La lettre juridique n°244 du 18 janvier 2007

La lettre juridique - Édition n°244

Éditorial

Responsabilité des hôpitaux publics/privés : la fin d'un droit à réparation à deux vitesses ?

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N7823A9M

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Reconnaissant qu'il ne s'agit pas d'opposer l'hospitalisation privée à l'hospitalisation publique, dans un souci de complémentarité nécessaire pour notre politique de santé publique, le législateur et les juges ont marqué une nette tendance, ces dernières années, à rapprocher, peu ou prou, leurs régimes de responsabilité médicale, afin que les patients victimes d'un préjudice à la suite d'une hospitalisation ne se trouvent pas plus ou moins bien lotis selon qu'ils ont choisi de recourir aux soins privés ou publics.

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a, notamment, unifié les délais de prescription, qui étaient de trente ans en matière contractuelle, dix ans en matière délictuelle et quatre ans en matière administrative, ce qui générait pour les victimes des inégalités de traitement. Un délai uniforme de prescription permet, désormais, de stabiliser les règles de mise en oeuvre de la responsabilité civile des professionnels et établissements de santé. Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.

Par ailleurs, le juge, par un récent arrêt du Conseil d'Etat rendu le 27 octobre 2006, décide qu'une plainte contre X avec constitution de partie civile afin de rechercher les auteurs des dommages provoqués lors d'un séjour dans un hôpital public devait être regardée comme relative à la créance détenue envers l'établissement hospitalier et comme interruptive de la prescription quadriennale, alors même que le juge judiciaire n'était pas compétent pour statuer sur des conclusions indemnitaires dirigées contre cet établissement public. Et Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.), d'étendre cette jurisprudence à l'ensemble des collectivités publiques relevant de la loi du 31 mars 1968, au travers de son commentaire, La prescription des dettes des collectivités publiques : une évolution favorable aux administrés, que les éditions juridiques Lexbase vous proposent de lire, cette semaine. Ainsi, une plainte contre X déposée afin de faire surgir les responsabilités engagées à l'occasion d'une prestation de service public interrompra, désormais, systématiquement le cours de la prescription à l'encontre des personnes publiques concourant à cette prestation ; ce qui n'était, bien évidemment pas le cas, puisque que, jusqu'à présent, la jurisprudence relative à l'interruption de la prescription quadriennale du fait de l'introduction d'un recours juridictionnel par le créancier de l'administration exigeait la mise en cause d'une personne morale de droit public.

Rappelons que la responsabilité des médecins et des hôpitaux est engagée, en principe, en cas de faute ; cela comprend aussi, pour les établissements de santé, un défaut dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier et les infections nosocomiales (bien que pour les infections nosocomiales, le principe d'une responsabilité sans faute des hôpitaux soit retenu). La loi prévoit, également, une indemnisation en cas d'aléa thérapeutique. Tous les types d'actes médicaux peuvent être concernés : prévention (examens...), diagnostic (investigations cliniques...) et soins proprement dits. Pour ne prendre que le cas des infections nosocomiales, on admet communément que, en France, 6 % à 7 % des hospitalisations sont compliquées par une infection nosocomiale plus ou moins grave, soit environ 750 000 cas sur les 15 millions d'hospitalisations annuelles. Ces infections entraînent un surcoût financier important, essentiellement dû à un allongement de la durée d'hospitalisation (quatre jours en moyenne), au traitement anti-infectieux et aux examens de laboratoire nécessaires au diagnostic et à la surveillance de l'infection. Les différentes études disponibles font état d'une échelle de coûts très large, allant de 340 euros en moyenne pour une infection urinaire à 40 000 euros pour une bactériémie sévère en réanimation. Les estimations varient donc sensiblement en fonction du site anatomique de l'infection, de la nature du germe, de la pathologie prise en charge mais aussi du service d'hospitalisation. Le calcul de ce coût doit, également, et de plus en plus, prendre en compte celui de l'indemnisation du dommage. Depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les victimes d'infections nosocomiales postérieures au 5 septembre 2001 bénéficient, en effet, d'un régime d'indemnisation plus favorable que celui applicable à la réparation des autres accidents médicaux. C'est donc une jurisprudence courageuse protectrice des droits du malade, et plus généralement des droits de la victime, qui s'accentue avec l'uniformisation et la "libéralisation" du carcan de la prescription de l'action contre des les collectivités publiques.

A noter que le terrain de la santé publique n'est pas en reste, cette semaine ; nous vous proposons, également, de lire les observations de Soliman Le Bigot et Peggy Grivel, avocats, LBM Avocats, Vers un renforcement de la réglementation anti-tabac, décryptant, pour vous, les interdictions et responsabilités issues du décret du 15 novembre 2006, fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif.

newsid:267823

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La nullité de la mise à la retraite prématurée

Réf. : Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, Société Bretagne Angleterre Irlande (BAI ), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE)

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N7461A99

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Le 07 Octobre 2010

L'activité de ceux que l'on appelle pudiquement les "seniors" semble être, depuis quelques années, au centre des préoccupations du droit social. Alors que l'âge de la retraite a été indirectement repoussé par la loi 21 août 2003 (loi n° 2003-775, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), alors que les partenaires sociaux (1), relayés par le pouvoir réglementaire (2), ont institué un nouveau contrat de travail intitulé "CDD senior", la Chambre sociale de la Cour de cassation ne pouvait demeurer en reste. Voilà donc qu'elle décide de toiletter, par un arrêt très largement publié, la mesure venant sanctionner la mise à la retraite irrégulière d'un salarié. Si cette mise à la retraite ne revêt pas les conditions exigées par la loi (1), la rupture sera requalifiée en licenciement qui tombera sous le coup de la nullité (2).


Résumé

Le régime spécial de retraite des marins déroge au régime général, si bien que le taux plein permet d'atteindre 75 % du salaire de base, au lieu de 50 %. En conséquence, la mise à la retraite du salarié marin n'ayant pas acquis le droit à une retraite à taux plein s'analyse en un licenciement fondé sur l'âge, c'est-à-dire sur un motif discriminatoire au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) emportant sa nullité.

Décision

Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, Société Bretagne Angleterre Irlande (BAI), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE).

Rejet (CA Caen, 3ème chambre, section sociale 2, 14 janvier 2005).

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8) ; C. trav., art. L. 122-14-12 (N° Lexbase : L5576ACI) ; C. trav., art. L. 122-14-13 en vigueur au moment des faits (N° Lexbase : L5577ACK) ; C. trav., art. L. 742-1 (N° Lexbase : L0336HGK).

Mots-clés : mise à la retraite ; taux plein non-atteint ; requalification en licenciement ; licenciement discriminatoire ; nullité.

Liens bases : ; ; .

Faits

1. M. Lechevretel est capitaine de navires de la compagnie BAI depuis 1977. Alors qu'il informe son employeur en 2001 qu'il entend poursuivre son engagement au-delà de 55 ans, il est débarqué de son navire. A compter du 12 janvier 2002, date de son 55ème anniversaire, il ne reçoit plus d'ordre d'embarquement et est placé en disponibilité. Le 2 juillet 2002, un protocole d'accord est signé entre le groupement des "Armateurs de France" et trois syndicats représentant le personnel naviguant de la marine marchande. Cet accord prévoit qu'à partir de 55 ans, l'employeur peut décider de la mise à la retraite d'un officier dès lors que celui-ci réunit des droits à pension d'ancienneté servie par la caisse de retraite des marins, sans que cette décision soit considérée comme un licenciement. Par lettre du 31 juillet 2002, M. Lechevretel est mis à la retraite en application de cet accord, à la suite de quoi il saisit les juridictions judiciaires.

2. La cour d'appel de Caen fixe le montant d'indemnités de congés payés que l'employeur doit verser au salarié, montant contesté par la société BAI. Cette question ne sera pas traitée dans le cadre de cette étude. Elle estime, ensuite, que le salarié n'avait pas la possibilité de bénéficier d'une pension de retraite à taux plein au regard du régime spécial de retraite applicable aux marins, si bien que la rupture s'analyse, non en une mise à la retraite, mais en un licenciement. Enfin, elle décide que ce licenciement justifié par l'âge du salarié est fondé sur un motif discriminatoire, si bien qu'il encourt la nullité.

Solution

1. Rejet

2. Le salarié, âgé de 55 ans, ne bénéficie d'une pension de vieillesse qu'aux taux de 50 % alors que le taux plein concernant les régimes spéciaux des marins, conformément à l'article R. 13 du Code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance, peut atteindre 75 % et, qu'en conséquence, "la rupture s'analysait en un licenciement".

3. "Il résulte de l'article L. 122-45 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (loi n° 2001-1066 N° Lexbase : L9122AUE), qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul".

4. "Et attendu qu'ayant constaté que l'armateur n'invoquait comme cause de rupture que l'âge de l'officier, lequel, au moment de la rupture du contrat de travail, ne bénéficiait pas d'une retraite à taux plein, a, à bon droit, décidé que sa mise à la retraite constituait un licenciement nul".

Commentaire

1. Les caractères de la mise à la retraite prématurée

  • Les conditions de la mise à la retraite

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a modifié l'article L. 122-14-13 du Code du travail (dans sa rédaction actuelle N° Lexbase : L6530DIP) et, par la même occasion, les conditions selon lesquelles un employeur peut utiliser la mise à la retraite comme mode de rupture du contrat de travail. Désormais, l'employeur ne peut utiliser ce mécanisme qu'à la condition que le salarié ait atteint l'âge de 65 ans (3). Mais, à l'époque de la situation dont traite l'arrêt commenté, cette réforme n'était pas encore entrée en vigueur.

Les conditions permettant la mise à la retraite d'un salarié étaient alors plus souples. Il fallait, tout d'abord, que le salarié ait acquis des droits à une pension de retraite à taux plein, ce qui correspondait, pour le régime général, à un taux de 50 % du salaire de base. Il fallait, ensuite, que le salarié ait la possibilité effective d'obtenir l'ouverture de cette pension de retraite : le salarié devait avoir atteint l'âge de 60 ans où l'âge, plus avancé, fixé par un accord collectif, voire par le contrat de travail. A défaut de respecter ces conditions, l'article L. 122-14-13 prévoyait que la rupture soit qualifiée de licenciement.

  • En l'espèce

Les faits de l'espèce compliquaient sensiblement l'analyse de la situation puisque le salarié concerné était capitaine de navire. Or, les marins sont soumis à un régime spécial de retraite. L'article R.13 du Code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance (N° Lexbase : L6544DYZ) envisage un maximum de 37,5 annuités permettant d'acquérir, pour chacune d'entre elles, 2 % du salaire annuel de base, si bien que le taux plein s'élevait à 75 %.

En mettant le salarié à la retraite à l'âge de 55 ans, l'employeur respectait la condition d'âge puisqu'un protocole d'accord fixant cette limite d'âge avait été conclu entre les syndicats et les représentants des armateurs. Toutefois, la seconde condition, consistant dans la possibilité de prendre une retraite à taux plein, n'était pas respectée, le salarié n'ayant acquis qu'un droit à 50 % de son salaire de base.

  • La sanction traditionnelle de la mise à la retraite irrégulière

La sanction devait donc être, de manière logique, la requalification de la rupture en licenciement. Comme pour tout licenciement, les juges auraient donc dû apprécier s'il était ou non pourvu d'une cause réelle et sérieuse. C'est, tout du moins, comme le rappelle le communiqué émanant de la Cour de cassation, la façon dont la Chambre sociale traitait ce type de rupture jusqu'à aujourd'hui. De manière traditionnelle, "l'employeur qui invoque comme seule cause de rupture du contrat de travail l'âge du salarié à un moment où celui-ci ne peut bénéficier d'une pension de retraite à taux plein, procède à un licenciement sans cause réelle et sérieuse" (Cass. soc., 25 mars 1992, n° 91-40.479, Banque Paribas c/ M. Fièvre, publié N° Lexbase : A3789AAL ; Cass. soc., 7 avril 1994, n° 90-43.465, Société nouvelle Chaumet c/ Mme Sang, publié N° Lexbase : A1777AA3 ; Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-40.919, M. Maurin c/ Société Winterthur, publié N° Lexbase : A5612ACT).

Il n'y a, somme toute, rien que de très logique dans cette requalification de la mise à la retraite en licenciement. La véritable nouveauté apportée par l'arrêt réside, en réalité, dans la sanction que la Cour réserve au licenciement.

2. La sanction de la mise à la retraite prématurée

  • Une nouvelle sanction parfaitement justifiée

Le véritable apport de cet arrêt, qui justifie sa large publicité, réside dans le renouvellement opéré par la Cour de cassation dans la sanction de la mise à la retraite irrégulière.

La loi du 16 novembre 2001 (loi n° 2001-1066 relative à la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L9122AUE) a introduit, à l'article L. 122-45 du Code du travail (dans sa rédaction issue de cette loi N° Lexbase : L4502DCQ), un nouveau motif discriminatoire : l'âge du salarié. En conséquence, toute mesure prise en considération de l'âge du salarié est nulle de plein droit.

La solution apportée par la Chambre sociale peut donc s'analyser comme une sorte "d'effet domino" : les conditions de la mise à la retraite n'étant pas réunies, les juges requalifient cette rupture en licenciement. Mais, le licenciement ainsi caractérisé n'ayant été prononcé qu'en considération de l'âge du salarié, l'application des dispositions permettant de lutter contre les discriminations liées à l'âge s'imposait, la nullité du licenciement devait être prononcée. Les textes sont totalement dépourvus d'ambiguïté, si bien que cette solution paraît respectueuse de leur combinaison. La mise à la retraite prématurée d'un salarié est donc nulle, quoique cette nullité ne soit pas prévue par un texte, comme c'est pourtant d'habitude la règle.

Bien entendu, cette application de l'article L. 122-45 du Code du travail ne remet pas en cause l'existence ou la licéité du mécanisme de mise à la retraite. Bien qu'il s'agisse là d'une mesure prise à l'encontre du salarié fondée sur le critère de l'âge, il s'agit d'une disposition spéciale qui déroge donc à la règle générale constituée par la sanction des discriminations.

Le salarié mis à la retraite de façon prématurée pourra donc exiger, comme c'est le cas pour tout licenciement nul (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7501BSM ; Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-44.503, Mlle Nathalie Guirod c/ Société Groupe espace conseil santé, inédit N° Lexbase : A8333C9I ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Le droit à réintégration, corollaire de la nullité du licenciement, Lexbase Hebdo n° 92 du 30 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9215AAK), d'être réintégré dans l'entreprise. Il aura, également, la possibilité de choisir de ne pas retourner dans l'entreprise et d'être indemnisé (pour un rappel des règles relatives à cette indemnisation, voir Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.077, FS-P+B N° Lexbase : A2964DHA ; lire les obs. de N. Mingant, L'indemnisation du membre d'un comité d'entreprise européen licencié sans autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2514AIX).

Cette solution va avoir, également, pour effet de permettre en partie une harmonisation du régime de la mise à la retraite du salarié protégé et du salarié non protégé.

  • Une simplification de régime ?

Comme pour toute rupture de son contrat de travail, le salarié protégé bénéficie d'une protection particulière lorsque son employeur décide de le mettre à la retraite. Une autorisation administrative devra être obtenue, à défaut de laquelle la mise à la retraite sera annulée (CE, Contentieux, 8 février 1995, n° 154364, Crédit lyonnais N° Lexbase : A2775AN4 ; RJS 1995, n° 266, concl. Arrighi de Casanova, p. 148 ; Cass. soc., 2 décembre 1998, n° 96-44.668, M. Ciavaldini c/ Crédit lyonnais, publié N° Lexbase : A4628AGI ; Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 01-45.902, F-P+B N° Lexbase : A6643DDE).

On constate donc que la sanction de la mise à la retraite sans autorisation du salarié protégé, fût-elle régulière, est désormais la même pour la mise à la retraite d'un salarié dont les conditions de mise à la retraite ne sont pas remplies. Si l'on raisonne par analogie avec les nouvelles dispositions introduites par la loi sur les retraites de 2003, on peut donc considérer qu'il n'y a plus véritablement de différence entre le salarié protégé et le salarié non protégé : mise à la retraite avant 65 ans, la rupture pouvant toujours être annulée.

La violation du statut protecteur n'étant plus pourvue d'une sanction autonome, on peut se demander si la décision de la Cour n'a pas pour effet d'atténuer sensiblement la portée de cette protection. Faut-il envisager d'alourdir la sanction de l'employeur qui licencierait un salarié protégé en ne respectant ni l'exigence d'une autorisation administrative, ni le seuil de l'âge ? Quoiqu'il s'agisse probablement là d'une hypothèse d'école, seul cet alourdissement de la sanction, par exemple par le biais du versement de dommages-intérêts, pourrait permettre de toujours garantir le statut protecteur des institutions représentatives du personnel.

La seule différence qui demeure véritablement réside donc, aujourd'hui, dans le sort de la mise à la retraite pour laquelle la condition d'âge a été respectée. L'employeur qui voudra mettre à la retraite un salarié protégé de 65 ans devrait toujours avoir à obtenir l'autorisation administrative. Comme le suggérait déjà S. Martin-Cuenot (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-48.351, FS-P+B N° Lexbase : A4478DQW ; lire Rappel de la subordination de toute rupture du contrat de travail d'un salarié protégé à une autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1306ALX, in fine), il faudrait peut-être envisager de faire machine arrière sur ce thème, tout particulièrement du fait de la simplification des critères de régularité de mise à la retraite. L'employeur n'a plus autant le choix qu'autrefois, à partir de 60 ans, de conserver ou non son salarié. Il doit attendre la limite de 65 ans. Mais, qui peut penser raisonnablement qu'arrivé à 65 ans, ce soit autre chose que l'âge du salarié qui justifie sa mise à la retraite ?

On parviendrait, dans cette hypothèse, à un régime plus harmonieux : avant 65 ans, toute rupture est nulle comme étant discriminatoire vis-à-vis de l'âge, que le salarié soit ou non protégé. Le spectre d'une mise à la retraite en violation du statut protecteur s'éloignant, on estimerait alors qu'au-delà de 65 ans, la mise à la retraite serait toujours possible, sans autre formalité administrative.

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Accord national interprofessionnel relatif à l'emploi des seniors du 13 octobre 2005. V. les obs. de C. Willmann, La place de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 dans les politiques de vieillissement actif, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1192AKD).
(2) Décret n° 2006-1070 du 28 août 2006 aménageant les dispositions relatives au contrat à durée déterminée afin de favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L6779HKB) ; lire les obs. de Ch. Willmann, Un nouveau contrat aidé : le "CDD senior", Lexbase Hebdo n° 226 du 7 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2470AL3) ;
(3) Le même article L. 122-14-13 prévoit, tout de même, quelques dérogations à cette limite d'âge, parmi lesquelles la conclusion d'un accord collectif étendu conclu avant le 1er janvier 2008, ramenant cette limite à un âge compris entre 60 et 65 ans.

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Responsabilité administrative

[Jurisprudence] La prescription des dettes des collectivités publiques : une évolution favorable aux administrés

Réf. : CE Contentieux, 27 octobre 2006, n° 246931, Département du Morbihan et autres (N° Lexbase : A4771DSI)

Lecture: 23 min

N7784A98

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Le 07 Octobre 2010

En dehors du fait de l'administration débitrice, deux causes d'interruption permettent au créancier de cette dernière de mettre en échec la règle de la prescription quadriennale des créances détenues envers les personnes publiques. La première cause est l'intervention d'une demande de paiement adressée par le créancier à l'administration. La seconde cause, qui fait l'objet de la présente étude, est l'introduction d'un recours juridictionnel par ce dernier. Par une décision en date du 27 octobre 2006, le Conseil d'Etat a ainsi jugé qu'une plainte contre X avec constitution de partie civile, afin de rechercher les auteurs des dommages provoqués lors d'un séjour dans un hôpital public, devait être regardée comme relative à la créance détenue envers l'établissement hospitalier et comme interruptive de la prescription quadriennale, alors même que le juge judiciaire n'était pas compétent pour statuer sur des conclusions indemnitaires dirigées contre cet établissement public (1). Ce faisant, le Conseil d'Etat a adopté une solution libérale pour les victimes de dommages subis dans le cadre du service public hospitalier, et plus largement, pour toutes les victimes d'agissements fautifs de la part des collectivités publiques, solution qui est en rupture avec la jurisprudence administrative traditionnelle, et même récente, mais qui est tout à la fois conforme à l'esprit de la jurisprudence judiciaire et à l'intention du législateur. I. La jurisprudence relative à l'interruption de la prescription quadriennale du fait de l'introduction d'un recours juridictionnel par le créancier de l'administration exigeait jusqu'à présent la mise en cause d'une personne morale de droit public

A. Les conditions d'interruption de la prescription quadriennale pour cause de recours juridictionnel : rappel

1) Nature, cause et objet du recours juridictionnel susceptible d'interrompre le délai de la prescription quadriennale

Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics (N° Lexbase : L6499BH8), alors applicable aux créances détenues sur les établissements publics hospitaliers en matière de responsabilité médicale : "Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis". Aux termes de l'article 2 de la même loi : "La prescription est interrompue par [...] / Tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance".

