Jurisprudence : Cons. const., décision n° 87-232 DC, du 07-01-1988

Cons. const., décision n° 87-232 DC, du 07-01-1988

A8176ACS

Référence

Cons. const., décision n° 87-232 DC, du 07-01-1988 . Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/895234-cons-const-decision-n-87232-dc-du-07011988
Copier
CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°87-232 DC du 07-01-1988


Publié au Journal officiel du 10 janvier 1988
Rec. p. 17

Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 11 décembre 1987, d'une part, par MM Pierre Joxe, Lionel Jospin, Laurent Fabius, Henri Nallet, Maurice Adevah-P uf, Jean Anciant, Jean Auroux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Alain Barrau, Philippe Bassinet, Jean Beaufils, Pierre Bérégovoy, André Billardon, Gilbert Bonnemaison, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron (Ille-et-Vilaine), Pierre Bourguignon, Mme Denise Cacheux, MM Alain Calmat, Guy Chanfrault, Alain Chênard, Didier Chouat, André Clert, Jean-Hugues Colonna, Gérard Collomb, Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Freddy Deschaux-Beaume, Jean-Pierre Destrade, Raymond Douyère, Mmes Georgina Dufoix, Martine Frachon, M Gérard Fuchs, Mme Françoise Gaspard, MM Maurice Janetti, Charles Josselin, Jean Lacombe, André Laignel, Mme Catherine Lalumière, MM Michel Lambert, Christian Laurissergues, Georges Le Baill, Jean-Yves Le Déaut, Robert Le Foll, Jean Le Garrec, André Ledran, Mme Ginette Leroux, MM François Loncle, Martin Malvy, Philippe Marchand, Michel Margnes, Joseph Menga, Pierre Métais, Gilbert Mitterrand, Mme Christiane Mora, M Jean Oehler, Mme Jacqueline Osselin, MM François Patriat, Jean Peuziat, Christian Pierret, Charles Pistre, Jean-Claude Portheault, Henri Prat, Philippe Puaud, Jean-Jack Queyranne, Noël Ravassard, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM Dominique Saint-Pierre, Michel Sapin, Mme Odile Sicard, M René Souchon, Mme Gisèle Stiévenard, MM Olivier Stirn, Yves Tavernier, Mme Catherine Trautmann, MM Guy Vadepied, Michel Vauzelle, députés, et, d'autre part, par MM André Méric, Jules Faigt, Marcel Costes, Jean Peyrafitte, Léon Eeckhoutte, Robert Pontillon, Germain Authié, Michel Dreyfus-Schmidt, Lucien Delmas, Louis Perrein, René Régnault, Philippe Madrelle, Robert Laucournet, André Rouvière, Robert Guillaume, Jacques Bialski, Marcel Bony, François Louisy, Philippe Labeyrie, François Autain, Franck Sérusclat, Guy Allouche, Gérard Gaud, Michel Moreigne, Albert Ramassamy, Michel Manet, Marc B uf, Albert Pen, Marcel Debarge, Roland Courteau, Bastien Leccia, Marcel Vidal, Jean-Pierre Masseret, Jacques Carat, Mme Irma Rapuzzi, MM Claude Estier, Jean-Luc Mélenchon, Paul Loridant, Jacques Bellanger, Guy Penne, Charles Bonifay, Roger Quilliot, Robert Schwint, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Bernard, Georges Benedetti, Jean-Pierre Bayle, Gérard Roujas, Roland Grimaldi, Rodolphe Désiré, Maurice Pic, André Delelis, Pierre Matraja, Félix Ciccolini, Fernand Tardy, Raymond Tarcy, Gérard Delfau, Michel Darras, Tony Larue, Louis Longequeue, Michel Charasse, René-Pierre Signe, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent en premier lieu que l'ensemble de la loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole est contraire à la Constitution en raison même de son objet, en second lieu que les dispositions particulières des articles 2, 3, 6, 8, 15 et 17 de la loi sont également contraires à la Constitution ;

Considérant que les sénateurs auteurs de l'autre saisine demandent que les dispositions de l'article 15 de la loi qu'ils défèrent au Conseil constitutionnel soient déclarées contraires à la Constitution ;
Sur l'ensemble de la loi et sur le principe de la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole
Considérant que, selon son intitulé, la loi présentement examinée a pour objet la " mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole " ;
que, pour l'essentiel, le législateur a entendu la mutualisation de la manière suivante :
une société anonyme, régie par la loi du 24 juillet 1966, est substituée à l'établissement public dénommé Caisse nationale de crédit agricole ;
cette société, qui garde le nom de l'ancien établissement, recueille l'ensemble de son patrimoine et demeure chargée des mêmes missions ;
l'Etat, détenteur des actions de la société, est autorisé à céder celles-ci à des catégories limitativement énumérées de personnes morales ou physiques, au premier rang desquelles les caisses régionales de crédit agricole mutuel, dont l'ensemble se voit d'ailleurs réserver près des neuf dixièmes du capital social ;
qu'ainsi la mutualisation, telle que l'a conçue le législateur, résulte non de la soustraction de la caisse nationale au droit commun des sociétés anonymes, sinon sur certains points particuliers, mais du fait que la possibilité d'en devenir actionnaire est réservée aux caisses régionales de crédit agricole mutuel et accessoirement à des personnes physiques ayant des liens avec le crédit agricole mutuel ;

Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines font valoir à l'encontre de cette opération de mutualisation et donc de l'ensemble de la loi, d'une part, qu'un tel objet ne saurait être réalisé par voie d'autorité, d'autre part, qu'en limitant à certaines catégories de personnes le droit d'acquérir des actions de la société substituée à l'ancien établissement public, la loi a méconnu le principe constitutionnel d'égalité ;
En ce qui concerne le grief tiré du caractère autoritaire de la mutualisation
Considérant que, selon les députés auteurs de l'une des saisines, le législateur ne s'est pas borné à transférer au secteur privé une entreprise du secteur public, mais qu'il a entendu créer par voie d'autorité un organisme mutualiste alors que, par sa nature même, une opération de mutualisation ne peut procéder que de la volonté des intéressés ;

Considérant qu'il ressort des articles 6 et 17 de la loi que les caisses régionales de crédit agricole mutuel auxquelles seront offertes des actions de la caisse nationale peuvent décliner cette offre et que, faute d'une acceptation par un nombre suffisant de caisses régionales, l'Etat conservera la propriété de la totalité des actions ;
qu'ainsi le moyen manque en fait ;
En ce qui concerne le grief tiré de ce que l'acquisition des actions de la caisse nationale est réservée aux caisses régionales
Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que " la loi rompt gravement l'égalité entre les citoyens dès lors qu'elle réserve à quelques-uns d'entre eux seulement la possibilité d'acquérir le capital de la Caisse nationale de crédit agricole " ;
qu'en effet, aussi longtemps que la caisse est demeurée dans le secteur public, c'est l'universalité des citoyens qui en a tiré bénéfice et que, dès lors, en cas de transfert au secteur privé, c'est l'universalité des citoyens qui doit avoir accès à son rachat ;
que, toujours selon les auteurs de la saisine, l'article 34 de la Constitution, par ses termes mêmes, exclut la privatisation au profit de certaines catégories de personnes et la création " d'une catégorie particulière et fermée de ce qu'on pourrait appeler les acquéreurs des biens nationaux " ;
qu'enfin, on ne saurait justifier les dispositions de la loi ainsi critiquées par la différence de situation qui existerait entre les caisses régionales de crédit agricole et les autres acquéreurs potentiels d'actions de la caisse nationale car, ni en droit ni en fait, les caisses régionales de crédit agricole ne se distinguent de bien d'autres établissements bancaires ;

Considérant que, dès lors, selon les auteurs de cette saisine, si la loi a pu légitimement réserver une petite partie des actions de la caisse nationale à certains salariés, elle est en revanche contraire à la Constitution en ce qu'elle dénie le droit d'acquérir des actions de la nouvelle société à toutes personnes autres que celles qu'elle énumère ;

Considérant que, si l'article 34 de la Constitution attribue compétence au législateur pour fixer les règles concernant " les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ", il ne lui impose, par lui-même, aucune modalité particulière pour la réalisation de ce transfert ;
que, cependant, dans l'exercice de sa compétence, le législateur ne saurait méconnaître aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, et notamment le principe d'égalité ;

Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;

Considérant que, né à la fin du siècle précédent, le Crédit agricole mutuel, sous la double impulsion des sociétaires et des pouvoirs publics, a abouti à la constitution d'un réseau bancaire composé des caisses locales, des caisses régionales et de la Caisse nationale de crédit agricole ;
que, d'ailleurs, l'existence d'un tel réseau est reconnue par diverses dispositions législatives du titre Ier du livre V du code rural et par les articles 20 et 21 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative aux établissements de crédit ;
que, si l'implantation de cet ensemble et sa clientèle sont loin d'être exclusivement rurales et si de nombreuses opérations des caisses ne diffèrent pas des opérations bancaires courantes, il n'est pas moins vrai que l'essentiel de ses activités est orienté au profit du monde agricole ;
que nombre des services bancaires qu'il peut rendre sont réservés non seulement aux sociétaires des caisses mais, parmi ceux-ci, à ceux d'entre eux qui exercent une profession agricole ou une profession se rattachant à l'agriculture ;

