La lettre juridique n°390 du 8 avril 2010 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (février et mars 2010)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité de février et mars 2010. Seront abordés les derniers arrêts rendus en matière de faute technique, de réparation des infections nosocomiales, de prédisposition de la victime ou encore l'actualité de l'indemnisation par la solidarité nationale.

1. Responsabilité médicale

1.1. Responsabilité pour faute

1.1.1. Faute technique

Dès lors que les fautes commises ont retardé le diagnostic de souffrance foetale et ont ainsi contribué directement au préjudice subi par l'enfant et ses parents, en ce qu'ils ont fait obstacle à la mise en place de mesures adaptées pour empêcher ou limiter les conséquences de l'hypoxie à l'origine des déficits et qu'il en est de même des fautes commises lors de l'accouchement qui ont contribué à prolonger la souffrance foetale ou à différer les manoeuvres utiles de réanimation, dont les fautes avaient, au moins pour partie, été à l'origine du dommage, le médecin généraliste, le gynécologue obstétricien et la sage femme doivent être déclarés responsables in solidum de la perte de chance subie par l'enfant de voir limiter son infirmité cérébrale, peu important que l'origine première du handicap soit affectée d'un degré d'incertitude.

Cadre juridique applicable. L'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA) a souhaité soustraire au droit commun de la responsabilité civile la réparation des dommages liés à la naissance d'enfants handicapés, pour en confier essentiellement la prise en charge à la collectivité par le biais de l'aide sociale (1).

L'application de ce dispositif aux enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi a été écartée en raison de sa contrariété avec l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) (2), ce qui autorise ces derniers à agir sur le fondement du droit commun.

L'affaire. Dans cette affaire, un enfant, né le 16 septembre 1993, souffrait d'un polyhandicap sévère lié à des atteintes neurologiques dues pour partie à une mauvaise prise en charge lors de l'accouchement.

La cour d'appel d'Angers avait considéré, suivant en cela le rapport des experts, que les fautes commises par le médecin généraliste, le gynécologue-obstétricien et la sage-femme avaient retardé le diagnostic de souffrance foetale et ainsi directement contribué à la réalisation du préjudice de l'enfant, et de ses parents, en empêchant la mise en oeuvre de mesures qui auraient été de nature à empêcher ou limiter le dommage.

Parmi les nombreux griefs que les demandeurs développaient dans le cadre de leur pourvoi, figurait le rapport d'expertise qui indiquait qu'il n'était pas possible de déterminer l'origine de l'état antérieur du foetus, les fautes n'ayant contribué qu'à hauteur des ¾ à causer le dommage, ce qui serait de nature à écarter l'imputabilité du dommage aux éventuels manquements constatés.

Le rejet logique du pourvoi. L'argument a été écarté par la Cour de cassation. Les médecins et la clinique étaient, en effet, mis en cause pour avoir aggravé le handicap de l'enfant par des fautes ayant retardé le diagnostic ou la prise en charge, et non pour l'avoir entièrement causé (3). Seule importait, par conséquent, la certitude du lien de causalité entre ces fautes et le dommage résidant dans l'aggravation, peu important alors l'origine précise du handicap qui avait été aggravé, puisque cet état antérieur avait été en toute hypothèse prise en compte lors de l'évaluation du préjudice réparable (4). Dès lors, les juges du fond avaient pu souverainement évaluer le quantum de la chance perdue et la part de responsabilité revenant à chacun (5).

  • Cass. civ. 1, 11 mars 2010, n° 09-11.270, Société Medical Insurance company Ltd, représentée en France par la société François Branchet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1775ETW)

L'intervention chirurgicale était une réponse thérapeutique adaptée, même si la nécessité immédiate n'en n'était pas justifiée au regard de l'absence d'éléments en faveur d'une rapide aggravation des troubles.

Solution. L'adoption de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 n'a pas modifié le rôle central de la faute médicale dans la mise en cause de la responsabilité des professionnels de santé et des établissements.

Cet arrêt confirme que les médecins doivent poser un diagnostic adapté aux symptômes du patient (6), et prescrire le traitement adéquat, le degré d'excellence attendu du médecin demeurant établi par référence à un standard de conduite établi à partir des qualités que l'on est en droit d'attendre d'un professionnel de même spécialité (7).