S'agissant de la nature du recours juridictionnel, ce recours doit bien entendu être, pour interrompre valablement le délai de prescription quadriennale, un recours contentieux : c'est pourquoi une simple mise en demeure n'interrompt pas le délai, à moins qu'elle ne se présente comme une demande adressée à l'administration et entre, ainsi, dans la première catégorie des causes d'interruption de la prescription résultant de l'initiative du créancier de la personne publique (2). De même, une simple tentative de conciliation qui n'est pas suivie d'une action en justice dans les délais qui sont propres à cette action ne peut interrompre ce délai (3). En revanche, une demande d'assistance judiciaire interrompt le délai (4), de même qu'une demande d'expertise, dès lors qu'elle a trait au fait générateur de la créance ou à son évaluation et implique une action ultérieure en indemnité (5), ou encore qu'une action demandant au juge d'enjoindre à l'administration de réparer en nature un dommage, dans la mesure où cette action met en cause la responsabilité de l'Etat (6).

Concernant l'objet du recours juridictionnel, il peut s'agir d'un recours en plein contentieux ou d'un recours pour excès de pouvoir (7). C'est dire que l'interruption du délai de prescription quadriennale n'est pas subordonnée à la présentation de conclusions indemnitaires.

Enfin, s'agissant de la cause du recours, elle doit être relative au fait générateur, à l'existence ou au montant de la créance en cause. Précisons, à cet égard, que l'introduction d'une instance qui deviendrait dépourvue de cause ou d'objet, dont le requérant se désisterait ou qui viendrait à être périmée en application de règles de procédure conserve son effet interruptif (8). En bref, tout recours juridictionnel peut normalement interrompre le délai, quelle que soit la juridiction saisie (c'est-à-dire même si cette juridiction est incompétente (9)), quel qu'en soit l'auteur (10) et quelle qu'en soit la recevabilité, un recours irrecevable interrompant, en effet, la prescription.

2) Qualité du défendeur à l'instance et conséquence de l'interruption du délai de la prescription quadriennale

Selon la jurisprudence, il suffit qu'une collectivité publique quelconque soit mise en cause dans l'instance pour que celle-ci comporte un effet interruptif (11) : il peut donc s'agir de la collectivité débitrice ou de toute autre collectivité publique. Précisons, à cet égard, que la notion de "mise en cause" est appréciée largement et ne se limite pas à la présentation d'une demande tendant à la condamnation d'une personne publique puisqu'elle inclut également la présentation, devant le juge civil, d'un recours dirigé principalement contre une personne privée, mais assortie de conclusions tendant à ce qu'une personne publique soit appelée en déclaration de jugement commun (12). En d'autres termes, dès lors qu'elle est partie à l'instance (13), la personne publique est "mise en cause" et cette mise en cause interrompt le délai de la prescription quadriennale. C'est pourquoi une action pénale dirigée contre des médecins d'un centre hospitalier interrompt ce délai lorsqu'elle est assortie d'une constitution de partie civile contre l'hôpital lui-même (14).

En revanche, selon la jurisprudence traditionnelle, ne peuvent interrompre le délai de prescription une action devant le juge administratif dirigée contre le seul entrepreneur de travaux publics (15) ou une plainte contre X avec constitution de partie civile qui n'est pas dirigée contre une collectivité (16).

Indiquons, enfin, en ce qui concerne la durée de l'interruption et la date de reprise du nouveau délai, qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 : "Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée".

B. En matière de responsabilité hospitalière, la solution traditionnelle consistant à ôter tout caractère interruptif de prescription aux actions engagées contre X ou contre des médecins de l'hôpital, portait préjudice aux administrés

1) Les arguments justifiant cette solution traditionnelle

Selon la jurisprudence traditionnelle, n'interrompent pas le délai de prescription la plainte avec constitution de partie civile contre les médecins d'un hôpital (18) (à la différence d'une action pénale dirigée contre des médecins d'un centre hospitalier mais assortie d'une constitution de partie civile contre l'hôpital lui-même) et l'action engagée contre un agent public pris personnellement (19).

Ainsi, selon cette jurisprudence, alors qu'une action engagée à l'encontre de n'importe quelle collectivité, et pas seulement contre la collectivité débitrice, suffit à interrompre le délai de prescription quadriennale, une action engagée contre les agents d'une collectivité publique, cette collectivité fût-elle la collectivité débitrice, n'interrompt pas ce délai. Dans ses conclusions sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai, le commissaire du Gouvernement J. Michel justifie cette solution par "le souci de ne pas rendre une administration débitrice de sommes d'argent à payer sans que cette dernière puisse être en mesure d'être informée d'une action [id est l'action engagée contre les agents publics] dont elle ignore tout" (20).

Dans ses conclusions sous la décision "Haudry", le commissaire du Gouvernement T. Olson justifie, plus particulièrement, cette solution en matière de responsabilité hospitalière. Selon lui, dans la mesure où, par principe, "le juge compétent pour tirer les conséquences indemnitaires d'une faute d'un hôpital public est le juge administratif" alors que seul le juge peut sanctionner personnellement un agent public, il appartient aux victimes et à leurs conseils de "savoir exactement ce qu'ils veulent", en d'autres termes de se tourner immédiatement vers le juge administratif si elles veulent être indemnisées plutôt qu'en le saisissant après avoir engagé une action pénale contre un agent public. Il s'agit là d'un élément et d'un argument essentiellement subjectifs, la victime étant censée connaître (bien sûr) le but de son action et surtout le juge compétent. Par ailleurs, selon T. Olson, dans la mesure où "une instance pénale dure souvent entre cinq et huit ans voire plus (21), ceci veut dire que la période au cours de laquelle la responsabilité du Centre hospitalier serait susceptible d'être recherchée pourrait s'établir, au total à quinze voire vingt ans", ce qui, selon le commissaire du Gouvernement, rendrait très délicate la tâche, pour le tribunal administratif saisi de conclusions indemnitaires contre l'hôpital, de "réunir les pièces et surtout les témoignages". Il s'agit, cette fois, d'un élément et d'un argument plus objectifs tenant compte de l'office du juge administratif et peut-être implicitement du souci de ne pas voir l'hôpital mis en cause au bout d'un si long délai. L'on peut également penser que la jurisprudence administrative était soucieuse de permettre à un établissement public, notamment hospitalier, d'arrêter ses comptes de manière régulière, pour disposer d'une situation financière maîtrisée non soumise à une éventuelle condamnation, et d'opposer la prescription, ce d'autant plus que l'opposition de la prescription est, pour une personne morale de droit public, une obligation et non une faculté.

Au total, selon la jurisprudence traditionnelle, l'hôpital ne saurait être considéré comme étant représenté par le médecin : il est donc un tiers par rapport à l'action dirigée contre celui-ci, action qui est pour lui res inter alios acta et ne peut aboutir qu'à une décision qui est, toujours pour lui, res inter alios judicata.

2) Une jurisprudence sévère pour les administrés, fondée sur l'irresponsabilité des agents publics en ce qui concerne leurs fautes de service

Cette jurisprudence était, cependant, sévère pour les administrés dont elle confiait le "destin" contentieux à l'habileté et la vigilance plus ou moins grandes de leurs avocats. Concrètement, il appartient au requérant d'"attaquer" sur deux fronts à la fois, en engageant une action contre le médecin devant les tribunaux judiciaires et une action contre l'hôpital devant les tribunaux administratifs. Ainsi que l'écrivait M. Waline dès 1963 (22) : "tout cela [...] suppose chez chaque requérant une connaissance du droit administratif que nous souhaiterions, pour notre part, aussi complète chez tous les licenciés en droit. En fait, le requérant a suivi les conseils de son avocat ou de son avoué. Il n'a pas été très bien conseillé. Mais il est pratiquement sans recours contre l'homme de loi".

Nous l'avons vu, la jurisprudence traditionnelle revient, en fait, à considérer que l'hôpital ne saurait être représenté par l'un de ses médecins, ce qui est une application du principe selon lequel la juridiction administrative déclare irrecevable les actions en responsabilité dirigées contre les agents publics pour leurs fautes de service. Ce principe était déjà contesté par M. Waline dans la note précitée. Selon lui : "Il est inadmissible qu'un citoyen ne puisse obtenir le remboursement de ses frais médicaux ou d'hospitalisation entraînés par la faute d'un médecin d'hôpital, simplement pour avoir cru, dans son ingénuité (tel le Huron au Palais-Royal, illustré par la plume étincelante de notre ami Rivero) qu'un agent public était le premier responsable de ses fautes". Il faut, en effet, souligner ici que, de manière ultime et très concrète, le préjudice résultant d'une faute médicale ou d'un défaut d'information a toujours pour origine un comportement fautif d'un agent de l'hôpital en cause : autrement dit, derrière la faute l'établissement hospitalier, il y a forcément la faute de l'agent hospitalier.

Ainsi que le soulignait E. Prada-Bordenave dans ses conclusions sous l'arrêt "Département du Morbihan" : "cette situation aboutit de manière paradoxale à faire de la théorie de la faute de service une théorie qui se retourne contre la victime alors qu'elle avait été conçue notamment pour assurer la solvabilité du responsable du dommage et permettre la réparation intégrale du dommage". En effet, la faute médicale étant une faute de service qui n'est pas détachable de l'accomplissement du service public dont le médecin a la charge, il incombe à la victime de diriger sa requête indemnitaire contre l'établissement hospitalier employant ce médecin (23), sous peine de voir son indemnisation rendue impossible par l'expiration du délai de prescription quadriennale. En d'autres termes, dès lors que la faute du médecin hospitalier est considérée comme une faute de service, la prescription quadriennale devient un obstacle à l'indemnisation de la victime de cette faute.

Ainsi, et concrètement, lorsqu'une personne victime d'un accident causé par un salarié d'une personne privée porte plainte avec constitution de partie civile, sa plainte est interruptive de prescription à l'égard tant de ce salarié que de l'employeur civilement responsable et, à l'issue du procès pénal, le tribunal correctionnel, après avoir statué sur l'action publique, se prononce sur l'action civile et peut condamner l'employer à verser à la victime des dommages et intérêts. En revanche, lorsqu'une personne victime d'un accident causé par un agent d'une personne publique porte plainte avec constitution de partie, le tribunal correctionnel, après avoir statué sur l'action publique, ne peut que se déclarer incompétent sur les intérêts civils, la victime devant alors se retourner vers la juridiction administrative où, dans de nombreux cas, l'administration peut lui opposer la prescription quadriennale. Au total, la jurisprudence administrative traditionnelle conduisait à rendre l'indemnisation de la faute commise par un agent public plus aléatoire que l'indemnisation de la faute commise par un salarié du secteur privé.

II. La solution libérale dégagée par l'arrêt du 27 octobre 2006 peut s'autoriser à la fois de l'esprit de la jurisprudence judiciaire et de l'intention du législateur

A. Une solution libérale cohérente avec la jurisprudence de la Cour de cassation

1) La solution retenue par le Conseil d'Etat est plus libérale que celle que préconisait son commissaire du Gouvernement

Dans ses conclusions sous l'arrêt "Département du Morbihan", E. Prada-Bordenave proposait de reconnaître un effet interruptif de la prescription quadriennale aux seules plaintes concernant des infractions commises par un agent public (médecin hospitalier et plus largement agent hospitalier) dans l'exercice de ses fonctions. Elle justifiait cette solution par le fait que la personne publique était toujours, de fait, avertie de la procédure visant l'un de ses employés (24) et qu'elle pouvait donc prendre les mesures comptables nécessaires et éventuellement saisir son assureur. Par ailleurs, selon elle, cette évolution s'inscrivait dans le renforcement des garanties accordées aux victimes en matière d'indemnisation des accidents médicaux (25).

En revanche, E. Prada-Bordenave excluait de "prévoir d'une manière générale qu'une plainte avec constitution de partie civile [...] interrompe le cours de la prescription à l'égard de l'administration responsable", en soulignant que cette solution, même si elle n'était pas contraire à la lettre de la loi du 31 décembre 1968, "serait une source d'insécurité juridique et financière pour les collectivités publiques qui, dans certains cas, n'auraient même pas été informées de l'existence d'un procès".

Dans sa décision, le Conseil d'Etat a, cependant, adopté cette solution extensive, ce qui signifie qu'une plainte contre X déposée afin de faire surgir les responsabilités engagées à l'occasion d'une prestation de service public interrompra, désormais, systématiquement le cours de la prescription à l'encontre des personnes publiques concourant à cette prestation. Il faut, en effet, souligner que la solution préconisée par le commissaire du Gouvernement n'aurait pu couvrir les dommages ne résultant pas d'agissements ou d'abstentions fautives de la part d'agents (et médecins) hospitaliers, comme par exemple les dommages causés par un défaut d'organisation dans la chaîne logistique de l'établissement ou le dommage résultant d'une cause non fautive. La solution extensive retenue par le Conseil d'Etat permet donc de couvrir l'ensemble du champ des causes possibles de dommages. Par ailleurs, alors que la solution préconisée par le commissaire du Gouvernement supposait que le juge administratif analyse les termes de la plainte déposée devant le juge pénal afin de déterminer si elle concernait bien des agissements ou des abstentions fautives commises par des agents (et médecins) hospitaliers dans l'exercice de leurs fonctions, la solution retenue par le Conseil d'Etat évite au juge administratif d'avoir à interpréter les termes de cette plainte et de s'exposer ainsi à un risque de divergences avec le juge pénal.

Au total, la décision "Département du Morbihan" opère un renversement complet de la décision "Commune de Férel" selon laquelle une collectivité publique devait être mise en cause dans l'instance afin que celle-ci comportât un effet interruptif. En effet, désormais, la mise en cause d'une personne publique n'est plus nécessaire pour qu'une plainte déposée devant le juge pénal interrompe le cours de la prescription. Ce n'est donc plus la juridiction devant laquelle elle est invoquée, mais la seule la nature de la créance qui importe désormais : il doit s'agir, en effet, d'une créance portant "sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur une collectivité publique".

2) Une solution cohérente avec l'approche retenue par la jurisprudence judiciaire

Aux termes de l'article 2244 du Code civil (N° Lexbase : L2532ABE) : "Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir". Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la seule formation d'une demande en justice, devant une juridiction étatique ou arbitrale ayant une existence légale, suffit à interrompre le cours de la prescription. Il n'est donc pas nécessaire que la citation en justice soit portée à la connaissance du débiteur dans le délai de prescription (26). En revanche, la jurisprudence judiciaire exige que la citation manifeste la volonté, de la part du créancier, d'obtenir réparation de la part des auteurs du dommage : le juge judiciaire adopte ainsi une approche subjective de la citation en justice, en analysant l'intention du plaignant.

Contrairement à la jurisprudence administrative (jusqu'à l'intervention de la décision du 27 octobre 2006), la jurisprudence judiciaire juge, depuis fort longtemps, qu'une plainte avec constitution de partie civile déposée devant le juge pénal interrompt le cours de la prescription civile à l'égard de toutes les personnes susceptibles d'avoir participé aux faits délictueux (27). Le seul tempérament apporté à cette solution libérale concerne les plaintes avec constitution de partie civile déposées dans le cadre d'une procédure pour laquelle la condamnation civile ne peut être infligée par le juge pénal (cas du transport aérien et des accidents du travail, notamment) : dans un tel cas, en effet, le cours de la prescription n'est interrompu qu'à la condition que la plainte tende, non seulement à corroborer l'action publique pour obtenir la répression des infractions, mais également à mettre en cause la responsabilité de l'auteur du dommage (28).

Pour déterminer la véritable intention de l'auteur de la citation en justice, et plus particulièrement pour déterminer si celui-ci a véritablement entendu obtenir réparation de la part des auteurs du dommage, le juge judiciaire procède à l'analyse des termes de la plainte. Que cette plainte soit déposée contre une personne dénommée ou contre une personne non dénommée (c'est-à-dire contre X) est, à cet égard, sans incidence sur l'appréciation du caractère interruptif de la prescription de la constitution de partie civile. En effet, le fait de déposer plainte contre X n'interdit nullement de donner, dans le corps de la plainte, des précisions sur les circonstances du dommage et surtout sur les personnes que l'on estime en être les responsables. Autrement dit, peu importe que l'identité des auteurs du dommage ne soit pas spécifiée : il suffit que l'auteur de la citation en justice puisse être regardé comme ayant entendu demander la réparation de ce dommage pour que sa plainte avec constitution de partie civile interrompe le cours de la prescription. Cette solution est, d'ailleurs, sage car le choix de déposer plainte contre une personne dénommée est rare et risqué, plus précisément rare parce que risqué : en effet, la personne ainsi mise en cause peut, ensuite, se retourner contre la partie civile pour dénonciation calomnieuse.

En outre, en ce qui concerne en particulier les dommages causés par un préposé dans l'exercice de ses fonctions, la personne civilement responsable est toujours mise en cause : elle est ainsi citée à l'audience (C. pr. pén., art. 460 N° Lexbase : L3864AZ7 (29)) et, à l'issue de l'instance pénale, le tribunal correctionnel peut, toujours, se prononcer sur l'action civile et condamner la personne civilement responsable à verser à la victime des dommages et intérêts. Enfin, la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (N° Lexbase : L0901AI9), a introduit dans le Code pénal un article 121-2 (N° Lexbase : L0401DZU) qui permet, désormais, de rechercher la responsabilité pénale des personnes morales privées ou publique, à l'exception de l'Etat. Ainsi, alors qu'avant l'intervention de cette loi une plainte avec constitution de partie civile ne pouvait, en aucun cas, conduire à la mise en examen d'un établissement public hospitalier, désormais, une plainte contre X avec constitution de partie civile peut tout à fait mettre en cause un tel établissement.

En considérant qu'une plainte contre X avec constitution de partie civile interrompt le cours de la prescription quadriennale dès lors qu'elle porte sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur une collectivité publique et en jugeant plus particulièrement qu'une telle plainte, lorsqu'elle vise à "rechercher les auteurs des blessures" infligées au patient d'un établissement hospitalier "doit être regardée comme relative à la créance [de la victime] sur cet établissement", le Conseil d'Etat adopte l'approche subjective, et l'on pourrait dire finaliste, de la jurisprudence judiciaire, approche fondée sur l'analyse des termes de la plainte, puisqu'il examine le contenu de la plainte afin de déterminer la véritable intention et le véritable but de l'auteur de cette plainte et afin, plus particulièrement, de déterminer si celui-ci a entendu rechercher et mettre en cause la responsabilité des auteurs du dommage qu'il a subi. Désormais, les deux ordres de juridiction adoptent donc la même approche subjective fondée sur une appréciation matérielle et concrète de la plainte.

B. La solution retenue par le Conseil d'Etat est fidèle à l'intention du législateur

1) L'esprit de la loi du 31 décembre 1968

Rappelons, d'abord, qu'aux termes de l'article 2 de loi du 31 décembre 1968 : "La prescription est interrompue par [...] / Tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance" (nous soulignons). Cela signifie que la loi du 31 décembre 1968 ne subordonne pas l'interruption du cours de la prescription quadriennale à l'introduction d'une demande de condamnation pécuniaire de l'administration, contrairement à ce qu'il en était sous l'empire de la loi de finances du 29 janvier 1831 instaurant pour la première fois une déchéance, alors quinquennale, pour les dettes de l'Etat (30). La déchéance issue de la loi du 31 décembre 1968 ne met donc pas uniquement en cause des droits pécuniaires : ainsi que le soulignait V. Pécresse dans ses conclusions sous l'arrêt "Caisse primaire d'assurance maladie du Havre" (31), c'est seulement si l'on estime que la prescription quadriennale instaurée par cette loi "garde le caractère d'une règle essentiellement comptable [...] que seule une mise en cause juridictionnelle tendant au règlement de la créance peut suspendre le cours de la prescription". La décision "Département du Morbihan" écarte cette interprétation strictement comptable et pécuniaire (32), finalement beaucoup trop restrictive au regard de la rédaction des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, puisqu'en ce qui concerne l'objet et le contenu du recours, la loi se borne à indiquer qu'il doit être relatif "au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance", sans donc imposer qu'il tende à une condamnation pécuniaire de l'administration.

