La lettre juridique n°401 du 1 juillet 2010

La lettre juridique - Édition n°401

Éditorial

Encadrement des agents sportifs : premiers pas vers un mercato éthique !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On ne badine pas avec "l'esperanto des races" comme se plaisait à le nommer Jean Giraudoux dans Le sport. "Pratiqué avec sérieux, le sport n'a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d'autres mots, c'est la guerre, les fusils en moins" assassine le visionnaire George Orwell !

Dès lors, on comprend mieux, à la lumière de transferts de joueurs avoisinant, désormais, les 94 millions d'euros comme celui du footballeur Cristiano Ronaldo, au Real de Madrid en 2009, avec un salaire mensuel de 1 083 000 euros, les enjeux d'une profession méconnue, mais aux accents de souffre : agent sportif.

Qui connaît Philippe Flavier, Alain Migliaccio, Jean-Pierre Bernès et Frédéric Dobraje ? Pini Zahavi en Angleterre, Juan Figer au Brésil, et Jorge Mendes, agent de Ronaldo et de Mourinho, sont les stars de la profession !

Pourtant, ne nous y trompons pas : lorsque l'on est rémunéré par des commissions, en principe calculées en fonction des rémunérations brutes perçues par le joueur tout au long du contrat négocié, avec un pourcentage qui varie de 3 à 10 % sur des salaires annuels à huit chiffres, la profession peut faire des émules... à la rigueur, la transparence, l'honnêteté toutes relatives.

Et, parce que l'"on est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance", nous enseigne le Cardinal de Retz, un autre habitué des "transferts", il n'est guère étonnant que nombre de sportifs confient les rennes de leurs carrières à leur famille proche avec l'amateurisme, comme corollaire, et l'abus de confiance, dans les cas les plus sordides. "Les gens qui nous donnent leur pleine confiance croient par là avoir un droit sur la nôtre. C'est une erreur de raisonnement ; des dons ne sauraient donner un droit" : c'est Humain, trop humain nous livre un brin moqueur Nietzsche.

Alors, il était temps que, au-delà des licences accordées par les fédérations sportives et autres Règlement concernant le statut et le transfert des joueurs, l'on réglemente, on ne peut mieux, une profession qui souffle le chaud et le froid, surtout à la veille d'un mercato post-coupe du monde qui devrait s'avérer encore plus "euphorique" que les années passées. Gallas au Panathinaïkos ou au PSG ? Mexès et N'Zogbia à la Juventus ? Costa à Valence ? Qu'importe la destination pour ces globe-trotters cosmopolites de la balle, pourvu que leurs agents sportifs aient de l'adresse à leur négocier, à l'occasion de ce transfert, les meilleurs avantages possibles ! Et finalement, comme au mercato vecchio de Florence, c'est à celui qui sera le plus criard, pardon le meilleur mandataire, que reviendra la palme du meilleur agent.

"Ne soyez ni confiant, ni banal, ni empressé, trois écueils ! La trop grande confiance diminue le respect, la banalité nous vaut le mépris, le zèle nous rend excellents à exploiter" : telle pourrait être la maxime, tirée du Lys dans la vallée, de Balzac -que nous recommandons à tous les joueurs sur le banc de touche ou dont l'hiver sud-africain ne réussit pas trop au teint- de cette profession nouvellement réglementée par la loi du 9 juin 2010.

Cette loi fait suite à une mission d'inspection du ministre de l'Economie et du ministre des Sports, et à des travaux visant à modifier le cadre législatif de la profession d'agent sportif engagés par le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, le Comité national olympique et sportif Français et par le Parlement : point d'Etats généraux avec précipitation ou de déballage télévisuel, mais tout de même, un loi un brin concertée...

Alors certes, l'exercice de la profession d'agent sportif était, déjà, encadré par les articles L. 222-6 et suivants du Code du sport. Mais, si les fédérations délégataires se sont acquittées de façon relativement satisfaisante de la mise en oeuvre du dispositif dans sa partie relative à l'accession à la profession d'agent sportif, le contrôle de l'activité d'agent sportif n'a été que très partiel, et s'est révélé, dans certaines disciplines, difficile et inefficace.

Les dispositions législatives nouvelles visent, donc, à prendre en considération les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du dispositif et s'articulent autour de l'accès, l'exercice et le contrôle de la profession d'agent sportif.

Rapidement, on y rencontrera la suppression de la délivrance de la licence d'agent sportif aux personnes morales qui permet de mieux identifier la personne qui peut exercer la profession d'agent sportif, avec la possibilité de constituer une société pour exercer leur activité -société soumise à des conditions de moralité, d'incapacités et d'incompatibilités similaires à celle des agents sportifs personnes physiques- ; une "étanchéité juridique" entre l'activité d'agent sportif et celle d'autres acteurs du sport tels que les dirigeants, associés ou actionnaires d'une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ; ou les dirigeants d'associations employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ou d'une fédération ou d'un organe qu'elle a constitué. L'activité des agents sportifs ressortissants d'un Etat membre de l'UE ou de l'EEE et agents extracommunautaires non titulaires d'une licence d'agent sportif est facilitée. La loi encadre et rend licites les opérations de placement d'entraîneurs par les agents sportifs. La loi précise les relations contractuelles qui sont concernées par l'activité d'agent et revient sur le contrat de courtage, contrat traduisant juridiquement l'activité de l'agent qui s'oblige à mettre en relation les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice d'une activité sportive. La rémunération de l'agent reste limitée à 10 % du montant des contrats conclus mais deux types de contrats sont visés : les contrats relatifs à l'exercice rémunéré d'une activité sportive (ex : contrat de travail du joueur) ; et les conventions prévoyant les contrats de travail relatifs à l'exercice rémunéré d'une activité sportive (contrats de transfert). Mais, l'agent sportif ne pourra percevoir de rémunération avant d'avoir transmis son contrat à la fédération. La conclusion d'un contrat relatif à l'exercice d'une activité sportive par un mineur ne peut donner lieu à aucune rémunération ou indemnité, ni à l'octroi de quelque avantage que ce soit au bénéfice de l'agent, cette interdiction étant assortie de dispositions pénales. La loi dispose, enfin, que les fédérations délégataires ou les ligues professionnelles qu'elles ont constituées doivent veiller, au titre de la délégation de pouvoir qui leur est concédée, à ce que les contrats préservent les intérêts des sportifs, des entraîneurs et de la discipline concernée et soient conformes à la loi. Un contrôle annuel de l'activité de l'agent est effectué et s'accompagne, notamment, de la transmission des comptes sectorisés (documents comptables) de l'activité d'agent sportif.

Un dispositif à point nommé pour assainir et développer une profession lucrative à l'ère de la transparence et de l'éthique ; que dis-je, un dispositif, une véritable déontologie... prête à se conjuguer à celle du spécialiste de la représentation des intérêts de son client : l'avocat.

Car, bien entendu, il ne faut pas perdre de vue que le véritable enjeu de cette déonto-compatibilité vise la possibilité pour les avocats d'être agent sportif. Plusieurs initiatives allaient déjà dans ce sens : d'abord, le rapport "Darrois", aux préconisations si chères aux yeux du Gouvernement, qui estime que "le souhait d'une majorité d'avocats de rendre compatible leur profession avec celle d'agent sportif et agent artistique est raisonnable" ; ou l'adoption, le 17 mars 2009, par le conseil de l'Ordre des avocats de Paris, d'un nouvel article P 6.2.03 à son Règlement intérieur, pour rappeler que l'avocat peut être agent sportif : "Avant d'exercer l'activité d'agent sportif, l'avocat doit en faire la déclaration au Bâtonnier. Il est tenu au sein de l'Ordre un registre des avocats agents sportifs. Dans son activité d'agent sportif, l'avocat reste tenu de respecter les principes essentiels et les règles du conflit d'intérêts". Mais, c'est sur proposition du rapporteur et du groupe socialiste, qu'a été supprimée la disposition prévue à l'alinéa 17 de l'article 1er tel qu'adopté par le Sénat, qui prohibait l'exercice de la profession d'agent par les avocats. L'Assemblée nationale a considéré que les compétences des avocats en matière de conseil juridique et de négociation les rendent légitimes à exercer la profession d'agent. Les auteurs de l'amendement ont observé que la déontologie des avocats pourrait même contribuer à moraliser l'activité d'agents sportifs. Toutefois, l'obligation pour les avocats d'obtenir une licence d'agent avant d'exercer cette activité demeure.

Dans sa hotte présidentielle, à l'occasion du bicentenaire du rétablissement de l'Ordre de Paris, le 24 juin 2010, Nicolas Sarkozy, au chapitre des autosatisfactions, n'aura parlé que de l'acte contresigné, instrument sacramentel de l'avocat-rédacteur d'acte ; il aurait pu, tout aussi bien, parler de l'avocat-agent sportif, eu égard à sa fonction représentative naturelle des intérêts d'autrui. Deux cadeaux avant une glaciation financière de l'aide juridictionnelle valent mieux qu'un !

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Procédures fiscales

[Jurisprudence] Qui est le destinataire des actes de procédure en cas de vérification de comptabilité après la clôture des opérations de liquidation ?

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 2 juin 2010, n° 322267, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2053EYP)

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N4398BPL

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt en date du 2 juin 2010, vient de juger que l'administration fiscale ne peut pas mener une procédure de contrôle avec le liquidateur amiable après la clôture des opérations de liquidation ; il lui appartient alors de demander au juge compétent la désignation d'un mandataire ad hoc. Les faits, dans cette affaire, sont les suivants : la SARL V. dont M. T. était l'un des trois associés exerçait l'activité de travaux de maçonnerie. Par une décision de l'assemblée générale extraordinaire des associés du 9 mai 1998, cette société a été dissoute à compter du 31 mai suivant et M. T. désigné comme liquidateur amiable. La clôture des opérations de liquidation a été enregistrée par le tribunal de commerce et des sociétés le 31 juillet 1998, antérieurement au début de la vérification de comptabilité réalisée en 1999. Pour confirmer le jugement du tribunal administratif de Marseille qui avait refusé de décharger la société des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle consécutives à cette vérification, la cour administrative d'appel de Marseille avait jugé que l'administration fiscale était en droit de mener la procédure de contrôle avec le liquidateur amiable de la société, au motif que n'avait pas été désigné de mandataire ad hoc. La Haute juridiction censure cette solution.

L'arrêt du Conseil d'Etat vient préciser quels sont, "ratione temporis", les pouvoirs de représentation du liquidateur amiable d'une société commerciale et ceux de l'administration postérieurement à la clôture des opérations de liquidation inscrivant son arrêt dans le prolongement de l'arrêt du 31 juillet 2009 (CE 9° et 10° s-s-r., 31 juillet 2009 n° 290971 N° Lexbase : A1228EKP), lequel détermine le destinataire de l'avis de vérification postérieurement à la dissolution d'une société de personne. Le Conseil d'Etat, qui précise cette fois la limite dans le temps de la représentation du liquidateur amiable d'une société commerciale régulièrement désigné, semble, en l'espèce, revenir sur un arrêt rendu le 28 novembre 2008 (CE 4° et 5° s-s-r., 28 novembre 2008, n° 298152 N° Lexbase : A4474EBC), en s'inspirant des solutions retenues par la Cour de cassation.

1. Les pouvoirs de représentation de la société dissoute du liquidateur amiable subsistent jusqu'à la clôture des opérations de liquidation

La solution retenue par le Conseil d'Etat sous son arrêt du 2 juin 2010 semble revenir sur son arrêt du 28 novembre 2008 tout en s'inspirant des arrêts de la Cour de cassation.

1.1. Les pouvoirs de représentation du liquidateur amiable après dissolution de la société commerciale

Dans l'espèce soumise au Conseil d'Etat, la SARL V., dont M. T. était l'un des trois associés, a été dissoute à compter du 31 mai 1998 et M. T. désigné comme liquidateur amiable. La clôture des opérations de liquidation a été, de son côté, enregistrée par le tribunal de commerce et des sociétés le 23 juillet 1998 et la société radiée du registre du commerce à la date du 31 juillet suivant, soit antérieurement au début de la vérification de comptabilité. Le Conseil d'Etat rappelle, dans les motifs de son arrêt, qu'en vertu des dispositions des articles 1844-7 (N° Lexbase : L3736HBY) et 1844-8 (N° Lexbase : L2028ABQ) du Code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée décidée par les associés et que la dissolution de la société entraîne sa liquidation. Ainsi, la dissolution impose et emporte mécaniquement la liquidation en application des dispositions du Code de commerce. Ces opérations de liquidation peuvent porter sur le recouvrement des créances de la société en liquidation judiciaire, la réalisation des éléments d'actifs, le paiement du passif et des frais de liquidation, la détermination du résultat de liquidation et l'établissement du compte définitif de liquidation. La personnalité morale de la société subsiste, alors, pour les différents besoins qui viennent d'être rappelés, jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci. La liquidation est conduite par un liquidateur qui, en application des dispositions de l'article L. 237-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L6398AIS), représente la société en liquidation. Aussi, lorsque l'administration décide d'engager une procédure de vérification elle doit mener les opérations de contrôle avec ce représentant (CE 8° s-s., 6 octobre 2000, n° 208765 N° Lexbase : A9611AHG et CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 276854 N° Lexbase : A2401DPM).

Le droit de vérification de la comptabilité requiert, alors, l'envoi d'un avis de vérification prévu à l'article L. 47 du LPF (N° Lexbase : L3907ALB), pour être régulier. La jurisprudence du Conseil d'Etat impose d'adresser un avis de vérification pour chaque activité professionnelle exercée par un même contribuable (CE, 8 juillet 1998, n° 164657 N° Lexbase : A8025AYU). S'agissant d'une société relevant de l'article 8 du CGI (N° Lexbase : L2311IB9) dépourvue de personnalités morale, le Rapporteur public, dans ses conclusions sous l'arrêt du 31 juillet 2009 (CE, 31 juillet 2009, n° 290971, précité) avait précisé que, postérieurement à la dissolution d'une SEP, l'administration fiscale ne trouve plus face à elle que les anciens associés, la procédure de vérification devant, comme dans le cas d'une indivision de l'article 1844-9 du Code civil (N° Lexbase : L2029ABR), être conduite avec l'ensemble des associés et non avec l'ancien gérant d'une société dissoute. La cour administrative d'appel de Nantes, sous un arrêt du 4 mars 2010 (CAA Nantes, 1ère ch., 4 mars 2010, n° 07NT01039 N° Lexbase : A9991EUL), a appliqué la solution retenue par la Haute juridiction sous son arrêt du 31 juillet 2009, à propos d'une SEP ayant opté pour le régime d'imposition des sociétés de capitaux. Toutefois, la solution est, dans tous les cas, peu praticable en présence de nombreux actionnaires.

1.2. La clôture des opérations de liquidation met fin aux fonctions du liquidateur amiable

La cessation des compétences du liquidateur amiable précisée "ratione temporis" par l'arrêt du Conseil d'Etat du 2 juin 2010 semble revenir sur la solution dégagée sous l'arrêt du 28 novembre 2008 (CE, 28 novembre 2008, n° 298152, précité). Ce dernier arrêt de la Haute juridiction administrative précisait, en effet, que la clôture de la liquidation d'une société pour extinction du passif ne fait pas obstacle à la désignation d'un liquidateur amiable aux fins de recouvrement des créances dont pourrait encore disposer ladite société. La solution retenue se justifiait, notamment, par le fait que, après la clôture de la liquidation, des créances sur des tiers ou sur l'Etat peuvent subsister et qu'il n'est pas anormal de souhaiter les recouvrer ; la liquidation était, donc, dans ce cas, regardée comme incomplète et pouvant reprendre.

Le Conseil d'Etat lève l'ambiguïté née de son arrêt du 6 octobre 2000, précité, et rappelle, sous l'arrêt du 2 juin 2010, dans un considérant de principe, qu'une société prend fin par la dissolution anticipée décidée par ses associés et le mandat de son liquidateur amiable s'achève lors de la clôture des opérations de liquidation. La clôture des opérations de liquidation met fin aux fonctions du liquidateur et la publication de l'avis de clôture rend la liquidation opposable aux tiers, notamment, à l'administration fiscale. Aussi, lorsque celle-ci souhaite engager une vérification de comptabilité à ce stade, elle ne peut adresser l'avis de vérification ni aux anciens dirigeants dont les fonctions ont cessé, ni au liquidateur dont la mission a pris fin avec la clôture de la liquidation.

La solution retenue par le Conseil d'Etat rejoint la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment, Cass. com., 27 octobre 1999, n° 99-47.720), même si la Cour de cassation a jugé, sous un arrêt du 8 juin 2010 (Cass. com., 8 juin 2010 n° 09-15.550 N° Lexbase : A0156EZS), qu'après la clôture de la liquidation judiciaire pour extinction de passif, une société dont la personnalité morale subsiste pour les besoins de sa liquidation et qui n'était pas dessaisie, peut exercer par l'organe de son liquidateur amiable une action nouvelle tendant à augmenter l'actif à partager. La doctrine a relativisé la portée de cette solution en soulignant que cette solution intervient sous le régime antérieur à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), avant, donc, que la loi ne vienne maintenir les dirigeants sociaux en fonction au jour du jugement de liquidation judiciaire malgré la dissolution de plein droit qu'opère ce jugement ; la solution retenue par la Cour de cassation peut aussi être regardée comme concernant une simple reprise de la liquidation.

2. La société ne peut plus être représentée postérieurement à la date de la clôture de la liquidation que par un administrateur ad hoc désigné par la juridiction compétente

Le droit d'action de la société est exercé postérieurement à la date de la clôture de la liquidation par un mandataire ad hoc, il appartient à l'administration fiscale d'en demander la désignation.

2.1. Une clarification des compétences des interlocuteurs de l'administration fiscale postérieurement à la clôture de la liquidation

Lorsque la mission du liquidateur est achevée, l'avis de clôture ayant été régulièrement édicté, le liquidateur amiable est dessaisi. Le Conseil d'Etat juge, alors, sous son arrêt du 2 juin 2010, que la procédure de vérification doit être suivie avec un mandataire ad hoc de la société désigné en justice. Cette solution avait déjà été esquissée sous l'arrêt du 3 juillet 2009, le Conseil d'Etat rappelant dans sa motivation qu'il est aussi loisible à l'administration de demander la désignation par la juridiction compétente d'un mandataire ad hoc à l'égard duquel se mènera la procédure de vérification. C'est donc à tort que la cour d'appel de Marseille a considéré que l'administration était en droit de mener le contrôle avec le liquidateur, dès lors qu'aucun administrateur ad hoc n'avait été désigné (CAA Marseille, 3ème ch., 4 septembre 2008, n° 05MA02830 N° Lexbase : A6955EAT).

La solution retenue par le Conseil d'Etat rejoint la jurisprudence de la Cour de cassation. Sous un arrêt du 17 octobre 2002, la Cour de cassation avait jugé qu'un commandement délivré au liquidateur après la clôture de la procédure collective pour insuffisance d'actif, est irrégulier, le liquidateur ne pouvant représenter la personne morale dès lors qu'il a cessé ses fonctions (Cass. civ. 2, 17 octobre 2002, n° 01-13.553, FS-P+B N° Lexbase : A2609A3Z). La liquidation fait obstacle à la désignation d'un mandataire amiable et il est, alors, nécessaire de nommer un mandataire ad hoc pour représenter la société.