1.1.2. Manquement à l'obligation d'information

  • Cass. civ. 1, 11 mars 2010, n° 09-11.270, Société Medical Insurance company Ltd, représentée en France par la société François Branchet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1775ETW)

En raison du court laps de temps qui avait séparé la consultation initiale et l'opération, la victime n'ayant reçu aucune information sur les différentes techniques envisagées, les risques de chacune et les raisons du choix du chirurgien pour l'une d'entre elles, n'avait pu bénéficier d'un délai de réflexion, pour mûrir sa décision en fonction de la pathologie initiale dont il souffrait, des risques d'évolution ou d'aggravation de celle-ci et pour réunir d'autres avis et d'autres informations nécessaires avant une opération grave à risques. En privant la victime de la faculté de consentir d'une façon éclairée à l'intervention, le chirurgien avait donc manqué à son devoir d'information et ainsi privé le patient d'une chance d'échapper à une infirmité.

Cadre juridique. D'abord déterminé par la jurisprudence, l'étendue de l'obligation d'information qui pèse sur le médecin a été fixée par la loi "Kouchner" du 4 mars 2002. L'article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5232IEI) dispose que l'information "porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus". L'article L. 1111-4 (N° Lexbase : L9876G8B) dispose, pour sa part, que le consentement du patient doit être "libre et éclairé", ce qui implique qu'il doit consentir "en pleine connaissance de cause" (8) et sans subir la moindre pression. Sauf urgence, le médecin doit par conséquent laisser au patient le temps nécessaire à la réflexion. C'est ce que confirme très logiquement cette décision.

Les faits. Dans cette affaire, un patient avait été paralysé à la suite de l'exérèse d'une hernie discale. Il avait alors recherché la responsabilité civile de son médecin à qui il reprochait de ne pas lui avoir laissé suffisamment de temps pour envisager sereinement, le cas échéant après avoir pris l'avis d'autres spécialistes, des alternatives thérapeutiques au traitement chirurgical présentant moins de risques.

La cour d'appel lui avait donné raison et réparé une perte de chance d'avoir pu éviter la paralysie, à hauteur de 80 %. Pour condamner le chirurgien, les juges avaient considéré qu'il avait commis une faute en ne laissant qu'un laps de temps très court au patient entre la consultation initiale et l'opération, ce dernier n'ayant par ailleurs reçu aucune information sur les différentes techniques envisagées, les risques de chacune et les raisons du choix du chirurgien pour l'une d'entre elles, et n'avait donc pu bénéficier d'un délai de réflexion pour mûrir sa décision en fonction de la pathologie initiale dont il souffrait, des risques d'évolution ou d'aggravation de celle-ci et pour réunir d'autres avis et d'autres informations nécessaires avant une opération grave à risques.

La solution est logiquement confirmée par le rejet du pourvoi.

1.2. Infections nosocomiales

  • Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-20.571, Office national d'Indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et nosocomiales (ONIAM), F-D (N° Lexbase : A7638EQX)

Régime applicable rationae temporis. La succession des lois "Kouchner" du 4 mars 2002 et "About" du 30 décembre 2002 (loi n° 2002-1577 N° Lexbase : L9375A8Q) ont sensiblement compliqué la détermination du régime applicable aux victimes d'infections nosocomiales.

La loi du 4 mars 2002 avait traité l'infection nosocomiale comme un cas de responsabilité médicale sans faute ordinaire des établissements, et un cas de responsabilité médicale pour faute des professionnels de santé. L'ONIAM ne devait donc intervenir qu'en cas d'aléa thérapeutique, d'absence de faute d'un professionnel de santé, ou en cas de refus d'offre ou d'épuisement des garanties d'assurance, dans les conditions du droit commun.

La loi du 31 décembre 2002 a modifié ce schéma pour la responsabilité des établissements de santé ; ces derniers demeurent bien responsables sans faute, mais uniquement pour les dommages les moins graves. Dès lors que la victime de l'infection est décédée ou présente un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %, l'ONIAM indemnisera la victime et se retournera contre l'établissement, mais uniquement si ce dernier a commis une faute (9).

