Jurisprudence : CEDH, 10-05-2001, Req. 29392/95, Z et autres c. Royaume-Uni

CEDH, 10-05-2001, Req. 29392/95, Z et autres c. Royaume-Uni

A7552AWM

Référence

CEDH, 10-05-2001, Req. 29392/95, Z et autres c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064471-cedh-10052001-req-2939295-z-et-autres-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

10 mai 2001

Requête n°29392/95

Z et autres c. Royaume-Uni



AFFAIRE Z ET AUTRES c. ROYAUME-UNI

(Requête n° 29392/95)

ARRÊT

STRASBOURG

10 mai 2001

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Z et autres c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

Mme E. Palm,

MM. C.L. Rozakis,

J.-P. Costa,

L. Ferrari Bravo,

L. Caflisch,

P. Kûris,

J. Casadevall,

B. Zupanèiè,

Mme N. Vajiæ,

M. J. Hedigan,

Mmes W. Thomassen,

M. Tsatsa-Nikolovska,

MM. E. Levits,

K. Traja,

A. Kovler,

Lady Justice Arden, juge ad hoc,

ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier ajoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 juin et 11 octobre 2000 et le 4 avril 2001,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 25 octobre 1999 (article 5 § 4 du Protocole n° 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).

2. A son origine se trouve une requête (n° 29392/95) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont cinq ressortissants de cet Etat, Z, A, B, C et D, avaient saisi la Commission le 9 octobre 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention.

3. Les requérants alléguaient que l'autorité locale n'avait pas pris les mesures adéquates pour les protéger de la négligence et des abus graves dont on savait qu'ils étaient victimes du fait des mauvais traitements que leur infligeaient leurs parents ; ils prétendaient également ne pas avoir eu accès à un tribunal ou disposé d'un recours effectif à cet égard. Ils invoquaient les articles 3, 6, 8 et 13 de la Convention.

4. La Commission a déclaré la requête recevable le 26 mai 1998. Le 6 septembre 1999, conformément au souhait exprès des parents adoptifs de D, elle a décidé de considérer que celle-ci ne figurait plus au nombre des requérants. Dans son rapport du 10 septembre 1999 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis unanime qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention, qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 8, qu'il y a eu violation de l'article 6 et qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 13.

5. Devant la Cour, les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, sont représentés par Mes Ben Emerson et Penelope Wood, avocats au barreau de Londres. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme Susan McGrory, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth. Le président de la Cour a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 3 du règlement).

6. Le 6 décembre 1999, le collège de la Grande Chambre a décidé que l'affaire devait être examinée par celle-ci (article 100 § 1 du règlement). La composition de la Grande Chambre a été fixée conformément aux dispositions des articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Cour a décidé que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (articles 24, 43 § 2 et 71 du règlement), l'affaire devait être attribuée à la même Grande Chambre que l'affaire T.P. et K.M. c. Royaume-Uni (requête n° 28945/95). A la suite du déport de Sir Nicolas Bratza, juge élu au titre du Royaume-Uni, qui avait pris part à l'examen de la cause au sein de la Commission (article 28), le Gouvernement a désigné Lady Justice Arden pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

7. Les requérants comme le Gouvernement ont déposé un mémoire. Des observations ont également été reçues de Mme Géraldine Van Beuren, directrice du programme sur les droits internationaux de l'enfant (université de Londres), que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du règlement).

8. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 28 juin 2000 (article 59 § 2 du règlement).

Ont comparu :

pour le Gouvernement

Mme S. McGrory, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth agente,

M. D. Anderson QC, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth

Mme J. Stratford, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth conseils,

Mmes S. Ryan, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth

J. Gray, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth

M. M. Murmane, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth conseillers ;

pour les requérantes

M. B. Emerson QC, conseil,

Mmes P. Wood, solicitor

M. Maughan, solicitor,

E. Gumbel QC,

N. Mole, centre AIRE, conseillères.

La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Emerson et Anderson.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9. Les requérants sont quatre frères et sœurs :

– Z, née en 1982 ;

– A, né en 1984 ;

– B, né en 1986 ;

– C, née en 1988.

10. Leurs parents se marièrent en novembre 1981.

11. La famille fut signalée pour la première fois aux services sociaux en octobre 1987 par leur visiteuse sanitaire, préoccupée par la situation des enfants et par des problèmes conjugaux. Aux dires de celle-ci, Z allait voler de la nourriture la nuit. A la suite de ce signalement, une réunion impliquant les diverses administrations concernées se tint le 24 novembre 1987 ; il fut décidé qu'un travailleur social et une visiteuse sanitaire devaient se rendre au domicile de la famille. La situation de celle-ci fut évoquée lors d'une réunion ultérieure en mars 1988. Comme elle semblait moins préoccupante, le dossier fut clos.