Ce faisant, la solution du Conseil d'Etat revient sur la solution du 5 mai 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 276854 N° Lexbase : A2401DPM), dans laquelle elle avait admis que la procédure de contrôle pendant les opérations de liquidation pouvait être menée avec le gérant dont la qualité de représentant de la société avait été maintenue, en l'absence de liquidateur ou de mandataire ad hoc désigné. La Haute juridiction s'était appuyée sur la théorie de l'apparence pour admettre la validité de la procédure suivie entre l'administration et le gérant assisté de l'administrateur judiciaire, dès lors qu'il résultait d'un jugement du tribunal de commerce qu'à la date de l'engagement de la procédure de contrôle fiscal, le gérant avait encore la qualité de représentant de la société et que l'administrateur judiciaire était investi d'une mission de commissaire à l'exécution du plan de cession des actifs.

Ainsi, si la personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés, la société ne peut plus être représentée après la clôture de la liquidation que par un administrateur ad hoc désigné par une juridiction compétente.

2.2. Une désignation qui pourra être subordonnée à une demande de l'administration fiscale

En l'absence de mandataire déjà nommé, il appartient à l'administration fiscale de demander elle-même en justice sa désignation pour les besoins du contrôle. La solution peut, de prime abord, surprendre au regard des dispositions de l'article 1844-8 du Code civil (N° Lexbase : L2028ABQ) qui prévoient que la nomination par décision de justice est faite subsidiairement, lorsque les associés ne le font pas. Le président du tribunal de commerce peut, alors, être saisi à cette fin à la diligence de tout intéressé et, notamment, par l'administration fiscale. La solution retrouve, cependant, tout son sens s'agissant d'une vérification de comptabilité, l'intérêt des associés à faire l'objet d'une procédure de vérification n'étant pas certain et le civisme fiscal touchant là, sans doute, l'une de ses limites.

Dès lors, lorsque la liquidation de la société a été clôturée et que la mention de cette liquidation a été faite au registre du commerce, l'avis de vérification de comptabilité et l'ensemble des pièces de la procédure de vérification doivent être adressés à l'administrateur ad hoc de la société désigné en justice, le cas échéant à la demande de l'administration.

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Durée du travail

[Questions à...] Temps de cocktail, temps de travail effectif ! Questions à Maître Frédéric Chhum, Avocat à la cour

Lecture: 8 min

N4378BPT

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 28 Août 2014

Un arrêt inédit de la Cour de cassation mérite, une fois n'est pas coutume, d'être signalé et ce, d'autant plus lorsqu'il touche à l'une des questions angulaires du droit du travail, à savoir le temps de travail effectif (Cass. soc., 5 mai 2010, n° 08-44.895, F-D N° Lexbase : A0701EXA). On le sait, désormais, depuis sa consécration législative, la solution ne souffre plus guère d'ambiguïté, le temps de travail effectif se définit comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir librement vaquer à ses occupations personnelles (C. trav., art. L. 3121-1 N° Lexbase : L0291H9N). Si la définition ne saurait être remise en cause, elle n'en continue pas moins de poser certaines difficultés pratiques. Les discussions les plus vives concernent à n'en point douter la problématique des temps d'habillage et de déshabillage. Encore récemment, la Chambre sociale jugeait que le salarié a droit à une prime d'habillage dès lors que la convention collective ne subordonne pas le bénéfice de cette prime à la condition que l'habillage se réalise sur le lieu de travail, étant ainsi plus favorable que l'article L. 3121-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0293H9Q) (1). La question posée à la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 mai dernier, est inédite et apporte une nouvelle pierre à l'édifice du temps de travail effectif. Faut-il payer le temps passé à des cocktails comme du travail effectif ? Oui, répond la Haute juridiction, dans un arrêt du 5 mai : le temps passé par un salarié à des cocktails dînatoires sans pouvoir vaquer librement à ses occupations constitue du temps de travail effectif. La décision est sans appel. Et la circonstance selon laquelle le salarié disposait d'une certaine liberté de mouvement au cours de ces cocktails sans incidence. En répondant par la positive, les juges du Quai de l'Horloge semblent ainsi consacrer une nouvelle approche du droit du travail et de la définition même du travail qui, si l'on en doutait encore, ne saurait désormais se cantonner aux seuls locaux de l'entreprise... Pour faire le point sur cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Frédéric Chhum, Avocat à la cour, spécialisé, en droit social français et international qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : La notion de temps de travail effectif a fait l'objet de nombreuses décisions jurisprudentielles. Quelle est la problématique actuelle de la définition du temps de travail ?

Frédéric Chhum : La problématique actuelle du temps de travail est complexe. Le lieu de travail a dépassé, depuis longtemps, le cercle de l'entreprise. On peut travailler à l'extérieur de l'entreprise, dans le train, chez soi, le soir, le week-end, dans un cocktail... et ceci est d'autant plus exacerbé avec les nouvelles technologies. Ce phénomène est assez nouveau. En effet, l'instantanéité des relations liée aux nouvelles technologies élargit le lieu de travail qui ne saurait désormais plus se cantonner aux seuls locaux de l'entreprise. Cela pourrait, le cas échéant, permettre au salarié de demander à ce que chaque temps travaillé soit rémunéré tel quel.
En matière de temps de travail, l'employeur doit, en principe, contrôler le temps de travail de ses salariés et justifier par écrit de ce temps de travail. Il peut être calculé soit en heures, soit en jours. Personnellement, je conseille aux employeurs d'essayer de contrôler les feuilles de temps contresignées par les salariés, sinon ils risquent de s'exposer à des salariés qui réclament des heures supplémentaires, ce qui est assez fréquent, voire des temps de cocktails ! Très souvent, d'ailleurs, lorsque le salarié veut prouver ses heures supplémentaires, il va envoyer des mails postés le soir ou le week-end, cette situation est très classique.

Lexbase : Cette tendance ne participe-t-elle pas à une nouvelle approche du travail, dans la ligne de l'affaire "Ile de la tentation", concernant les contrats de travail ?

Frédéric Chhum : Effectivement, la notion de contrat de travail semble s'élargir. Les arrêts de la Cour de cassation "Ile de la tentation" constituent un véritable coup de tonnerre (2). Dès lors qu'il existe un lien de subordination juridique, le contrat de travail est établi !

Lexbase : Quels sont les faits ayant conduit à la décision du 5 mai ?

Frédéric Chhum : M. X a été engagé par une société anglaise, en novembre 1998, en qualité de visiteur médical. En 2001, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) (transfert du contrat de travail), le contrat de M. X a été transféré à la filiale française de cette même société. M. X exerçait le mandat de délégué syndical et a été élu, le 11 décembre 2002, conseiller prud'homal.
Par lettre du 5 novembre 2003, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, invoquant une série de griefs :
- la mise en place illicite d'une réduction du temps de travail par attribution de jours de repos sur l'année ;
- des irrégularités dans le calcul de l'indemnité de congés payés ;
- le non-paiement de primes "relation public soirée pour les soirées 'post-ash'" ;
- des difficultés rencontrées liées à l'exercice de ses mandats représentatifs et des difficultés rencontrées avec sa hiérarchie.
M. X a donc saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes tendant à faire produire à sa prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à condamner son employeur à lui verser des sommes :
- à titre d'indemnité de licenciement ;
- de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
- de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur ;
- à titre de rappel de congés payés, de primes et d'heures supplémentaires.
Dans son arrêt du 5 mai 2010, la Cour de cassation casse partiellement l'arrêt d'appel, en ce que les juges du fond ont dit que la prise d'acte produisait les effets d'une démission et débouté le salarié de ses demandes tendant à obtenir le paiement d'une indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement abusif et pour violation du statut protecteur et le condamner à verser à l'employeur une certaine somme à titre d'indemnité de préavis.

Lexbase : Par cet arrêt, la Cour de cassation juge que les temps de cocktail constituent du temps de travail effectif donnant lieu à rémunération "même si le salarié disposait pendant ces soirées d'une liberté de mouvement". La solution retenue par la Cour de cassation dans cette affaire vous paraît-elle surprenante ?

Frédéric Chhum : Pas tant que cela. Cette jurisprudence est très favorable, mais reste dans le courant jurisprudentiel de ces dernières années. La jurisprudence a tendance de plus en plus à qualifier ces temps de travail. Nous pouvons retenir, à cet égard, récemment :

- Cass. soc., 7 avril 2010, n° 09-40.020, SAS Transports Chalavan et Duc c/ Gonzalez et a. (N° Lexbase : A5907EUC) : "pendant son temps d'attente, le salarié qui n'était pas appelé à participer aux opérations de déchargement et de chargement du courrier, se trouvait à la disposition de l'employeur et tenu de se conformer à ses directives" ;
- Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-18.202, Air France contre Union des navigants de l'aviation civile (N° Lexbase : A2960EQP) : "le temps consacré par le personnel navigant à l'obtention du visa à finalité exclusivement professionnelle constitue une immobilisation sur ordre et doit être pris en compte au titre de la rémunération" ;
- Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-42.716, Argedis contre Boivin (N° Lexbase : A3054EQ8) : "le temps de pause donne lieu à rémunération dès lors que l'organisation du travail de la station service, au sein de laquelle le salarié travaille seul la nuit, ne lui permet pas de prendre effectivement ses temps de pause mais l'oblige à rester à la disposition de l'employeur pour recevoir les clients, de sorte qu'il ne peut vaquer librement à des occupations personnelles".
Cependant, un parallèle peut être fait avec les temps de garde, "temps pendant lequel le salarié est tenu de rester dans l'entreprise ou dans des locaux imposés par l'employeur afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles", et les astreintes, "période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise et la durée de cette intervention sera considérée comme un travail effectif".
La troisième condition "vaquer à ses occupations personnelles" semble à chaque fois regardée avec attention et est déterminante pour la qualification du temps de travail effectif.
L'arrêt du 5 mai s'inscrit dans cette lignée. Si l'on reprend l'arrêt, il précisait qu'il s'agissait de soirées "relations publiques", lors desquelles le salarié est dans une logique de représentation, avec des clients... il n'est pas seulement là pour boire du champagne !
Après, l'on peut se trouver confronter à un problème de preuve (du contenu ou de la préparation de la soirée), pour ma part, je pense, encore une fois, que dès lors que le salarié est dans une logique représentative, le temps de cocktail doit être considéré comme du temps de travail effectif. Tous les cocktails ne valent pas temps de travail effectif !

Lexbase : A cet égard, si l'on retient la définition légale du temps de travail effectif, trois conditions cumulatives doivent être réunies : le salarié doit être à la disposition de l'employeur, il doit se conformer à ses directives et il ne doit pas pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 mai semble "omettre" la deuxième de ces conditions, en tout cas ne pas en faire une condition déterminante. Peut-on dire, aujourd'hui, que, dès lors que le salarié ne peut pas vaquer librement à ses occupations et reste à la disposition de son employeur la notion de travail effectif s'applique ?

Frédéric Chhum : Il y a, dans cette affaire, une appréciation plus stricte des juges mais le fait que le salarié ait une liberté de mouvement ne remet pas en cause la définition du temps de travail effectif. La Cour de cassation ne semble pas omettre la deuxième condition ; en effet, la cour d'appel rappelle bien la définition du temps de travail : la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de son employeur, se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.
La Cour de cassation vient confirmer cette définition : "C'est sans contradiction que la cour d'appel a estimé que ses soirées constituaient du temps de travail effectif".
Toutefois, la jurisprudence apporte une précision, "même si le salarié disposait pendant ses soirées d'une liberté de mouvement".
Le salarié est à la disposition de son employeur car présent à ces soirées, mais ne peut toutefois pas agir comme il veut, il doit se conformer aux directives de son employeur. Il représente, lors de ces soirées, son entreprise, son employeur, il ne peut donc pas vaquer non plus à ses occupations personnelles.
Ces soirées peuvent paraître des temps de loisirs, repas, cocktails dînatoires, c'est pour cela que les juges du fond comme les Juges suprêmes admettent que le salarié dispose d'une liberté de mouvement. En effet, le salarié n'agit pas comme si il était derrière un bureau ou en réunion formelle, il est beaucoup plus libre en apparence, mais seulement en apparence ; liberté de mouvement ne veut pas dire la possibilité de vaquer à ses occupations personnelles.
Il est clair que, si le salarié n'était pas obligé par son employeur de se rendre à ces soirées, il ne viendrait, sans doute, pas, de manière personnelle, et ferait autre chose, sport, cinéma, restaurant, rester chez lui....il pourrait disposer librement de son temps.
Cette jurisprudence se trouve ainsi très favorable pour de nombreux salariés (les médecins, les commerciaux, les directeurs...) dont la présence, la représentation à des soirées, cocktails, conférences font partie intégrante de leurs fonctions. Dès lors, le fait que le salarié ait une liberté de mouvement ne remet pas en cause la définition du travail effectif.

Lexbase : N'est-ce pas la porte ouverte à une reconnaissance facilitée des temps de travail effectif. En effet, on pourrait, dans cette optique, admettre les temps de trajet comme des temps de travail effectif ?

Frédéric Chhum : Pour les temps de déplacement, le Code du travail et de la jurisprudence distinguent trois hypothèses. La première concerne le trajet domicile-lieu de travail : le temps habituel passé entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas de temps de travail effectif et n'a donc pas à être rémunéré. La deuxième hypothèse, le trajet domicile-lieu de mission : ce n'est pas non plus du temps de travail effectif ; toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l'objet d'une contrepartie, soit sous forme de repos ou soit sous forme financière. Dans tous les cas, la part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail ne doit pas entraîner de perte de salaire.

Enfin, la dernière hypothèse a trait au trajet entre deux lieux de travail : ceci constitue du temps de travail effectif, le salarié se trouve à la disposition de l'employeur et ne peut vaquer à des occupations personnelles
Effectivement, cette jurisprudence est très favorable aux salariés, mais, à mon sens, la jurisprudence sur les temps de trajet rentre également dans ce courant.
En partant de son domicile, le salarié n'est pas encore sur son temps de travail, il est libre de faire ce qu'il veut (prendre son temps, s'arrêter dans un café, faire une course personnelle...), il paraît donc logique que ce temps ne soit pas rémunéré comme des heures de travail, mais une fois que le salarié est à la disposition de son employeur, sous ses directives et qu'il ne peut vaquer à ses occupations personnelles, on qualifie ce temps de trajet comme du temps de travail effectif.

Lexbase : Comment expliquer que cet arrêt n'ait pas fait l'objet d'une publication plus importante ? Est-ce dire que les juges ne veulent pas étendre la solution à tous les salariés ?

Frédéric Chhum : Les juges choisissent de l'importance qu'ils veulent donner aux arrêts. Dans cette affaire, ils n'ont peut être pas trop voulu étendre cette jurisprudence, mais à tout le moins elle existe et, dans un cas similaire, les salariés et/ou leur avocats peuvent l'invoquer.


(1) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-42.716, Société Argedis, FS-P+B (N° Lexbase : A3054EQ8).
(2) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.981, Société Glem, devenue TF1 production, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5653EHT). Lire les obs. de Ch. Radé, TF1 production pris à son propre jeu ! (à propos de la requalification des contrats des participants à l'émission de télévision "L'Ile de la tentation", Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6564BKC). Sur les arrêts d'appel, CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721, SA société Glem (N° Lexbase : A0261D7S), n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) et n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E), lire les obs. de S. Tournaux, Les candidats salariés de "l'Ile de la tentation", Lexbase Hebdo n° 296 du 12 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3805BEN). Lire également, Questions à Maître Jérémie Assous : quand la télé-réalité devient fiction... elle doit être soumise au Code du travail, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3536BIS).

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QPC

[Jurisprudence] Le Conseil constitutionnel et les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles

Réf. : Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, Epoux Lloret (N° Lexbase : A9572EZK)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Applicable depuis le 1er mars 2010, la nouvelle procédure permettant à tout justiciable de faire transmettre par la juridiction de cassation une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, lorsqu'une loi porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, a conduit le Conseil à statuer sur la constitutionnalité du livre IV du Code de la Sécurité sociale et du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles dans une décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010. La question visait à faire censurer la mise à l'écart du principe de réparation intégrale en raison d'une prétendue contrariété avec le principe d'égalité devant les charges publiques et le principe de responsabilité, découlant du principe de liberté (I). Comme on pouvait s'y attendre, le dispositif est validé dans son ensemble, réserve faite, toutefois, de l'affirmation discrète de la nécessité de réparer intégralement les préjudices subis par les victimes de fautes inexcusables (II).
Résumé

Le Conseil constitutionnel, statuant dans le cadre de la nouvelle procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, valide le régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, ne concédant qu'une simple réserve d'interprétation pour garantir le droit à réparation intégrale des victimes d'actes fautifs.

I - La mise en cause de la constitutionnalité du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles

  • Intérêt de la décision

Cette première décision en date du 18 juin 2010 rendue par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la nouvelle procédure de question prioritaire de constitutionnalité était attendue non seulement parce qu'elle portait sur le coeur du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, mais également parce qu'elle permet de comprendre, et donc d'anticiper, sur la politique de contrôle des normes que le Conseil souhaite mettre en oeuvre et dont on devine qu'elle déterminera la portée effective de la réforme intervenue avec la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 (1).

  • Objet de la QPC

La question transmise par la Cour de cassation (2) portait sur la constitutionnalité des dispositions du Livre IV du Code de la Sécurité sociale organisant l'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Selon les demandeurs, en effet, "les dispositions des articles L. 451-1 (N° Lexbase : L4467ADS), L. 452-1 (N° Lexbase : L6257IGTà L. 452-5 du Code de la Sécurité sociale, qui font obstacle à ce que la victime d'un accident du travail obtienne de son employeur, déclaré pénalement responsable par la juridiction correctionnelle, la réparation de chefs de préjudice ne figurant pas dans l'énumération prévue par l'article L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ) du même code, sont contraires au principe constitutionnel d'égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi qu'au principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, découlant de l'article 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de ladite Déclaration".

C'est bien la clef de voûte du dispositif mis en place par la loi du 9 avril 1898 qui était ici directement remise en cause au regard de deux principes cardinaux, le principe d'égalité devant les charges publiques, qui fonde le droit à réparation des victimes, et le principe de liberté dont découle le principe de responsabilité (3).

  • Analyse des dispositions contestées

Le régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles repose, à l'heure actuelle, toujours sur les termes de l'équilibre inventé à la fin du dix-neuvième siècle pour faire aboutir un régime révolutionnaire (pour l'époque) de responsabilité de plein droit des employeurs en contrepartie du renoncement au principe de réparation intégrale des dommages, pourtant fortement ancrée en droit de la responsabilité civile. Pour protéger les termes de ce grand "deal" (4) et s'assurer que les victimes ne contournent pas le régime d'indemnisation forfaitaire en réclamant l'application droit commun de la responsabilité civile, la loi du 9 avril 1898 avait clairement interdit aux victimes relevant du régime spécial "de se prévaloir d'aucunes autres dispositions que celles de la" loi (art. 2).

