Jurisprudence : Décision n°98-401 DC du 10-06-1998

Décision n°98-401 DC du 10-06-1998

A8747ACX

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°98-401 DC du 10-06-1998


Publié au Journal officiel du 14 juin 1998, p. 9033
Rec. p. 258

Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 mai 1998, par MM Jean-Louis Debré, François Bayrou, Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, François d'Aubert, Pierre-Christophe Baguet, Jacques Barrot, Jean-Louis Bernard, Mmes Marie-Thèrèse Boisseau, Christine Boutin, MM Loïc Bouvard, Yves Bur, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Antoine Carre, Georges Colombier, Charles de Courson, Marc-Philippe Daubresse, Francis Delattre, Léonce Deprez, Laurent Dominati, Renaud Donnedieu de Vabres, Dominique Dord, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Foucher, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Germain Gengenwin, Claude Goasguen, François Goulard, Pierre Hellier, Philippe Houillon, Mme Anne-Marie Idrac, MM Denis Jacquat, Jean-Jacques Jegou, Marc Laffineur, Edouard Landrain, François Léotard, Pierre Lequiller, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, Alain Madelin, Christian Martin, Jean-François Mattei, Pierre Méhaignerie, Pierre Micaux, Alain Moyne-Bressand, Yves Nicolin, Dominique Paille, Arthur Paecht, Bernard Perrut, Henri Plagnol, Ladislas Poniatowski, Jean-Luc Préel, Jean Proriol, Gilles de Robien, José Rossi, Rudy Salles, André Santini, Guy Teissier, Gérard Voisin, Michel Voisin, Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Mmes Martine Aurillac, Roselyne Bachelot-Narquin, MM Edouard Balladur, Jean Besson, Jean-Yves Besselat, Michel Bouvard, Philippe Briand, Louis de Brossia, Christian Cabal, Mme Nicole Catala, MM Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean-Marc Chavanne, Olivier de Chazeaux, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Patrick Delnatte, Yves Deniaud, Patrick Devedjian, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, François Fillon, Pierre Frogier, Yves Fromion, René Galy-Dejean, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Godfrain, Louis Guédon, Jean-Claude Guibal, Lucien Guichon, Jean-Jacques Guillet, Michel Hunault, Christian Jacob, Didier Julia, Jacques Kossowski, Pierre Lasbordes, Jacques Limouzy, Lionnel Luca, Renaud Muselier, Jacques Myard, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM Robert Pandraud, Dominique Perben, Michel Péricard, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, Nicolas Sarkozy, André Schneider, Bernard Schreiner, Philippe Séguin, Michel Terrot, Jean Ueberschlag, Léon Vachet et Mme Marie-Jo Zimmermann, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 2 juin 1998 ;

Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 8 juin 1998 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ;
qu'à l'appui de leur requête, ils invoquent la non-conformité à la Constitution, d'une part, de la loi tout entière, et d'autre part, de diverses dispositions prises isolément ;
qu'ils estiment ainsi contraires à la Constitution les dispositions des articles 1er, 2, 3 et 13 ;

Considérant que la loi déférée fixe la durée légale du travail effectif à trente-cinq heures par semaine, au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés, et au 1er janvier 2002 pour les autres entreprises ;
qu'en outre, dans le but d'inciter les entreprises à réduire, par anticipation, d'ici l'une ou l'autre de ces échéances selon le cas, la durée du travail, tout en créant ou en préservant des emplois, la loi comporte un dispositif d'aides financières venant en déduction des charges patronales de sécurité sociale, dont la mise en uvre est subordonnée à la conclusion d'un accord collectif de travail ;
que la loi prévoit enfin divers aménagements relatifs, notamment, au régime du repos quotidien et des repos compensateurs, ainsi qu'à celui du travail à temps partiel ;

