Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Covid-19

[Actes de colloques] Colloque "Covid-19 et droit de l’indemnisation" : la responsabilité des établissements accueillant des personnes âgées

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par Nicolas Rias - Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3 Centre de droit de la responsabilité et des assurances – Équipe Louis Josserand

le 28 Juillet 2022

Les établissements accueillant des personnes âgées, encore désignés sous l’acronyme d’Ehpad – lequel renvoie à « établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » – sont des structures dont l’activité est soumise aux dispositions du livre 3e du Code de l’action sociale et des familles consacré à l’« action sociale et médico-sociale mise en œuvre par des établissements et des services ». À l’intérieur de ce livre 3e, ils relèvent plus précisément, en tant qu’établissement exerçant une activité soumise à autorisation et non pas à simple déclaration [1], du titre 1er.

Le cadre juridique de l’accueil des personnes âgées par les Ehpad est fixé à l’article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles, alinéa 2 N° Lexbase : L4862LWY. Il consiste, dans la plupart des hypothèses, dans un contrat de séjour et, de manière résiduelle, dans un document individuel de prise en charge.

Le contrat de séjour est normalement obligatoire lorsque l’accueil de la personne âgée est d’une durée prévisionnelle, en continu ou en discontinu, supérieure à deux mois. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser récemment que la qualification de contrat de séjour était exclusive de la qualification de contrat de louage de chose [2]. Il faut notamment en déduire qu’il n’est pas possible de retenir une qualification distributive de contrat de séjour pour les prestations de prise en charge médico-sociale et de contrat de bail pour les prestations d’hébergement. Cette solution n’est pas sans incidence sur le régime de la responsabilité applicable, notamment en matière de responsabilité du fait des incendies, puisque la présomption pesant sur le locataire est sans objet à l’égard d’une personne âgée hébergée en Ehpad. Il faut toutefois le signaler d’emblée, elle n’a pas d’impact sur le cas particulier de la réparation des dommages causés par la crise sanitaire, dans la mesure où il est généralement admis que le contrat de bail ne met pas à la charge du bailleur une obligation de sécurité autonome [3].

Le document individuel de prise en charge est quant à lui élaboré lorsque la durée du séjour, en continu ou discontinu, est inférieure à deux mois, lorsque l’accueil ne nécessite pas de prestation d’hébergement ou encore lorsque la personne âgée ou son représentant refuse de signer le contrat de séjour [4]. La nature de ce document individuel de prise en charge interroge. En effet, l’article D. 311 du Code de l’action sociale et des familles prévoit qu’il peut – et non doit – être contresigné par la personne accueillie ou son représentant légal. Par suite, contrairement à ce qu’il est parfois soutenu, notamment par certains professionnels du secteur médico-social, il ne semble pas que ce document puisse systématiquement recevoir la qualification de contrat. En réalité, il doit être considéré comme un acte juridique unilatéral qui émane de l’établissement d’accueil et qui peut être, en application des articles 1100 N° Lexbase : L0590KZU et 1100-1 du Code civil N° Lexbase : L0591KZW, créateur d’obligations s’il n’est pas signé par le résident. En revanche, si le résident signe, comme il en a la faculté, le document individuel de prise en charge, la question se pose de savoir si sa nature juridique ne s’en trouve pas modifiée et ne passe de la catégorie des engagements unilatéraux à celle des contrats. La réponse est encore discutée. Cela étant, du fait de l’acceptation du document que le résident exprime à travers sa signature, la qualification de contrat semble pouvoir être retenue.

La lecture des textes spécialement applicables aux Ehpad fait apparaître que s’il existe, en matière de responsabilité, un certain nombre de règles particulières, elles ne concernent cependant que la responsabilité pénale ou la responsabilité administrative à finalité punitive. Ainsi, les articles 313-22 N° Lexbase : L0717KWH et 313-22-1 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L1593LIT érigent en infraction pénale la violation des règles relatives aux modalités d’exercice et de contrôle de l’activité d’accueil des personnes âgées. De même, l’article L. 314-14 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L1818K7H sanctionne d’une amende administrative notamment le fait d’héberger une personne âgée sans avoir conclu un contrat de séjour ou encore le fait de facturer les services rendus sans respecter les règles prévues en la matière.

