Lecture: 39 min
N0361BWB
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 11 Décembre 2015
Afin de sécuriser les conditions d'exercice des agents immobiliers habilités par le titulaire de la carte professionnelle et d'améliorer la protection de leur clientèle, l'article 24 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY), impose aux agents immobiliers de souscrire une assurance de responsabilité civile. Le contenu minimal du contrat est défini par arrêté.
La loi n° 2015-177 du 16 février 2015, portant modernisation et simplification du droit (N° Lexbase : L9386I7R), habilite le Gouvernement à présenter un projet d'ordonnance, ce qui a été fait le 25 février 2015.
Le projet d'ordonnance du ministère de la Justice s'est inspiré des projets "Catala" puis "Terré".
Sur la forme, le projet change la numérotation du Code civil. Le droit des obligations serait composé de trois titres bien distincts : source des obligations, régime de l'obligation, preuve de l'obligation. Le premier titre s'ouvrirait sur un chapitre intitulé "dispositions préliminaires" où l'on retrouverait posés les grands principes (liberté contractuelle, bonne foi dans la formation et l'exécution du contrat) ainsi que les principales définitions.
Sur le fond, voici un aperçu des principales nouveautés :
1 - La conclusion du contrat
La période précontractuelle : une sous-section composée de deux articles et intitulée "Les négociations" lui est consacrée. La négociation est une période de liberté mais une faute dans la rupture des négociations est susceptible d'engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.
Le projet codifie la jurisprudence "Manoukian" (1) du 26 novembre 2003 et disposerait qu'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels n'est pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat.
L'article 1112 contiendrait une disposition nouvelle aux termes de laquelle "celui qui utilise sans autorisation une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa responsabilité, qu'il y ait eu, ou non, rupture fautive des pourparlers".
L'offre et l'acceptation : la rétractation de l'offre est possible tant qu'elle n'est pas parvenue à la connaissance de son destinataire. Une fois l'offre parvenue à son destinataire, elle ne peut être révoquée avant l'expiration du délai expressément prévu ou, à défaut, avant l'expiration d'un délai raisonnable (article 1116 du projet). L'offrant n'engage que sa responsabilité extracontractuelle. Le décès de l'offrant rend l'offre caduque.
Le moment de la formation du contrat : le contrat est parfait lorsque l'acceptation parvient à l'offrant. Il est réputé conclu au lieu où l'acceptation est parvenue.
Le pacte de préférence : l'article 1125 du projet rappelle que le contrat conclu par le promettant avec un tiers en méconnaissance des droits du bénéficiaire est nul et le bénéficiaire peut obtenir sa substitution à l'acquéreur dès lors que le tiers a eu connaissance de l'existence du pacte lorsqu'il a contracté. Le bénéficiaire n'a plus besoin de prouver que le tiers avait connaissance de son intention de se prévaloir du pacte.
La promesse unilatérale : l'article 1124 du projet prévoit que "la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, consent à l'autre, le bénéficiaire, le droit, pendant un certain temps, d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis. Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul".
2 - La validité du contrat
Conditions de validité du contrat : consentement et capacité des parties, ainsi qu'"un contenu licite et certain". Il n'y a plus de notion de cause (même si elle revient implicitement à plusieurs endroits : "Le contrat ne peut déroger à l'ordre public ni par son contenu, ni par son but" ; "Toute clause privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite" ; "Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge").
Devoir d'information : création législative d'un véritable devoir général d'information. Situé avant les vices du consentement, il impose à celui qui détient ou devrait détenir une information déterminante du consentement de l'autre partie de l'en informer. La sanction du non-respect de ce devoir est la mise en jeu de la responsabilité extra contractuelle du débiteur, sauf lorsque le défaut d'information entraîne un vice du consentement, auquel cas la nullité peut être invoquée.
La détermination du prix : l'indétermination du prix n'est pas, en soi, une cause de nullité du contrat. Seul compte l'abus dans la fixation du prix (codification des arrêts de 1995 (2) prévu à l'article 1163 du projet) et le juge pourrait prononcer la résolution du contrat, mais il serait également autorisé, si la demande lui était faite, à "réviser le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties". La même règle est prévue pour les contrats de prestation de service. Lorsque le prix est déterminé en fonction d'un indice qui n'existe plus ou n'est plus accessible, le juge peut remplacer cet indice par celui qui s'en rapproche le plus.
3 - L'exécution du contrat
Le projet de réforme envisage de supprimer la notion de "résiliation" pour inexécution afin de privilégier l'usage du seul terme "résolution" pour inexécution.
II - Actualités jurisprudentielles
A - Responsabilité du fait d'autrui
1. Responsabilité d'un mineur in solidum avec celle de ses parents
La responsabilité solidaire des parents (C. civ., art. 1384, al. 4 N° Lexbase : L1490ABS) ne fait pas obstacle à la mise en cause de la responsabilité personnelle individuelle d'un mineur sur la base de l'article 1382 du même code (N° Lexbase : L1488ABQ). La minorité du défendeur ne fait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage qu'elle a subi à la suite de sa faute et le défendeur mineur doit être condamné in solidum avec ses parents lesquels, seuls, sont tenus solidairement.
Un mineur de quinze ans avait été condamné pour des faits de blessures volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours. Statuant sur les intérêts civils, le tribunal avait condamné le mineur et ses parents in solidum à verser aux représentants de la victime, mineure elle aussi, une indemnité provisionnelle. Le Fonds de garantie des victimes d'acte terroriste et autres infractions (FGTI), après avoir indemnisé la victime, exerça son action récursoire contre le mineur responsable, sur la base de l'article 1382 du Code civil, et contre ses parents sur la base de l'article 1384 du même code. Les parents furent condamnés solidairement du fait de leur enfant mineur à verser au FGTI l'indemnisation du préjudice de la victime. Le mineur fut également condamné in solidum avec ses parents.
En appel, le mineur a indiqué qu'il n'avait pas à être tenu responsable sur la base de l'article 1382 car ses parents étaient solidairement responsables sur la base de l'article 1384 du Code civil. La cour a affirmé que sa minorité au moment des faits ne faisait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage subi.