Sur les normes de constitutionnalité applicables au contrôle de la loi déférée :
Considérant que, s'il est loisible au législateur, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 34 de la Constitution qui range dans le domaine de la loi " les principes fondamentaux du droit du travail ", de fixer la durée légale hebdomadaire du travail effectif et, dans ce cadre, d'instituer des mécanismes d'incitation financière propres à favoriser, dès l'entrée en vigueur de la loi, la réduction du temps de travail et la sauvegarde de l'emploi, cette disposition constitutionnelle, tout comme celle qui confie à la loi la détermination des principes fondamentaux du droit syndical et de la sécurité sociale, ne sauraient dispenser le législateur, dans l'exercice de sa compétence, du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, en ce qui concerne en particulier les droits et libertés fondamentaux reconnus aux employeurs et aux salariés ;
que figurent notamment, parmi ces droits et libertés, la liberté proclamée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont découle en particulier la liberté d'entreprendre, l'égalité devant la loi et les charges publiques, le droit à l'emploi, le droit syndical, ainsi que le droit reconnu aux travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises ;

Considérant que, s'agissant d'une réforme pouvant avoir des incidences sur le financement de la sécurité sociale, s'imposent en outre au législateur les dispositions constitutionnelles et organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale ;
qu'enfin, dès lors que sont aménagées ou complétées des compétences de collectivités territoriales, la loi doit respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales ;

Sur le grief tiré de l'irrégularité de la procédure législative au regard du " droit à la négociation collective des partenaires sociaux " :
Considérant que les députés requérants font valoir que l'élaboration de la loi déférée n'ayant pas été précédée d'une concertation des partenaires sociaux, le " droit constitutionnel de participation déduit du Préambule de la Constitution de 1946 " a été méconnu ;

Considérant que ni les dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi invoqué par les requérants, ni aucune autre règle de valeur constitutionnelle n'obligent le Gouvernement à faire précéder la présentation au Parlement d'un projet de loi comportant des dispositions touchant aux principes fondamentaux du droit du travail d'une négociation entre les partenaires sociaux ;

Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l'exigence constitutionnelle de " clarté de la loi " et de l'incompétence négative du législateur :
Considérant que, pour mettre en cause la constitutionnalité de la loi tout entière, les requérants soutiennent que le législateur n'a pas fixé lui-même le contenu exact de la réforme de la durée légale du travail effectif qu'il a entendu instaurer ;
qu'ils font valoir, en s'appuyant sur la combinaison des articles 1er et 13, que le législateur se serait en effet engagé à modifier, avant leur entrée en vigueur, les règles relatives à cette durée dont l'application est différée en 2000 ou 2002, selon l'effectif des entreprises, " en fonction des résultats de mesures d'incitation qui sont elles-mêmes déterminées dans la perspective d'une réforme incertaine " ;
qu'en recourant à pareille " technique législative, qui consiste à annoncer la règle nouvelle tout en la retenant ", le législateur serait resté en deçà de la compétence que lui confère l'article 34 de la Constitution ;
que rendre ainsi le " contenu de la règle qui devra s'appliquer incertain ", serait en outre " de nature à faire naître dans l'esprit des destinataires de la loi, l'idée erronée que les éléments de la loi sont d'ores et déjà fixés ", ce qui contrevient, selon les requérants, à l'" exigence constitutionnelle de clarté de la loi " ;

Considérant que les requérants soulignent, par ailleurs, qu'en renvoyant à des textes réglementaires ou à des conventions le soin de fixer certaines mesures, le législateur aurait également méconnu l'étendue de sa compétence ;
qu'ils précisent que seraient ainsi entachés d'incompétence négative les troisième et cinquième alinéas du VI de l'article 3, ainsi que les VII et VIII du même article ;

Considérant qu'il découle de l'article 34 de la Constitution que relève du domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ;
qu'il est à tout moment loisible au législateur, dans le domaine qui lui est ainsi assigné, d'apprécier l'opportunité de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ;
que, cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;

Considérant, en premier lieu, que l'article 1er critiqué fixe au 1er janvier 2000 ou au 1er janvier 2002, selon l'effectif des entreprises en cause, l'entrée en vigueur de la réduction de la durée légale du travail effectif des salariés de trente-neuf heures à trente-cinq heures par semaine ;
qu'il était loisible au législateur, sans méconnaître aucun principe, ni aucune règle constitutionnelle, de donner à cette mesure, qui, en l'état, est définie de façon suffisamment claire et précise pour satisfaire aux exigences découlant de l'article 34 de la Constitution, un effet différé ;