Pour ce qui est de la responsabilité dont la finalité est de réparer les dommages qui peuvent être causés par les établissements – ou leurs préposés – aux résidents, il convient donc de convoquer le droit commun. Ses modalités d’application peuvent néanmoins soulever quelques difficultés compte tenu de la spécificité de la situation.

Les établissements accueillant des personnes âgées peuvent tout aussi bien être des personnes morales de droit public que des personnes morales de droit privé. Dans le premier cas, l’action en réparation intentée par un résident à raison des dommages qu’il a subis au sein de l’établissement qui l’héberge relève de la responsabilité administrative [5] telle qu’elle a été consacrée par le Tribunal des conflits dans le célèbre arrêt « Blanco » rendu le 8 février 1873 [6]. Cette hypothèse de l’établissement personne morale de droit public ne sera pas développée ici, puisque le thème de la demi-journée est consacré à la seule responsabilité civile à l’exclusion de la responsabilité administrative. Dans le second cas, celui de l’établissement personne morale de droit privé, l’action en réparation relève logiquement des règles de la responsabilité civile. C’est lui qui retiendra ici l’attention.

La crise sanitaire causée par la Covid-19 a été à l’origine, dans les Ehpad, d’essentiellement deux grandes catégories de dommages que sont d’une part la contamination virale des résidents et, d’autre part, l’atteinte à leurs droits fondamentaux provoquée par les mesures de confinement. Certes, d’autres types de dommages en lien avec les Ehpad et susceptibles d’être causés par la Covid-19 peuvent a priori être identifiés. Par exemple, un membre de la famille qui serait contaminé par le virus à l’occasion de la visite de son parent pourrait possiblement chercher à mettre en œuvre la responsabilité de l’établissement. Cependant, outre qu’il s’agit d’un aspect finalement très résiduel de la problématique soulevée, la question pourra, d’un point de vue théorique en tout cas, être assez facilement réglée : en l’absence de contrat conclu entre le visiteur et l’établissement, et face à l’impossibilité de mobiliser le principe général de responsabilité du fait d’autrui [7], seule la responsabilité civile extracontractuelle pour faute pourra éventuellement être activée.

Ces précisions étant faites, la responsabilité des établissements accueillant des personnes âgées sera évoquée à travers les seules hypothèses qui justifient le plus fréquemment qu’elle puisse être recherchée. Ainsi, dans un premier temps, elle sera envisagée sous le prisme de la contamination virale des résidents (I) et, dans un second temps, sous celui de l’atteinte aux droits fondamentaux des résidents (II).

I. La responsabilité consécutive à la contamination virale des résidents

La contamination des résidents par le virus de la Covid-19 pose la question de la nature de la responsabilité que ces derniers sont susceptibles de rechercher à l’égard de l’établissement qui les accueille (A). Une fois cette question réglée, celle de la mise en œuvre de ladite responsabilité vient à se poser (B).

A. La nature de la responsabilité

Il a été vu que l’accueil des personnes âgées dans les Ehpad pouvait se faire dans le cadre juridique d’un contrat de séjour ou d’un document individuel de prise en charge.

Lorsqu’un contrat de séjour a été conclu, la réponse à la question de savoir si la responsabilité encourue au titre de la réparation des dommages liés à la contamination par le virus de la Covid-19 est contractuelle ou extracontractuelle, dépend du contenu dudit contrat. L’existence d’une obligation de sécurité invitera à conclure à la nature contractuelle de la responsabilité. Au contraire, l’absence d’obligation de sécurité invitera à conclure à la nature extracontractuelle de la responsabilité.