12. En septembre 1988, un voisin rapporta que les enfants passaient la majeure partie de la journée dehors, la maison étant fermée à clé.

13. En avril 1989, la police indiqua que les chambres des enfants étaient sales. Leur médecin généraliste fit la même remarque et observa que les portes des chambres étaient fermées à clé. La directrice de l'école des enfants, Mme Armstrong, se déclara préoccupée en mai 1989 et demanda une réunion ad hoc. En juin 1989, la NSPCC (National Society for the Prevention of Cruelty to Children – Association pour la prévention de la cruauté envers les enfants) et le services des urgences firent aussi un signalement à la suite de plaintes des voisins qui affirmaient que la maison était sale, que les enfants passaient la plus grande partie de la journée enfermés dans leurs chambres, qu'ils étaient rarement autorisés à sortir pour jouer et qu'ils pleuraient souvent. En août 1989, la grand-mère maternelle des enfants se plaignit aux services sociaux de la façon dont leur mère s'occupait d'eux et les corrigeait.

14. Lors d'une réunion interprofessionnelle du 4 octobre 1989 entre les services sociaux, la directrice de l'école, le médecin généraliste et la visiteuse sanitaire des enfants, il fut décidé qu'aucun travailleur social ne serait assigné à la famille. Le poids des aînés serait contrôlé à l'école et la visiteuse sanitaire devait poursuivre ses visites régulières à la famille. Il se dégagea de la réunion que le problème tenait moins à un risque d'abus physiques qu'aux carences et à la négligence des parents, et qu'il fallait aider ceux-ci à mieux assumer leur rôle.

15. En octobre 1989, alors que les requérants étaient en vacances, leur maison fut cambriolée. En entrant, la police constata qu'elle était très mal tenue. Des serviettes hygiéniques et des couches souillées traînaient dans un placard et les matelas des lits des enfants étaient imprégnés d'urine. Lors d'une réunion interprofessionnelle tenue le 13 décembre 1989, la visiteuse sanitaire demanda l'inscription des quatre aînés sur la liste des enfants à risque, car elle pensait que leur mère n'était pas capable de s'occuper d'eux de façon suivie. La suggestion ne fut pas retenue. Toutefois, une assistante sociale, Mme M., fut affectée à la famille. On considéra qu'il n'était pas approprié de convoquer une réunion ad hoc à ce stade. Avant la réunion, Z et A avaient dit à la directrice de l'école que A avait été frappé avec un tisonnier. Il fut décidé que cette déclaration devrait être vérifiée.

16. Le 23 mars 1990, lors d'une réunion interprofessionnelle, une amélioration fut relevée quant à l'état de la maison ; les visites avaient en effet permis de constater que les lits des enfants étaient propres, sauf en deux occasions. En revanche, Z et A avaient été vus en train de fouiller les poubelles de l'école à la recherche de nourriture. Il y avait donc toujours matière à préoccupation, d'autant qu'une autre naissance était attendue.

17. Lors d'une réunion interprofessionnelle tenue le 11 juillet 1990, la directrice de l'école fit état d'une détérioration de la situation des enfants ; Z et A cherchaient toujours de la nourriture dans les poubelles et A n'était pas propre. Mme M. déclara qu'elle se rendait toutes les semaines au domicile de la famille et qu'elle vérifiait l'état des chambres des enfants. Elle avait remarqué que les enfants dînaient vers 16 heures – 16 h 30 et ne mangeaient plus rien jusqu'au lendemain matin. Ils étaient en outre envoyés au lit à 18 heures. La fourniture d'une aide supplémentaire à la mère par l'intermédiaire d'une association de bénévoles fut envisagée.

18. Vers septembre 1990, on rapporta que A et B avaient des ecchymoses sur le visage. Avertie par des voisins qui affirmaient avoir entendu des cris en provenance de la maison des requérants, la police fit une enquête mais ne constata aucune trace de coups. Les policiers alertèrent les services sociaux, précisant que « la maison était dans un état épouvantable qui ne convenait pas [aux] enfants. »

19. Lors d'une autre réunion interprofessionnelle, tenue le 3 octobre 1990, l'assistante sociale, Mme M., se dit préoccupée par l'état de saleté des requérants et le désintérêt de la mère. Apparemment, les enfants déféquaient dans leurs chambres et étalaient les excréments sur les vitres des fenêtres. La directrice de l'école exprima elle aussi son inquiétude, en particulier au sujet des garçons, A et B, qui lui avaient confié que des blocs de bois étaient placés derrière les portes de leurs chambres. On décida de continuer à surveiller leur situation.

