La lettre juridique n°393 du 6 mai 2010

La lettre juridique - Édition n°393

Éditorial

Sur ma tablette I-pad, sur mon net book et sur les arbres, j'écris ton nom...

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N0596BPR

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Au chapitre des libertés publiques, vous pouvez zapper sur vos téléviseurs, sur vos radios, feuilleter vos quotidiens et vos hebdomadaires : il n'y en a que pour la burqa ! Pardon, le voile intégral, devrais-je dire ; employons le vocable générique, c'est, nul doute, moins stigmatisant, tout aussi efficace, bien que non remboursé par la Sécurité sociale. Il faut dire qu'avec un article 5 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que "la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas", et un article 10 qui précise que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi", il n'en faut pas plus pour que Gouvernement et parlementaires rameutent le ban et l'arrière ban législatif contre l'atteinte aux valeurs de la République fomentée par 150 femmes entièrement voilées sur son territoire laïc -l'on omettra, ici, le cas de Mayotte, département d'outre-mer français à l'horizon 2011, dont 98 % de la population mahoraise est musulmane et dont les enfants fréquentent aussi bien l'école coranique que l'école primaire de la République-. Et, l'on s'empressera de dire, avec bien d'autres juristes, avocats, professeurs et constitutionnalistes -et, dernièrement Massimo Giordano, maire de Novare, dans le Piémont-, que l'arsenal législatif et règlementaire pourfend, d'ores et déjà, l'atteinte à la dignité des femmes ainsi orchestrée, l'atteinte à la sécurité civile ainsi supputée.

Mais, que voulez-vous, "la politique moderne fait de la loi un fétiche simplement parce que c'est la loi" (Gandhi, Lettres à l'Ashram). Sauf que, si la loi est un fétiche, elle demeure, elle-même, subordonnée à l'Etre Suprême que constituent les libertés fondamentales, et notamment religieuses, que garantissent, pêle-mêle, la Constitution, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, les différents Pactes civiques et autres Conventions internationales pour les droits de ou les droits à.... Le fétiche, même par transsubstantiation, n'est pas toujours vénérable et vénéré ! Et, au final, que dire d'un législateur qui, au mépris de l'étude rendue par le Conseil d'Etat, le 30 mars 2010, qui estime qu'une interdiction générale et absolue du port du voile intégral ne serait pas juridiquement fondée, entend persévérer au risque d'encourir la censure constitutionnelle, une censure aux allures et aux effets "carboniques". C'est fouler l'oripeau constitutionnel redoré par l'effervescence de la question prioritaire de constitutionnalité.

Et, pourtant, il est un sujet, qui, pour le coup, est entièrement voilé par les médias, et qui, lui, nécessiterait, sans doute, que l'on s'y attache plus sérieusement : celui des bases de données nominatives relatives aux faits relevant de la vie privée -sans doute parce que les grands médias sont financés par la publicité, publicité dont la côte est, elle-même, fixée grâce ces bases de données-. Ne soyons pas dupes, lorsque plusieurs associations demandent l'annulation du décret portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "CRISTINA", destiné à faciliter l'exercice de ses missions par la direction centrale du renseignement intérieur, c'est la partie émergée de l'iceberg que l'on attaque, le risque d'atteintes à la vie privée et de prolifération de l'exploitation des données personnelles à des fins commerciales étant plus important que celui relatif à l'exploitation des données personnelles à des fins sécuritaires. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 16 avril 2010, ne s'y est pas trompé en estimant que le fichier "CRISTINA" devait être regardé comme intéressant la sûreté de l'Etat, notamment la lutte contre l'espionnage et le terrorisme. Le Premier ministre pouvait donc, sans méconnaître l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, faire usage de la dispense de publication. Et, dans la même mesure, le 7 avril 2010, les Sages du Palais-Royal fixent, sans ménagement, les conditions de création des traitements de données destinés à recenser les bons et les mauvais locataires indiquant, d'une part, que la CNIL ne pouvait légalement refuser la création d'un "fichier des locataires de confiance" en se bornant à constater que la mise en oeuvre du traitement était susceptible de porter atteinte au droit au logement, et qu'il n'appartenait, en conséquence, qu'au législateur de le créer, sans vérifier si les modalités de fonctionnement de ce fichier ne comportaient pas de garanties suffisantes pour assurer le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; et, d'autre part, en refusant à une société la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel intitulé "fichier des impayés locatifs". La CNIL est donc placée au centre du dispositif de défense des libertés publiques, mais a-t-elle les moyens de sa compétence, pour ne pas dire de ses ambitions ? Notamment, face à la multiplication des bases de données et de notation d'à peu près tout et n'importe quoi ?

Après les profs, les avocats et les médecins, maintenant, les mauvais locataires ; lorsque l'on sait la crise du logement qui sévit actuellement, et sans tomber dans Zola, on peut légitimement s'interroger sur les effets désastreux d'une inscription, sur un tel fichier, pour la vie des personnes concernées, souvent en situation précaire. D'autant que, comme tout système, il n'est pas infaillible et l'on peut se retrouver fortuitement sur la liste des mauvais payeurs pour une raison tout autre que financière, voire sans aucune raison, comme cela arrive d'ailleurs pour d'autres fichiers -le fichier des interdits bancaires, par exemple-. Plus globalement, on aura beau expliquer à tout un chacun que les systèmes de notation sont subjectifs, ne reflètent qu'une opinion élaborée à partir de bases de données et relèvent de la liberté d'expression, l'on voit, aujourd'hui, à l'échelle d'un pays comme la Grèce, toute l'influence et les conséquences financières y afférentes de ces agences, que l'on vouait aux gémonies, il y a peu, pour ne pas avoir prévenu la crise économique. Mais que voulez-vous : "plus faibles sont les risques, meilleure est l'entreprise" (Sophocle, Philoctète) !

En attendant, la "fichiérisation" de la société progresse à grands pas, notamment, via internet. Après Facebook, épinglé pour réutiliser des données, voire des photos personnelles à des fins commerciales, c'est la firme de Mountain View, Google, qui défraie la chronique en admettant conserver les données de navigation -c'est un peu comme si vous étiez sur écoute téléphonique pendant neuf mois- afin de profiler ses annonces publicitaires, commerciales, et ce, au mépris des règles de transparence et d'usage, comme cela fut révélé en Allemagne. Google avait collecté des données (photos des rues, des propriétés, des visages des passants, les SSID et les adresses MAC des réseaux wi-fi visibles) sans le déclarer aux autorités allemandes. Au final, Google propose de flouter toute personne, propriété ou rue entière dont on lui ferait la demande, entend déclarer son fichier d'adresses wi-fi aux différentes CNIL européennes, mais compte toujours sortir son projet Street View en Allemagne, dans l'année ! Autant dire, que les pouvoirs publics demeurent nécessairement impuissants face à des géants économiques, dont la trésorerie suffirait à éponger la dette de... la Grèce, par exemple.

Et si nécessité n'avait pas besoin de loi, comme dit l'adage ? Le meilleur réflexe ne serait-il pas le réflexe citoyen ? En Allemagne, le réseau social Facebook peine à décoller : les allemands lui préférant un réseau national plus sécurisé et plus transparent. C'est que, dans un pays qui a connu pendant 50 ans l'espionnage civil, la délation et l'atteinte à la vie privée, on ne badine pas avec les libertés publiques ! Et, à l'autre bout de l'échiquier, pour ne pas dire de la planète, si Google a peiné à s'installer en Chine, c'est aussi parce que Big brother est le chef d'un Parti unique, omniprésent sur les affiches et les "télécrans" des domiciles privés. Et, c'est une lapalissade de dire qu'il ne peut y avoir deux partis uniques dans un même pays !

Il reste, dès lors, à ces réseaux internet de ne plus paraître comme des icônes de propagande commerciale et aux Etats d'être plus vigilant en renforçant leur arsenal législatif et répressif à l'encontre de cette systématisation des bases données personnelles, pour ne pas finir comme l'Etat d'Océania, dans le roman de George Orwell.

L'article 34 de la Constitution ne dispose-t-il pas que "la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense Nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens" ? Voilà la vocation législative : l'intérêt du plus grand nombre, plus volontiers que l'intérêt médiatique. A ce jeu-ci, la Belgique en crise identitaire aura damé le pion à Sa Majesté Peu Chrétienne chère à Patrick Rambaud...

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Avocats/Champ de compétence

[Questions à...] La médiation "troisième voie procédurale en France ?" - Questions à Sonia Cohen-Lang, médiatrice et avocate

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 27 Mars 2014

"Dans la conscience de l'homme civilisé, à côté de la notion de ce qui est strictement juridique, [...] il y a ce qui est juste, c'est-à-dire ce qui constitue la valeur morale suprême dans les relations entre les hommes... Faut-il alors se résigner à un divorce entre ce qui est juste et ce qui est juridique ?" (La théorie générale du droit, le Doyen Roubier).

En aucun cas, selon Sonia Cohen-Lang, avocate et médiatrice, membre de la commission "Magendie", auteur du rapport Célérité et qualité de la justice - la médiation, une autre voie, et co-auteur, avec Paul Riquier, du rapport La place de l'avocat dans le cadre de la médiation, présenté à l'assemblée générale du Conseil national des Barreaux (CNB) des 21 et 22 novembre 2008. Bien que ces notions soient différentes, elles peuvent se rejoindre. Si, en France, l'"implantation" de ce mode de règlement des conflits (MARC) est encore récente et se heurte à quelques obstacles (surtout d'ordre culturel et psychologique) (1), chacun prend progressivement conscience du lien que représente justement la médiation entre le juridique et le juste. Certains vont même jusqu'à y voir une "troisième voie procédurale".

Lexbase : La médiation souffre d'un manque de visibilité. Comment l'expliquez-vous ?

Sonia Cohen-Lang : La médiation est étrangère à notre culture. La France est un pays latin et les français sont connus pour avoir le "sang chaud". En cas de survenance d'un conflit, notre premier réflexe sera, le plus souvent, d'ordre procédurier. La médiation, qui consiste à rapprocher les parties en vue de trouver une solution extra-judiciaire au litige, est, en ce sens, contraire à notre approche.

La médiation, et avec elle, le médiateur, ont été introduits en France de façon désordonnée : le recours à la médiation est prévu dans nos textes de procédures civile (depuis le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996, relatif à la conciliation et à la médiation judiciaires N° Lexbase : L0210IHA) et dans notre Code civil, notamment en matières familiales.

Mais, la formation du médiateur, outre en matière familiale, n'est pas encadrée par la loi. Jusqu'en 2000, aucune formation ni diplôme de médiateur n'existait, permettant à n'importe qui de s'attribuer cette qualité. Compte tenu des perspectives économiques offertes par ce marché émergent, nombreux sont ceux qui saisissent chaque jour cette opportunité. La médiation souffre de cet engouement. Il s'agit, en effet, d'un métier à part entière, qui requiert un profil précis, alliant, notamment, une connaissance juridique solide, une expertise, une technicité, une psychologie et une déontologie particulières. Une formation adéquate est indispensable, dans l'intérêt du justiciable. Or, beaucoup d'acteurs ne répondent pas à ces exigences et les conclusions d'accords inapplicables ou contraires à l'ordre public sont légion, favorisant une grande insécurité juridique. L'absence d'encadrement de la matière suscite, légitimement, une certaine méfiance de la part du public.

Récemment, le droit européen a posé que le médiateur doit être compétent et qualifié dans la matière dans laquelle il intervient. En France, depuis l'an 2000, la DRASS, délivre un diplôme d'Etat, qui sanctionne une formation d'environ 500 heures uniquement pour le diplôme de médiateur familial.

Les avocats ne s'intéressent que depuis peu à ce MARC. Certains considéraient que la négociation faisait partie intégrante de leur fonction (sur ce point ils n'avaient pas tort). Si les parties ne parvenaient pas à un accord dans le cadre de leur intervention classique, ils ne comprenaient pas l'utilité d'une autre formule de "négociation", projetant un nouvel échec des échanges.

C'était oublier que la médiation implique, également, une technicité à laquelle ils ne sont pas rompus. Au demeurant la grande qualité professionnelle de négociateur de ces avocats n'est nullement remise en cause. La médiation ne peut en aucun cas entraîner un appauvrissement de leurs activités de conseil.

D'autres opposants à la médiation craignaient que le médiateur ne soit "homme du procès".

Enfin, les magistrats ne peuvent accepter de laisser un tiers juger un litige à leur place, en dehors de tout encadrement judiciaire. Recourir à la médiation leur demande, en outre, dans un contexte d'engorgement des tribunaux, un suivi de l'affaire plus approfondi et plus long, que s'ils avaient à rendre un simple jugement.

Néanmoins, à travers le monde, la concertation apparaît de plus en plus comme la solution d'avenir et chacun de ces acteurs prend progressivement conscience du bienfait de ce MARC. Les avocats français, par exemple, ont compris que leur profil s'accordait bien aux exigences inhérentes à la profession de médiateur et ils souhaitent, depuis peu, investir ce nouveau champ d'activité.

Lexbase : Comment définir la médiation ? En quoi se distingue-t-elle des autres MARC ?

Sonia Cohen-Lang : La médiation a été instituée en France par la loi du 8 février 1995 (loi n° 95-125, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile N° Lexbase : L1139ATD, et introduite dans le Code de procédure civile (C. pr. civ., art. 131-1 N° Lexbase : L2190ADH) par le décret du 22 juillet 1996. Ces textes ne donnent pas de définition. Aux termes de l'article 131-1, "le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, désigner une tierce personne afin d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose", étant précisé que "ce pouvoir appartient également au juge des référés, en cours d'instance".

Aux côtés de la médiation judiciaire, qui couvre l'ensemble des compétences du juge civil, il est souvent recouru à la médiation extra-judiciaire ou conventionnelle. Quelle que soit sa nature, la médiation se définit, en réalité, comme un processus dans lequel un tiers appelé le médiateur -impartial, indépendant, neutre, sans pouvoir décisionnel, avec la seule autorité que celle que lui reconnaissent les "médiés"-, favorise, par des entretiens confidentiels, un rapprochement pouvant aboutir à un accord.

La fonction première de la médiation est de restaurer le dialogue et de faciliter les prises de conscience, non de trancher ; en cela elle diffère des autres MARC. Elle tend à ce que chacun exprime ses besoins, pour s'apercevoir, souvent, qu'ils sont complémentaires, plutôt que contradictoires. J'aime reprendre l'exemple donné par le Bâtonnier Iweins, tant il est parlant. Deux personnes se disputent une orange. Le médiateur demande à chacune les raisons pour lesquelles elles ont besoin de ce fruit : l'une souhaite recueillir la pulpe à des fins médicinales, quand l'autre doit récupérer le zeste pour faire un gâteau. La solution sera, donc, le partage du zeste et de la pulpe et non l'attribution totale de l'orange à l'un ou l'autre. Il arrive aussi que les revendications des parties ne soient que le prétexte à un malaise sous-jacent. Des personnes récemment séparées s'opposeront, par exemple, sur la vente ou la conservation d'un appartement, parce qu'en réalité et sans qu'elles en aient conscience, l'une des deux n'accepte pas la séparation, et l'autre refuse d'en assumer la responsabilité exclusive. Une mère refusera au père de recevoir régulièrement ses enfants. Le dialogue instauré dans le cadre de la médiation lui fera comprendre qu'elle redoute d'être remplacée dans le coeur de ses enfants par la nouvelle compagne de son ex-conjoint. Un droit de visite exercé dans un lieu neutre mettra fin au litige.

Ces solutions médianes sont rarement rendues par des juges, car le cadre judiciaire exclut majoritairement la dimension psychologique d'un conflit. Outre une meilleure prise en compte des intérêts de chacun, la médiation aura pour avantage d'être moins onéreuse, d'atténuer l'aléa quant à l'issue du conflit et de garantir une stricte confidentialité (largement appréciée en matière commerciale). Néanmoins, elle n'est pas nécessairement opportune à chaque fois. Le rôle de l'avocat et du juge est d'apprécier cette opportunité et de guider les justiciables vers une procédure judiciaire ou amiable, au mieux de leurs intérêts.

Lexbase : Pensez-vous qu'il faille faire de la médiation une voie procédurale ? Quels moyens permettraient d'y parvenir ?

Sonia Cohen-Lang : L'idée de faire de la médiation une "voie procédurale" a été avancée dans le rapport Célérité et qualité de la justice - la médiation, une autre voie, remis à la Chancellerie en octobre 2008 par la commission (dont je suis membre), présidée par Jean-Claude Magendie, premier Président de la cour d'appel de Paris.

Pour y parvenir, nous préconisons, notamment :

- la création d'un magistrat référent en matière de médiation pour chaque matière ;

- le développement de la formation et de la sensibilisation des magistrats et avocats (modules de médiation comptabilisés en formation obligatoire) ;

- la création d'une commission de médiation formée d'avocats et de magistrats pour contrôler l'état d'avancement des dossiers envoyés en médiation ;

- et la modification de textes de lois (notamment, unification de certains texte en matière d'accord, TVA réduite à 5,5 % sur les honoraires, intervention sur magistrat au niveau des dépens ou de l'article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6906H7W pour les personnes ayant eu préalablement recours à une médiation, etc.).

En tout état de cause il est apparu impératif de réserver une plus grande place à l'avocat médiateur et d'insister sur les compétences de ce professionnel.

Aujourd'hui, le recours à la médiation judiciaire dépend de l'approche du juge vis-à-vis de ce MARC. Jean-Claude Magendie et le Président actuel du TGI de Paris, Jacques Degrandi, ont toujours été favorables à la pratique de la médiation.

Actuellement, une procédure de convocation préalable est mise en place et, sous le Bâtonnât de Christian Charrière-Bournazel, l'Ordre des avocats et le tribunal de grande instance de Paris ont signé, le 14 décembre 2009, un protocole relatif à la médiation civile. L'objectif est clairement affiché, il s'agit "de parvenir à une implantation durable du recours à la médiation civile dans la juridiction".

Lors de la Présidence de Béatrice Brenneur (2) à la cour d'Appel de Grenoble, plus de 30 % des affaires allaient en médiation préalable. Ce chiffre témoigne du succès de ce MARC.

Mais à son départ de cette chambre, les chiffres sont retombés

En Ile-de-France, un système est mis en place, à titre d'essai, permettant un renvoi des affaires en médiation, sans aucune perte de temps. La médiation débute, en effet, lors de la mise en l'état de l'affaire, étape qui peut durer de quelques mois à plusieurs années.

Lexbase : Vous êtes d'avis que les avocats ont intérêt à investir ce champs d'activité.

Sonia Cohen-Lang : Je pense, en effet, que l'avocat a le profil adéquat pour exercer les fonctions de médiateur. Il est, néanmoins, indispensable que ce professionnel suive une formation spécifique, car les professions d'avocat et de médiateur sont bien distinctes. Mais, on ne peut nier que ces métiers présentent un certain nombre de dénominateurs communs, constituant des garanties solides pour le justiciable. L'avocat et le médiateur se doivent tous deux d'être impartiaux, autonomes, compétents, diligents, soumis à des règles déontologiques et assurés.

Une médiation sans avocat est, par conséquent, inconcevable. Le rôle de ce professionnel doit s'envisager sous deux angles : en tant que conseil de son client et en tant que médiateur.

Il faut, cependant, prendre grand soin à ce que ces deux fonctions ne se confondent pas dans une même affaire, sous peine de porter atteinte au principe d'indépendance et de favoriser la survenance de conflits d'intérêts.

Lexbase : Michèle Alliot-Marie a présenté le 3 mars 2010 le projet de loi de répartition des contentieux et d'allègement des procédures. Ce texte prévoit un recours obligatoire à la médiation en amont de certaines procédures contentieuses en matière familiale. Quel est votre avis sur cette proposition ?

Sonia Cohen-Lang : Le projet de loi de répartition des contentieux et allègement des procédures introduit la médiation obligatoire et préalable à la médiation familiale avant toute saisine du juge tendant à faire modifier les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou la contribution à l'entretien ou à l'éducation de l'enfant fixées antérieurement par une décision de justice.

Dans une motion adoptée par l'assemblée générale du 9 avril 2010, le CNB a dit considérer que la médiation obligatoire est contraire au principe de libre accès au juge.

Je pense que seule l'information à la médiation doit être ou peut être obligatoire. La médiation, pour réussir, doit procéder d'une volonté des parties. A défaut, elle est vouée à l'échec.


(1) Lire Médiation judiciaire : état des lieux et prospectives, Lexbase Hebdo n° 15 du 21 janvier 2010 - édition professions (N° Lexbase : N9690BMT).
(2) Présidente française du GEMME - Groupement européen des magistrats pour la médiation.

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Hygiène et sécurité

[Modèle] Accord sur la prévention des risques psycho-sociaux et du stress au travail

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par Anne-Laure Prévot, Avocat à la Cour

Le 07 Octobre 2010


Comme en témoigne l'actualité récente, les risques psychosociaux font aujourd'hui l'objet d'une mobilisation forte de l'Etat, des partenaires sociaux, mais aussi des entreprises. Rappelons, à cet égard, que l'une des premières mesures du plan d'urgence sur la prévention des risques psychosociaux annoncé par Xavier Darcos en octobre 2009 a été la demande d'ouverture de négociations sur le stress dans toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés, les entreprises concernées ayant été invitées par le ministre à engager des négociations avant le 1er février 2010. Cependant, si chacun s'accorde désormais pour reconnaître l'existence du risque psychosocial, la difficulté réside dans la manière de le prévenir. L'enjeu essentiel reste, en effet, de diagnostiquer l'origine des tensions et les facteurs de risques psychosociaux pour en limiter les effets, voire en éviter l'apparition. Or, chaque situation est particulière à chaque entreprise et appelle donc des solutions spécifiques. Pour autant, si chaque entreprise doit mettre en oeuvre sa propre méthode d'analyse, l'Ani du 2 juillet 2008 donne certaines pistes de travail. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose cette semaine un modèle d'accord sur la prévention des RSP et du stress au travail, tout en rappelant qu'il ne saurait exister, en la matière, d'accord collectif-type, chaque entreprise devant l'adapter à sa situation.
Entre La société

D'une part,

Et Les organisations syndicales représentatives

D'autre part,

Ci-après les parties,

Il a été convenu ce qui suit :

Préambule

Les dispositifs de lutte contre les risques psycho-sociaux semblent actuellement insuffisants. C'est pourquoi le ministre du Travail a demandé aux entreprises de plus de 1 000 salariés d'engager des négociations sur la prévention du stress au travail avant le 1er février 2010. A défaut, les entreprises devaient réaliser un diagnostic et un plan d'action avant cette date.

Concernant les PME et les TPE, il a été indiqué qu'une politique d'information sur les risques psychosociaux sera mise en oeuvre et des outils de diagnostic et des indicateurs d'action mis à leur disposition.

C'est pourquoi les partenaires sociaux ont décidé de se saisir de cette difficulté afin de mettre en place le dispositif suivant.

Les parties affirment que la lutte contre le stress et la souffrance au travail ainsi que les risques psychosociaux doivent conduire à une amélioration de la santé et de la sécurité au travail.

Pour ce faire, le présent accord s'appuie sur l'Accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail dont il reprend la définition : "Un état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face.
L'individu est capable de gérer la pression à court terme mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée ou répétée, à des pressions intenses.
En outre, différents individus peuvent réagir de manière différente à des situations similaires et un même individu peut, à différents moments de sa vie, réagir différemment à des situations analogues. Le stress peut réduire l'efficacité au travail et peut causer de graves problèmes de santé
".

Article 1er : Objet

L'objet de l'accord est de fournir à l'entreprise et aux représentants des salariés, un cadre général qui permette de prévenir, de détecter, d'éviter et de traiter les cas de stress au travail en :

- augmentant la prise de conscience et la compréhension du stress au travail et des risques psychosociaux, par l'entreprise, les salariés et leurs représentants ;
- attirant leur attention sur les signes susceptibles d'indiquer des problèmes de stress au travail ;
- trouvant un fonctionnement qui valorise les individus et réduise les facteurs qui génèrent des risques psychosociaux.