La Cour de cassation confirme les juges du fond (CA Rouen, 16 janvier 2013, n° 12/01412 N° Lexbase : A3867I3M) en jugeant que l'application de l'article 1384 du Code civil ne fait pas obstacle à l'application de l'article 1382 du même code. Pour ce cumul de responsabilité entre celle des parents et celle de l'enfant, la Cour précise qu'il s'agit d'un cumul in solidum et non solidaire. Non seulement les responsabilités se cumulent, mais la solidarité au sein de chacun des régimes de responsabilité retenu doit être appréciée distinctement. Au sein de la responsabilité parentale, la Cour de cassation tire les conséquences de la solidarité légale prévue par les articles 1384, alinéa 4, et 1202 du Code civil (N° Lexbase : L1304ABW). Elle l'écarte, au contraire, pour le mineur qui n'est pas visé par la solidarité légale. Il est, en revanche, tenu in solidum pour avoir participé à un fait causal présentant une unité de liens, une homogénéité qui conduit à lui imputer, avec ses parents, la responsabilité qui est la sienne dans la survenance du dommage (3).
La responsabilité des parents permettrait de garantir l'indemnisation des victimes, les parents ayant une assurance civile. La solidarité ne se présumant pas, l'enfant n'est pas tenu solidairement, mais in solidum avec ses parents (4).
En application de cette solution, non seulement l'infans répond des dommages qu'il cause par son comportement fautif, mais encore il peut subir un partage de responsabilité (5). La Cour de cassation a refusé d'étendre au mineur le bénéfice de l'immunité qui ne profite actuellement qu'au préposé depuis l'arrêt "Costedoat" (Ass. Plén, 25 février 2000, n° 97-17.378 N° Lexbase : A8154AG4).
Pour mémoire, l'arrêt "Costedoat" a posé le principe selon lequel "n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant". L'immunité du préposé ne cédait plus que devant la preuve d'une faute intentionnelle : c'est-à-dire une faute personnelle détachable des fonctions, exclusion faite des imprudences ou négligences.
En 2001, l'arrêt "Cousin" (Ass. plén. 14 décembre 2001, n° 00-82.066 N° Lexbase : A7314AX8) a jugé qu'un "préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l'ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci".
2. Responsabilité du préposé en cas de pluralité de commettants - transfert du lien de préposition
Lors d'une opération dans une clinique, deux fautes sont commises : la première par l'anesthésiste qui a autorisé le transfert du patient en salle de surveillance post-opératoire avant son réveil complet ; la seconde par l'infirmière de garde qui a installé un dispositif de surveillance inadapté à la situation.
Un accident cardio-respiratoire est survenu sans que l'alarme puisse être donnée à temps pour éviter de graves séquelles. L'anesthésiste est responsable. La clinique l'est-elle aussi à raison de la faute de l'infirmière ?
La clinique prétend que seule la responsabilité de l'anesthésiste doit être retenue, parce que l'anesthésiste exerce sous statut libéral au sein de la clinique, il est légalement en charge de la surveillance du patient jusqu'à son complet réveil, et l'infirmière serait placée sous l'autorité de l'anesthésiste en application du principe d'après lequel "un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l'établissement de santé où il exerce" (Cass. civ. 1, 13 mars 2001, n° 99-16.093 N° Lexbase : A3948ARN).
La Cour de cassation confirme les juges du fond (CA Douai, 23 mai 2013, n° 11/05434 N° Lexbase : A7315KDB) en relevant qu'aux termes du Code de la santé publique, les agents paramédicaux surveillent les patients dans la phase post-opératoire "à charge pour eux de prévenir, en cas de besoin, le médecin anesthésiste-réanimateur, lequel doit pouvoir intervenir sans délai pour réaliser les actes relevant de sa compétence, [et que par conséquent la cour d'appel] a décidé à bon droit que le lien de préposition résultant du contrat de travail conclu entre la clinique et l'infirmière n'avait pas été transféré".
Au regard des circonstances, explicitement qualifiées de "phase postopératoire" et donc rattachable à des soins hospitaliers normaux, l'anesthésiste n'est pas le commettant de l'infirmière. Si l'anesthésiste n'est pas le commettant de l'infirmière, c'est parce que celle-ci a seulement pour devoir de le prévenir en cas d'incident (principe déjà rappelé dans un arrêt du 17 février 2011 : Cass. civ. 1, 17 février 2011, n° 10-10.449 N° Lexbase : A1446GXT). L'infirmière a agi dans le cadre de soins assurés sous l'autorité de son employeur : l'établissement. Le lien de préposition résultant du contrat de travail conclu entre la clinique et l'infirmière n'avait pas été transféré, en application d'un critère très simple et essentiellement circonstanciel : sous quelle autorité est placée la personne au moment des faits ? Qui a le pouvoir de donner des ordres au moment M, des instructions et d'en surveiller l'exécution ?
Selon la jurisprudence, il faut s'interroger sur la personne détenant "les pouvoirs de lui [le préposé] donner des ordres et des instructions et d'en surveiller l'exécution" (Cass. civ. 2, 18 décembre 1996, n° 94-17.715 N° Lexbase : A9970ABU). Ces critères sont généralement aisés à mettre en oeuvre, spécialement si on présume que le commettant habituel le demeure sauf preuve contraire (6).
Pour autant, cette appréciation très factuelle permet des successions rapides de commettants alors qu'une plus grande stabilité de cette qualité aurait pour intérêt, au moins quand le dommage est imputable à un salarié, de mieux faire coïncider la responsabilité avec l'assurance du chef d'entreprise. Dans l'hypothèse où les commettants successifs participent, à divers titres, à la même activité d'ensemble et profitent tous de celle-ci, ne pourrait-on envisager un cumul de responsabilités au stade de l'obligation à la dette, quitte à s'en répartir ensuite la charge au stade contributif ?
B - Produits défectueux
Le produit potentiellement dangereux est aussi un produit défectueux si ce danger potentiel apparaît comme anormal, et il en est de même pour tous les produits de la série.
