Lexbase Droit privé n°608 du 9 avril 2015 : Aviation civile

[Le point sur...] "Faux-bourdons" mais vraie règlementation : vers l'élaboration d'un véritable droit des drones

Lecture: 10 min

N6841BUW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] "Faux-bourdons" mais vraie règlementation : vers l'élaboration d'un véritable droit des drones. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/24073083-le-point-sur-i-fauxbourdons-i-mais-vraie-reglementation-vers-lelaboration-dun-veritable-droit-des-dr
Copier

par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

le 09 Avril 2015

Plus de 100 000 drones de loisirs ont été vendus en France en 2014 ! C'est dire l'engouement du public pour ces engins multi-rotors qui sillonnent les cieux français souvent dans l'illégalité la plus totale, surtout s'ils filment en même temps, sans parler de ceux qui survolent nuitamment des installations sensibles ou, tout simplement, des zones habitées. Leur règlementation s'appuie pour le moment sur deux arrêtés de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) du 11 avril 2012 (arrêtés du 11 avril 2012, relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord N° Lexbase : L0983ITL et relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent N° Lexbase : L0937ITU), qui sont devenus obsolètes et qu'il devenait urgent de revoir : c'est chose faite avec un projet d'arrêté qui vient d'être transmis le 27 mars 2015 à la Commission européenne en vue d'une utilisation plus facile des drones civils. Mais derrière ce mouvement apparent de simplification se dessine une règlementation vraisemblablement plus draconienne visant à contrôler ces petits appareils, véritables précurseurs dans la construction du droit de la robotique.
  • Qu'est-ce qu'un drone ?

Il n'existe en réalité aucune définition juridique du drone.

Est seulement visée par les textes la notion d'"aéronef télépiloté", circulant donc sans personne à bord.

Le terme de drone vient de l'anglais pour désigner un "faux-bourdon", le bruit de ces aérodynes s'apparentant au bourdonnement de ce sympathique, mais bruyant insecte.

On pourra également évoquer le terme de drone pour des engins robotisés terrestres ou sous-marins, mais il reste tout de même réservé principalement aux véhicules aériens, qu'on qualifie aux Etats-Unis d'UAV (acronyme de unmanned aerial vehicle ou véhicule aérien sans pilote à bord) et selon la nomenclature internationale de RPA (remotely piloted aircraft)

Lorsque l'on s'adonnera à des activités de loisirs ou de compétition, de vitesse ou de maniabilité par exemple, on parlera dans ce cas d'aéromodélisme.

Rappelons que la vocation initiale des drones était, et demeure largement encore à ce jour, militaire. C'est bien entendu le développement de l'utilisation des aéromodèles par un large public, à des fins civiles, qui a amené notre Direction générale de l'aviation civile à prendre deux arrêtés en avril 2012 qui constituent aujourd'hui la base du droit des drones en France.

  • Comment sont-ils régis aujourd'hui ?

La législation française régule de manière stricte les vols de drones aériens depuis le 11 avril 2012.

Depuis cette date, les deux arrêtés publiés le 10 mai 2012 au Journal officiel ont abrogé tous les textes existants qui étaient inadaptés au travail aérien par drone et s'appliquent à tous, sur le territoire français.

Le premier de ces arrêtés concerne "l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord".

Le second s'intéresse à "la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités nécessaires des personnes qui les utilisent".

Les différentes catégories de drones sont les suivantes :

- les catégories C, D et E regroupent les aéronefs utilisables pour la vidéo et /ou photo aérienne ;

- les catégories A et B sont interdites de travail aérien, voués à des fins de loisirs uniquement ;

- et les catégories F et G sont réservés aux usages militaires.

On ne peut faire fonctionner les drones civils que de façon extrêmement restreinte et deux régimes très particuliers sont à respecter :

- le premier est celui des aéromodèles (ou aéronefs de catégorie A), qui correspond aux drones de faible puissance et de masse inférieure à 25 kg. Ces drones peuvent circuler hors zone peuplée, sans conditions relative à l'appareil, à son télépilote ou à une autorisation, sous réserve toutefois de ne pas dépasser une altitude de 150 mètres. Dans tous les autres cas, la circulation est interdite ou il faut une autorisation ;

- le second s'applique aux drones équipés d'un dispositif de prise de vue. D'aéromodèle, le drone équipé d'une caméra devient effectivement un aéronef de catégorie D. Dès lors, sans diplôme, sans autorisation de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et sans contrôle des données techniques de l'appareil, il n'est pas autorisé, que ce soit en zone peuplée ou dans le désert le plus total.

En réalité, à ce jour, le seul moyen de voler légalement et sans autorisation avec un modèle de ce type, demeure une utilisation purement domestique ! Mais attention : même dans son jardin, il ne faut pas avoir de proches voisins.

Devant la recrudescence des récents survols non autorisés qui ont défrayé la chronique, la DGAC a publié en concertation avec la CNIL, les constructeurs et les principales fédérations concernées, une notice d'avertissement sur les règles d'usage à destination des consommateurs.

