Lexbase Droit privé - Archive n°636 du 10 décembre 2015 : Autorité parentale

[Panorama] L'enfant et le droit : panorama d'actualité (septembre à décembre 2015)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Encyclopédies du pôle "Famille"

le 10 Décembre 2015

Les différents acteurs de la scène juridique ont accordé durant les derniers mois de l'année 2015 une attention particulière à l'enfant mineur. C'est tout d'abord l'enfant en sa qualité d'objet de droits, dont des tiers sont titulaires, qui bénéficie de réforme ou de précisions. Les parents mais aussi les médecins se voient en effet reconnaître des droits pour renforcer la protection dont l'enfant a besoin. A ce titre, il faut signaler que l'Assemblée nationale a adopté, le 18 novembre 2015, en deuxième lecture la proposition de loi sur la protection de l'enfant, dont on peut espérer qu'elle arrivera au terme de son parcours législatif dans quelques mois, après un passage par une commission mixte paritaire. En outre, le mineur est également appréhendé en sa qualité de sujet actif notamment par le droit international et européen de ces derniers mois, à travers la consécration de certains droits participatifs. Les évolutions récentes s'organisent autour de trois thèmes principaux que sont la réforme de l'administration légale (I), la protection de l'enfant maltraité (III) et les déplacements de l'enfant à travers les frontières (II). I - La réforme de l'administration légale

Modernisation. L'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, portant simplification et modernisation du droit de la famille (N° Lexbase : L0901KMC) (1), a été prise en application de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (N° Lexbase : L9386I7R) (2) qui a autorisé le Gouvernement à simplifier et moderniser le droit de la famille par ordonnance. Ce mouvement de modernisation concerne notamment les règles "relatives à la gestion par les citoyens des biens de leurs enfants mineurs". L'ordonnance de 2015 procède à une déjudiciarisation de l'administration légale et à "un lissage des pouvoirs de l'administrateur unique et ceux découlant de l'administration légale aux mains des deux parents" (3).

Recodification. L'ordonnance du 15 octobre 2015, applicable à compter du 1er janvier 2016, à toutes les administrations légales en cours et à venir, a modifié la codification des dispositions relatives à l'administration, la représentation et la jouissance légale.

Le chapitre II du titre IX livre 1er du Code civil, sur les personnes, intitulé "De l'autorité parentale relativement aux biens des enfants", contient dans les nouveaux articles 382 (N° Lexbase : L1691KML) à 387-6 toutes les dispositions relatives à l'administration légale (section 1re), la jouissance légale (section 2), et l'intervention du juge des tutelles (section 3).

Le titre X du livre 1er, anciennement intitulé "De la minorité et de l'émancipation", s'intitule désormais "De la minorité, de la tutelle et de l'émancipation". Il comporte trois chapitres :

- le chapitre Ier "De la minorité", qui comprend seulement les articles 388 (N° Lexbase : L8348HW4) à 388-2, la section de l'administration légale qui comprenait les articles 389 (N° Lexbase : L8353HWB) à 389-8 ainsi que l'article 388-3 (N° Lexbase : L8352HWA) ayant été abrogés ;
- le chapitre II "De la tutelle", qui comprend les articles 390 (N° Lexbase : L1713KME) à 413 ;
- le chapitre III "De l'émancipation", qui comprend les articles 413-1 (N° Lexbase : L8385HWH) à 413-8.

L'article 4 de l'ordonnance du 15 octobre 2015 restructure le titre X du livre 1er du Code civil consacré à la minorité, la tutelle et l'émancipation puisque les dispositions relatives à l'administration légale qui figurait dans ce titre au chapitre 1er ont été déplacées dans le titre IX. Le premier chapitre de ce titre demeure consacré à la minorité et comprend les articles 388 (N° Lexbase : L8348HW4) à 388-2, parmi lesquels figurent deux nouveaux articles 388-1-1 (N° Lexbase : L1461KM3) et 388-1-2 (N° Lexbase : L1462KM4) qui reprennent en réalité les anciens articles 389-3 et 389-8.