En dépit de la mutation du système par la loi n° 46-2426 du 30 octobre 1946 et du transfert de cette charge indemnitaire des épaules des assureurs vers celles de la Sécurité sociale, les termes de la transaction sont maintenus et le principe de l'interdiction d'invoquer le droit commun contre l'employeur et les autres salariés de l'entreprise demeure à l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, leur conférant ainsi une véritable immunité civile dans le cadre des accidents du travail et des maladies professionnelles, immunité qui sera, d'ailleurs, élargie pour les salariés à partir de 2000, par la Cour de cassation, à tous les dommages ne résultant pas d'une faute extérieure à l'exécution du contrat de travail (5).

Certes, les possibilités de revenir au droit commun, et donc au principe de réparation intégrale, se sont depuis multipliées au travers des exceptions permettant au salarié soit d'obtenir un complément d'indemnisation auprès de la Sécurité sociale, en cas de faute inexcusable, soit d'invoquer à titre dérogatoire le droit commun en cas de faute intentionnelle, d'intervention d'un tiers dans l'accident ou la maladie ou de recours contre l'assureur automobile de l'employeur lorsque l'accident du travail peut-être qualifié également d'accident de la circulation, sous certaines réserves (6).

Mais, en dépit de ces exceptions et des efforts déployés depuis quelques années par la jurisprudence pour en élargir la portée, notamment au travers d'une redéfinition plus extensive de la faute inexcusable de l'employeur (7), ce régime a été accusé d'être discriminatoire à l'égard des victimes de dommages d'origine professionnelle légalement privées de la réparation intégrale de leurs préjudices, là où la plupart des autres victimes bénéficient de cette réparation intégrale, soit dans le cadre du droit commun de la responsabilité civile, soit par le biais d'autres régimes d'indemnisation le leur garantissant (8).

  • Termes de la QPC

Il n'est donc pas surprenant que l'une des toutes premières QPC porte précisément sur la conformité de ce régime "aux droits et libertés que la Constitution garantit" et singulièrement aux principes d'égalité et de responsabilité.

L'argumentation développée était particulièrement intéressante dans la mesure où elle devait conduire le Conseil à préciser une jurisprudence déjà bien étoffée, mais dans une configuration doublement inédite (le régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles et la nouvelle procédure de la QPC) et dans un contexte marqué par le déficit endémique de la Sécurité sociale (9).

II - La conformité sous réserve du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles

  • Analyse de la décision de conformité

Compte tenu de la jurisprudence même du Conseil et des enjeux, on ne sera pas surpris par la décision rendue qui, à l'exception d'une réserve mineure, valide le dispositif au prix d'une décision fortement motivée. Pour parvenir à ce résultat, le Conseil constitutionnel procède, comme à son habitude, en deux étapes et commence par restituer la décision dans le cadre méthodologique propre au contrôle de constitutionnalité, avant de vérifier la conformité du texte déféré.

Pour ce qui est des rappels méthodologiques, le Conseil commence par indiquer que ce dispositif met en jeu différents objectifs de nature constitutionnelle que le Parlement doit concilier, et que le rôle du Conseil n'est pas de substituer aux assemblées dans l'appréciation de l'opportunité de ces conciliations, le législateur, qui tire son pouvoir de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), pouvant, à tout moment, "adopter [...] des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel" (cons. 8).

Ce rappel de la nature même du contrôle de constitutionnalité ne surprendra, bien entendu, pas les initiés, mais il démontre clairement, nous semble-t-il, la volonté du Conseil de rappeler aux justiciables, peu habitués à ce langage, que le Conseil constitutionnel ne doit pas être pris pour une "juridiction d'appel" du Parlement et que son rôle consiste seulement à s'ériger en censeur des excès législatifs et des erreurs grossières d'appréciation. Il s'agit ici, bien entendu, de donner un signal fort aux justiciables destiné à éviter la prolifération des QPC et de faire en sorte que l'ensemble des acteurs de la nouvelle procédure ne soit submergé de questions.

Le Conseil rappelle, également, son approche classique du contrôle des atteintes au principe d'égalité qui sont valables dès lors qu'elles reposent sur "des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (cons. 9). De manière comparable, les atteintes au principe de responsabilité, qui découle de l'article 4 de la DDHC, n'interdit pas que "le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée [et] qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789".

  • Indemnisation des victimes et principe d'égalité

La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d'égalité laisse au Parlement une assez large marge d'appréciation. Selon la formule devenue de style, "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (10), "la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement" (11). Comme on pouvait s'y attendre, notamment, après la dernière décision intervenue en 2009 en matière de repos dominical, dès lors que les personnes dont on compare le traitement semblent, a priori, dans une situation différente, le Conseil reconnaît au Parlement le droit de les traiter différemment (12). Il était, par conséquent, prévisible que le Conseil se fonderait sur "la situation particulière du salarié dans le cadre de son activité professionnelle" pour valider "la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des règles relatives aux prestations et indemnités versées par la Sécurité sociale" (cons. 15).

  • La conciliation du principe de responsabilité et du droit à un recours juridictionnel effectif

On remarquera ici que le Conseil fait évoluer sa formulation traditionnelle pour intégrer expressément la nécessité de concilier les limites qui peuvent être apportées au principe de responsabilité et la volonté de préserver les droits des victimes avec le droit à un recours juridictionnel effectif (13). L'idée n'est pas nouvelle et figurait déjà dans la décision fondatrice de 1982 (14) et avait été reprise ultérieurement (15), mais c'est la première fois que le Conseil oppose ainsi les deux droits dans une même formule (16).

On remarquera, d'ailleurs, que le Conseil a également intégré ces deux exigences dans une autre décision QPC rendue le 11 juin 2010, s'agissant de la conformité à la Constitution de l'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) (17). Les requérants y contestaient, en effet, les restrictions apportées aux droits des enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse, ainsi qu'à leurs parents, de pouvoir agir contre les responsables pour obtenir réparation de leur entier préjudice. Or, le Conseil a validé le dispositif, exception faite, toutefois, du régime transitoire, qui prétendait en faire une application immédiate aux actions en cours, et considéré que "le législateur n'a fait qu'exercer la compétence que lui reconnaît la Constitution sans porter atteinte au principe de responsabilité ou au droit à un recours juridictionnel" (cons. 7), réalisant une interprétation convergente avec celle retenue par la CEDH des dispositions de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 (N° Lexbase : L1625AZ9) à la Convention protégeant le droit de propriété (18).

L'évolution du cadre d'analyse se justifie ici pleinement par l'objet même du régime soumis au contrôle du conseil puisque l'interdiction d'invoquer le droit commun, posée par l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, empêche également la saisine du juge de droit commun pour obtenir réparation et contraint la victime à se contenter du juge de la sécurité sociale pour contester le montant des indemnités qui lui sont versées (19).

  • Précisions sur les fondements constitutionnels du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles

La décision apporte également un éclairage nouveau sur les fondements constitutionnels du régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles qui met en oeuvre le droit à la santé du onzième alinéa du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), ainsi que le "droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence" (20).

Selon le Conseil, "pour concilier le droit des victimes d'actes fautifs d'obtenir la réparation de leur préjudice avec la mise en oeuvre des exigences résultant du onzième alinéa du Préambule de 1946, il était loisible au législateur d'instaurer par les articles L. 431-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3062ICE) un régime spécifique de réparation se substituant partiellement à la responsabilité de l'employeur" (cons. 14). Par ailleurs, "l'exclusion de certains préjudices et l'impossibilité, pour la victime ou ses ayants droit, d'agir contre l'employeur, n'instituent pas des restrictions disproportionnées par rapport aux objectifs d'intérêt général poursuivis", "le plafonnement de cette indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l'incapacité n'institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle" (cons. 17) et sont compensées par les avantages du régime pour les salariés, "qui garantissent l'automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles" (cons. 16).

  • Une porte entr'ouverte à l'admission d'un principe constitutionnel de réparation intégrale des victimes d'actes fautifs

Mais si l'ensemble du régime est validé, le Conseil émet une réserve qui pourrait bien avoir des conséquences concrètes importantes.

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, la faute inexcusable de l'employeur n'a pas juridiquement pour effet de réintroduire le droit commun de la responsabilité civile dans les rapports avec l'employeur, contrairement à la faute intentionnelle, mais simplement de tendre vers la réparation intégrale des préjudices dans le cadre toutefois défini par l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale. Or, ce texte comporte une liste limitative de chefs de préjudices indemnisables qui, si elle semble couvrir la plupart des composantes du préjudice, ne les évoque pas tous. De manière totalement inédite, le Conseil constitutionnel impose, par le biais d'une réserve d'interprétation, au Tribunal des affaires de Sécurité sociale, d'assurer la réparation intégrale des préjudices subis par la victime d'une faute inexcusable et ce, au nom du "droit des victimes d'actes fautifs", de "demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale" (cons. 18).

Le moins que l'on puisse dire est que cette réserve est doublement intéressante.

Elle assure, au-delà de la lettre de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, l'effectivité du principe de réparation intégrale. L'avancée est majeure car ce principe, reconnu et protégé par le juge judiciaire mais non par le Conseil constitutionnel (21), n'est en réalité pas expressément garanti par le livre IV du Code de la Sécurité sociale.

  • Une appréciation réservée.... de la réserve d'interprétation

Si cette réserve doit être favorablement accueillie dans la mesure où elle améliore la situation des victimes de fautes inexcusables, on ne peut que s'interroger sur sa justification. Alors que l'on pouvait légitimement s'attendre à ce que le Conseil en profite pour reconnaître enfin la constitutionnalité du principe de réparation intégrale, quitte d'ailleurs à préciser à quelles conditions le législateur peut y porter atteinte, ce dernier fonde sa solution sur le "droit des victimes d'actes fautifs", ce qui en limite évidemment la portée.

Cette analyse est des plus surprenantes. Il est généralement admis que la justification du droit à réparation intégrale est, en effet, à rechercher dans la personne même de la victime, qu'on le fonde sur des considérations éthiques (le droit à l'intégrité physique ou le droit à la dignité) ou économiques (le droit à l'intégrité patrimoniale ou le principe d'égalité devant les charges publiques), et non dans la personne du responsable. Jusqu'à présent, d'ailleurs, le Conseil constitutionnel dissociait parfaitement, dans un rapport de responsabilité, l'analyse de la situation du point de la victime (principe d'égalité) et de celui du responsable (principe de responsabilité, découlant du principe de liberté). Or, ce droit à réparation intégrale des victimes de fautes inexcusables, puisque c'est bien de cela dont il s'agit ici, semble justifié par leur qualité de victimes "d'actes fautifs". On ne comprend dès lors plus pourquoi, du point de vue des victimes, la réparation intégrale serait justifiée pour les victimes de fautes et écartées pour les autres, notamment lorsqu'elles sont indemnisées sur le fondement d'un régime de responsabilité de plein droit, sauf à considérer que les premières seraient plus méritantes que les secondes. Il est certes légitime de vouloir tenir compte du caractère fautif des comportements pour infliger au coupable une responsabilité plus lourde (sanctions pénales, dommages et intérêts punitifs), mais non de faire "payer" aux victimes le fait d'avoir eu la malchance de subir un dommage causé par un responsable tenu sans faute ; les deux exigences devraient s'ajouter, et non se soustraire. Pareille conception de la responsabilité, entièrement tournée vers la personne du responsable, s'inscrit dans une certaine vision archaïque de la responsabilité qui se focalise sur la seule personne de l'auteur du dommage jusqu'à oublier que la victime devrait être placée au coeur du système. Les regards se tournent désormais vers le Parlement dont on attendra, plus d'un siècle après la loi fondatrice, qu'il s'intéresse, enfin, véritablement à la réforme du livre IV du Code de la Sécurité sociale.


(1) Loi n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK).
(2) Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-87.288, Mme Christiane Alessandrie, épouse Lloret, P+B (N° Lexbase : A1976EXH).
(3) Sur ces principes, notre étude "Liberté, égalité, responsabilité" dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Les cahiers du conseil constitutionnel, n° 16, 2004, pp. 111-122.
(4) J.-J. Dupeyroux, Un deal en béton ?, Dr. soc., 1998, n° sp. Centenaire de la loi du 9 avril 1898, p. 631.
(5) Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres (N° Lexbase : A8154AG4), JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; D., 2000, p. 673, note P. Brun ; Resp. civ. et assur., 2000, chron. 11, H. Groutel, chron. 22, Ch. Radé.
(6) Sur ces possibilités, J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la Sécurité sociale, Précis Dalloz, 16ème éd., 2008, n° 827 s..
(7) Mouvement initié par Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI), JCP éd. G, 2002, II, 10053, concl. Benmakhlouf.
(8) Sur cette critique, G. Lyon-Caen, Les victimes d'accidents du travail, victimes aussi d'une discrimination, Dr. soc., 1990, pp. 737-739.
(9) Quoique la branche accidents du travail et maladies professionnelles soit légèrement excédentaire de 200 millions d'euros pour l'exercice 2008 (loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009, de financement de la Sécurité sociale pour 2010, art. 1er N° Lexbase : L1205IGQ).
(10) Cons. const., décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole, cons. 10 (N° Lexbase : A8176ACS).
(11) Cons. const., décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, cons. 5 (N° Lexbase : A8775D9U), ou, encore, "le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement [et] ne saurait ainsi rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé" (Cons. const., décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, cons. 27 N° Lexbase : A8747ACX).
(12) Cons. const., décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, cons. 19 (N° Lexbase : A2113EKH).
(13) Cons. const., décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Liberté de communication audiovisuelle, cons. 29 à 32 (N° Lexbase : A8194ACH). Dernièrement Cons. const., décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (N° Lexbase : A7427D3H).
(14) Cons. const., décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, cons. 6 (N° Lexbase : A8046ACY).
(15) Cons. const., décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001, cons. 44 (N° Lexbase : A1162AIU) ; Cons. const., décision n° 2005-522 DC du 22 juillet 2005, Loi de sauvegarde des entreprises, cons. 13 (N° Lexbase : A1643DK3).
(16) Sur cette conciliation dans la jurisprudence de la CEDH, lire A. Gouttenoire et F. Sudre dans Les grands arrêts de la CEDH, Puf, 5ème éd., 2009, p. 293 s..
(17) Cons. const., décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (N° Lexbase : A8019EYN).
(18) CEDH, 6 octobre 2005, Req. 11810/03, Maurice c/ France (N° Lexbase : A6794DKT), Resp. civ. et assur. 2005, comm. 327, et les obs..
(19) Sur la prise en compte du droit à un recours effectif dans le cadre d'un régime d'indemnisation de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles : Cons. const., décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. 36 et 37 (N° Lexbase : A2333AXP).
(20) Sur la reconnaissance du droit à la santé, Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse, cons. 10 (N° Lexbase : A7913AC3). Lire B. Mathieu, La protection du droit à la santé par le juge constitutionnel, Les Cahiers du conseil constitutionnel, n° 6/1999, p. 85.
(21) Qui ne garantit que le principe de réparation de l'intégralité des chefs de préjudice, ce qui est différent : notre étude préc., n° 32.

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Interprofessionnalité

[Questions à...] L'interprofessionnalité vue par les juristes d'entreprise - Questions à Jean-Charles Savouré, Président de l'AFJE

Lecture: 5 min

N4269BPS

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef

Le 07 Octobre 2010

Directeur juridique, Corporate et Concurrence, IBM Europe, Jean-Charles Savouré est Président de l'AFJE depuis le 4 décembre 2009. Alors que le débat sur l'interprofessionnalité et sur le rapprochement des avocats et des juristes d'entreprise est plus que jamais ouvert, Jean-Charles Savouré y voit l'opportunité de faire valoir la Profession qu'il représente et entend bien porter l'image de celle-ci au niveau de prestige qu'elle mérite, tout en rappelant que le fil conducteur des actions de l'AFJE reste, bien sûr, toujours et avant tout, l'intérêt des entreprises. Lexbase : Parmi les propositions de la Commission "Darrois", dont certaines ont été reprises dans le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, la création du statut d'avocat en entreprise est encore l'une des questions les plus controversées. Pour quelles raisons l'AFJE est-elle favorable à la création d'un tel statut ?

Jean-Charles Savouré : L'AFJE est favorable depuis toujours à l'idée de grande profession du droit. Si la Commission "Darrois" n'a pas retenu cette idée pour des motifs d'opportunité et de pragmatisme, au demeurant compréhensibles, elle préconise, en revanche, le rapprochement des avocats et des juristes d'entreprise.

Dans le principe, nous sommes favorables à ce rapprochement et ce, essentiellement pour deux raisons.

Tout d'abord, parce qu'une telle réforme permettrait, en France, la fluidité interprofessionnelle des métiers juridiques, cette fluidité étant génératrice de talents et de compétences et constituant donc une source d'enrichissement à la fois pour les entreprises et les juristes eux-mêmes. C'est d'ailleurs ainsi que sont organisées les professions du droit dans de nombreux pays étrangers, comme l'Angleterre, l'Espagne, ou les Etats-Unis pour n'en citer que certains.

Ensuite, parce que ce rapprochement permettrait la reconnaissance de la confidentialité des avis rendus par les juristes d'entreprise, objectif pour lequel l'AFJE se bat depuis toujours et que le rapport "Darrois" lui-même qualifie lui-même d'enjeu essentiel. La création du statut d'avocat en entreprise aboutirait à ce résultat via l'assujettissement des juristes internes aux règles déontologiques des avocats, notamment à l'obligation au secret professionnel.

Lexbase : En l'espèce, le rapport de la Commission "Darrois" se prononce en faveur de l'obligation au secret professionnel et non du legal privilege. Approuvez-vous ce choix ou continuez-vous à militer en faveur de l'instauration du legal privilege ?

Jean-Charles Savouré : Il est vrai que la notion de secret professionnel n'est pas strictement identique au concept anglo-saxon de legal privilege, pour lequel nous militons depuis de nombreuses années. Il faut rappeler que ce concept vise, non pas à régir la personne du juriste en l'assujettissant à un statut particulier, mais à protéger l'avis juridique qui circule au sein de l'entreprise. Il s'agit par ce concept de reconnaître à l'entreprise le droit de s'opposer à la saisie, à la production et à l'utilisation de ces avis. C'est donc un droit pour l'entreprise, à la différence du concept de secret professionnel qui se définit, lui, comme une obligation qui pèse sur le juriste, celle de ne pas divulguer l'information qu'il tient de son "client". Il existe donc une différence d'approche entre les deux notions, même si, au final, le résultat pour l'entreprise ne diffère pas fondamentalement.