Pour l'aéromodélisme, comme pour les activités dites "particulières" (donc professionnelles comme la surveillance de structure de bâtiments ou l'agriculture) l'accès à l'espace aérien est libre en dessous de 150 mètres (en dérogation aux règles de l'air habituelles, qui contraignent les autres aéronefs civils à voler au-dessus de cette hauteur sauf autorisations particulières), mais

- en dehors des agglomérations et des rassemblements de personnes ou d'animaux ;

- en dehors des zones proches des aérodromes ;

- et en dehors d'espaces aériens spécifiquement règlementés qui figurent sur les cartes aéronautiques.

Le survol des agglomérations ou des rassemblements de personnes n'est possible que dans le cadre d'une autorisation préfectorale délivrée après avis du service de la défense et de la direction régionale de l'aviation civile.

Les activités à proximité des aérodromes, dans des espaces règlementés, ou au-dessus de 150 mètres nécessitent de prendre contact avec les services de la direction régionale de l'aviation civile. Leur autorisation sera fréquemment soumise à l'établissement d'un protocole avec les responsables de l'aérodrome ou de la zone d'espace aérien concerné. C'est dans ce cadre que des activités d'aéromodélisme peuvent notamment trouver place sur des aérodromes d'aviation générale.

Par ailleurs, seuls les vols en vue sont autorisés pour les aéromodèles.

En conclusion, il faut donc circuler en zone non peuplée, sans prise de vue, à l'altitude réglementaire ou obtenir toutes les autorisations nécessaires pour éviter les poursuites judiciaires.

Il résulte bien entendu de ce qui précède que faire voler un appareil en rase campagne, loin d'un village, est donc beaucoup plus aisé qu'en ville... A Paris, les survols sont purement et simplement interdits. Bien sûr, un champ ne peut être survolé sans l'autorisation de son propriétaire et a fortiori une centrale nucléaire.

  • Les sanctions civiles et pénales

Le télépilote d'un drone est responsable des dommages causés par l'évolution de l'aéronef ou les objets qui s'en détachent aux personnes et aux biens de la surface. En cas d'accident grave causé par l'engin sur un piéton par exemple, c'est l'article L. 6131-2 du Code des transports (N° Lexbase : L6338IN3) qui va s'appliquer et son volet pénal (C. pén., art. 222-19 N° Lexbase : L3401IQZ) : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Si la mise en oeuvre du drone s'est fait en violation des règles de sécurité, les dispositions pénales du Code des transports s'appliquent : peine maximale d'un an d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende (C. transports, art. L. 6232-4 N° Lexbase : L6290INB).

Trouvent également à s'appliquer la violation du Code de l'aviation (C. aviation civ., art. R. 151-1 N° Lexbase : L2042INX, avec une amende pour contravention de 3ème classe) et surtout l'article 223-1 du Code pénal (N° Lexbase : L3399IQX) pour mise en danger de la vie d'autrui (un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende)

Dès lors qu'un drone est équipé d'un appareil photo, d'une caméra mobile, d'un capteur sonore ou encore d'un dispositif de géolocalisation, il peut potentiellement porter atteinte à la vie privée, capter et diffuser des données personnelles.

La prise de vue aérienne est réglementée par l'article D. 133-10 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L4243HBR).

Dans le respect de ses dispositions, il est possible de réaliser des prises de vue avec un aéromodèle, dans le cadre du loisir ou de la compétition mais limité à un but privé excluant usage commercial publicitaire ou professionnel. Les autres cas de prises de vue seront traités obligatoirement au titre des activités particulières.

Quelles sont les sanctions ? Outre la confiscation du matériel, le Code de l'aviation civile régit de façon très stricte les prises de vue : toute prise de vue non autorisée expose son auteur à une contravention de cinquième classe (1 500 euros d'amende, voire 3 000 euros en cas de récidive).

L'article 226-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2092AMG) prévoit une punition d'un an emprisonnement et 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

- en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

- en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé

On pourrait ajouter également à l'arsenal répressif la violation de l'article L 39-1 du Code des postes et télécommunications (N° Lexbase : L0123IRY) en cas d'utilisation d'une fréquence non autorisée, ainsi que celles combinées des articles 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY).

Comment ne pas citer enfin l'article L. 6372-4 du Code des transports (N° Lexbase : L6190INL) pour l'entrave à la navigation ou la circulation aérienne (5 ans d'emprisonnement et 18 000 euros d'amende).

  • L'évolution de la réglementation

Devant s adapter au succès grandissant de ces engins aux si nombreuses applications ludiques ou professionnelles, il était donc devenu indispensable d'adapter la règlementation.

C'est pourquoi la France vient de transmettre en date du 27 mars dernier à la Commission européenne un projet de nouvel arrêté "relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent".

Une des volontés clairement affichées est de faciliter la prise de vue par des particuliers, actuellement très limitées par l'arrêté du 11 avril 2012, puisque les prises de vues aériennes seraient expressément autorisées au cours de vols "dont l'objectif reste le loisir ou la compétition et lorsque les vues réalisées ne sont pas exploitées à titre commercial".