Selon le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille (4), "le législateur a entendu mettre fin à un système stigmatisant pour les familiales monoparentales, qui, par le mécanisme de l'administration légale sous contrôle judiciaire, devaient être systématiquement soumises au contrôle du juge". Cette modification de l'administration légale conduit à une restructuration complète des règles relatives à l'administration légale qui se traduit, en premier lieu, par le fait que l'ensemble des règles sont insérées dans le chapitre II du titre IX du livre Ier du Code civil consacré à l'exercice de l'autorité parentale relativement aux biens de l'enfant et sont désormais autonomes, les renvois antérieurs au régime de la tutelle ayant disparu.

Régime unique. L'ordonnance du 15 octobre 2015 supprime les qualifications d'administration légale pure et simple et d'administration légale sous contrôle judiciaire au profit d'une simple dévolution de l'administration légale en fonction de l'exercice de l'autorité parentale. Le nouvel article 382 du Code civil (N° Lexbase : L1691KML) affirme de manière générale que "l'administration légale appartient aux parents". Lorsqu'ils exercent ensemble l'autorité parentale, chacun d'eux est administrateur légal (C. civ., nouv. art. 382). "Dans les autres cas [dans lesquels il n'y a pas d'exercice en commun de l'autorité parentale], l'administration légale appartient à celui des parents qui exerce l'autorité parentale". Ainsi en cas d'exercice de l'autorité parentale par un seul parent, celui-ci est administrateur légal sans restriction. La nouveauté réside dans le fait que, contrairement à ce que prévoyait l'ancien article 383 du Code civil (N° Lexbase : L2935ABC), cette administration légale n'est pas soumise au contrôle du juge.

Fonctionnement commun. Le fonctionnement de l'administration légale est désormais le même dans toutes les hypothèses d'administration légale, que celle-ci soit attribuée à un seul ou aux deux parents de l'enfant. Dans tous les cas, les administrateurs peuvent accomplir tous les actes qui ne sont pas soumis à autorisation judiciaire par le nouvel article 387-1 du Code civil (N° Lexbase : L1455KMT). Ainsi, certains actes qui devaient auparavant être autorisés par le juge des tutelles dans le cadre de l'administration légale sous contrôle judiciaire, peuvent désormais être accomplis par le seul administrateur qui exerce unilatéralement l'autorité parentale. Il en va ainsi par exemple des placements de capitaux liquides, de la mise en location-gérance d'un fonds de commerce, de la constitution de droits réels sur des immeubles ou des fonds de commerce.

Cogestion. Dans le cadre d'une administration légale commune, la règle de la cogestion est maintenue, le nouvel article 382-1 du Code civil (N° Lexbase : L1450KMN) disposant que "lorsque l'administration légale est exercée en commun par les deux parents, chacun d'eux est réputé, à l'égard des tiers, avoir reçu de l'autre le pouvoir de faire seul les actions d'administration portant sur les biens du mineur. La liste des actes qui sont regardés comme des actes d'administration est définie dans les conditions de l'article 496". Si la règle est au fond la même qu'avant la réforme, les parents devant se mettre d'accord lorsque l'acte envisagé est empreint d'une certaine gravité et peuvent agir séparément pour ceux qui n'engagent pas l'avenir du patrimoine du mineur, le nouveau texte est plus précis, d'autant qu'il renvoie, à travers la référence à l'article 496 (N° Lexbase : L8492HWG), à la classification des actes d'administration et de disposition contenue dans l'annexe du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 (N° Lexbase : L4112ICB) (5). Le nouvel article 387 du Code civil (N° Lexbase : L1686KME ; C. civ., anc. art. 389-5, al. 2 N° Lexbase : L8358HWH) prévoit qu'"en cas de désaccord entre les administrateurs légaux, le juge des tutelles est saisi aux fins d'autorisation de l'acte".