Est un dommage réparable au titre de lésions corporelles toute mesure, toute dépense et tous les coûts liés à une opération chirurgicale tendant à restaurer la sécurité de ces produits.
Par cet arrêt, la CJUE répond à deux questions préjudicielles relatives à la défectuosité de stimulateur cardiaques et de défibrillateurs automatiques implantables que des patients porteurs de ces appareils avaient décidé de faire remplacer de façon anticipée suite à une mise en garde de l'importateur allemand de ces produits. L'assureur de ces patients, subrogé dans leurs droits, a sollicité le remboursement des coûts liés aux interventions chirurgicales.
La première question préjudicielle était de savoir si un défaut seulement potentiel, n'ayant pas affecté les appareils remplacés, mais révélés par les contrôles de qualité effectués par le fabricant, peut être qualifié de défaut au sens de l'article 6 § 1 de la Directive 85/374/CEE (N° Lexbase : L9620AUT). Le défaut potentiel de sécurité des produits réside dans la "potentialité anormale de dommage que ceux-ci sont susceptibles de causer à la personne". Selon la CJUE, la dangerosité anormale, si elle est le plus souvent révélée par les dommages causés par le produit, peut aussi exister indépendamment de tout dommage en résultant alors du risque excessif auquel le produit expose les utilisateurs (7).
Cet arrêt précise aussi qu'un défaut potentiel est un défaut de sécurité et qu'il le demeure pour tous les produits d'une même série.
La seconde question préjudicielle était de savoir si le dommage causé par une opération chirurgicale de remplacement d'un produit défectueux, tel qu'un stimulateur cardiaque ou un défibrillateur automatique implantable, constitue un "dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles" dont le producteur est responsable. La CJUE répond par l'affirmative puisque cette opération chirurgicale est nécessaire pour éliminer le défaut du produit considéré. Elle estime que la réparation du dommage porte sur "tout ce qui est nécessaire pour éliminer les conséquences dommageables et pour rétablir le niveau de sécurité à laquelle l'on peut légitimement s'attendre". La seule condition posée est que la mesure soit nécessaire pour prévenir les dommages et rétablir la sécurité (cf. la notion de lien de causalité).
Le fabricant d'un produit fini et celui d'un produit incorporé assument à parts égales la charge de la dette et sont considérés comme co-responsables non-fautifs à parts égales.
Une patiente a subi l'implantation d'une prothèse de hanche réalisée par une société productrice, dont la tête en céramique, fabriquée par une autre société, s'est brisée le 24 octobre suivant. La patiente a assignée en responsabilité la société productrice de la prothèse, qui a appelé la société productrice de la tête de céramique en garantie.
Les juges du fond (CA Douai, 14 mars 2013, n° 12/01078 N° Lexbase : A0150KAS) ont jugé que la société productrice de la tête de céramique de la prothèse était tenue de garantir entièrement la société productrice de la prothèse des condamnations prononcées solidairement contre elles au motif que "la cause exclusive du dommage est la rupture inexpliquée de la tête fémorale en céramique de la prothèse", sous-composant fabriqué par la société condamnée.
La Cour de cassation censure les juges du fond au motif que "lorsque plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours ; qu'en droit interne, la contribution à la dette, en l'absence de faute, se répartit à parts égales entre les coobligés".
Une bouteille de gaz propane est un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3) en ce qu'un utilisateur, autre que l'acheteur de l'installation, n'ayant pas nécessairement eu accès à la notice d'information du contrat de consignation, n'était pas informé du risque présenté par l'utilisation de gaz propane pour l'alimentation de l'appareil.
Le gaz propane est un gaz inflammable et dangereux, à capacité hautement explosive, dont la moindre dispersion peut provoquer une déflagration ou une explosion, contrairement au gaz butane.
Or, les détenteurs de gaz butane et propane sont similaires et peuvent être fixés indifféremment sur toute bouteille de gaz.
La Cour de cassation confirme l'arrêt des juges du fond (CA Limoges, 11 avril 2013, n° 10/00795 N° Lexbase : A9841KB4) en jugeant que la société Butagaz, en sa qualité de producteur, devait être déclarée responsable des dommages causés, sans pouvoir se prévaloir de la faute de la victime prévue à l'article 1386-13 du Code civil (N° Lexbase : L1506ABE).
Il appartient au demandeur en réparation du dommage causé par un produit qu'il estime défectueux de prouver le défaut invoqué.
Le défaut de sécurité allégué tient à la présentation du produit : il aurait fallu rappeler sur l'engin la nécessité de porter un vêtement de protection, comme cela est indiqué dans les consignes de sécurité énoncées dans le manuel d'utilisation.
La Cour de cassation censure les juges du fond (CA Douai, 4 juillet 2013, n° 12/06402 N° Lexbase : A8445MTX) pour avoir retenu qu'il n'est pas prouvé par le producteur d'une motomarine qu'une étiquette rappelant la nécessité de porter un vêtement de protection ait été apposée sous le guidon, alors que c'est à l'utilisateur blessé de rapporter cette preuve.
La preuve du lien de causalité est au terme de l'article 1386-9 du Code civil (N° Lexbase : L1502ABA) à la charge de la victime (pour une application de cet article : Cass. civ. 1, 22 octobre 2009, n° 08-15.171, F-D N° Lexbase : A2640EMQ).
La solution contraste avec celle que retient la jurisprudence contemporaine au sujet d'une autre responsabilité, la responsabilité pour manquement à une obligation légale ou contractuelle d'information, le débiteur d'une telle obligation étant alors chargé, bien qu'il soit défendeur au procès en responsabilité, de prouver qu'il l'a exécutée. On remarquera d'ailleurs, qu'à la différence par exemple de l'information due au patient par le médecin, information dont l'absence peut être quasiment impossible à établir (d'où le renversement de la charge de la preuve réalisé en 1997), la preuve d'un défaut de sécurité d'un produit tenant à une présentation n'avertissant pas suffisamment sur les dangers éventuels et les précautions d'utilisation à prendre n'est pas impossible à rapporter : il suffit de montrer le produit dont la présentation défectueuse est alléguée (8).
