.
(3) A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, Dr. soc., 2000, p. 131 ; F. Héas, Etre ou ne pas être subordonné, Dr. ouvrier, 2009, p. 405.
(4) Sur l'usage de ces termes de "sujétion particulière" par la jurisprudence, v. Cass. soc., 31 mars 1989, RJS, 1989, n° 620 ; Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-41.188, Gérard Laucusse, FS-D (N° Lexbase : A4259DZR), JCP éd. S, 2007, 1961. Parfois, la Chambre sociale préfère les termes de "sujétion spéciale", v., par ex., Cass. soc., 15 novembre 2007, n° 06-43.383, Association Anais, FS-P+B (N° Lexbase : A7428DZ7).
(5) C. trav., art. L. 3121-22 (N° Lexbase : L0314H9I). On peut, en effet, estimer que la majoration constitue une compensation versée en raison du dépassement de la durée hebdomadaire de travail.
(6) C. trav., art. L. 3121-9 (N° Lexbase : L0299H9X).
(7) Sur cette question, v. nos obs., Le paradoxe de la loi du 10 août 2009 : réaffirmation du principe du repos dominical et extension des hypothèses dérogatoires, Lexbase Hebdo n° 362 du 11 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7432BLT).
(8) Sur l'application cependant restrictive de cette prime, v. Cass. soc., 27 mars 2008, n° 06-44.609, Association départementale amis parents enfants inadaptés (ADAPEI) du Var, FS-D (N° Lexbase : A6048D77) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Versement de l'indemnité de sujétion : conditions et preuve des sujétions, Lexbase Hebdo n° 300 du 11 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6583BEK) ; A. Martinon, Etablissements et services pour personnes inadaptées et handicapées : nouvelle interprétation de la convention collective, JCP éd. S, 2009, 1522.
(9) Cass. soc., 10 juillet 2002, 3 arrêts, n° 00-45.135, M. Fabrice Salembier c/ Société La Mondiale, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE), n° 00-45.387 (N° Lexbase : A1227AZH) et n° 99-43.334 (N° Lexbase : A0769AZI) et les obs. de Ch. Radé, Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4139AAK) ; D., 2002, somm. p. 2491, note Y. Serra et p. 3111, obs. J. Pelissier ; JCP éd. G, 2002, II, 10162, note F. Petit.
(10) Sur la qualification de frais professionnels, lire G. Auzero, Déplacements domicile-travail et remboursement des frais professionnels, Lexbase Hebdo n° 268 du 13 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7860BBQ) ; Ch. Radé, L'employeur doit assumer les coûts d'entretien des vêtements de travail dont le port est obligatoire, Lexbase Hebdo n° 307 du 6 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2135BG8).
(11) Sur le caractère forfaitaire de la rémunération, v. C. trav., art. L. 7412-1 (N° Lexbase : L3488H93).
(12) L'expression avait, en revanche, déjà été utilisée par les autres chambres civiles. V., par ex., Cass. civ. 1, 27 juin 2006, n° 04-11.965, Fondation de la faculté de médecine Institut Bouisson Bertrand (N° Lexbase : A0946DQ4).
(13) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 07-42.227, Société Patrimoine management et associés, F-D (N° Lexbase : A3767EHY).
(14) Cass. soc., 14 octobre 2008, n° 07-40.523, Mme Stéphanie Malagie, épouse Milcent, FS-P+B (N° Lexbase : A8129EAC).
(15) V., par ex., CA Bordeaux, ch. soc., sect. B, 14 mai 2009, SAS SA Transport routier de fret interurbain c/ Martin (N° Lexbase : A7486ELT).
(16) Cass. soc., 15 octobre 1987, n° 85-41.535, Société à responsabilité limitée Skalski Meubles c/ Mme Vincent et autre (N° Lexbase : A1979ABW).


Décision

Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865, M. Assibat, FS-P+B (N° Lexbase : A5814EUU)

Rejet, CA Versailles, 17ème ch., 23 mai 2008, n° 07/03437, Nestlé Waters marketing et distribution c/ Alexandre Assibat (N° Lexbase : A9559EQ4)

Textes visés : néant

Mots-clés : travail à domicile ; sujétion ; indemnités ; économie générale du contrat de travail

Lien base : (N° Lexbase : E0809ET7)

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[Manifestations à venir] Journée de l'Avocat du barreau de Grenoble

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Le 07 Octobre 2010

Le 29 avril 2010 à la Maison de l'Avocat de Grenoble, des formations et des ateliers seront dispensés tout au long de cette journée. Chaque formation valide 2 heures au titre de la formation continue.
Programme

9h30 - La rentabilité du cabinet d'avocat (2ème étage)

11h30 - Pour bien facturer, il faut connaître son coût de revient horaire ! (2ème étage)

14h00 - Dicter pour gagner du temps (Rez-de-chaussée)

14h00 - La comptabilité BNC de l'avocat (2ème étage)

15h30 - La première installation d'un cabinet d'avocat (2ème étage)

17h15 - Présentation de CORESALP (2ème étage)

Agence organisatrice

  • Lexposia, 29 rue de Trévise - 75009 Paris
  • Sarah Berrebi, Chargée de clientèle, Tél. : 01 44 83 66 78, sberrebi@lexposia.com

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