Article 2 : Identification des problèmes de stress au travail

Un certain nombre d'indicateurs peuvent révéler la présence de stress dans l'entreprise justifiant la prise de mesures adaptées pour lutter contre le phénomène et notamment :

- un niveau élevé d'absentéisme, notamment de courte durée ou de rotation du personnel en particulier fondée sur des démissions ;
- des conflits personnels ou des plaintes fréquents de la part des travailleurs ;
- un taux de fréquence des accidents du travail élevé, des passages à l'acte violents contre soi-même ou contre d'autres, même peu nombreux ;
- une augmentation significative des visites spontanées au service médical sont quelques-uns des signes pouvant révéler la présence de stress au travail.

Dès qu'un problème de stress au travail est identifié, une action doit être entreprise pour le prévenir, l'éliminer ou, à défaut, le réduire. La responsabilité de déterminer les mesures appropriées incombe à l'employeur. Les institutions représentatives du personnel et, à défaut, les salariés, sont associées à la mise en oeuvre de ces mesures.

Le médecin du travail est également une ressource en termes d'identification du stress au travail.

Article 3 : Prévention et moyens mis en oeuvre contre les risques psycho-sociaux

Prévenir, éliminer et, à défaut, réduire les problèmes de stress au travail incluent diverses mesures. Ces mesures peuvent être collectives, individuelles ou concomitantes. Elles peuvent être mises en oeuvre sous la forme de mesures spécifiques visant les facteurs de stress identifiés ou dans le cadre d'une politique intégrée qui implique des actions de prévention et des actions correctives.

Ces mesures incluent, par exemple :

- des mesures visant à améliorer l'organisation, les processus, les conditions et l'environnement de travail, à assurer un soutien adéquat de la direction aux personnes et aux équipes, à donner à tous les acteurs de l'entreprise des possibilités d'échanger à propos de leur travail, à assurer une bonne adéquation entre responsabilité et contrôle sur le travail, et des mesures de gestion et de communication visant à clarifier les objectifs de l'entreprise et le rôle de chaque salarié ;
- la formation de l'ensemble des acteurs de l'entreprise et, en particulier, de l'encadrement et de la direction afin de développer la prise de conscience et la compréhension du stress, de ses causes possibles et de la manière de le prévenir et d'y faire face ;
- l'information et la consultation des salariés et/ou leurs représentants, conformément à la législation, aux conventions collectives et aux pratiques européennes et nationales ;
- des dispositifs d'écoute internes et/ou externes afin que les salariés puissent s'exprimer sur les difficultés qu'ils rencontrent dans leur environnement de travail ;
- des dispositifs permettant de favoriser les parcours professionnels et la reconnaissance des compétences acquises par une formation professionnelle adaptée.

Ces moyens de prévention devront être adaptés et, le cas échéant, complétés lorsqu'une situation à risques est détectée, ou lorsqu'une telle situation est déjà constatée.

Article 4 : Rôle des différents intervenants

Les instances représentatives du personnel et les services de santé du travail sont des ressources en termes d'identification du stress au travail.

Le CHSCT est une instance essentielle dans la prévention des risques au travail. Il est, à ce titre, étroitement lié à la lutte contre les risques psycho-sociaux au sein de l'entreprise.

Toutefois, l'ensemble des acteurs de l'entreprise peut intervenir pour signaler une situation à risques dont ils ont pu avoir connaissance dans le cadre de leurs activités :
- les IRP et, en particulier, le CHSCT ;
- le médecin du travail ainsi que :
- l'encadrement ;
- le responsable RH mais également ;
- les collègues témoins d'une situation de stress peuvent aussi alerter via ces acteurs sur ces situations.

Article 5 : Bilan d'actions

Un bilan des actions de prévention des risques psycho-sociaux sera effectué chaque année en comité d'entreprise. A cette occasion, une analyse sera effectuée sur les actions menées, sur les cas détectés et sur leur nombre.

Article 6 : Dispositions finales

6-1 Durée de l'accord et entrée en vigueur

Le présent accord est conclu pour une durée de trois ans. Il entrera en vigueur à compter du lendemain de la date de dépôt à la Direction départementale du travail et de l'emploi (DDTE).

6-2 Révision

En application de l'article L. 2222-5 du Code du travail (N° Lexbase : L2250H99), le présent accord pourra être révisé à la demande de la direction ou d'une ou plusieurs organisations syndicales signataires du présent accord ou y ayant adhéré ultérieurement conformément aux dispositions des articles L. 2261-7 (N° Lexbase : L2430H9U) et suivants du Code du travail.

6-3 Formalités de dépôt et de publicité

Le présent accord sera déposé, en application des dispositions des articles L. 2231-6 (N° Lexbase : L2263H9P) et D. 2231-4 (N° Lexbase : L5237ICX) et suivants du Code du travail, auprès de la Direction départementale du travail et de l'emploi, en deux exemplaires (dont une version sur support papier signée des parties et une version sur support électronique).

Par ailleurs, un exemplaire sera déposé au greffe du conseil de prud'hommes.

Enfin, le présent accord fera l'objet des formalités de publicité en application des dispositions des articles R. 2262-1 (N° Lexbase : L0566IA9) et suivants du Code du travail.

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Libertés publiques

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des libertés publiques - Mai 2010

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N0639BPD

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de libertés publiques, rédigée par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. Au cours du mois d'avril 2010, le Conseil d'Etat s'est penché sur les conditions d'adoption et le contenu des traitements informatisés couramment appelés "fichiers". Il a, à cet égard, rappelé et conforté les pouvoirs de la CNIL en ce qui concerne les fichiers classiques ("Société Infobail") mais aussi affirmé et précisé le régime dérogatoire auxquels sont soumis les fichiers intéressant la sécurité publique ("Association Aides et autres"). A la fin du mois de mars 2010, le Conseil d'Etat a, par ailleurs, rendu son rapport sur les possibilités d'interdiction du voile intégral, préconisant une interdiction dans certains services publics et lieux sensibles. Il semble, cependant, que le Gouvernement soit décidé à aller plus loin, en interdisant toute dissimulation du visage dans les lieux publics, consacrant, ainsi, l'existence d'un ordre public immatériel.
  • Le principe du contradictoire peut, sous le contrôle du juge, s'effacer devant l'intérêt supérieur de l'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 16 avril 2010, n° 320196, Association Aides, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0101EWN)

Le Premier ministre a créé par décret un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "CRISTINA", destiné à faciliter l'exercice de ses missions par la direction centrale du renseignement intérieur. Par un second décret du 27 juin 2008 (décret n° 2008-631 N° Lexbase : L5381H7G), il a décidé, en application de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L4323AHL), de dispenser de publication le décret portant création de ce fichier. Saisi par plusieurs associations et syndicats d'une demande d'annulation de ces deux décrets, le Conseil d'Etat avait décidé, par une décision du 31 juillet 2009 (1), de surseoir à statuer et d'ordonner que lui soit transmis le décret portant création du fichier, sans que communication en soit donnée aux requérants. Le Conseil d'Etat, après examen de ce texte qui lui a été transmis par le Premier ministre, rejette la requête.

1) La nature particulière du fichier "CRISTINA"

Parmi les fichiers les plus sensibles du point de vue des libertés publiques figurent ceux que la loi du 6 janvier 1978 appelle les "traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique". Sensibles, ces traitements le sont, en effet, non seulement par leur objet, mais aussi parce qu'ils sont au nombre de ceux qui, lorsque l'intérêt public le justifie, échappent à l'interdiction, édictée par le I de l'article 8 de la loi, de collecter ou de traiter "des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci".

Certains des traitements en cause obéissent à un régime très dérogatoire. Ainsi, en vertu du III de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, l'acte réglementaire (arrêté ou décret) qui décide la création des traitements intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, peut être dispensé de publication au Journal officiel et donc soustrait à la connaissance du public. La dispense doit, elle-même, être décidée par décret en Conseil d'Etat, publié, quant à lui, en même temps que le sens de l'avis émis par la CNIL. C'est à cette dernière catégorie de fichiers particulièrement sensibles qu'appartient le traitement de données connu sous le nom de "CRISTINA", acronyme de "Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du Territoire et les Intérêts Nationaux". Le décret créant le fichier "CRISTINA" a été dispensé de publication par un décret du 27 juin 2008. Le 1° du I de l'article 2 de ce texte a, en effet, ajouté le décret créant le fichier "CRISTINA" à la liste, figurant dans un décret du 15 mai 2007 (décret n° 2007-914 N° Lexbase : L5526HXX), des actes réglementaires autorisant des traitements de données qui ne sont pas publiés en application du III de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 : il y voisine avec les textes relatifs aux fichiers de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et de la direction du renseignement militaire (DRM).

2) Le contrôle du juge sur les conditions d'adoptions des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique

La décision du 16 avril 2010 apporte deux précisions sur ce point. En premier lieu, le décret dispensant de publication le décret créant un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique n'a pas à être motivé. Ainsi, le pouvoir réglementaire n'a pas à indiquer pour quelles raisons il a cru bon de ne pas publier le décret de création du fichier. En effet, non seulement la loi du 6 janvier 1978 ne prévoit pas une telle motivation mais, en outre, de manière générale, un acte réglementaire, contrairement à une décision individuelle, n'est, en principe, pas motivé. En second lieu, l'avis donné par la CNIL sur le projet de décret créant un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique n'a pas non plus à être motivé. L'avis peut, ainsi, se borner à indiquer s'il est favorable, défavorable ou encore, comme en l'espèce, "favorable avec réserves". La solution est logique : en effet, lorsqu'il est décidé de ne pas publier l'acte créant un traitement intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, le III de l'article 26 prévoit que seul le sens de l'avis de la CNIL est publié. Expliciter la teneur des réserves dont cet avis est, le cas échéant, assorti reviendrait à méconnaître indirectement cette disposition. L'article 83 du décret d'application du 20 octobre 2005 prévoit d'ailleurs expressément que "le sens de l'avis émis par la commission ne peut porter que la mention 'favorable'", "favorable avec réserve" ou "défavorable".

3) Le contrôle du juge sur le contenu des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique

Le Conseil d'Etat rappelle que la faculté de dispenser de publication le décret créant un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, est prévue par la loi, qu'elle est entourée de garanties et que l'effectivité du recours devant le juge contre un tel décret non publié est assurée par les pouvoirs d'instruction particuliers dont le juge administratif dispose en pareille hypothèse. Faisant usage de ces pouvoirs en l'espèce, le Conseil d'Etat, après avoir examiné le décret portant création du fichier "CRISTINA", juge, d'une part, que ce traitement constitue bien un fichier intéressant la sûreté de l'Etat et que les données qu'il contient sont pertinentes au regard des finalités poursuivies, notamment la lutte contre l'espionnage et le terrorisme. Il en déduit que le Premier ministre pouvait, sans méconnaître l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, faire usage de la dispense de publication prévue par ces dispositions. Il dit, d'autre part, que le fichier "CRISTINA" respecte les exigences de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, qui fixe les conditions générales dans lesquelles des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'un traitement automatisé, et ne méconnaît ni l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), ni le principe de sécurité juridique.

La décision du 16 avril 2010 démontre, d'abord que, sous le contrôle du juge, le droit au recours peut s'accompagner de la limitation du principe du contradictoire lorsqu'il s'agit de préserver le secret destiné à garantir l'intérêt supérieur de l'Etat. Soulignons, à cet égard, que ni la Cour européenne des droits de l'Homme, ni la Cour de justice de l'Union européenne ne font du caractère contradictoire de la procédure un absolu. Cette dernière juridiction a, d'ailleurs, dans un arrêt du 14 février 2008 (2), retenu une solution proche de celle adoptée par le Conseil d'Etat dans la décision du 16 avril 2010. Saisie d'une question préjudicielle sur le point de savoir comment concilier le respect du secret des affaires et l'effectivité du référé précontractuel, la CJUE a jugé que "l'instance responsable des recours [...] doit garantir la confidentialité et le droit au respect des secrets d'affaires au regard des informations contenues dans les dossiers qui lui sont communiqués par les parties à la cause, notamment par le pouvoir adjudicateur, tout en pouvant elle-même connaître de telles informations et les prendre en considération". Elle a précisé qu'il appartient à cette instance de décider dans quelle mesure et selon quelles modalités il convient de garantir la confidentialité et le secret de ces informations, en vue des exigences d'une protection juridique effective et du respect des droits de la défense des parties au litige, et afin que la procédure respecte, dans son ensemble, le droit à un procès équitable. En d'autres termes, dans l'ordre juridique communautaire et, plus largement, européen, c'est le procès équitable qui constitue un standard auquel il ne peut être dérogé ; le principe du caractère contradictoire de la procédure peut, quant à lui, connaître des aménagements, afin d'assurer la conciliation entre l'intérêt s'attachant à la préservation d'un secret et le caractère effectif du droit au recours.

La décision du 16 avril 2010 illustre, en outre, sous quelles conditions la création d'un fichier comportant des informations relatives à la vie privée des personnes peut être jugée conforme aux stipulations de l'article 8 de la CESDH, protégeant le droit au respect de la vie privée et ne permettant une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire, notamment à la sécurité nationale ou à la sûreté publique. Selon la CEDH, la collecte et le traitement de données relatives à la vie privée d'un individu constituent une ingérence dans celle-ci et entrent, par suite, dans le champ d'application de ces stipulations (3). Par ailleurs, la mesure incriminée doit avoir une base légale en droit interne et le texte en cause doit répondre à une double exigence d'accessibilité et de prévisibilité. L'exigence de prévisibilité implique, quant à elle, particulièrement lorsqu'est en cause un pouvoir de l'exécutif qui s'exerce en secret, que l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités soient définies avec suffisamment de clarté, compte tenu du but légitime poursuivi, pour fournir à l'individu une protection adéquate contre l'arbitraire (4). Il faut aussi que soit établie l'existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus, car "un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale comporte le risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre" (5).

Selon le Conseil d'Etat, l'ingérence que réalise le fichier "CRISTINA" dans la vie privée des personnes concernées a une base légale, constituée par la loi du 6 janvier 1978 et par le décret qui a décidé la création de ce fichier. Toutefois, ce dernier texte ne répond manifestement pas à l'exigence d'accessibilité, puisqu'il n'a pas été publié. Or, c'est dans ce texte que doivent, notamment, figurer ces informations essentielles que sont la finalité du traitement, le service auprès duquel s'exerce le droit d'accès, les catégories de données à caractère personnel enregistrées, et les destinataires ou catégories de destinataires habilités à recevoir communication de ces données. Il fallait donc, pour le Conseil, se demander si les seules dispositions accessibles au public permettent de regarder comme satisfaite l'exigence de prévisibilité, entendue comme protection contre l'arbitraire. De prime abord, compte tenu de l'importance des informations tenues secrètes, une réponse positive n'allait nullement de soi : ainsi, il est assez préoccupant que soient tenues secrètes les finalités du traitement, les catégories de données traitées et les personnes habilitées à accéder à ces données. Le Conseil d'Etat relève, toutefois, que, si le contenu du décret créant le fichier est inconnu du public, la loi prévoit un dispositif permettant de faire en sorte que son existence même soit portée à la connaissance de celui-ci, en obligeant à rendre public l'acte de dispense de publication. S'agissant des finalités du traitement, elles ne sont certes pas publiques mais les seuls traitements susceptibles de faire l'objet d'une dispense de publication sont ceux qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté -ce qui est, en soi, une indication sur les finalités qu'ils poursuivent-.

S'agissant, par ailleurs, des catégories de données pouvant être collectées, ces données doivent satisfaire aux exigences générales de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, à savoir être collectées et traitées de manière loyale et licite, pour des finalités déterminées et légitimes, sans traitement ultérieur incompatible avec ces finalités, être adéquates, pertinentes et non excessives au regard de ces finalités, être exactes, complètes et si nécessaire mises à jour, et, enfin, être conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire aux finalités du traitement. Le Conseil relève, à cet égard, que la loi prévoit un certain nombre de garanties procédurales : il en va, ainsi, de la soumission du projet de décret pour avis à la CNIL et au Conseil d'Etat, ainsi que de l'exigence de publication du sens de l'avis de la CNIL ; il en va surtout du droit d'accès, même indirect, des personnes concernées. Le Conseil d'Etat a, pour tous ces motifs, estimé que la création du fichier "CRISTINA" ne portait une atteinte disproportionnée "aux buts de protection de la sécurité publique en vue desquels a été pris le décret".

  • La décision que prend la CNIL sur l'autorisation de traitements informatisés doit se fonder sur les modalités de fonctionnement de ces traitements (CE 9° et 10° s-s-r., 7 avril 2010, deux arrêts, Société Infobail, mentionnés dans les tables du recueil Lebon, n° 309546 N° Lexbase : A5651EUT et n° 309547 N° Lexbase : A5652EUU)

La CNIL peut fonder sa décision de refuser l'autorisation de mettre en oeuvre un fichier sur un objectif à valeur constitutionnelle tel que celui du droit au logement. Toutefois, elle ne peut le faire qu'après avoir apprécié si les garanties proposées par la société qui envisage de créer ce fichier sont ou non suffisantes.

1) Les deux fichiers en cause en l'espèce

C'est à nouveau la création d'un fichier d'impayés locatifs (6) qui a amené le Conseil d'Etat à préciser ainsi les pouvoirs de la CNIL. Plus précisément, la société Infobail contestait, par deux requêtes distinctes, les refus de la CNIL d'autoriser, d'une part, un fichier dit "des locataires de confiance" (c'est-à-dire des personnes n'ayant jamais eu d'impayés de loyer), et, d'autre part, un "fichier des impayés locatifs".

Dans les deux décisions du 7 avril 2010, le Conseil d'Etat juge que la CNIL "a pu, sans erreur de droit, apprécier au regard de l'objectif à valeur constitutionnelle visant à permettre à toute personne de disposer d'un logement décent, tel qu'il est, notamment, mis en oeuvre par les lois n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs (N° Lexbase : L8461AGH), et n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable (N° Lexbase : L5929HU7), la légitimité des finalités du traitement informatisé soumis à son autorisation". Toutefois, ajoute-t-il, la Commission "ne peut légalement se borner, pour refuser la mise en oeuvre d'un fichier, à constater que celle-ci est susceptible de porter atteinte à l'un des droits et libertés mentionnés à l'article 1er de la loi du 6 janvier 1978, sans vérifier si les modalités de fonctionnement de ce fichier ne comportent pas de garanties suffisantes pour assurer leur respect".

S'agissant du fichier dit "des impayés locatifs" (décision n° 309547), la Haute juridiction constate qu'il "ressort des termes mêmes de la délibération attaquée [délibération n° 2007-191 du 10 juillet 2007 (N° Lexbase : X7219AGH)] qu'elle s'est fondée sur ce qu'en raison de l'absence de garanties suffisantes de diffusion des informations au-delà des destinataires du fichier et de toute précision des motifs d'impayés, ce traitement ne remplissait pas les conditions posées par l'article 6 de cette loi". Le recours est donc rejeté. En revanche, en ce qui concerne le fichier des bons payeurs dit "locataires de confiance" (n° 309546), la CNIL, selon le Conseil d'Etat, n'a pas vérifié l'existence de garanties suffisantes et sa délibération (délibération n° 2007-192 du 10 juillet 2007 N° Lexbase : X7220AGI) est donc annulée.

2) L'attention portée aux modalités de fonctionnement du traitement et à sa sectorisation

Les décisions du 7 avril 2010 sont à nouveau l'occasion pour le Conseil d'Etat d'indiquer que la CNIL doit faire application des stipulations de l'article 5 de la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé de données à caractère personnel, signée à Strasbourg le 28 janvier 1981. Or, s'agissant de ces stipulations, le Conseil d'Etat a jugé que les données pertinentes sont celles qui sont : 1°) en adéquation avec la finalité du traitement ; et 2°) proportionnées à cette finalité (7). Les données utilisées dans un traitement automatisé doivent donc avoir une relation directe avec la finalité du traitement et présenter, à son égard, un caractère proportionné, le Conseil d'Etat exerçant un contrôle normal sur l'appréciation portée par la CNIL sur le caractère pertinent des données (même décision).

Dans la décision n° 309547 relative au fichier dit "des impayés locatifs", le Conseil d'Etat a relevé que ce fichier ne comportait aucune précision sur les causes des impayés, ni de garanties suffisantes que les données traitées ne seraient pas accessibles aux propriétaires privés. La diffusion de telles données à des propriétaires n'étant pas des professionnels de l'immobilier n'est, en effet, pas de nature à respecter le principe de sectorisation et à empêcher le détournement du fichier à d'autres fins. La sectorisation des fichiers participe du contrôle de la pertinence des informations collectées, c'est-à-dire de leur adéquation avec la finalité du traitement et de leur caractère proportionné à celle-ci. Ainsi que le souligne le rapport publié en 2003 par la CNIL sur "les listes noires" (8), la sectorisation permet d'éviter la "mise au pilori électronique" qui pourrait découler d'une large consultation de fichiers recensant des impayés tous secteurs d'activités confondus. Il n'est pas besoin d'être particulièrement imaginatif pour concevoir sans peine les ravages sociaux que pourrait provoquer l'inscription sur une liste accessible sur internet à la première défaillance de règlement d'une facture, par exemple, de téléphone mobile, qui aurait, alors, des effets en chaîne sur l'accueil réservé à cette personne défaillante, désormais classée "à risque", par d'autres professionnels. C'est ainsi que la CNIL a, dans une délibération du 11 mars 2003, recommandé que les fichiers de personnes à risque pour les loueurs de véhicules ne soient communiqués qu'aux professionnels de la location de véhicules (délibération n° 03-012 N° Lexbase : X7261AGZ).

Dans la décision "Mechri" du 28 juillet 2004 (voir infra), le Conseil d'Etat avait déjà jugé que l'élargissement des utilisateurs du fichier Infobail à l'ensemble des propriétaires immobiliers était excessif car il revenait à ouvrir l'accès au fichier à un trop grand nombre de personnes, ce qui rend particulièrement difficile de s'assurer que l'utilisateur du fichier respecte réellement son engagement de ne pas le détourner à d'autres fins. La limitation du nombre de personnes pouvant consulter le fichier permet, en revanche, de renforcer la sécurité du traitement et d'éviter une utilisation ne correspondant pas à sa finalité. La décision "Société Infobail" du 7 avril 2010 s'inscrit tout à fait dans cette lignée.

  • Interdiction du port du voile intégral : de l'ordre public matériel à l'ordre public immatériel (Rapport du Conseil d'Etat remis le 30 mars 2010 au Premier ministre : étude relative sur les possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral)

Selon le Conseil d'Etat, une interdiction générale et absolue du port du voile intégral en tant que tel ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable. Le Conseil a donc, également, examiné la possibilité d'une interdiction de la dissimulation du visage, quelle que soit la tenue adoptée. Il estime, à cet égard, que la sécurité publique et la lutte contre la fraude, renforcées par les exigences propres à certains services publics, seraient de nature à justifier des obligations de maintenir son visage à découvert, soit dans certains lieux, soit pour effectuer certaines démarches.