Une victime peut se prévaloir d'un régime de responsabilité distinct du régime de responsabilité du fait des produits défectueux (en l'espèce sur le fondement de l'article 1382 du Code civil) uniquement si elle établit que le dommage subi résultait d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause.
Une personne a subi de graves dommages à l'oreille après avoir utilisé un interphone situé dans l'appartement qui lui avait été donné à bail. La victime avait obtenu la condamnation du bailleur à réparer le préjudice subi, mais soutenant qu'elle n'avait pu recouvrer la somme due, la victime a fait assigner aux mêmes fins le fournisseur de l'interphone et l'installateur de l'interphone. Le fournisseur a appelé en garantie le producteur de l'interphone, qui a, à son tour, appelé en garantie son assureur
La Cour de cassation confirme l'arrêt des juges du fond (CA Nouméa, 29 novembre 2012, n° 10/00121 N° Lexbase : A6187I3K), pour avoir rejeté la demande indemnitaire de la victime au motif que la victime ne pouvait se prévaloir d'un régime de responsabilité distinct du régime de responsabilité du fait des produits défectueux que si elle établissait que le dommage subi résultait d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause. Pour échapper à la prescription, la victime avait intenté son action sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, sans prouver que son dommage résultait d'une faute distincte du défaut de sécurité de l'interphone. Or l'action en réparation sur le fondement du produit défectueux était prescrite (9).
C - Sur le défaut d'information et de conseil du professionnel
1. Avocat (diligences utiles à la défense de son client)
Après avoir été condamné pour travail dissimulé, un employeur a été invité par la chambre des appels correctionnels, statuant sur intérêts civils, à produire certaines pièces, puis a été condamné à verser diverses sommes à la victime de cette infraction. Soutenant que son avocat avait failli à ses obligations d'assistance et de conseil au cours de l'instance pénale, il a assigné celle-ci en paiement de dommages-intérêts.
Pour rejeter la demande, l'arrêt retient, d'abord, que celui-ci avait connaissance de la décision de la juridiction répressive lui réclamant la production de pièces de preuve, qu'il en avait compris le sens et qu'il n'était donc pas nécessaire pour son avocat de l'éclairer davantage par ses conseils, ensuite, qu'étant lui-même tenu d'un devoir de collaboration l'obligeant à communiquer à son avocat d'autres éléments, il ne pouvait lui reprocher de n'avoir pas produit de conclusions complémentaires qui n'auraient pu présenter une argumentation pertinente ni d'avoir fait défaut à l'audience de renvoi et, enfin, que l'erreur commise par l'avocat sur le délai d'exercice du pourvoi en cassation n'a fait perdre à son client aucune chance sérieuse d'obtenir gain de cause.
La Cour de cassation censure les juges du fond (CA Lyon, 19 décembre 2013, n° 12/03943 N° Lexbase : A7718KRB) pour s'être déterminés par des motifs impropres à établir que l'avocat avait accompli toutes les diligences utiles à la défense de son client, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).
2. Médecin (réparation du préjudice d'impréparation)
La Cour de cassation réoriente sa jurisprudence concernant le préjudice réparable en cas de défaut d'information médicale et reconnaît la possibilité d'un préjudice d'impréparation en cas de dommage corporel
Une patiente reproche à son médecin de ne pas l'avoir informée des risques de la vaccination contre l'hépatite B, qui a entraîné chez elle des anomalies neurologiques et une sclérose latérale amyotrophique.
Jusqu'à une époque récente, le devoir d'information du médecin sur les risques d'un acte médical n'était sanctionné qu'à travers la condamnation à indemniser la perte d'une chance qu'aurait eue le patient de refuser l'acte et d'éviter ainsi la réalisation des risques.
La Cour de cassation confirme ici la solution des juges du fond (CA Orléans, 10 avril 2012, n° 11/00789 N° Lexbase : A2241IIT) et juge que "indépendamment des cas dans lesquels le défaut d'information sur les risques inhérents à un acte d'investigation, de traitement ou de prévention a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation de l'un de ces risques, en refusant qu'il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d'information cause à celui auquel l'information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice résultant d'un défaut de préparation aux conséquences d'un tel risque, que le juge ne peut laisser sans réparation".
La Cour de cassation prend clairement parti en faveur d'un préjudice d'impréparation, qu'on pourrait qualifier de préjudice moral résultant d'un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l'idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle (Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17.510, FS-P+B+I N° Lexbase : A7509IQ8).
3. Notaire (absence constatée dans l'acte d'un certificat de conformité)
Le devoir du conseil du notaire est étendu et ne peut se retrouver limité implicitement par des stipulations dans l'acte notarié.
Un acte notarié d'une vente immobilière stipule que "le certificat de conformité n'ayant pas été obtenu à ce jour, l'acquéreur dispense le vendeur d'avoir à l'obtenir préalablement à la signature de l'acte de vente [...] de laquelle situation, l'acquéreur déclare avoir parfaite connaissance et vouloir faire son affaire personnelle, sans recours contre le vendeur". L'acquéreur, alléguant que le refus de délivrance du certificat de conformité lui a causé divers préjudices, a assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.
Pour rejeter les demandes de l'acquéreur, l'arrêt retient que le notaire a effectué les diligences lui incombant quant à la situation juridique du bien, en recherchant la délivrance ou l'absence de délivrance du certificat de conformité et en informant l'acquéreur de la situation, lequel déclarait en avoir parfaite connaissance.
La Cour de cassation censure les juges du fond (CA Aix-en-Provence, 17 avril 2014, n° 13/08279 N° Lexbase : A3546MKK) pour avoir débouté l'acquéreur de ses demandes alors qu'il ne ressortait pas des stipulations de l'acte authentique que l'acquéreur avait été clairement informé des incidences d'un refus de délivrance du certificat de conformité et du risque qu'il s'engageait à supporter, ce dont il résultait que le notaire avait manqué à son devoir de conseil.
4. Banquier (obligation d'information sur le délai de prescription)
Le banquier souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents d'une obligation d'information et de conseil qui ne s'achève pas avec la remise de la notice.