Par ailleurs, la loi du 31 décembre 1968, par contraste avec la rigueur de la loi du 29 janvier 1831 et de la jurisprudence qui en était issue, s'est voulue très libérale quant à l'appréciation des causes d'interruption du délai de prescription. Selon les rapporteurs du projet de loi au Parlement, la prescription ne devait plus, désormais, pouvoir être opposée aux créanciers des collectivités publiques qui avaient fait le nécessaire pour sauvegarder leurs droits. La prescription ne devait donc toucher que les "créanciers négligents" (33) ou encore les créanciers "de mauvaise foi ou insouciants" (34). Dans l'exposé des motifs du projet de loi (35), le Garde des Sceaux René Capitant expliquait, également, que l'objectif de la loi était de résoudre des cas "dignes d'intérêt" parmi lesquels il citait celui des malades victimes de graves accidents opératoires qui, après avoir assigné les médecins en dommages et intérêts, étaient contraints de rediriger leur action vers l'établissement hospitalier, seul responsable, et se voyaient alors opposer la déchéance quadriennale. Tel avait été le cas en particulier dans l'affaire "Guionnet" (36). Le Garde des Sceaux ajoutait que les nouvelles dispositions de la loi du 31 décembre 1968 "permettraient d'éviter de tels inconvénients, inconvénients d'autant plus graves que la complexité du droit contemporain rend plus difficile la détermination du responsable".

Au total, l'esprit de la loi du 31 décembre 1968, bien loin d'être purement comptable et seulement attaché à préserver les finances des collectivités publiques, était donc de contribuer à une meilleure protection des victimes de fautes commises par des collectivités publiques. En ne limitant pas l'interruption du cours de la prescription aux seules plaintes concernant des infractions commises par un agent public dans l'exercice de ses fonctions, mais en l'étendant à toute plainte contre X avec constitution de partie civile, dès lors qu'elle porte sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur une collectivité publique, le Conseil d'Etat adopte donc une solution fidèle à l'esprit de la loi du 31 décembre 1968.

2) Une solution libérale conforme à l'allongement par le législateur du délai de prescription applicable aux établissements publics hospitaliers

Il faut, en effet, souligner que les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ne sont, désormais, plus applicables aux fautes commises dans le cadre du service public hospitalier. En effet, l'une des avancées majeures de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA) a consisté à supprimer la dualité des délais de prescription applicables aux établissements de santé privés et aux établissements de santé publics. En effet, antérieurement à l'intervention de cette loi, le délai de prescription applicable aux établissements de santé privés était de dix ans ou de trente ans (selon que l'on se plaçait dans un cadre contractuel ou quasi-délictuel), alors que le délai de prescription applicable aux établissements de santé publics était, en vertu de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, de quatre ans. Ce traitement différent réservé aux victimes d'accidents similaires était, ainsi, source d'une grande injustice : "mieux" valait en effet, pour obtenir réparation du dommage subi, être patient d'un établissement de santé privé qu'usager du service public hospitalier (37).

Ainsi, aux termes du nouvel article L. 1142-28 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4414DL3), issu de l'article 98 de cette loi : "Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage". Il est vrai que, malgré la rédaction ambiguë de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 (38), le Conseil d'Etat a jugé que cet article "n'a cependant pas eu pour effet, en l'absence de dispositions le prévoyant expressément, de relever de la prescription celles de ces créances qui étaient prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002" (39). C'est pourquoi le Conseil d'Etat a écarté l'application des dispositions de cette loi dans l'arrêt "Département du Morbihan".

Il n'en reste pas moins que l'unification du délai de prescription "supprime l'injustice auparavant faite aux victimes de dommages subis à l'hôpital au regard de celles des cliniques privées" (40). L'allongement de quatre à dix ans du délai de prescription applicable aux fautes commises dans le cadre du service public hospitalier marque donc un progrès considérable pour les usagers-patients de ce service public qui devraient se voir opposer moins souvent la prescription par les hôpitaux. Par ailleurs, en retenant la date de consolidation (41) du dommage comme point de départ du délai de prescription de dix ans, le législateur a adopté une solution très favorable aux victimes puisque ce délai de dix ans excède largement la date de manifestation du dommage et son aggravation telles qu'elles sont prévues par le droit commun de l'article 2270-1 du Code civil (N° Lexbase : L2557ABC) (42) en matière extra-contractuelle ou par le droit applicable en matière de responsabilité du fait des produits défectueux qui ne donne à la victime qu'un délai de trois ans à compter de la date à laquelle elle "aurait dû avoir connaissance du dommage" et de l'identité du producteur (C. civ., art. 1386-17 N° Lexbase : L1510ABK). Au total, les nouvelles dispositions de l'article L. 1142-28 du Code de la santé publique, issues de la loi du 4 mars 2002, devraient rendre plus difficile l'opposition de la prescription par les établissements publics hospitaliers.

La solution rendue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt "Département du Morbihan" est donc tout à fait dans la ligne de ce durcissement des conditions d'opposition de la prescription par les collectivités publiques (puisque les usagers-patients du service public hospitalier ayant déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile ne pourront plus se voir opposer la prescription) et de cette unification des conditions d'opposition de la prescription par les personnes publiques, d'une part, et les personnes privées, d'autre part, (puisque la jurisprudence administrative et la jurisprudence judiciaire sont, désormais, d'accord pour considérer qu'une plainte contre X avec constitution de partie civile interrompt la prescription). C'est pourquoi la solution rendue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt "Département du Morbihan", fidèle à l'esprit de la loi du 31 décembre 1968, est également conforme à l'esprit de la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades.

Conclusion

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de la solution rendue par le Conseil d'Etat dans l'arrêt "Département du Morbihan".

Soulignons, d'abord, que cette solution, quoique portant sur la créance d'un établissement public hospitalier, a une portée générale et vaut non seulement pour la prescription des créances "hospitalières" relevant, désormais, des dispositions de l'article L. 1142-28 du Code de la santé publique, mais encore, et surtout, pour toutes les autres créances des collectivités publiques relevant de la loi du 31 décembre 1968.

Soulignons, ensuite, que le caractère libéral de la solution rendue par le Conseil d'Etat nous convainc que la prescription des dettes des collectivités publiques, loin d'être une règle uniquement comptable et financière, est d'abord une règle influant sur la recevabilité contentieuse et l'accès à la justice administrative : et c'est bien ainsi que le Conseil d'Etat l'a analysée en jugeant qu'une plainte contre X avec constitution de partie civile devait l'interrompre (43) et en confiant au juge administratif, ce faisant, le soin d'examiner cette plainte et de déterminer la véritable intention de son auteur, en observant en particulier ce qu'il demande au juge (cherche-t-il à obtenir réparation de la part des auteurs du dommage ?). Il s'agit donc bien de se placer du point de vue du justiciable, et non du point de vue de la collectivité publique, et d'être attentif à ce qu'une demande présentée en justice par la victime d'un dommage ne reste pas sans réponse faute d'avoir été présentée dans les délais devant le juge administratif. Nous ne sommes pas loin, ici, de la notion de droit au recours.

La décision du Conseil d'Etat marque, en outre, le souci louable, de la part de la Haute Juridiction, de ne pas faire subir aux justiciables les inconvénients résultant de différences d'approche entre ordre judiciaire et ordre administratif. L'équilibre est, désormais, rétabli entre les victimes des agissements fautifs des personnes publiques et les victimes des agissements fautifs des personnes privées.

Enfin, et plus concrètement, la décision "Département du Morbihan" devrait avoir pour conséquence de rendre plus rare la prescription des dettes des collectivités publiques. Par ailleurs, il y a de fortes chances pour que cette solution incite les victimes, par simple précaution (c'est-à-dire à seule fin d'interrompre cette prescription), à déposer devant le juge pénal des plaintes avec constitution de partie civile, y compris lorsque le débiteur prévisible de la créance est une collectivité publique.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) CE, 27 octobre 2006, Département du Morbihan et autres, n° 246931, 247011, 247071 et 247076, à paraître au Recueil, AJDA 2006, p. 2389, chronique Landais et Lenica ; Revue Lamy des collectivités territoriales décembre 2006, p. 14, note Glaser.
(2) CE Section, 22 novembre 1963, URSSAF du Loiret, AJDA 1964, p. 101, note Drago.
(3) CE, 1er juillet 1931, Pol Roger et Compagnie, au Recueil p. 709 ; CE 25 avril 1934, Société Licari, au Recueil p. 471.
(4) CE, 12 janvier 1962, Commune de Mauriac, au Recueil p. 25 ; CE 14 décembre 1981, n° 17895, Centre hospitalier de Pontoise c/ Demoiselle Matin (N° Lexbase : A5963AK3), Dalloz 1982.
(5) CE Section, 3 janvier 1958, Ministre de l'Agriculture c/ Ghaisne de Bourmont, au Recueil p. 7, Dalloz 1958, p. 446, note Rouyer Hameray, AJDA 1958, p. 125, chronique Combarnous et Galabert ; CE 17 janvier 1964, Théolier, au Recueil p. 26 ; CE 17 janvier 1969, n° 71066, Syndicat du canal d'assainissement intercommunal des communes de Saint-Martin-de-Crau et d'Istres (N° Lexbase : A1519B8R), au Recueil p. 29 ; CE, 16 mars 1984, n° 38657, Commune urbaine de Lyon c/ Héritiers Marti (N° Lexbase : A6376ALQ).
(6) CE, 17 décembre 1958, Wassmer, aux Tables p. 877.
(7) CE Section, 9 janvier 1976, n° 95238, Fabre (N° Lexbase : A6217B7E), au Recueil p. 17 ; CE 9 janvier 1976, n° 95766, Garrigou (N° Lexbase : A6218B7G), au Recueil p. 15, RDP 1976, p. 1373, AJDA 1976 pp. 78 et 92, chronique Moyon et Nauwelaers.
(8) CE, 11 janvier 1956, Salesnes, aux Tables p. 646 ; CE 21 juillet 1970, n° 73375, Genin (N° Lexbase : A4570B8R), au Recueil p. 512, conclusions Grévisse.
(9) CE, 26 juin 1935, Van den Bussche, au Recueil p. 718.
(10) CE, 14 mars 1980, n° 9350, Commune de Sarreguemines (N° Lexbase : A5988AIM), au Recueil p. 149.
(11) CE Section, 24 juin 1977, n° 96584, Commune de Férel c/ Sablé et autres (N° Lexbase : A6734B8W), au Recueil p. 291, AJDA 1978 pp. 205 et 227 chronique Nauwelaers et Dutheillet de Lamothe, Revue administrative 1977, p. 486, observations Darcy, RDP 1978, p. 575 ; CE, 23 décembre 1987, n° 23519, M. Chartrousse et société Normand, au Recueil p. 422, AJDA 1988, p. 361, note Prétot ; CAA Douai, 21 janvier 2003, n° 00DA00803, Société Galina (N° Lexbase : A0616B7X), Petites Affiches, 21 janvier 2004, p. 8, conclusions Michel.
(12) CE Section, 26 janvier 1996, n° 126644, CPAM du Havre (N° Lexbase : A7119ANY), au Recueil p. 17, RFDA 1996, p. 501, conclusions Pécresse.
(13) Ce qui est le cas lorsqu'elle est appelée en déclaration de jugement commun : article 66 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2900ADR). Par ailleurs, ainsi que le note le commissaire du Gouvernement, la personne publique appelée en déclaration de jugement commun a accès à l'ensemble des pièces du dossier, est informée des prétentions de son créancier, peut faire valoir des arguments en défense et même présenter des conclusions indépendantes de celles des parties originaires et faire appel du jugement.
(14) CE 6 novembre 1987, n° 60835, Cerqueira c/ Centre hospitalier de Romans (N° Lexbase : A6008AP9).
(15) CE Section 24 juin 1977, n° 96584, Commune de Férel c/ Sablé et autres, précité.
(16) CE 16 mars 1983, n° 27993, Epoux Gilbin (N° Lexbase : A9521AL9), DA 1983 n° 147 ; CE 10 octobre 2005, n° 264588, M. et Mme Haudry (N° Lexbase : A0042DL7), aux Tables p. 816, AJDA 2005, p. 2040.
(17) Cf., pour l'application de cette règle, CE 22 octobre 1975, n° 90274, Ministre de l'Intérieur c/ Panis (N° Lexbase : A5386B8Y), aux Tables p. 939.
(18) CE, 5 octobre 1962, Demoiselle Guionnet, au Recueil p. 517 ; CE Section, 15 mars 1963, CHR de Grenoble c/ Bosse, au Recueil p. 173, Dalloz 1963, p. 597, note Lindon, RDP 1963, p. 1026, note Waline.
(19) CE Section, 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, au Recueil, p. 243, conclusions Chardeau, Dalloz 1963, p. 597, note Lindon.
(20) CAA Douai précité.
(21) Précisons, en effet, que si une plainte contre X avec constitution de partie civile suit son cours habituel, la prescription ne commencera à courir qu'au 1er janvier de l'année suivant l'intervention, non du jugement du tribunal correctionnel, mais de l'arrêt de la cour d'appel.
(22) Note sous CE Section, 15 mars 1963, CHR de Grenoble c/ Bosse, au Recueil p. 173, RDP 1963, p. 1027.
(23) T. confl., 25 mars 1957, Sieur Chilloux et Sieur Isaad Slimane, au Recueil p. 816 ; T. confl., 27 mai 1980, n° 02163, Ministère public c/ N'Guyen Vantra et autres (N° Lexbase : A8480BDG) ; CE 3 novembre 2003, n° 224300, M. Gilbert (N° Lexbase : A0883DAX), aux Tables.
(24) Ainsi, lorsqu'une plainte est déposée contre un médecin hospitalier, une partie de l'expertise porte nécessairement sur l'organisation du service de l'hôpital auquel est affecté ce médecin, ce qui suppose une information de la direction de l'établissement, et la personne civilement responsable (celle qui peut, par ses instructions ou par les modalités d'organisation du service, avoir eu une influence sur la survenance du dommage et donc sur la responsabilité de son agent) est systématiquement interrogée.
(25) Mise en place d'un mécanisme d'indemnisation amiable (C. santé publ., art. L. 1142-4 et s. N° Lexbase : L4439DLY) prévoyant, notamment, l'intervention d'une commission régionale de conciliation et d'indemnisation présidée par un magistrat administratif.
(26) Cass. com., 28 avril 1998, n° 95-15.453, Société Paris Sud transport industrie c/ société de constructions mécaniques Panhard et Levassoret autres, Bull. civ. IV n° 142 (N° Lexbase : A2374ACW).
(27) Cass. crim. 8 janvier 1898, Sirey 1898, 1, p. 535.
(28) Cass. com. 28 avril 1998, Société Paris Sud Transports Industrie c/ Société Panhard et Levassor précité, Bull. IV n° 142, Dalloz 1998, p. 219 ; Cass. 1ère civ. 25 janvier 2000, n° 97-22.658, Consorts Moro c/ Société mutuelle assurances aériennes et associations et autre (N° Lexbase : A5346AWW), Dalloz 2001, p. 1348, note Matsopoulou ; Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 01-02.853, Société des pétroles Shell c/ M. Casas Miguel et autres (N° Lexbase : A4188A4U), Bull. civ. II n° 284.
(29) Aux termes de cet article : "L'instruction à l'audience terminée, la partie civile est entendue en sa demande, le ministère public prend ses réquisitions, le prévenu, et, s'il y a lieu, la personne civilement responsable, présentent leur défense. La partie civile et le ministère public peuvent répliquer. Le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers".
(30) CE, 12 janvier 1900, Parly, au Recueil p. 26.
(31) CE Section, 26 janvier 1996, CPAM du Havre, précité, au Recueil p. 17, RFDA 1996, p. 505.
(32) Rappelons, en effet, que le Conseil d'Etat relève que la plainte avec constitution de partie civile déposée par la requérante devant le juge pénal, en tant qu'elle visait à "rechercher les auteurs des blessures" qui lui avaient été infligées lors de son séjour à l'hôpital, doit être regardée comme relative à sa créance sur cet établissement. Le Conseil n'exige donc nullement que la plainte avec constitution de partie civile tende à la condamnation pécuniaire de l'hôpital.
(33) M. Baudouin, rapporteur au nom de la Commission des lois, Assemblée Nationale, séance du 28 novembre 1968, JO Doc., p. 4932.
(34) M. Mignot, rapporteur au nom de la Commission des lois, Sénat, séance du 19 décembre 1968, JO Doc., p. 2298.
(35) Doc. Assemblée Nationale 1968-1969, n° 338.
(36) CE, 5 octobre 1962, Demoiselle Guionnet, précité, au Recueil p. 517.
(37) En effet, ainsi que l'écrivait L. Dubouis : "L'unité de la condition humaine face à la maladie et aux soins [...] remet en cause certains aspects traditionnels de la distinction droit public-droit privé". Cf. La distinction droit public-droit privé à l'épreuve de l'évolution de la responsabilité médicale, Liber amicorum J. Waline, Dalloz 2002, p. 206.
(38) Aux termes de cet article : "Les dispositions de la section 6 du chapitre II du titre IV du livre 1er de la première partie [du Code de la santé publique] sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en responsabilité, y compris aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable".
(39) CE, avis, 19 mars 2003, n° 251980, M. Haddad et CPAM de Tourcoing c/ Centre hospitalier de Tourcoing (N° Lexbase : A5657A7N), au Recueil p. 133.
(40) C.-M. Alves, L'unification de la prescription médicale à l'épreuve de la prescription quadriennale, Petites Affiches 14 septembre 2004, n° 184, p. 14.
(41) La consolidation des dommages "est considérée comme l'état des blessures insusceptibles d'évolution, qu'il s'agisse d'aggravation ou d'amélioration" (J.-J. Thouroude, Pratique de la responsabilité hospitalière publique, les responsabilités dans les établissements publics de santé, coll. Logiques juridiques, L'Harmattan 2000, p. 415). C'est pourquoi la consolidation peut intervenir des années après la date de l'accident hospitalier.
(42) Aux termes de cet article : "Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation".
(43) A condition, bien entendu, "qu'elle porte sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur une collectivité publique".

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Marchés publics

[Questions à...] Le Plan national d'action pour des achats publics durables : enjeux et perspectives... Entretien avec Rémy Risser, Chef du bureau des productions et consommations, Délégation au développement durable, Ministère de l'Ecologie et du Développement durable

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N7812A99

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Le 07 Octobre 2010

Lors du Comité interministériel pour le développement durable du 13 novembre 2006, le Gouvernement a décidé d'élaborer un "Plan national d'action pour des achats publics durables". Le ministère de l'Ecologie et du Développement durable et le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie organisent, ainsi, depuis le 14 décembre 2006, et jusqu'au 25 janvier prochain, une consultation publique électronique afin de recueillir l'avis de tous les acteurs de la commande publique sur la définition de ce plan, dont un avant-projet a été mis en ligne le 14 décembre 2006 (1). Afin de comprendre les enjeux et d'apprécier les perspectives offertes par le plan, qui devrait être adopté au mois de mars au plus tard, nous avons choisi d'interroger Rémy Risser, Chef du bureau des productions et consommations, Délégation au développement durable, Ministère de l'Ecologie et du Développement durable. Lexbase : Pouvez-vous présenter, en quelques mots, le (les) objectif(s) du "Plan national d'action pour des achats publics durables" ?

R. Risser : Il y a des objectifs généraux et des objectifs sectoriels, l'objectif principal étant de mobiliser les acheteurs publics. Il faut savoir que l'on compte certainement plus de 50 000 autorités adjudicatrices en France, du fait de notre organisation territoriale unique en Europe, et qu'il y a environ 200 000 personnes en France qui exercent la fonction d'acheteur public selon le ministère de l'Economie. Donc l'objectif essentiel est de mobiliser tout ce monde en élaborant un cadre commun sur les objectifs, la méthode, le concept d'achat public durable, les exemples, les outils existants.