Le secret professionnel est une notion qui a le mérite d'exister dans l'environnement juridique français. Retenir cette notion plutôt que celle de legal privilege procède d'un souci louable de simplification dans une matière déjà suffisamment complexe par ailleurs. Mais il est impératif que les juristes d'entreprises et les avocats définissent ensemble les règles pratiques de son fonctionnement dans le contexte interne de l'entreprise. Il ne faudrait pas en effet que l'introduction du secret professionnel soit un frein à la liberté ou à la fluidité de circulation de l'information juridique au sein de l'entreprise. Pour bien appréhender les conditions de mise en oeuvre du secret professionnel, il conviendra de s'appuyer sur l'expérience qu'en ont les avocats et de confronter celle-ci à la connaissance qu'ont les juristes d'entreprise du fonctionnement des entreprises afin de déterminer ce qui est transposable tel quel et, le cas échéant, ce qui ne l'est pas ou nécessite des ajustements.

Lexbase : Quels sont vos arguments pour convaincre les réfractaires à la création du statut d'avocat en entreprise ?

Jean-Charles Savouré : L'un des éléments avancés par les avocats réfractaires à la création du statut d'avocat en entreprise est celui de l'absence d'indépendance qui serait inhérente à la nature-même du contrat de travail qui les lie à leur employeur. Or, ce problème est le plus souvent mal posé. En effet, comme beaucoup d'organisations de juristes, y compris les avocats eux-mêmes, le soulignent ou le reconnaissent, l'indépendance dont il s'agit ici est l'indépendance intellectuelle, qui n'est pas liée à un statut, mais à un état d'esprit. On n'est pas indépendant par le simple effet d'un statut. On l'est parce que l'on décide de l'être et c'est le cas de ceux qui pratiquent la matière juridique de façon professionnelle.

La question de la plaidoirie est un autre élément sensible aux yeux de certains avocats, qui craignent que les avocats en entreprise viennent leur faire concurrence dans leur activité de prétoire. Or, la plaidoirie est, et restera, une spécialité requérant une compétence autonome, distincte de l'activité de conseil qui constitue le coeur du métier de juriste d'entreprise. La preuve en est que la possibilité qui existe aujourd'hui pour les juristes d'entreprise de représenter en justice leur entreprise devant certaines juridictions (conseil de prud'hommes, tribunaux de commerce...) est très peu utilisée en pratique. Les juristes d'entreprise ne demandent d'ailleurs pas que cette possibilité soit étendue à d'autres juridictions.

Enfin, certaines organisations d'avocats redoutent que la création du statut d'avocat en entreprise génère une concurrence accrue, via un afflux massif vers l'activité libérale. Or, les statistiques sur la passerelle démontrent que le grand nombre de juristes d'entreprise répondant aux conditions pour devenir avocat utilise très peu, en pratique, cette possibilité. Si beaucoup d'avocats deviennent juristes d'entreprise, l'inverse n'est pas vrai.

Lexbase : S'agissant justement du maintien ou non de la passerelle existante, cette question divise encore fortement, au sein même de chacune des professions. Quelles sont vos exigences sur cette question ?

Jean-Charles Savouré : Rappelons que le système actuel de la passerelle permet à tout juriste d'entreprise non titulaire du CAPA de devenir avocat s'il justifie de la détention d'un master 1 au minimum et de huit années d'expérience professionnelle.

A l'AFJE, nous considérons que les conditions actuelles de la passerelle ne correspondent plus aux réalités d'aujourd'hui. En particulier, la condition d'expérience de huit années ne se justifie plus et doit donc être réduite. Il n'en reste pas moins que, dans son principe, la passerelle est une bonne chose. Sa suppression dans le cadre de la création du statut d'avocat en entreprise ne pourrait se concevoir que s'il existait une formation adaptée à ce métier, c'est-à-dire à la pratique du droit de l'entreprise. Or, le CAPA, dans sa forme actuelle, ne répond pas à cette exigence. Dès lors, il serait absurde de faire de la détention de ce diplôme, quelle que soit sa qualité par ailleurs, un préalable au métier d'avocat en entreprise et de priver les entreprises de la possibilité de recruter des juristes, soit détenteurs d'une formation plus adaptée, soit ayant acquis une forte expérience pratique au sein d'une ou de plusieurs entreprises. En attendant la réforme de la formation aux métiers du droit, au demeurant préconisée par le rapport "Darrois", il est donc impératif de conserver le système de la passerelle.

Lexbase : Quelles sont vos recommandations s'agissant de la formation commune aux métiers du droit ?

Jean-Charles Savouré : Outre une formation adaptée aux différentes facettes du droit de l'entreprise et des affaires, il nous semble essentiel que soit dispensée une solide formation à la déontologie, condition nécessaire à l'exercice du droit en tant qu'avocat en entreprise. Il conviendra également de mettre l'accent sur des disciplines périphériques que sont par exemple la finance, la comptabilité, le management ou encore les techniques de communication.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juin 2010)

Lecture: 20 min

N4400BPN

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité des mois d'avril, mai et juin 2010. A retenir, entre autres, dans ce panorama, le revirement opéré par la Cour de cassation le 3 juin 2010 : en effet, si depuis 2000, la Haute juridiction écartait toute indemnisation lorsque le manquement au devoir d'information n'avait pas été déterminant dans la décision du patient, la Cour retient enfin la thèse selon laquelle le manquement au devoir d'information peut causer un préjudice moral distinct du préjudice qui s'est finalement réalisé. On notera également, l'une des premières décisions QPC du Conseil constitutionnel qui a jugé, le 11 juin 2010, que le régime de responsabilité instauré par le I de l'article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA) était conforme à la Constitution, ne censurant que les dispositions transitoires relatives à l'application de la loi de 2002 aux personnes ayant engagé, antérieurement à celle-ci, une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice. I - Responsabilité médicale

1.1. Faute médicale

Ne commet pas de manquement fautif dans le suivi postopératoire le médecin qui ne laisse pas un malade sans surveillance postopératoire, dont le suivi a été conforme aux données acquises de la science, le praticien ayant reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n'avait pas été possible en raison de la négligence du patient.

Conditions du suivi postopératoire. Cet arrêt fournit une nouvelle illustration de la méthode d'appréciation de la faute médicale qui mêle des références abstraites ("le suivi conforme aux données acquises de la science") et concrètes (le médecin "a reçu le patient à deux reprises et prévu de le revoir une troisième fois, ce qui n'avait pas été possible en raison de la négligence du patient") dans des contentieux, assez fréquents, mettant en cause la responsabilité de médecins ou d'établissements dans le cadre du suivi postopératoire des patients, tant sur le plan pénal (1) que civil (2).

Prise en compte du comportement du patient. Cet arrêt met également en évidence le double rôle que le comportement du patient est susceptible de jouer en matière de responsabilité médicale.

Ce comportement peut tout d'abord être pris en compte dans le cadre d'une défense exonératoire du médecin ou de l'établissement mis en cause pour provoquer une exonération totale ou partielle (3).

Il peut également, en creux, démontrer que le comportement du médecin, tenu d'une simple obligations de moyens, n'est pas fautif en ce que le patient ne lui a pas permis de réaliser les actes médicaux dans de bonnes conditions. En l'espèce, c'est en raison de la négligence du patient, expressément relevée par la Cour, qui avait occulté l'une des visites postopératoires, que l'absence de faute du médecin a pu également être établie.

A commis une imprudence le médecin qui positionne une patiente sur la table d'opération avec les bras écartés de l'axe du corps, la complication survenue étant certes exceptionnelle mais constituant néanmoins un risque connu de l'intervention qui a pour partie causé le dommage, compte tenu notamment de la durée de l'intervention.
Le positionnement de la patiente pendant l'intervention, dont le lien scientifique avec la complication survenue était établi même si tout n'était pas clairement connu dans le mécanisme de sa survenance, avait été, au moins partiellement, à l'origine du dommage subi par cette dernière et que, dès lors, l'imprudence du chirurgien était en lien de causalité avec le préjudice subi.

Méthode d'appréciation de la faute médicale. Cet arrêt, comme l'autre décision commentée rendue le même jour (n° 09-13.591 ; cf. supra), met en oeuvre la même méthode d'appréciation de la faute médicale. Pour conclure à l'existence d'une faute dans cette affaire, la Cour de cassation a, en effet, analysé in concreto le comportement du médecin et relevé un certain nombre d'indices factuels présents dans le dossier (le positionnement de la patiente sur la table d'opération avec les bras écartés de l'axe du corps, la durée de l'intervention), mais a aussi comparé ce comportement aux données acquises de la science, c'est-à-dire aux bonnes pratiques médicales en la matière.

Le médecin tentait ici d'échapper à sa responsabilité en faisant valoir que le dommage constituait la réalisation d'un risque exceptionnel et qu'il n'y avait donc pas de "faute" à exposer un patient à un tel risque, précisément en raison de la faible probabilité qu'il se réalise.

La Cour de cassation ne l'a pas suivi dans cette voie et considéré que l'élément important n'était pas le caractère "exceptionnel" du risque, mais son caractère "connu". Ce faisant, la Cour de cassation montre sa volonté d'unifier l'analyse de la faute "technique" et de la faute "éthique" que constitue le manquement au devoir d'information, dont on rappellera qu'elle doit porter sur les risques "fréquents ou graves normalement prévisibles" (4). Reste qu'il n'est pas possible de détacher totalement l'analyse de la faute technique de l'importance de la probabilité de réalisation du risque, car c'est bien au terme d'un bilan risque/profit que doit s'évaluer le comportement du médecin.

Dans cette affaire, le risque semblait renforcé par la durée de l'opération, ce qui aurait dû conduire le médecin à modifier son modus operandi. Par ailleurs, il s'agissait ici d'une opération à visée esthétique. Or, on sait que la jurisprudence se montre plus sévère avec les praticiens dans la mesure où les actes médicaux réalisés ne sont pas rendus nécessaires par l'état de santé du patient.

L'imputabilité du dommage à la faute médicale. L'arrêt présente un autre intérêt dans sa manière d'appréhender la question de l'imputabilité du dommage à la faute médicale. Pour échapper à la condamnation, le médecin se fondait en effet sur le fait que "tout n'était pas clairement connu dans le mécanisme de [...] survenance" du dommage. Cette relative incertitude ne constitue toutefois pas un obstacle à l'établissement du lien de causalité dès lors que la probabilité de ce lien est suffisamment forte. On retrouve ici la volonté de la Cour de cassation de ne pas débouter les victimes de leurs actions sous prétexte d'incertitudes, plus ou moins étendues, sur le déclenchement ou la survenance de certaines affections, comme l'ont démontré les décisions rendus depuis mai 2008 en matière de preuve de l'imputabilité de maladies auto-immunes à la vaccination anti hépatite B (5).

1.2. Défaut d'information

Manque à son devoir d'information le médecin qui n'informe pas une patiente de la nécessité de réaliser une échographie destinée à diagnostiquer une éventuelle trisomie 21 au travers d'une mesure de la clarté nucale du foetus, alors que cet examen apparaissait comme le moyen le plus fiable et le plus adapté, ce médecin n'étant pas dispensé de son obligation d'information par l'intention, d'ailleurs non suivie d'effet, exprimée par la patiente de consulter un autre médecin, la privant ainsi de la possibilité d'obtenir un des éléments du diagnostic de la trisomie 21 du foetus, lequel lui aurait permis d'exercer le choix éclairé d'interrompre ou non sa grossesse.

Analyse du comportement du patient et faute du médecin. Cet arrêt présente des similitudes évidentes avec une autre décision commentée rendue par la même première chambre civile de la Cour de cassation quelques jours plus tard, le 3 juin 2010 (n° 09-13.591 ; cf. supra), même s'il conduit à une solution qui pourrait sembler contradictoire. Dans l'arrêt rendu le 3 juin, le patient avait manqué son troisième rendez-vous de suivi et cette circonstance avait été relevée par la Cour pour écarter toute faute commise par le médecin. Dans l'affaire qui conduit à cet autre arrêt en date du 6 mai, la patiente, qui cherchait à déterminer si l'enfant qu'elle attendait risquait de souffrir d'une trisomie 21, avait indiqué au médecin qui la suivait qu'elle ferait réaliser la suite du suivi de sa grossesse par un autre praticien, ce qu'elle n'avait, en réalité, pas fait, et avait mis au monde un enfant qui souffrait de cette anomalie. Or, dans cette affaire, la Cour conclut au manquement du praticien à son devoir d'information tout en constant que la patiente avait elle-même manqué son troisième rendez-vous, alors que dans la première affaire le comportement du patient avec conduit à mettre hors de cause le praticien.

Conciliation des deux décisions. La divergence entre les deux solutions n'est toutefois qu'apparente. Dans l'arrêt rendu le 6 mai qui nous intéresse ici plus particulièrement, le médecin prétendait qu'il avait été privé de la possibilité d'informer la patiente sur la nécessité de procéder à la mesure de la clarté nucale par le fait que cette dernière lui avait indiqué vouloir poursuivre le suivi de sa grossesse avec un confrère, pensant sans doute que c'était à ce dernier de prescrire l'échographie. Or, dans cette hypothèse, le médecin aurait dû, compte tenu de la gravité des risques, informer d'ores et déjà la patiente de la nécessité de procéder à l'examen, sans se défausser sur un confrère.

Ce faisant, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme une jurisprudence bien établie, qui vaut d'ailleurs bien au-delà de la responsabilité médicale (6), et qui veut qu'un professionnel astreint à une obligation d'information ne peut jamais s'exonérer de sa propre responsabilité sous prétexte qu'un autre professionnel également concerné serait lui-même astreint à sa propre obligation d'information. Cette solution est, bien entendu, indispensable pour éviter que des professionnels ne se rejettent mutuellement la responsabilité d'un échec commun et se sentent ainsi dispensés de leurs propres obligations.

Faute et naissance de l'enfant handicapé. Une fois établi le caractère fautif du manquement à l'obligation d'information, restait à faire application des solutions qui prévalent habituellement en présence d'enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA), c'est-à-dire de réparer le préjudice consécutif à la perte d'une possibilité (7) "d'exercer le choix éclairé d'interrompre ou non sa grossesse" (8).

Il résulte des articles 16 (N° Lexbase : L1687AB4), 16-3, alinéa 2 (N° Lexbase : L6862GTC), et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir.

Le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, qu'en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation.

Les juges ne peuvent écarter toute responsabilité d'un médecin envers son malade alors qu'ils ont constaté un manquement au devoir d'information, sous prétexte qu'il n'existait pas d'alternative à l'ablation envisagée de la prostate et qu'il est peu probable que le malade, dûment averti des risques de troubles érectiles qu'il encourait du fait de l'intervention, aurait renoncé à celle-ci et aurait continué à porter une sonde qui lui faisait courir des risques d'infection graves.

Revirement de jurisprudence. C'est à un véritable revirement de jurisprudence que nous convie la première chambre civile de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 3 juin 2010, par ailleurs déjà commenté pour un autre de ses aspects (cf. supra).

Solution antérieure. Jusqu'à présent, et depuis l'arrêt "Hédreul II" rendu en 2000, la première chambre civile de la Cour de cassation écartait toute responsabilité du médecin ayant pourtant commis un manquement fautif à son obligation d'information, singulièrement lorsqu'elle porte sur l'existence d'alternatives thérapeutiques moins risquées (9), lorsqu'il apparaissait que ce manquement n'avait pas déterminé le patient dans sa décision, "en prenant en considération l'état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, les effets qu'aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus" (10).

Cette solution, qui se justifiait sans doute du point de vue de l'analyse de la causalité, était pourtant contestée dans la mesure où elle laissait sans "sanction" la faute commise par le médecin, rendant ainsi ineffectif le droit à l'information du patient dès lors que l'acte envisagé était nécessaire et que le bon père de famille, placé dans la même situation, aurait très certainement pris la même décision.

L'arrêt. C'est précisément cette solution qui se trouve ici remise en cause. Au visa des articles 16, 16-3, alinéa 2, et 1382 du Code civil, la Cour, après avoir rappelé "qu'il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir", affirme, en effet, "que le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, qu'en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation".

Une solution pleinement satisfaisante. Cette solution, que nous avions, avec d'autres (11), appelée de nos voeux (12), est pleinement satisfaisante, même si le visa de l'article 1382 du Code civil pourrait surprendre s'agissant d'une hypothèse de responsabilité contractuelle. On pourra, d'ailleurs, se demander si ce visa répond à une logique de cassation, le texte ayant fondé l'arrêt d'appel, ou par une volonté délibérée de la Cour de marquer la spécificité de la responsabilité qui découle de la violation d'un droit subjectif qui serait détachée du contrat de soins et, en quelque sorte, par nature extracontractuelle.

Mais finalement cette question de fondement est secondaire sur le plan pratique et d'ailleurs non déterminante de la solution, que nous approuvons pleinement.

En premier lieu, elle garantit l'effectivité du droit à l'information du patient en considérant que le fait d'en avoir été privé lui cause nécessairement un préjudice qu'il convient de réparer, ne serait-ce que symboliquement (13). En second lieu, elle traite la question de l'atteinte au droit à l'information en matière médicale comme d'autres atteintes à d'autres droits subjectifs en considérant que l'atteinte cause nécessairement un préjudice qu'il convient de réparer (14).

Une solution à la portée incertaine. Reste à déterminer la portée de la décision qui constitue un premier pas vers l'autonomisation du préjudice consécutif au défaut d'information.

Dans cette affaire, le manquement à l'obligation d'information n'avait pas été déterminant dans la décision prise par le patient, la réparation d'un simple préjudice moral, déconnecté du préjudice imputable à l'acte chirurgical, apparaissant comme la seule possibilité d'indemniser la victime. Mais qu'en sera-t-il lorsque le défaut d'information aura privé la victime d'une possibilité de se soustraire à l'acte dommageable ?

En l'état actuel de la jurisprudence, deux hypothèses doivent être distinguées : soit la victime aurait certainement pris une autre décision, et le manquement à l'obligation d'information a directement contribué à causer l'intégralité du préjudice consécutif à l'acte médical, par application de la théorie de l'équivalence des conditions, soit il ne s'agit que d'une simple probabilité, d'une "chance réelle et sérieuse" (15), et, dans cette hypothèse, l'application de la théorie de la perte de chance permet de relier la faute au préjudice final, mais la réparation sera affectée du coefficient correspondant au pourcentage de la chance perdue.

On peut dès lors s'interroger sur les prolongements de ce revirement de jurisprudence, et sur l'autonomisation complète du préjudice résultant du défaut d'information.

Nous avons manifesté notre hostilité à l'application de la théorie de la perte de chance qui nous semble assez peu réaliste ; de deux choses l'une : ou l'absence d'information a directement faussé le consentement du patient qui aurait, sans cette faute, refusé l'opération, et la réparation du préjudice doit être intégrale, ou il apparaît que le patient aurait de toute façon pris la même décision s'il avait été informé, et dans ce cas il convient de lui attribuer des dommages et intérêts spécifiques réparant le préjudice moral consécutif au non-respect de son droit à l'information.

Vers une autonomie complète du préjudice de non-information ? Mais peut-on aller plus loin encore et déconnecter totalement la réparation du préjudice consécutif au non-respect de l'obligation d'information du préjudice résultant de l'accident médical ?