La Cour de cassation censure les juges du fond (CA Montpellier, 6 mai 2014, n° 13/01745 N° Lexbase : A8088MKR) pour n'avoir pas retenu le manquement du banquier à son obligation de conseil alors que, s'il a effectivement répondu rapidement et justement aux questions de l'emprunteur et lui a indiqué par écrit les pièces nécessaires à la constitution du dossier de sinistre qu'il devait envoyer à l'assureur, le banquier n'en a pas moins oublié d'avertir l'emprunteur qu'il devait déclarer son sinistre dans les deux ans sous peine de se voir opposer la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP).
La banque a consenti le 24 novembre 1988 à deux personnes un prêt destiné à l'acquisition d'un appartement, assorti d'une assurance de groupe souscrite par la banque et couvrant les risques décès, invalidité et chômage ; l'un des emprunteurs ayant déclaré la perte de son emploi par lettre du 14 novembre 1995, la banque lui a, dès le lendemain, indiqué par écrit les pièces nécessaires à la constitution du dossier de sinistre qu'elle devait transmettre à l'assureur ; l'emprunteur ayant laissé cette correspondance sans réponse jusqu'au 6 janvier 1999, l'assureur lui a opposé la prescription biennale et, en raison de la défaillance de l'emprunteur, la banque a engagé à son encontre une procédure de saisie immobilière ; après l'adjudication de son bien, l'emprunteur a assigné la banque en responsabilité.
Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que la banque n'a pas manqué à son obligation d'information et de conseil, qu'elle a répondu rapidement à la lettre de l'emprunteur du 14 novembre 1995, qu'elle y a détaillé la liste des documents nécessaires à la prise en charge, par l'assureur, du remboursement de ses échéances et attiré son attention sur le fait qu'il devait continuer ses versements tant que cette prise en charge ne serait pas intervenue, et que l'emprunteur avait indiqué, en 1999, ne pas vouloir faire un usage immédiat de son contrat d'assurance. En statuant ainsi, par des motifs d'où il ressort que la banque n'avait pas informé l'emprunteur de l'existence, de la durée et du point de départ du délai de prescription prévu à l'article L. 114-1 du Code des assurances, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil.
5. Banquier (pas de responsabilité pour avoir proposé un placement sans mise en garde)
Une banque qui propose à un investisseur d'acheter des appartements destinés à la location dans une résidence pour personnes âgées n'a pas à l'informer du risque de défaillance du locataire exploitant la résidence.
Des investisseurs ont acquis du vendeur, en état futur d'achèvement, divers biens immobiliers dans une "résidence-services" pour personnes âgées, qu'ils ont donnés à bail à une société preneuse pour une durée de neuf ans. Cette dernière ayant été défaillante puis mise en liquidation judiciaire, les investisseurs ont assigné en responsabilité la banque et sa filiale, qui leur avaient présenté le projet en reprochant à la banque de ne pas les avoir mis en garde contre les risques attachés à ce placement et de ne pas les avoir informés de la possible défaillance de l'exploitant.
Les juges du fond (CA Rennes, 29 janvier 2014, n° 12/07285 N° Lexbase : A1956MDS) ont retenu la responsabilité extra-contractuelle de la banque en énonçant que "les établissements de crédit proposant à leurs clients un investissement financier sont tenus à leur égard d'une obligation de mise en garde, sauf s'il s'agit d'investisseurs avertis".
La Cour de cassation censure les juges du fond au motif que "la banque n'était pas tenue de porter à la connaissance des investisseurs une circonstance connue de tous et dont ils pouvaient se convaincre par eux-mêmes, telle que la possible défaillance de la société locataire à payer régulièrement les loyers pendant une durée de neuf années".
6. Banquier (information sur l'effort financier attendu au regard du tableau d'amortissement)
La banque doit informer ses clients sur la capacité de rembourser leur emprunt dans le cadre d'un investissement locatif.
En application d'un dispositif de défiscalisation, un couple a acquis d'une société d'investissement, au moyen d'un prêt consenti par la banque, un appartement dépendant d'une résidence touristique à construire dans une zone de revitalisation rurale. Le couple a donné cet appartement à bail commercial, pour une durée de quinze ans, à une société preneuse.
Soutenant que l'opération présentait des inconvénients qui ne lui avaient pas été signalés, le couple a assigné en paiement de diverses sommes l'agent commercial du vendeur, ainsi que la banque, la société d'investissement et la société preneuse du bail commercial, les deux dernières représentées désormais, en raison de leur mise en liquidation judiciaire, par une société civile professionnelle, en qualité de mandataire-liquidateur.
Concernant les demandes à l'encontre de la banque, les juges du fond (CA Rennes, 13 février 2014, n° 11/01318 N° Lexbase : A1425MEI) ont jugé que les demandeurs ont "signé seuls et directement la demande de prêt et ne démontre, ni que la banque était le partenaire exclusif du vendeur, ni qu'ils aient été contraints de souscrire leur emprunt auprès de cet établissement bancaire". En outre, "étant assistés de leur notaire et ayant eu connaissance de toutes les conditions du prêt, ils ne prouvent, ni que la banque devait mettre en oeuvre un plan de financement limitant leur effort de remboursement à la valeur souhaitée, ni qu'elle ait manqué à son obligation de conseil en leur proposant un taux d'intérêt variable".
La Cour de cassation censure les juges du fond au motif qu'ils auraient dû rechercher "si la banque avait informé ses clients de ce que, au regard du tableau d'amortissement, l'effort financier attendu de leur part pourrait être supérieur à celui initialement prévu et que, en l'absence de différé et dans l'attente de la livraison du bien immobilier, ils seraient tenus de supporter le remboursement de leur emprunt sans percevoir de loyers en contrepartie".
7. Assureur et établissement bancaire (insuffisance de simples informations documentaires descriptives des caractéristiques du placement, des conditions et des aléas de son rendement)
Un assureur est tenu, au même titre qu'un établissement bancaire, de fournir à ses clients une information précontractuelle adaptée à leur situation personnelle et à leurs attentes.
Un couple avait ouvert des comptes-titres auprès d'un établissement bancaire et souscrit deux contrats d'assurance-vie.
Les souscripteurs, arguant de fautes commises par leurs cocontractants dans la conclusion des contrats, les ont assignés en paiement de dommages et intérêts.