Actes nécessitant une autorisation judiciaire. Le nouvel article 387-1 du Code civil (N° Lexbase : L1455KMT) établit une liste exhaustive des actes que l'administrateur légal (qu'il soit seul ou non) ne peut accomplir seul sans autorisation du juge. Huit actes sont visés par le texte. Les quatre premiers sont les actes qui étaient visés par l'ancien article 389-5 du Code civil et qui devaient être autorisés par le juge en cas d'administration légale conjointe ; il s'agit de la vente d'un immeuble ou fonds de commerce appartenant au mineur, de l'apport en société d'un immeuble ou d'un fonds de commerce appartenant au mineur, d'un emprunt contracté au nom du mineur, de la renonciation pour le mineur à un droit, d'une transaction ou compromission en son nom. Aux actes visés par l'ancien article 389-6 du Code civil (N° Lexbase : L8359HWI) s'ajoutent l'acceptation d'une succession revenant au mineur, l'acquisition des biens du mineur et leur prise à bail, la constitution d'une sûreté au nom du mineur pour garantir la dette d'un tiers. L'article 387-1 du Code civil soumet également à l'autorisation du juge des tutelles, compte tenu des risques que peut comporter ce type d'opération, la réalisation d'un acte "portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers au sens de l'article L. 122-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9722DYQ), si celui-ci engage le patrimoine du mineur pour le présent ou l'avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur". Le texte précise que l'autorisation détermine les conditions de l'acte et s'il y a lieu le prix ou la mise à prix pour lequel l'acte est passé. Ces actes n'étaient pas antérieurement soumis à un contrôle judiciaire dans le cadre de l'administration légale pure et simple. On peut ainsi considérer que le contrôle judiciaire est renforcé pour les parents qui administrent conjointement les biens de leur enfant. A l'inverse ces actes rentraient déjà dans la catégorie des actes autorisés dans le cadre de l'administration légale sous contrôle judiciaire. L'article 387-1 permet, en outre, à l'administrateur légal d'acheter lui-même les biens du mineur avec l'autorisation de juge des tutelles, ce qui lui était jusque-là interdit.

Actes interdits. Le nouvel article 387-2 du Code civil (N° Lexbase : L1456KMU), applicable à toutes les hypothèses d'administration légale, établit une liste exhaustive d'actes que l'administrateur légal ne peut accomplir même avec une autorisation et reprend les actes soumis à ce régime antérieurement : l'aliénation gratuite des biens ou des droits du mineur, l'acquisition auprès d'un tiers un droit ou une créance pour le mineur, l'exercice du commerce ou d'une profession libérale au nom du mineur et le transfert dans un patrimoine fiduciaire de biens ou de droits du mineur. On notera que la constitution gratuite d'une sûreté pour garantir la dette d'un tiers qui aurait pu être analysée comme une aliénation gratuite des droits du mineur (6) fait partie de la liste des actes devant être autorisés par le juge (cf. supra). Il s'agit d'une consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait considéré qu'il est possible de "grever de droits réels les immeubles du mineur lorsque ces actes sont conformes à l'intérêt de celui-ci" (7).

Administrateur ad hoc. Le recours à l'administrateur ad hoc en cas d'opposition d'intérêts a été précisé par le nouveau texte (C. civ., nouv. art. 383 N° Lexbase : L1690KMK) qui prévoit qu'en cas d'administration légale conjointe, l'opposition d'intérêts doit exister entre les intérêts de l'enfant d'une part, et les intérêts de ses deux administrateurs légaux d'autre part. En effet l'alinéa 3 du nouvel article 383 précise que "lorsque les intérêts d'un des deux administrateurs légaux sont en opposition avec le mineur, le juge des tuteurs peut autoriser l'autre administrateur légal à représenter l'enfant pour un ou plusieurs actes déterminés". Il pourra en être ainsi pour une donation effectuée par un parent au bénéfice de l'enfant, que l'autre pourra accepter seul.

Contrôle a posteriori. L'article 388-3 du Code civil (N° Lexbase : L8352HWA) qui assignait au juge des tutelles et au procureur de la République une mission générale de surveillance des administrations légales et des tutelles de leur ressort est abrogé. Elle est remplacée par le contrôle facultatif que le juge des tutelles peut mettre en place lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation ou alerté par un tiers. L'article 385 du Code civil (N° Lexbase : L1688KMH) rappelle cependant à l'administrateur légal qu'il doit apporter dans la gestion des biens du mineur "des soins prudents, diligents et avisés dans le seul intérêt de l'enfant", mettant ainsi l'accent sur le caractère de "droit fonction" de l'administrateur légal. L'article 387-6 du Code civil (N° Lexbase : L1460KMZ) impose à l'administrateur légal de déférer aux convocations du juge des tutelles et du procureur de la République et de leur communiquer toute information qu'ils requièrent, sous peine de voir prononcer contre lui des injonctions et une amende civile.