Les objectifs sectoriels sont des objectifs par segment d'achat. Ce sont surtout les achats généraux qui sont concernés. Les achats dits "métiers", spécifiques à certains acheteurs publics comme, par exemple, les achats d'avions pour le ministère de l'Air, ne sont pas directement abordés même si les préconisations en termes de politique et de méthode leur sont applicables. En tout état de cause, il appartient à chaque autorité adjudicatrice de fixer ses propres objectifs en fonction de sa situation et de ses enjeux particuliers. Une quinzaine d'objectifs sectoriels a été définie. Ceux-ci sont amenés à évoluer à l'issue de la concertation. L'on peut déjà annoncer un nouvel objectif non prévu dans l'avant-projet, concernant la prise en compte de l'agriculture biologique dans les achats liés aux services de restauration collective.

Lexbase : Que faut-il entendre par "achat public durable" ? Cette notion regroupe-t-elle aussi bien un volet environnemental que social ?

R. Risser : Bien sûr, non seulement cette notion couvre les aspects environnementaux et sociaux, mais elle intègre aussi les aspects économiques. Le développement durable repose sur ces trois piliers.

Sachant qu'il peut y avoir des graduations dans le caractère durable d'un achat public, un achat public durable est donc, a minima, un achat public qui prend en compte l'environnement et/ou le social, mais aussi l'économie, par son efficacité, par la qualité des prestations et, surtout, par la prise en compte des coûts globaux, c'est-à-dire aussi bien le coût immédiat, le prix du marché, que les coûts différés, ceux-ci pouvant représenter des économies directes ou indirectes.

Lexbase : A travers ses articles 5 (N° Lexbase : L2665HPE) et 14 (N° Lexbase : L2674HPQ), le nouveau Code des marchés publics intègre cette notion de développement durable. Cependant, il semble que le code "demeure partiellement inadapté à une prise en compte étendue des clauses sociales dans la présentation des candidatures et dans les critères de choix des offres". Une modification du Code des marchés publics ne serait-elle pas, avant tout, nécessaire pour permettre l'introduction de critères sociaux parmi les critères d'attribution des marchés ?

R. Risser : Il faut rappeler qu'un critère social d'attribution des marchés a été introduit par la loi du 18 janvier 2005, ce critère consistant à prendre en compte les performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49). Mais, il est vrai que si l'on compare à l'environnement, qui peut être intégré aux trois stades essentiels de la procédure que sont la définition des besoins, la présentation des candidatures et l'attribution des offres, la prise en compte des aspects sociaux apparaît encore limitée. Il faut tout de même considérer que le code 2006 a élargi la perspective, notamment, au titre des conditions d'exécution. Alors qu'auparavant les conditions d'exécution pouvaient favoriser la lutte contre le chômage et l'insertion des personnes en difficulté, l'article 14 du nouveau code, reprenant la formulation de l'article 6 de la Charte constitutionnelle de l'environnement, dispose que ces conditions "peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental qui prennent en compte les objectifs de développement durable en conciliant développement économique, protection et mise en valeur de l'environnement et progrès social". Le volet social apparaît, désormais, de façon très générale, ce qui constitue une avancée. Est-ce que l'on pourra aller plus loin ? Cela ne dépend pas directement de la France puisque, finalement, le droit français des marchés publics est une transposition des deux Directives du 31 mars 2004. On peut remarquer, d'ailleurs, que le développement durable, dans la Directive 2004/18/CE (N° Lexbase : L1896DYU) apparaît au titre des considérants, alors qu'il apparaît dans deux articles du code (l'article 5 et l'article 14). Il semble, donc, que l'on se situe dans une avancée importante. Signalons que l'Europe envisage de travailler sur cette question. En effet, il a été annoncé, lors d'une réunion d'experts, qu'il serait mis en place un guide sur les aspects sociaux comparable à celui qui avait été mis en place en 2004 pour l'environnement (Guide "acheter vert").

Cependant, il faut rappeler que le problème qui se heurte à la prise en compte des aspects sociaux reste l'obligation de les décrire avec des outils objectifs et de respecter les principes fondamentaux de la commande publique (la non-discrimination, la transparence, le traitement égal des candidats), ce qui suppose un lien objectif à l'objet du marché. Or, il n'est pas toujours évident que les conditions sociales de production aient un lien avec l'objet du marché. Il est plus facile de prendre en compte l'aspect environnemental qui est directement mesurable et qui fait l'objet de référentiels incontestables, tels les normes et les écolabels.

Lexbase : Les outils déjà existants destinés à inciter les acheteurs à intégrer le développement durable sont nombreux. Comment expliquer que la France n'apparaisse pas dans le groupe des sept Etats membres considérés comme les plus avancés en matière "d'écologisation" des marchés publics ? En effet, on peut s'interroger sur l'impact de l'ensemble de ces outils et actions sur la commande publique en France : dans quelle mesure les acheteurs sont-ils imprégnés de cette volonté de promouvoir le développement durable ? Est-ce une question de temps ?

R. Risser : Ces outils sont, en effet, nombreux, essentiellement depuis 2004 : guides, circulaires, formations professionnelles pour les acheteurs, colloques, réseaux spécifiques à la prise en compte de l'environnement et du développement durable. Il y a donc un foisonnement d'outils. Des objectifs ont été fixés dès 2003 dans la stratégie nationale de développement durable. Sincèrement, je pense, qu'il s'agit d'une question de temps. La France a, en Europe, du fait de son histoire administrative, une position particulière caractérisée par un émiettement très fort de ses structures administratives, multipliant ainsi le nombre de structures et le nombre de personnes concernées, ce qui complique la mobilisation. De surcroît, même si de plus en plus de personnes se sentent concernées, il existe un écart entre la sensibilisation et le passage aux actes. Les acheteurs publics ont été habitués, pendant des années, à ne regarder que le prix, à rester dans le cadre de procédures très étroites, à utiliser des documents prêts à l'emploi. Cela est en train de changer. Il s'agit d'un changement général qui ne concerne pas seulement le développement durable mais qui met en perspective la professionnalisation du métier d'acheteur auquel on demande d'avoir des analyses de plus en plus poussées.

Il y a donc un effort spécifique à soutenir pour relever le niveau de qualification et de professionnalisation des acheteurs publics.

Il faut, également, sensibiliser les décideurs sachant qu'un acheteur public agit pour le compte d'une collectivité publique. Or, souvent, les arbitrages sont, à ce niveau, défavorables à la prise en compte du développement durable dans la mesure où c'est le coût immédiat qui est avant tout considéré. Les pays du nord de l'Europe sont un peu plus avancés que nous, c'est vrai, même si l'étude ayant permis récemment un classement grossier repose sur des bases très fragiles. Elle contient des éléments quantitatifs qui montrent que, sur le petit nombre de marchés publics favorables à l'environnement passés en France, il y a des éléments relativement plus solides que dans d'autres pays. Donc, restons prudents et ne tirons pas de conclusions hâtives de cette étude, la première à avoir été réalisée au niveau européen. Il faut tout simplement se situer dans une démarche de progrès. La France a des atouts à faire jouer dans de nombreux secteurs, par exemple celui du bâtiment ou du bois, lesquels sont très dynamiques sur les aspects de la prise en compte de l'environnement.

Lexbase : En l'absence de véritables obligations imposées aux acheteurs, il s'agit d'opérer un véritable changement de mentalité des acheteurs. Est-ce réalisable en trois ans ? Quelles sont les actions concrètes que devra engager chaque autorité publique ?

R. Risser : Compte tenu de l'ampleur de la mobilisation, il n'est pas certain qu'un délai de trois ans soit suffisant mais le plan a justement pour finalité de mettre chacun clairement en face de ses responsabilités. Il est prévu une évaluation du plan à son terme, ou du moins un retour d'expériences. On verra comment le plan et les objectifs seront appropriés par l'ensemble des acheteurs publics. Quelles actions concrètes engager ? Cela dépend vraiment des besoins de chaque autorité publique et des marchés qu'elle passe. Ce que l'on attend des collectivités, c'est qu'elles mettent en place une véritable politique d'achat public durable, en assumant clairement leurs responsabilités et en définissant une méthode. Il s'agit d'adopter une démarche de progrès. Ainsi, pour ceux qui ne se sont pas encore lancés, on conseille de commencer de façon raisonnable, c'est-à-dire avec des marchés faciles, tels que l'achat du papier. Ensuite, il s'agit de mieux connaître le marché, de se former, d'améliorer ses procédures et de commencer à travailler sur des marchés sensibles, notamment, celui du bâtiment.

La prise en compte du développement durable dans les achats intervient essentiellement à l'article 5, au niveau de la détermination des besoins. Ce que l'on demande aux acheteurs, avant de se précipiter dans la passation du marché, c'est de s'interroger sur leur besoin. Il ne s'agit donc, ni plus ni moins, que de procéder à une application parfaite de l'article 5 du Code des marchés publics lequel dispose, désormais, que "la nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d'un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable". Le terme "étendue" doit, notamment, s'entendre au sens de l'étendue dans le temps, autrement dit : "comment mon besoin et mes achats vont-ils évoluer dans le temps ?". Prenons un exemple, si l'on construit un bâtiment sans penser aux coûts de son utilisation et à la valeur des services qu'il rendra, est-ce que l'on se situe dans une perspective de développement durable ? Il faut intégrer le temps et les coûts qui émergent dans le temps, autant que l'on puisse les prévoir et les mesurer, mais, également, s'interroger sur la nature du besoin : est ce que l'on a vraiment besoin de l'objet que l'on prévoit d'acheter ? N'est-il pas possible, en agissant sur l'usage et les usagers, de diminuer les quantités commandées ? On se rend compte, par exemple, dans le cadre de la lutte contre les gaz à effet de serre, que l'on pourrait obtenir des résultats très importants en agissant simplement sur les comportements plutôt qu'en comptant sur les innovations technologiques. Comme le dit notre ministre : "il n'y a pas de petits gestes si on est 60 millions à les faire".

Lexbase : Les acheteurs doivent surtout intégrer le fait que des achats publics durables ne sont pas incompatibles avec la bonne utilisation des deniers publics. En effet, il s'agit d'adopter une vision à moyen, long terme de la notion de coût. Ainsi, la compétence du métier d'acheteur doit passer par "sa responsabilité et sa capacité à optimiser, d'un point de vue économique et non pas seulement financier, les choix qu'il instrumente". Comment concilier cette démarche avec la contrainte budgétaire ?

R. Risser : Le problème, en effet, est que les acheteurs n'ont pas été habitués à raisonner de façon économique, mais plutôt financière, dans le cadre d'une enveloppe fixe, en s'attachant essentiellement au prix, sans s'interroger sur la période d'après marché. Or, c'est durant cette période-là que les coûts apparaissent. Sans une intégration de ces coûts, laquelle relève d'une démarche économique, on se rend bien compte que le fameux principe de la bonne utilisation des deniers publics ne peut pas être assuré.

Les contraintes financières demeurent, mais elles sont assouplies. Il y a un ensemble d'évolutions à cet égard, ne serait-ce que sous l'influence de la LOLF, mais également des acheteurs qui se rendent compte que, dans certains cas, l'exécution de leur marché leur revient plus cher que prévu, soit parce que les prestations livrées ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils attendaient, donc vont générer des surcoûts, soit parce que l'acheteur n'est pas isolé, il travaille pour une collectivité publique et les marchés qu'il passe sont souvent générateurs de surcoûts pour la collectivité. Le cas le plus révélateur est celui des déchets : la plupart des collectivités qui passent des marchés ont, également, des compétences en matière de déchets. Il n'est pas normal que le service gestionnaire des achats passe des marchés sans se préoccuper des charges qu'il provoque chez le service gestionnaire des déchets. Il s'agit, donc, d'une question de cohérence. La contrainte budgétaire est de plus en plus forte mais en même temps elle devient plus flexible du fait des programmations qui peuvent s'étaler sur plusieurs années. Il est, également, possible d'affecter aux unités administratives les économies qu'elles auraient réalisées dans leurs actions. Tout cela concourt à favoriser la prise en compte du développement durable dans les achats publics.

Toutefois, il faut reconnaître que les acheteurs manquent d'outils pour instrumenter la prise en compte du coût global. Nous travaillons en ce sens, afin de mettre à leur disposition des outils permettant de répondre aux questions du type "comment je demande le coût global à mes fournisseurs ?", "comment je le vérifie ?", "comment je le mesure ?". En attendant ces outils, il est déjà possible de demander, comme le permet l'article 53 du code (N° Lexbase : L2713HP8), l'ensemble des coûts d'utilisation. Dans le cadre d'une opération de construction, par exemple, on commence généralement par réaliser des études de faisabilité puis par définir précisément un programme. A ce stade, on passe un ensemble de marchés (marché d'études préalables, marché d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, marché de maîtrise d'oeuvre) qui comptent assez peu en termes financiers, par rapport au coût de la construction, mais qui sont déterminants pour les coûts d'utilisation ultérieurs. Il est ainsi très important de demander à tous les prestataires titulaires de ces marchés qu'ils étudient et prennent bien en compte les futurs coûts d'utilisation.

Lexbase : L'objectif annoncé de faire de la France, d'ici 2009, l'un des pays de l'UE le plus engagé dans la mise en oeuvre du développement durable dans la commande publique est-il, dans ce cadre là, facilement réalisable ?

R. Risser : C'est un objectif ambitieux dans la mesure où, selon les résultats de l'étude européenne évoquée ci-dessus, la France n'est pas encore très bien positionnée, même si l'on pourrait contester cette étude car elle repose sur un échantillon très faible, non statistiquement représentatif.

S'agissant des outils de suivi, les choses ont évolué très récemment, ce qui est très positif, puisqu'il n'existait aucun outil spécifique jusque là. Dans le cadre du recensement économique des marchés, l'arrêté du 11 décembre 2006 (N° Lexbase : L7741HTU) a prévu l'insertion, dans la fiche de recensement, de deux cases supplémentaires à cocher par les acheteurs publics pour la présence, dans les marchés ou les accords-cadres, de clauses environnementales et pour la présence de clauses sociales. Cela va donc permettre, a minima, de repérer les progrès réalisés par les acheteurs en matière de développement durable. On dispose, ainsi, d'un premier indicateur quantitatif, ce qui n'est certainement pas le cas de tous les pays en Europe, y compris ceux qui se disent les plus avancés.

Lexbase : La consultation publique, lancée depuis le 14 décembre 2006, jusqu'au 25 janvier 2007, sur la définition du plan, suscite-t-elle beaucoup d'observations de la part des acteurs de la commande publique ?

R. Risser : Pour l'instant, on compte une quinzaine d'observations sur le fond. J'en attends davantage d'ici la fin de la consultation. Parallèlement, signalons qu'un groupe administratif réunissant l'ensemble des ministères et des représentants d'associations d'élus, ainsi que quelques experts, suit le projet et contribue à le faire évoluer. L'on peut déjà annoncer que certains points sont apparus comme étant insuffisamment développés dans le projet, notamment, s'agissant de la prise en compte des aspects sociaux et la nécessité du travail préalable à la procédure, c'est-à-dire la bonne connaissance du marché et de l'analyse des besoins. Par ailleurs, pour la formation, il est proposé de la décliner au niveau des écoles intervenant dans la formation des fonctionnaires nationaux et territoriaux. Il serait, également, proposé un travail sur la prise en compte du contenu carbone des produits. En effet, la question de la préférence locale revient constamment. Elle est motivée par le souci de minimiser les transports et, ainsi, de diminuer les impacts environnementaux. Mais, l'on sait que le critère de la préférence locale est parfaitement illégal, car discriminatoire. Le raisonnement doit être le suivant : peu importe le nombre de kilomètres parcourus dès l'instant où, au final, les émissions de carbone sont minimisées. Tout dépend, en fait, du mode de transport utilisé et de l'intensité carbone des processus de production.

La consultation publique et la concertation administrative n'étant pas achevées, d'autres changements sont encore susceptibles d'être apportés au plan.

Propos recueillis par Anne-Lise Lonné
Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public


(1) L'avant-projet de plan est téléchargeable à l'adresse suivante : http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=6557. Les observations sont à transmettre, au plus tard le 25 janvier 2007, à l'adresse suivante : plan-achats-durables@ecologie.gouv.fr.
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Entreprises en difficulté

[Chronique] La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre

Lecture: 18 min

N7781A93

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Le 07 Octobre 2010


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouvent, au premier plan de cette actualité, la question de la détermination du "créancier intéressé", destinataire du courrier de contestation de créance, ainsi que la voie de recours ouverte à l'associé d'une SCI à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société et, enfin, les conséquences, après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, de la fraude du débiteur sur les droits du créancier qui n'avait pas déclaré sa créance dans les délais.
  • Le destinataire du courrier de contestation de créance (Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-19.115, Institution de prévoyance du bâtiment et des travaux publics (BTP Prévoyance), anciennement dénommée Caisse nationale de prévoyance des ouvriers du bâtiment et des travaux publics (CNPO), F-P+B N° Lexbase : A1007DTH)

Le mandataire de justice, représentant des créanciers -devenu le mandataire judiciaire sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845, 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT)- est le destinataire des courriers contenant la déclaration de créance au passif. Il procède, ensuite, à leur examen, qui ressemble à une forme d'instruction de la mesure que devra, par la suite, rendre le juge-commissaire à propos de la créance déclarée dans les délais. Dans cette tâche, il est assisté par le débiteur, l'administrateur judiciaire de ce dernier qui aurait reçu mission d'administration, ainsi que par les contrôleurs. S'il estime que la demande présentée par le créancier n'est pas fondée, il lui appartient de déclencher une contestation, laquelle est régie par les dispositions de l'article L. 621-47 du Code de commerce (N° Lexbase : L6899AID), devenu, avec la loi de sauvegarde des entreprises, l'article L. 622-27 du même code (N° Lexbase : L3747HBE).

Selon cette disposition, "s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance autre que celles mentionnées à l'article L. 621-125 (N° Lexbase : L6977AIA), le représentant des créanciers en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications". La loi de sauvegarde conserve la rédaction sous la double réserve qu'elle substitue au vocable de représentant des créanciers celui de mandataire judiciaire et que, désormais, est visé l'article L. 625-1 (N° Lexbase : L4092HB8) au lieu de l'article L. 621-125. La question au centre de l'arrêt commenté est de savoir si le terme de "créancier intéressé" utilisé par le Code de commerce doit s'entendre strictement ou si le courrier de contestation peut valablement être adressé, également, au mandataire qui aurait déclaré la créance au nom et pour le compte du créancier.

En l'espèce, une société est mise en redressement judiciaire et un organisme social déclare, par l'intermédiaire de son avocat, une créance au passif. Le représentant des créanciers conteste la créance et adresse le courrier de contestation au créancier personnellement, sans rendre destinataire du courrier de contestation l'avocat de ce dernier. Dans ces conditions, la contestation de créance est-elle efficace et habile à faire courir le délai de réponse à contestation, et dans l'affirmative, prive-t-elle du droit d'interjeter appel le créancier n'ayant pas répondu dans le dit délai à la contestation de créance ? Oui, répond ici la Cour de cassation, dans un arrêt appelé à la publication au Bulletin. C'est assez dire l'importance qu'attache à cette solution pratique la Cour de cassation. Pour ce faire, elle énonce que, "lorsqu'un créancier déclare sa créance par l'intermédiaire d'un mandataire, la lettre par laquelle le représentant des créanciers avise que la créance déclarée fait l'objet d'une contestation peut être adressée soit au mandataire qui a déclaré la créance soit au créancier lui-même ; qu'ayant relevé que le représentant des créanciers avait avisé la Caisse [...] de la contestation portant sur la créance et que cette dernière n'avait pas répondu dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre, la cour d'appel a légalement justifié sa décision", ayant déclaré irrecevable l'appel formé par le créancier.

La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'apporter certaines précisions à propos du destinataire du courrier de contestation de la créance. C'est ainsi qu'elle avait d'abord jugé que, si la créance a été déclarée par avocat, la lettre de contestation pouvait valablement lui être envoyée et faisait courir le délai de contestation (Cass. com., 12 novembre 1997, n° 95-14.225, Société Guérin Diesbecq, ès qualités de liquidateur de la société MHC c/ Consorts de Seguin et autre N° Lexbase : A1840AC7, JCP éd. E, 1998, pan. 13 ; D. Affaires 1997, p. 1425, n° 11-1 ; D. 1997, IR p. 258). La circonstance que l'avocat, qui avait déclaré la créance, ne défendît plus, ensuite, les intérêts du créancier, dès lors qu'aucune information n'avait été portée à la connaissance du mandataire de justice, auteur de la contestation, était même apparue indifférente (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 novembre 2004, n° 03/17702, SCP Brouard Daude c/ Maître Jean-Claude Pierrel N° Lexbase : A3758DHN), alors pourtant qu'elle pouvait présenter certains dangers pour le créancier, qui ne pouvaient être réglés que par la recherche de la responsabilité civile professionnelle de l'avocat. La solution à tenir pour efficace la contestation de créance et à faire courir le délai de réponse à contestation de trente jours à partir de la réception par l'avocat et, plus généralement, par le mandataire du créancier suppose, toutefois, que ce mandataire retire le courrier recommandé de contestation auprès des services de la Poste. Au contraire, il a été jugé que le délai de réponse à la contestation de trente jours, ne peut courir si l'avocat ne retire pas le courrier recommandé.