L’article L. 311-4, alinéa 2 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4862LWY consacré notamment au contrat de séjour énonce que celui-ci « […] définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l'accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d'établissement ou de service. Il détaille la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur coût prévisionnel ». La lecture de cette disposition laisse sans réponse certaine la question de l’existence d’une obligation de sécurité dans le contrat de séjour. Par ailleurs, la consultation du contrat de séjour type mis à la disposition des Ehpad n’est pas d’une plus grande utilité. En effet, le document élaboré par la Fédération hospitalière de France mentionne de sa page 7 à la page 10, l’ensemble des prestations devant être fournies. Il s’agit de : l’administration générale, l’accueil hôtelier, la restauration, le blanchissage, l’animation de la vie sociale, l’accompagnement des actes essentiels de la vie quotidienne ou encore les soins et la surveillance médicale et paramédicale. L’analyse détaillée du contenu de chacune d’entre elles ne permet pas de déceler l’existence d’une obligation de sécurité susceptible de leur être rattachée directement ou même seulement indirectement.

En réalité, c’est dans l’article qui précède, celui consacré à la présentation du contrat de séjour, que la sécurité des personnes accueillies est évoquée. En effet, l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4910LWR dont l’objet est de présenter l’ensemble des droits reconnus aux personnes séjournant dans les Ehpad énonce : « L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés : 1° Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement ; […] ».

Peut ainsi être décelée, sur le fondement de cette disposition, une obligation de sécurité mise à la charge des Ehpad. Celle-ci est-elle une obligation légale ou une obligation contractuelle ? La lettre du texte pourrait légitimement amener à privilégier la première hypothèse. Cependant, il est avéré que la jurisprudence n’hésite pas à en faire une obligation contractuelle [8].

Ainsi, il s’en déduit qu’en cas de contamination d’un résident par le virus de la Covid-19 au sein de l’établissement qui l’accueille, la responsabilité de celui-ci peut être recherchée par celui-là sur le fondement contractuel, et donc à l’exclusion du fondement extracontractuel, ce en application du principe du non-cumul des responsabilités [9].

Lorsqu’aucun contrat de séjour n’a été conclu, un document individuel de prise en charge a alors été nécessairement élaboré. Même dans cette hypothèse, la nature de la responsabilité encourue ne semble pas devoir être différente. Certes, en l’absence de lien contractuel, il peut paraître a priori énigmatique de soutenir que la responsabilité de l’Ehpad doit être recherchée sur un fondement contractuel. Cependant, il a été expliqué que ce document individuel, qui a en pratique le même contenu que le contrat de séjour, est constitutif d’un engagement unilatéral de la part de l’établissement accueillant la personne âgée. Or cet engagement unilatéral est, par définition, créateur d’une obligation, laquelle se trouve être soumise, en application des dispositions de l’article 1100-1 du Code civil N° Lexbase : L0591KZW, au régime des obligations contractuelles [10]. Aussi, par analogie avec la jurisprudence rendue à propos du contrat de séjour, il y a lieu de considérer qu’il existe une obligation de sécurité issue du document individuel de prise en charge, obligation de sécurité dont la violation obéit aux mêmes règles que celles qui sont applicables à la violation des obligations contractuelles dès lors qu’elles sont compatibles. Or la responsabilité contractuelle, au-delà de l’obstacle terminologique, semble pouvoir être rationnellement mobilisée en cas de manquement à une obligation issue d’un engagement unilatéral.

Le fondement contractuel de la responsabilité des Ehpad en cas de contamination des résidents étant avéré, reste à déterminer comment cette responsabilité va pouvoir concrètement être mise en œuvre.

B. La mise en œuvre de la responsabilité

Classiquement, pour que la responsabilité contractuelle puisse valablement être mise en œuvre, la triple preuve d’un dommage, d’un manquement contractuel et d’un lien de causalité entre celui-là et celui-ci est exigée.