Avant l'application du dispositif d'indemnisation mis en place par la loi "Kouchner" du 4 mars 2002, pareille analyse aurait pu conduire à priver les patients de toute réparation, ce qui n'était pas souhaitable et justifiait le recours, certes artificiel, à la théorie de l'équivalence des conditions.

Mais la mise en place d'un système d'indemnisation, et d'un mécanisme de réparation des conséquences d'accidents médicaux non fautifs par l'ONIAM, change considérablement les données dans la mesure où, si la responsabilité du médecin ou de l'établissement pour défaut d'information n'est pas engagée, c'est l'ONIAM qui indemnisera la victime au titre de la solidarité nationale dès lors que celle-ci aura atteint le seuil de gravité fixé par la loi. Par ailleurs, les dispositions relatives à l'information du malade ont été nettement dissociées de celles consacrées à l'indemnisation des victimes, ce qui pourrait constituer un indice de l'autonomisation de l'obligation d'information et du fait que la responsabilité d'un médecin ou d'un établissement supposerait la réalisation d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soin, mais pas nécessairement un simple manquement à l'obligation d'information (16).

Il appartiendra, bien entendu, à la Haute juridiction de préciser, dans ses prochaines décisions, la portée qu'elle entend donner à cet arrêt et dans le cadre nouveau mis en place en 2002, car dans cette affaire les dispositions de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) n'étaient pas applicables puisque les faits étaient antérieurs au 5 septembre 2001.

Les juges ne peuvent, en présence d'un risque d'infection nosocomiale scientifiquement connu comme étant en rapport avec ce type d'intervention, se fonder sur la seule absence de faute du praticien dans la réalisation de celle-ci pour déterminer la teneur de son devoir d'information.

Indépendance de l'obligation d'information et de l'obligation de soins. L'étendue de l'obligation d'information sur les risques opératoires qui pèse sur le médecin est indépendante des conditions dans lesquelles il est amené à répondre de la réalisation de ce risque. Tel est en substance l'apport de cet arrêt en date du 8 avril 2010 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation.

L'affaire. Dans cette affaire, un patient avait développé une arthrite septique du genou après une infiltration intra-articulaire. Il avait alors recherché la responsabilité du médecin et lui reprochait de ne pas l'avoir informé de l'existence de ce risque ; il avait été débouté sous prétexte qu'en l'absence de preuve d'un défaut fautif d'asepsie imputable au praticien dans la réalisation de l'acte médical, il ne pouvait être reproché à celui-ci de n'avoir pas informé son patient d'un risque qui n'était pas lié à l'intervention préconisée.

L'arrêt est cassé, au visa des articles 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5232IEI), la Cour considérant que les juges ne pouvaient "en présence d'un risque d'infection nosocomiale scientifiquement connu comme étant en rapport avec ce type d'intervention, se fonder sur la seule absence de faute du praticien dans la réalisation de celle-ci pour déterminer la teneur de son devoir d'information".

Une différenciation justifiée. La solution doit être pleinement approuvée dans la mesure où le raisonnement des magistrats de la cour d'appel d'Aix-en-Provence était particulièrement confus. L'article L. 1111-2 du Code de la santé publique ne lie, en effet, pas l'étendue de l'obligation d'information sur les risques liés aux actes envisagés au fait que ces risques, lorsqu'ils se réalisent, engagent la responsabilité du médecin ou de l'établissement qui les a pratiqués. Cette information doit, en effet, porter sur les "risques fréquents ou grave normalement prévisibles". Or, certains de ces risques, lorsqu'ils se réalisent, ne sont pas de nature à engager sa responsabilité civile qui, rappelons-le, suppose la preuve d'une faute, y compris pour ce qui concerne les infections nosocomiales. Dans ces conditions, il était non seulement intellectuellement inexact de confondre le régime de la responsabilité du médecin (pour faute) et l'étendue de son obligation d'information (portant sur les risques), mais également contraire aux dispositions de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique de restreindre l'obligation d'information aux seuls risques dont la réalisation entraîne la responsabilité du médecin, sans avoir égard à la notion légale de "risque fréquent ou grave normalement prévisible". La seule limite à l'information réside alors dans l'état des connaissances scientifiques du moment car un médecin ne saurait être tenu de donner au patient une information portant sur des risques dont il ne pouvait pas connaître l'existence (17). C'est d'ailleurs dans le sens d'une obligation d'information étendue à l'ensemble des risques nosocomiaux, même exceptionnels, qu'avait déjà statué la Haute juridiction (18).

1.3. Indemnisation des victimes de recherches médicales

Dans la mesure où le but de l'étude litigieuse, menée sur des personnes atteintes de cancer, était de comparer deux types de chimiothérapie adjuvante et de démontrer que l'association des médicaments proposés au malade était susceptible d'augmenter de 10 % la survie en réduisant le risque de récidive après l'intervention, que l'opportunité d'un tel traitement pour le type de tumeurs dont ce dernier était atteint était évoqué par différentes études et que beaucoup d'équipes médicales y recouraient de façon systématique, il ne pouvait être reproché au promoteur de la recherche de l'avoir mis en oeuvre.

Cadre juridique applicable. On se rappellera que la loi n° 2004-804 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique (N° Lexbase : L0814GTC) a simplifié le régime de l'indemnisation des victimes de recherche biomédicale. L'article L. 1121-10 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8523GTT) dispose, en effet, désormais, pour toutes les victimes sans que soit reprise la distinction introduite par la loi "Huriet" (loi n° 88-1138 N° Lexbase : L4504DIN) selon que les recherches ont ou non un bénéfice individuel direct, que "Le promoteur assume l'indemnisation des conséquences dommageables de la recherche biomédicale pour la personne qui s'y prête et celle de ses ayants droit, sauf preuve à sa charge que le dommage n'est pas imputable à sa faute ou à celle de tout intervenant sans que puisse être opposé le fait d'un tiers ou le retrait volontaire de la personne qui avait initialement consenti à se prêter à la recherche".

Le débat porte donc, au stade de l'exonération, sur l'existence d'une faute commise par le promoteur, et c'est tout l'intérêt de cet arrêt en date du 14 janvier 2010 qui, quoi que rendu sous l'empire du régime antérieur à 2004, demeure pertinent dans le cadre actuel en ce qu'il porte sur les éléments constitutifs de la faute du promoteur.

L'affaire. Dans cette affaire, un patient imputait à un traitement de chimiothérapie adjuvante, reçu à la suite de l'ablation d'un adénocarcinome et en application d'un protocole de recherche biomédicale, des troubles qui avaient nécessité son hospitalisation et dont certains avaient subsisté malgré plusieurs interventions chirurgicales. Il avait alors recherché la responsabilité du promoteur de la recherche, mais avait été débouté de ses demandes par la cour d'appel de Paris.

Cet arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi. Selon la Haute juridiction, en effet, le but de l'étude litigieuse, menée sur des personnes atteintes de cancer, était de comparer deux types de chimiothérapie adjuvante et de démontrer que l'association des médicaments proposés était susceptible d'augmenter de 10 % la survie en réduisant le risque de récidive après l'intervention. La Cour relève également que l'opportunité d'un tel traitement pour le type de tumeurs dont ce dernier était atteint était évoquée par différentes études et que beaucoup d'équipes médicales y recouraient également, de sorte qu'il ne pouvait être reproché au promoteur de l'avoir mis en oeuvre.

Comme elle le fait par ailleurs pour caractériser la faute médicale, la Cour de cassation s'en tient à une analyse du rapport bénéfice/risque du protocole mis en oeuvre et sur le fait qu'il était conforme aux données acquises de la science, puisque d'autres promoteurs avaient retenu les mêmes associations médicamenteuses (19).

2. Dispositif d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux

2.1. Indemnisation des parents et enfants nés avec un handicap non décelé pendant la grossesse

Si des motifs d'intérêt général pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice ; le 2 du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 [loi n° 2005-102, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R]doit être déclaré contraire à la Constitution.

Cadre juridique applicable. L'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 a souhaité soustraire au droit commun de la responsabilité civile la réparation des dommages liés à la naissance d'enfants handicapés, pour en confier essentiellement la prise en charge à la collectivité par le biais de l'aide sociale (20).

L'application de ce dispositif aux enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi a été écartée en raison de sa contrariété avec l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) (21), ce qui autorise ces derniers à agir sur le fondement du droit commun.

Abrogation. Devenu de fait sans objet, ce principe de l'application immédiate du dispositif dit "anti-Perruche" se trouve désormais abrogé par le Conseil constitutionnel qui a rendu le 11 juin 2010 l'une de ses toutes premières décisions dans le cadre de la nouvelle procédure de question prioritaire de constitutionnalité, applicable depuis le 1er mars 2010, le Conseil ayant considéré, dans le cadre d'une question transmise par le Conseil d'Etat (22), qu'aucun motif d'intérêt général ne justifiait qu'il soit ainsi porté atteinte aux droits des personnes antérieurement indemnisées.

Désormais abrogé, ce texte disparaît, et c'est fort heureux, du droit positif.

Le reste de l'article 1er, devenu article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L) en 2005, a, en revanche, passé sans encombre le contrôle de constitutionnalité et continuera donc de limiter le préjudice des parents aux seuls préjudices moraux (préjudice d'impréparation) et professionnel (préjudice de carrière) résultant d'une faute caractérisée d'un médecin, et celui des enfants à la seule hypothèse d'un dommage directement causé par une faute médicale.

2.2. Système d'indemnisation

Les CRCI étant des commissions administratives dont la mission est de faciliter, par des mesures préparatoires, un éventuel règlement amiable des litiges relatifs à des accidents médicaux, des affections iatrogènes ou des infections nosocomiales, l'ONIAM n'était pas lié par l'avis émis par la CRCI.

Solution. La Cour de cassation confirme à son tour la jurisprudence du Conseil d'Etat qui estime que l'ONIAM ne saurait être lié par les avis des CRCI dont le rôle consiste à préparer la transaction qui devra être conclue avec l'Office ou l'assureur, selon le cas (23). Même si le caractère obligatoire des avis pouvait être défendu, au regard de la rédaction des textes et de l'usage de l'indicatif présent dont ou pouvait croire qu'il valait impératif, la Cour de cassation n'a pas souhaité se désolidariser ici du Conseil d'Etat et considère que le juge judiciaire est totalement souverain pour conclure dans un sens opposé à celui de la CRCI, et qu'il ne saurait être reproché à l'office d'avoir refusé de faire une offre à la victime si elle conteste l'avis.

Conséquences. Les assureurs de responsabilité ne sont pas "tenus" par les avis, mais peuvent se voir infliger une pénalité par les juges judiciaires ou administratifs, pouvant aller jusqu'à 15 % des sommes attribuées aux victimes, en cas de refus d'indemnisation. Dans cette hypothèse, l'ONIAM doit en principe se substituer à l'assureur défaillant. Mais comme l'ONIAM ne risque rien à refuser de suivre l'avis ou à ne pas présenter d'offre en lie et place de l'assureur, la victime sera parfois contrainte de saisir le juge pour contraindre véritablement assureurs et office à l'indemniser.


(1) Cass. crim., 15 décembre 2009, n° 09-82.213, Bertrand D., F-D (N° Lexbase : A4837EQ9) : le chirurgien a été reconnu coupable d'homicide involontaire pour avoir commis, dans le suivi postopératoire, une succession de fautes en relation causale certaine et directe avec le décès. Les juges du fond avaient en effet retenu que l'apparition d'une fuite digestive, entraînant une péritonite, est un risque bien connu de l'opération de gastroplastie, que les conséquences en sont très graves et qu'il est vital d'intervenir à nouveau très rapidement, et que le prévenu a gravement tardé à tenir compte des symptômes présentés par la patiente, qu'il n'a pas fait procéder aux examens qui s'imposaient et qu'au surplus, lors de la nouvelle intervention, il a eu recours à un procédé inadapté et insuffisant pour traiter la péritonite.
(2) Cass. civ. 1, 5 novembre 2009, n° 08-15.220, Mme Christiane Guinet, épouse Leneutre, F-D (N° Lexbase : A8093EMP) : doivent être condamnés les médecins assurant le suivi d'un patient qui avait "fait une chute mortelle au décours d'une crise d'épilepsie, les juges du fond ayant constaté que les praticiens s'étaient abstenus de prendre les mesures qui s'imposaient à l'égard d'un patient dont les antécédents étaient connus et que la transmission par le personnel de la clinique à l'équipe médicale des informations relatives à l'épilepsie du patient et aux risques de chute aurait permis la mise en place d'un dispositif de protection, tel qu'une contention au fauteuil ou au lit, ce qui excluait tout aléa dans la réalisation du dommage". Egalement Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 99-12.207, Mme Jeanne Four, née Lacroix (N° Lexbase : A9079AGD).
(3) Ainsi Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06-20.107, M. François Goliard, F-P+B (N° Lexbase : A7677D3Q), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 2 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6278BEA).
(4) C. santé publ., art. L. 1111-2 (N° Lexbase : L5232IEI).
(5) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S), et nos obs., Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4910BGX) ; Resp. civ. et assur., 2008, chron. 8 ; J. Peigné, RDSS, 2008, p. 578 ; L. Grynbaum, JCP éd. G, 2008, II 10131 ; P. Jourdain, RTDCiv., 2008, p. 492 ; S. Hocquet-Berg, Gaz. Pal., 9 octobre 2008 n° 283, p. 49 ; J.-S. Borghetti, RDC, 2008, p. 1186 ; P. Stoeffel-Munck, JCP éd. G, 2008, I, 186, n° 3.
(6) Vendeur et installateur : Cass. civ. 1, 25 janvier 2000, n° 98-12.702, Epoux Le Moal c/ M. Signol (N° Lexbase : A3611AUB), JCP éd. G, 2000, IV, 1450.
(7) On notera que dans cet arrêt la Cour a la délicatesse de ne pas parler de "chance" s'agissant d'une interruption de grossesse pour un motif médical.
(8) Dans le même sens, et pour des faits similaires, Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, M. Eric Lallement, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), JCP éd. G, 2008, II, 10166, avis C. Melloté, note P. Sargos ; et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 6 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI), et les réf. citées.
(9) Dans cette affaire, l'urologue qui avait opéré son patient de la prostate après avoir procédé à l'adénomectomie sans lui proposer l'alternative consistant à lui poser une sonde vésicale, solution qu'il considérait comme étant moins indiquée eu égard au danger grave que faisait courir la sonde vésicale.
(10) Cass. civ.1 , 20 juin 2000, n° 98-23.046, Hédreul c/ Cousin (N° Lexbase : A3773AUB), D., 1999, jur., p. 46, note H. Matsopoulou : "c'est par une appréciation souveraine tirée de ces constatations que la cour d'appel a estimé qu'informé du risque de perforation, M. X n'aurait refusé ni l'examen, ni l'exérèse du polype, de sorte qu'il ne justifiait d'aucun préjudice indemnisable".
(11) Dernièrement S. Hocquet-Berg, La place du défaut d'information dans le mécanisme d'indemnisation des accidents médicaux, Resp. civ. et assur., 2010, chron. 5, et les réf. citées.
(12) Notre chron. L'obligation d'information en matière médicale et l'office du juge, Resp. civ. et assur., 2003, chron. 7. Dernièrement nos obs. sous Cass. civ. 1, 11 mars 2010, n° 09-11.270, Société Medical Insurance company Ltd, représentée en France par la société François Branchet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1775ETW), dans Panorama de responsabilité civile médicale (février et mars 2010), Lexbase Hebdo n° 390 du 8 avril 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N7306BNW).
(13) Pour une analyse plus globale en matière de responsabilité contractuelle, notre étude Droit à réparation. Conditions de la responsabilité contractuelle. Dommage, J.-Cl. Responsabilité civile, Fasc. 170, 8-1999, n° 9.
(14) Les illustrations abondent, qu'il s'agisse de l'atteinte au droit au respect de la vie privée, du droit au respect à la présomption d'innocence, ou, en droit du travail, au droit au reclassement, au respect de la procédure de licenciement, etc..
(15) Cass. civ. 2., 1er avril 1965, Bull. civ. II, p. 230.
(16) En ce sens notre chron. La réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Resp. civ. et assur., 2002, chron. 7.
(17) C'est ce qui a été jugé à plusieurs reprises, qu'il s'agisse de l'obligation d'information pesant sur les fabricants de médicaments (Cass. civ. 1, 8 avril 1986, n° 84-11.443, M. Thorens c/ La Société Merell Toraude et autre N° Lexbase : A2983AAQ, JCP éd. G 1987, II, 20721, note Viala et Viandier) ou sur les médecins (Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-19.927, M. Henri Lopez c/ Mme Hélène Cocolakis N° Lexbase : A7539AHP, Resp. civ. et assur., 1998, comm. 393, 1ère esp.).
(18) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-14.254, Caisse primaire d''assurance maladie de la Seine-Saint-Denis c/ M. Henry et autres (N° Lexbase : A6656AHY).
(19) Cass. civ. 1, 11 décembre 2008, n° 08-10.255, M. Mostefa Meftah, F-D (N° Lexbase : A7290EBM), et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 345 du 8 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0099BKU).
(20) Aujourd'hui, C. act. soc. fam., art. L. 114-5 (N° Lexbase : L8912G8L).
(21) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, M. Eric Lallement, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), JCP éd. G, 2008, II, 10166, avis C. Melloté, note P. Sargos ; et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 6 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI).
(22) CE, 4° et 5° s-s-r., 14 avril 2010, n° 329290 (N° Lexbase : A0208EWM).
(23) CE, 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2007, n° 306590, M. Sachot (N° Lexbase : A7282DYD) : "les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation, dont la saisine est dépourvue de caractère obligatoire, et dont les avis ne lient pas l'ONIAM, sont des commissions administratives dont la mission est de faciliter, par des mesures préparatoires, un éventuel règlement amiable des litiges relatifs à des accidents médicaux, des affections iatrogènes ou des infections nosocomiales".

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Formalisme du renouvellement de la période d'essai : la Chambre sociale abandonne son contrôle

Réf. : Cass. soc., 16 juin 2010, n° 08-43.244, Société Transfer, FS-P+B (N° Lexbase : A0908E3Z)

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N4404BPS

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Plusieurs décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation ont été remarquées ces dernières années en ce qu'elles exerçaient un contrôle fort et strict sur les conditions du renouvellement de la période d'essai. L'intensité de ce contrôle ne s'était pas atténuée avec la loi du 25 juin 2008 (1) qui, pourtant, encadrait sérieusement la faculté pour les parties de renouveler l'essai. Par un arrêt rendu le 16 juin 2010, la Chambre sociale semble desserrer l'étreinte sur les juges du fond en leur abandonnant le pouvoir d'apprécier souverainement le contenu du courriel d'acceptation du renouvellement (II), cela tout en maintenant le cap quant à la règle essentielle tenant à l'exigence d'un accord exprès du salarié au renouvellement (I).
Résumé

L'accord du salarié au renouvellement de la période d'essai doit être exprès. Lorsque les termes du courriel adressé par la salariée et supposé accepter le renouvellement sont ambigus, les juges du fond effectuent une interprétation exclusive de dénaturation.