La cour d'appel de Paris a retenu la responsabilité précontractuelle de la banque au titre du manquement à son obligation de conseil et d'information. Elle l'a ainsi condamné à indemniser le préjudice tiré de la perte de chance de choisir une option de gestion équilibrée, subi par les clients. A l'inverse, elle a rejeté la demande des requérants tendant à la mise en oeuvre de la responsabilité précontractuelle de l'assureur, au titre des contrats d'assurance-vie.
La Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel, dans une décision du 9 décembre 2014. Elle a en effet relevé que le préjudice subi par les demandeurs au pourvoi, au titre de l'ouverture des comptes bancaires, s'analysait non seulement en une perte de chance de choisir une option de gestion sécuritaire mais également en une perte de chance de mieux investir leurs capitaux. En outre, elle a jugé que la société d'assurance devait, au même titre que la banque, fournir aux assurés une information précontractuelle adaptée à leur situation personnelle et à leurs attentes.
D - Dommage/préjudice
La victime handicapée a le droit à une indemnité englobant la perte de ses futurs salaires mais aussi de sa retraite.
Même si elle a déjà fondé un foyer et eu des enfants, la victime peut se faire indemniser de son préjudice d'établissement puisque ce dernier recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale.
Un mineur au volant de sa voiture a blessé gravement son passager de 33 ans lors d'un accident. Ce dernier, ayant subi une section de la moelle épinière, est devenu tétraplégique.
Au visa de "l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime" la Cour de cassation censure les juges du fond (CA Poitiers, 9 octobre 2013, n° 12/03412 N° Lexbase : A5239KMY) pour avoir arrêté leur calcul de l'indemnisation de la victime au titre de la perte de gain annuel jusqu'à ce que la victime ait atteint l'âge de 65 ans, sans intégrer les pertes de droit à la retraite de la victime après 65 ans.
Au même visa, la Cour de cassation rappelle que le préjudice d'établissement consiste en la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, puis censure les juges du fond pour avoir écarté ce préjudice en l'espèce car la victime avait déjà, avant l'accident, fondé un foyer et eu trois enfants, alors que "le préjudice d'établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale".
Le préjudice d'agrément temporaire est inclus dans le déficit fonctionnel temporaire.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la victime d'un accident de la circulation à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 30 octobre 2013 (CA Bordeaux, 30 octobre 2013, n° 12/5940 N° Lexbase : A6870KNR) qui avait jugé que le préjudice lié à l'impossibilité de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisir pendant la période d'incapacité temporaire au motif que ce préjudice d'agrément temporaire est englobé dans le déficit fonctionnel temporaire qui lui a déjà été indemnisé.
C'est donc l'autonomie du préjudice d'agrément temporaire que l'arrêt condamne, et non sa prétendue négation par la nomenclature élaborée par le Professeur Jean-Pierre Dintilhac (11).
A la lecture de cet arrêt, il existe un risque de sous-évaluation du préjudice d'agrément temporaire.
Pour mémoire, la Cour de cassation définit le déficit fonctionnel temporaire comme "l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique" (Cass. civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-16.829 N° Lexbase : A3927EHW).
Le refus d'une personne, victime d'une infection nosocomiale dont l'établissement de santé a été reconnu responsable, de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut pas entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultat de l'infection.
Un patient -membre du corps médical- a subi deux interventions chirurgicales. A l'issue de la seconde, il a présenté un état infectieux laissant craindre des complications. Refusant le traitement par antibiotiques proposé par les médecins ou son transfert dans un autre établissement de santé, il a quitté la clinique contre avis médical, sans prendre à son retour attache avec un quelconque thérapeute. Professionnel de santé, le patient était convaincu d'avoir contracté une hépatite et a préféré recourir aux "médecines naturelles". Après avoir suivi pendant un mois un traitement homéopathique et son état s'étant aggravé, il a été ré-hospitalisé et soigné pour une septicémie consécutive à l'infection initialement contractée. Le patient a alors assigné la clinique en réparation de son entier préjudice.
Pour limiter la responsabilité de la clinique, les juges du fond ont estimé que les complications subies par le patient n'étaient que la conséquence de son refus de soins en raison de ses convictions personnelles, dans la mesure où si celui-ci ne s'était pas soustrait au traitement proposé, l'infection n'aurait pas dégénéré et se serait rapidement résorbée.
La Cour de cassation censure les juge du fond (CA Bordeaux, 10 avril 2013, n° 12/124 N° Lexbase : A8549KBA) au motif que les traitements proposés n'avaient été rendus nécessaires que parce qu'il avait contracté une infection nosocomiale engageant la responsabilité de la clinique. Le refus d'une personne, victime d'une infection nosocomiale dont l'établissement de santé a été reconnu responsable, de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut pas entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l'intégralité des préjudices résultant de l'infection.
La Cour de cassation se montre réticente envers l'obligation pour les victimes de préjudice corporel de minimiser leur dommage (12). C'est une jurisprudence constante qui est rappelée avec force ici, alors que les faits de l'espèce laissaient la possibilité d'un revirement de jurisprudence (13).
En tout état de cause, plus que le concept de "mitigation of damage", c'est sur le terrain de la causalité que le débat de cet arrêt a porté (14).
A toute fin, il faut rappeler que l'interdiction de pratiquer un acte médical sans le consentement libre et éclairé du patient est affirmée par de nombreux textes internationaux et européens ainsi que, depuis la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 (N° Lexbase : L3100AIN), par l'article 16-3 du Code civil (N° Lexbase : L6862GTC). La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, sur le droit des malades (N° Lexbase : L1457AXA), a également inséré un article L. 1111-4 dans le Code de la santé publique (N° Lexbase : L9876G8B) qui énonce plus clairement encore, en son alinéa 3, qu'"aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ".
La liberté conférée au patient de s'opposer à tout traitement médical ne saurait se retourner contre lui en le privant d'une partie de son droit à réparation, quand bien même celui-ci aurait indirectement concouru à l'aggravation de son préjudice en refusant le traitement préconisé par les médecins.