Dans l’hypothèse particulière qui retient ici l’attention, la question de la caractérisation du dommage ne soulève pas de véritables difficultés puisqu’il suffit, en définitive, de produire un test PCR positif pour, ensuite, en tirer les conséquences juridiques à travers des demandes indemnitaires qui seront formulées en fonction des différents postes de préjudices concernés dans la nomenclature Dintilhac.

Ce qui, en revanche, interroge davantage est sans doute l’établissement du manquement contractuel et du lien de causalité.

S’agissant du manquement contractuel, se pose plus précisément la question de savoir si l’obligation de sécurité dont sont débiteurs les Ehpad est une obligation de moyens ou une obligation de résultat. Il faut, en effet, constater que l’intensité de l’obligation de sécurité n’est pas spécialement précisée à l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4910LWR. Il ressort de la jurisprudence que l’obligation de sécurité est qualifiée d’obligation de moyens lorsque le dommage subi par le pensionnaire est en lien avec l’exercice de sa liberté d’aller et de venir [11]. Force est en revanche de constater que la jurisprudence n’a pas eu à se prononcer sur la question de l’intensité de l’obligation de sécurité dans le cas où sa violation résulte d’une contamination virale. La réponse reste donc actuellement en suspens et il convient d’apporter les éléments qui pourraient permettre de mettre un terme à l’incertitude. Le critère de la distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat est classiquement fondé sur le rôle actif ou non du créancier de l’obligation. En matière de contamination virale, et pour le cas particulier du virus de la Covid-19, chacun étant censé respecter les gestes barrière décrits par les autorités sanitaires, il pourrait être considéré que les résidents ont une part plus ou moins active dans l’exécution de l’obligation de sécurité des Ehpad. Cela étant, la situation particulière des résidents en Ehpad invite à nuancer fortement le propos. Est-ce à dire que l’obligation de sécurité des Ehpad doit être considérée comme étant de résultat ? Il ne le semble pas. En effet, il a pu être relevé en doctrine que lorsque la prestation principale du débiteur contractuel consiste dans un hébergement ou un accueil, l’obligation de sécurité était généralement constitutive d’une obligation de moyens [12]. C’est la raison pour laquelle il y a tout lieu de penser que l’obligation de sécurité des Ehpad est, s’agissant de la contamination virale de ses résidents, une simple obligation de moyens et non pas une obligation de résultat [13].

Il ressort de la qualification d’obligation de moyens que la responsabilité contractuelle des Ehpad ne pourra valablement être retenue, du point du vue du fait générateur, que si une faute est établie [14]. Reste à déterminer en quoi peut consister la faute reprochée aux Ehpad. À cet égard, il ne semble pas que le débat doive s’éterniser. En effet, il paraît logique de considérer que les Ehpad sont en faute lorsqu’ils n’ont pas respecté les protocoles sanitaires qui ont été arrêtés par les autorités publiques et qui sont applicables dans leurs structures [15]. Par exemple, le non-respect des gestes barrière à l’intérieur de l’établissement, le non-respect des mesures d’entretien collectif des locaux (règles de nettoyage et de ventilation), ainsi que le non-respect des règles de mise à l’isolement, qui sont autant de points très clairement évoqués dans les protocoles sanitaires, peuvent légitimement être considérés comme fautifs. Cela étant, il convient de garder à l’esprit que, pour les contaminations survenues en début de crise sanitaire, la faute des Ehpad sera beaucoup plus difficile à établir : il ne saurait en effet leur être reproché de ne pas avoir respecté ce que personne ne leur avait jusqu’alors demandé de respecter.

Pour ce qui est maintenant du lien de causalité entre la faute de l’Ehpad et la contamination par le virus de la Covid-19 de ses résidents, il doit nécessairement être direct.