La jurisprudence avait déjà, également, eu l'occasion de préciser que la lettre de contestation pouvait valablement être envoyée au créancier directement, fut-il étranger, alors que la déclaration de créance avait été faite par avocat (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 3 décembre 2004, n° 03/20651, Société MIX Société de droit italien c/ Maître Philippe Jacques Garnier N° Lexbase : A5487DEX). C'est cette solution que reprend ici la Cour de cassation en croyant bon d'ajouter que, lorsque la déclaration de créance est faite par mandataire, le courrier contenant la contestation de créance peut être adressé "soit au mandataire qui a déclaré la créance, soit au créancier lui-même".

Il importe de remarquer que l'article 72, alinéa 3, du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5367A4K) prévoit que, "si une créance autre que celle mentionnée à l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L6505AHE) est contestée, le représentant des créanciers en avise le créancier ou son mandataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception". Or, ce texte ne distingue pas selon que la créance a été déclarée par l'un ou l'autre pour déterminer le destinataire du courrier de contestation. Ainsi, le principe ubi lex... justifie la solution posée ici par la Cour de cassation.

L'article 103, alinéa 2, du décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1677, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3297HET) reprend fidèlement la solution de la législation antérieure, sous réserve de la substitution au vocable de représentant des créanciers de celui de mandataire judiciaire.

La solution posée par la Cour de cassation a le mérite d'assurer une symétrie parfaite -un parallélisme des formes dira-t-on-, entre trois questions intimement liées : la déclaration de créance, la contestation de créance et la notification de la décision d'admission ou de rejet d'une créance contestée. Dans les trois cas, l'intervention d'un mandataire est permise. Il est, dès lors, logique de décider que celui qui peut déclarer la créance peut aussi être rendu destinataire de la contestation de ladite créance et de la notification de la décision qui statue après contestation sur cette créance déclarée. Faute de précision des textes, dans les deux derniers cas -contestation et notification- peu importera l'auteur de la démarche première, à savoir la déclaration de créance.

  • L'associé de SCI et la voie de recours à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société (Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-14.816, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A9941DSY)

Aux termes de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), "à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements". Avant la loi de sauvegarde des entreprises, une différence essentielle séparait de tels associés, indéfiniment tenus des dettes sociales, mais sans solidarité, des associés tenus indéfiniment et solidairement du passif. Les seconds étaient, en effet, obligatoirement, mais non automatiquement, puisqu'il fallait une décision distincte à leur égard, placés sous procédure collective si le groupement dont ils étaient tenus des dettes était, lui-même, placé sous procédure collective. La loi de sauvegarde a mis fin à cette situation en supprimant toutes les fausses extensions de procédures, dont celle posée par l'article L. 624-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7040AIL). Remarquons d'ailleurs que, même si la procédure a été ouverte contre la personne morale avant le 1er janvier 2006, elle ne peut plus l'être contre l'associé après cette même date (loi du 26 juillet 2005, art. 192 ; Circ. min., n° CIV 2006-02, du 9 janvier 2006, relative aux mesures législatives et réglementaires applicables de la loi de sauvegarde des entreprises applicables aux procédures en cours N° Lexbase : L3711HP7, Gaz. Pal. 22-24 janvier 2006, p. 38), alors que si la procédure a été ouverte contre l'associé avant le 1er janvier 2006, l'obligation d'ouverture de la procédure contre l'associé subsiste (Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-16.200, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1171DQG, D. 2006, AJ p. 1890, obs. A. Lienhard ; lire F. Labasque, Application de l'article 192 de la loi de sauvegarde des entreprises et date de cessation des paiements dans le cadre d'une procédure ouverte sur le fondement de l'article L. 624-1 du Code de commerce, Lexbase Hebdo n° 222 du 6 juillet 2006 - édition affaires N° Lexbase : N0537ALH).

Désormais, les associés indéfiniment tenus du passif social sans solidarité sont placés sur un pied d'égalité par rapport aux associés indéfiniment et solidairement responsables du passif au regard de cette question de l'ouverture de la procédure. Elle ne peut résulter du seul fait de l'ouverture de la procédure contre le groupement.

L'associé indéfiniment responsable du passif du groupement, tel que l'associé d'une société civile immobilière, peut être tenu de payer le passif à proportion de sa détention dans le capital social de la société, ainsi que l'indique l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil, au jour de la cessation des paiements, laquelle peut donc précéder la date d'ouverture de la procédure. On comprend, dès lors, l'attention que doit porter à l'ouverture d'une procédure collective contre la SCI son associé. Par principe, il ne sera pas poursuivi immédiatement. Sa poursuite sera cependant possible pendant la procédure collective du groupement (CA Dijon, 1ère ch., sect. 2, 12 septembre 1997, LPA 15 janvier 1999, n° 11, note C. Lebel), mais il faudra préalablement démontrer l'insuffisance du patrimoine du groupement pour répondre des dettes sociales (Cass. civ. 3, 6 janvier 1999, n° 97-10.645, Société Alain Chevalier Conseil c/ M. Travert et autres, publié N° Lexbase : A2757CG9, Bull. civ. III, n° 5 ; LPA 11 mars 1999, n° 50, p. 5 ; Bull. Joly 1999, n° 94, 455, note P. Le Cannu ; Cass. com., 6 décembre 2005, n° 04-14.352, Société Négociation achat de créances contentieuses (NACC) c/ Société Promofi, F-D N° Lexbase : A9212DLR). Le fait que la société ait été déclarée en liquidation judiciaire sera insuffisant à caractériser l'insuffisance du patrimoine social pour payer la dette (Cass. civ. 3, 18 juillet 2001, n° 99-20.084, Société en nom collectif Clinique d'Accouchements de Suresnes c/ Société à responsabilité limitée Clinique d'Accouchements de Suresnes N° Lexbase : A2497AUZ, Act. proc. coll. 2001/15, n° 192, obs. J. Vallansan), alors même que la procédure de saisie immobilière de l'immeuble appartenant à la société aurait été entamée (Cass. com., 11 juin 2003, n° 99-17.271, Caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Sud-Ouest c/ M. Jean-Claude Saint-Martin, F-D N° Lexbase : A7330C8Y). Il en est de même de l'arrêté d'un plan de cession (Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 03-10.872, M. Victor Eyraud c/ Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat  (l'ANAH), F-D N° Lexbase : A4463DHR). A fortiori, si la société obtient un plan de sauvegarde ou de continuation, les délais du plan empêcheront la poursuite de l'associé (Cass. civ. 3, 23 février 2000, n° 98-14.540, Consorts Angelini c/ Consorts Vincensini-Ciabrini et autre, P N° Lexbase : A3644AUI, Bull. civ. III, n° 43 ; RTD com. 2000, p. 681, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RD Banc. et fin. 2000/3, n° 123, obs. F.-X. Lucas ; Defrénois 2000, 1188, n° 6, note J. Hovasse ; Bull. Joly 2000, n° 138).

Ainsi, même si la poursuite de l'associé de la société civile immobilière ne se produira généralement pas au jour de l'ouverture de la procédure collective, son obligation indéfinie à la dette le conduit à s'intéresser de près à la situation du groupement dont il est associé. Se pose, dès lors, la question de savoir s'il peut remettre en cause, par une voie de recours, la décision qui viendrait à ouvrir la procédure à l'encontre du groupement et, dans l'affirmative, laquelle ?

C'est à cette question que répond l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une mutuelle était associée d'une société civile immobilière. A la suite d'une mésentente entre les associés, le juge des référés a désigné un administrateur provisoire de la société civile immobilière. Ce dernier a déclaré la cessation des paiements de la société civile immobilière. C'est dans ces conditions que le tribunal a ouvert la liquidation judiciaire de cette société. La mutuelle, associée de cette société immobilière, a formé une tierce opposition contre le jugement de liquidation judiciaire. La cour d'appel a considéré que la mutuelle était associée de la société civile immobilière et qu'elle a été représentée, en conséquence, par le mandataire social à l'instance ayant abouti au jugement de liquidation judiciaire de la SCI pour déclarer irrecevable la tierce opposition formée par la mutuelle. La question se pose donc de savoir si l'associé d'une société civile immobilière a qualité et intérêt à former une tierce opposition à l'encontre du jugement d'ouverture d'une procédure collective d'une société civile immobilière.

La Cour de cassation répond à la question par l'affirmative en énonçant que "le droit effectif au juge implique que l'associé d'une SCI, qui répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, soit recevable à former tierce opposition à l'encontre du jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la SCI", ce dont il résulte que la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, a violé les articles 6§1 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) et 583 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2833ADB).

La solution ne peut que s'imposer. Il est d'abord certain que l'associé d'une société ne peut être assimilé à la société elle-même. Il n'est donc pas une partie au jugement d'ouverture. Le fait qu'il soit représenté à l'instance par le mandataire social de la SCI est inopérant pour le priver du droit d'accès au juge. Il y aurait violation du droit au procès équitable à décider le contraire. La solution s'impose d'autant que la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de préciser à l'égard de l'associé d'une société civile professionnelle d'huissier de justice que cet associé n'était pas une partie et ne pouvait former appel à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société (Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.748, F-D N° Lexbase : A9965DPR), alors même que cet associé est indéfiniment et solidairement responsable du passif et devait, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, être déclaré lui-même en redressement ou en liquidation judiciaire du fait de l'ouverture de la procédure contre le groupement dont il est associé. Cette solution doit immédiatement être rapprochée de celle qui interdit à l'associé d'une société de demander l'ouverture de la procédure (pour une SCI, v. CA Paris, 20 octobre 1995, Dr. sociétés 1996, n° 31, obs. Y. Chaput), à moins qu'il ne soit créancier. C'est, alors, en cette dernière qualité qu'il pourra saisir la juridiction.

Si l'associé n'est pas une partie au jugement d'ouverture de la procédure collective de la société, il ne peut donc être qu'un tiers. C'est ce qu'affirme, ici, la Cour de cassation. La seule voie de recours concevable est, en conséquence, la tierce opposition.

La qualité à exercer une voie de recours est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Encore faut-il que l'intéressé ait un intérêt à agir. Cet intérêt est incontestable pour l'associé d'une société civile immobilière, puisqu'il répond indéfiniment du passif du groupement et que cette éventualité de supporter le passif social se précise singulièrement lorsque la société est déclarée en redressement et, a fortiori, en liquidation judiciaire. C'est cet élément qui est ici mis en avant par la Cour de cassation pour justifier l'intérêt à agir.

Ainsi, l'associé d'une société est-il un tiers au jugement décidant l'ouverture de la procédure à l'encontre du groupement. Son intérêt est distinct de celui de la collectivité des créanciers chirographaires représentée par le mandataire judiciaire -représentant des créanciers-, ce qui justifie qu'il puise exercer une tierce opposition, au contraire d'un créancier chirographaire (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 17 février 2004, n° 2003/10109, Société Sajic Vieira SA c/ Société Roto Ouest Graphic SA N° Lexbase : A6797DCQ).

A peine d'irrecevabilité, la tierce opposition doit être formée par déclaration au greffe du tribunal (décret 27 décembre 1985, art. 156, al. 1 N° Lexbase : L5269A4W ; décret 28 décembre 2005, art. 329, al. 2), dans les dix jours de la publication au Bodacc du jugement ouvrant la procédure (décret 27 décembre 1985, art. 156, al. 2 ; décret 28 décembre 2005, art. 329, al. 2 ; Cass. com., 8 octobre 2003, n° 00-19.730, F-D N° Lexbase : A7124C9Q, D. 2003, AJ p. 2817, note P.-M. Le Corre).

  • La clôture pour insuffisance d'actif, l'absence de déclaration de créance et les conséquences de la fraude du débiteur sur les droits du créancier (Cass. com., 5 décembre 2006, n° 05-17.598, F-D N° Lexbase : A8351DS4)

Le jugement de clôture de la procédure pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. Ce principe souffre certaines exceptions. En effet, l'article L. 622-32, alinéa 3, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L7027AI4), devenu l'article L. 643-11 IV du même code, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L3943HBN), permet aux créanciers de recouvrer leurs droits de poursuite individuelle si le débiteur a commis "une fraude à l'égard des créanciers". L'arrêt rapporté intéresse précisément l'application de cette disposition.

Ayant consenti des prêts à des sociétés qui devaient, par la suite, faire l'objet de procédures de liquidation judiciaire, une banque s'était retournée contre la caution qui, par un protocole d'accord, s'était reconnue débitrice au titre de chacun des cautionnements. Quelques mois plus tard, la caution devait faire l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif. N'en étant pas informée, la banque avait poursuivi la caution et obtenu la condamnation de celle-ci au paiement d'une certaine somme. La caution avait, alors, saisi le juge de l'exécution aux fins de faire constater l'extinction de sa dette du fait de l'absence de déclaration de la créance de la banque au passif de sa procédure. La banque avait, par la suite, assigné la caution en paiement de dommages et intérêts pour fraude, demande à laquelle les juges du fond allaient faire droit. Se pourvoyant en cassation, la caution soutenait que le débiteur mis en liquidation judiciaire en cours d'instance n'avait pas l'obligation d'en informer ni son créancier, ni les tiers et qu'il appartenait au créancier de veiller à la sauvegarde de ses droits en déclarant sa créance dans le délai légal. Balayant cette argumentation, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et approuvé les juges du fond qui avaient considéré que le silence du débiteur qui avait tu sa situation de liquidation judiciaire et n'avait pas fait apparaître le créancier sur la liste certifiée de ses créanciers, et qui s'était gardé de faire état de la procédure collective dont il était l'objet lors des procédures menées à son encontre par la banque, était constitutif de comportements de mauvaise foi sur le plan contractuel et déloyaux sur le plan judiciaire, caractérisant une fraude au sens de l'article L. 622-32 III du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises.

La solution, qui n'est pas nouvelle (Cass. com., 26 octobre 1999, n° 97-12.092, Epoux Morel c/ Caisse d'épargne et de prévoyance des pays du Hainaut, P N° Lexbase : A3369AUC, JCP éd. E, 2000, chron. 128, n° 9, obs. P. Pétel ; JCP éd. E, 2000, jur. 1660, note P.-M. Le Corre ; LPA 3 février 2000, n° 24, p. 6, note P.-M. Le Corre ; D. Affaires 1999, jur. p. 94, obs. A. L. ; Act. proc. coll. 2000/1, obs. J. Vallansan ; RJ com. 2000, p. 209, n° 1556, note J.-L. Courtier ; RD Banc. et Bourse 2000/1, n° 23, obs. F.-X. Lucas ; RTD com. 2001, p. 226, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 2 mai 2001, n° 98-16.146, Agence de l'eau Adour-Garonne c/ Société Usine de Longchamp N° Lexbase : A3383ATH, D. 2001, AJ p. 1725, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2001, chron. 1470, n° 10, obs. P. Pétel ; Act. proc. coll. 2001, n° 119, obs. C. Régnaut-Moutier ; Cass. com., 14 janvier 2004, n° 01-01.728, F-D N° Lexbase : A8636DA4, lire P.-M. Le Corre, La fraude et la reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition affaires N° Lexbase : N0877AB4 ; Cass. com., 15 février 2005, n° 03-14.547, FS-P+B N° Lexbase : A7377DGC ; Cass. com., 12 avril 2005, n° 03-20.901, F-D N° Lexbase : A8732DHU, Gaz. proc. coll. 2005/2, p. 19, obs. D. Voinot ; Gaz. proc. coll. 2005/2, p. 25, obs. P.-M. Le Corre), a déjà fait réagir la doctrine (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2006-2007, n° 592.66 ; F.-X. Lucas, obs. sous Cass. com., 26 octobre 1999 précité, RD Banc. et Bourse 2000/1, n° 23). En effet, si le résultat -la condamnation du débiteur- doit incontestablement être approuvé, le cheminement pour l'atteindre peut laisser interrogatif. Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, le défaut de déclaration d'une créance entraînait l'extinction de celle-ci. L'exercice de la faculté de reprise des poursuites individuelles dans les cas prévus par le législateur suppose que la créance, sur le fondement de laquelle reprennent ces poursuites individuelles, ne soit pas éteinte. Or, en l'espèce, la créance d'origine contractuelle née de l'engagement de cautionnement s'est trouvée définitivement éteinte de sorte qu'elle ne peut plus donner lieu à l'exercice de poursuites individuelles. En revanche, une autre créance, de nature délictuelle cette fois, est née en conséquence de la fraude commise par la caution qui a caché au créancier, alors que celui-ci la poursuivait, son état de liquidation judiciaire. Cette créance de dommages-intérêts, de nature délictuelle, résulte de la fraude commise, laquelle est postérieure à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. La créance résultant de cette fraude doit, en conséquence, être considérée comme une créance postérieure au jugement d'ouverture. Or, les créances postérieures ne sont pas concernées par les exceptions à la règle de l'absence de reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure puisqu'elles ne sont pas soumises au principe-même de cette règle...

C'est la raison pour laquelle il peut paraître critiquable de viser les dispositions de l'article L. 622-32 III dans cette hypothèse puisqu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une reprise du droit de poursuites individuelles pour le créancier, mais de la possibilité pour le créancier, nouvellement titulaire d'une créance de dommages et intérêts bien distincte de la créance contractuelle disparue, d'en poursuivre le recouvrement dans la mesure où ce droit de poursuite n'a jamais été arrêté.

Notons que, sous l'empire de la loi de sauvegarde, le défaut de déclaration de la créance dans les délais n'est plus sanctionné par l'extinction de celle-ci mais par la simple inopposabilité de la créance à la procédure (en ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action n° 665.75), laquelle ne dure que le temps de la procédure. Une fois la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif intervenue, le créancier victime de la fraude pourra donc reprendre -le terme sera ici parfaitement adapté puisque la créance n'aura jamais cessé d'exister- l'exercice de son droit de poursuites individuelles en application de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce, si, du moins, il se trouve effectivement dans des cas exceptionnels autorisant la reprise des poursuites individuelles après clôture.

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de conférences des Universités
Enseignante du Master Droit de la banque de la faculté de droit de Toulon et du Var

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Santé publique

[Textes] Vers un renforcement de la réglementation anti-tabac

Réf. : Décret n° 2006-1386, 15 novembre 2006, fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (N° Lexbase : L4959HTT)

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Le 07 Octobre 2010

Dès décembre 2002, une recommandation du Conseil de l'Union européenne conseillait aux Etats membres d'appliquer des dispositions législatives et/ou d'autres mesures efficaces permettant d'assurer une protection contre l'exposition à la fumée de tabac ambiante dans les locaux de travail, les lieux publics fermés et les transports en commun (1). Par ailleurs, l'article 8 de la Convention-cadre de lutte anti-tabac (CCLAT) de l'OMS, ratifiée par la France le 19 octobre 2004, insiste également sur la nécessité de protection contre l'exposition à la fumée du tabac (2). Enfin, plusieurs pays européens se sont, d'ores et déjà, engagés dans la voie d'une interdiction de fumer dans les lieux publics, afin de parvenir à une protection contre le tabagisme passif : l'Irlande en mars 2004, l'Italie en janvier 2005, ou encore l'Espagne en janvier 2006. C'est dans ce contexte international et européen que la France envisageait d'intervenir afin de protéger plus efficacement ses citoyens contre le tabagisme passif dans les lieux publics. Dès décembre 2005, un rapport de l'IGAS, demandé par le Gouvernement, recommandait l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics sans qu'aucun fumoir ne puisse y être aménagé et avec débat public préalable. Le 27 avril 2006, à l'occasion du bilan des trois ans du plan cancer, le Président de la République estimait que la question de l'interdiction de fumer dans les lieux publics devait se poser et qu'un débat ainsi qu'une concertation approfondie devaient avoir lieu. C'est ainsi que le 4 octobre 2006, la mission d'information sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics concluait à la nécessité de l'interdiction de fumer dans tous les lieux publics sans aucune exception avec néanmoins, la possibilité facultative de créer des "emplacements réservés aux fumeurs obligatoirement hermétiquement clos, dotés de systèmes d'extraction et soumis à des normes sanitaires rigoureuses, dans lesquels aucune activité exposant des salariés ne doit y être prévue". Elle concluait, également, à la nécessité de réglementer l'interdiction par voie de décret dans un souci d'efficacité opérationnelle et d'urgence plutôt que par la voie législative avec un délai de mise en oeuvre au 1er septembre 2007.