1) Le rapport du Conseil d'Etat

Le Conseil rappelle, tout d'abord, que de nombreuses dispositions ont déjà pour objet, ou pour effet, d'interdire ou de dissuader des pratiques de port du voile et, plus largement, de dissimulation du visage. Ces pratiques sont prohibées pour les agents publics, dans l'exercice de leurs fonctions, au nom du principe de laïcité et dans les établissements d'enseignement public (loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics N° Lexbase : L1864DPQ) : le port du voile intégral est interdit en milieu scolaire, là encore au nom du principe de laïcité. Par ailleurs, le port du voile intégral peut être interdit pour les salariés et les personnes qui fréquentent les locaux d'entreprise, sur décision du chef d'établissement motivée par le souci d'assurer son bon fonctionnement. Par ailleurs, certains dispositifs, reposant déjà sur des considérations de sécurité publique ou de lutte contre la fraude, imposent, également, l'identification ponctuelle des personnes et impliquent donc que celles-ci découvrent leur visage. Ils résultent tantôt de dispositifs législatifs ou réglementaires, tantôt d'instructions de service. Tel est le cas des contrôles d'identité et des vérifications d'identité prévus par le Code de procédure pénale, des règles propres à la réalisation des documents d'identité (photographies tête nue), de l'accomplissement de certaines démarches officielles (mariage, vote, remise des enfants à l'école...), de l'accès à certains lieux, lorsque des motifs de sécurité l'exigent (cela a été expressément jugé pour les consulats ou l'accès aux salles d'embarquement d'aéroports) ou de l'accès à des lieux ou à des services réglementés, lorsque l'identification de la personne ou des vérifications liées à des caractéristiques objectives sont nécessaires (comme, par exemple, l'âge dans les débits de boissons). Le refus de découvrir son visage est alors susceptible de justifier le refus d'accès ou de délivrance du service.

Le Conseil d'Etat indique ensuite qu'une interdiction générale du port du voile intégral, en tant que tel, ou de tout mode de dissimulation du visage dans tout l'espace public présenterait des risques au regard des exigences de la Constitution et de la CESDH. Il écarte, tout d'abord, résolument le principe de laïcité comme fondement d'une éventuelle interdiction. La laïcité s'applique principalement, en effet, dans la relation entre les collectivités publiques et les religions ou les personnes qui s'en réclament. Elle s'impose directement aux institutions publiques, ce qui justifie une obligation de neutralité pour les agents publics dans l'exercice de leurs missions. En revanche, elle ne peut s'imposer directement à la société ou aux individus qu'en raison des exigences propres à certains services publics (comme c'est le cas des établissements scolaires). Le Conseil estime aussi que le principe de dignité de la personne humaine et celui de l'égalité entre les femmes et les hommes, même s'ils trouvent tous les deux des fondements constitutionnels solides et des applications jurisprudentielles très fortes, pourraient difficilement s'appliquer en l'espèce.

Le principe de dignité fait, en effet, l'objet d'acceptions diverses, et, notamment, de deux conceptions susceptibles de s'opposer ou de se limiter mutuellement : celle de l'exigence morale collective de la sauvegarde de la dignité, le cas échéant, aux dépens du libre arbitre de la personne, qui trouve une traduction jurisprudentielle dans la décision d'Assemblée du Conseil d'Etat du 27 octobre 1995, "Commune de Morsang-sur-Orge", relative à l'interdiction des "lancers de nains" (9), et celle de la protection du libre arbitre comme élément consubstantiel de la personne humaine, qui a connu une importante consécration dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle a, ainsi, consacré un "principe d'autonomie personnelle" selon lequel chacun peut mener sa vie selon ses convictions et ses choix personnels, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger, dès lors que cette attitude ne porte pas atteinte à autrui. Cet élément doit être rapproché du fait qu'une majorité des femmes concernées, selon le ministère de l'Intérieur, le feraient volontairement.

Quant au principe d'égalité entre les femmes et les hommes, opposable à autrui, il n'a pas, en revanche, vocation à être opposé à la personne elle-même, c'est-à-dire à l'exercice de sa liberté personnelle, laquelle peut la conduire à adopter volontairement un comportement contraire à ce principe. Le Conseil d'Etat considère, ainsi, que seule la sécurité publique, composante de l'ordre public, et l'exigence de lutte contre la fraude, peuvent fonder une interdiction du port du voile intégral et, plus largement, une interdiction de la dissimulation du visage dans des circonstances particulières de temps et de lieu. Le Conseil envisage deux dispositifs.

Le premier consisterait à affirmer et à étendre les possibilités d'interdiction de la dissimulation du visage pour prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens, dans le cadre de l'exercice des pouvoirs de police générale du préfet et, le cas échéant, du maire. Au-delà, et dans la mesure où ces pouvoirs de police générale n'ont pas nécessairement vocation à s'exercer dans tous les lieux ouverts au public, il pourrait être envisagé de confier au préfet un pouvoir de police spéciale portant précisément sur l'interdiction de dissimulation du visage, et susceptible d'être exercé en tout lieu ouvert au public, dès lors que la sauvegarde de l'ordre public l'exige, en fonction des circonstances locales (par exemple pour l'accès aux banques, aux bijouteries ou pour certaines rencontres sportives ou conférences internationales).

Le second dispositif consisterait à proscrire la dissimulation du visage dans deux hypothèses :

- lorsque l'entrée et la circulation dans certains lieux, compte tenu de leur nature ou des exigences attachées au bon fonctionnement des services publics, nécessitent des vérifications relatives à l'identité ou à l'âge (tribunaux, bureaux de vote, mairies pour les cérémonies de mariage et les démarches relatives à l'état civil, remise des enfants à la sortie de l'école, lieux où sont délivrées des prestations médicales ou hospitalières, déroulement d'examens ou de concours, y compris dans les enceintes universitaires) ; l'obligation serait alors permanente ;

- lorsque la délivrance de certains biens ou services impose l'identification des individus et, par suite, l'obligation pour ceux-ci de découvrir à cette occasion leur visage (achat de produits dont la vente est prohibée en deçà d'un certain âge ou devant donner lieu, en raison des moyens de paiement employés, à une identification).

Enfin, s'agissant des sanctions, le Conseil d'Etat a distingué deux cas de figure :

- s'agissant des personnes qui dissimuleraient leur visage en méconnaissance des interdictions édictées, il propose de créer une injonction de se soumettre à une médiation organisée par un organisme agréé, à titre de peine principale ou, si le juge l'estime nécessaire, de peine complémentaire à une amende ;

- quant aux instigateurs, le Conseil a envisagé une incrimination pénale spécifique qui porterait sur le fait d'imposer à autrui par violence, menace, contrainte, abus de pouvoir ou abus d'autorité, de se dissimuler le visage en public, en raison de son appartenance à une catégorie de personnes, notamment à raison du sexe. La peine envisageable serait ici plus lourde puisqu'il s'agirait d'instituer un délit.

2) Le projet de loi soumis au Conseil des ministres

S'éloignant des préconisations du Conseil d'Etat, le Gouvernement français semble s'orienter, comme cela est déjà le cas en Belgique, vers une interdiction, dans tout l'espace public, de toute tenue ou vêtement destinés à dissimuler le visage. L'article 1er de la future loi serait ainsi rédigé : "Nul ne peut dans l'espace public porter une tenue destinée à dissimuler son visage. La méconnaissance de l'interdiction de l'article 1 est punie d'une contravention de deuxième classe de 150 euros. Peut-être prononcé, à titre de peine alternative ou complémentaire, un stage de citoyenneté". L'article 2 de la loi créerait, par ailleurs, un nouveau délit d'"instigation à dissimuler son visage en raison de son sexe". Le fait d'imposer à une personne de se dissimuler le visage, par "la violence, la menace, l'abus de pouvoir ou d'autorité sera puni d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende". Ce nouveau délit s'inscrirait au chapitre V du Code pénal qui traite des atteintes à la dignité de la personne.

L'on voit donc que le Gouvernement, s'il a suivi les recommandations du Conseil d'Etat quant à la nécessité ne pas rejeter le voile intégral au nom de la laïcité, s'en éloigne, en revanche, en retenant implicitement comme fondement à l'interdiction de la dissimulation du visage le principe de dignité de la personne humaine et la notion d'"ordre public immatériel" qui intègre la protection des valeurs de notre société. L'ordre public comprend, en effet, une dimension, souvent qualifiée de "non-matérielle", qui englobe historiquement les "bonnes moeurs", le "bon ordre" ou la dignité. Le Conseil d'Etat a été conduit à écarter ce fondement au motif qu'une telle définition n'a jamais fait l'objet d'une quelconque formulation juridique et serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui retient une définition traditionnelle, et donc matérielle, de l'ordre public. Précisons, enfin, que le projet de loi prévoit une période de médiation pour permettre aux femmes qui portent le voile intégral de réfléchir : la loi ne devrait entrer en vigueur que six mois après sa promulgation.

Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat


(1) CE 9° et 10° s-s-r, 31 juillet 2009, n° 320196 N° Lexbase : A1366EKS).
(2) CJUE, 14 février 2008, aff. C-450/06, Varec SA c/ Belgique (N° Lexbase : A8014D4L), Rec. p. I-581, AJDA, 2008, p. 871, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert.
(3) CEDH, 26 mars 1987, Req. 10/1985/96/144, Leander (N° Lexbase : A6483AWZ).
(4) CEDH, 2 août 1984, Req. 8691/79, Malone c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A9002EWC) ; CEDH, 6 juin 2006, Req. 623332/00, Segerstedt-Wiberg c/ Suède (N° Lexbase : A7305DPA).
(5) CEDH, 6 septembre 1978, Req. 5029/71, Klass c/ Allemagne (N° Lexbase : A3754ET9).
(6) Voir, déjà, sur ce sujet, CE 28 juillet 2004, n° 262851, M. Mechri, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9206EWU), AJDA, 2004, p. 2228, concl. Donnat.
(7) CE Section, 30 octobre 2001, n° 204909, Association française des sociétés financières et autres ([LXB=A1893AXE ]), au Recueil, p. 518, D.A., février 2002, p. 27, note C.M..
(8) Rapport d'ensemble de la CNIL sur les "listes noires", La Documentation Française, novembre 2003.
(9) CE Contentieux, 27 octobre 1995, n° 136727, Commune de Morsang-sur-Orge (N° Lexbase : A6382ANP).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La réforme du droit de la représentativité déclarée conforme au droit international

Réf. : Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, Société SDMO Industries c/ M. Jean-Noël Béganton et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Largement inspirée par la Position commune du 9 avril 2008 signée, côté salarié, par la CGT et la CFDT, la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), a, entre autres choses, mis un terme à la présomption irréfragable de représentativité, à laquelle se trouve substitué, à plus ou moins brève échéance, le système de la représentativité prouvée. A l'évidence, cette réforme n'a pas été du goût de toutes les organisations syndicales, qui se voient ainsi privées d'un accès commode à la représentativité, dont on sait qu'elle conditionne l'exercice des prérogatives les plus importantes conférées par la loi aux syndicats. Aussi, plutôt que de se conformer aux nouvelles règles du jeu, des organisations syndicales, que certains seront tentés de qualifier de mauvaises joueuses ou de mauvaises perdantes, ont-elles fait le choix de contester la validité même de la réforme, en arguant de son inconventionnalité. Contre toute attente, par un jugement fort médiatisé à l'époque, une juridiction du fond leur a donné raison. Cette position n'aura toutefois pas convaincu la Cour de cassation qui, au contraire, rejette tout grief d'inconventionnalité dans un important arrêt en date du 14 avril 2010, qui aura les honneurs de son rapport annuel. Nous reviendrons brièvement sur le jugement précité, avant d'étudier la solution retenue pas la Cour de cassation.
Résumé

Si le droit de mener des négociations collectives est, en principe, devenu l'un des éléments essentiels du droit de fonder des syndicats et de s'affilier à des syndicats, pour la défense de ses intérêts, énoncé à l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR), les Etats demeurent libres de réserver ce droit aux syndicats représentatifs, ce que ne prohibent ni les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne, ni l'article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni les conventions n° 98 et 135 de l'OIT. Le fait pour les salariés, à l'occasion des élections professionnelles, de participer à la détermination des syndicats aptes à les représenter dans les négociations collectives n'a pas pour effet d'affaiblir les représentants syndicaux au profit des représentants élus, chacun conservant les attributions qui lui sont propres.

L'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale. Tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical.

I - La violation de la liberté syndicale retenue par les juges du fond

  • L'origine de l'affaire

En l'espèce, lors des élections professionnelles ayant eu lieu dans une société SDMO en avril 2009, un syndicat FO avait obtenu moins de 10 % des suffrages valablement exprimés, ce qui, on le sait, lui interdisait de prétendre à la représentativité (1). Alors même que l'exercice de cette prérogative lui est subordonné, ce syndicat n'en avait pas moins désigné un délégué syndical dans la société en cause. Cette désignation était en fait doublement illégale puisque, en outre, la personne désignée n'avait pas réuni sur son nom 10 % des suffrages (2).

Face à cette évidente violation des dispositions légales, l'employeur et une organisation syndicale avaient saisi le juge afin de faire annuler la désignation du délégué syndical. L'organisation mandante invoquait, quant à elle, la contrariété de la loi française aux conventions internationales, traités, chartes et décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme dont l'autorité est supérieure aux lois françaises. De manière surprenante, cette exception d'inconventionnalité qui, en son principe, était recevable, fut admise par le tribunal d'instance de Brest (3).

  • La solution retenue par les juges du fond

Pour débouter l'employeur et l'union départementale CFDT de leurs demandes en annulation de la désignation du salarié en qualité de délégué syndical, le jugement attaqué avait retenu que l'article L. 2143-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3719IBD), qui réserve le droit de désigner un délégué syndical aux syndicats intercatégoriels ayant obtenu au moins 10 % des voix sur l'ensemble des collèges lors des dernières élections au comité d'entreprise, est contraire aux engagements internationaux de la France. D'abord, en ce qu'il interdit aux syndicats qui n'ont pas obtenu un tel score lors des dernières élections de participer aux négociations dans l'entreprise, les privant ainsi d'un élément essentiel du droit syndical (4), ensuite, en ce qu'il affaiblit les représentants syndicaux au profit des représentants élus, enfin en ce qu'il constitue une inégalité de traitement par rapport aux syndicats catégoriels qui ne doivent obtenir un tel pourcentage des voix que dans le seul collège visé par leurs statuts.

Le jugement attaqué avait également retenu que l'article L. 2143-3 du Code du travail faisant obligation de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix est contraire au principe de la liberté syndicale et constitue une ingérence dans le fonctionnement syndical.

Certainement audacieux, ce jugement n'avait, à l'époque, guère emporté la conviction des auteurs qui s'y étaient intéressés (5). Par ailleurs, d'autres juridictions du fond avaient retenu une solution diamétralement opposée (6). Ces quelques éléments laissaient présager une censure de la Cour de cassation qui est advenue avec l'arrêt rapporté.

II - Le rejet du grief d'inconventionnalité par la Cour de cassation

  • Une solution attendue

Afin de censurer le jugement du tribunal d'instance de Brest, la Cour de cassation n'a pas fait dans la demi-mesure. Cela ressort, d'une part du visa de son arrêt et, d'autre part, du motif de principe retenu.

S'agissant du visa, on ne peut qu'être impressionné par sa richesse, voire son caractère novateur, puisqu'y figurent : les articles 4 de la Convention n° 98 de l'OIT, 5 de la Convention n° 135 de l'OIT, 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 5 et 6 de la Charte sociale européenne, 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 2122-1 et L. 2122-2 du Code du travail (7).

Pour ce qui est du motif de principe, il mérite d'être reproduit in extenso : "Attendu cependant, d'abord, que si le droit de mener des négociations collectives est, en principe, devenu l'un des éléments essentiels du droit de fonder des syndicats et de s'affilier à des syndicats, pour la défense de ses intérêts, énoncé à l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, les Etats demeurent libres de réserver ce droit aux syndicats représentatifs, ce que ne prohibent ni les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne ni l'article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni les conventions n° 98 et 135 de l'OIT ; que le fait pour les salariés, à l'occasion des élections professionnelles, de participer à la détermination des syndicats aptes à les représenter dans les négociations collectives n'a pas pour effet d'affaiblir les représentants syndicaux au profit des représentants élus, chacun conservant les attributions qui lui sont propres ;
Attendu, ensuite, que l'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et que, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical".

  • Une solution justifiée

La solution retenue par la Cour de cassation nous paraît devoir être pleinement approuvée. Ainsi que le relève la Chambre sociale, le droit de mener des négociations collectives est bien devenu l'un des éléments essentiels du droit de fonder des syndicats et de s'affilier à des syndicats. Ce faisant, la Cour de cassation reprend à son compte la solution retenue par la Cour européenne des droits de l'Homme dans son fameux arrêt "Demyr et Baykara c/ Turquie" du 12 novembre 2008 (8). Dans cette même décision, la Cour n'en avait pas moins admis, conformément d'ailleurs aux prescriptions de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Hommes et des libertés fondamentales, que "les Etats demeurent libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial aux syndicats représentatifs".

En outre, et ainsi que n'avaient pas manqué de le relever les auteurs précités dans leur commentaire du jugement du tribunal d'instance de Brest (9), le Comité européen des droits sociaux, qui contrôle le respect des engagements énoncés dans la Charte sociale européenne, a considéré que ses dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un Etat réserve l'accès aux négociations collectives aux seuls syndicats représentatifs pourvu que les critères de représentativité soient prévus par la loi, objectifs et raisonnables, que des voies de recours soient prévues en cas de contestation et qu'une telle mesure tende à assurer l'efficacité et la cohérence du système de négociation collective (10).

En résumé, aucun texte international n'interdit de réserver le droit de mener des négociations collectives aux seuls syndicats représentatifs. Bien plus, il y a là un choix de nature à renforcer l'efficacité de ce droit ; ce que tend précisément à garantir la réforme de notre droit de la représentativité telle qu'elle est issue de la loi du 20 août 2008.

On approuvera également la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que le fait pour les salariés, à l'occasion des élections professionnelles, de participer à la détermination des syndicats aptes à les représenter dans les négociations collectives n'a pas pour effet d'affaiblir les représentants syndicaux au profit des représentants élus, chacun conservant les attributions qui lui sont propres. On ajoutera que c'est l'effet contraire qui est recherché, les représentants syndicaux sortant renforcés du scrutin conduisant à octroyer à leur organisation la représentativité.

Quant à l'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité (11), le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix, la Cour de cassation considère donc qu'elle ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale et que, tendant à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte, elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical.

Pour un auteur, nonobstant cette prise de position, il y aurait encore place pour la discussion car "la décision rapportée ne répond pas aux questions de fond : la négociation collective est-elle une prérogative syndicale ? Si oui, est-il justifié qu'à la condition applicable au syndicat s'ajoute une autre condition tenant à la personne du représentant syndical ?". Il y aurait des éléments, notamment en droit international et européen, pour répondre oui ou non (12).

Il faut, à cet égard, relever que, pour ce qui est à tout le moins du droit interne, l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) dispose que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises". On en vient, d'ailleurs, à se demander si la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen ne puise pas son inspiration dans cette importante disposition. Cela nous ramène à l'idée que, pour être d'exercice collectif, le droit à la négociation collective est d'abord un droit individuel appartenant à chaque travailleur ; ce qu'affirme, au demeurant, l'article L. 2221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2237H9Q). Partant, n'est-il pas justifié que ce soient les salariés qui choisissent eux-mêmes leurs "délégués" ?

On nous rétorquera que cela n'a pas été le cas jusqu'en 2008. Ce à quoi il serait permis de répondre que, jusqu'à cette même date et, notamment, en matière de négociation collective dans l'entreprise, on s'est satisfait d'une fiction conduisant à affirmer que des syndicats, en raison de leur affiliation, étaient habilités à s'exprimer au nom d'une collectivité de salariés, sans que jamais on s'interroge sur la réalité et la force du lien qui les unissait à cette collectivité. Que faut-il préférer ?

On ne peut, pour finir, éviter de relever un point particulièrement important. Dans son jugement, le tribunal d'instance de Brest avait relevé que le fait de réserver le droit de désigner un délégué syndical aux syndicats intercatégoriels ayant obtenu au moins 10 % des voix sur l'ensemble des collèges lors des dernières élections au comité d'entreprise, constitue "une inégalité de traitement par rapport aux syndicats catégoriels qui ne doivent obtenir un tel pourcentage de voix que dans le seul collège visé par leurs statuts".

Cette dernière affirmation est un peu exagérée, car ce ne sont pas tous les syndicats catégoriels qui sont soumis à un tel régime, mais uniquement ceux qui sont affiliés à la CFE-CGC. Il n'en demeure pas moins que, sous cette réserve, ces syndicats bénéficient bel et bien, en application de la loi (13), d'un certain "privilège". Celui-ci constitue-t-il une atteinte au principe d'égalité de traitement ? On aura beau chercher, l'arrêt rendu le 14 avril 2010 ne nous livre pas le moindre élément de réponse à apporter à cette interrogation. Mais nul doute que la Cour de cassation sera à nouveau saisie du problème, que ce soit par l'effet d'une exception d'inconventionnalité ou, plus vraisemblablement, au détour d'une question prioritaire de constitutionnalité.


(1) C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9).
(2) C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), qui réserve la désignation d'un délégué syndical aux organisations représentatives et qui exige que la personne désignée ait recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel.
(3) TI Brest, 27 octobre 2009, n° 11-09-000634, SAS SDMO industries et a. c/ Union départementale FO du Finistère (N° Lexbase : A7913EMZ), RDT, 2010, p. 117, note H. Tissandier ; SSL, n° 1421, p. 10, chron. J.-F. Akandji-Kombé.
(4) Les juges brestois n'avaient pas hésité à en déduire que cela incitait les électeurs à se détourner d'un syndicat dépourvu de tout pouvoir, d'empêcher tout syndicat de s'implanter dans une entreprise où il n'intervenait pas précédemment, en favorisant ainsi "les situations acquises voire les monopoles". Ce constat prête à sourire, dès lors qu'on le rapporte au système de la présomption irréfragable de représentativité.
(5) V. les articles précités d' H. Tissandier et de J.-F. Akandji-Kombé.
(6) V., notamment, les jugements des TI d'Annecy et de Niort, rendus respectivement les 2 décembre 2009 et 14 décembre 2009, SSL, n° 1426, p. 2, obs. F. C..
(7) Ainsi qu'il a été relevé, c'est la première fois qu'une Cour suprême française fait application de la Charte sociale européenne (J.-F. Akandji-Kombé, SSL, n° 1442, p. 11, qui souligne que "cette innovation n'échappera pas aux plaideurs, sachant qu'ils disposent là d'un instrument dynamique assorti d'une 'jurisprudence' européenne qui couvre quasiment tout le domaine du droit social").
(8) CEDH, 12 novembre 2008, n° 34503/97, Demir et Baykara c/ Turquie (N° Lexbase : A4116DSA), RDT, 2009, p. 288, chron. N. Hervieu ; RJS, 3/09, p. 193, chron. H. Tissandier : "le droit de mener des négociations collectives avec l'employeur est, en principe, devenu l'un des éléments essentiels du 'droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts' énoncés à l'article 11 de la Convention" (§ 154 de l'arrêt).
(9) H. Tissandier et J.-F. Akandji-Kombé, op. et loc. cit..
(10) CEDS, 16 octobre 2007, n° 35/2006, Federation of finish entreprises c/ Finland. Il y a plus car, dans une autre décision, ce même comité a estimé qu'un seuil de représentativité fixé par la loi à 10 % était conforme aux exigences de l'article 5 de la Charte (Décision du 21 mai 2002, réclamation n° 11/2000, citée par J.-F. Akandji-Kombé, op. cit., p. 11).
(11) L'utilisation de cette locution trouble quelque peu car, à la lecture de l'article L. 2143-3, al. 1er, c'est moins de priorité dont il paraît s'agir que d'obligation.
(12) J.-F. Akandji-Kombé, op. cit., p. 11 et p. 12.
(13) C. trav., art. L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI) et L. 2122-7 (N° Lexbase : L3739IB4).