20. Le 5 décembre 1990 se tint une nouvelle réunion interprofessionnelle au cours de laquelle les participants décidèrent d'organiser une réunion ad hoc en janvier 1991 en raison des inquiétudes concernant les soins prodigués aux enfants et l'état de leurs chambres. Mme M. estima que l'état de la chambre des garçons s'était énornément détérioré. Elle avait constaté que la pièce était humide et malodorante. Le lit de A était cassé, et une barre de métal faisait saillie. Les draps étaient humides et tachés.

21. Dans un rapport du 24 janvier 1991, la directrice de l'école déclara que A était mal habillé, hirsute et souvent sale, et qu'il fouillait les poubelles de la cour de l'école à la recherche de trognons de pommes. Z faisait peine à voir, manquait de vitalité et fondait en larmes souvent et sans raison apparente ; elle était de plus en plus isolée au sein de ses camarades de classe, et il y avait eu des incidents fâcheux au cours desquels des remarques désobligeantes avaient été faites sur son apparence. B était un garçon renfermé, d'aspect misérable et dépenaillé. Il arrivait souvent en se plaignant d'avoir froid, pleurait fréquemment et recherchait le contact physique des adultes qui s'occupaient de lui. Il semblait également affamé. La directrice conclut que les besoins des enfants n'étaient pas satisfaits de façon adéquate et que les conditions de vie dans leur foyer et la dynamique familiale étaient source de préoccupation.

22. Lors d'une réunion ad hoc tenue le 28 janvier 1991, Mme M. déclara que la chambre des garçons ne comportait pas de lampe, de tapis ou de jouets, et que les draps étaient humides, malodorants et souillés, faute d'être changés par la mère. La directrice de l'école déclara que Z était repliée sur elle-même et pleurait souvent, que A fouillait les poubelles de l'école et était souvent sale, et que B était très renfermé, recherchait l'attention des autres et était constamment affamé. Le président de la réunion conclut que malgré les inquiétudes suscitées par la conduite des parents et les conditions de vie au sein du foyer, il y avait peu d'éléments permettant d'envisager une action en justice. En réalité, les parents ne négligeaient pas leurs enfants volontairement et, eu égard à l'éducation lacunaire qu'ils avaient eux-mêmes reçue, ils faisaient leur possible ; il fallait donc continuer à les assister pour tenter d'améliorer la situation. La décision fut prise de ne pas inscrire les enfants sur la liste des enfants à risque.

23. Le 5 mars 1991, on releva la présence sur le dos de B de contusions « inhabituelles ».

24. Aucun changement dans les conditions de vie des enfants ne fut constaté lors d'une réunion ultérieure des services sociaux qui eut lieu en avril 1991. La directrice de l'école déclara que Z et A allaient toujours chercher de la nourriture dans les poubelles et que A se repliait de plus en plus sur lui-même. Mme M. rapporta qu'aux dires de la mère les enfants fouillaient les poubelles du parc à la recherche de nourriture lorsqu'ils se rendaient à l'école.

25. En juillet 1991, la mère des requérants déclara aux services sociaux que les enfants gagneraient à être pris en charge. Le 12 août 1991, les services sociaux reçurent un appel téléphonique d'un voisin, qui affirma que les enfants étaient fréquemment cloîtrés dans une cour très sale derrière la maison, qu'ils criaient constamment et qu'on les tenaient enfermés pendant de longues périodes dans leurs chambres, où ils étalaient des excréments sur les vitres de leurs fenêtres. Les grands-parents maternels déclarèrent ultérieurement à la tutrice ad litem des enfants que Z, que sa mère traitait comme une domestique, devait nettoyer les excréments étalés sur les vitres.

26. Du 19 au 28 août 1991, les trois aînés passèrent plusieurs semaines auprès d'une famille d'accueil dans le cadre d'un placement temporaire. Les parents nourriciers rapportèrent qu'à son arrivée A. ne savait pas faire sa toilette, prendre un bain ou se laver les dents. Il mouillait son lit toutes les nuits et volait de la nourriture à son frère. B fut décrit comme étant « très effrayé (...) Il ne comprenait pas qu'il pouvait jouer dans le jardin et que la porte restait ouverte pour qu'il puisse rentrer ; il s'attendait à ce qu'elle soit verrouillée ». Il fallut aussi lui apprendre à utiliser les toilettes correctement et à s'essuyer.

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