L’exigence du caractère direct s’évince des dispositions de l’article 1231-4 du Code civil N° Lexbase : L0616KZT qui énonce que « dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution ». Elle signifie, en d’autres termes, selon que l’on sollicite la théorie de la causalité adéquate ou celle de l’équivalence des conditions, que la faute de celui dont la responsabilité est recherchée doit être soit la cause la plus probable de la survenance du dommage, soit l’une des causes parmi bien d’autres de la survenance du dommage. En l’occurrence, quel que soit la théorie de la causalité retenue, l’établissement du caractère direct du lien de causalité ne semble pas devoir constituer un point d’achoppement dans l’activation de la responsabilité des Ehpad. En effet, les protocoles sanitaires sont établis de telle manière qu’ils sont censés sinon anéantir, du moins réduire très sensiblement la propagation du virus. Leur violation constitue donc une cause très probable de contamination et, a fortiori, une cause parmi d’autres. Le lien de causalité direct entre la faute et le dommage peut alors être considéré comme avéré.

Si la contamination des résidents par le virus de la Covid-19 est la première hypothèse pouvant justifier la recherche de la responsabilité des Ehpad, elle n’en est pas pour autant la seule. En effet, la crise sanitaire a parfois pu conduire à ce que soient prises des mesures attentatoires aux droits des résidents, lesquelles peuvent a priori justifier que soit recherchée, là encore, la responsabilité des Ehpad.

II. La responsabilité consécutive à l’atteinte aux droits fondamentaux des résidents

Comme dans le cas précédemment évoqué, la question de la nature de la responsabilité encourue par les établissements qui accueillent des personnes âgées se pose lorsque ces derniers portent atteinte, à travers les décisions qu’ils sont amenés à prendre, aux droits fondamentaux de leurs résidents (A). Et comme dans le cas précédemment évoqué là encore, une fois cette question réglée, celle de la mise en œuvre de ladite responsabilité vient à se poser (B).

A. La nature de la responsabilité

Pas plus qu’il ne le faisait à propos de l’obligation de sécurité, l’article L. 311-4, alinéa 2 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4862LWY qui, rappelons-le, présente le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge, n’apporte de précisions quant aux droits fondamentaux dont peuvent se prévaloir les personnes âgées accueillies dans les Ehpad. De même, la consultation du contrat de séjour type mis à la disposition des Ehpad n’est pas d’une plus grande utilité. En réalité, là encore, c’est l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4910LWR qu’il s’avère utile de mobiliser. Il indique en substance que l'exercice des droits et libertés individuels des résidents en Ehpad doit leur être garanti dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Les droits fondamentaux qui y sont envisagés sont le respect de la dignité, de l’intégrité, de la vie privée, de l’intimité ainsi que de la liberté d’aller et venir.

Cet article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4910LWR a déjà été évoqué à propos de l’obligation de sécurité. Il a été constaté que cette dernière, bien que visée par ledit texte, était de nature non pas légale mais contractuelle, en vertu d’une jurisprudence bien établie. La solution peut-elle être transposée aux droits fondamentaux de la personne accueillie dans un Ehpad ? Autrement dit, le respect des droits fondamentaux constitue-t-il une obligation contractuelle ? Une réponse négative semble devoir s’imposer. En effet, il faut ici garder à l’esprit que, aux termes de l’article 6 du Code civil N° Lexbase : L2231ABA, « on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». Or faire du respect des droits fondamentaux des personnes séjournant en Ehpad une obligation contractuelle, c’est permettre plus ou moins directement, et dans une mesure plus ou moins importante, mais qui ne peut être réduite à néant, de l’aménager. L’article 6 du Code civil ne l’autorise pas. En réalité, comme cela a pu être très clairement rappelé à propos de la liberté d’aller et venir – mais l’affirmation peut être étendue aux autres droits fondamentaux – « si l’établissement doit garantir la sécurité des personnes qu’il accueille, il n’est pas pour autant habilité à prendre des mesures restreignant leur liberté. La liberté d’aller et venir est une liberté fondamentale. Suivant le degré de contrainte que l’on fait peser sur la liberté de mouvement, deux libertés différentes sont susceptibles d’être affectées. Des mesures simplement restrictives de liberté impliquent ainsi la liberté d’aller et venir stricto sensu. Des mesures privatives de liberté, tel l’internement dans une institution psychiatrique, affectent quant à elles la liberté individuelle ou sûreté de la personne. Les restrictions apportées à la liberté d’aller et venir, quelle que soit leur intensité, doivent être légalement prévues et justifiées. » [16]