Décision

Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, Société SDMO Industries c/ M. Jean-Noël Béganton et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9)

Cassation partielle sans renvoi de TI Brest, contentieux des élections professionnelles, 27 octobre 2009, n° 11-09-000634, SAS SDMO Industries, Union départementale CFDT du Finistère c/ Monsieur Beganton Jean Noël (N° Lexbase : A7913EMZ)

Textes visés : Convention n° 98 de l'OIT, art. 4 ; Convention n° 135 de l'OIT, art. 5 ; CESDH, art. 11 (N° Lexbase : L4744AQR) ; Charte sociale européenne, art. 5 et 6 ; Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 28 (N° Lexbase : L8117ANX) ; C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI)

Mots-clefs : représentativité, critères, audience électorale, délégué syndical, conditions de désignation, conformité à la liberté syndicale, conventionalité

Lien base : (N° Lexbase : E1853ETS)

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Sociétés

[Jurisprudence] Responsabilité personnelle du commissaire aux comptes associé pour les actes accomplis au nom de la société titulaire du mandat

Réf. : Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-10.791, Société Logex Centre Loire, FS-P-B-R-I (N° Lexbase : A9782ETH)

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur du Centre d'études et de recherches en droit des affaires et des contrats (CERDAC)

Le 07 Octobre 2010

Par l'arrêt prononcé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 23 mars 2010, la Haute Juridiction joue pleinement son rôle de cour régulatrice. Elle prend, en effet, position sur une question qui suscitait des divergences tant en jurisprudence qu'en doctrine. L'importance de la position adoptée et la volonté évidente de la Cour de cassation de dire le droit en la matière expliquent qu'elle ait décidé de donner à cet arrêt le plus grand retentissement possible, ainsi qu'en témoignent les mentions qui accompagnent l'identification de l'arrêt. Promis, notamment, au Rapport annuel de la Cour pour l'année 2010, l'arrêt a déjà très rapidement suscité des réactions (1) et d'autres ne manqueront pas d'intervenir dans les prochaines semaines. La question en discussion peut être assez aisément synthétisée. Lorsque le contrôle des comptes d'une société a été confié à une société de commissariat aux comptes, le commissaire aux comptes, personne physique, qui accomplit la mission engage-t-il sa responsabilité personnelle dans l'hypothèse d'une faute relevée ayant causée un préjudice à la société dont le contrôle des comptes est assuré ? De manière abstraite, on peut estimer que plusieurs réponses seraient envisageables. Seule la société de commissariat aux comptes étant titulaire du mandat de contrôle des comptes répondrait des fautes commises dans l'exécution de la mission. Selon une autre approche, on pourrait estimer que le commissaire aux comptes, auteur de l'exécution de la mission, engage sa responsabilité personnelle, en sa qualité de professionnel. Sur cette alternative vient se greffer l'hypothèse d'une double responsabilité assumée tant par la société de commissariat aux comptes que par le commissaire lui-même. Le régime de cette co-responsabilité doit alors également être identifié : responsabilité conjointe, solidaire ou in solidum.

L'observation de la jurisprudence publiée et des commentaires de la doctrine montre que les deux courants principaux de traitement de cette question ont été simultanément empruntés et, il faut bien le reconnaître, avec une confrontation d'arguments également respectables. Aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence, la Cour de cassation a nettement tranché en affirmant que "le commissaire aux comptes agissant en qualité d'associé, d'actionnaire ou de dirigeant d'une société titulaire d'un mandat de commissaire aux comptes répond personnellement des actes professionnels qu'il accomplit au nom de cette société, quelle qu'en soit la forme". Certes, l'histoire nous a montré que les revirements de jurisprudence ne sont jamais à exclure, mais il semble bien qu'une orientation très nette du droit positif résulte de l'arrêt commenté et, sauf une bien hypothétique intervention législative sur ce point, les praticiens doivent prendre en compte la position de la Cour de cassation dans l'exercice de leur activité professionnelle. L'exercice en société de la profession de commissaire aux comptes ne peut avoir pour effet d'exonérer le commissaire exécutant la mission de la mise en cause de sa responsabilité personnelle pour faute. Tel est bien le premier, et essentiel, enseignement à retirer de l'arrêt en date du 23 mars 2010 (I). Au-delà, il nous apparaît qu'il ne faut pas oublier que la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes, ainsi reconnue, ne fait pas obstacle à celle de la société de commissaires aux comptes (II).

I - Le mandat de contrôle des comptes conféré à la société de commissariat aux comptes n'exonère pas le commissaire de sa responsabilité personnelle

Si, historiquement, les commissaires aux comptes pouvaient être considérés comme des mandataires sociaux, puisque nommés par l'assemblée générale pour intervenir au sein de la société, l'évolution législative a pu conduire à douter de la pérennité de cette qualification (2). On peut notamment estimer qu'ils accomplissent une mission légale impérative, à fort contenu de préservation de l'intérêt général (associés, créanciers de la société, salariés...). Rapportée à la question de la responsabilité du commissaire aux comptes, cette interrogation relative à la qualification juridique fondant son intervention au sein de la société contrôlée a plutôt provoqué un obscurcissement du débat. Le Code de commerce fait toujours référence au "mandat" (v. not., C. com., art. L. 823-1 al. 3 N° Lexbase : L2954HCE et L. 823-3 al. 2 N° Lexbase : L2037ICG) et, lorsqu'une société se tourne vers une société de commissariat aux comptes pour confier le contrôle de ses comptes, c'est bien la société elle-même qui est titulaire du mandat et non pas l'un des commissaires associés. La question est alors de savoir si l'écran de la société cède dans l'exercice de la mission, exécutée nécessairement par un professionnel personne physique au nom de la société de commissariat aux comptes. Alors qu'un courant hostile à l'engagement de la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes était bien représenté (A), c'est celui favorable à une telle hypothèse de responsabilité, et qui ne manquait pas non plus de partisans, qui emporte la conviction de la Cour de cassation (B).

A - Le courant hostile à la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes

Sans doute peut-on retenir, sur le terrain doctrinal, la position fortement soutenue par le Professeur Philippe Merle (3) comme manifestant l'argumentaire le plus développé visant à écarter la mise en jeu de la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes lorsque le contrôle des comptes a été confié à une société de commissariat aux comptes. Telle était également la position défendue par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (4).

Il est vrai que l'article L. 822-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2023ICW) expose clairement que, dans les sociétés de commissaires aux comptes, les fonctions de commissaire sont exercées "au nom de la société", par des commissaires aux comptes personnes physiques associés, actionnaires ou dirigeants de cette société. Dans la mesure où c'est bien la société qui est titulaire du mandat et où les professionnels agissent "au nom de la société", on pourrait affirmer que c'est cette personne morale qui doit répondre des actes ainsi accomplis. Selon cette approche, l'exigence de la signature de celui qui a participé à l'établissement du rapport, imposée par l'article R. 822-94 du Code de commerce (N° Lexbase : L2245HZ8), est considérée comme seulement destinée à l'identification du commissaire qui a été en charge du dossier au sein de la société afin, notamment, de faciliter la mise en oeuvre des contrôles et inspections auxquels ces professionnels se trouvent soumis. En outre, l'exigence faite au commissaire aux comptes d'être titulaire d'une assurance (C. com., art. R. 822-98 N° Lexbase : L2249HZC), même lorsqu'il agit au sein d'une société de commissaires aux comptes, s'expliquerait par la faculté qui demeure, pour ces professionnels, d'être par ailleurs titulaires de mandats à titre personnel.

En jurisprudence, cette vision du problème a été notamment retenue par la cour d'appel de Rennes dans un arrêt en date du 16 septembre 2005 (5). Il est intéressant de noter que cet arrêt fait jouer pleinement l'effet de la personnalité morale des sociétés. La société de commissariat aux comptes s'étant vu confier le contrôle des comptes par une société, elle répond des fautes commises dans l'exercice de son activité, le commissaire personne physique ayant agi en son nom. L'autonomie de la personnalité juridique de la société de commissaires aux comptes conduirait ainsi à faire écran à l'engagement de la responsabilité personnelle du commissaire lui-même. Faisant référence à la solution jurisprudentielle qui ne retient la responsabilité personnelle des dirigeants d'une société qu'en cas de faute détachable des fonctions (6), la juridiction rennaise envisage toutefois que la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes ayant réalisé matériellement la mission puisse être retenue dans un tel cas. Les conditions d'exercice de la mission de contrôle des comptes, ainsi que les exigences jurisprudentielles attendues pour que la faute détachable puisse être retenue, rendent peu probable une telle hypothèse de mise en jeu de la responsabilité personnelle d'un commissaire aux comptes associé.

Cette conception de l'exercice de son activité par le commissaire aux comptes lorsqu'il intervient dans le cadre d'une société de commissaires aux comptes, très protectrice de ses intérêts personnels, est toutefois contestée par un autre courant, auquel l'arrêt de la Cour de cassation commenté se rattache à l'évidence.

B - Le courant favorable à la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes

Un courant sans doute plus fourni, tant sur le plan jurisprudentiel que doctrinal, retient au contraire que le commissaire aux comptes qui réalise la mission, alors que c'est une société qui est titulaire du mandat, peut engager sa responsabilité personnelle en cas de faute.

Il convient, en premier lieu, de relever que, s'il s'agit de sociétés de commissaires aux comptes constituées sous la forme de sociétés civiles professionnelles ou de sociétés d'exercice libéral, le problème ne se pose pas puisque les textes spécifiques à ces deux catégories de sociétés disposent, en des termes similaires, que "chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit" (loi du 29 novembre 1966, relative aux SCP, art. 16 N° Lexbase : L3122AIH et loi du 31 décembre 1990, relative aux SEL, art. 16 N° Lexbase : L3055AIY). Le risque d'un engagement de la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes ayant accompli la mission est dès lors légalement fondé et, à notre avis, ne saurait être discuté. En revanche, pour les autres formes de sociétés susceptibles d'être utilisées pour l'exercice de la profession de commissaire aux comptes, il n'existe aucune disposition semblable. Cette différence de cadre normatif pourrait être interprétée comme emportant l'absence de responsabilité personnelle pour les formes autres que les SCP et les SEL, en application de l'adage specialia generalibus derogant. En effet, si telle était la règle générale, il n'aurait pas été besoin de l'exprimer pour deux formes spécifiques de sociétés (7). Assez curieusement, cet argument ne semble pas avoir été invoqué par les tenants du courant hostile à la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes associé. Plus logiquement, on comprend que les partisans du principe de la responsabilité personnelle du commissaire se soient bien gardés de s'y référer.

En écartant l'hypothèse des SCP et des SEL, pour toutes les autres sociétés de commissaires aux comptes, divers arguments peuvent certainement être avancés pour fonder une position favorable à l'engagement de la responsabilité personnelle du commissaire.

En premier lieu, l'article L. 822-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L2952HCC) dispose, dans son alinéa 2, que "les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes ou négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions". Aucune réserve ou restriction n'est faite pour le cas où le commissaire exerce ses fonctions au sein d'une société. Compte tenu de la clarté du libellé du texte, il ne nous paraît justiciable d'aucune interprétation. Tout commissaire aux comptes est visé, y compris s'il est associé d'une société de commissaires aux comptes, dans la mesure où, lors de l'exécution de la mission de contrôle des comptes, il s'agit bien pour lui d'exercer son activité professionnelle. Le Professeur Yves Guyon avait clairement affirmé que "le membre d'une profession libérale réglementée ou l'officier ministériel ne doit pas échapper à sa responsabilité personnelle pour la seule raison qu'il exerce au sein d'une société" (8).

Par ailleurs, et au renfort de cette position, la référence au mandat a été mise en avant pour justifier les poursuites à l'encontre du commissaire chargé d'exécuter la mission de contrôle des comptes. La position a été soutenue (9) que, si la société de commissariat aux comptes a la qualité de mandataire de la société contrôlée, le commissaire aux comptes intervient personnellement en vertu d'un sous-mandat, contrat par lequel la société de commissariat aux comptes exécute la mission ainsi confiée. Il engage donc sa responsabilité personnelle dans ce cadre pour toute faute ou négligence dans l'accomplissement de son sous-mandat.

On relèvera toutefois que, dans l'arrêt du 23 mars 2010, la Chambre commerciale ne reprend pas la référence au sous-mandat pour fonder la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes ayant effectivement effectué la mission. En réalité, la Haute juridiction est silencieuse sur le fondement de la position qu'elle adopte. Elle fait bien référence au "mandat" dont est titulaire la société de commissariat aux comptes, mais on peut dire qu'elle ne fait ainsi que reprendre le vocabulaire utilisé par le Code de commerce. En revanche, ensuite, s'agissant de l'engagement personnel d'un commissaire aux comptes associé, elle se limite à indiquer qu'il "répond personnellement des actes professionnels qu'il accomplit au nom de cette société". Chacun est donc invité à imaginer le fondement qui lui convient le mieux.

En retenant, par l'arrêt rapporté, la responsabilité personnelle de l'associé d'une société de commissaires aux comptes, la Chambre commerciale rejoint également la position qu'elle avait adoptée, par un arrêt en date du 11 juillet 2006 (10) à propos des sanctions pécuniaires susceptibles d'être prononcées par l'Autorité des marchés financiers en cas de manquement à l'information du public. L'identité des solutions ne repose toutefois pas sur les mêmes fondements car le Code monétaire et financier autorise l'AMF à sanctionner "toute personne" (C. mon. fin., art. L. 621-15 N° Lexbase : L4918IGA) ayant diffusé une fausse information, et ce à quelque titre que ce soit, ce qui permet d'engager des poursuites personnelles à l'encontre du commissaire aux comptes agissant dans le cadre d'une société de commissariat aux comptes.

En l'absence de toute clarification quant au fondement de l'obligation personnelle du commissaire aux comptes agissant en qualité d'associé d'une société de commissariat aux comptes, il y a lieu, pour la doctrine comme pour les praticiens, de prendre en compte l'arrêt ici rapporté dès lors qu'il a des incidences non seulement pour les commissaires personnes physiques (qui ne pourront échapper à leur responsabilité personnelle au motif qu'ils ont agi au nom d'une société) mais aussi pour les sociétés constituées pour l'exercice de cette profession, susceptibles, elles aussi, de voir leur responsabilité engagée du fait des fautes commises par un commissaire aux comptes associé.

II - La responsabilité personnelle du commissaire aux comptes ne fait pas obstacle à celle de la société de commissaires aux comptes

La Cour de cassation précise que la position qu'elle adopte, s'agissant de la responsabilité personnelle du commissaire aux comptes, vaut quelle que soit la forme de la société de commissariat aux comptes. L'attention doit être également attirée sur cette incise, dès lors que cette responsabilité personnelle n'est pas exclusive de la responsabilité de la société elle-même, titulaire du mandat, et que de nombreuses formes distinctes de sociétés peuvent être utilisées pour l'exercice de la profession de commissaires aux comptes, l'article L. 822-9, alinéa 1er, du Code de commerce ne comportant sur ce point aucune restriction. Deux principales situations doivent être identifiées, en considération de la forme sociétaire. SCP et SEL (A) doivent être distinguées des sociétés commerciales (B).

A - La situation dans les sociétés civiles professionnelles et les sociétés d'exercice libéral

Dans des termes identiques, les articles 16 de la loi du 29 novembre 1966 sur les SCP et du 31 décembre 1990 sur les SEL, déclarent, à propos de l'engagement personnel de chaque associé pour les actes professionnels qu'il accomplit (voir supra), que "la société est solidairement responsable avec lui". La SCP ou la SEL au sein de laquelle le commissaire aux comptes poursuivi en responsabilité civile exerce son activité est donc susceptible d'être également tenue de répondre des conséquences dommageables des actes accomplis par le commissaire aux comptes impliqué.

Sur le plan procédural, il conviendra que soit d'abord établie la responsabilité pour faute du commissaire, personne physique, fondant le droit à réparation de la victime. Mais au-delà, en définitive, c'est la victime des agissements fautifs qui peut poursuivre, selon son choix, soit le commissaire ayant exécuté la mission, soit la société, soit encore les deux pour le versement des dommages et intérêts. L'obligation à la dette de dommages et intérêts est, en effet, supportée solidairement par le commissaire personne physique et la SCP ou la SEL au sein de laquelle il exerce son activité.

Il faut, en outre, tenir compte de la règle spécifique aux sociétés civiles professionnelles qui figure à l'article 15 de la loi du 29 novembre 1966 (N° Lexbase : L3123AII) et qu'il convient de combiner avec celle précitée de l'article 16. Selon ce texte, "les associés répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales à l'égard des tiers". En conséquence, si la SCP de commissaires aux comptes est condamnée au titre de l'article 16 par suite du préjudice subi par un tiers du fait d'un acte professionnel établi par un commissaire, tous les associés de cette société (y compris l'auteur des faits fautifs) peuvent être actionnés en paiement pour cette même dette, au titre de leur obligation solidaire vis-à-vis des dettes sociales car, en ce cas, il s'agit bien d'une dette sociale. Une situation semblable toucherait les associés commandités d'une SEL constituée sous la forme d'une commandite par actions puisque, comme le rappelle l'article 13, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3054AIX), ils répondent eux-aussi "indéfiniment et solidairement des dettes sociales". En revanche, pour les autres formes de SEL, qui n'emportent qu'une responsabilité des associés limitée au montant de leur apport (SELARL, SELAFA, SELAS), la condamnation de la société au titre de son obligation solidaire vis-à-vis de la dette de l'associé pour les actes professionnels qu'il a accomplis, n'emporte pas pour les autres professionnels associés d'obligation à l'égard de cette dette sociale. L'effet de limitation de responsabilité, attachée à la forme sociétaire choisie, joue à plein.

B - La situation dans les sociétés commerciales

Lorsqu'une société commerciale (SA, SAS, SARL) a été adoptée pour l'exercice de l'activité de commissaire aux comptes, il n'existe aucune règle semblable à celle signalée ci-dessus à propos des SCP ou des SEL. La solidarité ne se présumant pas, la position adoptée consiste alors à recourir à la responsabilité in solidum pour établir le régime juridique des obligations respectives du commissaire aux comptes personne physique et de la société de commissariat aux comptes (11).

Telle est bien la position prise à propos d'une société de commissaires aux comptes constituée sous la forme d'une société anonyme par la cour d'appel de Paris en 1991 (12) et réaffirmée ultérieurement en 2002 et en 2003 (13). On sait qu'en matière d'obligation in solidum, les effets principaux sont assez semblables à ceux de l'obligation solidaire mais, en revanche, les effets secondaires n'existent pas car il n'y a pas de communauté d'intérêts ni de représentation mutuelle des codébiteurs. Ainsi, ni la mise en demeure, ni l'interruption de la prescription, ni l'exercice des voies de recours, ni la chose jugée envers l'un des coobligés n'ont, en principe, d'effets à l'égard de l'autre. Pratiquement, s'agissant de la situation du commissaire aux comptes et de la société commerciale de commissariat aux comptes, chacun étant tenu pour le tout, le créancier (ici la victime de la faute commise dans l'exercice de la mission de commissariat aux comptes) peut demander le paiement de l'indemnité de réparation du préjudice subi à n'importe lequel des deux débiteurs et le paiement effectué par l'un libère l'autre. En principe, le débiteur solvens dispose d'un recours contre l'autre, mais, dès lors qu'il s'agit d'une obligation in solidum, la jurisprudence opère parfois un partage de la contribution finale à la dette proportionnellement à la gravité des fautes commises respectivement par les deux personnes tenues de la dette de réparation de la victime (14). On pourrait dès lors imaginer que la société de commissaires aux comptes, poursuivie en paiement par la victime des agissements fautifs du commissaire en charge personnellement de la réalisation de la mission, se retourne contre ce dernier et obtienne du juge une condamnation du commissaire, personne physique, à supporter la charge finale de la dette en totalité dès lors que la faute, cause du dommage, ne résulte aucunement des conditions de fonctionnement de la société de commissaires aux comptes (moyens humains et matériels mis à disposition des commissaires associés, organisation interne, répartition des missions entre les commissaires...) mais seulement des négligences commises par le commissaire aux comptes ayant réalisé la mission. Dans la mesure où, en principe, en matière de responsabilité solidaire, le recours en contribution de l'article 1213 du Code civil (N° Lexbase : L1315ABC) entre les codébiteurs solidaires se fait par parts viriles (division par tête), il demeurerait sur ce point une différence (outre celles tenant à l'absence d'effets secondaires attachées à la solidarité) entre les SCP ou SEL (qui emportent la solidarité entre la société et le commissaire aux comptes associé) et les autres sociétés commerciales à risque limité pour lesquelles une obligation in solidum est actuellement retenue en jurisprudence. On peut toutefois noter que l'avant-projet de réforme du droit des obligations envisage de faire disparaitre l'obligation in solidum, le futur (et hypothétique) article 1378 du Code civil disposant alors que "tous les responsables d'un même dommage sont tenus solidairement à réparation". Si un tel projet devait aboutir, le droit spécial des SEL et des SCP de commissaires aux comptes deviendrait le droit commun applicable à tous les cas d'exercice en société de la profession de commissaire aux comptes.

En conclusion, au regard de l'arrêt rapporté, on peut retenir que si la forme de société au sein de laquelle un commissaire aux comptes exerce son activité est indifférente relativement à l'engagement de sa responsabilité personnelle, le choix de la forme de société demeure, en l'état du droit positif, un réel enjeu compte tenu des conséquences qui sont attachées à la reconnaissance d'une telle responsabilité pour la société elle-même et ses associés.


(1) Voir not., Ph. Merle, Option Finance, 6 avril 2010, p. 15 ; A. Lienhard, D., 2010, p. 889 ; BRDA, 7/10, n° 1.
(2) V. not. D. Poracchia, L. Merland et M. Lamoureux, Rep. Sociétés Dalloz, V° Commissaire aux comptes, n° 18 ; voir not., CA Nîmes 27 mars 1973, Rev. Sociétés, 1974, p. 327, qui indique que le commissaire aux comptes n'est pas un "mandataire" mais est titulaire d'une "fonction".
(3) Voir not., Ph. Merle, Bull. Joly 2003, p. 1256, note sous CA Paris, 5ème ch., sect. A^, 14 mai 2003, n° 1997/27504, Société Autocontrol c/ Monsieur Jean-Claude Lomberget (N° Lexbase : A9613C8K) ; Droit des sociétés, Précis Dalloz, 13ème éd., n° 519, note 4.
(4) V. not., Bull. CNCC, 2003, n° 132, p. 519.
(5) CA Rennes, 1ère ch., sect. B, 16 septembre 2005, n° 03/06260, SAS Rolland c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère (N° Lexbase : A4424DUE), Bull. CNCC, n° 139, p. 447, note Ph. Merle ; Bull. Joly 2005, p. 1351, note Ph. Merle.
(6) V. not., Cass. com. 20 mai 2003, n° 99-17.092, Mme Nadine c/ Société d'application de techniques de l'industrie (SATI), FS-P+B+I (N° Lexbase : A1619B9T), D., 2003, p. 2623, note B. Dondéro.
(7) Sur cette question, voir notre thèse, Essai sur la méthode législative : droit commun et droit spécial, Thèse Bordeaux, 1986, not., p. 153 et s..
(8) Y.Guyon, obs., Rev. sociétés, 1991, p. 607.
(9) J.-J. Caussain, F. Deboissy, G. Wicker, obs., JCP éd. E, 2004, II, 601, n° 8, sous CA Paris, 5ème ch., sect. A, 14 mai 2003, préc..
(10) Cass. com., 11 juillet 2006, 2 arrêts, n° 05-18.337, Autorité des marchés financiers, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4628DQH) et n° 05-18.528, M. Denis Emonard, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5047DQY), B.-O. Becker, La responsabilité des commissaires aux comptes en matière d'information inexacte ou trompeuse, Lexbase Hebdo n° 234 du 2 novembre 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4457ALN), D., 2006, AJ, p. 2033, obs. A. Lienhard ; RJDA, 11/06, n° 1148.
(11) V. not., Juris-Classeur Sociétés Traité, fac. 134-25, par D. Langé, n° 145 et s..
(12) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 4 avril 1991, n° 90-7102, M. Quaglia c/ M. Jacques Frette (N° Lexbase : A8615A4T), Bull. CNCC, n° 82, 1991, p. 231, note E. du Pontavice ; Rev. Sociétés, 1991, p. 607, obs. Y. Guyon ; Bull. Joly, 1991, p. 624, note G. Lesguiller.
(13) CA Versailles, 1ère ch., 11 avril 2002, Bull. Joly, 2002, p. 919, note J.-J. Daigre ; CA Paris, 5ème ch., sect. A, 14 mai 2003, préc., et obs. préc..
(14) Voir not., F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., n° 1263.