Finalement, le 15 novembre 2006, un décret abrogeait et remplaçait le décret du 29 mai 1992 fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (décret n° 92-478 N° Lexbase : L8440AIG). Ce nouveau décret rappelle et précise l'étendue du principe de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment, les lieux de travail et les lieux scolaires, et dans les moyens de transport collectif. Ce principe s'applique à l'ensemble des lieux collectifs à compter du 1er février 2007. Néanmoins, un délai supplémentaire est accordé aux débits permanents de boissons à consommer sur place, casinos, cercles de jeu, débits de tabac, discothèques, hôtels et restaurants qui auront jusqu'au 1er janvier 2008 pour appliquer les nouvelles dispositions.

La présente étude développe les conditions d'application des nouvelles mesures renforçant l'interdiction de fumer.

I - Le champ d'application de l'interdiction

L'article L. 3511-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6713HNX), inchangé par le décret du 15 novembre 2006, dispose toujours qu'"il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs". L'article R. 3511-1 nouveau précise ces lieux et cinq circulaires (3) déterminent les conditions d'application de l'interdiction dans ces différents lieux.

La notion de lieu affectés à l'usage collectif doit s'entendre par opposition au domicile et à tout autre lieu à usage privatif, mais également, aux substituts de domicile (chambre de maison de retraite, cellule de prison, chambres d'hôtel...). Les lieux affectés à l'usage collectif sont, notamment, les administrations et les établissements et organismes placés sous leur tutelle, les entreprises, les commerces, les galeries marchandes, les centres commerciaux, les cafés, les restaurants, les discothèques, les casinos, les gares, les aéroports. Il s'agit, également, des lieux publics à vocation sportive ou culturelle, dès lors qu'ils sont fermés et couverts, tels que les salles de sports ou les salles de spectacle.

Dans chacun de ces lieux, l'application de l'interdiction de fumer est spécifique.

Dans les lieux de travail

Il sera interdit de fumer dans les locaux clos et couverts affectés à l'ensemble des salariés tels que les locaux d'accueil et de réception, les locaux affectés à la restauration collective, les salles de réunion et de formation, les salles et espaces de repos, les locaux réservés aux loisirs, à la culture et au sport ou encore les locaux sanitaires et médico-sanitaires.

Il sera, également, interdit de fumer dans les bureaux individuels puisqu'ils ne sont jamais uniquement occupés par un seul salarié et que les employés de ménage sont dans l'obligation d'y exercer leur fonction.

En revanche, ne seront pas assujettis à l'interdiction de fumer les personnels des chantiers du BTP qui ne constituent pas des lieux clos et couverts ainsi que les employés de maison qui exercent dans des locaux à usage privatif.

Par ailleurs, la signalisation du principe de l'interdiction, accompagnée d'un message sanitaire de prévention, devra être apposée aux entrées des bâtiments et à l'intérieur, dans des endroits visibles et de manière apparente (espaces de circulation, les halls d'entrée, les salles de réunions,...). En revanche, il n'y a pas d'obligation à les apposer dans les bureaux individuels.

Relativement au temps de pause pour fumer, le décret ne prévoit rien de spécifique et il n'existe aucun aménagement particulier du Code du travail. La pratique relève donc du pouvoir d'organisation du chef d'entreprise.

En conséquence :

- soit il existe une tolérance de l'employeur, et le temps pris par les fumeurs n'est pas décompté du temps de travail ;

- soit les salariés fumeurs utilisent leur temps de pause (qu'il soit défini conventionnellement, ou encadré par le Code du travail) pour fumer.

Dans les lieux de convivialité tels que les cafés, les restaurants, les discothèques, les casinos etc. l'interdiction s'appliquera à compter du 1er janvier 2008 dans les lieux fermés et couverts, même si la façade est amovible. II sera donc permis de fumer sur les terrasses, dès lors qu'elles ne sont pas couvertes ou que la façade est ouverte. Bien évidemment, la création d'emplacements fumeurs sera autorisée.

Dans les moyens de transport collectif

Sont concernés par l'interdiction de fumer tous les moyens de transport collectifs, qu'ils soient gérés par une administration ou une entreprise publique ou privée. Il s'agit :

- des trains de voyageurs : TGV, trains Corail, TER, Eurostar, Thalys...

- des véhicules de transport urbains : métros, tramways, bus, transports hectométriques, funiculaires urbains...

- des remontées mécaniques : chemins de fer à crémaillère, funiculaires, téléphériques, télécabines...

- des véhicules de transport routier de personnes, suburbain, de tourisme de transport scolaire, les véhicules de petite capacité effectuant des transports à la demande, autres que les taxis ;

- des avions de ligne ;

- des bateaux de passagers sur les lacs et rivières (dont les bateaux de promenade, tels que les "bateaux-mouches"), les bacs à véhicules, les bacs à piétons ; les ferries, les navires de croisière battant pavillon français, les bateaux de promenade maritime, les bateaux de liaison avec les îles, les bacs maritimes.

N'entrent pas dans le champ d'application de l'interdiction de fumer :

- les taxis puisque, selon la loi du 20 janvier 1995 relative à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi (loi n° 95-66 N° Lexbase : L4578HTQ), ils sont des transports particuliers de personnes et non des moyens de transports collectifs. En revanche, lorsque qu'un taxi exerce une mission qui les rend assimilables à un transport public (transport de scolaires ou transport médical), il entre dans le champ d'application du décret, et il est alors interdit d'y fumer ;

- les abris bus en raison de leur espace ouvert ;

- les quais de gare, à condition que les quais soient découverts ou simplement couverts (auvents). Toutefois, les exploitants des chemins de fers pourront prendre des mesures plus strictes. Il conviendra alors de se référer à leur règlement intérieur.

Les gares devront respecter l'interdiction de fumer dès lors qu'elles sont fermées et couvertes.

Dans les établissements accueillant des mineurs

A compter du 1er février 2007, il sera totalement interdit de fumer dans les enceintes (bâtiments et espaces non couverts) des établissements d'enseignement et de formation, publics ou privés, destinés à l'accueil, à la formation ou à l'hébergement des mineurs, notamment, les écoles, collèges et lycées publics et privés, y compris les internats, ainsi que les centres de formation d'apprentis.

Cette interdiction s'applique autant aux personnels qu'aux élèves.

L'article R. 3511-1, nouveau, du Code de la santé publique réaffirme l'interdiction de fumer dans les espaces non couverts des écoles, collèges et lycées publics et l'étend aux centres de formation d'apprentis. De plus, selon l'article R. 3511-2, nouveau, du Code de la santé publique, il est interdit d'aménager des espaces réservés aux fumeurs au sein des établissements susmentionnés. En conséquence, aucune salle des professeurs fumeurs ne pourra être aménagée et aucun fumeur ne sera toléré dans les cours de récréation quand bien même il s'agit d'enseignant. Toutefois, les étudiants et les personnels des universités pourront fumer dans les espaces non clos et couverts des universités.

Dans les établissements de santé

Dans ces établissements, il existait encore quelques lieux fumeurs tels que les cafétérias, les salles équipées de distributeurs automatiques etc. Cependant, au 1er février 2007, il sera, désormais, interdit de fumer dans de tels établissements, y compris dans les hôpitaux psychiatriques, et aucun fumoir ne pourra y être aménagé. En revanche, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, des emplacements fumeurs pourront être aménagés (4).

Cette interdiction de fumeur s'appliquera aussi bien aux professionnels médicaux et paramédicaux (qu'ils soient salariés de l'établissement ou qu'ils y interviennent à titre libéral) qu'aux personnels administratifs et techniques. Elle s'étend aux personnes hébergées, aux résidents et à leur entourage ainsi qu'à toute autre personne se trouvant au sein de l'établissement.

Chaque établissement de santé devra préciser dans son règlement intérieur qu'il est interdit de fumer dans les lits et que l'autorisation de fumer dans une chambre sera subordonnée à ce que le patient fumeur ne partage pas sa chambre avec un patient non-fumeur.

Relativement à l'interdiction de fumer dans les chambres, il convient d'opérer une distinction entre les unités de court et moyen séjour, et les unités de longs séjours. En court et moyen séjour : le principe est celui de l'interdiction de fumer, les chambres étant assimilables à des lieux affectés à un usage collectif. Cependant, des aménagements restent possible au regard des pathologies et de la mise en oeuvre d'un sevrage tabagique : l'interdiction de fumer pourra être progressive pour certains patients. En long séjour : les patients sont autorisés à fumer dans leurs chambres car celles-ci sont assimilables à des espaces privatifs.

II - Les emplacements réservés aux fumeurs

L'article L. 3511-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L6713HNX) (5) prévoit expressément des emplacements réservés aux fumeurs et l'article R. 3511-2 nouveau du Code de la santé publique ne pouvait, dès lors, modifier cette norme. C'est pourquoi l'aménagement d'emplacements fumeurs reste possible excepté au sein des établissements d'enseignement publics et privés, des centres de formation des apprentis, des établissements destinés à, ou régulièrement utilisés pour l'accueil, la formation, l'hébergement ou la pratique sportive des mineurs et des établissements de santé, comme nous l'avons vu. Les mineurs de moins de 16 ans (6) ne peuvent en aucun cas accéder aux emplacements fumeurs. Néanmoins, à ce jour, aucune sanction pénale n'est prévue au cas où un mineur viendrait fumer dans un emplacement fumeur.

La création d'emplacements réservés aux fumeurs est confiée au responsable des lieux (7) et elle est fortement encadrée. En effet, il doit s'agir de salles closes, dotées de fermetures automatiques sans possibilité d'ouverture non intentionnelle ; équipées d'un dispositif d'extraction d'air par ventilation mécanique permettant un renouvellement d'air minimal de dix fois le volume de l'emplacement par heure : dispositif entièrement indépendant du système de ventilation ou de climatisation d'air du bâtiment. Le local est maintenu en dépression continue d'au moins 5 Pa (pascal) par rapport aux pièces communicantes ; il ne constitue pas un lieu de passage ; il présente une superficie au plus égale à 20 % de la superficie totale de l'établissement avec un maximum de 35 m2 ; sans prestation de service ; où aucune tâche d'entretien et de maintenance ne peut y être exécutée sans que l'air ait été renouvelé, en l'absence de tout occupant, pendant au moins une heure.

Cela étant, une installation aux normes ne suffit pas. En effet, le responsable des lieux est tenu de produire une attestation provenant de l'installateur ou de la personne assurant la maintenance du dispositif de ventilation mécanique selon laquelle les exigences mentionnées sont respectées. Il doit pouvoir produire cette attestation à tout contrôle et faire procéder à l'entretien régulier du dispositif.

La signalisation des emplacements réservés aux fumeurs, accompagnée de l'avertissement sanitaire, devra être apposée à l'entrée des emplacements.

Enfin, il convient de parfaitement noter qu'il n'y a pas d'obligation de mettre en place un emplacement fumeur, il s'agit d'une simple faculté offerte par le décret. Et pour des raisons d'exemplarité, les administrations sont invitées à ne pas mettre en place d'emplacements fumeurs.

III - Les sanctions

Le fait de fumer hors des emplacements fumeurs sera sanctionné par une contravention de 3ème classe forfaitisée de 68 euros.

Le fait pour le responsable des lieux de ne pas avoir mis en place les normes applicables aux emplacements réservés aux fumeurs ou la signalétique y afférente, est sanctionné par une contravention de 4ème classe forfaitisée de 135 euros. Et, le fait pour le responsable des lieux d'inciter les usagers à fumer en toute illégalité, par exemple en leur donnant des encouragements oraux en ce sens, est sanctionné par une amende de 750 euros.

Par ailleurs, l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés, en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme passif dans l'entreprise (8). De ce fait, il est tenu de mettre en oeuvre l'interdiction de fumer dans l'entreprise et de la faire respecter. Il dispose pour ce faire de son pouvoir d'organisation au sein de l'entreprise corrélé, au besoin, de son pouvoir disciplinaire. En cas de manquement à ses obligations, l'employeur encourt des sanctions pénales. Et, en cas de violation de l'interdiction de fumer sur un lieu de travail par un salarié, l'employeur peut utiliser son pouvoir disciplinaire : le salarié pouvant encourir ainsi une sanction disciplinaire et/ou pénale.

A ce jour, aucun fumoir n'est installé dans les lieux publics, les administrations et les entreprises, et la mise en place de tels emplacements semblent techniquement et financièrement difficile. Le Gouvernement semble donc vouloir contraindre les responsables des lieux, où des fumoirs peuvent être installés, à interdire, purement et simplement, l'usage du tabac dans leurs locaux.

Soliman Le Bigot
Peggy Grivel
LBM avocats
cabinet@lbmavocats.com


(1) Recommandation 2003/54/CE du Conseil du 2 décembre 2002 relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte antitabac.
(2) Article 8 : "Protection contre l'exposition à la fumée du tabac.
1. Les Parties reconnaissent qu'il est clairement établi, sur des bases scientifiques, que l'exposition à la fumée du tabac entraîne la maladie, l'incapacité et la mort.
2. Chaque Partie adopte et applique, dans le domaine relevant de la compétence de l'Etat en vertu de la législation nationale, et encourage activement, dans les domaines où une autre compétence s'exerce, l'adoption et l'application des mesures législatives, exécutives, administratives et/ou autres mesures efficaces prévoyant une protection contre l'exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et, le cas échéant, d'autres lieux publics".
(3) Circulaire du 24 novembre 2006 concernant la lutte contre le tabagisme (N° Lexbase : L6728HTD) ; circulaire du 27 novembre 2006 relative aux conditions d'application dans les services de l'Etat et des établissements publics (N° Lexbase : L6730HTG) ; circulaire du 29 novembre 2006 relative à l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif (N° Lexbase : L6729HTE) ; circulaire du 29 novembre 2006 relative à l'interdiction de fumer pour les personnels et les élèves dans les établissements d'enseignement et de formation (N° Lexbase : L6726HTB) ; circulaire du 4 décembre 2006 concernant la réglementation relative à la lutte contre le tabagisme (N° Lexbase : L6727HTC).
(4) Circulaire n° DGAS/2006/528 du 12 décembre 2006 relative à la lutte contre le tabagisme dans les établissements sociaux et médico-sociaux assurant l'accueil et l'hébergement mentionnés aux 6°, 7°, 8° et 9° du I de l'article L. 312-1 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L1018HUA).
(5) Art.16, loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite loi "Evin" (N° Lexbase : L3377A9X).
(6) C. santé publ., art. R. 3511-8, nouveau.
(7) Le responsable des lieux est la personne qui, en raison de sa qualité ou de la délégation de pouvoir dont elle dispose, a l'autorité et les moyens nécessaires pour assurer l'application des dispositions du décret du 15 novembre 2006.
(8) Cass. soc. 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société ACME Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC) et les obs. de Nicolas Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 (N° Lexbase : N6574AIC).

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Électoral

[Questions à...] Questions à... Catherine Troendle, sénateur du Haut-Rhin, sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives

Réf. : Projet de loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives

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N7368A9R

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Le 07 Octobre 2010


Présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, lors du Conseil des ministres du mardi 28 novembre dernier, le projet de loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a été adopté par le Sénat le 14 décembre 2006. En vue de cet examen, la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par Mme Gisèle Gautier, a adopté, sur le rapport de Mme Catherine Troendle, sénateur UMP du Haut-Rhin, dix recommandations tendant à améliorer la parité en politique. L'occasion pour nous de revenir, avec cette dernière, sur ces recommandations et, de façon plus générale, sur le projet de loi, qui semble marquer une nouvelle étape dans la promotion de la parité.
Lexbase : Pouvez-vous, pour commencer, nous définir le dispositif juridique existant actuellement en faveur de la parité qui se résume, essentiellement, par le régime électoral issu de la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (N° Lexbase : L0458AIS) ?

C. Troendle : Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n'était, auparavant, pas possible d'adopter une disposition législative comportant une distinction entre candidats en raison de leur sexe, à moins d'une révision constitutionnelle, qui a été votée le 28 juin 1999, et qui a modifié les articles 3 (N° Lexbase : L1289A9M) et 4 (N° Lexbase : L1300A9Z) de la Constitution. L'article 3 dispose, désormais, que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives" et l'article 4 précise que les partis et groupements politiques "contribuent à la mise en oeuvre du principe [posé à l'article 3] dans les conditions déterminées par la loi".

La loi du 6 juin 2000, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a constitué une première mise en oeuvre des principes arrêtés lors de la révision constitutionnelle de 1999.

Elle concerne, essentiellement, les élections au scrutin de liste, pour lesquelles elle a prévu des obligations de parité des candidatures au moment de la formation des listes. Elle a, ainsi, prévu la parité des listes pour :

- les élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants (parité par groupe de six candidats) ;

- les élections européennes (stricte alternance) ;

- les élections sénatoriales à la représentation proportionnelle (stricte alternance).

Par ailleurs, pour les élections législatives, qui se déroulent au scrutin majoritaire, la loi du 6 juin 2000 a prévu un dispositif dissuasif reposant sur une pénalisation financière des partis politiques ne respectant pas l'objectif de parité des candidatures. Ainsi, plus un parti s'écarte de cet objectif, plus le montant de l'aide publique qui lui est versée diminue et plus il est financièrement pénalisé.

Lexbase : Pourquoi et comment la nécessité de modifier un tel dispositif est-elle apparue ? Vous soulignez, notamment, dans votre rapport, le rang de la France dans le cadre d'une comparaison internationale. Pourriez-vous nous éclairer sur votre constat ?

C. Troendle : Il convient, dans un premier temps, de dresser un constat : l'application de la loi sur la parité du 6 juin 2000 a permis de réelles avancées concernant la représentation des femmes en politique, tout en laissant subsister des insuffisances concernant, en particulier, les assemblées élues au scrutin uninominal, les exécutifs des collectivités territoriales et les structures intercommunales.

Je vous présenterai les principaux chiffres, extraits de deux rapports de mars 2005, celui de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes et celui établi par le ministère de la Parité et de l'Egalité professionnelle au titre de l'évaluation de la loi. Sans vouloir vous submerger de chiffres, que j'expose largement dans mon rapport écrit, j'indique que l'application de la loi du 6 juin 2000 présente un bilan contrasté.

Les comparaisons internationales soulignent la position médiocre de la France s'agissant de la représentation des femmes au Parlement. En effet, selon l'Union interparlementaire (UIP), notre pays occupait, au 31 octobre dernier, le 84ème rang, sur 135, avec 12,2 % de femmes à l'Assemblée nationale, et 17,6 % au Sénat. Toutes chambres confondues, la France, avec 14,2 % de femmes parlementaires, se situe au dessous de la moyenne mondiale, soit 16,9 %. Notre pays ne se situe au dessus de la moyenne mondiale que pour la proportion des femmes parlementaires membres d'une seconde chambre : 17,6 % des sénateurs français sont des femmes, pour une moyenne mondiale de 16 %.

Le plus regrettable est sans doute que, parmi les 25 Etats membres de l'Union européenne au 31 décembre 2006, 21 assurent une meilleure représentation parlementaire des femmes que la France, qui apparaît, ainsi, comme "le mauvais élève" de la classe européenne en la matière, même si, au niveau local, elle arrive en première position en Europe avec un taux de conseillères municipales de 47,5 % en 2002.

Lexbase : Un autre point négatif pourrait être décerné aux exécutifs locaux, qui restent à ce jour essentiellement masculins. Quelle est la situation dans les communes et structures intercommunales, dans les conseils généraux et les conseils régionaux ? Comment la justifier ?

