La lettre juridique n°392 du 22 avril 2010 : Procédure pénale

[Evénement] La nouvelle audience pénale : un calendrier serré et un contenu contesté

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par Yann Le Foll

le 07 Octobre 2010

Dans un discours du 7 janvier 2009, le Président de la République faisait part de sa volonté de moderniser, de clarifier et d'équilibrer la procédure pénale. Plus d'un an après, le 23 février 2010, le Garde des Sceaux et ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, présentait en Conseil des ministres l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale, l'objectif étant, pour elle, d'aboutir à une "procédure pénale plus moderne, compréhensible par tous, mais aussi plus impartiale, équitable et surtout plus respectueuse des droits des victimes et des garanties de la défense". L'avant-projet du futur Code de procédure pénale, doté de 730 articles consacrés, principalement, à la phase d'enquête -garde à vue, enquête, détention provisoire- a été préparé par un groupe de travail constitué de magistrats du siège et du Parquet, d'avocats, d'universitaires et de parlementaires. Le 3 mars 2010, une large concertation de deux mois a été lancée -avec les associations et organisations professionnelles de magistrats, d'avocats, de policiers, de gendarmes et de victimes- dans le but de permettre aux participants de faire part de leurs propositions, afin d'enrichir et d'améliorer le texte. C'est dans ce cadre que s'est tenu, le 25 mars 2010 à la Maison de la Chimie à Paris, un colloque organisé par le Conseil national des barreaux et consacré à la réforme de la procédure pénale (1). Au cours de la seconde partie de la journée, les intervenants ont débattu de la nouvelle audience pénale, l'occasion d'échanger leurs vues concernant les développements à venir de ce point de la réforme de la procédure pénale. Déjà empreint de nombreuses controverses, ce projet concrétise, de l'avis général, l'accroissement des pouvoirs du Parquet dans la procédure pénale, le ministère public conduisant déjà aujourd'hui 96 % des enquêtes, contre 4 % dévolues au juge d'instruction, dont le projet programme, par ailleurs, la disparition au profit du juge de l'enquête et des libertés. Ce sujet est d'autant plus sensible que celui-ci connaît des affaires criminelles ou de procédures les plus complexes nécessitant de lourdes investigations ou l'emploi de mesures attentatoires aux libertés (perquisitions, saisies, écoutes téléphoniques ou détention provisoire) (2). Concernant une concentration excessive des prérogatives du ministère public, l'on peut signaler qu'aux termes d'un arrêt de Grande chambre très attendu, rendu le 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France et a confirmé sa sentence à l'égard du procureur de la République (cf. CEDH, 10 juillet 2008, Req. 3394/03 N° Lexbase : A5462D98), estimant que ce dernier n'est pas une autorité judiciaire (CEDH, 29 mars 2010, req. 3394/03, Medvedyev c/ France N° Lexbase : A2353EUP). La CEDH rappelle, ainsi, que, pour être qualifié d'autorité judiciaire, le magistrat compétent "doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties", ce qui peut sonner comme un sérieux avertissement, la réforme proposée refusant, en effet, de modifier le statut du procureur de la République.

Cette évolution avait commencé avec la comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) (C. pr. pén., art. 495-7 N° Lexbase : L0876DY4 et s.), créée par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), sorte de plaider coupable à la française, qui permet une négociation de la peine (y compris l'emprisonnement) avec le Parquet (3). Rappelons que ce mécanisme donne au procureur de la République la possibilité de proposer une peine maximale d'un an de prison à une personne qui reconnaît avoir commis un délit, évitant, ainsi, une enquête parfois longue et un procès public. Le plaider coupable ne concerne, toutefois, que les délits punis d'une peine de cinq ans d'emprisonnement maximum. Déjà, à l'époque, sa mise en place avait été houleuse, avec des remises en cause, à la fois par la Cour de cassation (Cass. avis, 18 avril 2005, n° 00-50.004, Laurent X... N° Lexbase : A9305DH4) et par le Conseil d'Etat (CE référé, 11 mai 2005, n° 279833 N° Lexbase : A2048DIP et n° 279834 N° Lexbase : A2049DIQ).