Ce régime issu de la loi du 30 décembre 2002 a modifié les règles d'indemnisation et a été logiquement déclaré applicable uniquement aux infections contractées à partir du 1er janvier 2003 ; pour celles qui ont été contractées entre le 5 septembre 2001 et le 31 décembre 2002, ce sont les dispositions de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi du 4 mars 2002, qui continuent de s'appliquer (10), comme le démontre cet arrêt rendu le 28 janvier 2010 et qui concernait une opération réalisée le 2 octobre 2001.

L'affaire. Dans cette affaire, l'assureur de l'établissement au sein duquel la patiente avait contracté l'infection litigieuse avait refusé de faire une offre d'indemnisation et l'ONIAM s'était donc substitué à lui, comme le prévoit l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2468DKM), puis retourné contre lui par subrogation dans les droits de la victime.

La cour d'appel avait retenu dans ce cadre la responsabilité in solidum de l'établissement et du médecin ayant opéré à titre libéral la patiente, après avoir relevé que tous deux étaient tenus, à l'égard de celle-ci, d'une égale obligation de sécurité de résultat.

La solution correspondait à l'état de la jurisprudence depuis 1999 (11), mais ne tenait pas compte de la date de l'infection qui entrait dans le champ d'application temporel de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002. Or, l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique a certes repris à son compte le principe d'une responsabilité sans faute des établissements de santé dégagé en 1999 par la Cour de cassation par le truchement de l'obligation de sécurité de résultat, mais pas pour les professionnels de santé qui ne peuvent voir leur responsabilité engagée qu'en cas de faute prouvée.

Dès lors, les juges qui statuent dans le cadre du recours subrogatoire de l'ONIAM ne peuvent pas, en principe, condamner in solidum l'établissement et le médecin. En effet, ou le médecin a commis une faute, et non l'établissement, et dans ce cas il répond seul de l'intégralité du dommage (12), ou il n'en a pas commis et, n'engageant pas sa responsabilité, il ne saurait être condamné aux côtés de l'établissement dans le cadre du recours de l'Office.

La cassation s'imposait donc, puisque les juges du fond avaient condamné le médecin, qui plus est intégralement, sans avoir caractérisé la moindre faute à sa charge.

1.3. Prédispositions de la victime

  • Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-20.571, Office national d'Indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et nosocomiales (ONIAM), F-D (N° Lexbase : A7638EQX)

Le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

Principes applicables. Cet arrêt confirme le rôle que joue classiquement l'état antérieur de la victime lors de la détermination de l'étendue de son droit à indemnisation du dommage corporel (13).

Le juge civil ne prend, en effet, en compte que les prédispositions avérées de la victime et refuse de tenir compte de l'état latent (14), et ce depuis la fin des années 1950 (15). La Chambre criminelle retient, d'ailleurs, des solutions identiques (16). La prise en compte effective de l'état antérieur est rare (17) et conduira à des résultats variables (18).

Confirmation en l'espèce. Dans cette affaire, une patiente âgée de 79 ans avait présenté une infection bactérienne à la suite d'une reprise de prothèse de hanche effectuée le 2 octobre 2001, ce qui l'a conduit, malgré la mise en place d'une antibiothérapie, à une ablation totale entraînant une perte d'autonomie et son admission en maison de retraite.

L'assureur de l'établissement ayant refusé sa garantie, l'ONIAM a indemnisé la patiente, conformément aux dispositions de l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique, puis exercé une action subrogatoire en responsabilité contre l'établissement et contre le chirurgien.

Pour limiter à 50 % les sommes dues à l'ONIAM au titre des préjudices subis par la victime, l'arrêt d'appel avait retenu, à la suite du rapport d'expertise, que l'âge de la victime intervient comme un facteur péjoratif dans le risque infectieux postopératoire et qu'il y a lieu, dans l'évaluation des préjudices, de tenir compte de son passé médical antérieur, étant rappelé qu'il s'agissait d'une intervention chirurgicale programmée sur un terrain présentant des risques liés, d'une part, à l'âge et, d'autre part, au fait d'un geste itératif de remplacement de prothèse, lesquels risques se sont d'ailleurs réalisés sous forme d'une infection nosocomiale avec sa spirale thérapeutique conséquente. Dès lors, il convenait de considérer que l'état de santé de la victime étant altéré par ses antécédents, le préjudice subi lui a fait perdre une chance d'éviter les séquelles liées à la dépose de la prothèse rendue nécessaire par l'infection, cette dépose ayant entraîné une perte de longueur du membre inférieur ainsi qu'une perte de mobilité et d'autonomie.