Par suite, dès lors qu’il n’est juridiquement pas concevable de contractualiser le respect des droits fondamentaux des personnes accueillies dans des Ehpad, une conséquence immédiate semble devoir s’imposer : la responsabilité des établissements concernés, lorsqu’elle est recherchée à raison de la violation des droits fondamentaux de leurs résidents, ne doit pouvoir être envisagée que sous l’angle d’un fondement extracontractuel. Ce sont donc les articles 1240 et suivants du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9 qui ont vocation à être utilement mobilisés en l’occurrence. Reste à s’intéresser aux modalités de la mise en œuvre de cette responsabilité civile extracontractuelle.

B. La mise en œuvre de la responsabilité

Sur le terrain extracontractuel, parmi les différents fondements envisageables de la responsabilité des Ehpad, peuvent être inventoriées la responsabilité pour faute telle que prévue aux article 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 et 1241 du Code civil N° Lexbase : L0949KZ8, ainsi que la responsabilité des commettants du fait des préposés, telle que prévue à l’article 1242, alinéa 5 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7. Le premier fondement pourra être activé lorsque l’atteinte aux droits fondamentaux résulte directement d’une décision prise par l’Ehpad lui-même, tandis que le second fondement pourra être utilement mis en œuvre lorsqu’elle procède d’une initiative de l’un de ses salariés.

La mise en œuvre de ces deux régimes de responsabilité est classiquement subordonnée, au-delà des conditions qui leur sont propres, par l’existence d’un dommage, d’un fait générateur et d’un lien de causalité entre celui-ci et celui-là.

Pour ce qui est du dommage, il va consister pour l’essentiel dans un préjudice moral qui découlera de l’atteinte soit à la liberté d’aller et de venir, soit au respect de la vie familiale. En effet, le rapport du défenseur des droits consacré aux droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad [17] a pu mettre en évidence que la crise sanitaire liée à la Covid-19 a été à l’origine d’atteintes manifestes à ces deux prérogatives essentielles reconnues à tout sujet de droit. Les limitations de sortie et les restrictions de déplacement au sein des Ehpad (accès au jardin, aux salles communes) ont incontestablement entravé la liberté d’aller et venir des résidents, ce dont certains se sont d’ailleurs plaints auprès du défenseur des droits. De même, des entraves à la vie privée et familiale ont pu être constatées du fait de la limitation des visites dans les Ehpad. De plus, lorsque des visites étaient admises, les conditions dans lesquelles elles étaient organisées n’étaient pas satisfaisantes, certains ayant pu avoir l’impression, selon le défenseur des droits, d’aller visiter au parloir une personne détenue. Il n’est pas contestable que ces atteintes aux droits fondamentaux ont généré, pour ceux qui les ont subies, un préjudice moral qui présente les caractères requis pour pouvoir être indemnisé à savoir qu’il est certain, personnel et légitime.

Cela étant, l’existence d’un préjudice réparable ne suffit pas à justifier l’engagement de la responsabilité civile de celui dont il est prétendu qu’il en est à l’origine. Encore faut-il qu’il soit possible d’imputer à ce dernier un fait générateur. Il a été déjà précisé que c’est la responsabilité du fait personnel de l’Ehpad et la responsabilité du fait de ses préposés qui pouvaient, a priori, être utilement mobilisés dans l’hypothèse envisagée.

