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N6797BUB
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud
le 13 Mai 2015
Signalons d'abord un arrêt de la troisième chambre civile en date du 17 février 2015 (Cass. civ. 1, 17 février 2015, n° 13-25.491, F-D N° Lexbase : A0174NCG), rendu dans une affaire dans laquelle les vendeurs d'un lot de copropriété, qui avaient entrepris des transformations consistant en une division des lots, avaient vendu l'un des lots issus de cette division. Mais à la suite de désordres apparus en cours de chantier, les acquéreurs les ont assigné en réparation. Les premiers juges, pour rejeter l'action de ceux-ci fondée sur le dol, avaient retenu qu'au jour de la vente, aucune atteinte au bien vendu n'existait, puisque seule une action en référé fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49) avait été initiée par le propriétaire d'un appartement situé au cinquième étage, au titre de désordres affectant son lot, à l'exclusion des appartements situés au quatrième étage, et que cette procédure n'impliquait pas, au moment de la vente, le lot vendu aux demandeurs. Leur décision est cassée, sous le visa de l'article 1116 du Code civil, au motif que "qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le silence gardé par M. X. et la société L. [les vendeurs] sur l'existence d'une procédure diligentée à leur encontre par le propriétaire de l'appartement du cinquième étage ne constituait pas une réticence dolosive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision". Reprochant donc aux juges du fond de ne pas avoir recherché, avant de rejeter l'action des demandeurs, si le silence gardé par les vendeurs n'avaient pas porté sur un élément que les acquéreurs tenaient pour déterminant de leur consentement, l'arrêt confirme, ce dont personne ne doute à vrai dire, que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à l'autre un fait qui, s'il avait été connu de celle-ci, l'aurait empêché de contracter (11) voire, plus largement encore, qu'il y a dol d'une des parties au contrat qui n'a pas suffisamment attiré l'attention de l'autre partie sur les éléments susceptibles d'avoir une incidence sur son consentement.
Surtout, l'arrêt impose aux juges du fond, saisis d'une demande en nullité ou en réparation pour réticence dolosive, de procéder à cette recherche afin de ne pas s'exposer à une censure pour manque de base légale. Tout cela est parfaitement entendu, on le concèdera volontiers. Encore que la cassation ici prononcée révèle bien que la consigne n'est pas toujours parfaitement respectée par les juges du fond, dont les décisions sont ainsi parfois cassées en raison de leur insuffisance de motivation.
Plus délicate était la question posée par deux autres arrêts, en l'occurrence ceux de la Chambre commerciale du 10 février 2015 (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-25.008, F-D N° Lexbase : A4420NBC) et de la première chambre civile du 18 février 2015 (Cass. civ. 1, 18 février 2015, F-D N° Lexbase : A0115NCA). Dans ces deux affaires, des contractants, respectivement bénéficiaires d'un bail commercial dans un cas, et d'une prestation consistant dans la location d'une salle avec repas en vue de l'organisation d'un mariage dans l'autre, avaient demandé la nullité de leur contrat pour dol et l'indemnisation de leurs préjudices. Dans les deux cas, le silence gardé par le cocontractant sur un élément déterminant du consentement des demandeurs n'était pas, en tant que tel, discuté. Au point d'ailleurs que, sur la base du seul constat de celui-ci, les juges du fond avaient, dans ces deux affaires, accueilli les demandes formées par les contractants qui s'estimaient ainsi victimes d'une tromperie. La Cour de cassation, dans les deux arrêts, casse leur décision, leur reprochant à chaque fois de ne pas avoir établi que le silence était intentionnel. Dans l'arrêt du 10 février, il est, en effet, affirmé qu'en statuant comme elle l'a fait, "sans constater le caractère intentionnel de la réticence [...], la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ; et dans l'arrêt du 18 février, avec une formulation à peine différente, la Cour décide qu'en se déterminant comme elle l'a fait, "sans constater que le silence imputé à M. Z. [le prestataire] exprimait une réticence intentionnelle à l'égard des consorts X-Y, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".
La question à laquelle devait ainsi répondre la Cour de cassation était, dans ces deux affaires, tout à fait importante, tant d'ailleurs d'un point de vue théorique que pratique : l'errans doit-il prouver que le silence gardé par son partenaire était intentionnel, autrement dit que celui-ci avait sciemment gardé le silence dans le but de l'induire en erreur ? L'interrogation peut surprendre, l'intention de tromper étant classiquement présentée comme un élément constitutif du dol. Elle ne devrait d'ailleurs faire aucun doute dans l'hypothèse dans laquelle, comme en l'espèce, la victime demanderait la nullité du contrat -complétée, ici, par une demande de dommages et intérêts. Encore qu'on ne soit pas sans ignorer que certaines décisions, au demeurant très discutables en ce qu'elles conduisent à effacer l'élément intentionnel du dol, ont cru pouvoir faire peser sur le professionnel une présomption de mauvaise foi comparable à celle qui existe en matière de garantie des vices cachés (12). Sous cet aspect, les arrêts des 10 et 18 février doivent être approuvés, confirmant les décisions qui exigent soit un silence volontairement gardé (13), soit que la dissimulation ait été pratiquée "intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure le contrat" (14).