L'arrêt est cassé au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), la Cour de cassation considérant que "le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable".

Commentaire. La solution retenue n'appelle pas de remarque particulière en ce qu'elle fait ici application d'une jurisprudence désormais bien établie. Les juges du fond ne peuvent en effet retenir l'état antérieur de la victime que si celui-ci s'était manifesté avant la survenance du dommage de manière évidente, ce qui exclut d'en tenir compte au titre d'un état latent.

On s'étonnera, en revanche, du visa de l'article 1147 du Code civil dans une affaire mettant en cause des faits postérieurs au 5 septembre 2001, étant entendu que, depuis cette date, l'application de la loi du 4 mars 2002 s'impose sans qu'il soit par ailleurs possible de continuer à invoquer l'application du droit commun de la responsabilité civile ou administrative (19). Or, l'article L. 1142-15, alinéa 4, du Code de la santé publique, dispose bien qu'après avoir indemnisé la victime en lieu et place de l'assureur défaillant, "l'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, contre son assureur". Dès lors, le recours de l'ONIAM doit être fondé sur les articles L. 1142-15 (principe du recours) et L. 1142-1 du Code de la santé publique (responsabilité de l'établissement), mais nullement sur celles de l'article 1147 du Code civil.

Portée sur la pratique des commissions. Cette décision est importante car elle démontre qu'en dépit de l'intervention de la loi du 4 mars 2002, rien ne doit changer dans la prise en compte de l'état antérieur. Or, tel n'est pas toujours le cas devant les Commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI) et l'ONIAM pousse d'ailleurs au partage entre les conséquences directes de l'accident médical, et la part devant revenir à l'état antérieur.

Il faut dire que la rédaction de l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique, oriente plutôt vers ce partage. Le texte, qui définit les conditions d'indemnisation par l'ONIAM, fait, en effet, référence aux accidents médicaux qui "ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci", suggérant ainsi qu'il conviendrait de tenir compte de l'état antérieur de la victime pour ne contraindre l'office à indemniser que la part de l'état final imputable au seul accident.

C'est donc à une interprétation restrictive que se livre ici la Cour de cassation. Si l'anormalité des conséquences est une condition de l'indemnisation au titre de la solidarité, seul l'état antérieur révélé avant l'accident justifiera désormais une réduction de l'indemnisation, et non tout état antérieur.

2. Indemnisation au titre de la solidarité

  • Cass. civ. 1, 11 mars 2010, n° 09-11.270, Société Medical Insurance company Ltd, représentée en France par la société François Branchet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1775ETW)

Il résulte du rapprochement des articles L. 1142-1 et L. 1142-18 du Code de la santé publique que ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices, non indemnisés, ayant pour seule origine un accident non fautif.

Cadre juridique applicable. La loi "Kouchner" du 4 mars 2002 a substitué au droit commun de la responsabilité civile et administrative un régime légal d'indemnisation poursuivant un objectif propre empruntant pour partie ses principes au droit de la responsabilité civile, et pour partie à une logique de solidarité.

La doctrine, qui a abondamment commenté ce dispositif nouveau, n'a pas manqué de souligner l'articulation des régimes de responsabilité et de solidarité et le caractère subsidiaire du régime de solidarité, puisque lorsqu'elle est caractérisée la responsabilité d'un établissement ou d'un professionnel de santé doit être mise en cause, à l'exclusion du régime de solidarité qui n'intervient qu'en l'absence de responsabilité établie, qu'il s'agisse d'ailleurs de responsabilité médicale ou de la responsabilité d'un producteur de produit de santé (20).

La loi a toutefois prévu l'hypothèse dans laquelle un accident médical pourrait n'avoir été causé que partiellement par une faute médicale, et que, dans cette hypothèse, la commission émet un avis qui détermine la part qui revient à la responsabilité et celle qui devra être prise en compte par l'ONIAM (21).