I - Le renouvellement de l'essai, maintien de l'exigence d'un accord exprès du salarié

  • La faculté de renouvellement de la période d'essai

Depuis que la loi du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, a été adoptée, le régime juridique de la période d'essai a sensiblement été modifié (2). L'hypothèse du renouvellement de l'essai, au terme d'une première période initiale, n'a pas été oubliée par cette réforme, reprenant pour l'essentiel des règles déjà façonnées par la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Le renouvellement de la période d'essai n'est envisageable qu'à la condition de reposer sur trois piliers.

  • Les conditions du renouvellement : les trois piliers

Le premier pilier est caractérisé par une double prévision du renouvellement de l'essai. Le renouvellement doit être envisagé dans la convention collective de branche à laquelle l'entreprise est soumise. Dans le même temps, le contrat de travail conclu entre le salarié et l'employeur doit prévoir l'éventualité que la période d'essai soit renouvelée. Initialement imposée par la Chambre sociale (3), cette double prévision est désormais reprise aux articles L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3) et L. 1221-23 (N° Lexbase : L8368IA8) du Code du travail.

Le deuxième pilier est formé de l'exigence que la période d'essai, renouvellement compris, soit enserrée dans une durée raisonnable (4). Les durées maximales d'essai ont été objectivement encadrées par la loi du 25 juin 2008 (5). Quand bien même une convention collective antérieure prévoirait encore une durée plus longue que les durées légales, la Cour de cassation a jugé, faisant application de la Convention n° 158 de l'OIT, qu'une durée d'un an n'était pas une durée raisonnable (6).

Enfin, troisième pilier soutenant l'hypothèse du renouvellement, le salarié et l'employeur doivent impérativement renouveler leur consentement au moment du renouvellement de la période d'essai. Il faut l'accord de chacune des parties, si bien que la décision unilatérale de l'employeur ne permet pas le renouvellement de l'essai (7).

  • L'exigence d'un accord exprès du salarié

Même si deux volontés paraissent s'être exprimées, la Cour de cassation exclut depuis longtemps toute hypothèse de renouvellement tacite : la volonté des parties doit être expresse (8). De nombreuses formes d'accords tacites ont été passées au crible de la jurisprudence de la Chambre sociale. Il est bien évidemment impossible de considérer que l'acceptation procède du silence du salarié (9) ou du fait que le salarié ait poursuivi son travail sans protester (10). Enfin, à l'évidence, le renouvellement par tacite reconduction est lui aussi banni (11).

Il existe, en réalité, une véritable défiance de la Chambre sociale de la Cour de cassation à l'égard du renouvellement de la période d'essai, défiance qui s'explique logiquement par le caractère quasi systématique des renouvellements en pratique. Poussant très loin sa volonté de juguler les renouvellements non véritablement souhaités par les deux parties, la Chambre sociale a récemment jugé que "le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai doit résulter d'un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié". Il en découle que cette manifestation de volonté ne pouvait "être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l'employeur" (12). C'est à nouveau à propos d'une affaire de formalisme du renouvellement de l'essai que la Chambre sociale était saisie dans l'affaire commentée.

  • En l'espèce

Une salariée avait été engagée en qualité de formatrice en langue anglaise par contrat de travail intermittent à temps partiel. Moins de trois mois après son embauche, l'employeur décidait de rompre la période d'essai qui avait fait l'objet d'un renouvellement. Outre des demandes tendant au paiement d'heures supplémentaires et de rappel de salaires, la salariée invoquait le caractère abusif de la rupture de la période d'essai.

La cour d'appel de Versailles jugea la rupture abusive aux motifs que le renouvellement de la période d'essai ne pouvait intervenir qu'avec l'accord exprès de la salariée. Or, si l'employeur soutenait qu'un échange de courriers électroniques entre la salariée et l'entreprise manifestait l'accord de la salariée au renouvellement, la cour jugeait que le courriel de la salariée ne contenait "aucun accord, ni acceptation du renouvellement de la période d'essai".

Au soutien de son pourvoi, l'employeur arguait que les juges d'appel avaient dénaturé les courriels soumis à leur examen, que la salariée avait répondu à un courriel l'informant de la possibilité de renouveler la période d'essai sans que ce renouvellement n'ait à être justifié, que la salariée pouvait prendre contact avec un membre du personnel à ce sujet. La réponse de la salariée mentionnait la rencontre avec ladite personne et précisait que, pour elle, "le courrier était nécessaire et formel". De ces éléments, l'employeur déduisait que la salariée avait donné son accord exprès au renouvellement de l'essai.

La Chambre sociale rejette le pourvoi sur ce point. Ecartant toute dénaturation du contenu du courriel, elle estime que la cour d'appel était en mesure d'interpréter le document ambigu et de décider qu'il "ne constituait pas l'accord exprès requis pour que la période d'essai soit prolongée".

II - Le renouvellement de l'essai, relâchement du contrôle du formalisme au profit des juges du fond

  • Une première impression trompeuse : le maintien d'un contrôle strict de la Cour de cassation

Le premier sentiment que suscite cette décision est celui du maintien par la Chambre sociale de sa position très stricte à l'égard du formalisme du renouvellement de la période d'essai.

En effet, non seulement l'accord exprès du salarié ne peut découler de sa signature au bas d'un document établi par l'employeur, mais encore, la réponse du salarié à un courrier électronique de l'employeur relatif au renouvellement de la période d'essai, courrier qui remercie l'employeur pour les précisions apportées et par lequel la salariée semble satisfaite de l'envoi d'un courrier formel ne permet pas de caractériser l'accord exprès de celle-ci.

  • L'abandon du contrôle au pouvoir souverain des juges du fond

On pourra, cependant, tirer comme enseignement direct de cette décision que la Cour de cassation semble abandonner à l'appréciation souveraine des juges du fond l'appréciation du caractère exprès ou non de l'acceptation du salarié au renouvellement. En effet, en acceptant d'exercer un contrôle de la dénaturation du courriel, la Chambre sociale, par effet de miroir, place la question de la qualification du consentement du salarié au renouvellement dans la sphère du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (13).

Il s'agit probablement là d'un changement d'optique de la Cour de cassation. En effet, la Chambre sociale avait jusqu'ici apposé son contrôle sur la nature et le contenu du document utilisé pour recueillir l'accord du salarié, comme en témoignait justement l'arrêt du 25 novembre 2009 où la chambre sociale analysait le document établi par l'employeur et signé par le salarié (14). Il y aurait donc un dessaisissement de la Chambre sociale de son contrôle sur cette question, lequel pourrait avoir pour effet de créer des disparités d'appréciation des exigences formelles du renouvellement de la période d'essai selon les ressorts.

Malgré le risque de disparités géographiques qu'il comporte, ce dessaisissement n'est pour autant pas sérieusement critiquable. En effet, l'une des justifications majeures de l'absence de contrôle de la Cour de cassation sur des éléments de faits tient à ce que la qualification procède ou non d'appréciations d'ordre essentiellement factuel. Or, "lorsqu'il s'agit d'apprécier un état psychologique ou une manifestation de volonté, le contrôle [de la Cour de cassation] sera exclu" (15).

Se trouve, par conséquent, fortement atténué le premier sentiment selon lequel la Chambre sociale entendait garder une appréciation très stricte et formelle du renouvellement de l'essai. En abandonnant aux juges du fond le contrôle de l'accord exprès au renouvellement, la Cour de cassation semble au contraire se désintéresser de cette question. A moins qu'elle ne considère que les années d'interprétation stricte de cette question ont suffisamment façonné la position des juges du fond sur le formalisme du renouvellement de l'essai.

  • L'usage des courriers électroniques implicitement accepté

Enfin, dernier enseignement qui peut être tiré de cet arrêt, l'accord exprès du salarié au renouvellement de l'essai semble pouvoir intervenir par la voie d'un courrier électronique.

Si cette question ne faisait que peu de doutes compte tenu de l'omniprésence contemporaine de la communication électronique (16), la Chambre sociale n'avait jamais véritablement pris position sur cette question. Or, en ne s'attachant qu'au caractère ambigu du contenu du courriel sans prêter attention au procédé de communication lui-même, la Chambre sociale semble bien, a contrario, se satisfaire de ce mode de communication électronique.


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B).
(2) Lire les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL) ; et nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) ; J. Mouly, Sur le caractère impératif de la durée des nouvelles périodes d'essai, SSL, 28 avril 2008, n° 1351, p. 6 ; Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288 ; A. Mazeaud, Un nouveau droit de la formation du contrat de travail dans la perspective de la modernisation du marché du travail ?, Dr. soc., 2008, p. 626 ; A. Sauret, La période d'essai, JCP éd. S, 2008, 1364.
(3) Lire nos obs., La double prévision du renouvellement de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 315 du 30 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7022BG8), obs. sous Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.132, Société Laboratoires Forte Pharma, F-P+B (N° Lexbase : A4981D9D).
(4) Le caractère raisonnable de la durée de l'essai a longtemps été laissé à l'appréciation des juges. V., par ex., Cass. soc., 29 novembre 2000, n° 99-40.174, Mme Danielle Boullet, épouse Roton c/ Société Home 55, société à responsabilité limitée, inédit (N° Lexbase : A2433AYR).
(5) C. trav., art. L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3)
(6) Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) et nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 19 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY), RDT, 2009, p. 579 ; JCP éd. S, 1335, obs. J. Mouly.
(7) Cass. soc., 30 octobre 2002, n° 00-45.185, M. Xavier Nollet c/ Société Casa, F-D (N° Lexbase : A3985A3Y).
(8) Cass. soc., 5 mars 1996, n° 93-40.080, M. Jean-Pierre Dulong c/ Société NMI Trancell, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A2048AA4) ; Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, M. Frédéric Furlotti (N° Lexbase : A2017AIK).
(9) Cass. soc., 5 mars 1996, n° 93-40.080, M. Jean-Pierre Dulong c/ Société NMI Trancell, société à responsabilité limitée, inédit (N° Lexbase : A2048AA4).
(10) Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-43.868, Leclerc c/ SA Sedec et autre, inédit (N° Lexbase : A1711AAM).
(11) Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, préc..
(12) Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, Société Costimex, F-P+B (N° Lexbase : A1681EPX) et nos obs., Formalisme du renouvellement de la période d'essai : le pas de trop ?, Lexbase Hebdo n° 375 du 11 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5941BMY).
(13) Sur cette dualité entre appréciation souveraine qui trouve ses limites dans le contrôle de la dénaturation, v. M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier, La technique de cassation, Dalloz, 6ème éd., pp. 75-81.
(14) Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, préc..
(15) M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier, préc., p. 107.
(16) Rappelons que la Chambre sociale a autorisé la preuve par texto, Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle (SCP) Laville-Aragon, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3964DWQ) et les obs. de Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 30 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).


Décision

Cass. soc., 16 juin 2010, n° 08-43.244, Société Transfer, FS-P+B (N° Lexbase : A0908E3Z)

Cassation partielle, CA Versailles, 6ème ch., 13 mai 2008

Textes cités : néant

Mots-clés : période d'essai ; renouvellement ; formalisme ; contrôle de la Cour de cassation

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Droit des étrangers

[Doctrine] Chronique de droit des étrangers - Juin 2010

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt du Conseil d'Etat du 25 mai 2010 qui précise la condition de recevabilité de la demande de naturalisation tenant à ce que le demandeur ait fixé, en France, de manière stable, le centre de ses intérêts. Si l'autorité administrative peut, notamment, prendre en compte la durée de la présence du demandeur, sa situation familiale, le caractère suffisant et durable des ressources lui permettant de demeurer en France, l'absence d'activité professionnelle ne saurait, à elle seule, constituer un élément dirimant pour faire obstacle à la condition de résidence. Dans le deuxième arrêt, rendu le 11 juin 2010, le Conseil d'Etat juge qu'une stipulation internationale interdisant l'expulsion d'un apatride que pour des raisons de sécurité nationale et d'ordre public ne fait pas obstacle à l'extradition de cet apatride, y compris vers l'Etat dont la personne réclamée a eu la nationalité. Le dernier arrêt de la chronique a été rendu le 27 mai 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui ne juge pas excessif, au regard de sa jurisprudence traditionnelle, la notification des droits attachés à la garde à vue dix minutes après l'interpellation d'un étranger faisant l'objet le même jour d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d'une décision de maintien en rétention administrative.
  • L'exercice d'une activité professionnelle en France n'est pas nécessaire pour l'obtention d'une naturalisation (CE 2° et 7° s-s-r., 25 mai 2010, n° 327922, Ministre de l'Immigration c/ Mme Methari, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6923EXP)

La naturalisation est le mode le plus connu et le plus usuel d'acquisition de la nationalité française par un étranger. Il est régi par les articles 21-15 (N° Lexbase : L2368ABC) à 21-25-1 du Code civil et repose sur trois éléments, auxquels les textes peuvent d'ailleurs déroger dans des cas particuliers : une demande de l'intéressé, un "stage" correspondant à une résidence habituelle en France d'une durée de cinq ans précédant le dépôt de la demande, et un décret concrétisant la décision de l'autorité publique. Si la naturalisation a longtemps été entendue comme un champ d'étude du droit privé, le contentieux de la naturalisation relève du Conseil d'Etat et non des tribunaux civils, même si ce contentieux est demeuré presque inexistant durant de nombreuses années avant d'exploser depuis le milieu des années 1980.

Il a trait presque exclusivement aux conditions de recevabilité de la demande de naturalisation. La naturalisation constituant encore une "faveur accordée par l'Etat français à un étranger", le Conseil d'Etat ne peut que limiter son contrôle à celui de l'erreur manifeste d'appréciation. En revanche, les conditions légalement posées à la recevabilité de la demande de naturalisation lui permettent de faire peser sur l'administration un contrôle normal (1). Parmi ces conditions, la condition de domiciliation en France suscite un contentieux abondant. En effet, si l'article 21-16 du Code civil (N° Lexbase : L2369ABD) dispose que l'étranger doit avoir sa résidence en France au moment du décret de naturalisation, le législateur est resté muet quant au contenu de cette notion de "résidence". La présente décision permet d'éclairer davantage ce que recouvre ce concept de "résidence instantanée".

Il ressort des faits de l'espèce que la requérante résidait en France depuis 2002 avec ses enfants de nationalité française, qu'elle était mariée à un ressortissant français depuis 1979 et qu'elle disposait, conjointement à son mari, d'un compte bancaire ouvert auprès d'une banque en France sur lesquels étaient, notamment, versés les revenus tirés de la location d'un appartement situé en France. Il résulte des dispositions de l'article 21-16 du Code civil que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts (2). Pour apprécier si cette condition est remplie, l'administration peut, notamment, se fonder, sous le contrôle du juge, sur la durée de la présence du demandeur sur le territoire français, sur sa situation familiale et sur le caractère suffisant et durable des ressources qui lui permettent de demeurer en France. Le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire a déduit de ses éléments que la demanderesse devait être regardée comme n'ayant pas fixé en France de manière stable le centre de ses intérêts, alors même que son mari exerce une activité professionnelle de médecin en Algérie.

Pour le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Nantes (3), le ministre a fait une appréciation erronée de la condition posée par l'article 21-16 du Code civil. Le Conseil d'Etat confirme la décision de la cour administrative d'appel en considérant que, "si la circonstance que la personne qui demande à être naturalisée ne peut justifier d'une occupation professionnelle en France peut constituer un élément conduisant à estimer qu'elle n'y a pas fixé sa résidence de manière stable, en particulier lorsqu'il n'est fait état d'aucune ressource provenant de France, l'absence d'activité professionnelle en France ne fait pas obstacle, par principe, à ce que la condition de résidence puisse être jugée remplie, compte tenu des autres circonstances de l'espèce".

En agissant de la sorte, le Conseil applique une jurisprudence constante. La stabilité de la résidence se déduit sinon de la durée de la présence en France, du moins de la continuité du séjour dans ce pays, et surtout de la force des attaches qui relient l'intéressé à la communauté française. La décision d'espèce rappelle, à cet égard, qu'il s'agit plus d'une situation de fait que d'une situation de droit. L'ensemble des données recueillies, essentiellement les attaches matérielles et les liens familiaux, fait l'objet d'une appréciation globale : tel élément permettant de refuser la naturalisation (par exemple, comme en l'espèce, l'origine étrangère des ressources) peut être tempéré par d'autres faits qui rattachent l'individu à la France.

En principe, l'origine étrangère des ressources amène à la conclusion que l'intéressé n'a pas de résidence en France au sens de l'article 21-16 du Code civil. Tel est le cas d'un demandeur qui, s'il se rendait régulièrement à Paris où habite sa famille, résidait en Arabie Saoudite où il exerçait l'activité personnelle d'où provenaient ses revenus (4). Tel est le cas, également, de ressortissants allemands tirant l'ensemble de leurs ressources de l'activité du mari entrepreneur à Francfort alors même que le couple s'était fait construire une maison en Alsace où étaient scolarisés leurs enfants (5). Toutefois, comme le confirme le Conseil d'Etat dans la décision d'espèce, à elle seule, cette donnée n'est pas de nature à faire obstacle à la recevabilité de la demande de naturalisation : tout est affaire d'espèce et d'appréciation par l'administration et le juge administratif de l'intensité, à défaut d'exclusivité, des liens rattachant l'intéressé à la France. Il n'est, ainsi, pas tenu compte des seuls revenus professionnels du demandeur, mais aussi de ses revenus fonciers dès lors, du moins, qu'ils proviennent d'immeubles situés en France, ceci étant le cas en l'espèce (6).

Corrélativement aux liens familiaux et, notamment, à propos de conjoints restés ou repartis à l'étranger, le fait que le conjoint du demandeur réside à l'étranger ne révèle pas nécessairement que le demandeur n'a pas fixé en France le centre de ses intérêts. Si le conjoint n'a pas la nationalité française, le Conseil d'Etat a, par exemple, affirmé qu'était irrecevable la demande d'une femme qui vivait pourtant en France depuis 1978 et qui y exerçait une activité salariée lui procurant des revenus suffisants pour son propre entretien, dès lors que son mari, de nationalité syrienne, exerçait son activité professionnelle et résidait hors de France (7). En sens inverse, dans une affaire où la demanderesse vivait en France depuis une vingtaine d'années avec ses trois enfants mineurs qui avaient acquis la nationalité française, et qui exerçait une activité salariée qui lui procurait des revenus suffisants à son propre entretien et à celui de ses enfants, le Conseil d'Etat estima que, compte tenu des éléments exposés, la condition de résidence stable en France était bien remplie alors qu'il fut opposé, en première instance, que son mari exerçait son activité professionnelle au Maroc (8).

Ce faisant, l'arrêt du Conseil d'Etat s'inscrit dans la ligne de la jurisprudence ayant précisé les contours de la notion de résidence même s'il est possible de déceler une légère évolution de la tendance jurisprudentielle dans un sens plus humaniste, laquelle se traduit en termes chiffrés puisque, si la courbe de l'immigration en France tend à décroître, le nombre de naturalisations n'a jamais été aussi élevé.

