La lettre juridique n°392 du 22 avril 2010 : Justice

[Evénement] Réforme de la procédure pénale : la nouvelle enquête pénale passée au crible du CNB et de l'USM

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[Evénement] Réforme de la procédure pénale : la nouvelle enquête pénale passée au crible du CNB et de l'USM. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210791-evenement-reforme-de-la-procedure-penale-la-nouvelle-enquete-penale-passee-au-crible-du-cnb-et-de-lu
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Le 7 janvier 2009, Nicolas Sarkozy faisait part de sa volonté de moderniser, de clarifier et d'équilibrer la procédure pénale, laissant présager une refonte globale de celle-ci. Environ un an après (soit, le 23 février 2010), Michèle Alliot-Marie a présenté, devant le Conseil des ministres, l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale et a ouvert, sur ce texte fortement décrié, une concertation de deux mois, pour le moins limitée : aucune discussion n'aura, en effet, lieu sur le statu quo, à savoir la suppression du juge d'instruction et le statut du Parquet (Lire Avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale : Michèle Alliot-Marie ouvre la concertation... tout en faisant la sourde oreille, Lexbase Hebdo n° 22 du 11 mars 2010 - édition professions N° Lexbase : N4848BNU). Atterrés, tant par le texte, que par le postulat posé par le Garde des Sceaux, les principaux acteurs concernés (le Conseil national des barreaux - CNB, le barreau de Paris et l'Union syndicale des Magistrats - USM) avaient décidé de faire front commun et de livrer "une bataille sans merci", afin de voir instaurer un réel contrepoids aux pouvoirs d'un Parquet tout puissant. Le CNB a, alors, pris l'initiative d'organiser un colloque sur la réforme de la procédure pénale, qui s'est tenu à la Maison de la Chimie, le 25 mars 2010, et auquel ont participé un certain nombre des plus grandes personnalités du monde du droit, Robert Badinter en tête. La réforme a été abordée, au cours de cette journée, sous les angles de la nouvelle enquête pénale et de la nouvelle audience pénale (sur ce dernier point, lire Yann Le Foll, La nouvelle audience pénale : un calendrier serré et un contenu contesté, Lexbase Hebdo n° 392 du 21 avril 2010 - édition privée générale N° Lexbase : N7403BNI).
Ce jour là, le CNB et l'USM parlaient sans l'intervention du Bâtonnier de Paris. C'est que, si tous s'accordent sur la nécessité de réformer la procédure et sur la médiocrité de nombre de réponses apportées par le ministre de la Justice, il est difficile de s'entendre sur les mesures à mettre en place. Alors que le CNB fustige la suppression du juge d'instruction, Jean Castelain déclare y être favorable. Dans un tel climat conflictuel, Henri Leclerc, président de l'USM, a préféré se retirer de la négociation et le barreau de Paris vient d'annoncer qu'il présentera des avis et propositions distincts de ceux du Conseil. Autant dire que la partie est loin d'être gagnée...

Mais, pour l'heure, revenons à l'analyse du CNB.

La nécessité d'une réforme globale, respectueuse des principes constitutionnels

Dans son discours d'introduction, Thierry Wickers, président du CNB, a dénoncé la multiplication des textes de circonstance, venant modifier la procédure pénale : pas moins de six depuis le début de l'année 2010 ! Certains d'entre eux pourraient, en outre, ne jamais être appliqués. Il en va, par exemple, ainsi de la loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-291, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale N° Lexbase : L5930HU8), qui impose la collégialité de l'instruction pour chaque information judiciaire ouverte. L'application de cette loi a été différée en 2011. L'avant-projet de loi présenté par Michèle Alliot-Marie exclut cette option.

Le Conseil, convaincu de l'absolue nécessité de changer de système ("quand on ne cesse de réformer la procédure pénale, c'est qu'elle tombe en ruine"), plaide, au contraire, pour une réforme globale et réfléchie, qui tienne compte, surtout, des principes constitutionnels. Et, de souligner que, aujourd'hui, seuls 4 % des affaires laissent une place aux droits de la défense.

Le CNB souhaite rompre avec la tendance actuelle, qui consiste à transférer progressivement tous les pouvoirs au Parquet, tout en le maintenant sous l'autorité de l'exécutif et sans évolution de son statut. S'il doit se résoudre à voir supprimé le juge d'instruction, le Conseil revendique l'indépendance du Parquet, ainsi qu'un renforcement du contradictoire et des droits de la défense, pour qu'enfin, chacun se batte "à armes égales". Manifestement, le projet de loi préparé par "MAM" est, à cet égard, loin d'être satisfaisant.

L'efficacité de la réforme est fonction des moyens humains et matériels que le Gouvernement voudra bien lui consacrer. Or, aucune étude d'impact n'a jusqu'alors été réalisée et la question de l'aide juridictionnelle est éludée dans le cadre du projet de loi. Comment, alors, aborder un chantier aussi laborieux et aux enjeux si fondamentaux, sans un minimum de sérieux ?