Par ailleurs le juge des tutelles peut mettre en place un contrôle de certaines administrations légales lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige. Les articles 387-3 (N° Lexbase : L1457KMW), 387-4 (N° Lexbase : L1458KMX) et 387-5 (N° Lexbase : L1459KMY) du Code civil issus de l'ordonnance du 15 octobre 2015 instaurent un contrôle judiciaire des administrations légales mis en place si le besoin s'en fait sentir, dans des situations dans lesquelles serait identifié un risque d'atteinte aux intérêts du mineur. Ce contrôle peut prendre trois formes différentes : la subordination de certains actes à une autorisation judiciaire, l'exigence d'un inventaire ou d'un compte de gestion annuel. Ce dispositif peut, selon l'article 387-1 du Code civil, être mis en place soit à l'initiative du juge saisi à l'occasion du contrôle des actes mentionnés à l'article 387-1 (al. 1er), soit à l'initiative des parents ou de l'un d'eux, du ministère public, ou de tout tiers ayant connaissance d'actes ou d'omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d'une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci (al. 2). Le contrôle judiciaire doit être nécessaire à la sauvegarde des intérêts du mineur en considération de la composition ou de la valeur du patrimoine de celle-ci, de son âge ou de sa situation familiale. Le rapport au président de la République (8) invoque ainsi, à titre d'exemple, un conflit important entre les parents.

Transformation en tutelle. Désormais, la transformation de l'administration légale en tutelle fait l'objet d'un régime unique applicable à toutes les hypothèses d'administration légale. Le nouvel article 391 du Code civil (N° Lexbase : L1716KMI) dispose de manière générale que "en cas d'administration légale, le juge des tutelles peut, à tout moment, et pour cause grave, soit à la requête des parents ou alliés ou du ministère public, décider d'ouvrir la tutelle". Il résulte que toutes les administrations légales sont soumises au régime antérieur de l'administration légale pure et simple, ce qui constitue une limitation de la possibilité de convertir l'administration légale en tutelle en cas d'administration légale unique. Dans tous les cas, le juge des tutelles doit invoquer un motif grave pour transformer l'administration légale en tutelle.

Jouissance légale. L'ordonnance du 15 octobre 2015 a ajouté à la catégorie des biens pour lesquels la jouissance légale est exclue, les sommes reçues au titre de l'indemnisation d'un préjudice extrapatrimonial dont le mineur a été victime.

II - Le déplacement du mineur à travers les frontières

A - Délivrance d'un passeport à un enfant mineur vivant dans un Etat membre de l'UE

Dans une décision "Vasilka Ivanova Gogova contre Ilia Dimitrov Iliev" du 21 octobre 2015 (CJUE, 21 octobre 2015, aff. C-215/15 N° Lexbase : A7048NT9), la Cour de justice de l'Union européenne a été appelée à répondre à la question de savoir si le contentieux entre deux parents relatif à la délivrance d'un passeport à leur enfant mineur relève du champ d'application du Règlement (CE) n° 2201/2003, dit "Bruxelles II bis", du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (N° Lexbase : L0159DYK). En l'espèce, les deux parents et l'enfant étaient de nationalité bulgare et vivaient en Italie. Le père s'opposait au renouvellement du passeport de leur fils que la mère souhaitait. Saisie par la mère pour trancher le conflit, la Cour suprême de Bulgarie a formulé une demande de décision préjudicielle à la CJUE à propos de l'interprétation du Règlement (CE) n° 2201/2003. Pour répondre à cette question, le juge de Luxembourg rappelle que le Règlement "Bruxelles II bis" "s'applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives, notamment, à l'attribution, à l'exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale" et que dans ce cadre, "la notion de matières civiles' doit être conçue non pas de manière restrictive, mais comme une notion autonome de droit de l'Union couvrant, en particulier, toutes les demandes, mesures ou décisions en matière de responsabilité parentale', au sens dudit Règlement". La Cour de justice de l'Union européenne considère dans le cadre de l'action d'un parent pour obtenir un passeport pour l'enfant sans l'accord de l'autre parent, le juge est amené à se prononcer sur la nécessité pour l'enfant concerné d'obtenir un passeport et sur le droit du parent requérant de déposer la demande afférente à ce passeport, ainsi que de voyager à l'étranger avec cet enfant, sans le consentement de l'autre parent. Elle en déduit logiquement qu'une telle action a bien pour objet l'exercice de la "responsabilité parentale" sur l'enfant en cause, et entre dans le champ d'application du Règlement "Bruxelles II bis", dont le régime lui est donc applicable.