Les faits. Dans cette affaire, déjà évoquée au titre du manquement du médecin à son obligation d'information, la juridiction d'appel avait conclu que la faute commise par le médecin qui n'avait pas laissé suffisamment de temps au patient pour prendre une décision éclairée sur le traitement à suivre pour une hernie discale, lui avait fait perdre une chance de se soustraire à l'accident médical, perte de chance évaluée à 80 %. La victime avait donc logiquement demandé à ce que les 20 % restant soient imputés à la réalisation d'un aléa thérapeutique et que l'ONIAM soit condamné dans cette proportion. Elle avait été, sur ce point, déboutée, la cour d'appel ayant considéré que, dès lors qu'une faute, quelle qu'elle soit, a été retenue à l'encontre du praticien, l'indemnisation est à la charge de ce dernier, l'obligation d'indemnisation au titre de la solidarité nationale n'étant que subsidiaire.

L'arrêt est logiquement cassé, sur ce point, la Haute juridiction relevant que "l'indemnité allouée à [la victime] avait pour objet de réparer le préjudice né d'une perte de chance d'éviter l'accident médical litigieux, accident dont la survenance n'était pas imputable à une faute [du médecin], à l'encontre duquel avait été exclusivement retenu un manquement à son devoir d'information". En d'autres termes, les 20 % manquant étaient bien la conséquence de la réalisation d'un aléa thérapeutique, n'engageant pas la responsabilité d'un médecin ou d'un établissement de santé et devant donc être prise en charge par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Une solution logique. La thèse retenue par la cour d'appel n'était pas totalement inepte. L'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique dispose, en effet, que l'ONIAM indemnise la victime "lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement ou d'un service" n'est pas engagée, ce qui pourrait accréditer la thèse d'une obligation de l'Office présentant un caractère purement subsidiaire par rapport à celle des assureurs de responsabilité. Par ailleurs, l'article L. 1142-18 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4426DLI), qui permet le partage entre les deux volets du système d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, vise "la commission" et pourrait donc bien ne pas concerner le juge.

Ce double argument de texte ne résiste toutefois pas longtemps à l'analyse.

L'article L. 1142-1-II du Code de la santé publique pose, en effet, un principe auquel l'article L. 1142-18 fait exception. C'est donc dans l'interprétation de ce dernier que réside la solution. Or, même si effectivement ce texte ne vise que la commission, il se situe dans une section IV consacrée à l'"Indemnisation des victimes", de telle sorte qu'il est possible, et même souhaitable, de considérer qu'il exprime une règle de fond, et non de procédure. Tel est, en toute hypothèse, l'esprit du système mis en place.

Une solution qui met en évidence le rôle déviant du défaut d'information. Il est des hypothèses dans lesquelles un accident médical non fautif et une faute médicale peuvent avoir causé ensemble le dommage à la victime, sans que la logique ne s'en trouve atteinte. Il en ira ainsi toutes les fois que la faute médicale intervient postérieurement à l'accident et n'a pas permis d'en limiter les conséquences dommageables pour le patient, ou a contribué à aggraver son état. Dans cette hypothèse, il va de soi qu'il conviendra de déterminer la part du dommage imputable à l'accident médical, et celle qui incombe à la faute médicale ou à une éventuelle infection nosocomiale contractée postérieurement à celui-ci.

Il semble, en revanche, plus délicat d'admettre un partage lorsque la faute médicale a précédé l'accident médical, qu'on envisage, en effet, la faute technique ou le manquement à l'obligation d'information, car le constat dans la même affaire d'une faute médicale ayant causé le dommage et d'un aléa nous semble logiquement incompatible, tout comme la faute et la force majeure ne peuvent logiquement cohabiter en matière de responsabilité civile. En effet, ou une faute médicale ayant été à l'origine du dommage est caractérisée, et l'accident ne saurait logiquement être imputé à un aléa thérapeutique, où le dommage est bien imputable à un aléa thérapeutique et dans ce cas la faute médicale, même caractérisée, est indifférente à la survenance du dommage imputable à la seule survenance de l'aléa.

Cette incompatibilité logique, déjà perceptible pour la faute technique, nous semble encore plus évidente lorsqu'on envisage l'existence d'un manquement à l'obligation d'information portant sur l'existence du risque qui s'est finalement réalisé.