Une réforme en adéquation avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH)

Vincent Berger, jurisconsulte de la CEDH et professeur au Collège d'Europe, est venu exposer les préceptes fixés par le droit européen. Il a souligné la volonté de la CEDH de respecter les traditions et particularités des systèmes nationaux en matière de procédure pénale. La Cour exclut, donc, d'imposer une unique procédure aux Etats membres. Elle a, en revanche, le souci d'assurer une égalité parfaite entre les justiciables et les Etats parties à la Convention. Dans cette optique, les différents systèmes internes tendent de plus en plus à converger.

La procédure pénale a une place centrale pour l'Europe. En atteste l'abondance de la jurisprudence. Celle-ci, bien que pléthorique et difficile à maîtriser, est, toutefois, consolidée. Récemment, trois affaires (dont deux en cours) ont apporté des éclaircissements quant :

- aux motivations de la Cour d'assises (CEDH, 13 janvier 2009, req. 926/05 N° Lexbase : A9609ELH) ;

- à la recevabilité ou à l'appréciation des preuves (CEDH, 30 juin 2008, req. 22978 /05 N° Lexbase : A0809EA9) ;

- et à la liberté d'expression des juges (CEDH, 8 décembre 2009, req. 45291/06).

Concernant la garde à vue, les juges européens ont posé des exigences tenant à la durée et à la présence de l'avocat au cours de la procédure.

La question de la durée est régie par l'article 5 § 3 de la Convention (N° Lexbase : L4786AQC), aux termes duquel "toute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure". Après avoir décidé qu'un délai de 4 jours et 6 heures fixait la limite du "raisonnable", la Cour l'a, depuis peu, réduit à 3 jours et 23 heures, compte tenu du caractère mineur et non violent de l'infraction. La flexibilité des juges sur ce point est nécessaire, bien que, comme le reconnaît l'intervenant, elle soit source d'une certaine inquiétude, en particulier au regard de la sécurité juridique.

Les exigences quant à la présence de l'avocat ont été rappelées et affinées dans deux affaires, "Salduz" et "Dayanan". Dans le premier arrêt (CEDH, 27 novembre 2008, req. 36391/02 N° Lexbase : A3220EPX), le juge européen érige le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, au rang des éléments fondamentaux du procès équitable ; étant précisé que l'accès à un avocat doit être consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sous peine de porter "une atteinte irrémédiable aux droits de la défense". Des raisons impérieuses peuvent, toutefois, être avancées pour justifier des restrictions à ce droit, sous réserve que celles-ci soient clairement circonscrites et strictement limitées dans le temps.

Dans la même lignée, l'arrêt du 24 septembre 2009 (CEDH, 24 septembre 2009, req. n° 7025/04 N° Lexbase : A4246EPX), pose que "le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire par la police porte irréversiblement atteinte aux droits de la défense et amoindri les chances pour [le mis en cause] d'être jugé équitablement". La solution a été encore réitérée quelques jours plus tard dans l'arrêt "Dayanan" (CEDH, 13 octobre 2009, req. 7377/03 N° Lexbase : A3221EPY) : "l'équité d'une procédure requiert que l'accusé, dès qu'il est privé de liberté, puisse obtenir toute la gamme d'interventions propres au conseil".

Une question demeure, néanmoins : dans quelles mesures l'intervention de l'avocat peut-elle être limitée ou interdite ?

Sur le sujet d'une concentration excessive des prérogatives du Ministère public, Vincent Berger, tout comme l'ensemble des participants au colloque, s'est dit impatient de connaître la décision de la Cour à intervenir dans l'affaire "Medvedyev". L'arrêt rendu le 29 mars 2010 (CEDH, 29 mars 2010, req. 3394/03 N° Lexbase : A2353EUP) aurait, en effet, pu régler la question de la qualité et de l'indépendance du Procureur de la République, mais les juges ont préféré botté en touche. La chambre (CEDH, 10 juillet 2008, req. 3394/03 N° Lexbase : A5462D98) avait considéré qu'il n'était pas une autorité judiciaire au sens conventionnel. La Grande chambre élude la question, dès lors que les requérants ont été présentés à un juge d'instruction. Elle rappelle, toutefois, que le paragraphe 1 c de l'article 5 de la Convention (relatif à l'autorité judiciaire compétente) forme un tout avec le paragraphe 3 de ce même article (faisant référence à un juge ou un autre magistrat habilité par la loi). Enfin, en énonçant que "le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du Ministère public", la Cour laisse supposer, pour certains, que l'indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif n'est pas assurée. Eu égard à l'imprécision de l'arrêt sur la question, les espoirs se cristallisent, aujourd'hui, sur l'affaire "Moulin".

Une réforme garantissant une enquête indépendante : les rôles respectifs du Parquet et du JEL

Haritini Matsopoulou, Professeur de droit privé à la faculté Jean Monnet (Paris Sud XI) et Directrice de l'IEJ a, également, fustigé les liens profonds et étroits qui existent entre le Parquet et la Chancellerie, alors même que le Garde des Sceaux avait assuré, maintes fois, que le projet permettrait le respect des garanties d'indépendance et d'impartialité du Parquet. Ainsi que le souligne l'intervenante, le troisième paragraphe de l'article 5 de la Convention vise aussi bien le juge du Parquet que le magistrat du siège, l'indépendance constituant la qualité essentielle de l'autorité judiciaire.