Considérant, en deuxième lieu, que l'article 13 de la loi dispose que le Gouvernement présentera au Parlement, au plus tard le 30 septembre 1999, après concertation avec les partenaires sociaux, un rapport établissant le bilan de l'application de la loi ;
qu'il précise que ce bilan portera sur le déroulement et les conclusions des négociations relatives à la réduction conventionnelle de la durée du travail prévues à l'article 2, ainsi que sur l'évolution de la durée conventionnelle et effective du travail et l'impact des dispositions de l'article 3 sur le développement et sur l'organisation des entreprises ;
que l'article 13 indique également que ce bilan tirera les enseignements de l'application de celles des dispositions de la loi dont l'entrée en vigueur est immédiate et précisera les orientations qui présideront à la mise en uvre de la réduction de la durée légale du travail en ce qui concerne notamment le régime des heures supplémentaires, l'organisation et la modulation du travail, les moyens de favoriser le temps partiel choisi, la place prise par la formation professionnelle dans les négociations et les modalités particulières applicables au personnel d'encadrement ;
qu'il est enfin mentionné que le rapport du Gouvernement précisera les conditions et les effets de la réduction du temps de travail en fonction de la taille des entreprises ;
que ces dispositions ne subordonnent pas l'application de la réforme prévue à l'article 1er de la loi à l'adoption de règles nouvelles ou complémentaires que le législateur pourrait le cas échéant adopter au vu du bilan de l'application de la loi déférée ;
que les dispositions de l'article 13 de la loi ne sauraient lier le législateur ;
qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution manque en fait ;

Considérant, en troisième lieu, que l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel institue, sous forme d'une déduction du montant global des cotisations de sécurité sociale, une aide financière aux entreprises qui, tout en créant ou en préservant des emplois, réduisent la durée du travail avant les échéances fixées à l'article 1er de la loi ;

Considérant que cette disposition ouvre un droit à l'aide en question, sous réserve que la réduction du temps de travail soit organisée par un accord collectif de travail qui détermine, outre les échéances de la réduction du temps de travail, les modalités d'organisation et de décompte de ce temps, les conditions dans lesquelles les salariés sont prévenus en cas de modification de l'horaire, les modalités du suivi de l'accord ainsi que diverses autres dispositions intéressant notamment les salariés à temps partiel et, le cas échéant, les personnels d'encadrement ;
que, dans l'hypothèse où l'entreprise s'engage à procéder à des embauches en conséquence de la réduction du temps de travail, l'aide est accordée par convention entre l'entreprise et l'Etat après vérification de la conformité de l'accord collectif aux dispositions légales ;
que, dans le cas où la réduction du temps de travail permet d'éviter des licenciements prévus dans le cadre d'une procédure collective de licenciement pour motif économique, l'aide est attribuée par convention, après vérification de la conformité de l'accord d'entreprise aux dispositions légales et compte tenu de l'équilibre économique du projet et des mesures de prévention et d'accompagnement des licenciements ;

Considérant que le troisième alinéa du VI de cet article, critiqué par les requérants, renvoie à un décret le soin de fixer les conditions dans lesquelles " des majorations spécifiques peuvent être accordées aux entreprises dont l'effectif est constitué d'une proportion importante d'ouvriers au sens des conventions collectives et de salariés dont les rémunérations sont proches du salaire minimum de croissance " ;
qu'en prévoyant le principe même de la majoration de l'aide accordée par l'Etat aux entreprises et en précisant les catégories de bénéficiaires de la majoration, le législateur n'est pas resté en deçà de la compétence que lui confère l'article 34 de la Constitution, lequel, s'agissant du droit du travail et de la sécurité sociale, s'en tient à la détermination des principes fondamentaux ;
qu'il appartiendra toutefois au pouvoir réglementaire compétent, conformément à l'article 37 de la Constitution, pour fixer le montant de la majoration et pour déterminer les seuils d'effectifs d'ouvriers et les niveaux de rémunération donnant droit à la majoration, de définir ces critères de manière à éviter toute discrimination injustifiée entre entreprises et branches concernées ;

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