S’agissant de la responsabilité du fait personnel, celle-ci est conditionnée par une faute directement commise par l’Ehpad. Se pose alors la question de savoir en quoi peut précisément consister, dans le contexte particulier de la crise sanitaire, cette faute à l’origine d’une atteinte aux droits fondamentaux des résidents.

La réponse à apporter est pour le moins délicate. Ce qu’il semble possible ici de soutenir est que toute décision prise par un Ehpad qui entrave les droits fondamentaux d’un résident ne sera pas fautive si l’atteinte portée est valablement justifiée par des impératifs de protection sanitaire, peu important à cet égard que la charte des droits et libertés de la personne accueillie ne soit pas respectée [18]. Autrement dit, l’existence ou non d’une faute va dépendre du caractère proportionné, au regard de l’objectif poursuivi, de l’atteinte aux droits fondamentaux résultant d’une décision d’un Ehpad.

Or il ne faut pas se le cacher, l’appréciation du caractère ou non proportionné de l’atteinte est lui-même problématique, du moins lorsque ladite atteinte résulte de décisions prises en début de crise sanitaire, à un moment où les connaissances scientifiques sur le virus n’étaient pas suffisamment précises pour arrêter des règles parfaitement adaptées.

En réalité, il semble possible de soutenir qu’une faute d’un Ehpad sera très difficile à établir lorsque l’atteinte a été subie au début de la crise sanitaire. L’absence de connaissances scientifiques précises et le nombre extrêmement élevé de décès journaliers dans les établissements concernés justifiaient, à cette époque-là, que des mesures drastiques soient prises notamment au nom de la sécurité sanitaire des résidents.

En revanche, la faute sera plus facile à caractériser lorsque la décision attentatoire aux libertés a été prise alors que la crise sanitaire s’était installée depuis un certain temps, de sorte qu’il n’est plus nécessaire de céder aux sirènes d’un « principe de précaution renforcé ». Le contrôle de proportionnalité sera en tout cas effectué selon des critères plus exigeants. C’est ce qui ressort très clairement d’un arrêt du Conseil d’État en date du 3 mars 2021 [19], aux termes duquel il a été décidé à propos de l’interdiction de sortie préconisée par le ministère de la Santé, laquelle présente un caractère général et absolu, qu’elle « ne peut manifestement pas être regardée comme une mesure nécessaire et adaptée et, ainsi, proportionnée à l’objectif de prévention de la diffusion du virus. En effet, apparaissent désormais compatibles avec la sécurité de l’ensemble des résidents et du personnel de l’établissement, selon la décision du responsable de celui-ci et dans les conditions qu’il définit, notamment des sorties de résidents ayant été vaccinés, ce en fonction de la taille de l’établissement, de la nature de la sortie envisagée, du taux de vaccination des résidents et des personnels ou encore de la proportion constatée des nouveaux variants au niveau départemental ou infra départemental et accompagnées de l’application de mesures de protection renforcée lors du retour dans l’établissement. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que cette prescription qui porte une atteinte grave à la liberté d’aller et venir est manifestement illégale. »

Il est à noter que les directives du ministère de la Santé précisent qu’il appartient à chaque directeur d’Ehpad de prendre des mesures proportionnées après consultation non seulement des résidents et de leur famille mais également des personnels concernés. Il n’y a donc pas, en la matière, sur le plan national, de règles uniformisées dans les Ehpad. Par suite, un choix inapproprié dans les mesures décidées au niveau d’un établissement est facilement envisageable et la possibilité par ce dernier de commettre une faute attentatoire aux droits fondamentaux des résidents s’en trouve renforcée.