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Protection sociale

[Jurisprudence] Le régime réglementaire des droits et devoirs du demandeur d'emploi validé par le Conseil d'Etat

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 9 avril 2010, n° 323246, Confédération générale du travail-FO (N° Lexbase : A5684EU3)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

En 2008, le législateur était intervenu à deux reprises pour modifier sensiblement le statut juridique du chômeur (loi n° 2008-758 N° Lexbase : L7343IA9) (1) et celui des acteurs du marché du travail, en mettant en place Pôle emploi, réalisant un rapprochement du réseau des agences locales de l'ANPE et des Assedic (2). La loi n° 2008-758 avait réformé certaines obligations relatives à la recherche d'emploi, au projet personnalisé d'accès à l'emploi, au refus d'une offre raisonnable d'emploi ou, enfin, à l'interdiction de faire des fausses déclarations. Dans le prolongement de cette réforme législative, le pouvoir réglementaire était sollicité, pour rendre opératoires certains des dispositifs de la loi n° 2008-758 (décret n° 2008-1056 du 13 octobre 2008, relatif aux droits et devoirs des demandeurs d'emploi et au suivi de la recherche d'emploi N° Lexbase : L6199IB9). Si l'opposition parlementaire n'avait pas saisi le Conseil constitutionnel, en 2008, le privant d'une opportunité de se prononcer sur certains aspects pourtant juridiquement discutables de la loi n° 2008-78, certaines organisations syndicales, elles, avaient saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 octobre 2008. Le Conseil d'Etat vient de rendre sa décision, dans un arrêt du 9 avril 2010, en relevant que le décret est conforme à la Constitution, aux engagements internationaux, ainsi qu'aux droits de la défense et au droit à un recours effectif. Le Conseil d'Etat rejette trois griefs formulés par la CGT-FO : le pouvoir réglementaire n'a pas empiété sur le domaine réservé au législateur par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) en précisant la notion de salaire antérieurement perçu nécessaire à la définition de l'offre raisonnable d'emploi ; il n'a pas davantage excédé sa compétence, ni méconnu les dispositions légales dont il entendait déterminer les modalités d'application en précisant le contenu des conventions conclues entre Pôle emploi et les organismes participant au service public de l'emploi, qui devront, notamment, définir les règles d'élaboration et d'actualisation du projet personnalisé d'accès à l'emploi dont l'accompagnement et le placement sont confiés à ces organismes (I) ; les sanctions de la méconnaissance par les demandeurs d'emploi de leurs obligations, qui sont au demeurant prévues par la loi et non par le décret n° 2008-1056 lui-même, ne sauraient être regardées comme créant une situation de travail forcé (II) ; enfin, le décret n° 2008-1056 ne porte pas atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours effectif (III).
Résumé

En se bornant à préciser la notion de salaire antérieurement perçu à laquelle se réfère l'article L. 5411-6-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2210IBH) pour la définition de l'offre raisonnable d'emploi, le pouvoir réglementaire n'a pas empiété sur le domaine que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi pour la détermination des principes fondamentaux du droit du travail.
En apportant ces précisions, le pouvoir réglementaire n'a pas davantage excédé sa compétence, ni méconnu les dispositions légales dont il entendait déterminer les modalités d'application.
Les sanctions mises en place par le pouvoir réglementaire (C. trav., art. R. 5426-3, 2° N° Lexbase : L6239IBP), au demeurant prévues par les articles L. 5412-1 (N° Lexbase : L2093IB7), L. 5426-2 (N° Lexbase : L2145IB3) et L. 5426-4 du Code du travail et non par le décret n° 2008-1056 lui-même, ne sauraient être regardées comme créant une situation de travail forcé ou comme portant une atteinte à la liberté du travail au sens de ces différents textes.
Les dispositions du décret n° 2008-1056, loin de méconnaître les droits de la défense en organisent l'exercice dans des conditions qui ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation, notamment en ce qu'elles imposent au demandeur d'emploi de présenter des observations dans un délai de dix jours, comme l'imposaient déjà, au demeurant, les dispositions antérieures, et en ce qu'elles ne prévoient l'intervention d'une commission consultative que pour le cas où le préfet envisage de supprimer le revenu de remplacement.

I - Régime de l'offre raisonnable d'emploi et compétence du pouvoir réglementaire

A - Offre raisonnable d'emploi

La loi n° 2008-758 propose une définition de l'offre raisonnable d'emploi présentée comme la nature et les caractéristiques de l'emploi ou des emplois recherchés, la zone géographique privilégiée et le salaire attendu, tels que mentionnés dans le projet personnalisé d'accès à l'emploi (C. trav., art. L. 5411-6-2 N° Lexbase : L2181IBE). Sont distinguées trois catégories de chômeurs selon leur ancienneté dans le chômage (C. trav., art. L. 5411-6-3) :

- entre trois et six mois, l'offre d'un emploi doit être compatible avec les qualifications et compétences professionnelles et rémunéré à au moins 95 % du salaire antérieurement perçu ;
- entre six mois et un an, l'offre d'emploi peut être proposée au chômeur, même si elle entraîne, à l'aller comme au retour, un temps de trajet en transport en commun, entre le domicile et le lieu de travail, d'une durée maximale d'une heure ou une distance à parcourir d'au plus trente kilomètres. Le taux de rémunération de l'emploi proposé est porté à 85 % (au lieu de 95 % pour les chômeurs de la catégorie précédente, ceux dont l'ancienneté dans le chômage est comprise entre trois et six mois) ;
- après un an d'inscription, l'offre d'un emploi est valablement proposée par Pôle emploi si, compatible avec les qualifications et les compétences professionnelles du demandeur d'emploi, elle est rémunérée au moins à hauteur du revenu de remplacement.

Bref, le régime a été fixé par le législateur, en 2008, à l'article L. 5411-6-3 et par le pouvoir réglementaire (décret n° 2008-1056), à l'article R. 5411-15 du Code du travail (N° Lexbase : L6238IBN), fixant la notion de "salaire antérieurement perçu". Le Conseil d'Etat, par l'arrêt rapporté, rappelle, très justement, qu'en se bornant ainsi à préciser la notion de salaire antérieurement perçu à laquelle se réfère l'article L. 5411-6-3 du Code du travail pour la définition de l'offre raisonnable d'emploi, le pouvoir réglementaire (décret n° 2008-1056) n'a pas empiété sur le domaine que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi pour la détermination des principes fondamentaux du droit du travail.

B - Projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE)

Le projet personnalisé d'accès à l'emploi retrace les emplois recherchés et tient compte de la situation du demandeur d'emploi, notamment de sa formation, de sa qualification, de sa situation personnelle et familiale et de la situation locale du marché du travail et des possibilités de mobilité géographique et professionnelle de l'intéressé. Il comprend des actions d'évaluation, de conseil et d'orientation, des actions d'accompagnement vers l'emploi et enfin des actions de formation ou de validation des acquis de l'expérience (C. trav., art. R 5411-15 et R. 5411-16 N° Lexbase : L6237IBM). Le législateur (loi n° 2008-758 du 1er août 2008) a introduit le PPAE dans la partie législative du Code du travail et indiqué que le projet personnalisé d'accès à l'emploi est actualisé périodiquement. Lors de cette actualisation, les éléments constitutifs de l'offre raisonnable d'emploi sont révisés, notamment pour accroître les perspectives de retour à l'emploi (C. trav., art. L. 5411-6-3).

L'article 4 du décret n° 2008-1056 précise (C. trav., art. R. 5411-16) le contenu des conventions conclues entre Pôle emploi et les organismes participant au service public de l'emploi, qui devront notamment définir les règles d'élaboration et d'actualisation du projet personnalisé d'accès à l'emploi dont l'accompagnement et le placement sont confiés à ces organismes. Là encore, par l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat estime qu'en apportant ces précisions, le pouvoir réglementaire n'a pas davantage excédé sa compétence ni méconnu les dispositions légales dont il entendait déterminer les modalités d'application. La solution, de bon sens, mérite pleinement l'approbation.

II - Le régime du refus d'une offre d'emploi n'implique pas que le chômeur soit placé en situation de travail forcé

A - Sanctions du non-respect du régime du refus d'emploi

Les textes organisent trois types de sanctions :

- radiation de la liste des demandeurs d'emploi si le chômeur, sans motif légitime, refuse à deux reprises une offre raisonnable d'emploi mentionnée à l'article L. 5411-6-2 (C. trav., art. L. 5412-1, 2° N° Lexbase : L2093IB7) ;
- suppression du bénéfice du revenu de remplacement pour une durée de deux mois. En cas de répétition de ces mêmes manquements, le revenu de remplacement est supprimé pour une durée de deux à six mois ou bien de façon définitive (C. trav., art. R 5426-3, 2° N° Lexbase : L6239IBP) ;
- signalement par les agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi sans délai au préfet du département (C. trav., art. R. 5426-6 N° Lexbase : L5537IBP).

B - Compatibilité du décret n° 2008-1056 avec le droit international et le droit communautaire ainsi qu'avec le principe de la liberté du travail

Selon le syndicat CGT-FO, en organisant la sanction de la méconnaissance par les demandeurs d'emploi de leurs obligations, notamment en cas de refus réitéré d'une offre raisonnable d'emploi, sous la forme d'une réduction ou d'une suppression du revenu de remplacement ainsi que de la radiation de la liste des demandeurs d'emploi, le décret n° 2008-1056 contraindrait les demandeurs d'emploi concernés à un travail forcé et porterait atteinte au principe de la liberté du travail, méconnaissant, de ce fait, la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Charte sociale européenne, ainsi que plusieurs conventions de l'Organisation internationale du travail (3).

Le Conseil d'Etat, par l'arrêt rapporté, très légitiment, rejette une telle analyse juridique : les sanctions mentionnées (supra), au demeurant prévues par les articles L. 5412-1, L. 5426-2 et L. 5426-4 du Code du travail et non par le décret attaqué lui-même, ne sauraient être regardées comme créant une situation de travail forcé ou comme portant une atteinte à la liberté du travail au sens de ces différents textes.

La Cour européenne des droits de l'Homme définit le travail forcé ou obligatoire comme le travail imposé à une personne contre son gré, présentant un caractère injuste ou oppressif et constituant une épreuve inévitable (4). Tel n'est pas le cas d'une sanction exclusion du bénéfice du revenu de remplacement imposée au chômeur ayant refusé un emploi, qui n'équivaut pas pour autant à lui imposer un travail forcé ou obligatoire : cette sanction réalise sans doute une pression, ayant pour objet d'inciter le chômeur à accepter un emploi. Mais elle ne revêt pas un degré de gravité tel qu'elle pourrait recevoir qualification de travail forcé ou obligatoire (5).

III - Le régime de réduction ou de suppression du revenu de remplacement prononcé par le préfet respecte les droits de la défense et du droit à un recours effectif

A - Régime des sanctions prises par le préfet à l'encontre des chômeurs

  • Régime général

Lorsque les agents chargés du contrôle de la recherche d'emploi constatent l'un des manquements prévus à l'article R. 5426-3, ils le signalent sans délai au préfet, sans préjudice de l'exercice du pouvoir de radiation du directeur général de Pôle emploi ou de la personne qu'il désigne en son sein (prévu à l'article R. 5412-1 N° Lexbase : L6334ICL). A la suite du signalement d'un manquement, le préfet se prononce dans un délai de trente jours à compter de la réception d'un dossier complet. Il fait connaître à Pôle emploi les suites données à ses signalements. Lorsqu'il envisage de prendre une décision de suppression ou de réduction du revenu de remplacement, le préfet fait connaître au demandeur d'emploi les motifs de sa décision. Le préfet informe l'intéressé qu'il a la possibilité, dans un délai de dix jours, de présenter ses observations écrites ou, si la sanction envisagée est une suppression du revenu de remplacement, d'être entendu par la commission (prévue à l'article R. 5426-9 N° Lexbase : L6302ICE) (C. trav., art. R. 5426-6 N° Lexbase : L6144ICK à R. 5426-8).

La commission chargée de donner un avis sur le projet d'une décision de suppression du revenu de remplacement est composée d'un représentant de l'Etat, de deux membres titulaires ou suppléants de l'instance paritaire (C. trav., art. L. 5312-10 N° Lexbase : L6001IAI), proposés par celle-ci et d'un représentant de Pôle emploi. Ce dernier assure le secrétariat de cette commission. Les membres de cette commission sont nommés par arrêté du préfet. La commission émet son avis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier complet. Le préfet se prononce dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cet avis (C. trav., art. R. 5426-9 et R. 5426-10 N° Lexbase : L9950H9E).

  • Décret n° 2008-1056

Le décret n° 2008-1056 a modifié les articles R. 5426-8, R. 5426-9 et R. 5426-11 (N° Lexbase : L6093ICN) du Code du travail. Désormais, le préfet doit, lorsqu'il envisage de prendre une décision de réduction ou de suppression du revenu de remplacement, faire connaître au demandeur d'emploi les motifs de la décision envisagée et l'informer qu'il a la possibilité, dans un délai de dix jours, de présenter ses observations écrites ou, si la mesure envisagée est une suppression du revenu de remplacement, d'être entendu par une commission comprenant cinq membres dont deux représentants de l'instance paritaire constituée auprès de chaque direction régionale de Pôle emploi, qui émet un avis. Il est, par ailleurs, prévu que, lorsqu'il entend contester la décision du préfet, le demandeur d'emploi intéressé doit former un recours gracieux préalable.

Le décret n° 2008-1056 est-il allé à l'encontre du principe des droits de la défense et du droit à un recours effectif ? Le Conseil d'Etat, par son arrêt rapporté, donne une réponse négative :

- ces dispositions, loin de méconnaître les droits de la défense, en organisent l'exercice dans des conditions qui ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation, notamment en ce qu'elles imposent au demandeur d'emploi de présenter des observations dans un délai de dix jours, comme l'imposaient déjà, au demeurant, les dispositions antérieures ;
- ces dispositions ne prévoient l'intervention d'une commission consultative que pour le cas où le préfet envisage de supprimer le revenu de remplacement ;
- si les articles R. 5426-8 et R. 5426-9 ne mentionnent pas la possibilité pour le demandeur d'emploi de se faire assister par une personne de son choix pour présenter ses observations, elles ne l'excluent pas pour autant et ne font donc pas obstacle à l'application des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 (loi n° 2000-321, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations N° Lexbase : L0420AIE) ;
- si le décret n° 2008-1056 prévoit que la commission consultative comporte deux membres de l'instance paritaire régionale de Pôle emploi proposés par celle-ci parmi ses membres titulaires et suppléants, sans préciser si ces membres doivent être des représentants des employeurs ou des représentants des salariés, ni le principe des droits de la défense ni le principe d'impartialité n'imposent, en tout état de cause, que cette commission consultative soit composée de manière paritaire ;
- enfin, le recours administratif préalable obligatoire prévu par le décret n° 2008-1056, qui concerne tant les décisions de réduction que les décisions de suppression du revenu de remplacement, ne fait aucunement obstacle à la possibilité, ouverte même sans texte, d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces décisions.

B - Recours gracieux préalable

  • Règles générales

Le demandeur d'emploi intéressé forme, lorsqu'il entend contester la décision du préfet, un recours gracieux préalable. Ce recours n'est pas suspensif. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur un recours gracieux préalable vaut décision de rejet. La décision prise sur recours gracieux peut faire l'objet d'un recours devant le préfet de région (C. trav., art. R. 5426-11, R. 5426-13 [LXB= L9940H9Z] et R. 5426-14 N° Lexbase : L9937H9W). En conséquence, la décision attaquée est la décision prise sur recours gracieux préalable (6). Les conclusions du demandeur, en tant qu'elles sont dirigées contre la première décision, sont sans objet et par suite, irrecevables : une première décision, par laquelle le DDTEFP a rejeté le recours gracieux présenté par le chômeur, se substitue à une seconde décision, par laquelle le DDTEFP, après avis de la commission départementale a rejeté ce recours gracieux à caractère obligatoire.

Selon le Conseil d'Etat, ce régime du recours préalable n'est pas incompatible avec l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), ni, a fortiori, avec l'article 13 ou l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 (N° Lexbase : L1625AZ9) relatifs au droit des biens (7). En application de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, le décret n° 2001-532 du 20 juin 2001, relatif au régime des décisions implicites prises par les autorités administratives relevant du ministère de l'Emploi et de la Solidarité (N° Lexbase : L1136ATA), a modifié les règles du recours gracieux.

  • Décret n° 2008-1056

Il résulte de l'article R. 5412-8 du Code du travail (N° Lexbase : L6254ICM), dans sa rédaction issue de l'article 9 du décret n° 2008-1056, que la personne qui entend contester une décision de radiation de la liste des demandeurs d'emploi forme un recours préalable devant le directeur général de Pôle emploi ou la personne qu'il désigne en son sein. Ce recours n'est pas suspensif.

En imposant ainsi au demandeur d'emploi un recours administratif préalable et en précisant que ce recours n'est pas suspensif, le pouvoir réglementaire a-t-il méconnu le principe des droits de la défense ou le droit à un recours effectif ? Là encore, selon le Conseil d'Etat (arrêt rapporté), une réponse négative s'impose. D'ailleurs, le demandeur d'emploi peut, s'il justifie avoir exercé ce recours, saisir le juge administratif des référés afin d'obtenir, en cas d'urgence, la suspension de la décision dont il fait l'objet.


(1) Loi n° 2008-758 du 1er août 2008, relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi (N° Lexbase : L7343IA9) et nos obs., Loi n° 2008-758 du 1er août 2008 : redéfinir les droits et les devoirs des demandeurs d'emploi, Lexbase Hebdo n° 316 du 4 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7418BGT). Y. Albarello, Avis Assemblée nationale n° 1055, 16 juillet 2008 ; M.-C. Dalloz, Rapport Assemblée nationale n° 1043, 9 juillet 2008 ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 400, 18 juin 2008 ; P. Concialdi, La chasse aux chômeurs..., Dr. soc., 2008, p. 706 ; M. Vericel, Droits et devoirs des demandeurs d'emploi, RDT, 2009, p. 101 ; nos obs., Fusion ANPE-Unedic et nouveaux droits et devoirs du demandeur d'emploi-Deux lois pour une même logique, JCP éd. A, 2008, n° 40, p.
(2) Loi n° 2008-126 du 13 février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi (N° Lexbase : L8051H3L) et nos obs., Présentation de la loi du 13 février 2008, relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 294 du 28 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2376BEQ). Y. Albarello, Avis Assemblée nationale, n° 599, 15 janvier 2008 ; J.-M. Boulanger, Contribution à la préparation de la convention tripartite entre l'Etat, l'Unedic et la nouvelle institution créée par la loi du 13 février 2008, Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, 69 p., avril 2008 ; S. Dassault, Fusion ANPE-Unedic : quel calendrier et quel coût pour la réforme du service public de l'emploi ?, Rapport d'information, Sénat, n° 409, 19 juin 2008 ; C. Procaccia, Rapport Sénat n° 154 (2007-2008), 8 janvier 2008 ; Y. Rousseau, Sur la fusion de l'ANPE et des Assedic, Dr. soc., 2008, p. 151 ; D. Tian, Rapport Assemblée nationale, n° 600, 15 janvier 2008 ; D. Tian et C. Procaccia, Rapport Assemblée nationale n° 661, 30 janvier 2008 et Sénat, Rapport n° 183, 30 janvier 2008 ; O. Troche (rapporteur), Rapport du groupe de travail DGEFP/Unedic/ANPE/CGEFI relatif à la préparation de la fusion de l'ANPE et du réseau de l'assurance chômage, IGAS, rapport RM 2008-019 P, février 2008 ; M. Véricel, La loi du 13 février 2008 et la nouvelle réforme de l'organisation du service de l'emploi, Dr. soc., 2008, p. 406 ; D. Tian, Rapport Assemblée nationale, 6 mai 2009, n° 1651, 6 mai 2009.
(3) Convention OIT du 25 septembre 1926, relative à l'esclavage, art. 2 ; S. Glaser, Droit international pénal conventionnel, Bruylant, 1970, p. 403-413 ; Convention OIT n° 29 du 28 juin 1930, concernant le travail forcé ou obligatoire ; Convention OIT n° 105 du 25 juin 1957, sur l'abolition du travail forcé ; Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage du 7 septembre 1956, art. 5 ; Déclaration universelle des droits de l'Homme des Nations Unies, 10 décembre 1948, art. 4 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, art. 8, ratifié par la France ; loi n° 80-460 du 25 juin 1980, D., 1980, législ. p. 235.
(4) E. Decaux et P. H. Imbert, op. cit., p. 181-182.
(5) E. Decaux et P. H. Imbert, op. cit., p. 183.
(6) CE, 28 mars 1997, n° 161226, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle (N° Lexbase : A8969ADK), D., 1998, somm. p. 24, obs. J.-M. Labouz.
(7) CE, 26 février 2003, n° 237297, M. Davèze (N° Lexbase : A3438A7H), RJS, 2003, n° 1050 ; TPS, 2003, comm. 198, obs. X. Prétot.


Décision

CE 1° et 6° s-s-r., 9 avril 2010, n° 323246, Confédération générale du travail-FO (N° Lexbase : A5684EU3)

Textes concernés : C. trav., art. L. 5411-6-3 (N° Lexbase : L2210IBH), R. 5411-15 (N° Lexbase : L6238IBN), L. 5411-6-1 (N° Lexbase : L2116IBY), R. 5411-16 (N° Lexbase : L6237IBM), L. 5412-1 (N° Lexbase : L2093IB7), L. 5426-2 (N° Lexbase : L2145IB3) et L. 5426-4 , R. 5426-8 (N° Lexbase : L6158IC3), R. 5426-9 (N° Lexbase : L6302ICE) et R. 5426-11 (N° Lexbase : L6093ICN) ; CESDH ; Conventions OIT n° 29, 105, 122 et 168

Mots-clés : décret n° 2008-1056 du 13 octobre 2008 ; demandeur d'emploi ; offre raisonnable d'emploi ; compatibilité ; salaire antérieurement perçu ; calcul ; décret n° 2008-1056 ; compétence du pouvoir réglementaire (oui) ; projet personnalisé d'accès à l'emploi ; élaboration et actualisation ; régime juridique ; compétence du pouvoir réglementaire (oui) ; refus d'une offre raisonnable d'emploi ; liberté du travail ; atteinte ; travail forcé (non) ; droits de la défense et droit à un recours effectif ; décret n° 2008-1056 ; atteinte (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1500ATQ)

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Mai 2010

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, on retiendra, en matière d'assurance vie deux arrêts revenant sur le rôle du tuteur dans la gestion des contrats d'assurance vie du bénéficiaire de la tutelle. A noter également un arrêt du 14 avril 2010 qui énonce que l'accès aux tribunaux français par un apériteur d'une coassurance de droit étranger est soumis au respect de la règle "Nul ne plaide par Procureur" imposé par la lex fori. Enfin, on relèvera une décision rendue le 14 avril également qui revient sur l'interprétation judiciaire de la clause dite "d'activité déclarée".
  • L'absence de responsabilité de l'Etat en cas d'erreur commise par le tuteur gérant des contrats d'assurances vie (Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 09-11.271, F-P+B N° Lexbase : A8168ETP)

Précédemment, une chronique nous avait fourni l'opportunité d'insister sur le rôle majeur des nouvelles formes d'assurances vie et plus précisément des assurances en cas de vie ou assurances mixtes, y compris lorsque l'assuré a acquis un certain âge. On ne cesse de le constater ces derniers temps : ces assurances ont évolué dans deux directions. La première est connue depuis plusieurs années et même plusieurs décennies : elle s'entend de la prééminence désormais de la fonction d'épargne par rapport à celle de prévoyance. La seconde apparaît davantage ces tous derniers mois, du moins en apparence : loin de constituer une technique de prévoyance à l'égard des proches de l'assuré, elles le sont devenues avant tout pour lui-même. Au lieu de contraindre la famille d'un assuré âgé à régler des sommes importantes pour lui permettre de vivre ses derniers jours au sein d'une agréable maison de retraite -à supposer qu'un tel concept ait toujours une réalité tangible-, nombres d'assurances vie constituent le moyen pour l'assuré d'épargner pour s'offrir lui-même ce mode de vie.