B - Enlèvement international d'enfant

Procédure française. Dans l'arrêt "Henrioud c/ France" rendu le 5 novembre 2015 (CEDH, 5 novembre 2015, Req. 21444/11 N° Lexbase : A7326NUU), la Cour européenne des droits de l'Homme applique à la procédure française les exigences d'équité du processus décisionnel en matière de déplacement d'enfants. En l'espèce, un enfant avait été déplacé de Suisse vers la France par sa mère. Le père avait dans un premier temps engagé une procédure de retour devant les juridictions suisses. Par la suite, l'autorité centrale suisse avait saisi l'autorité centrale en France et le parquet de cet Etat avait engagé une procédure de retour devant les juridictions bordelaises. Le tribunal de grande instance de Bordeaux avait rejeté la demande de retour faute de preuve de la réalité du déplacement illicite tandis que la cour d'appel avait fait de même au motif que le requérant avait implicitement acquiescé au déplacement puisqu'il n'avait pas engagé de recours contre lui. Un pourvoi en cassation intenté par le ministère public ainsi que le pourvoi incident du requérant sont tous deux déclarés irrecevables sur le fondement de l'article 979 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7857I4R) imposant au ministère public de joindre dans le délai du dépôt de son mémoire ampliatif l'acte de signification de la décision de la cour d'appel attaquée. Le requérant qui n'a pas pu contester l'exception au retour de l'acceptation du déplacement s'est fondé, devant la Cour européenne des droits de l'Homme, sur les articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention.

Formalisme excessif. La Cour de Strasbourg fonde la violation de l'article 6 § 1 sur une analyse spécifique de la procédure en cause, en raison des enjeux de celle-ci. Elle affirme en effet ne pas revenir sur la compatibilité de principe des exigences de l'article 979 du Code de procédure civile français avec le droit à un tribunal, admise dans l'arrêt "Levages Prestations Services c/ France" du 23 octobre 1996 (9), mais considère que les conséquences "très graves et délicates pour les personnes concernées" de la procédure de retour d'enfant rend excessive la mise en oeuvre, dans ce cadre, du formalisme procédural prévu par ce texte. La Cour constate que l'irrecevabilité du pouvoir du Procureur a entraîné celle du pourvoi incident du requérant, sans qu'il soit certain que celui-ci ait pu le prévoir. Surtout, elle note que cette irrecevabilité a privé le requérant de toute possibilité de voir examiner par la Cour de cassation les exceptions au retour immédiat de l'enfant au sens de l'article 13 a) de la Convention de la Haye relative aux aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (N° Lexbase : L6804BHH). Ce défaut d'examen est particulièrement problématique en ce qu'il exclut de contester le défaut de retour de l'enfant alors même que ce retour doit être le principe en matière d'enlèvement international d'enfants. Par cet arrêt, la Cour européenne impose aux Etats de faciliter la procédure relative à ce retour, notamment en permettant un accès moins formaliste et donc plus facile au juge. Cette obligation est à rapprocher de l'obligation particulière de célérité qui pèse sur les Etats en matière d'enlèvement international d'enfant.