C. Troendle : En effet, la loi du 6 juin 2000 n'a pas connu le prolongement qui aurait dû être le sien au niveau des exécutifs locaux, l'exercice des responsabilités demeurant concentré entre les mains des hommes, y compris dans les collectivités administrées par des assemblées où les femmes sont représentées de façon quasi paritaire :

- dans les communes de moins de 3 500 habitants, où les femmes représentent 30 % des conseillers municipaux, elles ne sont que 11,9 % des maires et 23,9 % des adjoints ;

- dans les communes de plus de 3 500 habitants, 7,6 % des maires et 36,8 % des adjoints sont des femmes (et souvent dans des délégations prétendument "féminines"), alors que celles-ci représentent 47,4 % des conseillers municipaux ; par ailleurs, la féminisation des conseils municipaux est restée sans effets sur la composition des structures intercommunales, dont seulement 5,5 % sont présidées par une femme ;

- 10,9 % des conseillers généraux sont des femmes, mais seulement 3 % sont présidentes et 12,1 % vice-présidentes ;

- enfin, si 47,6 % des conseillers régionaux sont des femmes, elles ne sont que 3,8 % à occuper la fonction de président et 37,3 % celle de vice-président.

Concernant les communes de plus de 3 500 habitants et le conseil régional, il n'existe aucune excuse préalable car la parité est imposée lors de l'élection.

Les exécutifs restent encore un bastion masculin, sans doute parce que les femmes arrivent dans ces institutions avec leurs doutes, leur manque de confiance encore, alors qu'elles auraient les compétences nécessaires pour s'affirmer au sein des exécutifs. Néanmoins, il faut, également, une volonté réelle de participer activement dans les exécutifs et une compétence adaptée aux différents postes attribués au sein des exécutifs, ceci est primordial pour contribuer efficacement au fonctionnement.

Lexbase : Enfin, vous notez, concernant les élections au scrutin majoritaire, un certain immobilisme. Comment l'expliquer ?

C. Troendle : Les résultats aux élections se déroulant au scrutin majoritaire offrent une illustration a contrario des effets de la loi du 6 juin 2000 : quand l'obligation de parité des candidatures ne s'applique pas, la représentation politique des femmes ne progresse quasiment pas. La comparaison "avant /après" est riche d'enseignement :

- la proportion des conseillères municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants était passée de 21 % en 1995 à 30 % en 2001 ;

- celle des conseillères générales était passée de 8,6 % en 1998 à 10,9 % en 2004 ;

- les femmes ne représentaient que 12,2 % des députés en 2002, après 10,9 % en 1997 ;

- les femmes constituaient 4,4 % des sénateurs élus au scrutin majoritaire en 2004, soit moins qu'en 1995 (4,8 %).

Soulignons, à cet égard, les limites du système de pénalités financières instituées par la loi du 6 juin 2000, dont l'objectif dissuasif n'a été que faiblement atteint. En effet, le montant total des pénalités financières pour non-respect de la parité s'était établi à 7,04 millions d'euros en 2004, quatre formations politiques représentant à elles seules 95,7 % de leur montant : l'UMP (60,8 %), le PS/PRG (23,6 %), l'UDF (9,5 %) et le PCF (1,8 %).

Lexbase : Le projet de loi présenté par M. Nicolas Sarkozy, marque, dans ce contexte, une avancée certaine en faveur de la parité en politique. Pouvez-vous rapidement nous le présenter ? Quelles en sont les mesures phares ? Les lacunes éventuelles ?

C. Troendle : L'une des mesures phares est de doter le conseiller général d'un suppléant de sexe différent, en prévoyant que le suppléant sera appelé à remplacer le titulaire en cas de décès. La lacune majeure de ce dispositif est la restriction de remplacement uniquement en cas de décès. En effet, pour que cette mesure produise pleinement ses effets, le remplacement du titulaire par le suppléant ne doit pas se limiter à la seule éventualité d'un décès, comme le prévoit le projet de loi, mais s'étendre aux autres cas de vacance du mandat et, en particulier, celui de la démission d'un élu devant se mettre en conformité avec la législation sur la limitation du cumul des mandats.

En effet, un élu devant renoncer à l'un de ses mandats pour cause de cumul abandonne le plus souvent son mandat de conseiller général. Ainsi, entre 1999 et 2006, 121 élections cantonales partielles ont été motivées par des démissions liées aux cumuls des mandats (soit 37,7 % au total), alors que seules 108 élections partielles ont eu pour origine le décès du conseiller général titulaire du mandat (soit 33,6 % du total).

Lexbase : La délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances a adopté, sur votre rapport, dix recommandations concernant l'ensemble des élections nationales et locales, qu'il s'agisse des élections au scrutin de liste ou des élections au scrutin majoritaire, ainsi que les exécutifs des collectivités territoriales et les EPCI. Quelles sont ces recommandations ?

C. Troendle : 1. Instaurer une alternance stricte entre candidats de l'un et l'autre sexe pour la composition des listes de candidats aux élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants.

2. Abaisser de 3 500 à 2 500 habitants le seuil d'application du scrutin de liste avec obligation de parité pour les élections municipales.

3. Etendre la portée de la disposition du projet de loi tendant à doter le conseiller général d'un suppléant de sexe différent, en prévoyant que le suppléant sera appelé à remplacer le titulaire dans tous les cas de vacance du mandat, et non uniquement dans l'éventualité d'un décès.

4. Approuver le renforcement des pénalités financières applicables aux partis politiques ne respectant pas la parité des candidatures aux élections législatives, prévu par le projet de loi, en portant de la moitié aux trois quarts de l'écart entre le nombre de candidats de chaque sexe, rapporté au nombre total de candidats, le pourcentage de l'abattement appliqué sur la première fraction de l'aide publique.

5. Instituer l'obligation pour un candidat aux élections législatives d'avoir un suppléant de sexe différent.

6. Instaurer la parité au sein des exécutifs des communes de plus de 3 500 habitants et des régions, en prévoyant, comme dans le projet de loi, une obligation de parité des candidatures pour l'élection des adjoints au maire, ainsi que de la commission permanente et des vice-présidents des conseils régionaux.

7. Instituer une limitation du cumul des mandats dans le temps en limitant à trois le nombre de mandats consécutifs de même nature.

8. Mettre en place des dispositions destinées à faciliter l'exercice d'un mandat, ce qui permettra aux femmes de mieux concilier celui-ci avec leur vie professionnelle et familiale :

- prévoir, en faveur des élu(e)s locaux, un dispositif de dédommagement systématique des frais de garde d'enfants, ou d'assistance à des personnes dépendantes, liés à l'exercice du mandat, financé pour les petites communes grâce à une réforme de la dotation particulière "élu local" ;

- assurer une application effective des dispositifs de formation prévus en faveur des élu(e)s locaux, également financée pour les petites communes par une réforme de la dotation particulière "élu local" ;

- faciliter la réinsertion professionnelle des élu(e)s à l'issue de leur mandat, grâce à la validation des acquis de l'expérience et à l'extension aux autres élu(e)s du mécanisme de suspension du contrat de travail déjà prévu pour les parlementaires ;

- améliorer le régime de retraite des élu(e)s locaux, en autorisant ceux qui cessent leur activité professionnelle au cours de leur mandat à cotiser aux régimes facultatifs de retraite par rente mis en place sur le fondement de la loi n° 92-108 du 3 février 1992, relative aux conditions de l'exercice des mandats locaux (N° Lexbase : L1854ASH).

9. Etablir des statistiques précises concernant la présence des femmes au sein des assemblées délibérantes des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

10. Instaurer la parité au sein des assemblées délibérantes et des exécutifs des EPCI à fiscalité propre à l'occasion d'une réflexion d'ensemble sur le mode de désignation des délégués des communes dans ces structures intercommunales.

Lexbase : Pensez-vous que le projet de loi est réellement susceptible de faire avancer la parité en politique ? La difficulté ne résulte-t-elle pas plus des mentalités que du dispositif juridique existant ?

C. Troendle : C'est une nouvelle étape, une petite avancée qui apporte une première réponse aux difficultés des femmes qui briguent un mandat de conseiller général, mais le dispositif reste restrictif.

Les pénalités pourront, peut-être, contribuer à contraindre les partis à présenter plus de candidates aux élections législatives mais si elles sont prévues sur des circonscriptions impossibles à gagner, cette disposition n'aura qu'un faible impact réel.

Le problème fondamental reste, évidemment, celui de l'évolution des mentalités et du manque de confiance en elle des femmes. Celles qui sont compétences, motivées et volontaires n'attendront pas la mise en oeuvre de ces dispositifs en faveur de la parité.

Aussi, j'aurais souhaité que tout cet arsenal juridique puisse tomber dans quelques années, lorsque les mentalités auront évolué ; les femmes gagneront, alors, à s'affranchir de ces dispositifs. Malheureusement, la temporisation de ces nouvelles dispositions a été rejetée par l'opposition.

Propos recueillis par Fany Lalanne
SGR - Droit public

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Maternité et période d'essai

Réf. : Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-44.806, M. Jean-Louis Portolano, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3625DTG)

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N7497A9K

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La période d'essai est destinée à permettre aux deux parties au contrat de travail de vérifier qu'elles ne se sont pas trompées sur leurs attentes respectives. Le Code du travail réserve à l'essai un régime en partie dérogatoire au droit du licenciement, comme le confirme un arrêt rendu le 21 décembre 2006 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui exclut les dispositions protectrices de la maternité pendant cette période (1). L'arrêt apporte, toutefois, une précision importante pour le régime de l'essai, en considérant comme illicite la clause de renouvellement automatique de l'essai (2).
Résumé

Les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI) relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai.

Le renouvellement de la période d'essai de la salariée décidé par le contrat de travail dès sa conclusion est illicite, de sorte que la rupture du contrat de travail pendant la période renouvelée est réputée être intervenue postérieurement à l'expiration de la période d'essai, et se trouve donc nulle.

Décision

Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-44.806, M. Jean-Louis Portolano, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3625DTG)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 21 juillet 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-25-2 (N° Lexbase : L5495ACI)

Mots-clefs : période d'essai ; protection de la maternité ; inapplication ; renouvellement de l'essai ; clause du contrat de travail ; renouvellement automatique ; illicéité.

Liens bases : ; .

Faits

1. Mme Baton a été engagée le 3 janvier 2000 par M. Portolano, avocat, en qualité de secrétaire juridique. Par courrier du 12 mai 2000, son employeur lui a notifié la rupture de son contrat de travail "dans le cadre de la période d'essai qu'il contenait". Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2000, la salariée a adressé à son employeur un certificat médical justifiant qu'elle était enceinte.

2. Estimant avoir fait l'objet d'un licenciement nul et abusif, elle a saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a prononcé la nullité de la rupture du contrat de travail de la salariée en raison de son état de grossesse et lui a alloué des sommes à titre de dommages-intérêts, indemnité de préavis et congés payés afférents.

Solution

1. "S'il est exact que les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai, le moyen est inopérant dès lors que, comme le fait valoir le mémoire en défense, le mémoire en demande indique lui-même que le renouvellement de la période d'essai de la salariée avait été décidé par le contrat de travail dès sa conclusion, ce qui est illicite, de sorte que la rupture est intervenue postérieurement à l'expiration de la période d'essai".

2. Par ces motifs : rejette le pourvoi ; condamne M. Portolano aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, condamne M. Portolano à payer à Mme Baton la somme de 1 500 euros.

Commentaire

1. La protection due à la femme enceinte inapplicable pendant la période d'essai

  • Dispositions protectrices de la maternité

Le Code du travail organise la protection de la maternité aux différentes étapes de la relation de travail. C'est ainsi que l'article L. 122-25 (N° Lexbase : L5491ACD) concerne l'embauche, la période d'essai et la mutation de la salariée, les articles L. 122-25-1 (N° Lexbase : L5494ACH), L. 122-25-1-1 (N° Lexbase : L3695GZU) et L. 122-25-1-2 (N° Lexbase : L8386ASE), l'affectation sur un poste de travail adapté à l'état de la salariée, et l'article L. 122-25-2 (N° Lexbase : L5495ACI), le licenciement.

Les sanctions infligées à l'employeur qui porte atteinte à ces dispositions ne font pas l'objet d'un traitement homogène mais dépendent de la règle violée. C'est ainsi que l'article L. 122-30 (N° Lexbase : L3138HI3) dispose que "l'inobservation par l'employeur des dispositions des articles L. 122-25 à L. 122-28-10 (N° Lexbase : L9239G93) peut donner lieu à l'attribution de dommages-intérêts au profit du bénéficiaire, en sus de l'indemnité de licenciement", et, qu'"en outre, lorsque, en application des dispositions précitées, le licenciement est nul, l'employeur est tenu de verser le montant du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité".

  • L'inapplicabilité des règles protectrices pendant la période d'essai

Se fondant à la fois sur le fait que le législateur réserve un traitement particulier à la question de la période d'essai de la femme enceinte et que l'article L. 122-30, alinéa 2 (N° Lexbase : L3138HI3), fait expressément référence à la nullité du "licenciement", la jurisprudence refuse classiquement la protection spéciale, singulièrement la nullité avec réintégration admise depuis 2003 (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7501BSM ; lire les obs. de S. Kolek-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7288AA8 ; Dr. soc. 2003, p. 831, chron. B. Gauriau), à la salariée dont le contrat est résilié pendant la période d'essai (Cass. soc., 2 février 1983, n° 79-41.754, Dame Lemut c/ Chambre d'agriculture du Lot, publié N° Lexbase : A3441AB3 ; JCP éd. G, 1984, II, 20176, note Pansier et Montredon ; Cass. soc., 5 juin 1990, n° 85-44.522, M. Subra c/ Société Saint-Jeannet Lasserre, publié N° Lexbase : A4213ACZ).

  • La confirmation de l'exclusion en l'espèce

C'est cette jurisprudence que vient confirmer un arrêt en date du 21 décembre 2006.

Dans cette affaire, l'employeur avait notifié à la salariée la rupture de son contrat de travail en période d'essai. Cette dernière lui avait alors adressé un certificat médical l'informant de sa grossesse, dans les conditions déterminées par l'article L. 122-25-2, alinéa 2. La cour d'appel avait, alors, considéré le licenciement comme nul, après avoir affirmé que les dispositions de l'article L. 122-30 étaient, ici, applicables pendant la période d'essai.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui confirme le principe selon lequel "les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai".

Sur un plan strictement juridique, il semble difficile de donner tort à la Cour de cassation. Le législateur a, en effet, bien distingué la résiliation du contrat de travail en période d'essai (C. trav., art. L. 122-25) du licenciement (C. trav., art. L. 122-25-2) et bien pris soin de viser le "licenciement" lorsqu'il envisage la nullité de la mesure.

Sur un plan plus général, on peut, certes, regretter que la salariée ne soit pas protégée dès la conclusion de son contrat de travail, dans le cadre d'une politique favorisant la maternité, même si on peut comprendre qu'un employeur ne souhaite pas poursuivre plus avant l'exécution d'un contrat de travail lorsqu'une salariée ne convient pas.

  • Un régime hétérogène de l'essai

La situation de la femme enceinte détonne, toutefois, dans un contexte jurisprudentiel visant à restreindre le caractère dérogatoire de la période d'essai. Rappelons, en effet, que la Cour de cassation impose, désormais, à l'employeur le respect de la procédure disciplinaire lorsqu'il rompt l'essai en raison d'une faute commise par le salarié (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, FS-P+B N° Lexbase : A4834DBN ; voir L'application de la procédure disciplinaire pendant la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 113 du 25 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0975ABQ) et qu'il fait, également, application des dispositions relatives aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, même pendant la période d'essai (Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-44.325, F-P+B N° Lexbase : A1687DCH ; lire notre chron., Période d'essai et accident du travail : la protection plutôt que la liberté, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1664ABA).

  • La possibilité de prouver le caractère discriminatoire de la résiliation en période d'essai

La salariée enceinte, dont le contrat serait résilié pendant la période d'essai, n'est toutefois pas totalement démunie. Les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) sont, en effet, applicables à tous les salariés, même en période d'essai, et ces dispositions ne sont pas exclues par l'article L. 122-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L5554ACP), comme l'a justement estimé la Cour de cassation le 10 mars 2004 à propos de la procédure disciplinaire (préc.). La salariée qui parviendrait à prouver que l'employeur a rompu l'essai en raison de son état de grossesse pourrait, alors, obtenir l'annulation de cette résiliation et sa réintégration dans l'entreprise. Pour ce faire, elle bénéficierait des dispositions de l'article L. 122-45, alinéa 4, qui favorise la preuve des discriminations, à condition, toutefois, qu'elle rapporte l'existence d'éléments laissant supposer pareille discrimination, notamment que son employeur avait eu connaissance de sa grossesse avant que celle-ci ne lui fasse parvenir officiellement le certificat médical.

Cette confirmation de l'inapplicabilité des règles du licenciement aux femmes enceintes pendant la période d'essai n'a toutefois pas eu pour conséquence, dans cette affaire, de débouter la salariée de ses demandes, dans la mesure où l'employeur avait cru, à tort, se trouver encore en période d'essai.

2. L'illicéité de la clause de renouvellement automatique de la période d'essai

  • Le régime de la période d'essai

Si l'article L. 122-4 du Code du travail prévoit que les règles du droit du licenciement "ne sont pas applicables pendant la période d'essai" ; il ne prévoit pas à quelles conditions le salarié sera soumis à une pareille période. C'est donc vers les conventions collectives et/ou les contrats de travail qu'il convient de se tourner, ainsi que vers la jurisprudence.

La Cour de cassation a eu l'occasion de définir, au fil des années, le régime juridique des clauses contractuelles encadrant le recours à l'essai. En l'absence de dispositions applicables dans la convention collective, les consignes dictées par la Cour de cassation aux juges du fond sont relativement limitées. On sait, ainsi, que la durée contractuelle doit être raisonnable. Les parties peuvent prévoir le renouvellement de la période fixée initialement, mais la jurisprudence veille, ici, soigneusement, à ce que les droits du salarié soient respectés ; ainsi, le principe du renouvellement doit être prévu dès le commencement (Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-41.579, Mme Champion c/ M. Zowczak, publié N° Lexbase : A4570AGD), la clause ne peut prévoir de renouvellement tacite (Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, M. Frédéric Furlotti, publié N° Lexbase : A2017AIK) et l'acceptation du salarié doit être expresse et non sujette à discussion (Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-46.406, F-P+B N° Lexbase : A6142DNS).

  • La question du renouvellement de l'essai

Les parties peuvent-elles prévoir le renouvellement automatique de la période d'essai ? La Cour de cassation avait été conduite à répondre négativement à cette question, mais uniquement dans des hypothèses où des dispositions conventionnelles applicables ne le prévoyaient pas (Cass. soc., 31 octobre 1989, n° 86-42.508, M. Girard c/ Société d'entreprise et de gestion (SEG), publié N° Lexbase : A1340AAU), et jamais, à notre connaissance, en l'absence de régime conventionnel, comme c'était le cas en l'espèce.

Or, la Cour de cassation a considéré, ici, comme "illicite" "le renouvellement de la période d'essai de la salariée [...] décidé par le contrat de travail dès sa conclusion".

  • Tentative de justification de la solution

Même si la Cour ne le dit pas, c'est certainement le principe selon lequel le salarié ne saurait renoncer par avance au droit de refuser le renouvellement de sa période d'essai qui justifie cette affirmation (comp. avec le fondement de la prohibition des clauses de variation : Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (Gan Vie) c/ M. Rouillot, publié N° Lexbase : A0505ATU).

Il est, tout d'abord, regrettable que la solution soit affirmée de manière aussi péremptoire et qu'elle soit, en même temps, aussi peu motivée.

Ensuite, nous comprenons mal, à la fois, le fondement et l'opportunité de la règle. Le droit de refuser le renouvellement de la période d'essai a, en effet, été inventé de toutes pièces par la Cour de cassation et ne repose sur aucune disposition du Code du travail. Par ailleurs, et dès lors que les juges contrôlent que la durée totale de l'essai, reconduction comprise, n'est pas déraisonnable compte tenu, notamment, des fonctions exercées par le salarié, on ne comprend pas bien quel est l'intérêt de s'acharner à ce point sur la question du renouvellement de l'essai.

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Internet - Bulletin d'actualités n° 11

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Décembre 2006

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N7498A9L

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. Ce mois ci, il convient de relever l'introduction de dispositions relatives au jeu d'argent dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, ou encore le rappel opéré par la cour d'appel de Paris, le 17 novembre dernier, sur la force probante du constat d'huissier sur internet. I - Informatique

Faits :

M. B., gérant d'une société de sécurité informatique, prend le contrôle, en août 2002, d'un serveur de la société Colt Télécommunications dans lequel il introduit divers programmes, notamment, un outil permettant de contrôler le serveur à distance, ainsi qu'un logiciel permettant de scruter les vulnérabilités de systèmes. Il lance, à partir de ce serveur, des attaques systématiques vers des centaines de serveurs gouvernementaux pour explorer leurs failles de sécurité. Les attaques se manifestent chez les victimes par l'apparition d'un message de revendication les informant de la vulnérabilité de leurs systèmes et leur suggérant d'y remédier par une mise à jour ou de contacter l'auteur des attaques pour obtenir des renseignements.