A ce sujet, la première intervenante, Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la Magistrature, souligne que cette évolution, notamment avec le développement de la comparution immédiate, comporte des risques attentatoires aux droits du prévenu, avec une forte hausse constatée des classements sans suite et une impossibilité, pour l'avocat, d'assurer une bonne défense de son client faute de temps pour préparer le dossier. Cette procédure, à l'origine prévue comme une réponse judiciaire rapide, est devenue, selon elle, un mode de gestion préjudiciable aux justiciables, une sorte de justice "du chiffre". Par ailleurs, l'avant-projet de loi prévoit, désormais, deux motifs de classement, à savoir des motifs juridiques (C. pr. pén., art. 337-1, futur) ou des motifs de fait (C. pr. pén., art. 338-1, futur), ce qui risque encore d'accélérer ce processus. Le classement pourra aussi être décidé sans enquête judiciaire préalable (C. pr. pén., art. 331-9, futur), ou après constat de la réussite d'une mesure alternative (C. pr. pén., art. 331-10, futur). Il précise aussi que cette procédure pourra être mise en oeuvre par le procureur de la République, pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement au moins égale à deux ans, et en cas de flagrance, pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement au moins égale à six mois (C. pr. pén., art. 334-27, futur).

En outre, au terme de cette procédure, près de la moitié des mesures répressives est décidée par le Parquet, puisque le juge du siège ne peut qu'accepter ou refuser la peine choisie. Clarisse Taron souligne que la composition pénale, une autre des composantes des "circuits courts", mesure alternative aux poursuites pénales instaurée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999, renforçant l'efficacité de la procédure pénale (N° Lexbase : L2004ATE), et prévue par les articles 41-2 (N° Lexbase : L4793H9E) et 41-3 (N° Lexbase : L8035G7Q) du Code de procédure pénale, semble être une alternative souhaitable à cette "dérive", puisqu'elle ne constitue pas une condamnation et contribue à désengorger les juridictions. Elle peut, en effet, consister en le versement d'une simple amende au Trésor public, à la remise d'un véhicule, ou à l'accomplissement d'un travail non rémunéré au sein d'une personne morale ou d'une association.

Si l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale ne traite pas du jugement des affaires pénales en tant que tel, des prémices sont tout de même esquissées, reprises, notamment du rapport "Léger", qui tend à faire du président un simple arbitre de l'audience, ne disposant plus, en conséquence, de la direction et de la conduite des débats, comme l'indique le deuxième intervenant, Alain Blanc, Président de chambre à la cour d'appel de Douai et président de l'Association française de criminologie (4). Rappelons, pour mémoire, que le rapport "Léger" soulignait que, "compte tenu du caractère inquisitoire de notre procédure, le président participe activement à la recherche de la vérité [...] Comme le juge d'instruction, il est à la fois enquêteur et juge durant la première phase du procès". Dès lors, la conduite de l'audience, telle qu'elle existe aujourd'hui, "permet difficilement au président de conserver son impartialité".

C'est pourquoi ce rapport propose que l'énoncé initial des faits et des charges retenus contre l'accusé ou le prévenu devienne la charge, non plus du président de l'audience, mais du ministère public. Or, comme le souligne Alain Blanc, la garantie d'impartialité de l'audience publique est consubstantielle de celle du juge. En définitive, ne disposant plus de la direction de l'audience, le président veillerait uniquement, en arbitre impartial, "au bon déroulement des débats", avec en creux, l'idée que la vérité va survenir de la confrontation des parties. L'audience serait, dès lors, conduite à titre principal par le ministère public, les avocats de la partie civile et de la défense se voyant pour leur part conférer le droit d'interroger le prévenu ou l'accusé. L'on peut craindre, là aussi, un accroissement inconsidéré des pouvoirs du Parquet. Dès lors, en effet, que le ministère public est chargé, lors de l'audience, de défendre les intérêts de la société, peut-on attendre de lui qu'il conduise les débats et l'instruction en toute neutralité ? La soumission hiérarchique du Parquet au pouvoir exécutif paraît donc incompatible avec l'exigence d'une enquête menée "à charge et à décharge", car, comme le rappellera plus tard avec force Robert Badinter lors de la conclusion de ce colloque, le Parquet est une partie.