Le caractère artificiel de ce raisonnement avait été souligné avant la réforme intervenue en 2002 (22), même si le tour de passe-passe pouvait, à la rigueur, être admis compte tenu du refus de faire peser sur le médecin la réparation des conséquences d'un aléa thérapeutique et du souci louable d'indemniser les victimes (23).

Mais depuis que l'ONIAM a été créé précisément pour indemniser les victimes d'aléas thérapeutiques, il nous semble que ce raisonnement devrait être banni, même si l'ONIAM, par le biais de ses représentants au sein des CRCI, continue d'en réclamer systématiquement l'application pour tenter de limiter l'étendue de ses obligations et ce afin de provoquer un partage sur le fondement de l'article L. 1142-18 du Code de la santé publique, partage qui aboutit au même résultat que l'application de la théorie de perte de chance, comme le démontre d'ailleurs l'arrêt rendu le 11 mars 2010 (24).

Or, ce partage nous semble totalement illogique dès lors qu'est en cause l'existence d'un aléa thérapeutique, puisqu'il permet à l'ONIAM de s'exonérer, en tout ou partie, de ses propres obligations, ce qui aboutit à considérer finalement son rôle comme en partie subsidiaire (25). Du point de vue de l'Office, en effet, il importe peu de savoir si une faute a été commise antérieurement à l'accident médical, dès lors que l'existence d'un aléa thérapeutique a été admise par les experts, celle-ci ne pouvant, par hypothèse, avoir contribué à causer un dommage qui se serait de toute façon réalisé.

C'est d'ailleurs bien pour cette raison que nous avions proposé d'écarter d'emblée la possibilité de retenir comme faute médicale, dans le cadre défini par l'article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique, le manquement du médecin ou de l'établissement à son obligation d'information, celui-ci ne pouvant être sanctionné que par l'attribution de dommages et intérêts distincts réparant le préjudice causé par la privation de son droit à l'information et de décider, de manière éclairée, des actes médicaux concernant sa personne (26).

L'affirmation par la première chambre civile du caractère non subsidiaire des propres obligations de l'ONIAM devrait donc conduire non pas à admettre un partage avec la responsabilité lorsqu'un défaut d'information a précédé la réalisation de l'aléa thérapeutique, comme cela a été admis dans cette affaire, mais au contraire à exclure tout partage avec la responsabilité pour la réparation des conséquences de la réalisation de l'aléa thérapeutique, au bénéfice de la seule obligation de l'Office.