Un particulier devrait donc pouvoir utiliser son drone de loisir équipé d'une caméra avec beaucoup moins de contraintes (sous réserve de celles de l'article D. 133-10 du Code de l'aviation civile N° Lexbase : L4243HBR et bien sur du respect de la vie privée), en vue directe et si le vol est automatisé, le pilote devra pouvoir en reprendre le contrôle à tout moment.

Ce projet d'arrêté porte sur les dispositions applicables en matière de navigabilité, d'opérations et d'exigences relatives aux télé-pilotes des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord utilisés à des fins de loisir ou de compétitions (baptisés dans ce cas aéromodèles), d'expérimentations ou dans les autres cas (dits activités particulières, correspondant aux usages à des fins professionnelles) ne relevant pas du Règlement européen (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008, concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile ([LXB=L4223IQH ]).

Les vols dits autonome seront interdits et la notion de zone peuplée est précisée.

Le projet d'arrêté contient des règles techniques applicables aux aéromodèles de masse supérieure à 8 kilogrammes et ne disposant pas de mode de fonctionnement sans assistance logicielle et à tout aéromodèle de masse supérieure à 25 kilogrammes au sein de l'annexe I.

Il contient également des règles techniques applicables aux aéronefs qui circulent sans personnes à bord et utilisés à des fins professionnelles au sein du chapitre 2 de l'annexe III.

Ces règles techniques dépendent des types d'opérations considérées et peuvent être un prérequis à la délivrance d'un agrément de navigabilité appelé "attestation de conception" pour la conduite de ces opérations. Les règles énoncées au chapitre 2 de l'annexe III portent sur la conception, la documentation, la structure, les dispositifs de sécurité obligatoires et le maintien de la navigabilité.

Les exigences techniques contenues dans le projet d'arrêté sont établies afin de garantir un niveau de sécurité acceptable pour les personnes au sol ou à bord d'autres aéronefs et sont proportionnelles aux risques liés aux opérations considérées. Le respect des exigences techniques applicables aux aéronefs circulant sans personne à bord est éventuellement validé par la délivrance d'un agrément de navigabilité.

Conformément à la Convention relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944 et notamment son annexe 2, un aéronef qui circule sans personne à bord immatriculé à l'étranger nécessitera une autorisation de l'autorité afin d'évoluer au-dessus du territoire français.

Cette autorisation sera automatiquement délivrée sous respect des conditions techniques prévues par ce projet d'arrêté ou par le biais d'une autorisation spécifique lorsque le maintien d'un niveau de sécurité acceptable pour les personnes au sol ou à bord d'autres aéronefs et, le cas échéant, la conformité aux conditions techniques complémentaires notifiées par le ministre chargé de l'aviation civile auront été démontrés, conformément à l'article 7.

Une particularité : l'arrêté ne concernera pas les appareils évoluant à l'intérieur de bâtiments fermés.

Une période dite de "statu quo" est désormais ouverte suite à la notification de ce texte à la Commission européenne, qui aura jusqu'au 29 juin 2015 pour faire valoir ses observations sur le projet.

On sait d'ores et déjà que la Commission, dont l'estonien Siim Kallas est vice-président chargé des transports, est très attentive aux questions de sécurité et de respect de la vie privée (1) et que les belges, qui ont aussi sur le feu un projet d'arrêté royal sur la question, ont une approche encore plus rigoureuse que la nôtre.

  • Le futur droit des drones

Le mouvement vers un nouveau droit des drones est donc en marche, d'autant que parallèlement se profilent déjà des autorisations de tests pour des livraisons commerciales (comme les propositions de l'Agence fédérale américaine FAA pour l'utilisation de petits drones de moins de 25 kg pour la livraison de colis, sous réserve de vols à vue diurnes, ne dépassant pas une altitude de 400 pieds, hors survol de zones habitées, et avec un pilote breveté)

La sécurité étant en première ligne des préoccupations des pouvoirs publics, les projets de type "boréades" pour localiser les télépilotes et neutraliser les drones en brouillant leur GPS sont à l'étude, de même que l'immatriculation de ces engins est également à l'ordre du jour : il s'agirait d'obliger les constructeurs à équiper les drones de puces d'identification et d'un transpondeur. Celui-ci émettrait le numéro d'identification unique du drone, enregistré dans une base centralisée à la manière du Système d'immatriculation des véhicules.

Les anglais préconisent pour leur part une véritable base de données des drones, qui aurait une vocation internationale, une sorte de "carte grise" dont les aéromodèles sont pour le moment dispensés.

Et ce ne sont que les premiers pas, puisque les avancées technologiques doivent permettre aux drones d'acquérir de plus en plus d'autonomie, vers un véritable droit de ces robots volants, avant le développement d'un régime de responsabilité, voire peut-être de la création d'une personnalité juridique adaptée, concept cher à notre confrère Alain Bensoussan.


(1) Préconisations du 8 avril 2014.

newsid:446841

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.