L'impartialité "ontologique" des présidents est, d'ailleurs, remise en cause par le troisième intervenant, Richard Sédillot, vice-président de la commission libertés et droits de l'Homme du Conseil national des barreaux. Selon lui, dans de nombreux cas, le président s'est déjà fait une idée sur la culpabilité ou l'innocence de l'accusé avant la tenue des débats. La solution serait, à l'inverse, qu'il n'ait pas connaissance du dossier avant l'audience, s'inspirant ostensiblement du modèle du procès anglo-saxon, la common law étant, selon lui, plus à même de garantir l'égalité des chances. Ce à quoi Alain Blanc réplique qu'un président peut lire un dossier en échafaudant des hypothèses, sans pour autant se former une conviction inébranlable sur le dossier. Celui-ci craint une évolution vers une situation de juge "aléa", voire de juge "voiture-balai", comme peut, par exemple, l'illustrer la loi sur les "peines-planchers" (loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs N° Lexbase : L1390HY7). Il conclut en reprenant la notion de juste distance proposée par le professeur Geneviève Giudicelli Delage, à savoir que "la garantie juridictionnelle de la phase d'enquête ne peut être effective que si le juge est en position de juste distance : ni trop près pour ne pas être aveuglé, ni trop loin pour ne pas être aveugle".

Concernant la procédure applicable plus spécifiquement en matière criminelle, le rapport "Léger" préconise l'instauration d'une procédure de jugement allégée en matière criminelle en cas de reconnaissance préalable de culpabilité par l'accusé, ceci afin d'engager une réduction des frais de la justice pénale et d'améliorer le délai de rendement. Pourtant, comme le rappelle Alain Blanc, l'aveu n'est pas toujours un gage absolu de fiabilité, en témoigne l'emblématique affaire d'"Outreau". La CRPC criminelle pourrait donc aboutir à une audience sans peine, ou sans examen des faits en cas d'aveu, ce qui aurait pour effet de priver les victimes de leur droit à un procès, lesquelles ont le droit "sacré" de connaître les circonstances exactes dans lesquelles le crime a été commis. Nous sommes donc en présence d'un nouveau risque d'absence d'égalité de traitement des justiciables, déjà illustré par la multiplication des modes de poursuites des délits (10 rien que concernant le vol), par l'utilisation différenciée des procédures sur le territoire hexagonal en fonction des choix faits par le Parquet, situation inédite dans laquelle le législateur a décidé de mettre en concurrence les modes de répression des délits (l'utilisation de la composition pénale ou de la CRPC pouvant aller de 1 à 60 selon les juridictions), et par la gestion managériale de la justice évoquée précédemment, même si, comme le rappelle Alain Blanc, celle-ci peut avoir ses justifications, notamment en période de restrictions budgétaires.

Venant clôturer les débats, Robert Badinter, sénateur de Hauts-de-Seine, ancien ministre de la Justice et ancien président du Conseil constitutionnel, pointe le calendrier serré de la réforme puisqu'un examen du projet de loi n'est prévu que fin 2010 ou début 2011, ce qui semble court pour adopter le texte avant la fin de la législature, sans compter qu'en période préélectorale, qui plus est de forte crise économique, les élus sont confrontés à des attentes plus immédiates de leurs concitoyens. "Les députés de la majorité souhaitent être réélus et le résultat des régionales ne leur a sûrement pas été indifférent", a-t-il souligné, ajoutant qu'il ne pensait pas que le projet aille plus loin qu'une première lecture au Sénat. Il marque, en outre, un certain scepticisme à l'égard du contenu de ce projet, puisque s'il indique que nous sommes toujours dans une phase de concertation, il constate que celle-ci ne porte pas sur l'ensemble du texte et, notamment sur ses points cardinaux, à savoir le statut du Parquet et la suppression du juge d'instruction. La Garde des Sceaux avait, en effet, déclaré avant le début de la concertation, que "refuser la réforme ou réclamer le maintien du juge d'instruction pour la neutraliser n'aurait pas de sens".

