Réf. : Cass. civ. 3, 11 mars 2015, n° 13-25.787, FS-P+B (N° Lexbase : A3180ND7)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté), Membre du Conseil d'administration de l'Association française de Droit rural
le 16 Juin 2017
En appel, le bailleur demande le règlement d'un loyer supérieur à celui fixé par les premiers juges en invoquant un rapport d'expert dont il avait obtenu la désignation sur requête, fixant le prix du bail renouvelé à 130 euros l'hectare, ainsi que le remboursement d'une quote-part d'impôt foncier, demande qui a été initialement rejetée à défaut d'accord amiable entre les parties.
Par un arrêt du 2 septembre 2013, la cour d'appel de Riom (3) rejette cette dernière prétention qui se heurte aux clauses du bail. Par ailleurs, la cour d'appel retient que le tribunal a, par une analyse exhaustive des éléments de fait, exactement admis que le prix du bail ne pouvait excéder une somme de 120 euros l'hectare, point sur lequel les preneurs demandaient la confirmation du jugement entrepris. Par conséquent, le jugement critiqué est confirmé sur ce deuxième point également. Enfin, le bailleur prétendait que le prix du nouveau bail devait s'appliquer à la date du renouvellement. Il prétendait que le bail s'était trouvé renouvelé aux conditions du bail précédent en raison du défaut d'accord entre les parties à la date du renouvellement. Pour la cour d'appel, si l'action en fixation du loyer du nouveau bail, engagée dix-huit mois après le renouvellement de ce dernier est recevable, pour autant le prix doit être établi conformément aux articles L. 411-11 (N° Lexbase : L9147IMQ) à L. 411-16 du Code rural et de la pêche maritime, et que l'article L. 411-13 du même code (N° Lexbase : L3973AEU) précise que le tribunal fixe le prix pour la période restant à courir à partir de la date de la demande.
Sur pourvoi du bailleur, la Cour de cassation censure cette analyse pour violation de l'article L. 411-50 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L4011AEB), le prix du bail renouvelé prenant effet à la date du renouvellement, quelle que soit la date de la saisine du tribunal. Ce contentieux permet de rappeler les conditions de l'action en fixation du prix du bail renouvelé (I) ainsi que celles relatives à la fixation du prix du bail renouvelé (II).
I - L'action en fixation du prix du bail renouvelé
Simultanément l'arrêt rendu par la cour d'appel de Riom et la décision de la Cour de cassation permettent d'évoquer la distinction de l'action en révision du fermage de celle en fixation du prix du bail renouvelé (A) ainsi que l'absence de délai pour saisir le tribunal paritaire des baux ruraux (B).
A - Distinction avec l'action en révision du fermage
L'article L. 411-50 du Code rural et de la pêche maritime dispose qu'à défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans. En cas de désaccord entre les parties sur le prix du bail renouvelé, le tribunal fixe le prix conformément aux articles L. 411-11 à L.411-16 du même code, dispositions relatives à la fixation du prix du bail initial. Pour cette raison, la cour d'appel détermine le point de départ du prix du bail renouvelé en se fondant sur l'une des dispositions auxquelles renvoie l'article L. 411-50 précité, l'article L. 411-13. Or, cette disposition légale concerne l'action en révision du fermage. Sur ce point, la Cour de cassation a considéré, depuis une cinquantaine d'années, que l'action en fixation du prix du bail renouvelé est distincte de l'action en révision du fermage (4), analyse admise également en doctrine. Par conséquent, la révision du prix du fermage consiste en une modification des éléments de calcul alors que le prix du nouveau contrat est une simple adaptation du prix initialement fixé en fonction de l'évolution de l'arrêté préfectoral de référence et des indices applicables ainsi que, le cas échéant des améliorations effectuées par le preneur au cours du bail écoulé (5). Il convient alors de distinguer la révision du fermage de la fixation du loyer du bail renouvelé. En l'espèce, les juges du fond avaient confondu les deux actions, ce qui peut expliquer la censure prononcée ultérieurement.
B - L'absence de délai pour saisir le tribunal paritaire des baux ruraux
En l'espèce, la cour d'appel avait considéré que la date du bailleur engagée dix-huit mois après le renouvellement du bail était recevable, sans autre explication. L'article L. 411-50 précité ne contient aucune indication, ni aucun délai pour intenter l'action en fixation du prix du bail renouvelé. Dans un premier temps, la Cour de cassation a exigé que cette demande soit intentée à une époque voisine du renouvellement du contrat (6). Puis elle est revenue sur cette solution en abandonnant ce critère d'utilisation, peu utilisé par les juges du fond, pour affirmer que la loi n'impose aucun délai pour former une demande en fixation du prix du bail renouvelé (7). Cette solution a été récemment rappelée par la Haute cour (8). Dans ces conditions, la demande peut être intentée dans les derniers mois de l'exécution du contrat ; rien ne semble l'y interdire, sauf peut-être la mauvaise foi, l'abus de droit ou bien la fraude.
II - Fixation du prix du bail renouvelé
Lorsque le juge est saisi d'une demande de fixation du prix du bail renouvelé, il doit respecter les impératifs des articles L. 411-11 et suivants, comme l'impose l'article L. 411-50 précité (A), et ne dispose qu'aucun pouvoir pour fixer la date d'application du prix du bail renouvelé (B).