E - Sur la perte de chance (perte d'une chance "raisonnable")
La première chambre civile de la cour de Cassation a, dans les deux arrêts du 30 avril 2014 publiés au bulletin, adopté une conception plus restrictive de la perte de chance, revirant ainsi sa jurisprudence issue de l'arrêt du 16 janvier 2013, d'après laquelle la perte de chance "même faible" était indemnisable (Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.439 N° Lexbase : A4084I3N).
Dans la première espèce, des époux, mariés sous le régime de la communauté universelle, ont divorcé. Le mari a assigné en indemnisation le notaire rédacteur du contrat de mariage, lui reprochant d'avoir manqué à son devoir de conseil en omettant de lui indiquer que sans clause de reprise des apports en cas de divorce, les biens de la communauté seraient partagés par moitié, malgré le déséquilibre manifeste des apports de chaque époux. Tout en retenant que le notaire était fautif, la cour d'appel rejette l'action au motif qu'aucun préjudice n'en est résulté. La Cour de cassation juge que, dans la mesure où les juges du fond avaient relevé que la préoccupation principale des époux lors de la signature du contrat de mariage était d'assurer la protection du conjoint survivant et non d'envisager les conséquences d'une rupture du lien matrimonial, ils ont pu estimer que l'époux ne justifiait pas d'un préjudice direct et certain résultant de la "perte d'une chance raisonnable" d'adopter un autre régime matrimonial (n° 13-16.380).
Dans la seconde espèce, la victime d'un accident du travail, licenciée par la suite, estimant que la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH) à laquelle elle avait adhéré ne lui avait pas conseillé d'engager rapidement une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, alors que la prescription de cette action allait être acquise, a recherché la responsabilité de la FNATH pour perte de chance d'obtenir les indemnités correspondantes.
Ayant relevé qu'aucune enquête n'avait été diligentée à la suite de l'accident, et constaté que la victime produisait, trois ans après les faits, pour en relater les circonstances, deux attestations établies par des collègues de travail, la cour d'appel a estimé que celui-ci ne justifiait pas d'un préjudice direct et certain résultant de la perte d'une chance raisonnable de succès à une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, justifiant ainsi légalement sa décision.
Déboutée au fond à raison de la faiblesse des chances de succès de l'action manquée, la victime forma un pourvoi qui se fondait sur la jurisprudence consacrée le 16 janvier 2013. La Cour de cassation (n° 12-22.567) le rejette et juge que la cour d'appel a justifié sa décision en estimant qu'au regard de l'insuffisance des preuves dont la victime disposait celle-ci ne justifiait pas d'un préjudice direct et certain résultant de la "perte d'une chance raisonnable de succès" de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Par ces deux arrêts, la première chambre civile de la Cour de cassation retourne à plus d'exigence quant à l'application de la théorie de la perte de chance : seule la perte de chance "raisonnable" est indemnisable, réintroduisant une "appréciation quantitative de la chance perdue qui impliquerait un minimum de consistance" (15).
F - Divers
1. Sur la prescription
Avocat (suspension de délai de prescription de l'article 2225 du Code civil par la saisine du conseil de l'ordre)
Le délai de prescription de l'action en responsabilité prévue par l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB), qui est de cinq ans à compter de la fin de la mission de l'avocat, est suspendu par la saisine du conseil de l'Ordre et recommence à courir à compter de la notification de l'avis de ce dernier.
Un pourvoi déposé hors délai engage la responsabilité civile de l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le Conseil d'Etat est le juge de cette responsabilité si les faits ont trait aux fonctions exercées devant les juridictions de l'ordre administratif. Cette responsabilité est jugée selon les principes de droit commun appliqués par la juridiction compétente. Le plaignant est indemnisé s'il y a eu faute et si celle-ci lui a fait perdre une chance sérieuse d'obtenir la cassation recherchée. La faute était en l'espèce constituée par le fait que le pourvoi avait été déposé après l'expiration du délai de recours. Quant à la chance sérieuse d'aboutir à une décision favorable, elle est mesurée après un examen des moyens invoqués dans le pourvoi tardif. Les raisons pour lesquelles les moyens n'avaient aucune chance sérieuse d'être retenus ne sont pas précisées, mais leur énumération atteste que chacun d'entre eux a été pris en compte. Finalement, la faute commise n'a fait subir aucun préjudice matériel au plaignant.
Les motifs de recherche de la responsabilité du mandataire sont nombreux. Il peut s'agir, par exemple, des conseils donnés quant aux effets du pourvoi (CE, 1° et 6° s-s-r., 5 juillet 2006, n° 277149 N° Lexbase : A3556DQR).
Le litige posait également une question de prescription. L'action en responsabilité contre les avocats se prescrit par cinq ans courant de la fin de la mission. Elle était suspendue en l'occurrence par la saisine obligatoire (décret n° 2002-76, art. 19 N° Lexbase : L1309AWE) pour avis du conseil de l'ordre et recommençait à courir à compter de la notification de cet avis (16).
2. Sur la clause pénale
Une clause d'un contrat de prestation de services qui prévoit qu'en cas de résiliation anticipée le client doit payer l'intégralité de ce qui est dû constitue une clause pénale (17) susceptible de réduction, même si elle ne se réfère pas à la défaillance d'une des parties.
Une société avait conclu avec un opérateur de transmission audiovisuelle un contrat de prestation de service dont une clause précisait que le client s'engageait à verser au prestataire, en cas de résiliation anticipée du contrat pour une autre cause qu'un manquement du prestataire à une obligation contractuelle essentielle, l'intégralité du prix qu'il aurait dû payer jusqu'au terme de la durée du contrat ainsi que tous les coûts supportés par le prestataire du fait de cette résiliation.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 2015, a jugé que cette clause s'analyse en une clause pénale susceptible de révision par le juge et non en une clause de dédit : en effet, elle ne conférait pas au client une faculté unilatérale de résiliation anticipée du contrat et elle était stipulée pour contraindre le client à l'exécution du contrat jusqu'à son terme et évaluer forfaitairement le préjudice subi par le prestataire.
Imposer une clause pénale excessive peut constituer un déséquilibre significatif entre les parties.