Considérant que la Caisse nationale de crédit agricole, en sa qualité d'organe central du Crédit agricole mutuel, est investie d'un large pouvoir de contrôle et de surveillance sur le fonctionnement des caisses régionales ;
qu'elle centralise les excédents monétaires des caisses régionales, bénéficiant ainsi d'une partie de l'épargne collectée par elles ;
qu'en contrepartie elle mobilise certaines créances à court terme des caisses régionales et consent à celles-ci des avances pour financer des prêts à moyen et long terme ;
qu'il existe ainsi entre la caisse nationale et les caisses régionales des flux de capitaux dans les deux sens et donc d'étroites relations financières ;

Considérant que, comme il sera dit plus loin à propos de l'article 8 de la loi, le législateur était habilité à transférer du secteur public au secteur privé l'organe central du réseau de crédit agricole mutuel ;
que, pour déterminer les catégories de personnes susceptibles d'acquérir les actions de la société anonyme substituée à l'ancien établissement public, il pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, se fonder sur la différence de situation existant, au regard de l'objet de la nouvelle loi, entre les caisses régionales de crédit agricole, étroitement liées à la caisse nationale du point de vue juridique, financier et économique et les autres personnes physiques ou morales extérieures au Crédit agricole qui auraient pu envisager de devenir actionnaires ;
qu'au surplus, le législateur a pu tenir compte de l'intérêt général qui, selon son appréciation, postule le maintien d'un réseau bancaire homogène appelé, par sa structure, à préserver la vocation spécifique du Crédit agricole au service du monde agricole et rural ;
qu'ainsi la loi a pu réserver aux caisses régionales de crédit agricole le droit d'acquérir près des neuf dixièmes des actions de la caisse nationale ;

Considérant dès lors que, sous réserve de l'examen des dispositions particulières de la loi, celle-ci ne saurait, de prime abord et dans son ensemble, être regardée comme non conforme à la Constitution ;
Sur les articles 2 et 3
Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines font valoir que les articles 2 et 3 de la loi méconnaissent le principe constitutionnel imposant le respect du droit de propriété ;
qu'en effet, l'article 2, qui maintient en fonctions jusqu'à la première assemblée générale de la nouvelle société le conseil d'administration de la Caisse nationale de crédit agricole, donne mission au conseil d'administration d'établir les statuts de la société ;
que l'article 3, qui, de même, maintient provisoirement en fonctions le directeur général de la caisse, le charge d'obtenir l'approbation des statuts par les ministres compétents, d'assurer la publication de ces statuts et de procéder aux immatriculations au registre du commerce et des sociétés ;

Considérant que, selon les auteurs de cette saisine, les futurs sociétaires sont, par l'effet de ces dispositions, privés du droit d'établir les statuts de la société ;
qu'ainsi " se trouve amputé l'un des droits les plus fondamentaux qui s'attachent à la propriété d'une entreprise :
celui d'en déterminer les statuts " ;

Considérant que, comme il a été dit plus haut, la loi n'impose pas l'acquisition des actions et ne saurait dès lors avoir pour effet de soumettre les acquéreurs à des statuts qu'ils n'accepteraient pas ;
que, d'ailleurs, il serait loisible, le cas échéant, aux personnes ayant acquis des actions sous l'empire de ces statuts de rechercher, selon les formes légales, la révision totale ou partielle de ceux-ci ;

Considérant par suite que le grief élevé contre les articles 2 et 3 de la loi ne saurait être retenu ;
Sur l'article 6
Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines font valoir que les dispositions de l'article 6 de la loi portent atteinte à l'égalité qui doit exister entre les caisses régionales dans l'exercice de leur droit d'acquérir des actions de la caisse nationale ;
qu'en effet ledit article 6 opère la répartition des offres d'actions réservées aux caisses régionales " au prorata du total du bilan de chacune d'elles arrêté à la fin de l'exercice 1986 " ;

Considérant que, selon les députés auteurs de cette saisine, la référence ainsi faite au bilan de l'exercice 1986 ne tiendrait compte ni des différences de techniques de gestion et de méthodes de présentation comptable pouvant exister entre les caisses, ni de la nécessité, pour prendre une vue exacte de l'importance de chaque caisse, de disposer d'éléments couvrant une durée supérieure à l'année ;
que le caractère défectueux de cette référence pourrait donc conduire à des inégalités dans la détermination du nombre d'actions réservées à chaque caisse régionale ;

Considérant que, si dans le calcul du nombre d'actions offertes à chaque caisse, le législateur était tenu de ne pas procéder arbitrairement, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne lui imposait de recourir aux techniques d'analyse financière rigoureuses prévues pour déterminer la valeur d'entreprises en cas de cession totale ou partielle ;

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.