(1) Aujourd'hui, C. act. soc. fam., art. L. 114-5 (N° Lexbase : L8912G8L).
(2) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, M. Eric Lallement, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), JCP éd. G, 2008, II, 10166, avis C. Melloté, note P. Sargos ; et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 6 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI).
(3) Pour une hypothèse où les souffrances foetales n'ont pas été imputées à des fautes médicales : Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 03-17.035, M. Kouider Houari c/ M. Edouard Bouche, F-D (N° Lexbase : A3661DEC).
(4) Lire S. Hocquet-Berg, Les prédispositions de la victime dans Etudes offertes à Hubert Groutel, Litec, 2006, p. 169.
(5) Pour une hypothèse de réparation intégrale dans une hypothèse comparable, par le Conseil d'Etat : CE 4° et 5° s-s-r., 16 décembre 2005, n° 251543, Centre Hospitalier Départemental de la Roche-sur-Yon (N° Lexbase : A0961DMK).
(6) Pour une hypothèse de réponse thérapeutique inadaptée : Cass. civ. 1, 27 janvier 2004, n° 01-13.499, M. Benrabah c/ Société Clinique Sainte-Isabelle, F-D (N° Lexbase : A0359DBW).
(7) Sur l'appréciation de la "faute diagnostique" (expression inédite) : Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08-15.560, M. Philippe Nevière, F-D (N° Lexbase : A4234EIN), et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à juillet 2009) (troisième partie), Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9249BL7).
(8) Cass. civ. 1, 27 octobre 1953, Gaz. Pal., 1954, 1, p. 148.
(9) C. santé publ., art. L. 1142-1-1 (N° Lexbase : L1859IEL).
(10) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-17.605, Association Centre chirurgical Marie Lannelongue, établissement de soins privés, F-P+B (N° Lexbase : A8084EAN), et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre à décembre 2008), Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 (N° Lexbase : N2339BIH).
(11) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-15.818, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A6644AHK), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos.
(12) Sauf à démontrer l'existence d'une faute également commise par l'établissement, notamment en matière de prévention des infections, ce qui provoquera un partage à proportion de la gravité des fautes respectives.
(13) S. Hocquet-Berg,préc., 2006, pp. 169-187. Dernièrement, en matière d'accidents de la circulation, Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, n° 08-16.920, Mme Sabrina Espigue, FS-P+B (N° Lexbase : A1675END).
(14) Jurisprudence antérieure: Cass. crim., 14 janvier 1971, n° 69-92.994 (N° Lexbase : A3767CHY), Bull. crim., n° 13 ; Cass. civ. 1, 15 février 1972, n° 70-11.489 (N° Lexbase : A5163CHP), Bull. civ. I, n° 51 : "la réparation du dommage ne saurait incomber pour le tout a son auteur lorsque la partie lésée a contribue au fait préjudiciable ou lorsqu'il a été relève chez la victime une prédisposition à ce dommage".
(15) Cass. civ. 1, 16 mai 1959, Bull. civ. 1, n° 299.
(16) Cass. crim., 10 avril 1973, n° 71-92.772 (N° Lexbase : A8959CGW) ; Cass. crim., 13 juillet 2006, n° 04-19.380, inédit (N° Lexbase : A4334DQL), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 361, obs. S. Hocquet-Berg ; RTDCiv., 2007, p. 128, obs. P. Jourdain. Cass. crim., 30 janvier 2007, n° 05-87.617 (N° Lexbase : A3011DU3), Bull. crim., n° 23, Droit pénal 2007, n° 6, p. 25, note M. Véron. Cass. crim., 16 juin 2009, n° 08-88.283, inédit (N° Lexbase : A7598EIA).
(17) Cass. civ. 2, 24 janvier 2002, n° 00-10.650, M. Bernard Rémond c/ Mme Nelly Burgot, F-D (N° Lexbase : A8407AXN) : "l'accident a seulement provoqué une décompensation douloureuse d'un état arthrosique antérieur mais n'a pas modifié cet état, qui, même sans l'intervention de l'accident, aurait conduit à l'incapacité fonctionnelle".
(18) Cass. crim., 18 février 2003, n° 02-84.254, inédit (N° Lexbase : A4880EUB) (réduction de moitié) ; Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-14.015, Mme Anne Didier, épouse Motin c/ M. Pascal Boudier, F-D (N° Lexbase : A4032A44).
(19) En ce sens notamment F. Dreifuss-Netter, Feue la responsabilité civile contractuelle du médecin ?, Resp. civ. et assur., 2002, chron. 17.
(20) Solution qui résulte expressément de l'article L. 1142-1-I du Code de la santé publique.
(21) C. santé publ., art. L. 1142-18 (N° Lexbase : L4426DLI).
(22) M. Lamarche, Heurs et malheurs de l'obligation d'information en matière médicale, RRJ, 1998, pp. 1223-1241.
(23) Cass. civ. 1, 8 novembre 2000, n° 99-11.735, M X c/ M Yet autre (N° Lexbase : A7649AHR), Resp. civ. et assur., 2000, comm. 375 : "Attendu que la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient" ; Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 99-13.471, M. Vlado Smatt c/ Mlle Soumilla Rahilou, F-P (N° Lexbase : A1115ATH), Resp. civ. et assur., 2001, chron. 13, par Ch. Radé.
(24) Selon les propres statistiques fournies par l'Office, le pourcentage de partages opérés entre la faute et l'aléa oscille entre 6 et 14 % (2,17 % pour 2003, 6,07 % pour 2004, 11,33 % pour 2005, 14,27 % pour 2006 et 6,59 % pour 2007).
(25) Un même raisonnement nous conduit d'ailleurs à souhaiter interdire le recours de l'EFS contre le conducteur du véhicule impliqué dans l'accident s'agissant de la réparation du préjudice spécifique de contamination (en ce sens Resp. civ. et assur., 2006, comm. 226).
(26) En ce sens, notre étude dans Resp. civ. et assur., mai 2002, chron. 7, p. 7.

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