Les dispositions de l'article 1152 du Code civil permettant de réduire le montant manifestement excessif d'une clause pénale ne font pas obstacle à l'application de l'article L. 442-6, I-2° du Code de commerce (N° Lexbase : L1769KGM) interdisant le déséquilibre significatif entre les parties.
3. Sur l'obligation contractuelle de sécurité qui est aussi une obligation de moyens
Concernant l'activité des auto-écoles, l'obligation contractuelle de sécurité existait déjà, mais cet arrêt est l'occasion pour la Cour de cassation de préciser que, concernant les deux-roues, le moniteur n'intervenant que par des directives orales, la qualité de conducteur du stagiaire est difficilement contestable.
Au cours de l'exécution d'un contrat de formation à la conduite d'une motocyclette qui prévoyait un minimum de 20 heures de pratique, l'apprenti conducteur a été grièvement blessé lors de sa septième leçon. Il a perdu le contrôle de la mobylette pendant que le moniteur lui donnait des indications depuis un véhicule suivant la mobylette.
La Cour de cassation censure partiellement les juges du fond (CA Angers, 21 mars 2013) mais les confirme en ce qu'ils ont jugé qu'une "société d'auto-école est tenue envers ses élèves d'une obligation contractuelle de sécurité, qui est de moyens".
La Cour relève que l'apprenti conducteur avait "indiqué à deux reprises au moniteur que ses doigts étaient engourdis par le froid" et retient "qu'ainsi averti de ce danger particulier, aggravé par le fait que l'élève était encore en début d'apprentissage, le moniteur aurait dû suspendre la leçon jusqu'à la disparition de cet état ou lui signifier qu'il était imprudent de continuer l'exercice dans ces conditions, à défaut de pouvoir manipuler les commandes et doser la pression sur l'accélérateur en toute sécurité".
La Cour de cassation en déduit que "le défaut de maîtrise [de l'apprenti conducteur] était la conséquence de la seule faute d'imprudence commise par [l'auto-école]".
Tout en approuvant les juges du fond d'avoir retenu l'entière responsabilité de l'auto-école, la Cour de cassation leur reproche leur imprécision dans l'évaluation du montant de l'indemnisation et les censure donc partiellement.
L'apprenti conducteur ne pouvait pas invoquer la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9) puisque son véhicule était seul impliqué dans l'accident (Cass. civ. 1, 28 octobre 1991, n° 90-13.258 N° Lexbase : A7250C4B), sauf à démontrer que le moniteur était le gardien du véhicule. Si c'est fréquemment le cas dans l'apprentissage de la conduite automobile, c'est beaucoup plus rare pour celui de la conduite d'une motocyclette, à moins que le moniteur ne soit juché sur le siège arrière. Dans ce cas, le moniteur peut même être qualifié de conducteur, et réciproquement l'élève de personne transportée, dès lors qu'il a conservé en fait le pouvoir de commandement sur ce véhicule, se réservant ainsi la possibilité d'intervenir dans la conduite de l'engin et d'en retirer la maîtrise à l'élève soumise à ses directives (Cass. civ. 2, 27 novembre 1991, n° 90-11.326 N° Lexbase : A4742ACM). Le cas d'espèce ne correspondant à aucune de ces situations, la victime n'avait pas d'autre choix que de rechercher la responsabilité contractuelle de l'auto-école (18).
(1) Cass. com., 26 novembre 2003, n° 00-10.243, FS-P (N° Lexbase : A2938DA3) : "en l'absence d'accord ferme et définitif, le préjudice subi par la société Alain Manoukian [en raison de la rupture des pourparlers]n'incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains qu'elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de l'exploitation du fonds de commerce ni même la perte d'une chance d'obtenir ces gains".
(2) Ass. plén., 1er décembre 1995, n° 91-15.578 (N° Lexbase : A1731AAD) : "lorsqu'une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l'indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n'affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l'abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu'à résiliation ou indemnisation".
(3) G. Deharo, professeur, Laureat International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès Paris 1, CEDE Essec.
(4) A. Batteur, LexisNexis Synthèse - Majeurs protégés.
(5) S. Hocquet-Berg, LexisNexis Synthèse - Faute délictuelle.
(6) Ph. Stoffel-Munck, JCP éd. G, n° 25, 22 juin 2015, doctr. 740.
(7) Note de P. Jourdain, La CJUE apporte d'utiles précisions sur la notion de produits défectueux et de dommage réparable, RTDCiv., 2015, p. 406.
(8) L. Leveneur, Sur qui pèse la charge de la preuve du défaut ?, Contrats Concurrence Consommation n° 5, mai 2015, comm. 110.
(9) L. Leveneur, Produit défectueux : l'interphone rendait sourd !, Contrats Concurrence Consommation n° 3, mars 2015, comm. 58.
(10) Note P. Jourdain, Préjudice réparable en cas de défaut d'information médicale : la Cour de cassation réoriente sa jurisprudence, RTDCiv., 2014, p. 379.
(11) P. Jourdain, Le préjudice d'agrément temporaire est inclus dans le déficit fonctionnel temporaire, JCP éd. G, n° 15, avril 2015, 434.
(12) Mitigation of damages : notion de droit anglo-saxonne réduisant l'indemnisation de la victime si celle-ci a laissé son dommage s'aggraver sans rien entreprendre de bon sens pour le minimiser.
(13) Note J. Houssier, Nouveau revers pour l'obligation de minimiser son dommage, JCP éd. G, n° 15, avril 2015, 436.
(14) S. Hocquet-Berg, Infection nosocomiale : refus de la victime de se soumettre à des traitements médicaux, RCA, n° 4, avril 2015, comm. 134.
(15) P. Maistre du Chambon, JurisClasseur Civil Code Art. 1382 à 1386, Fasc. 223 : Régime de la réparation - Action en réparation - Les modes de preuve.
(16) JCP éd. G, n° 14, avril 2015, 408.
(17) C. civ., art. 1152 (N° Lexbase : L1253ABZ).
(18) S. Hocquet-Berg, RCA, n° 1, janvier 2015, comm. 8.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450361