A - L'obligation faite au juge de fixer le prix du nouveau bail
Afin de remplir sa mission et parvenir à déterminer le prix du nouveau bail (9), le tribunal peut ordonner une ou plusieurs expertises, comme en l'espèce. Toutefois, il doit motiver sa décision afin que la Cour de cassation puisse exercer son contrôle (10) en cas de contestation formulée par l'une des parties dans un pourvoi.
En l'espèce, la cour d'appel avait retenu que le tribunal a, par une analyse exhaustive des éléments de fait, exactement admis que le prix du bail ne pouvait excéder une somme de 120 euros l'hectare, point sur lequel les preneurs demandaient la confirmation du jugement entrepris. La cour d'appel précise que la divergence d'appréciation entre les deux rapports d'expertises provient du classement à attribuer des biens donnés à bail et des définitions données par l'arrêté préfectoral applicable. En raison de leur situation en "Sologne bourbonnaise" et de leur sensibilité aux aléas climatiques et ayant des rendements moyens, ces terres ne pouvaient être classées en 1ère catégorie. Par conséquent, le prix fixé par le tribunal paritaire des baux ruraux correspond à l'exacte valeur locative selon la cour d'appel. Dans ces conditions, l'argument avancé par le bailleur, selon lequel les preneurs auraient initialement accepté de payer un prix correspondant à la 1ère catégorie de terres agricoles est sans effet, car cela reviendrait à conduire les preneurs à renoncer à discuter la classification donnée aux biens loués. En procédant de la sorte, les juges du fond ont motivé leur décision permettant ainsi à la Cour de cassation d'exercer son contrôle.
B - La date d'application du prix du nouveau bail
Le bailleur a saisi la Cour de cassation, critiquant dans son pourvoi la date d'application du prix du nouveau bail. En effet, la cour d'appel, se fondant sur l'article L. 411-13 du Code rural et de la pêche maritime relatif à l'action en révision du montant du fermage, a considéré que le nouveau loyer devait entrer en application à la date de la demande du bailleur, autrement dit à la date de la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux. La Cour de cassation censure l'arrêt sur ce point pour violation de l'article L. 411-50 précité. Les dispositions de l'article L. 411-13 ne s'appliquant pas à la fixation du prix du bail renouvelé, il n'y a pas lieu de se référer aux indications énoncées par ce texte. Dans ces conditions, la date d'application du prix du nouveau bail prend effet à la date du nouveau bail. La solution est cinquantenaire (11), la Cour de cassation la rappelle dans l'arrêt du 11 mars 2015.
(1) B. Peignot, A. Guyvarc'h, P. Van Damne, Le statut du fermage, collec. Agridécisions, Droit de l'entreprise agricole, 3ème éd., 2013, La France Agricole, p. 109.
(2) Ch. Dupeyron, J.-P. Théron et J.-J. Barbièri, Droit agraire, Economica, vol. 1, 2ème éd., 1994, p. 389, spé. n° 610.
(3) CA Riom, 1ère ch. civ., 2 septembre 2013, n° 12/02376 (N° Lexbase : A5132KKB).
(4) Cass. soc., 21 janvier 1965, n° 63-12.403 (N° Lexbase : A1915NGZ), Bull. civ. V, n° 62 ; Cass. civ. 3, 28 octobre 1974, n° 73-12.289 (N° Lexbase : A9771AGY), Bull. civ. III, n° 385, JCP éd. N, 1975, prat. 6005, p. 213 ; Cass. civ. 3, 11 mai 1988, n° 87-10.167 (N° Lexbase : A2654AHR), Bull. civ. III, n° 91, JCP éd. N, 1988, II, p. 266, obs. J.-P. Moreau.
(5) Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-18.168 (N° Lexbase : A3543DRN), Bull. civ. III, n° 185, RD rur., 2007, comm. 177, obs. S. Crevel, JCP éd. G, 2007, AJDI, 2007, p. 34, obs. J.-P. Blatter, Rev. Loyers, 2007, p. 128, note J. Prigent.
(6) Cass. soc., 13 mai 1965, n° 63-13.202 (N° Lexbase : A1916NG3), Bull. civ. V, n° 381.
(7) Cass. civ. 3, 26 janvier 1982, n° 80-11.767 (N° Lexbase : A0220CKD), Bull. civ. III, n° 23, Rev. Loyers, 1982, p. 190.
(8) Cass. civ. 3, 27 novembre 2012, n° 11-22.046, F-D (N° Lexbase : A8695IXC).
(9) Cass. civ. 3, 17 septembre 2013, n° 12-22.365, F-D (N° Lexbase : A4901KL4), RD rur., 2013, comm. 193, obs. S. Crevel, et RD rur., 2014, Etude 4.
(10) Cass. civ. 3, 26 mai 1983, n° 82-11.351 (N° Lexbase : A0808CK7), Bull. civ. III, n° 122, Defrénois, 1983, p. 1583, note G. Vermelle.
(11) Cass. soc., 20 février 1964, Bull. civ. V, n° 154, JCP, 1964, II, 13667, note P. Ourliac.
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