Cela dit, la fonction de prévoyance écartée un temps est ainsi réinstituée : c'est une double façon de préserver ses proches, en se sacrifiant, d'abord sur le plan financier, ensuite en leur évitant ainsi de devoir vous accueillir à leur domicile, quand bien même la vie inter-générationnelle a-t-elle été longtemps la règle dans notre société dite ancienne et pourtant aussi source de joies et d'apprentissages infinis pour les plus jeunes. Quoiqu'il en soit, là n'est pas le sujet, de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 17 mars 2010. En l'espèce, c'est dans cette perspective qu'un homme s'était inscrit en souscrivant plusieurs contrats d'assurance vie dans lesquels il avait désigné, en dernier lieu, ses deux nièces, en qualité de tiers bénéficiaires. Le problème n'est pas réellement né de son placement sous tutelle et de la désignation d'un gérant, car il n'y a là rien que de très banal de nos jours où la population vieillit.

La difficulté principale tient de l'acte réalisé par ce tuteur, de toute évidence sans perfidie aucune ni mauvaise intention de sa part, loin s'en faut. Le point de départ relève même d'une bonne gestion et de bonnes intentions. En effet, pour subvenir aux besoins de l'assuré, majeur protégé, résidant dans une maison de retraite au coût que l'on sait ne pas être dérisoire, le tuteur décide, deux mois après avoir été désigné, de procéder au rachat des contrats d'assurance comme le Code des assurances lui en donne la possibilité. Simplement au lieu d'un rachat partiel, il décide de procéder à un rachat total. Or, chacun se souvient qu'une telle opération met fin, de manière définitive, à cette convention.

Avec l'autorisation du juge des tutelles, rendue par ordonnance -et la remarque est fondamentale- le tuteur rachète donc l'intégralité des sommes figurant dans les contrats d'assurance -et même une bonne part des sommes figurant à l'actif du contrat aurait suffi- pour les placer sur un autre produit financier, lequel comporte aussi une clause bénéficiaire. Et il désigne les héritiers de l'assuré en cette qualité. Lorsque près de cinq ans plus tard, au décès de l'assuré, ses nièces découvrent la modification réalisée, elles décident certes d'assigner en responsabilité le tuteur, mais également l'assureur et l'agent judiciaire du Trésor, c'est-à-dire l'Etat, pour fonctionnement insatisfaisant de la tutelle. Le tribunal de grande instance refuse de faire droit à une telle prétention.

Or, contre toute attente, la cour d'appel n'est pas insensible à l'argument. Sur le fondement de l'article 473, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L3717C33), qu'elle considère transposable à la tutelle des majeurs, elle justifie sa décision par le fait que le législateur aurait voulu instaurer un régime de responsabilité spécifique autorisant la victime à demander réparation à l'Etat en cas de faute commise dans le fonctionnement de la tutelle. Cependant, la Cour de cassation, elle, ne suit pas un tel raisonnement, encore qu'elle ne le condamne pas en tant que tel. Simplement, elle rappelle qu'une telle action est réservée à des titulaires précis que sont le majeur protégé lui-même, ses représentants légaux ou les ayants droit de ce dernier. Le texte est restrictif. Ne sont pas visés les héritiers et donc les nièces de l'assuré. Elle casse en conséquence l'arrêt d'appel.

L'arrêt est rendu sous l'empire de l'ancienne législation, celle du 15 juin 1965, selon laquelle "l'Etat est seul responsable à l'égard du pupille, sauf son recours s'il y a lieu, du dommage résultant d'une faute quelconque qui aurait été commise dans le fonctionnement de la tutelle, soit par le juge des tutelles ou son greffier, soit par l'administrateur public chargé d'une tutelle vacante en vertu de l'article 433 (N° Lexbase : L3761C3P)". La loi n° 95-125 du 8 février 1995 (N° Lexbase : L1139ATD, article 12), avait ajouté à ces deux personnes, le greffier du tribunal de grande instance pour tenir compte des réformes survenues entre temps et des pouvoirs dévolus, dans ce domaine, à ce dernier. Peu importe dans le cas présent. Et les changements intervenus lors de l'élaboration de la loi n° 2007-308 du 7 mars 2007 (N° Lexbase : L6046HUH) ne sont pas plus déterminants pour notre espèce.

En effet, selon celle-ci "tous les organes de la tutelle sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction. Lorsque la faute à l'origine du dommage a été commise dans l'organisation et le fonctionnement de la tutelle par le juge des tutelles, le greffier en chef du tribunal de grande instance ou le greffier, l'action en responsabilité est dirigée contre l'Etat qui dispose d'une action récursoire". L'article 13 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 (N° Lexbase : L1612IEG) a repris ce texte mot à mot. Il est devenu l'article 412 du Code civil (N° Lexbase : L1715IEA). Quoiqu'il en soit, les personnes disposant du droit d'agir, en vertu de ce nouveau texte, n'ont pas vocation à être modifiées. Aucun ajout ne justifierait un changement, encore moins une réduction des titulaires d'une telle action qui sont déjà en nombre réduits, pour ne pas dire inexistant. Car lorsque le majeur protégé ne peut agir lui-même, ne reste que son représentant légal : la liste n'en est pas une.

Demeure l'essentiel de la décision : le refus d'agir aux nièces de l'assuré, sous prétexte qu'elles n'ont pas de droit à agir. Et l'on s'imprègnera avec utilité de la définition fournie par le dictionnaire juridique Cornu (1), selon lequel, sous cette expression, figure la définition suivante : titulaire d'un droit ; personne ayant par elle-même ou par son auteur vocation à exercer un droit (ayant droit à réparation ou à restitution). Et la définition de comprendre des exemples : victime, bénéficiaire, ...

La solution du législateur apparaît alors sévère en ce qu'il n'offre pas les mêmes possibilités aux ayants droit du majeur protégé qu'à ceux de son représentant légal. Sans doute, ces derniers ont-ils été prévus pour défendre les intérêts de leur auteur, lorsque ceux-ci sont atteints. Pour autant, une nécessité plus aigüe encore pourrait se faire sentir pour les ayants droit du majeur protégé.

Ce n'est donc pas tant la solution de la Cour de cassation qui appelle des réserves, mais la restriction légale qui surprend de prime abord. Sans doute le législateur a-t-il voulu limiter les contestations contre l'Etat. Puisque la plupart des erreurs ou fautes de gestion seront découvertes après le décès du majeur protégé, l'action ne risque donc pas de provenir de ce côté là. Et permettre au tuteur ou curateur et à leurs ayants droit d'agir n'est pas une prise de risque bien élevée. On peut le déplorer, eu égard à l'importance des décisions prises par les magistrats fut-ils -nul n'en doute et n'entend laisser planer le moindre doute- aguerris et avertis des nouvelles formes de prévoyance. Il demeure que le nombre de dossiers qu'ils doivent gérer et surtout qu'ils devront assumer à l'avenir ne permet pas de garantir une infaillibilité absolue.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Actes du tuteur effectués sans solliciter un mandataire ad hoc en assurances vie : pas de nullité de droit (Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 08-15.658, FS-P+B N° Lexbase : A8038ETU)

Le présent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 mars 2010 n'est pas sans rappeler une autre affaire, qui n'est pas si ancienne, sans toutefois que cette dernière ait laissé, à l'époque, entrevoir l'actuelle solution (2). Une fois encore donc -puisque la première chambre civile de la Cour de cassation semble, depuis ces dernières années, vouloir éclaircir le régime des incapables ayant souscrit des contrats d'assurance vie, ce dont nul ne saurait se plaindre- les pouvoirs et l'autonomie des majeurs protégés sont au coeur d'une nouvelle interrogation juridique légitime relative aux conséquences déterminantes pour cette personne protégée elle-même, comme pour son représentant légal et même l'ensemble de son entourage familial ou relationnel.

Dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 mars 2007, notre Haute juridiction avait admis que le tuteur, représentant légal de l'assuré devenu majeur protégé après avoir souscrit un contrat d'assurance vie, pouvait modifier la clause bénéficiaire insérée dans celui-ci (Cass. civ. 2, 15 mars 2007, n° 05-21.830, FS-P+B N° Lexbase : A6911DUI). Pourtant, deux ans plus tard, cette même chambre apportait plus qu'un bémol : une modification majeure à sa propre jurisprudence. Rappelons, en quelques mots l'affaire ayant donné lieu à un arrêt du 8 juillet 2009 (3) : une femme avait été placée sous régime de protection des majeurs avec désignation de l'une de ses filles comme curatrice. Or, quelques jours après, cette dernière avait modifié, à son profit, la clause bénéficiaire des contrats d'assurance vie que sa mère avait souscrits plus de dix ans auparavant.

Lors du décès de la majeure sous curatelle, ses autres héritiers avaient assigné la fille curatrice en exigeant tant le rapport à succession des sommes versées sur les contrats d'assurance vie que des dommages-intérêts. La Cour de cassation, censurant l'analyse de la cour d'appel, et se fondant à la fois sur les articles 510 (N° Lexbase : L8508HWZ) et 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), avait jugé que, si la modification du bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie par un majeur en curatelle nécessite l'assistance du curateur, "la substitution du bénéficiaire au profit du curateur ne peut être faite qu'avec l'assistance d'un curateur ad hoc". Par conséquent, cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 17 mars 2010, ne constitue qu'une réitération de cette solution, lorsqu'il indique que "les actes de dispositions faits par le majeur en curatelle, seul, sans l'assistance d'un curateur ad hoc, sont susceptibles d'annulation sur le fondement de l'article 510-1 du Code civil (N° Lexbase : L3084ABT)". Par conséquent, a priori, cet arrêt n'est pas source d'étonnement.

Ce qui est plus intéressant, c'est ce que la Cour de cassation ajoute aussi : "que ce texte n'édicte pas une nullité de droit et laisse au juge la faculté d'apprécier s'il doit ou non prononcer la nullité eu égard aux circonstances de la cause". Notre Haute juridiction rappelle donc qu'elle effectue un simple contrôle, tout en laissant un large pouvoir d'appréciation aux juges du fond. Et en l'espèce, elle approuve ceux-ci d'avoir considéré que "M. Z. avait entendu manifester sa reconnaissance à son curateur pour son amitié de longue date et les soins dévoués dont celui-ci l'avait entouré, notamment dans ses dernières années", ajoutant que celui-ci avait "une volonté lucide". A priori, en ce domaine comme dans d'autres, il n'est pas choquant que les premiers juges, au plus près des faits et de la réalité pratique, puissent disposer d'une palette de solutions selon les circonstances.

C'est que l'enjeu, dans le cas présent, n'était pas mineur : deux millions de francs, tout de même. En l'espèce, un homme de 87 ans, M. Z., avait souscrit un contrat d'assurance vie comportant une clause bénéficiaire dans laquelle il avait désigné sa nièce, veuve, et donc sans doute plus tout à fait trentenaire ou quarantenaire. Quelques mois après, il avait été mis sous curatelle renforcée par le juge des tutelles, lequel avait désigné, en qualité de curateur, un ami et ancien collègue de travail du majeur protégé, M. A.. Plus de deux années plus tard, le majeur protégé souscrit, seul, un second contrat d'assurance vie, d'un montant de plus d'un million et demi de francs et désigne son curateur comme tiers bénéficiaire. Et, cerise sur le gâteau, quelques jours après, il modifie la clause bénéficiaire du premier contrat et y substitue son ami et ancien collègue. Lors de son décès, sa nièce a agi en nullité du second contrat d'assurance, du paiement de la prime et du changement de bénéficiaire sur le premier contrat. Subsidiairement, notons même si l'intérêt principal de l'arrêt n'est pas là, qu'une demande de requalification des actes en donations indirectes avait été formulée.

Ce qui fera sans doute mieux accepter la décision de cet arrêt, c'est la précision, glissée par la Cour de cassation dans le second moyen du pourvoi, de manière incidente, et pouvant presque passer inaperçue, que le majeur protégé, au jour de la désignation d'un curateur, "était en pleine possession de ses moyens", entendez sur le plan intellectuel. C'est sans doute pour des raisons physiques, une difficulté à se mouvoir et, a fortiori, à se déplacer, que la curatelle avait été décidée. Et, d'ailleurs, ce n'était qu'une curatelle, et non justement une tutelle...

Pour toutes ces raisons, qu'il nous soit pardonné par avance de fournir une appréciation proche d'un jugement à la Salomon ou de bon normand. Car, en effet, si l'arrêt peut se comprendre, il suscite aussi quelques réticences. D'un certain point de vue, il est heureux que le statut de curateur ne prive pas de manière définitive et irrévocable toute personne ayant accepté cette mission. Car, en pratique, il est indéniable que bon nombre de curateurs sont des membres de la famille du majeur protégé ou des proches amis qui font preuve de dévouement voire d'esprit de sacerdoce en assumant une telle charge. A une époque où le nombre de majeurs sous tutelle ou curatelle est en augmentation et ne devrait cesser de l'être, bien au contraire, il convient de ne pas décourager les bonnes âmes, pleines de bonnes intentions. Or, si la qualité de tuteur ou curateur avait pour effet d'interdire à ce dernier d'espérer être gratifié, gageons que les volontaires seraient moins nombreux, pour ne pas dire inexistants. La nature humaine est ainsi faite qu'elle attend souvent une contrepartie à des actes ne relevant pourtant pas de contrats. A défaut de poursuivre un dessein empreint d'une cupidité certaine, la désignation bénéficiaire est considérée comme une forme de témoignage d'une reconnaissance escomptée par celle ou celui qui s'est dévoué.

Pour autant, le manque de personnel -ou de moyens à mettre à disposition de bénévoles notamment dans les structures associatives administrant ces majeurs incapables- ne doit pas donner lieu à un relâchement dans l'attention à porter par les magistrats à ces situations concrètes aux enjeux financiers, psychologiques et moraux plus cruciaux qu'il n'y paraît sur le papier, et ce même si le législateur a prévu, à l'article 14-II de la loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-308, portant réforme de la protection juridique des majeurs N° Lexbase : L6046HUH), une formation obligatoire -réalisée souvent au sein même des facultés de droit délivrant un diplôme d'université- pour les "mandataires judiciaires à la protection des majeurs et délégués aux prestations familiales". Car il n'est pas sain que des individus, peu scrupuleux, disposent de la possibilité de se faufiler dans une brèche entrouverte par la Cour de cassation elle-même. Certes, tout un chacun n'aura pas connaissance de la jurisprudence "Zielman" lui offrant, sur un plateau d'argent, un tel avantage...encore qu'en ce domaine, certaines informations circulent plus vite que d'autres.

Et c'est une formation quasi permanente qu'il conviendrait d'organiser. L'état mouvant du droit, notamment en assurances vie dont l'importance patrimoniale n'est plus à démontrer, justifierait pleinement une mise à niveau régulière, pour ces mandataires judiciaires dont l'article L. 471-4 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L9145HWM) prévoit notamment qu'ils doivent satisfaire à des conditions de moralité. Encore cette formation aura-t-elle eu lieu pour ces professionnels, ce qui n'est pas le cas de certains tuteurs et curateurs désignés parmi les proches de la personne protégée. Au-delà de cette remarque, il ne serait pas non plus raisonnable de laisser penser qu'il n'est pas fait confiance à ces mêmes tuteurs et curateurs. Pourtant, ils sont désormais investis d'un rôle plutôt plus vaste, étant donné la complexité du droit et les nouveaux moyens d'épargne aux règles disparates, qu'il y a encore une trentaine d'années, sauf exceptions.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • L'accès aux tribunaux français par un apériteur d'une coassurance de droit étranger soumis au respect de la règle "Nul ne plaide par Procureur" imposé par la lex fori (Cass. civ. 1, 14 avril 2010, n° 08-70.229, FS-P+B+I N° Lexbase : A9198EU9)

Cet arrêt, qui porte sur les règles de droit international privé applicables au contrat d'assurance, autorise une réflexion, par prolongement, sur le fonctionnement, en droit français, de la coassurance.

L'apport de l'arrêt au droit international privé consiste à rappeler au représentant d'une coassurance de droit étranger, en l'espèce un "assekuradeur" de droit allemand agissant devant les tribunaux français, qu'il doit respecter les règles procédurales françaises, singulièrement la règle selon laquelle "Nul ne plaide par Procureur" et l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). En conséquence, il lui est demandé de justifier d'un mandat spécial pour agir, au nom de tous les coassureurs, contre une société française pour obtenir, par recours subrogatoire, le remboursement d'une somme versée par la coassurance à leur assurée victime.

Le mandat général que reconnaît le droit allemand à cet "assekuradeur" n'y suffit donc pas. Le respect de la règle française selon laquelle "Nul ne plaide par Procureur", applicable en raison de la compétence de la lex fori sur tous les aspects procéduraux d'un contentieux international (ici d'assurance) conduit devant les tribunaux français, impose la production par le demandeur étranger d'un mandat spécial.

Les spécialistes ne seront pas surpris de ce que la lex fori s'impose en tant que loi de procédure, car c'est là une solution traditionnelle.

On notera toutefois que, s'agissant d'une action subrogatoire, le demandeur au pourvoi avait tenté, en vain, de convaincre que l'intérêt à agir de la partie qui se prévaut de la subrogation devait s'apprécier au regard de la loi de l'institution (ici loi allemande) plutôt que de la loi du for.

On sait que les problèmes de conflit de lois relèvent souvent de ce qu'il convient de combiner harmonieusement les lois applicables par conjugaison de règles de conflit de lois.

C'est bien ainsi que procède ici la Cour de cassation quand elle écrit:

"Mais attendu que faisant application du droit allemand régissant le contrat d'assurance en cause pour déterminer la qualité à agir de la société Gustav F. Hübener GmbH, l'arrêt relève d'abord, que cette société est une 'agence' intervenant 'au nom des coassureurs', qu'en la qualité d''assekuradeur' dont elle se prévaut, elle n'est pas l'assureur couvrant le risque, mais titulaire d'un mandat général pour agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandantes ; qu'il constate, ensuite, que la société Gustav F. Hübener GmbH indique agir en France en son nom et pour le compte de l'ensemble des coassureurs en produisant aux débats des pouvoirs rédigés en termes généraux ; que la cour d'appel en a justement déduit que ces mandats généraux ne satisfont pas aux principes régissant l'action en justice devant les juridictions françaises, lesquels s'appliquent à toutes instances introduites en France, quelle que soit la loi gouvernant le fond du litige ou la loi en vertu de laquelle le demandeur indique agir pour le compte d'autrui, de sorte que la cour d'appel a décidé, à bon droit, que, faute de justifier d'un mandat spécial de chacun de ses mandants, la société Gustav F. Hübener GmbH était irrecevable à agir en France contre la société Tnt express en application de l'article 31 du Code de procédure civile".

L'attendu est pédagogique, qui déploie un raisonnement en deux temps :

- d'une part, une prise en considération de la loi étrangère ;

- d'autre part, le maintien des exigences procédurales de notre lex fori.

Au chapitre de la première étape du raisonnement, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir d'abord examiné la qualité à agir de la demanderesse à l'aune de la loi applicable au fond (ici loi allemande).

La cour d'appel a ainsi fait application du droit allemand et, s'agissant d'un contrat (d'assurance), a, logiquement, exploité les stipulations du contrat de coassurance litigieux soumis au droit allemand.

La lecture du pourvoi annexé, qui rapporte plus amplement les motifs de l'arrêt entrepris, montre que, s'appuyant sur la police d'assurance litigieuse, les juges du fond ont relevé que si la demanderesse y est "désignée en tant que compagnie d'assurance, [...] il s'infère des contrats intitulés 'Agenturvertrag' conclus avec chacun des coassureurs de la police susvisée que la société Gustav F. Hübener GmbH est une 'agence' au sens du droit allemand, qui intervient en tant qu'entreprise indépendante, conforme au code de commerce allemand, et qui est autorisée, 'au nom de ces coassureurs', à souscrire des contrats d'assurance, à encaisser à ce titre des primes d'assurance, à traiter des sinistres et à procéder aux recours ; que la société Gustav F. Hübener GmbH se prévaut de ces divers éléments pour conclure qu'elle a la qualité de 'Assekuradeur', lequel, en droit allemand, a mandat pour exercer en son nom propre et pour le compte des assureurs couvrant financièrement le risque, les risques judiciaires à l'encontre du tiers responsable ; qu'à cet égard, en droit allemand, l'Assekuradeur qui n'est pas l'assureur couvrant le risque (lequel est financièrement supporté par la compagnie d'assurances ) exerce néanmoins toutes les autres activités liées au contrat d'assurance, en ce compris l'exercice et l'encaissement des recours ; qu'au demeurant, la société Gustav F. Hübener GmbH justifie être titulaire de la part de chacun des coassureurs d'un mandat général l'autorisant à agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandataires".

En jurisprudence, cette technique de la "prise en considération de la loi étrangère" avait été utilisée d'une façon remarquée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 mars 2005 (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 11 mars 2005, n° 03/16917 N° Lexbase : A7688DH9), dans une espèce dont le problème était voisin de celui de notre arrêt du 14 avril 2010, à ceci près qu'il s'agissait alors d'examiner si un trustee de droit anglais (et non un représentant d'une coassurance de droit allemand) a qualité à agir par lui-même devant les tribunaux français ou et s'il devait, pour ne pas se heurter à la règle selon laquelle "nul ne plaide par Procureur", justifier d'un mandant spécial de la part de son constituant.

La cour d'appel de Paris avait alors jugé "que la règle nul en France ne plaide par Procureur prohibe la présence au procès d'une personne physique ou morale agissant pour défendre, non ses droits, mais ceux d'une autre personne, dont elle refuserait de révéler l'identité, privant ainsi son contradicteur de la possibilité de contester en toute connaissance de cause les droits de cette véritable partie, absente du procès". Après analyse des droits du trustee selon le droit anglais, les magistrats en avaient déduit que "même si ces biens ne font pas partie du patrimoine personnel du trustee, ce dernier, lorsqu'il agit en justice, comme le droit anglais lui en reconnaît la possibilité, le fait, non en qualité de représentant des bénéficiaires, mais en vertu de la propriété juridique dont il est lui-même titulaire ; que dès lors, la situation juridique du trustee, analysée en considération du droit anglais, commande de le qualifier, au regard du droit processuel français, de véritable partie et non de représentant des bénéficiaires ; qu'il s'en suit que le trustee est recevable à agir devant les juridictions françaises en son seul nom, sans avoir à révéler le nom des bénéficiaires et que c'est à tort que l'appelante entend lui opposer la règle nul en France ne plaide par Procureur".

C'est ici que la figure de l'"assekuradeur" de droit allemand et l'institution anglo-saxonne du trustee se séparent : le premier n'agit pas en son nom mais bien au nom et pour le compte des coassureurs qu'il représente, là où le second jouit d'un droit, donc d'une action, propre.

C'est au terme de cette analyse de la loi au fond que les juges doivent, dans une deuxième étape du raisonnement, vérifier si la qualité du demandeur, identifiée dans le respect des spécificités du droit substantiel étranger, répond aux exigences procédurales de notre droit du for.

A ce stade, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir relevé que si la fonction d'"assekuradeur" investit ce dernier "d'un mandat général pour agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandantes", dès lors que celui-ci ne produit, dans l'instance engagée en France, qu'un mandat général, il ne satisfait pas "aux principes régissant l'action en justice devant les juridictions françaises, lesquels s'appliquent à toutes instances introduites en France, quelle que soit la loi gouvernant le fond du litige ou la loi en vertu de laquelle le demandeur indique agir pour le compte d'autrui", laquelle exige production d'un mandat spécial émanant de chacun des coassureurs représentés.