Le serveur du casier judiciaire national et celui du centre d'expertises gouvernemental de réponse et de traitement des attaques informatiques sont parmi les victimes des attaques.

Les autorités judiciaires parviennent à localiser et à identifier M. B., lequel reconnaît intégralement les faits.

Décision :

Afin d'échapper à sa responsabilité, M. B. déclare aux juges avoir, d'une part, "agi dans un esprit de sécurisation des serveurs", et, d'autre part, que "le serveur qui a subi des inconvénients, c'est celui de Colt mais ce serveur n'était pas sécurisé".

Le tribunal de grande instance de Paris condamne, néanmoins, M. B. à 4 mois d'emprisonnement avec sursis pour accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données ("STAD"), entrave au fonctionnement d'un STAD, introduction frauduleuse de données dans un STAD et tentative d'introduction frauduleuse de données dans un STAD sur le fondement des articles 323-1 (N° Lexbase : L1986AMI) à 323-7 du Code pénal, dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits. M. B. est, également, condamné au paiement des dommages-intérêts aux parties civiles.

Commentaire :

Cette décision permet d'illustrer les contours de l'atteinte à un STAD en évacuant tout doute sur l'exonération de responsabilité de l'auteur de ce type d'atteinte lorsque le délit est motivé par la volonté de démontrer un défaut de sécurité.

Il est, également, intéressant de noter que le prévenu s'était, de plus, prévalu du défaut de sécurité du serveur de la société Colt Télécommunications pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité.

Cet argument est à rapprocher de la décision rendue par la cour d'appel de Paris le 30 octobre 2002 dans l'affaire "Kitetoa" (CA Paris, 12ème ch., sect. A, 30 octobre 2002, n° 02/04867, Ministère public c/ Antoine C. N° Lexbase : A3393A7S, et lire Marc d'Haultfoeuille, Sécurité informatique : règles en vigueur et perspectives, Lexbase Hebdo n° 62 du 13 mars 2003 - édition affaires N° Lexbase : N6239AAC). En effet, dans cette affaire, un individu à qui l'on reprochait l'accès et le maintien frauduleux dans un STAD avait été relaxé par la cour d'appel qui avait décidé qu'on ne pouvait reprocher à "un internaute d'accéder aux, ou de se maintenir dans les parties des sites qui peuvent être atteintes par la simple utilisation d'un logiciel grand public de navigation, ces parties de site, qui ne font par définition l'objet d'aucune protection de la part de l'exploitant du site ou de son prestataire de services, devant être réputées non confidentielles à défaut de toute indication contraire et de tout obstacle à l'accès", et que "la détermination du caractère confidentiel et des mesures nécessaires à l'indication et à la protection de cette confidentialité relevaient de l'initiative de l'exploitant du site ou de son mandataire".

Or, en l'espèce, M. B. ne s'était pas contenté de la simple utilisation d'un logiciel grand public pour s'introduire dans un STAD, utilisant, quant à lui, des procédures bien plus élaborées. Le tribunal a donc, en toute logique, rejeté l'argument, maintenant ainsi une position ferme en matière d'atteinte à un STAD.

  • Le préjudice résultant de l'absence d'accès aux sources d'un logiciel par l'utilisateur s'analyse en une perte de chance : Cass. com., 24 janvier 2006, n° 05-10.564, Société Digitechnic c/ M. Guy Saura, F-D (N° Lexbase : A7225DMK)

Faits :

La société Digitechnic a conclu un contrat d'acquisition et d'installation d'un logiciel avec la société Tic, le 5 janvier 2001. Le contrat stipule qu'en cas de liquidation judiciaire ou cessation d'activité de la société Tic, une copie des sources du logiciel installé sera remise à la société Digitechnic afin de lui permettre de pérenniser son investissement. Le logiciel installé par la société Tic ne donne pas satisfaction et nécessite de nouvelles interventions.

La société Tic faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, la société Digitechnic invoque la clause lui attribuant copie des sources. Le liquidateur judiciaire, Michel A., l'informe alors que l'unité de production de logiciel et de maintenance de la société Tic était cédée à la société Netmakers et que le titulaire des sources était Guy S., président du conseil d'administration de la société Tic et concepteur du logiciel. Ce dernier n'accède pas à la demande de la société Digitechnic aux motifs qu'il a cédé ses droits à la société Netmakers.

La société Digitechnic demande que soit ordonnée la remise de la dernière version des sources du logiciel et forme une demande en dommages-intérêts à l'encontre de Guy S. sur le fondement des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1599 (N° Lexbase : L1684ABY) du Code civil, et, à l'encontre de Michel A., sur le fondement des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1599 du même code.

Sur la remise de la copie des sources, la cour d'appel d'Aix-en-Provence constate qu'il n'est pas possible d'accéder à la demande de la société Digitechnic dès lors que Michel A. n'a pas matériellement en sa possession les sources et que Guy S. a cédé tous ces droits d'auteurs sur le logiciel à un tiers. La cour d'appel constate, cependant, que la société Digitechnic doit être indemnisée du préjudice résultant de l'inexécution du contrat.

La société Digitechnic forme alors un pourvoi en cassation au motif que sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de Michel A. a été jugée irrecevable et que la cour d'appel a limité la responsabilité de Guy S. à 100 000 euros.

Décision :

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle juge, en effet, que la cour d'appel a souverainement fixé la réparation du préjudice subi par la société Digitechnic en estimant "qu'il n'est pas établi que la remise des sources ait pu mettre fin aux difficultés rencontrées par la société Digitechnic ; que le préjudice qu'elle invoque est en réalité dû à l'inadaptation du progiciel que son inventeur n'a pu à la veille de la liquidation rendre compatible avec les applications exigées par la société Digitechnic [...] le préjudice s'analyse donc de la perte d'une chance de pouvoir parvenir à rendre le progiciel opérationnel".

Commentaire :

Le préjudice subi par une personne qui ne peut accéder aux codes source du logiciel dont elle a acquis les droits afin de continuer à l'utiliser et à le maintenir peut être qualifié de perte d'une chance de pouvoir parvenir à rendre le logiciel opérationnel.

Dans cette espèce, les faits sont importants. En effet, les sources ne sont plus matériellement en possession du liquidateur judiciaire et le concepteur du logiciel a cédé ses droits d'auteurs à un tiers. Le tiers n'étant pas partie à l'action, les juges ne peuvent pas ordonner la remise des sources à un tiers.

Cette impossibilité de remettre les sources conformément aux dispositions contractuelles fait donc subir un préjudice à l'utilisateur du logiciel.

Cet arrêt permet de rappeler l'importance de recourir à un séquestre dépositaire d'une copie d'une version à jour du logiciel. En cas de défaillance, le titulaire de la licence pourra s'obtenir copie des sources conformément aux dispositions contractuelles, dès lors que le tiers séquestre sera en possession matériellement de la copie des sources.

  • Le vendeur professionnel d'un matériel informatique est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers un client dépourvu de toute compétence en la matière ; en outre, l'obligation de délivrance du vendeur de produits complexes n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue : Cass. com., 11 juillet 2006, n° 04-17.093, Société Téléfil santé, F-D (N° Lexbase : A4304DQH)

Faits :

La société Conseil Développement Assistance (la société CDA) a concédé à la société Téléfil Santé une licence d'utilisation d'un progiciel. La société Téléfil Santé s'est acquittée des deux premiers acomptes, mais a invoqué des dysfonctionnements pour refuser de payer le solde du prix et demander une indemnisation de son préjudice.

La cour d'appel de Limoges condamne alors la société Téléfil Santé à payer la somme due à la société CDA aux motifs qu'elle ne l'avait pas informée que la police de caractère utilisée par le progiciel n'existait pas sur son imprimante.

La cour retient aussi que le progiciel n'avait pas pu être correctement initialisé dès lors que la société Téléfil Santé n'avait pas remis à la société CDA les fichiers de la base de données de l'ancien logiciel.

La société Téléfil Santé forme un pourvoi en cassation.

Décision :

La Cour de cassation casse la décision de la cour d'appel de Limoges.

Au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1615 (N° Lexbase : L1715AB7) du Code civil, elle juge que "le vendeur professionnel d'un matériel informatique est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers un client dépourvu de toute compétence en la matière".

Au visa des articles 1134, 1147 et 1604 (N° Lexbase : L1704ABQ) du Code civil, elle juge, aussi, que "l'obligation du vendeur de produits complexes n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue".

Commentaire :

La Cour est venue préciser les contours de l'obligation de délivrance en indiquant que, pour les produits complexes (intégrant, par exemple, des progiciels, matériels et périphériques), le vendeur n'est pas déchargé de son obligation de fournir un progiciel conforme aux besoins de son client, à la livraison dudit progiciel au client, mais bien au moment où le progiciel répond effectivement aux attentes du client.

Cette décision est intéressante dans la mesure où elle rappelle, de manière très claire, l'obligation de conseil et d'information qui pèse sur le vendeur professionnel d'un équipement informatique. En l'espèce, le client non professionnel n'était soumis à aucune obligation d'informer le vendeur professionnel sur les capacités de son imprimante. Le client reste, cependant, soumis à une obligation de collaboration.

Le vendeur professionnel est donc tenu d'adapter le progiciel, afin d'atteindre les spécificités exprimées par le client.

II - Internet

  • Des amendements portant sur les jeux d'argent ont été adoptés à l'occasion des discussions sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance : projet de loi relatif à la prévention de la délinquance

Contenu :

Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance a été présenté par le Gouvernement le 28 juin 2006 et adopté par le Sénat en première lecture le 21 septembre 2006 et le 11 janvier 2007 en seconde lecture.

Initialement, le chapitre V du projet de loi intitulé "Dispositions relatives à la prévention des actes violents pour soi-même ou pour autrui" ne traitait des communications électroniques qu'au sujet de la protection des mineurs. Mais, le projet de loi a fait l'objet de nombreux amendements en première lecture devant l'Assemblée nationale, dont certains concernent les activités illégales de jeux d'argent.

1. La création d'une nouvelle obligation d'information à la charge des fournisseurs d'accès et d'hébergement

L'amendement n° 255 (devenu article 17 bis E de la petite loi) modifie l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ("LCEN", loi n° 2004-575 N° Lexbase : L2600DZC). Il est proposé d'y ajouter au dernier alinéa du 7° les dispositions suivantes : "Compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression des activités illégales de jeux d'argent, les personnes mentionnées aux 1 et 2 mettent en place [dans des conditions fixées par décret] (1) un dispositif facilement accessible et visible permettant de signaler à leurs abonnés l'identité des sites tenus pour répréhensibles par les autorités publiques compétentes en la matière. Elles informent également leurs abonnés des risques encourus par eux du fait d'actes de jeux réalisés en violation de la loi".

Cette obligation serait sanctionnée pénalement, l'amendement prévoyant que "tout manquement aux obligations définies aux quatrième et cinquième alinéas est puni des peines prévues au 1 du VI", soit une peine d'un an d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, multiplié par cinq dans l'hypothèse où une personne morale est reconnue responsable.

2. Le gel des flux financiers des organisateurs de jeux d'argent prohibés

Il s'agit de modifier le Code monétaire et financier. L'article 17 bis A propose ainsi d'introduire un chapitre V, intitulé "Obligations relatives à la lutte contre les loteries, jeux et paris prohibés", comprenant, notamment, un nouvel article L. 565-2. rédigé comme suit : "Le ministre chargé des finances et le ministre de l'intérieur peuvent décider d'interdire, pour une durée de six mois renouvelable, tout mouvement ou transfert de fonds en provenance des personnes physiques ou morales qui organisent des activités de jeux, paris ou loteries prohibés par la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries et la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux".

3. Le renforcement des sanctions

Par ailleurs, l'article 17 bis B vise à porter à 60 000 euros l'amende punissant la violation de l'interdiction des loteries. De plus, la publicité en faveur d'une activité de casino non autorisée, de paris sur les courses de chevaux, d'un cercle de jeux de hasard non autorisé ou d'une maison de jeux de hasard non autorisée serait punie de 30 000 euros d'amende, le tribunal pouvant, toutefois, porter ce montant au quadruple du montant des dépenses publicitaires concernées par l'opération illégale.

Commentaire :

Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance a permis au législateur de proposer plusieurs dispositions relatives aux activités de jeux, de paris ou de loteries.

Rappelons qu'en France, les jeux d'argent ne sont pas soumis à un régime commun. Les loteries et les paris sportifs relèvent d'un monopole d'Etat confié à la Française des Jeux par dérogation à la loi du 21 mai 1836 qui interdit les loteries. Les casinos, quant à eux, bénéficient d'une dérogation à la loi du 12 juillet 1983 relatives aux jeux de hasard (loi n° 83-628 N° Lexbase : L0919HUL), sous réserve du respect d'une procédure réglementée qui les soumet à approbation du ministère de l'Intérieur. Enfin, la loi du 2 juin 1891 régie les paris sur les courses de chevaux, qui sont réservés au Pari Mutuel Urbain.

Un rapport déposé devant le Sénat au nom de la Commission des finances, le 7 novembre 2006, rappelle l'importance du phénomène du jeu d'argent en ligne en soulignant les incertitudes de la réglementation et le risque de dérives illégales en cas de prohibition totale.

Ce rapport suit la décision de la Commission européenne d'enquêter sur les entraves à la fourniture des jeux d'argent, notamment en France, en octobre 2006. La Commission s'interroge, en effet, sur la compatibilité des mesures de restrictions relatives aux jeux d'argent avec le droit communautaire.

Il est intéressant de constater que les amendements tout récemment adoptés ont pour objet de renforcer les sanctions en cas de violation des dispositions relatives aux jeux d'argent et de renforcer le contrôle opéré sur ce type d'activité a priori et a posteriori.

A priori, en s'inspirant de la solution adoptée par la LCEN en matière de lutte contre la propagation des sites attentatoires à la dignité humaine et les sites à contenu pédo-pornographique, les fournisseurs d'accès à Internet ("FAI") seront tenus de mettre en place un dispositif permettant de signaler à leurs abonnés les sites de jeux d'argent identifiés comme répréhensibles par le ministère de l'Intérieur ainsi que des sanctions encourues en cas d'actes de jeux réalisés en violation de la loi. Le projet de loi étend donc l'obligation d'information mise à la charge des FAI.

A posteriori, en empêchant les sites de jeux d'argent en ligne de bénéficier des gains de leur activité. Le projet de loi, adoptant ici la même solution qu'en matière de lutte contre le terrorisme, permettrait la création d'un outil efficace pour l'autorité administrative -et non plus seulement judiciaire- de lutte contre les sites organisant des activités de jeux prohibés par la loi française.

Par ailleurs, notons qu'un amendement proposant l'autorisation d'exploiter des jeux de casinos sur internet (selon des dispositions qui seraient précisées par un arrêté ministériel) a été rejeté.

Le texte doit, désormais, être examiné en seconde lecture par les députés et aucune date n'a, à ce jour, été fixée.

  • Le constat d'huissier portant sur la contrefaçon d'une marque par un site Internet est dépourvu de force probante si le vidage de la mémoire cache n'a pas été effectué sur l'ordinateur ayant servi au constat : CA Paris, 4ème ch., sect. B, 17 novembre 2006, n° 05/04759, SARL société Net Ultra c/ Société AOL France (N° Lexbase : A3068DTS)

Faits :

La société Net Ultra propose des formules d'abonnement haut débit sous la marque "Netpratique", enregistrée par ses soins à l'Institut national de la propriété industrielle ("INPI") le 17 juin 1999.

Le 19 novembre 2003, elle fait constater par huissier que la saisie de sa marque "Netpratique", dans le moteur de recherche Google, fait apparaître une annonce "adwords" incitant à visiter le site "adsl.boutics.com", spécialisé dans la souscription des abonnements internet auprès de fournisseurs d'accès à Internet tels que France Télécom, Club Internet, Tele2, P online ou AOL, sociétés concurrentes de la société Net Ultra.

La société Net Ultra proteste auprès de Google par courrier du 19 janvier 2004. Cette dernière s'engage à respecter la marque "Netpratique" le 9 février 2004. Mais, un nouveau constat d'huissier établit, le 23 mars 2004, que la saisie du mot "netpratique" sur le même moteur de recherche fait apparaître cette fois l'annonce "adwords" des sociétés AOL France et Tiscali.

La société Net Ultra assigne la société AOL France le 17 mai 2004.

Le tribunal de grande instance de Meaux, dans un jugement en date du 9 décembre 2004 (TGI Meaux, n° RG 04/02703 N° Lexbase : A2140DHQ), constate, d'une part, que les faits évoqués dans le procès verbal de constat d'huissier du 19 novembre 2003 sont sans lien avec la société AOL France. Il constate, d'autre part, l'absence de caractère probant du constat du 23 mars 2004, l'huissier n'ayant pas pris soin de vider la mémoire cache de l'ordinateur ni d'utiliser une connexion dépourvue de serveur proxy. Le TGI de Meaux déboute, par conséquent, la société Net Ultra de l'ensemble de ses demandes.

La société Net Ultra interjette alors appel de la décision.

Décision :

La société Net Ultra conteste la décision des premiers juges, en ce qu'ils ont refusé d'accorder une quelconque valeur probante au constat établi alors que selon elle, ce caractère relève des qualités objectives et impartiales inhérentes à la profession d'huissier ; que l'absence d'information quant à l'existence d'un serveur proxy n'est pas de nature à fausser le constat ; qu'en effet, dans l'hypothèse où la page de résultats Google faisant apparaître les liens publicitaires vers le site de la société AOL France, figurait dans la mémoire d'un serveur proxy, il n'en demeure pas moins que cette page a existé, ne serait-ce qu'à une autre date que celle du constat.

La cour d'appel de Paris déboute la société Net Ultra de ses demandes.

La cour considère, en ce qui concerne le constat d'huissier en date du 19 novembre 2003, que l'apparition du lien commercial litigieux (www.adslboutics.com) n'est pas de nature à engager la responsabilité de la société AOL France dans la mesure où le lien commercial d'AOL litigieux n'apparaît nullement sur la page de résultat de recherche et que, même si la référence à AOL apparaît sur le site, il demeure que la société Net Ultra ne rapporte pas la preuve de ce qu'AOL aurait participé à l'élaboration de ce lien commercial.

En ce qui concerne le constat d'huissier du 23 mars 2004, la cour retient que ce dernier ne permet pas à la société Net Ultra de rapporter la preuve des faits imputés à AOL France.

La cour rappelle, par ailleurs, que la société Net Ultra n'a pas enjoint AOL France de produire le contrat "adwords" qui la lie au moteur de recherche Google. Elle ne démontre pas, non plus, que le terme "netpratique" était visé par les mots clés choisis volontairement par AOL France.

Par conséquent, la cour rejette le grief de contrefaçon à l'encontre de la société AOL France, la société Net Ultra ne disposant d'aucune pièce propre à établir un quelconque acte de contrefaçon de ses marques. La cour d'appel de Paris rejette, également, tout acte constitutif de concurrence déloyale, la société Net Ultra ne rapportant pas la preuve qu'AOL France utilisait le nom de la société Net Ultra pour attirer sa clientèle.

Commentaire :

La décision de la cour d'appel de Paris est intéressante en ce qu'elle vient rappeler les conditions de validité du constat d'huissier sur internet.

En l'espèce, elle refuse d'accorder un caractère probant à un constat établi par huissier sur internet pour défaut de vidage de la mémoire cache. Les conséquences sont d'importance pour la partie demanderesse puisque celle-ci ne peut dès lors prouver l'infraction sur le fondement de ce constat.

Cette position est justifiée dans la mesure où les caches d'un ordinateur, c'est-à-dire les répertoires où sont automatiquement enregistrées les pages web consultées, doivent être vidées pour éviter que l'huissier ne constate plusieurs fois la même page.

Il est donc vivement recommandé de recourir aux services d'un technicien expérimenté lors de l'établissement de tels constats sur internet, voire de le guider dans l'établissement de son constat.

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance


(1) NDLR : cette précision a été apporté par le Sénat lors de l'examen du texte en seconde lecture le 11 janvier 2007

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