  • Les stipulations internationales ne font pas obstacle à l'extradition d'un apatride (CE 2° et 7° s-s-r., 11 juin 2010, n° 334454, M. Sokolowski, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9266EYT)

L'extradition est le mécanisme le plus attentatoire aux droits et libertés des étrangers résidant sur le territoire français et, dans la mesure où elle concerne les relations diplomatiques de la France avec un ou plusieurs Etats étrangers, son exercice a longtemps échappé au contrôle du juge en application de la théorie de l'acte de Gouvernement abandonné depuis les décisions d'assemblée "Decerf" (9) et "Kirkwood" (10). Il constitue un acte détachable des relations diplomatiques et peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le régime juridique de l'extradition est marqué par une grande hétérogénéité des textes. L'on y trouve, en effet, des textes de droit interne qui ne sont pas codifiés au sein du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais essentiellement dans le Code de procédure pénale, et une grande variété de conventions internationales ce qui rend la tache du juge, dans son contrôle, souvent délicate, ce dont témoigne l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 11 juin 2010.

Il ressort des faits de l'espèce que M. d'origine polonaise, s'est vu reconnaître la qualité d'apatride par l'OFPRA. Il a, néanmoins, fait l'objet d'un décret d'extradition le 19 octobre 2009 accordant son extradition aux autorités polonaises eu égard à une décision définitive d'une juridiction polonaise par laquelle il a été condamné pour des faits de récidive de vol avec violence et de récidive de destruction de biens. L'article L. 511-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1298HPR) ne protège pas l'apatride contre une mesure de départ forcé. Pour autant, privé de passeport, il peut, en pratique, difficilement être éloigné du territoire français.

Nonobstant cet état de fait, les autorités françaises ont accordé l'extradition aux autorités polonaises par décret du 19 octobre 2009, décret contesté eu égard, notamment, au fait que la Convention internationale de New York du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides (N° Lexbase : L6795BH7), dans son article 31, interdit toute extradition pour des motifs autres que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public. Dans la mesure où la décision d'extradition revêt la forme d'un décret du Premier ministre sur proposition du Garde des Sceaux, c'est au Conseil d'Etat qu'il revient d'en connaître comme juge de premier et dernier ressort. Il lui appartient donc d'examiner la légalité interne de l'avis attaqué par voie d'exception et l'intégralité de la légalité du décret d'extradition. Pour le Conseil, les stipulations de la Convention de New-York ne font pas obstacle à l'extradition de l'apatride. Au titre de la légalité interne, il écarte en l'espèce beaucoup de moyens qu'il juge inopérants, puis examine le respect des règles de droit interne, notamment les principes généraux du droit qu'il a dégagé tout en vérifiant la bonne application des conventions internationales.

Il ressort de la décision qu'une fois la décision d'admission au statut d'apatride prise, l'intéressé est placé, comme les réfugiés statutaires et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, sous la protection juridique et administrative de l'OFPRA. Pour autant, il existe une certaine ambiguïté quant à l'assimilation entre droit des apatrides et droit des étrangers en droit interne. S'il existe une définition de l'apatride au niveau international (11), cette définition n'est complétée par aucune disposition interne, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile étant, de manière générale, silencieux sur le chapitre du droit de l'apatridie (12). La Convention du 28 septembre 1954 précitée énumère un certain nombre de droits qui reposent sur un principe d'égalité et de non-discrimination avec les étrangers (13). Toutefois, l'article L. 511-4 ne protège pas l'apatride contre une mesure de départ forcé comme il pourrait le faire à propos d'une personne de nationalité française (14), ou d'un réfugié politique, ou d'un demandeur d'asile vers le pays dont il a la nationalité.

Ce dernier principe a été dégagé par le Conseil d'Etat sous forme de principe général du droit de l'extradition en déduction de l'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), qui stipule à son article 33 qu'"aucun des Etats contractants n'expulsera de quelque manière que ce soit un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou liberté seraient menacés". Cet article, qui n'interdit pas par lui-même l'extradition d'un réfugié, est interprété par le Conseil d'Etat pour se prononcer contre l'extradition d'un réfugié vers son pays d'origine (15). Pour autant, et comme en témoigne la décision d'espèce, si un apatride est privé de passeport et peut, en ce sens difficilement être éloigné du territoire français, il n'y a pas d'obstacle a priori à son extradition même si la Convention de New-York affirme, dans son article 31, que "les Etats contractants n'expulseront un apatride se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public". En agissant de la sorte, le Conseil d'Etat fait clairement prévaloir le droit interne sur la stipulation internationale.

Il agit ici de manière contraire à sa jurisprudence traditionnelle dans la mesure où, face à la grande multiplicité des sources, la position du Conseil d'Etat, depuis l'arrêt "Nicolo" (16), est de faire prévaloir la norme internationale, quelle que soit sa date, sur la norme législative. Mais si le juge administratif estime, en règle générale, que les conventions d'extradition visent bien à conférer des droits aux particuliers dont ils peuvent se prévaloir devant lui afin de contester un décret autorisant leur extradition, cette conclusion n'a rien d'automatique. En droit français, les traités internationaux sont généralement présumés produire des effets directs en droit interne, c'est-à-dire créer des droits subjectifs dont les particuliers peuvent se prévaloir devant le juge national. Toutefois, cette présomption est loin d'être irréfragable. C'est le cas lorsque la convention a précisément pour objet de conférer des droits subjectifs aux particuliers, et non exclusivement de régler les relations entre Etats parties (17).

Mais s'il peut paraître logique que les particuliers ne puissent se prévaloir de dispositions dont ils ne sont pas les destinataires, il n'en demeure pas moins que le critère amenant à l'interprétation est éminemment subjectif. L'analyse du juge administratif se fait disposition par disposition, et sa jurisprudence se prête donc mal à une quelconque systématisation ce qui est confirmé par l'arrêt d'espèce et de manière générale par le contentieux de l'extradition. En l'espèce, la stipulation internationale n'est pas retenue par le juge, ce qui peut être vu, sur un plan concret, comme preuve de bon sens, l'impunité étant refusée au criminel se terrant sur le territoire français. Toutefois, ceci peut aussi être discuté sur un plan plus strictement juridique dans la mesure où, si les conventions d'extradition ne créent pas de droits au profit des particuliers, les stipulations conventionnelles imposent bien des devoirs à l'égard de l'Etat. Il peut, à cet égard, paraître fondé d'autoriser les requérants à invoquer ces obligations à l'encontre d'actes réglementaires de la puissance publique qui les méconnaîtraient (18).

  • La notification des droits intervenue dix minutes après l'interpellation ne peut être considérée comme tardive (Cass. civ. 1, 27 mai 2010, n° 09-12.397, F-P+B+I N° Lexbase : A6279EXT)

Susceptibles de concerner toute personne résidant en France, les contrôles d'identité présentent un enjeu spécifique pour les étrangers. En effet, un contrôle peut constituer le prélude à des poursuites pour une infraction à la législation sur l'entrée et le séjour en France et justifier une mesure administrative de départ forcé. Depuis 1995 (19), les conditions d'interpellation d'un étranger peuvent être discutées à l'occasion du recours devant le juge judiciaire contre la demande de prolongation du maintien en rétention administrative. Sur ce fondement, l'étranger placé en rétention à la suite d'un contrôle d'identité irrégulier doit être libéré (20).

Il ressort des faits de l'espèce qu'un étranger de nationalité tunisienne, interpellé le 25 février 2009 à 7h35 lors d'un contrôle d'identité sur réquisitions du Procureur de la république, a reçu notification de ses droits lors de son arrivée au commissariat de police à 7h50. Il a fait l'objet, le même jour, d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d'une décision de maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire. Ecartant le moyen de défense pris de la tardiveté de la notification des droits attachés à la garde à vue, un juge des libertés et de la détention a, par ordonnance du 27 février 2009, ordonné la prolongation de cette mesure. Pour dire la procédure irrégulière, l'ordonnance infirmative retient qu'aucun obstacle n'interdisant de notifier ses droits à l'intéressé lors de son interpellation, la notification intervenue plus de dix minutes après était tardive. En statuant ainsi, alors que n'est pas tardive, la notification, avec ses droits, du placement en garde à vue, intervenue dès l'arrivée de la personne dans les services de police, dix minutes après son interpellation, le premier président a donc méconnu le sens et la portée des règles en la matière.

L'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0961DYA) exige que l'officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l'agent de police judiciaire, informe immédiatement de ses droits toute personne placée en garde à vue. La Cour de cassation souligne que la notification des droits a été réalisée dix minutes précisément après son interpellation, soit en réalité dès son arrivée au commissariat de police, et dès son placement effectif en garde à vue. Or, un tel délai ne saurait être considéré comme excessif au regard de la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation (21) dans la mesure où la notification des droits peut parfaitement être faite au moment de l'arrivée dans les locaux de police (22).

Sur le fond, la garde à vue reste définie comme un simple acte de police judiciaire, modalité pratique de contrainte visant à maximiser l'effectivité de l'enquête en permettant, notamment, l'audition des gardés à vue en situation de rétention. Mesure de police judiciaire, elle ne se confond pas, sauf texte exprès, avec les diverses autres rétentions existantes au titre de la police administrative. L'opportunité de cette mesure concrète est librement appréciée par l'officier de police judiciaire sous le contrôle fonctionnel du magistrat en charge de l'enquête au titre de son pouvoir de direction de la police judiciaire. Il n'existe pas de droit à la garde à vue et à son régime protecteur, notamment le droit à l'avocat. La garde à vue n'est jamais la conséquence nécessaire d'une situation infractionnelle. Seul l'usage préalable de la contrainte (interpellation) oblige l'officier de police judiciaire à y recourir sans alternative possible. En revanche, les modalités de déroulement de la garde à vue et l'effectivité des droits dont bénéficie le gardé à vue font l'objet d'un contrôle juridictionnel étroit sanctionné par des nullités d'ordre public.

Le principe d'immédiateté de la notification des droits reconnus aux gardés à vue, a été posé de longue date (23) par la jurisprudence. De manière générale, tout retard injustifié dans la notification des droits attachés au placement en garde à vue "porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne", (24) et les actes accomplis en méconnaissance de cette formalité substantielle encourent l'annulation alors même que la personne gardée à vue a pu se prévaloir de ses droits. Cependant, des circonstances insurmontables, dûment caractérisées et appréciées souverainement par les juges du fond, peuvent justifier un retard de cette notification. L'état d'ivresse du gardé à vue peut justifier que la notification de ses droits soit différée jusqu'au moment où il sera en état de les comprendre (25). Il en est de même pour les délais de transfert au service même si la jurisprudence est variable dans ce domaine (26). C'est le cas, également, de l'état de santé d'une personne placée en garde à vue qui, saisie d'un froid intense, doit recevoir des soins hospitaliers d'urgence (27) ou de l'attitude de la personne placée en garde à vue qui prétend ne pas comprendre le français (28). Enfin, constituent aussi des circonstances insurmontables les circonstances extérieures comme le siège du commissariat par des manifestants (29).

En revanche, ne constitue par une circonstance insurmontable l'indisponibilité d'un interprète, "alors que l'arrêt attaqué n'invoque aucune circonstance pouvant justifier qu'il ait été impossible, en l'espèce, de faire appel à un autre interprète que celui qui avait été requis" (30). Néanmoins, en sens inverse, l'impossibilité d'obtenir le concours d'un interprète dûment actée en procédure avec le détail des recherches effectuées constitue une circonstance insurmontable justifiant un retard dans la notification des droits (31). De même, ne constituent pas des circonstances exceptionnelles justifiant un retard à l'accomplissement d'une formalité, ou l'omission de celle-ci, des "problèmes informatiques" allégués, sans autre précision (32). Il convient, enfin, de rappeler aussi que la notification des droits peut être faite oralement lors du placement en garde à vue avant une notification écrite ultérieure, la preuve de cette notification pouvant résulter du procès-verbal récapitulatif des opérations de garde à vue signé par l'intéressé (33).

Dans l'arrêt commenté, aucune circonstance insurmontable n'a pu être établie, ce qui n'empêche pas le juge de faire preuve, pour une fois, de souplesse dans l'exigence d'immédiateté de la notification des droits, souplesse qui peut surprendre si l'on tient compte du contrôle juridictionnel assez étroit souvent pratiqué en matière de garde à vue, mais qui peut aussi se comprendre devant les contraintes existantes en la matière.

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) CE, 16 octobre 1985, n° 62331, Akoman (N° Lexbase : A3753AMX), Rec. CE, Tables, p. 629 ; CE, 5 février 1986, n° 62278, Ministre des Affaires sociales c/ Khoualdia (N° Lexbase : A7610AMS), Rec. CE, Tables, p. 529.
(2) CE, 27 juillet 1985, n° 54865, Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale c/ Benedetti (N° Lexbase : A3255AMI), Rec. CE, p. 229 ; CE, 28 février 1986, n° 57464, Ministre des Affaires sociales c/ Bouhanna (N° Lexbase : A4666AMR), Rec. CE, p. 53 ; CE, 28 février 1986, n° 50277, Akhras (N° Lexbase : A4662AMM), Rec. CE, p. 54, AJDA, 1986, p. 320, concl. R. Denoix de Saint Marc.
(3) CAA Nantes, 2ème ch., 24 mars 2009, n° 08NT02998 (N° Lexbase : A2723EIP).
(4) CE, 25 avril 1990, n° 89678, Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi c/ Consorts Takla (N° Lexbase : A7036AQN), D., 1991, p. 44, note P. Guiho.
(5) CE, 26 avril 1988, n° 79261, Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi c/ Consorts Scello (N° Lexbase : A8788AP8).
(6) CE, 13 juin 1986, n° 61108, Mlle Perahia ([LXB=A6299AMA ]). Si les revenus proviennent de biens immobiliers situés à l'étranger, le juge ne tient pas compte des revenus fonciers : CE, 27 avril 1987, n° 63736, Consorts El Helou (N° Lexbase : A4839APW), ou CE, 15 mars 1996, n° 156517, M. Ahmadi (N° Lexbase : A8278ANW), où la demande a été déclarée irrecevable car l'intéressé n'exerçait pas d'activité professionnelle en France et tirait ses revenus de capitaux placés à l'étranger.
(7) CE, 3 novembre 1995, n° 137773, Mme Rahhal (N° Lexbase : A6544ANP) ; voir, dans le même sens, CE, 21 février 1996, n° 147632, Mme Boudiabi (N° Lexbase : A7680ANR), où le juge approuve le retrait pour irrecevabilité de la demande du décret de naturalisation d'une femme, mariée au moment de la signature du décret avec un ressortissant marocain résidant au Maroc et y ayant ses activités professionnelles.
(8) CE, 10 décembre 1993, n° 118611, Brache (N° Lexbase : A1514ANE), Rec. CE, p. 359.
(9) CE, Ass., 28 mai 1937, Decerf, Rec. CE, p. 534.
(10) CE, Ass., 30 mai 1952, Kirkwood, Rec. CE, p. 291.
(11) L'article 1er de la Convention internationale de New York du 28 septembre 1954 définit l'apatride comme la "personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation".
(12) En pratique, l'apatridie résulte de contradictions entre des lois de nationalité, d'une succession d'Etats et de transferts de souveraineté, de la défaillance ou de l'inexistence des lois sur l'enregistrement des naissances, des applications strictes du droit du sol et du droit du sang, ou d'une déchéance de nationalité.
(13) L'article 7 de la Convention internationale de New York précitée énonce que "tout Etat contractant accordera aux apatrides le régime qu'il accorde aux étrangers en général".
(14) Ce principe est posé par les articles 696-2 (N° Lexbase : L0802DYD) et 696-4 (N° Lexbase : L0804DYG) du Code de procédure pénale.
(15) CE, Ass., 1er avril 1988, n° 85234, Bereciartua-Echarri (N° Lexbase : A7654AP8), Rec. CE, p. 135.
(16) CE, Ass., 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo (N° Lexbase : A1712AQH), Rec. CE, p. 190.
(17) Le Conseil d'Etat a, par exemple, pu estimer que les dispositions d'une convention d'extradition franco-colombienne invoqué par le requérant de nationalité colombienne n'étaient pas d'effet direct au motif que des dispositions "qui prévoient la consultation du Gouvernement colombien lorsque l'extradition d'un de ses ressortissants est demandée par un pays tiers, créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir des droits aux intéressés" : CE, Ass., 8 mars 1985, n° 64106, Alvaro Garcia-Henriquez (N° Lexbase : A3150AMM), Rec. CE, p. 70, RDP, 1985, p. 1130, concl. B. Genevois.
(18) Cf. conclusions de R. Abraham sur CE, 23 avril 1997, n° 163043, GISTI (N° Lexbase : A9436ADT), RFDA, 1197, p. 589.
(19) Cass. civ. 2, 28 juin 1995, n° 94-50.002, Préfet de la Haute-Garonne c/ M. Bechta (N° Lexbase : A6192ABX), Bull. civ. II, n° 221, JCP éd. G, 1995, II, n° 22504, concl. J. Sainte-Rose, AJDA, 1996, p. 72, note Legrand.
(20) Voir, par exemple, Cass. civ. 2, 4 février 1998, n° 97-50.027, Procureur général près la cour d'appel de Toulouse c/ Mlle Aggad (N° Lexbase : A2977ACA), Bull. civ. II, n° 43.
(21) Voir, en ce sens, Cass., crim., 27 juin 2000, n° 00-80.411, Mme Z et autres (N° Lexbase : A2247CKG), où "la notification à l'intéressé des dispositions relatives à la durée de cette mesure, intervenue quinze minutes après son interpellation, ne saurait être considérée comme tardive".
(22) Voir, en ce sens, Cass., crim., 23 mars 1999, n° 98-86.263, X (N° Lexbase : A6796CIK).
(23) Cass. crim., 30 avril 1996, n° 95-82.217, Procureur général près la cour d'appel de Versailles (N° Lexbase : A9154ABN), Bull. crim. n° 182.
(24) Cass. crim., 31 mai 2007, n° 07-80.928, Nizard Julien (N° Lexbase : A9586DWX), Dr. pén. 2007, comm. 163, note A. Maron, AJ Pénal, 2007, p. 385, note G. Roussel.
(25) Cass. crim., 19 décembre 2007, n° 07-81.740, Procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, F-D (N° Lexbase : A5096E37), ou Cass. crim., 12 octobre 1999, n° 99-85.089 (N° Lexbase : A1744CSE).
(26) Il a pu être jugé ainsi pour un retard d'une heure (Cass. crim., 21 septembre 1999, n° 99-84.706, N'Siss Abdelouab N° Lexbase : A7551CYC) ou pour un délai de trois heures, justifié par la nécessité de procéder à des actes urgents d'enquête et le délai de transfert (Cass., crim., 4 novembre 1999, n° 99-85.512, Baldacci Jean-Dominique N° Lexbase : A7069CMR). En revanche, un retard de 55 minutes dans la notification des droits expliqué par les nécessités du transfert du service d'interpellation au service compétent (brigade des mineurs) est injustifié, le transfert ne constituant pas une circonstance insurmontable (Cass. crim., 19 décembre 2007, n° 07-83.340, F-D N° Lexbase : A5097E38).
(27) Cass. crim., 17 mai 2000, n° 00-81.149, Andreani Ange (N° Lexbase : A7966CUL).
(28) Cass. civ. 1, 19 juin 2007, n° 06-19.153, Mme Aman-Marie Diloua, F-D (N° Lexbase : A8854DWT).
(29) Cass. crim., 10 avril 1996, n° 94-81.728, Hadjadj Salim (N° Lexbase : A7770CQT).
(30) Cass. crim., 3 décembre 1996, n° 96-84.503, El Saidi Ibrahim (N° Lexbase : A1300AC7), Bull. crim., n° 443.
(31) Cass. civ. 1, 19 juin 2007, n° 06-19.153, Mme Aman-Marie Diloua, F-D (N° Lexbase : A8854DWT), Dr. pén., 2007, comm. 122, note A. Maron.
(32) A propos de l'enregistrement audiovisuel de l'audition d'un mineur, voir Cass. crim., 3 avril 2007, n° 06-87.264, Procureur général près la cour d'appel de Montpellier, F-P+F+I (N° Lexbase : A0382DW3).
(33) Cass., crim., 9 février 2000, n° 99-80.381, Coulibaly Toumani (N° Lexbase : A1286CQP), Bull. crim., n° 64.