On notera que cette décision est conforme à la jurisprudence antérieure soucieuse de faire respecter, en droit international privé, ce principe selon lequel "Nul ne plaide par Procureur" en imposant les exigences de notre loi du for.

C'est ainsi qu'un arrêt de la première chambre civile du 9 mai 1996 (4) a appliqué cette règle, en retenant, à propos de l'action intentée par une société d'assurance marocaine couvrant une société marocaine contre une société française, devant nos tribunaux, en retenant que : "si, aux termes des stipulations de l'article 14 du contrat d'assurance souscrit [l'assureur] pouvait exercer les droits de son assurée 'à sa place et en son nom', [...] ce mandat conventionnel ne lui donnait pas qualité pour agir en son nom personnel et, donc, sans indication du nom de son mandant".

De manière encore plus claire, dans une espèce voisine du cas examiné dans l'arrêt du 14 avril 2010, la Cour de cassation a, en 1997 (5), jugé que :

"l'agent général d'assurances, qui n'a payé l'indemnité due à l'assuré qu'au nom et pour le compte de la compagnie qui l'a nommé, ne peut se prétendre personnellement subrogé dans les droits de l'assuré et n'a, en conséquence, qualité pour exercer l'action récursoire en responsabilité au nom de la compagnie subrogée que s'il en a reçu le mandat spécial ;

Attendu que, pour déclarer recevable l'action récursoire en réparation du dommage subi par M. X... exercée par la société Boistel, l'arrêt retient que celle-ci était l'agent des compagnies d'assurance, qu'elle était donc mandatée par elles 'afin de gérer les sinistres et de les indemniser', qu'elle a versé à M. X l'indemnité prévue pour la perte totale de son navire et 'qu'en sa qualité de mandataire, elle a engagé sa compagnie' ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs d'ordre général, sans rechercher, au vu de son traité de nomination ou d'actes postérieurs, si la société Boistel avait reçu des assureurs subrogés, qui avaient seuls qualité pour exercer l'action récursoire en responsabilité, le pouvoir de les représenter en justice dans l'exercice même de celle-ci, lequel pouvoir n'était pas impliqué par la simple mission de gérer et indemniser le sinistre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision "

L'assekuradeur n'est-il, toutefois, qu'un simple "agent d'assurance" agissant pour le compte de coassureurs ? N'y a-t-il pas dénaturation de l'institution étrangère à le reléguer à un tel rang?

On notera, en outre, qu'il n'est pas sûr que la jurisprudence antérieure rendue à propos d'un litige international concernant un contrat de coassurance ait toujours été respectueuse de cette nécessité de justifier d'un mandat spécial.

La cour d'appel de Versailles, dans un arrêt en date du 13 février 2003 (n° 2000-5199), avait eu à statuer sur le cas d'un contrat d'assurance souscrit par "la Société de droit allemand Volkswagen AG [...] auprès de la compagnie d'assurances de droit allemand F., [...] conclu sous le régime de la c-assurance, F., apéritrice, étant désignée chef de file avec une quote-part de 20 %, le reliquat de 80 % constituant les participations des autres compagnies d'assurances de la Société VAG".

Pour rejeter la prétendue atteinte à la règle "Nul ne plaide par Procureur", la cour d'appel avait alors relevé que : "Considérant qu'en effet, il résulte de l'article 22.4.1. du contrat de co-assurance que : 'l'apériteur est habilité à assigner de manière valable pour les co-assureurs' ; considérant que, dès lors qu'en vertu de cette clause, l'apériteur avait reçu mandat de représenter la coassurance en justice, l'assignation délivrée début juillet 1995 à l'initiative de la seule Société F., en sa qualité d'apéritrice, a eu pour effet d'interrompre la prescription biennale en faveur de l'ensemble de ses coassureurs".

Bien que l'arrêt ne précise pas la loi applicable à ce contrat souscrit par le groupe automobile allemand auprès d'une coassurance dirigée par un assureur allemand, cette désignation était hautement vraisemblable.

C'est donc par la seule analyse du contrat que les juges en ont déduit la conformité de ce contrat étranger aux exigences françaises en termes de capacité à agir de l'apériteur allemand, dûment autorisé à agir en justice au nom et pour le compte de la coassurance.

Mais l'arrêt de la cour d'appel de Versailles ne se livrait pas comme la décision étudiée du 14 avril 2010 à un distinguo entre mandat d'agir devant les juridictions allemandes et mandat d'agir devant les juridictions françaises...

Les juges versaillais semblent ici avoir privilégié une analyse pratiquée en droit interne, visant à cerner le mandat d'apérition, dans une perspective plus large visant à vérifier si les coassureurs sont engagés avec ou sans solidarité.

Souvent les coassureurs s'engagent sans solidarité. Le contraire pourrait naturellement être stipulé. Le droit belge, de son côté, précise en son article 27 de la loi du 25 juin 1992, que "sauf convention contraire, la coassurance n'implique pas la solidarité" et détaille, en son article 28, les règles de fonctionnement de la coassurance. Cet article dispose que l'apériteur, devant être désigné dans le contrat, "est réputé mandataire des autres assureurs pour recevoir les déclarations prévues par le contrat et faire les diligences requises en vue du règlement des sinistres, en ce compris la détermination du montant de l'indemnité" (art. 28, al. 1er). "En conséquence, l'assuré peut lui adresser toutes les significations et notifications sauf celles relatives à une action en justice contre les autres coassureurs" (art. 28, al. 2).

En son dernier état, la jurisprudence de la Cour de cassation semble s'être fixée autour de la nécessité de respecter une interprétation des termes du contrat de coassurance, avant d'en dégager une éventuelle solidarité, passive ou active. Une cour d'appel a ainsi été censurée pour n'avoir pas caractérisé, "sur le fondement des énonciations de la police, [...] l'existence d'un mandat en vertu duquel [l'apériteur] aurait été investi du pouvoir de représenter les autres assureurs tant activement que passivement" (6). En conséquence, à défaut de solidarité, l'action de l'assuré contre l'apériteur n'interrompt pas la prescription biennale à l'égard des autres coassureurs (7).

On notera que la Cour de cassation sait également, au besoin, user de la théorie du mandat apparent pour considérer l'action contre les autres coassureurs recevable bien que l'assuré n'ait assigné que la société apéritrice et alors que celle-ci ne disposait pas d'un mandat de représentation en justice des autres compagnies (8).

La formule retenue par la première chambre civile selon laquelle, s'agissant d'une police collective à quittance unique, "il en résultait qu'en principe la société apéritrice était investie d'un mandat général de représentation de ses coassureurs" (9), demeure exacte, mais les juges du fond ne doivent pas dénaturer les termes du mandat et en déterminer l'étendue par une analyse circonstanciée avant d'en tirer les conséquences juridiques, qu'il s'agisse de la solidarité ou de la représentation en justice.

En dernier lieu, en 2009, la Cour de cassation a jugé que : "la société apéritrice est présumée être investie d'un mandat général de représentation dès lors qu'aucun des coassureurs ne le conteste ; [...] Que de ces circonstances tirées de l'exécution du contrat d'assurance, la cour d'appel a pu déduire que les assureurs, représentés par la société apéritrice, ont confié un mandat de gestion à la société Chegaray Paris, laquelle a payé, dans les limites du contrat, et que ce paiement peut être retenu comme constituant preuve suffisante, qui peut être rapportée par tous moyens en matière commerciale, de l'accord convenu entre coassureurs, du mandat donné à l'apériteur de les représenter activement et passivement dans toutes les obligations résultant de ces contrats, notamment dans celles de régler les sinistres et de représenter la coassurance dans tous les litiges, soit en demande, soit en défense" (10).

Le mandat d'apérition, incluant le mandat d'agir ou de défendre en justice, peut donc résulter des "circonstances de l'exécution du contrat d'assurance", spécialement de ce que le mandataire a réglé un sinistre et agit, par suite, pour récupérer auprès du responsable les sommes versées à l'assuré. Mais n'est-ce pas exactement la situation de l'assekuradeur allemand qui avait, au nom de des coassureurs, réglé son assuré et assigné le responsable prétendu en se prévalant d'une subrogation dans les droits de l'assuré ?

Le rapprochement confine au hiatus et conduit à faire un choix. A tout prendre, nous préférons l'exigence, même sévère, relayée par la décision rapportée du 14 avril 2010, au "flou" qui entoure ce précédent de 2009.

Le principe selon lequel "nul ne plaide par Procureur" n'est pas qu'un "bâton [dressé] dans les roues" d'un apériteur, singulièrement étranger. C'est une règle prudente exigeant que ce mandataire justifie du pouvoir spécial dont il est investi. L'accès aux tribunaux français par un assureur étranger ne peut se faire sans précaution.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • De l'interprétation judiciaire d'une clause essentielle des contrats d'assurance de responsabilité civile professionnelle : la clause dite "d'activité déclarée" (Cass. civ. 3, 14 avril 2010, n° 09-11.975, FS-P+B N° Lexbase : A0597EWZ)

Cet arrêt, rendu en matière d'assurance "RC" décennale, vaut, plus largement, pour toute assurance de responsabilité couvrant un risque professionnel. Il porte sur l'interprétation, par le juge, de la clause dite "d'activité déclarée", laquelle figure généralement aux conditions particulières des contrats concernés.

Son objet est simple : déterminer le périmètre au sein duquel la garantie va se déployer. Et l'on comprend que de la clarté de cette clause et du soin qui y aura été apporté par le rédacteur du contrat dépendra une alternative "shakespearienne": être ou ne pas être assuré.

Mais derrière la "paille des mots" il incombe souvent au juge de révéler le "grain du contrat", de percer ce que les parties au contrat d'assurance ont eu à l'esprit.

Dans une configuration toute classique, l'assuré prétendra que le sinistre relève bien de l'activité déclarée là où l'assureur, de son côté, cherchera à échapper à sa garantie, en soutenant que l'assuré s'est livrée à une activité étrangère à celle déclarée, de sorte qu'il peut lui opposer une non-assurance.

Dans cette alternative, soit le risque ressortit au contrat, soit il est exclu du "champ d'application" du contrat.

C'est bien ainsi que se présentait l'espèce ici tranchée par la troisième chambre civile dans son arrêt du 14 avril 2010 : le constructeur d'une maison individuelle affecté de désordres apparus 9 ans après réception, a mandaté une société tierce (SFTS) pour procéder à des travaux de reprise. Après apparition de nouveaux désordres sur les parties d'ouvrage réparées, les acquéreurs ont assigné la société SFTS et son assureur en réparation.

L'assureur a contesté devoir couvrir les travaux de reprise des malfaçons, motifs pris de ce que, selon elle, ces travaux ne rentraient pas dans le cadre de l'activité déclarée par son assuré au titre des conditions particulières de son assurance "RC décennale", définie comme suit : "activités de constructeur de maison individuelle et d'amélioration de l'habitat".

L'interprétation de la clause posait donc la question de savoir si les travaux litigieux relevaient bien de cette activité déclarée ou, au contraire, étaient étrangères.

La Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir "exactement retenu que cette activité intégrait nécessairement la réalisation de fondations" pour en déduire "que la reprise éventuelle de ces fondations, ne constituant pas un secteur particulier du bâtiment devant faire l'objet d'une garantie spécifique, était également intégrée dans l'activité de constructeur de maisons individuelles".

La solution est heureuse. A partir du moment où l'activité litigieuse constitue, objectivement, une partie de l'activité déclarée, la solution s'impose.

Dans les activités de bâtiments, la jurisprudence se sert souvent des nomenclatures professionnelles. C'est bien ainsi que raisonne ici la Cour de cassation qui évoque l'absence de "secteur particulier du bâtiment".

La solution inverse peut, évidemment, se rencontrer, comme en atteste une autre décision de la Cour de cassation rendue le lendemain, le 15 avril 2010, par la deuxième chambre civile (11), qui, pour des faits très proches de ceux de notre arrêt, censure la cour d'appel qui avait considéré que les travaux confiés à l'assurée relevaient de l'activité garantie, aux motifs que : "en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les travaux effectués par la société relevaient de l'activité de charpentier et non pas de celle de couvreur qui seule entrait dans le champ de la garantie de l'assurance telle que définie par l'attestation du 24 mars 2004, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ce document, a violé" l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

L'activité de charpentier ne se confond donc pas avec celle de couvreur, tandis que l'activité de réalisations de fondations d'une maison relève de l'activité d'un constructeur.

Parfois, l'ambiguïté rédactionnelle rendra l'interprétation judiciaire nécessaire.

Ainsi d'un arrêt de la cour d'appel de Toulouse (12) qui, ayant à statuer sur l'action intentée par des clients contre un artisan ayant installé une chaudière à bois dans un château, laquelle sera à l'origine d'un incendie, a été conduite à statuer sur les appels en garantie effectués par cet artisan auprès de deux assureurs, son assureur "RC décennale" et son assureur "RC professionnelle". Les juges toulousains ont exclu la garantie du premier et condamné le second à couvrir le sinistre en posant que :

- la police litigieuse "avait été souscrite pour l'exercice d'activités de zinguerie, plomberie, sanitaire, électricité ; les travaux de pose d'une chaudière à bois et de gainage d'une cheminée ne ressortent d'aucun de ces secteurs d'activité professionnelle déclarés" ;

- en revanche, les conditions particulières de la police d'assurance des risques professionnels des artisans du bâtiment précisent que "les activités exercées sont l'électricité, installation d'alarmes, pose d'enseignes lumineuses, plomberie- sanitaire, chauffage (sauf chauffage électrique intégré)" ; les juges en ont déduit que cette police ne faisant "aucune référence à des nomenclatures ou classifications préétablies et déterminées pour la sélection des activités à déclarer par l'assuré ou pour l'identification du champ de chaque activité exercée et de ses limites, mais seulement des désignations purement génériques assorties de l'expression de restrictions explicites, [l'assureur] ne trouve aucun fondement pour prétendre utilement que l'activité chauffage n'aurait pas compris les travaux exécutés ; qu'ainsi, elle n'est pas fondée à prétendre que l'activité déclarée devrait s'entendre de chauffage électrique, ce que rien n'implique ni directement ni indirectement ; que le fait que la restriction exprimée sur l'activité chauffage concerne un type de chauffage électrique, le chauffage électrique intégré, n'induit pas non plus nécessairement que la seule activité de chauffage assurée serait celle de chauffage électrique, ce qui n' est pas exprimé".

Le message est clair : les assureurs doivent bannir ici les "formules génériques", ce qui est conforme à la règle selon laquelle les clauses d'exclusion doivent être limitées (cf. C. ass., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0060AAH) et à la jurisprudence selon laquelle "une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée" (13).

L'analyse s'inscrit dans cette logique contemporaine selon laquelle il incombe à l'assureur de parfaitement rédiger le contrat, toute ambiguïté se retournant contre lui.

Cette sévérité se retrouve au stade de la rédaction de questionnaires d'évaluation du risque par les assureurs. Faute de précision, l'assureur ne pourrait se prévaloir d'une quelconque mauvaise foi de la part de l'assuré (cf. C. ass., art. L. 113-8 N° Lexbase : L0064AAM) dans la déclaration du risque, ici dans l'indication de son activité professionnelle. En effet, si l'assuré doit, aux termes de l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI), "répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge", la jurisprudence récente atteste de ce que, en amont de cette obligation de l'assuré de déclarer de bonne foi le risque, pèse sur l'assureur une obligation de se renseigner par des questions claires et précises.

On aura gardé en mémoire l'arrêt du 15 février 2007, signalé dans cette chronique sous la plume de Véronique Nicolas (14), qui a très clairement jugé qu'un assuré, courtier en placement financier, ayant omis de déclarer à son assureur de responsabilité civile qu'il faisait l'objet d'une procédure de contrôle en cours de la part des autorités financières (Commission des opérations de Bourse (COB) à l'époque), n'a pas violé les articles L. 113-2, 2° et L. 113-8 du Code des assurances. Alors que les juges du fond avaient considéré que l'assuré s'était abstenu "d'une manière qui n'a pu qu'être délibérée et destinée à tromper la société d'assurance" et que cette réticence avait été "de nature à modifier l'opinion qu'elle se faisait du risque à assurer", la Cour de cassation censure nettement : "Qu'en statuant ainsi, sans constater que l'assureur avait posé une question qui aurait dû conduire l'assurée à lui déclarer la procédure de contrôle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés "

Cette exigence sur le caractère précis et complet du questionnaire nous semble valoir pour l'activité déclarée. L'assureur pourrait donc devoir, pour manquement à son devoir de mise en garde, répondre des conséquences de la responsabilité de son assuré dont la non-assurance ne serait que la conséquence de la faute de l'assureur qui n'aurait pas su lui proposer une assurance adaptée à sa situation, dans la droite ligne du développement de ce devoir de mise en garde (15).

Une telle rigueur en amont (dans l'élaboration du questionnaire et dans la rédaction de la police) éviterait bien des déconvenues et des contentieux, car il est patent que les litiges posés par la clause d'activité déclarée est vif.

Par-delà les particularités des espèces, on peut chercher à en percer la ligne directrice.

Il nous semble que la jurisprudence se fait exigeante envers les assureurs et, souvent, n'entend pas les suivre dans leurs stratégies de "défausse". Un arrêt du 10 juillet 2008 (Cass. civ. 2, 10 juillet 2008, n° 07-12.506, Société Assurances générales de France (AGF), venant aux droits de la société Allianz, F-D N° Lexbase : A6243D94) en atteste, qui, ayant à statuer sur une assurance "RC produits livrés" a été saisie d'un pourvoi formé par l'assureur soutenant que "l'activité de 'montage de machines' seule déclarée lors de la souscription du contrat, n'impliquait toute la réalisation des machines, depuis leur conception jusqu'à leur installation". L'assureur plaidait ainsi la dissociation des activités de conception/réalisation/montage d'une machine.

La Cour de cassation a rejeté son pourvoi aux motifs que l'activité déclarée de "montage" implique la couverture de la réalisation entière des machines, car les termes employés dans le contrat litigieux précisaient couvrir les dommages se produisant après livraison des produits et résultant "notamment d'une erreur dans la conception, la préparation ou la fabrication ; qu'il s'ensuit que c'est sans dénaturation, que la cour d'appel a décidé que l'activité de montage déclarée impliquait la réalisation entière des machines".

La lettre du contrat peut donc faire "pencher l'interprétation" d'un côté ou de l'autre. L'arrêt précité du 10 juillet 2008 illustre l'hypothèse où cette "lettre" conduit à inclure le sinistre dans l'activité déclarée. A l'inverse, un arrêt du 4 juillet 2000 (Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.977, Compagnie Les Assurances générales de France (AGF), société anonyme c/ Etablissements Labeyrie et autres N° Lexbase : A5421AWP) illustre le cas où l'assureur a parfaitement su se faire précis dans la délimitation du risque, par voie d'exclusion, soit directe soit indirecte.

L'assurée était, dans cette espèce, un établissement ayant souscrit avec des agriculteurs des contrats de production en plein champ de cultures à façon, en vue d'obtenir la fourniture de pommes de terre. L'activité déclarée au titre de son "assurance RC" était rédigée de la sorte : "négociant en produits du sol, engrais, grains, pailles, fourrages, légumes secs avec chargement et déchargement des camions de livraison".

Un agriculteur ayant subi un dommage a assigné la société contractante, que l'assureur a refusé de garantir.

La cour d'appel avait considéré que "sauf à dénaturer toute activité commerciale en la 'tronçonnant' en activités autonomes, le contrat de production à l'occasion de l'exécution duquel le fait dommageable était survenu, entrait dans le champ des activités garanties par le contrat d'assurances souscrit par" l'assuré.

La Cour de cassation a considéré que les juges du fond avaient "dénaturé les termes clairs et précis exclusifs de toute garantie d'une participation à une activité de production".

En effet, l'activité de négociant couverte comportait cette précision selon laquelle elle commençait à compter du chargement du camion et cessait de s'appliquer après le déchargement ; dans ces conditions, doit être logiquement exclue toute activité de production chronologiquement antérieure au chargement du produit dans le camion !

C'est donc parce que ce contrat d'assurance avait délimité par voie d'exclusion indirecte la production que celle-ci n'entrait pas dans l'activité couverte.

A notre sens, ce type de contrat d'assurance, clair et précis, doit être gardé en modèle, car il nous semble que, faute d'une telle précision, l'analyse des juges d'appel selon laquelle l'interprétation du contrat d'assurance ne doit pas "dénaturer toute activité commerciale en la 'tronçonnant' en activités autonomes" devrait demeurer parfaitement pertinente!

En outre, on ajoutera que, pour protéger les assurés, les juges savent se détacher de la lettre du contrat et, afin d'en percer "l'esprit", ne consacrer l'hypothèse de non-garantie que lorsque l'activité est nettement étrangère à l'activité déclarée.

Tel n'est pas le cas d'une activité accessoire à celle expressément visée. Cette "notion d'accessoire permet au juge d'interpréter extensivement et souvent logiquement le risque garanti : le maçon, assuré pour le risque de construction, l'est aussi pour le risque de démolition, non prévu par le contrat, quand celle-ci est occasionnelle et accessoire à l'activité déclarée ; la boîte aux lettres située dans l'entrée de l'immeuble est entendue comme l'accessoire du local assuré " (17).

Un arrêt du 4 janvier 2006 (18) applique cette logique, s'agissant d'une activité déclarée de "commerce de bijouterie-joaillerie", retenant que "l'activité d'expertise et d'évaluation de bijoux précieux n'était pas étrangère à l'activité de bijoutier-joaillier".

On ne saurait donc trop inciter les assureurs à l'extrême vigilance quant au soin à apporter à la rédaction de cette clause d'activité déclarée.

De leur côté, les assurés qui ne souhaitent pas subir la déconvenue de découvrir, a posteriori d'un sinistre, qu'ils n'étaient pas couverts, ont tout intérêt à interroger leur assureur pour que, le cas échéant, soit modifiée la rédaction de cette clause d'activité déclarée.

Quant aux clients de l'assuré, ils pourraient avoir l'idée d'agir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à l'encontre des assureurs dont les contrats seraient défectueux...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Puf.
(2) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-16.153, Mme Josiane Idelon, épouse Jud, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7360EIG) et nos obs., in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Octobre 2009, Lexbase Hebdo n° 366 du 10 octobre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9403BLT).
(3) Note préc..
(4) Cass. civ. 1, 9 mai 1996, n° 93-14.373, Société marocaine d'assurance à l'exportation SMAEX c/ Société New Park, société à responsabilité limitée, inédit au bulletin (N° Lexbase : A2802CQT).
(5) Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-10.186, Capitaine commandant la drague "Johanna Hendrika" et autres c/ M. Gruel et autres (N° Lexbase : A1693ACP).
(6) Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 00-16.850, Compagnie d'Assurances Navigation et Transports c/ Société Joaillerie Bosman, F-D (N° Lexbase : A4703DAG), RGDA 2004, p. 54, note J. Bigot ; Cass. civ. 2, 18 janvier 2006, n° 04-15.907, Société Assurances générales de France (AGF) c/ M. Christophe Geffroy, F-D (N° Lexbase : A4013DML).
(7) En ce sens, Cass. civ. 1, 4 décembre 2001, n° 98-17.457, Compagnie d'assurances et de réassurances Groupe d'assurances européennes c/ Compagnie Navigations et transports, FS-P (N° Lexbase : A5582AXZ), Resp. civ. et assur., 2002, chron. 1 ; RGDA, 2002, p. 72, note J. Bigot.
(8) En ce sens, Cass. com., 24 avril 2007, n° 05-21.857, SA Groupama Transports c/ Société Guyapêche d'armement et de pêche, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9532DUL).
(9) Cass. civ. 1, 24 novembre 1987, n° 85-12.560, Compagnie d'assurances "La France" c/ Société anonyme Etablissements Courtin et Bevière (N° Lexbase : A1145AHU), Bull. civ. I, n° 303.
(10) Cass. civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-12.315, Société Helvetia assurances, F-P+B (N° Lexbase : A3812EHN).
(11) Cass. civ. 2, 15 avril 2010, n° 09-14.039, Société MAAF assurances, F-D (N° Lexbase : A0638EWK).
(12) CA Toulouse, 4 février 2008, n° RG : 07/00807.
(13) Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, M. X c/ Société Assurances du crédit mutuel (N° Lexbase : A5004ATI), Bull. civ. I, n° 140.
(14) Cf. V. Nicolas, Pas de pitié pour l'assureur n'ayant pas élaboré un questionnaire complet et précis, note sous Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-20.865, M. Gérald Attia, FS-P+B (N° Lexbase : A2138DUQ), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 251 du 4 mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2992BA3).
(15) Cf. Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), dont la portée mérite d'être élargie au-delà des obligations du banquier souscripteur d'une assurance-groupe.
(17) J. Kullmann, Lamy Assurances, 2009, n° 477.
(18) Cass. civ. 2, 4 janvier 2006, n° 04-20.401, Société Gan assurances IARD c/ Mme Anne-Marie Nanot, F-P+B ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2359277, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 2, 04-01-2006, n\u00b0 04-20.401, F-P+B, Rejet.", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A1767DME"}}).