Acquiescement au retour. Sur le fondement de l'article 8 de la Convention, la Cour européenne statue au regard de l'obligation procédurale particulière dégagée dans l'arrêt X c/ Lettonie du 26 novembre 2013 (10), imposant au juge de statuer de manière spécialement motivée sur les exceptions au retour de l'enfant déplacé, à la lumière de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle rappelle que cet intérêt s'apprécie différemment selon que la procédure concerne la garde de l'enfant ou qu'elle est seulement relative à une demande de retour, sachant qu'après un déplacement illicite d'enfant, le juge saisi d'une demande de retour ne peut pas statuer sur le fond. En l'espèce, la Cour européenne conclut, sur le terrain des obligations positives, à l'absence de violation du droit au respect de la vie familiale du requérant En effet, celui-ci n'a pas invoqué devant la cour d'appel de Bordeaux, devant qui il a pourtant eu la possibilité d'intervenir, le recours qu'il avait intenté en Suisse. La cour d'appel pouvait donc en déduire qu'il avait acquiescé au déplacement de l'enfant lequel constituait une exception au retour. Ce faisant, elle a satisfait aux exigences imposées aux juges du fond par la Cour européenne des droits de l'Homme dans le cadre de la procédure relative au retour de l'enfant déplacé illicitement puisqu'elle a procédé à un examen détaillé de l'exception au retour invoquée par la mère.

III - La protection de l'enfant maltraité

A - L'obligation de protéger et d'entendre l'enfant maltraité

Maltraitance familiale. Dans un arrêt "M. et M. c/ Croatie" du 9 septembre 2015 (CEDH, 9 septembre 2015, Req. 10161/13, en anglais), la Cour européenne des droits de l'Homme vient renforcer les obligations des Etats à l'égard des enfants victimes de maltraitance familiale. En l'espèce, la garde de l'enfant avait été confiée à son père après le divorce. Quelques années plus tard, celui-ci se plaint d'être victime de violences de la part de son père. La mère engage alors une procédure pénale visant à statuer sur les allégations de violences, ainsi qu'une procédure civile pour obtenir la garde de l'enfant. Quatre ans après, alors que les deux procédures sont encore pendantes, la mère et la fille se plaignent devant la Cour européenne des droits de l'Homme d'une violation des articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI, interdiction des traitements inhumains et dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention.

Traitements inhumains et dégradants. La Cour précise que les actes auxquels l'enfant aurait été soumise par son père sont suffisamment graves pour entrer dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention. Elle rappelle l'existence de l'obligation positive pour les Etats de protéger les enfants contre les mauvais traitements (11) applicable par le biais de la technique de l'effet horizontal, dans les relations interindividuelles. La Cour considère ainsi que la protection de l'enfance constitue un impératif supranational qui s'impose à tous les Etats membres, et dont le rayonnement s'étend aux hypothèses dans lesquelles les maltraitances proviennent de particuliers. Le non-respect de cette obligation substantielle à l'égard de l'enfant est également susceptible de porter atteinte au respect de la vie privée et familiale des parents de l'enfant sur le fondement de l'article 8 de la Convention. Toutefois, en l'espèce, la Cour européenne estime que les autorités croates ont pris des mesures raisonnables pour évaluer et prévenir le risque potentiel de mauvais traitements de l'enfant, la situation de l'enfant dans la famille de son père étant étroitement surveillée par le biais de mesures de protection de l'enfance. En revanche, la Cour considère que la Croatie a manqué à l'obligation d'enquêter efficacement contre les allégations de mauvais traitements qui découle de l'article 3 de la Convention (12) en raison de la durée excessive de la procédure pénale menée contre le père.

Durée de la procédure civile. Après avoir considéré que la procédure de garde relevait du champ d'application de l'article 8 de la Convention, la Cour européenne rappelle que cette disposition est à même de créer des obligations positives à charge des Etats afin d'assurer un respect effectif de la vie privée et familiale et notamment celle de prendre les mesures pour que la procédure de garde soit rapide et efficace. Or, en l'espèce, la procédure est en suspens depuis plus de quatre ans et l'enfant demeure confiée à son père. Selon la Cour, les faits de l'espèce nécessitaient des diligences particulières dans la mesure où l'enfant était traumatisée par le conflit parental, ce qui l'a conduit à s'automutiler. Or, aucune mesure n'a été prise pour accélérer la procédure après la révélation par l'enfant des actes d'automutilation.