L'ancien Garde des Sceaux pointe le fait que la suppression du juge d'instruction va à rebours des dernières réformes adoptées par le Parlement ces dernières années, et, notamment, de la collégialité des juges d'instruction, seule capable de mettre fin à la solitude du juge, souvent terreau de l'erreur judiciaire. Il rappelle qu'étant ministre, il avait fait adopter la loi n° 85-1303 du 10 décembre 1985, portant réforme de la procédure d'instruction en matière pénale (N° Lexbase : L9920IGI), qui instaurait cette collégialité. Elle fut écartée pour des raisons budgétaires par la loi du 30 décembre 1987, relative aux garanties individuelles en matière de placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire et portant modification du Code de procédure pénale (loi n° 87-1062 N° Lexbase : L9921IGK). La loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-291, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale N° Lexbase : L5930HU8) a créé ces pôles de l'instruction, accru les possibilités de cosaisine de plusieurs juges d'instruction et prévu l'entrée en vigueur le 1er janvier 2010 de la collégialité, toutefois reportée au 1er janvier 2011 par la loi du 12 mai 2009 (loi n° 2009-526, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures N° Lexbase : L1612IEG).

Il reprend, ensuite, l'idée de la création souhaitable d'un statut individuel d'un magistrat du Parquet, différente de la situation d'un Parquet hiérarchisé. Selon lui, la voie à suivre est celle d'une procédure contradictoire où le ministère public n'aurait pas toutes les cartes en main face à des justiciables souvent dépourvus de moyens. Toutefois, cela nécessite des budgets à la mesure des ambitions annoncées, alors que les sommes allouées par les pouvoirs publics en France sont ridiculement faibles par rapport à nos voisins européens, anglais ou allemands. Il rappelle, à cet égard, qu'en Grande-Bretagne, le budget de l'aide juridictionnelle est égal à celui de l'intégralité du ministère de la Justice français, hors administration pénitentiaire.

Il reste que le parcours de la réforme de la procédure pénale semble encore incertain, puisque le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont abandonné la concertation le 25 mars 2010, suivis le 31 mars par l'Association française des magistrats instructeurs. Par ailleurs, le Conseil national des barreaux et l'Union syndicale des magistrats, dans un communiqué de presse du 3 mars 2010, "constatent que le texte proposé ne répond pas aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de respect du procès équitable et des droits de la défense". Le CNB a récemment ajouté que "l'accroissement conséquent des moyens matériels nécessaires à l'exercice de la défense, notamment lorsqu'elle intervient au titre de l'aide juridictionnelle, est indispensable". La question des moyens semble donc être en première ligne, puisque l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, instaurant la collégialité de l'instruction, pourtant votée à l'unanimité, avait déjà été reportée faute de moyens. Pour autant, les raisons plus structurelles de conflits persistent, telle l'indépendance du Parquet, la place des droits de la défense, ou la revalorisation du rôle du juge et des avocats. Reste à savoir si la concertation lancée début mars 2010 par la Garde des Sceaux réussira à aplanir tous les différends.


(1) La première partie de la journée est relatée par Anne Lebescond in Lexbase Hebdo n° 28 du 21 avril 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N9504BNC).
(2) Lire Rapport "Léger" : questions à Bernard Blais, Avocat général honoraire à la Cour de cassation sur quelques propositions de la Commission, Lexbase Hebdo n° 364 du 22 septembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9286BLI).
(3) Lire Réformer le parquet est inéluctable, par Mireille Delmas-Marty, Le Monde du 5 avril 2010.
(4) A ce sujet, lire Romain Ollard, Projet de réforme de la procédure pénale : présentation du rapport définitif du comité de réflexion sur la justice pénale, Lexbase Hebdo n° 367 du 14 octobre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0886BMR).

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