Alors qu'à l'origine, la CEDH se livrait à une appréciation in concreto de cette indépendance, les juges ont opté pour une appréciation in abstracto dans l'affaire "Medvedyev" : la simple possibilité d'une intervention du pouvoir exécutif suffit à émettre un doute sérieux sur l'indépendance du Parquet. Rappelons, seulement, que l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 (ordonnance n° 58-1270, portant loi organique relative au statut de la magistrature [LXB= L5336AGQ]) pose le principe de la subordination hiérarchique du Parquet à l'exécutif ("les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice"). Rappelons, aussi, que les procureurs de la République sont nommés par décret du Président de la République, sur la proposition du Garde des Sceaux.

Comment considérer le Parquet comme impartial, quand l'avant-projet de loi de Michèle Alliot-Marie envisage que celui-ci instruise à charge et à décharge ; qu'il se prononce, en amont, sur des actes privatifs de liberté et, qu'il soit investi, en aval, des fonctions de poursuites ?

Aux termes de l'avant-projet de loi, le procureur de la République, dans le cadre de l'enquête judiciaire pénale, peut faire procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité. Il aura, à ce titre, le contrôle absolu de toutes les mesures de garde à vue (dont il pourra à souhait décider les prolongations). "C'est un problème !". Pour Haritini Matsopoulou, toutes les questions relatives à la garde à vue devraient relever de la compétence du juge des enquêtes et des libertés (JEL). Il en va, également, ainsi de l'attribution de la qualité de partie pénale, en tant qu'acte juridictionnel. Le JEL devrait, en réalité, avoir le contrôle absolu de l'enquête et non pas un droit de regard purement formel sur le travail du Parquet, visant à valider des actes éventuellement douteux. C'est, notamment, à lui, que devrait revenir la décision de classer une affaire ou de la renvoyer devant une juridiction pénale, en cas de contestation d'une partie.

Au contraire, le texte présenté par le ministre de la Justice instaure la toute puissance du Parquet au détriment du JEL, "juge éclipse" (puisque la Chancellerie a refusé qu'il soit juge statutaire).

Le Ministère public concentrerait les pouvoirs d'enquête et de poursuite et se substituerait aux juridictions de jugement, eu égard aux fonctions juridictionnelles (notamment, attribution de la qualité de partie pénale à l'instance) et quasi-juridictionnelles (alternatives aux poursuites, etc.) qui lui seraient attribuées. Cette toute puissance a, également, été dénoncée, si besoin était, par Jean-Paul Jean, Avocat général près la cour d'appel de Paris et Professeur associé à l'Université de Poitiers : "le mot 'Parquet' trouve son origine dans le 'parc', qui désigne la juste distance entre les parties et le juge. Qu'en est-il de cette distance en l'espèce ?".

Christophe Regnard, vice-Président chargé de l'instruction au TGI de Nanterre et Président de l'USM a partagé ces vues. Il a regretté que les propositions formulées dans le rapport "Delmas-Marty" sur la mise en état des affaires pénale et qui reconnaissent au JEL un rôle dominant, n'aient pas été retenues.

Une réforme qui associe pleinement l'avocat à la procédure

Après avoir dressé l'historique de l'évolution du rôle de l'avocat dans le cadre de la procédure pénale, Franck Natali, vice-Président de la commission libertés et droits de l'Homme du CNB a conclu que, aujourd'hui, ce professionnel est associé aux enquêtes préliminaires, de flagrance et d'instruction.

Demain, il interviendra dans le cadre d'une enquête unique. A ce titre, le Garde des Sceaux a déclaré dans une interview que le contradictoire serait pleinement garanti pour toutes les enquêtes. Mais, aux vues du texte présenté, la situation ne changerait quasiment pas.

Sur la question de la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, le texte de Michèle Alliot-Marie prévoit un accès à un avocat dès la première heure de la procédure, ce dernier pouvant à nouveau intervenir à la douzième heure, mais, à chaque fois, pour une demi-heure. Les règles dérogatoires seraient maintenues. Notamment, en cas de terrorisme, l'avocat ne serait associé à la procédure qu'à la soixante-douzième heure de celle-ci. Mais, dans tous les cas, si l'officier de police judiciaire estime que cette présence est susceptible de nuire au déroulement de l'enquête, il pourrait s'y opposer.

Les avocats revendiquent, quant à eux, une présence tout au long de la mesure, avec un accès permanent aux pièces du dossier concernant leurs clients. Ils dénoncent, en outre, la création d'une audition libre de quatre heures pour les délits passibles d'une peine de prison inférieure ou égale à cinq ans, véritable zone de non droits.

Selon un article du Point, en date du 16 avril 2010, les Hauts magistrats de la Cour de cassation, réunis en assemblée générale, auraient considéré que l'avant-projet de loi de MAM "ne garantissait pas suffisamment les équilibres institutionnels et l'exercice des droits de la défense et des victimes". En ce sens, la Cour de cassation rejoint les positions du CNB et de l'USM.

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