Droit de l'enfant d'être entendu. Les requérantes invoquaient également le fait que l'enfant n'avait pas été entendue dans la procédure civile relative à sa garde. La Cour analyse l'absence d'audition en justice de l'enfant sous l'angle de l'article 8 de la Convention. Pour la première fois, la Cour considère que le droit de l'enfant d'être entendu en justice fait partie de son droit à l'autonomie personnelle. En effet, même si les enfants n'ont pas la pleine autonomie des adultes, ils jouissent de ce droit à l'autonomie personnelle et ils l'exercent par le biais de leur droit à être consulté et entendu. Se fondant sur une interprétation inédite de l'article 8 de la Convention à la lumière de l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant (13), la Cour affirme que le droit des adultes d'être suffisamment impliqués dans le processus décisionnel s'étend aux enfants, et implique que ces derniers aient la possibilité d'être entendu dès lors qu'ils sont en capacité d'exprimer des opinions.

Prise en compte de la volonté de l'enfant. La Cour constate que l'enfant en cause, âgée de presque quatorze ans et qui bénéficiait de capacités intellectuelles supérieures à la moyenne, avait un âge et un degré de maturité suffisant pour exprimer une opinion et en déduit qu'elle n'a pas été, du fait de son absence d'audition, suffisamment impliquée dans le processus décisionnel en violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour semble même aller plus loin en critiquant le fait que les autorités croates n'ont pas respecté les souhaits de l'enfant de résider chez sa mère. Cette consécration éclatante du droit de l'enfant d'être entendu dans les procédures le concernant tranche, de manière bienvenue avec la position adoptée par la Cour européenne dans les récents arrêts relatifs aux déplacements illicites d'enfant, dans lesquels elle accordait une importante très limitée au refus de l'enfant de retourner dans son pays d'origine (14).

B - L'incitation faite au médecin de signaler les maltraitances sur enfant

Loi isolée. L'adoption isolée et impromptue de la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé (N° Lexbase : L2435KQA) (15), peut paraître quelque peu curieuse alors qu'une loi sur la protection de l'enfant est en préparation, dans laquelle son contenu aurait eu toute sa place. Il semble qu'il s'agit, une nouvelle fois, d'une réaction épidermique du législateur influencé par l'actualité. Certains conseils de l'Ordre se seraient en effet montrés particulièrement sévères, voire injustes à l'égard de médecins ayant signalé au procureur de la République, des faits de maltraitance.

Impunité. La loi du 5 novembre 2015 constitue un apport limité, voire symbolique, au droit existant. Elle modifie l'article 226-14 du Code pénal (N° Lexbase : L2280KQI) pour préciser que "le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi" alors que l'ancien texte affirmait seulement que "le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire". Quoique de faible importance, d'autant que très peu, voire aucun médecin, n'ont vu leur responsabilité civile ou pénale, engagée par un signalement, le nouveau texte a le mérite de rassurer les médecins. Ce faisant il est de nature à les encourager à signaler davantage les maltraitances sur les enfants qu'ils peuvent constater ce qu'ils font aujourd'hui beaucoup trop rarement.

Secret professionnel (16). L'article 226-14, 2° du Code pénal permet au médecin, ou depuis l'entrée en vigueur de la loi du 5 novembre 2015 à tout professionnel de santé, de s'affranchir du secret professionnel auquel il est en principe tenu lorsqu'il constate des sévices ou privations sur un mineur, sachant que le 1° du même texte, qui pose la même règle pour tout professionnel informé de maltraitance sur mineur, lui est également applicable. Le professionnel de santé bénéficie alors d'un choix : signaler ou pas les maltraitances -le secret professionnel le dispense de l'obligation de dénonciation de crime (C. pén., art. 434-1 N° Lexbase : L1744AMK) ou de sévices sur mineur de quinze ans (C. pénal, art. 434-3 N° Lexbase : L2402AMW) auquel est soumise toute autre personne- sans que le secret professionnel ne soit un obstacle. La nouvelle loi exclut qu'il puisse engager sa responsabilité s'il fait le choix de signaler les faits, hormis l'hypothèse, peu probable où il aurait opté pour cette alternative dans le but de nuire à la famille concernée. Ainsi, le médecin peut-il sans risque signaler une suspicion de maltraitance même s'il n'a pas de certitude. Il est même recommandé au médecin de faire part de ses seuls doutes lorsqu'il en a. La révélation de ces derniers peut d'ailleurs prendre la forme non pas d'un signalement, mais celle d'une information préoccupante auprès de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L6682I7M), comme le précise la loi du 5 novembre 2015.