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Justice

[Projet, proposition, rapport législatif] Présentation du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles

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N0635BP9

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010


A peine un an après la promulgation de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG), le Gouvernement se penche à nouveau sur le délicat sujet de l'encombrement de la justice (ou, au choix, du désengorgement des tribunaux). Le 3 mars 2010, Michèle Alliot-Marie a, donc, présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, accompagné d'une étude d'impact (le même dévouement aurait été souhaitable concernant le projet de loi de réforme de la procédure pénale...).
  • Le contexte

Le texte s'inscrit en droite ligne avec les propositions formulées dans le rapport "Guinchard" sur la répartition des contentieux, remis au Garde des Sceaux le 30 juin 2008, qui tendent à simplifier, spécialiser et rendre plus lisible notre organisation judiciaire.

Lisible, la démarche du Gouvernement aurait pu l'être beaucoup plus. Il a, en effet, choisi, dans le cadre de la réorganisation des contentieux, de morceler les textes, plutôt que d'adopter une loi unique.

A, ainsi, succédé à la loi du 12 mai 2009, le décret n° 2009-1693 du 29 décembre 2009, relatif à la répartition des compétences entre le tribunal de grande instance (TGI) et le tribunal d'instance (N° Lexbase : L1849IGL), et sont, notamment, en cours d'examen la proposition de loi "Béteille", relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées (qui porte, notamment, sur la création de la procédure participative des négociations assistée par les avocats) (1) et le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (2). Eu égard aux controverses suscitées par la plupart des points des réformes en cours ou envisagées concernant la justice et ses professionnels, la démarche est, certainement, plus prudente.

Le dernier texte en date (celui qui fait l'objet de cette étude) a, essentiellement, pour objectif de :

- continuer l'effort de modernisation, en simplifiant l'organisation judiciaire en première instance -exit, pour ce faire, les juridictions de proximité - ;

- rééquilibrer la répartition des compétences entre le TGI et le tribunal d'instance ;

- rationaliser davantage le traitement des contentieux et spécialiser les juridictions dans les contentieux les plus complexes et techniques (obtentions végétales, départition prud'homale, etc.) ;

- rationaliser la procédure devant le juge aux affaires familiales (JAF) et développer les voies amiables des règlements des différends en matière d'autorité parentale -en privilégiant la voie de la médiation en matière familiale- ;

- et développer les procédures pénales simplifiées qui permettent un traitement accéléré des infractions, lorsque l'auteur reconnaît les faits.

  • La suppression des juridictions de proximité et le rattachement des juges de proximité au TGI

Le projet de loi entend supprimer la juridiction de proximité instituée par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, d'orientation et de programmation pour la justice (N° Lexbase : L6903A4G).

Ce dispositif récent n'aura, finalement, pas été à la mesure des espérances placées en lui : l'extension progressive des compétences du juge de proximité (qui connaît, désormais, au civil des litiges dont le montant ne dépasse pas 4 000 euros au lieu de 1 500 euros précédemment, et, au pénal, des contraventions allant jusqu'à la quatrième classe) lui font connaître un contentieux de masse ; les tribunaux n'étant, quant à eux, pas moins engorgés.

Loin d'être efficace, le dispositif complexifierait même notre organisation judiciaire et atteindrait à sa lisibilité, "notamment lorsqu'en l'absence du juge de proximité, ses fonctions sont exercées par le juge d'instance", ainsi que le présageait le rapport parlementaire, relatif au projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice portant création de la juridiction de proximité.

Mais, "si la juridiction de proximité ne parait pas parfaitement adaptée à l'objectif qui lui avait été assigné, les juges de proximité ont su trouver une place légitime et singulière dans notre fonctionnement judiciaire ; c'est pourquoi, il semble indispensable de les maintenir, tout en les rattachant au [TGI]". Pourquoi se débarrasser de professionnels compétents et peu onéreux ?

Sur le plan fonctionnel, ce rattachement au TGI se traduira par la possibilité pour les juges de proximité, outre leur compétence maintenue en matière de contravention des quatre premières classes, de participer aux audiences collégiales civiles et pénales du TGI. Ils pourront, également, tant au TGI qu'au tribunal d'instance, statuer sur requête en injonction de payer (sauf sur opposition). Ils procèderont à des mesures d'instruction en matière civile (telles l'audition des parties à l'occasion de leur comparution personnelle et celle des témoins à l'occasion d'une enquête, etc.). Enfin, ils pourront être assesseurs en chambre civile, et continuer à être assesseurs au tribunal correctionnel. En revanche, et contrairement à ce que préconisait la commission "Guinchard", ils ne pourront pas vérifier et approuver les comptes de gestion soumis à l'occasion des mesures de protection juridique des mineurs.

  • La simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel

La commission "Guinchard" préconise un allégement de la procédure de divorce par consentement mutuel (plutôt que sa déjudiciarisation, notamment, en instituant le divorce devant notaire) et l'encadrement de son coût par une régulation des honoraires.

En l'état actuel des textes, le divorce par consentement mutuel ne peut être prononcé qu'à l'issue d'une audience devant le JAF, les parties ayant l'obligation d'être présentes en personne. Le texte prévoit de dispenser les couples sans enfant mineur de comparaître personnellement et systématiquement devant ce juge, sauf demande du juge ou de l'un des époux.

Rappelant que l'accès au juge est un droit fondamental au sens de la CESDH, le CNB a, dans une motion adoptée par son assemblée générale du 9 avril 2010, réaffirmé son attachement à l'intervention du juge en cette matière, seul garant des droits et libertés fondamentaux du citoyen. Dans cette optique, il considère que la dispense de comparution des parties devant le JAF doit demeurer exceptionnelle et ne peut procéder que de leur demande conjointe.

  • Les honoraires des avocats en matière de divorce par consentement mutuel

Pour améliorer la lisibilité et, par là, l'accès au juge, la commission "Guinchard" a recommandé que la convention d'honoraires de l'avocat soit rendue obligatoire, de même que l'affichage des honoraires. Elle a, également, envisagé la fixation d'un tarif maximum en matière de divorce par consentement mutuel.

Le projet de loi "s'inspire de ces propositions, en prévoyant un barème indicatif, dont le dépassement resterait possible, à la condition que l'avocat ait conclu une convention d'honoraires avec son client, étant précisé que ce barème pourrait être arrêté par le Garde des Sceaux, après avis du CNB".

Celui-ci a cru bon de rappeler le caractère subsidiaire d'un tarif, en l'absence d'une telle convention, dans les termes de sa délibération adoptée lors de son assemblée générale des 13 et 14 juin 2008. Il réitère, donc, que le tarif envisagé ne pourra s'appliquer qu'aux divorces sans enfant sans patrimoine et sans disparité susceptible d'ouvrir droit à prestation compensatoire. Enfin, il demande à être associé à la rédaction du décret d'application de la loi et exige que le tarif envisagé ne puisse être arrêté qu'après son avis conforme et qu'il soit révisé annuellement.

  • L'encouragement de la médiation en matière familiale

La médiation, notamment, dans le cadre des conflits familiaux, doit, selon la commission "Guinchard", être développée (sur ce point, lire La médiation, "troisième voie procédurale" en France ? - Questions à Sonia Cohen-Lang, médiatrice et avocate, Lexbase Hebdo n° 29 du 6 mai 2010 - éditions professions N° Lexbase : N0597BPS).

Aux termes du projet de loi, en cas de modification des mesures relatives aux enfants dans le cadre du divorce ou d'une séparation, une tentative de médiation serait préalablement imposée aux parties, sous peine d'irrecevabilité de la saisine du JAF, sauf motif légitime ou accord des parents sur les modifications envisagées.

Ce dispositif serait expérimenté jusqu'en 2012 au sein de cinq tribunaux de grande instance de tailles différentes (Paris, Bordeaux, Arras, Niort, et Saint-Denis-de-la-Réunion), avant d'être éventuellement généralisé.

Le CNB considère, de son côté, que la médiation obligatoire est contraire au principe du libre accès au juge et propose d'y substituer l'obligation pour les parties de justifier, au terme de l'acte introductif d'instance, les diligences effectuées aux fins de parvenir à un accord préalablement à la saisine du juge.

  • Le développement des procédures pénales simplifiées

Le projet de loi envisage d'étendre les procédures pénales simplifiées que sont l'amende forfaitaire, l'ordonnance pénale et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, en ce qu'elles permettent de traiter efficacement des contentieux importants.

Il est, ainsi, proposé d'étendre la procédure de l'ordonnance pénale à certains délits, comme le vol (aucun délit d'atteinte aux personnes ne serait, en revanche, inclus). Le champ de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité serait, également, étendu à l'ensemble des délits, quelle que soit la peine encourue, en maintenant, cependant, les exceptions actuellement prévues.

Le Gouvernement profite de l'occasion pour préciser les conditions du recours à ces procédures : "la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale a vocation à ne s'appliquer qu'à des affaires ne justifiant pas la tenue d'un débat contradictoire public, en raison de leur simplicité et de leur faible gravité. Elle est, également, réservée aux procédures dans lesquelles les faits sont établis et des renseignements sur la personnalité du prévenu disponibles. Enfin, il ne sera pas recouru à cette procédure, si celle-ci est de nature à porter atteinte aux droits de la victime".

Le CNB constate, pour sa part, que le dispositif "s'inscrit dans la logique d'accroissement des pouvoirs du Parquet au détriment du débat contradictoire, particulièrement s'agissant des ordonnances pénales" et dit "refuser que la volonté de privilégier les procédures rapides se fasse au détriment des droits de la défense". En conséquence, il exige d'être associé à toute discussion portant sur les droits fondamentaux, notamment les dispositions portant atteinte aux libertés.

  • La spécialisation des juridictions

Sur ce point, l'on retiendra principalement, du projet de loi :

- une spécialisation renforcée des juges ayant à connaître de la départition prud'homale ;

- la mise en place d'un Pôle judiciaire spécialisé à Paris compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ;

- et la création des juridictions spécialisée pour les grandes catastrophes en matière de transport ou liées à un risque technologique ; ces juridictions pourront être saisies sur décision du Procureur général près la cour d'appel, en cas d'homicide ou de blessures involontaires, lorsque l'affaire comportera une pluralité de victimes et apparaîtra d'une grande complexité.


(1) Adoptée en par le Sénat le 11 février 2009.
(2) Adopté par le Sénat le 17 juin 2009.

newsid:390635

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] La nature et les règles d'imposition de la plus-value d'acquisition réalisée lors de la levée de stock-option dans une situation transfrontalière

Réf. : CE 8° s-s., 17 mars 2010, n° 315831, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7969ETC)

Lecture: 9 min

N0544BPT

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 17 mars 2010, censure la décision de la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 1ère ch., 21 février 2008, n° 05VE01006 N° Lexbase : A5271D7D) et précise la nature et les conditions d'imposition des gains d'options de souscription ou d'achat d'actions dans les situations transfrontalières, notamment en ce qui concerne la répartition du droit d'imposer entre la France et la Belgique. Les faits dans cette affaire sont les suivants : M. de R., détaché en Belgique par une société française, mais fiscalement domicilié en France, a levé, en février 2000, les options que sa société lui a attribuées en décembre 1995. M. de R. a cédé les actions résultant de la levée d'option sur actions avant le terme du délai d'indisponibilité de cinq ans courant à compter de la date d'attribution de l'option et omis de déclarer la plus-value réalisée ; cette plus-value d'acquisition étant définie comme la différence entre la valeur de l'action à la date de la levée de l'option en cas de société cotée et le prix d'exercice de l'option. L'administration a réintégré l'intégralité de la plus-value dans les revenus imposables de M. de R., dans la catégorie des traitements et salaires, au titre de l'année 2000, sur le fondement du II de l'article 163 bis C du CGI (N° Lexbase : L9241HZB). Le contribuable a contesté le montant du redressement, la plus-value n'étant, de son point de vue, imposable qu'au prorata de sa présence en France au cours de l'année du fait générateur de l'imposition et donc à hauteur des quatre douzième de son montant. Alors que sa demande avait été accueillie par les juges de première instance puis d'appel, le Conseil d'Etat a censuré la solution de la cour administrative d'appel de Versailles, par sa décision du 17 mars 2010.

L'arrêt du Conseil d'Etat précise la nature fiscale de la plus-value d'acquisition, notamment, en l'absence de respect de la durée d'indisponibilité et clarifie ainsi l'articulation des dispositions du I de l'article 80 bis (N° Lexbase : L1775HLC), et des I et II de l'article 163 bis C du CGI. Le Conseil d'Etat juge, en effet, que, en vertu de la combinaison des dispositions précitées, l'avantage égal à la différence entre la valeur réelle d'une action à la date de la levée de l'option et le prix de souscription ou d'achat de cette action correspondant à la plus-value d'acquisition réalisée par M. de R., constitue pour celui-ci un complément de salaire imposable au titre de l'année au cours de laquelle cette action a été cédée, dès lors que cette cession est intervenue avant l'expiration du délai de cinq ans alors applicable. En outre, la lecture des dispositions combinées de l'article 80 bis du CGI et des dispositions relatives aux traitements et salaires de la Convention fiscale franco-belge (N° Lexbase : L6668BHG) conduit le Conseil d'Etat à affirmer que, lorsque la période d'indisponibilité est respectée, la plus-value d'acquisition n'est imposable en France "que pour autant que l'activité que rémunère l'attribution d'option de souscription ou d'achats d'actions a été exercée sur le territoire français" ; la période et les modalités du droit d'imposer entre les Etats parties à une Convention étant ainsi déterminées.

1. La plus-value d'acquisition née d'une levée d'option postérieure au transfert de domicile du salarié a une nature fiscale différente selon qu'est respectée ou non la période d'indisponibilité

Une clarification attendue de la nature fiscale de la plus-value d'acquisition lors de la levée d'option postérieure au transfert de domicile.

1.1. La plus-value d'acquisition postérieure à la levée d'option : une nature fiscale de prime abord ambiguë

L'article 80 bis I du CGI prévoit que l'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue pour le bénéficiaire un complément de salaire imposable dans les conditions prévues au II de l'article 163 bis C. Cet avantage est imposé lors de la cession des titres, mais sous des modalités différentes selon que le délai d'indisponibilité prévu par les dispositions de l'article 163 bis C II du CGI, aujourd'hui de quatre ans, et qui était de cinq ans pour M. de R., a été ou non respecté. Si l'article 80 bis I du CGI se réfère bien à une notion de complément de salaire pour qualifier la plus-value d'acquisition, les dispositions de l'article 163 bis C I offrent au bénéficiaire la possibilité d'appliquer à son gain le régime d'imposition des plus-values mobilières.

L'ambiguïté du sort fiscal réservé aux gains nés de la levée d'option prend donc racine dans la rédaction des dispositions de l'article 163 bis C, I du CGI. Il est possible de procéder, en effet, à deux lectures de ces dispositions : soit l'on estime que les dispositions du 163 bis C I du CGI qualifient fiscalement la plus-value d'acquisition, soit l'on considère que le gain a la nature d'un complément de salaire au sens des dispositions de l'article 80 bis I du CGI, les dispositions du I de l'article 163 bis C se bornant à préciser des modalités d'imposition et offrant la possibilité de soumettre le gain à un régime fiscal plus favorable.

1.2. La nature fiscale hybride de la plus-value d'acquisition en cas de levée d'option est éclairée

L'arrêt du Conseil d'Etat du 17 mars 2010 juge, tout d'abord, que, lorsque la levée d'option est effectuée avant l'achèvement du délai d'indisponibilité, la plus-value d'acquisition réalisée par le bénéficiaire a la nature d'un complément de salaire. Le Conseil d'Etat fait une application stricte des dispositions des I et II de l'article 163 bis C du CGI, et écarte la possibilité de dérogation au principe d'imposition comme salaire de l'avantage né de la cession des titres, la condition d'indisponibilité n'étant pas remplie. Par ailleurs, en précisant, dans un considérant de principe, et, alors qu'il n'avait pas à trancher ce point en l'espèce, que dans le cas où les options attribuées ne peuvent être levées qu'après l'expiration d'un délai prévu par le règlement du plan d'options ou par une lettre d'attribution des options, la plus-value d'acquisition réalisée du fait de la levée d'option est imposable selon les règles d'un prorata, le Conseil semble retenir la qualification fiscale de plus-value, lorsque la règle d'indisponibilité posée par le II de l'article 163 bis C du CGI est satisfaite.

La solution ne surprend pas puisque l'intention du législateur militait en ce sens. En effet, lors de la réforme issue de la loi de finances pour 1990 qui rendait taxable la plus-value d'acquisition auparavant exonérée, les travaux parlementaires laissaient présumer la volonté du législateur de qualifier fiscalement le gain de plus-value. L'administration, dans différentes instructions (instruction du 21 juin 1991, BOI 5 F-9-91, n° 16 et instruction du 18 juin 1998, BOI 5 F-12-98 N° Lexbase : X7888AAE), avait commenté "l'esprit de la loi", dans le sens d'une reconnaissance au plan fiscal de la nature de la plus-value pour le gain obtenu en contrepartie de la levée d'option. Par ailleurs, une lecture constructive des dispositions de l'article 13 du CGI (N° Lexbase : L1050HLH), selon lequel le bénéfice ou le revenu net de chaque catégorie de revenus est déterminé distinctement suivant les règles propres à chacune d'elles, militait pour la même qualification au plan fiscal ; la règle de l'imposition permettant de procéder à la qualification fiscale du gain (CE 9° et 8° s-s-r., 18 mars 1994, n° 79971 N° Lexbase : A2249B8S).

Cependant, la solution retenue par le Conseil d'Etat innove lorsque la règle de l'indisponibilité n'est pas satisfaite en rejoignant, d'ailleurs, certaines analyses de l'OCDE s'agissant de la qualification fiscale de la plus-value d'acquisition qui la regardaient comme une rémunération.

Si la nature fiscale du gain est ainsi précisée, il convenait, par ailleurs, de déterminer la période de référence à retenir pour l'imposition ainsi que les règles de répartition à appliquer en présence d'une Convention internationale.

2. La période de référence et les règles relatives au droit d'imposer diffèrent selon, notamment, que le gain né de la levée d'option a la nature d'un salaire ou d'une plus-value

La nature fiscale du gain éclairée, il convient de préciser la période de référence à prendre en compte ainsi que les règles de répartition à mettre en oeuvre pour les deux Etats, lors de l'imposition du gain.

2.1. La plus-value d'acquisition est imposable en France comme salaire, si l'activité qu'elle rémunère a été exercée sur le territoire français

M. de R. ayant été détaché par sa société en Belgique et ayant, par suite, levé l'option et cédé les actions postérieurement à ce changement de domicile les droits respectifs de la France et de la Belgique à imposer la plus-value d'acquisition devaient être clarifiées. Le Conseil d'Etat précise, alors, les règles de répartition de l'imposition de la plus-value d'acquisition en cas de levée d'option avant le terme de la période d'indisponibilité, laquelle est imposable en tant que salaire et précise, notamment, la période de référence nécessaire à l'établissement de l'imposition.

La Haute juridiction administrative juge que la plus-value d'acquisition réalisée lors de la levée de stock-options n'est imposable en tant que salaire en France, lorsque ces actions ont été cédées avant l'expiration du délai de cinq ans courant à compter de la date d'attribution des options, que pour autant que l'activité, que rémunère l'attribution d'options de souscription ou d'achat d'actions, a été exercée sur le territoire français. C'est donc à tort que la cour administrative d'appel de Versailles a considéré que seule l'année du fait générateur de l'impôt devait être prise en compte pour répartir le droit d'imposer entre la France et la Belgique, en l'absence de stipulation expresse dans la Convention dérogeant au régime fiscal français du II de l'article 163 bis C du CGI. Il est vrai qu'en présence d'une Convention fiscale conclue entre deux Etats, lorsque la définition d'un élément de revenu est claire, cette définition prime sur la définition de droit interne de l'Etat appliquant la Convention. Mais, lorsque la Convention fiscale est muette, le juge applique le droit interne (CE Contentieux, 27 juillet 2001, n° 215124 N° Lexbase : A5127AUG).

En l'espèce, le gain ayant la nature d'un complément de salaire les dispositions de l'article 11 de la Convention du 10 mars 1964 conclue entre la France et la Belgique, en matière d'impôt sur le revenu, s'appliquent. Cet article 11 prévoit qu'un revenu que le droit national assimile à un salaire ou à un traitement n'est imposable en France que pour autant que l'activité qu'il rémunère a été exercée sur le territoire français. L'arrêt détermine, en application de ces dispositions, la période de référence à retenir et les règles à appliquer pour l'imposition du gain. L'activité rémunérée par l'attribution d'options est celle qui a été exercée entre la date de cette attribution et la date à compter de laquelle ce bénéficiaire d'options de souscription ou d'achats d'actions est en droit de lever ces options. La détermination de la période de référence, ainsi retenue par le Conseil d'Etat, infirme celle prise en compte par le tribunal administratif de Versailles dans son jugement du 18 décembre 2001 (TA Versailles, n° 95-2871, Copson) qui retenait l'année de l'exercice des options.

2.2. La plus-value d'acquisition, le délai d'indisponibilité respecté ou n'étant pas prévu, est imposable entre les Etats parties à une convention, selon la règle du prorata

Le Conseil d'Etat, alors même que la question ne lui était pas soumise, précise, dans un considérant de principe, les règles applicables lorsque les options ne peuvent être levées qu'après l'expiration d'un délai prévu par le règlement du plan d'options. Dans ce cas, le gain a la nature d'une plus-value et est imposable différemment selon que le règlement du plan d'options prévoit ou non un délai d'indisponibilité.

Dans le cas où les options attribuées ne peuvent être levées qu'après l'expiration d'un délai prévu par le règlement du plan d'options ou par la lettre d'attribution, la plus-value d'acquisition est imposable par chacun des Etats parties à la Convention en proportion du nombre de jours travaillés par le bénéficiaire sur le territoire respectif de chacun de ces Etats pendant la période comprise entre la date de leur attribution et la date correspondant à l'expiration de ce délai qui lui confère le droit de procéder à leur levée. Le nombre de jours travaillés sur le territoire de chacun des deux Etats partie à la convention permettant de répartir l'imposition requerra un suivi particulier de la mobilité des salariés mobiles de la part de leurs employeurs. La solution retenue par le Conseil d'Etat ne permet donc pas de regarder la levée d'option comme un fait générateur de l'imposition, mais conduit à s'appuyer sur une notion de revenu disponible. La période de référence étant précisée, la règle du prorata qui s'applique est celle de l'article 15 du modèle de Convention OCDE.

Tout au contraire, en l'absence de délai prévu par le règlement du plan d'option ou par lettre d'attribution des options, le Conseil d'Etat considère que la plus-value est entièrement imposable par l'Etat sur le territoire duquel le contribuable exerçait son activité professionnelle à la date de l'attribution des options de souscriptions ou d'achats d'actions.

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