N'est pas constitutif d'une violation de l'article 10 de la CESDH (
N° Lexbase : L4743AQQ) le fait pour une juridiction nationale de condamner, pour diffamation, l'auteur d'un ouvrage soupçonnant des personnes dans une affaire non encore élucidée à ce jour. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme le 3 décembre 2015 (CEDH, 3 décembre 2015, Req. n° 30936/12
N° Lexbase : A3342NYG). Les faits de l'espèce concernaient Me P., avocat de M. L. au cours de l'instruction concernant la tristement célèbre affaire de la mort de Grégory Villemin. En février 2007, il publia un livre au sujet de cette affaire dans lequel il soupçonnait le père de Grégory Villemin d'avoir voulu tuer un autre protagoniste de l'affaire et d'avoir tué M. L., le client de Me P., requérant. Les époux Villemin firent assigner Me P., l'éditeur et la société en diffamation pour vingt-huit passages du livre. En première instance, M. P. fut condamné pour diffamation au titre de deux passages du livre et le tribunal ordonnât, en outre, l'insertion dans toute nouvelle impression ou édition de l'ouvrage, d'un communiqué judiciaire informant de cette condamnation (TGI Paris, 27 octobre 2008, n° 07/06528
N° Lexbase : A3658EIC). Les défendeurs interjetèrent appel de cette décision et la cour d'appel confirma le jugement entrepris, s'agissant de deux passages du livre dont le caractère diffamatoire avait été retenu, au motif qu'en soupçonnant M. V. d'avoir tenté de commettre un meurtre, voire un assassinat, Me P. l'avait accusé sans prudence, ce qui ne lui permettait pas d'invoquer sa bonne foi comme fait justificatif (CA Paris, pôle 2, 7ème ch., 7 avril 2010, n° 08/22497
N° Lexbase : A3449E4I). Invoquant l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, Me P. a formé un pourvoi en cassation, lequel a été accueilli simplement en ce qu'il visait le passage imputant à Mme V. de s'être constituée partie civile dans un but contraire à la manifestation de la vérité (Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-19.381, FS-D
N° Lexbase : A8787HZH). Saisie de la question, la CEDH a constaté que cette restriction portée à la liberté d'expression poursuivait bien un but légitime et que Me P. s'exprimait bien sur un sujet relevant de l'intérêt général. Elle relève également que les juridictions internes ont examiné avec minutie la cause de Me P. et ont bien mis en balance les intérêts en présence. Enfin, énonçant que le juge interne, malgré le caractère restreint de la marge d'appréciation dont il disposait, pouvait tenir l'ingérence dans le droit de Me P. pour nécessaire, elle conclut à la non violation de l'article 10 de la CESDH par la France.
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