Obligation de porter secours. Il convient cependant de rappeler que, même s'il n'est pas soumis à une obligation de dénonciation, le médecin n'est pas exempté, par le secret professionnel, de l'obligation de porter secours de l'article 223-6 du Code pénal (N° Lexbase : L2122AMK). Ainsi, si l'enfant court un danger réel et immédiat et que la seule manière de le protéger consiste en un signalement, le médecin est tenu de signaler, sauf à être poursuivi pour non-assistance à personne en danger. L'étude de la jurisprudence révèle d'ailleurs que davantage de médecins ont été poursuivis pour omission de porter secours que pour signalement abusif...

C - La saisine du Comité des droits de l'enfant par un mineur

La loi n° 2015-1463 du 12 novembre 2015 (N° Lexbase : L2674KQ4) (17) a autorisé la ratification par la France du protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications, adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 2011, et signé par l'Etat français à New York le 20 novembre 2014. Ce protocole qui est entré en vigueur le 14 avril 2014, alors que sa ratification par au moins dix Etats était acquise, prévoit que des communications peuvent être présentées aux Comité des droits de l'enfant par des particuliers ou des groupes de particuliers relevant de la juridiction d'un Etat partie, qui affirment être victimes d'une violation par ce dernier de l'un des droits énoncés dans la CIDE ou l'un de ses protocoles. Il en résultera une procédure de consultations entre le Comité et l'Etat mis en cause au terme de laquelle le Comité déposera ses observations et ses recommandations qui n'auront aucun effet juridique obligatoire. Il s'agit cependant d'un outil non négligeable pour favoriser le respect par les Etats, et donc la France, des droits de l'enfant. Les observations du Comité des droits de l'enfant dans ce contexte pourraient constituer dans l'avenir une nouvelle source des droits de l'enfant.


(1) Ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, portant simplification et modernisation du droit de la famille, JO du 26 octobre 2015, p. 19304.
(2) Loi n° 2015-177 du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, JO du 17 février, p. 2961.
(3) N. Peterka, Déjudiciarisation de l'administration légale et renforcement du rôle de la famille dans la protection des majeurs, JCP éd. G, 2015, 1971.
(4) Rapport au président de la République relatif à l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, JO du 16 octobre 2015, p. 19301.
(5) Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du Code civil (N° Lexbase : L4112ICB), JO du 31 décembre 2008, p. 20631.
(6) CA Paris, 23 décembre 1939, DC, 1941, 45, note Ripert ; CA Paris, 28 avril 1980, Gaz. Pal., 1980, 2, 604, note Piedelièvre ; D.,1981, IR, 15, obs. Vasseur.
(7) Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 95-20.198 (N° Lexbase : A0737ACB), Bull. civ. I, n° 343 ; D., 1998, 469, note Hauser et Delmas Saint-Hilaire ; Dr. fam., 1998, Comm. 31, obs. T. F. ; Dr. et patr., 1998, n° 230 ; JCP, 1998, IV, 1141, RTDCiv., 1998, 342, obs. Hauser.
(8) Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, JO 16 octobre 2015, p. 19301.
(9) GACEDH, p. 324.
(10) CEDH, 26 novembre 2013, Req. 27853/09 (N° Lexbase : A1422KQQ).
(11) CEDH, 23 septembre 1998, Req. 100/1997/884/1096 (N° Lexbase : A8285AWR) ; CEDH, 10 mai 2001, Req. 29392/95 (N° Lexbase : A7552AWM) ; CEDH, 10 octobre 2002, Req. 38719/97, en anglais, RTDH, 2003, 135, nos obs..
(12) CEDH, 28 octobre 1998, Req. 90/1997/874/1086 (N° Lexbase : A8276AWG).
(13) Notre étude, La Convention internationale des droits de l'enfant dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, in Mélanges en l'honneur de Jacques Foyer, Economica, 2008, p. 495.
(14) Ph. Bonfils, A. Gouttenoire, Droit des mineurs - Panorama, D., 2015, 1919.
(15) JORF n° 0258 du 6 novembre 2015, page 20706.
(16) L. BLoch, Secret professionnel et protection de l'enfance, AJ Famille, 2015, p. 259 à 262.
(17) JORF n° 0263 du 13 novembre 2015, page 21100.

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