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Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Exercice de la profession d'avocat et convention de mise à disposition et de services

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 23 février 2010, n° 09/06754 (N° Lexbase : A9088ESE)

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N4376BPR

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 07 Octobre 2010

Il ne fait aucun doute que, lorsque les parties sont liées par contrat, la rupture du contrat à l'initiative de l'une d'elles, à moins d'avoir été prévue par celui-ci ou de sanctionner un manquement imputable à son cocontractant, constitue une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de son auteur. On pourra, cependant, relever, en premier lieu, que l'existence d'un contrat n'est pas une condition nécessaire à la mise en oeuvre d'une action en responsabilité : ainsi, si la liberté contractuelle implique que la simple rupture des pourparlers ne puisse pas, en tant que telle, constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, c'est bien entendu à la condition que cette rupture ne soit pas abusive. La jurisprudence décide, en effet, que la rupture abusive des pourparlers constitue une faute, au sens de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), donc une faute délictuelle ou quasi-délictuelle, ouvrant droit au versement de dommages et intérêts à la victime. Et, l'on sait, à cet égard, que la faute sera caractérisée non seulement par la déception de la confiance légitime que pouvait avoir la victime dans la poursuite et le succès des négociations, mais encore par la déloyauté de l'auteur de la rupture qui aura laissé se poursuivre des négociations qu'il n'avait en réalité pas l'intention de mener jusqu'à leurs termes, ou bien encore qui aura rompu tardivement, avec brutalité ou avec malice, les pourparlers. En revanche, il est, aujourd'hui, parfaitement acquis que la faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne peut être la cause d'un préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser des gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat (1). On ajoutera, en second lieu, qu'entre ces deux hypothèses, une troisième ne doit pas être écartée : sans qu'aucun contrat ne lie les parties, qui ne sont cependant pas non plus en pourparlers, la rupture d'une relation commerciale établie peut être la source d'une action en responsabilité. Tel est ce que prévoit l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8644IBR), introduit dans le Code de commerce par la loi "Galland" du 1er juillet 1996 (loi n° 96-588, 1er juillet 1996, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales N° Lexbase : L0102BIM), sous le chapitre des "Pratiques restrictives de concurrence", et modifié par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), aux termes duquel tout commerçant ou industriel engage sa responsabilité lorsqu'il rompt "brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" (2). A s'en tenir, ici, au premier des cas de figure qui viennent d'être évoqués, la difficulté consiste souvent dans une question de preuve, puisqu'il importe d'établir l'existence d'un manquement contractuel, généralement au coeur de la discussion entre les parties. Et, il n'est pas rare que, complexifiant encore la situation, celui qui invoque la faute contractuelle de son partenaire tente, plus radicalement, d'obtenir la nullité du contrat. Un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 23 février 2010, à propos d'une contestation portant sur la validité et l'exécution d'une convention de mise à disposition et de services conclue entre un avocat et les avocats associés d'un cabinet groupé, en constitue un exemple.

En l'espèce, une convention de mise à disposition et de services avait effectivement été conclue entre un avocat et des avocats associés. Ceux-ci ayant donné congé à l'avocat, un litige était né entre eux sur les comptes à faire. Les parties avaient saisi le Bâtonnier, puis avaient signé un procès-verbal d'arbitrage. L'avocat avait fait valoir qu'il avait payé un loyer triple de celui qu'acquittaient les locataires principaux, loyer s'ajoutant aux charges communes, qu'il n'avait pas bénéficié des services communs et en avait pâti dans l'exercice de ses activités d'avocat, notamment lors de multiples dysfonctionnements téléphoniques. L'arbitre ayant débouté l'avocat de sa demande en nullité de la convention de mise à disposition et de services, celui-ci avait interjeté appel de la sentence, développant, devant elle, plusieurs arguments, en ordre, il faut bien le dire, quelque peu dispersé. Synthétiquement, il soutenait avoir été victime d'un dol de la part de ses cocontractants qui auraient précipité les discussions ayant précédé la signature de la convention litigieuse, mettait en avant son état de santé précaire ayant au demeurant conduit à une incapacité totale de travail de près de deux ans, invoquait le fait que le cabinet avec lequel il avait contracté avait, dans le même temps que celui de la signature de la convention litigieuse, consenti à un tiers une convention du même type mais pour un coût moindre, et contestait le montant du loyer qui lui était réclamé, estimant que le loyer devait être calculé au prorata de la surface qu'il occupait. De cet enchevêtrement de griefs, il ressortait, en définitive, que l'avocat cherchait à obtenir la nullité de la convention de mise à disposition et de services et, subsidiairement, une indemnité correspondant à la réduction des loyers. Ses prétentions sont, cependant, rejetées par la cour d'appel qui confirme la sentence en toutes ses dispositions. Elle décide, en effet, d'abord, que "c'est par une exacte analyse en fait et en droit que la cour fait sienne que la sentence, ayant retenu à juste titre que les relations avec les tiers sont sans intérêt si elles n'ont pas de conséquences sur la situation personnelle de [l'avocat] et qu'en particulier peu importe par exemple que les titulaires du bail principal n'aient pas obtenu dès l'origine les autorisations administratives, en particulier quant à la déclaration à l'ordre, qui s'est faite tardivement et de manière chaotique mais a été régularisée [...], ce qui n'a pas d'incidence pour le sous-locataire qui ne peut l'invoquer à son profit". La cour poursuit, ensuite, en relevant que l'avocat, "qui a reconnu avoir pris connaissance du bail principal, ne peut soutenir, au seul motif de difficultés de santé qui ne sauraient être imputables à ses cocontractants, que son consentement aurait été vicié", pour en déduire que "la convention [...] qu'il a librement signée ne saurait être annulée". Enfin, après avoir validé le congé régulièrement remis à l'avocat, la cour juge que "le loyer ne peut être ramené à un simple calcul arithmétique lié au montant du loyer principal divisé par le nombre de m² occupé par chacun des locataires, puisqu'il s'agit aussi de services allant au-delà de la mise à disposition d'espaces de travail ou de rangement et justifiant à eux seuls une partie de la somme facturée, autonome vis-à-vis de la surface occupée".

La décision paraît cohérente.

En effet, aucun des arguments avancés par l'appelant au soutient de sa demande en nullité de la convention pour dol ne paraissait convaincant. La preuve du dol, au sens de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9), n'était, en effet, aucunement rapportée, et c'est avec raison que la cour relève que les relations qu'a pu avoir le bailleur avec les tiers sont sans intérêt dans le débat, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles aient eu une incidence sur la situation du demandeur. En outre, c'est à juste titre que la cour décide que le seul argument tiré des difficultés de santé du demandeur n'est pas suffisant à établir la preuve de l'existence d'un vice du consentement : encore aurait-il fallu démontrer que son état de santé l'avait affaibli et que, peut-être, cette situation l'avait rendu moins vigilant et l'avait conduit à se méprendre sur la teneur et/ou la portée de son engagement (3), ce qui n'était manifestement pas le cas.

Les arguments invoqués pour obtenir une réduction du loyer, donc une remise en cause des termes de la convention, ne pouvaient, pas plus que les précédents, emporter l'adhésion. En dehors même du fait, relevé par les magistrats, que, en raison de son expérience professionnelle "très suffisante pour en apprécier, avant de contracter, la justesse", il est acquis que le loyer ne peut être ramené à un simple calcul arithmétique lié au montant du loyer principal divisé par le nombre de m² occupé par chacun des locataires puisqu'il intègre aussi l'accès à un certain nombre de services distincts de la seule occupation des locaux. Au demeurant, l'idée n'est pas propre à l'exercice de la profession d'avocat. Ainsi, par exemple, a-t-il été jugé que le locataire d'un centre commercial qui profite comme tous les autres du service de sécurité doit contribuer au paiement des charges de sécurité, dès lors que les charges de sécurité sont destinées à assurer le financement du personnel de sécurité dont le nombre et la qualification sont imposés et contrôlés par l'administration, faute de quoi celle-ci peut à tout moment révoquer son autorisation d'ouverture au public de l'immeuble entier (4).


(1) Cass. com., 26 novembre 2003, n° 00-10.243, FS-P (N° Lexbase : A2938DA3), JCP éd. E, 2004, p. 738, note Ph. Stoffel-Munck ; Cass. civ. 3, 28 juin 2006, n° 04-20.040, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1027DQ4) ; Cass. civ. 3, 7 janvier 2009, n° 07-20.783, FS-P+B (N° Lexbase : A1578ECG).
(2) M. Pédamon, Nouvelles règles relatives à la rupture des relations commerciales établies, Lamy Droit économique, décembre 2001, n° 146 ; J. Beauchard, Stabilisation des relations commerciales : la rupture des relations commerciales continues, LPA, 5 janvier 1998, p. 14 ; H. Dewolf, Réflexion sur le déréférencement abusif, LPA, 7 février 1997, p. 13 ; P. Vergucht, La rupture brutale d'une relation commerciale établie, RJ com., 1997, p. 129 ; E. Bouretz, L'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : revue de trois ans de jurisprudence, JCP éd. E, 2001, 649 ; J.-M. Meffre, La rupture des relations commerciales établies : 36-5° vs 1135 Harmattan ou Sirocco ?, Cah. dr. entr., 2000, n° 4, p. 10 ; V. Sélinsky, Nouvelles régulations : comment améliorer l'effectivité du droit de la concurrence ?, Rev. Lamy droit aff., 2000, n° 27.
(3) Ou encore que sa faiblesse avait été exploitée, caractérisant une violence au sens de l'article 1112 du Code civil (N° Lexbase : L1200AB3). Mais la jurisprudence se montre exigeante : v. not. CA Toulouse, 15 juin 2004, n° 03/03603.
(4) CA Paris, 13 juin 2001, n° 1999/24425.

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Pénal

[Jurisprudence] L'affaire "La Rumeur" ou les affres de la qualification juridique

Réf. : Ass. plén., 25 juin 2010, n° 08-86.891, Procureur général près la cour d'appel de Versailles, P+B+R+I (N° Lexbase : A2834E3D)

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N6143BP9

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par Cédric Tahri, ATER à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Police nationale injuriée, rappeur relaxé. Ainsi s'achève la longue bataille judiciaire opposant le ministère de l'Intérieur au leader d'un groupe de rap français. Selon l'arrêt attaqué (CA Versailles, 8ème ch., 23 septembre 2008, n° 07/02511 N° Lexbase : A9603EAW, sur renvoi de Cass. crim., 11 juillet 2007, n° 06-86.024, FS-D N° Lexbase : A8873D87), le ministère public a fait citer devant le tribunal correctionnel, sur plainte du ministre de l'Intérieur, du chef de diffamation publique envers une administration publique, M. X, dit "Hamé", membre du groupe de rap "La Rumeur" et auteur de propos publiés, sous l'intitulé "Insécurité sous la plume d'un barbare", dans le livret promotionnel destiné à accompagner la sortie du premier album du groupe, ainsi que M. Y, dirigeant de la société éditrice du livret, en raison de passages mettant en cause la police nationale en ces termes : "Les rapports du ministre de l'Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété" ; "La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique 'Touche pas à mon pote'" ; "La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers, c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières". Le tribunal correctionnel ayant relaxé les prévenus, appel a été interjeté par le ministère public qui fait grief à l'arrêt attaqué de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, alors, selon le moyen, "que constitue une diffamation envers une administration publique, ne pouvant être justifiée par le caractère outrancier du propos, l'imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues". Il ajoute qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), qu'elle a violé.

La Cour suprême adopte une position différente. Elle énonce qu'ayant exactement retenu que les écrits incriminés n'imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, la cour d'appel en a déduit à bon droit que ces écrits, s'ils revêtaient un caractère injurieux, ne constituaient pas le délit de diffamation envers une administration publique.

La Haute juridiction conclut donc à l'absence de propos diffamatoires (I), tout en reconnaissant l'existence de propos injurieux envers la police nationale (II).

I - L'absence de propos diffamatoires envers la police nationale

La définition de la diffamation. L'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme "Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé". Derrière cette définition générique, il y a en réalité plusieurs infractions distinctes selon les personnes ou les corps visés. Sont ainsi réprimées : 1) la diffamation envers les particuliers (loi du 29 juillet 1881, art. 32, alinéa 1er) ; 2) la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (loi du 29 juillet 1881, art. 32, alinéa 2) ; 3) la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap (loi du 29 juillet 1881, art. 32, alinéa 3) ; 4) la diffamation, "à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin à raison de sa déposition" (loi du 29 juillet 1881, art. 31) ; 5) la diffamation envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques (loi du 29 juillet 1881, art. 30). Cette dernière infraction est punie d'une amende de 45 000 euros.

Dans tous les cas, le délit de diffamation ne peut être constitué que si trois éléments sont réunis : il doit tout d'abord exister une allégation ou une imputation d'un fait précis, laquelle doit ensuite constituer une atteinte à l'honneur ou à la considération et, enfin, cette allégation doit viser une personne identifiable (1).

L'imputation d'un fait précis. L'allégation ou l'imputation d'un fait précis est l'élément qui distingue la diffamation de l'injure. De manière constante, la jurisprudence rappelle que pour être diffamatoire, une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire (2). Ainsi, un écrit contenant à l'adresse de l'administration de la police d'une ville des allégations précises, concernant des faits déterminés et distincts des injures relevées, de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération, constitue une diffamation punissable en vertu de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 (3). De la même façon, se rend coupable de diffamation envers une administration publique, l'avocat auteur d'un communiqué de presse de protestation contre les conditions de déroulement d'un procès, qui met en cause la police nationale dans la lutte anti-terroriste, lui imputant d'utiliser des méthodes comparables à celles de la Gestapo ou de la milice du régime de Vichy (4).

L'absence de fait précis. En l'espèce, l'Assemblée plénière a estimé que les écrits incriminés n'imputaient aucun fait précis de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire. Par la même occasion, elle a désavoué la Chambre criminelle qui, dans la même affaire, avait retenu la qualification de diffamation envers une administration publique (5). Sous couvert d'interprétation stricte de la loi pénale, la Haute juridiction a durci sa position. Ne faut-il pas y voir un rappel à l'ordre du ministère public et une mise en garde contre toute erreur de qualification à venir ?

II - L'existence de propos injurieux envers la police nationale

La caractérisation des propos injurieux. Aux termes de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, "Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure". Par exemple, est punissable l'utilisation du terme "barjo" appliqué à un procureur de la République à raison de ses fonctions, expression renforcée par l'emploi du terme argotique "mec" pour désigner ce magistrat (6). Est également condamnable l'expression "gros zébu fou" appliquée au président d'une association de lutte contre le racisme (7).

La notion d'injure pouvant varier avec le temps, la Cour de cassation exerce un contrôle de qualification plein et entier (8). Elle tient compte des circonstances et se livre à une appréciation in concreto des propos litigieux. En l'espèce, les Hauts magistrats considèrent à bon droit que le fait de comparer les policiers à des "assassins" constitue une expression injurieuse. Cette interprétation rejoint celle de la cour d'appel de Versailles (9).

Cela étant, les injures dirigées contre les administrations publiques -et donc la police nationale- entrent dans le champ d'application de l'article 33, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881. Pour mémoire, la jurisprudence interprète le terme d'"administration publique" de manière large. Sont visés toutes les formations hiérarchiques de fonctionnaires chargés de la gestion des biens et des droits de l'Etat, les établissements publics établis en vue de l'utilité publique, ainsi que les centres hospitaliers. En revanche, sont exclus les administrations étrangères, les organisations internationales ainsi que les organismes industriels ou commerciaux.

La sanction des propos injurieux. Toujours selon l'article 33, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, l'injure envers une administration publique est punie d'une amende de 12 000 euros. Seulement cette sanction est inapplicable en l'espèce car le ministère public a donné une qualification erronée aux faits. Et la loi prohibe les qualifications alternatives ou cumulatives (10). La seule issue possible était donc la relaxe du prévenu....au grand dam des occupants de la place Beauvau !


(1) V. Cass. civ. 1, 27 septembre 2005, n° 04-12.148, Société Télévision française TF1 c/ Société Les Laboratoires Cegipharma, FS-P+B (N° Lexbase : A5894DKI), D., 2006, p. 485, note T. Hassler ; Cass. civ. 2, 5 juillet 2000, n° 98-14.255, Société Distrilogie c/ Société Pact informatique (N° Lexbase : A9087AGN), Bull. civ. II, n° 109.
(2) V. Cass. crim., 28 mars 2006, n° 05-80.634, F-P+F (N° Lexbase : A9802DND), Bull. crim., n° 90 ; Cass. crim. 14 février 2006, n° 05-82.475, F-P+F (N° Lexbase : A5133DNG), Bull. crim., n° 40 ; Cass. crim., 6 mars 1974, n° 73-92.256 (N° Lexbase : A2950CGD), Bull. crim., n° 96.
(3) V. Cass. crim., 6 mars 1952, Bull. crim. n° 68.
(4) V. Cass. crim., 3 décembre 2002, n° 01-85.466 (N° Lexbase : A5171A4B), Bull. crim., n° 217.
(5) V. Cass. crim., 11 juillet 2007, précité.
(6) V. CA Paris, 2 mars 1995, Dr. pénal, 1995, 121, obs. Véron.
(7) V. CA Paris, 7 janvier 1998, Dr. pénal, 1998, 66, obs. Véron.
(8) V. Cass. crim., 6 mars 1974, 2 arrêts, n° 73-91.935 (N° Lexbase : A2947CGA) et n° 73-91.936 (N° Lexbase : A2948CGB), Bull. crim., n° 98 et 99.
(9) Rappr. Cass. crim., 9 octobre 1974, n° 73-93.113 (N° Lexbase : A8107CGD), Bull. crim., n° 282 : la phrase "l'armée s'entraîne à noyer dans le sang les révoltes populaires" est injurieuse.
(10) V. Cass. crim., 3 avril 1957, Bull. crim. n° 318.

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