Là où l'on pourrait en revanche s'interroger, c'est, extrapolant la solution des arrêts des 10 et 18 février, en se demandant ce qu'il aurait fallu décider dans l'hypothèse dans laquelle la victime entendrait se contenter de dommages et intérêts à la suite de la réticence dolosive. Hypothèse qui peut se rencontrer soit lorsque le dol n'est qu'incident (15), soit lorsqu'il est principal, puisqu'on sait que, même dans ce cas, la victime du dol peut non seulement exercer cumulativement une action en nullité et une action en responsabilité permettant la réparation du préjudice causé par le dol (16), mais aussi, selon son intérêt, choisir de n'exercer qu'une action en responsabilité, non seulement lorsque l'action en nullité est elle-même recevable (17), mais aussi lorsqu'elle ne l'est plus, soit parce qu'elle est prescrite (18), soit parce que la victime a renoncé à l'exercer (19), soit parce qu'elle s'est désistée (20). On conçoit que peuvent être sous cet aspect rapprochées l'action en dommages et intérêts pour réticence dolosive et l'action en responsabilité civile de droit commun pour manquement à une obligation précontractuelle d'information, les deux actions ayant vocation à permettre la réparation d'un préjudice causé par une faute. Ce qui conduit d'ailleurs certains auteurs à considérer que lorsque la victime de l'erreur se contente de demander des dommages et intérêts, il ne serait pas utile d'exiger d'elle la preuve de l'intention de tromper de la part de celui qui est l'origine de la dissimulation, et ce au motif que l'action en dommages et intérêts serait une action en responsabilité civile délictuelle pour manquement à une obligation précontractuelle d'information, et que l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), qui en constitue le fondement, ne requiert en aucun cas la preuve d'un élément intentionnel (21). Dans leur Traité consacré à la formation du contrat, MM. Ghestin, Loiseau et Serinet font ainsi valoir que "l'action en dommages-intérêts pouvant être fondée sur l'article 1382 du Code civil et non sur l'article 1116, il en résulte qu'une faute intentionnelle n'est pas nécessaire. Une simple négligence suffit à justifier la condamnation de son auteur. On quitte le domaine du dol pour entrer dans celui de la simple faute, qui peut consister dans la violation d'une obligation d'informer l'autre partie" (22).
Alors que la première chambre civile avait paru sensible à cette analyse (23), la Chambre commerciale, elle, n'a jamais cessé d'exiger que soit rapportée la preuve du caractère intentionnel du silence pour que la victime puisse obtenir des dommages et intérêts (24). La troisième chambre civile avait, dans la foulée, d'ailleurs adopté la même solution, affirmant ainsi la nécessité d'établir la preuve de l'élément intentionnel de la réticence dolosive. Pour notre part, il nous semble cohérent que la victime d'une réticence dolosive, quand bien même déciderait-elle de ne demander que des dommages et intérêts, doive prouver non seulement l'élément matériel du dol, consistant ici dans le silence du cocontractant, mais aussi l'élément intentionnel du dol, autrement dit l'intention de tromper. Nous croyons, en effet que la réticence dolosive, consistant à tromper un contractant qui, s'il avait su, soit n'aurait pas contracté du tout, soit aurait tout de même contracté, mais à des conditions différentes, fussent-elles non essentielles, n'est pas assimilable à un simple manquement à une obligation précontractuelle d'information. C'est en cela que nous ne partageons pas tout à fait l'avis des auteurs précédemment cités : nous ne croyons pas que, sous prétexte que la victime qui invoque une réticence dolosive ne demanderait que des dommages et intérêts, on puisse dire qu' "on quitte [...] le domaine du dol". Le fondement sur lequel les victimes agissent dans les hypothèses qui sont discutées est d'ailleurs précisément l'article 1116 du Code civil. Sans doute pourrait-on faire valoir, dans un tel cas de figure, que la solution est sévère puisque le régime applicable dépend du texte sur lequel la victime entend fonder sa demande, alors que dans les deux cas, l'action, qu'elle repose sur le fondement de l'article 1382 ou de l'article 1116, tend au même résultat, en l'occurrence à l'allocation de dommages et intérêts. Soit. Mais il n'en demeure pas moins que l'action fondée sur une réticence dolosive n'est pas assimilable à celle fondée sur un manquement à une obligation précontractuelle d'information, la première devant relever d'un régime spécifique tenant au particularisme d'ordre moral du dol (25). C'est au conseil de la victime qu'il appartient de bien mesurer les conséquences du fondement sur lequel il entend faire reposer l'action de son client.
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