À titre d’illustration, pourrait être considéré, à l’heure actuelle, comme constitutif d’une faute engageant sa responsabilité, le fait pour un Ehpad de continuer à interdire les visites, le fait de contraindre les résidents à demeurer dans leur chambre et de les empêcher ainsi de se rendre dans les salles de vie communes, ou encore le fait de contraindre les résidents à accepter la vaccination.

S’agissant de la responsabilité des commettants du fait des préposés, la faute commise doit être celle non pas du responsable mais celle du subordonné. Par suite, un Ehpad qui aurait adopté un protocole sanitaire parfaitement adapté, s’il échappe à sa responsabilité du fait personnel, n’échappe pas pour autant, nécessairement, à la responsabilité des commettants du fait de ses préposés. La raison en est que, particulièrement dans le contexte de la crise sanitaire où des injonctions contradictoires sont parfois formulées, il n’est pas à l’abri d’une décision personnelle et inappropriée de l’un de ses salariés, susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des résidents. Dans ce cas, l’Ehpad devra en répondre.

Enfin, la troisième et dernière condition devant être satisfaite pour pouvoir engager la responsabilité civile extracontractuelle d’un Ehpad est celle relative au lien de causalité entre le fait générateur – fait personnel ou fait du commettant – et le dommage dont réparation est sollicitée – l’atteinte aux droits fondamentaux du résident. Ce lien de causalité doit classiquement être direct et certain. En l’occurrence, les deux caractères exigés pourront être assez aisément vérifiés, aucune difficulté juridique liée à la particularité des atteintes aux droits fondamentaux survenues dans le cadre de la crise sanitaire n’ayant vocation à se manifester.

Compte tenu de ses très nombreuses répercussions préjudiciables, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a très logiquement été l’occasion de susciter de nouveaux questionnements en droit de la responsabilité civile. En tant qu’acteur de la vie sociale prenant en charge des personnes extrêmement vulnérables face à la Covid-19, les Ehpad ne sont naturellement pas restés en dehors du champ de la discussion. Si les dommages causés au sein de ces établissements peuvent être assez aisément identifiés, leur prise en charge sur le fondement de la responsabilité civile sera loin d’être facile à obtenir, l’obstacle principal étant celui de la caractérisation d’une faute sur laquelle se concentrera très certainement l’essentiel du débat juridique qui se tiendra devant une juridiction saisie d’une action en réparation.

 

[1] CASF, art. L. 312-1, 6° N° Lexbase : L4824MBB.

[2] Cass. civ. 3, 3 décembre 2020, n° 19-19.679.

[3] Cass. civ. 3, 29 avril 1987, n° 84-10.558, publié au bulletin N° Lexbase : A8203AA3, Bull. civ. III, n° 90, R.T.D.Civ. 1988, p. 149, obs. Ph. Rémy ; Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-21.410, publié au bulletin N° Lexbase : A8203AA3, Bull. civ. III, n° 73.

[4] CASF, art. D. 311 N° Lexbase : L8301LB3.

[5] Par exemple : CAA Paris, 1re ch., 19 septembre 1989, n° 89PA00259 N° Lexbase : A9683A87.

[6] T. confl., 8 février 1873, n° 00012.

[7] L’accueil des personnes âgées dans les Ehpad se fait dans un cadre contractuel ou dans un cadre qui peut lui être assimilé. Or il est connu que le principe général de responsabilité du fait d’autrui découvert dans l’arrêt n° 89-15.231, dit « Blieck », rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 29 mars 1991 N° Lexbase : A0285AB8 (Bull. civ. n° 1) ne peut valablement être activé lorsque la prise la charge de la personne concernée à un fondement contractuel (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-25.740, F-P+B+I N° Lexbase : A2912H8D, Bull. civ. I, n° 220).

[8] Cass. civ. 1, 16 avril 1996, n° 94-14.660, publié au bulletin N° Lexbase : A8514ABX.

[9] Sur la règle du non-cumul des responsabilités, voir par exemple : Cass. civ., 11 janvier 1922, GAJC, Coll. Grands Arrêts, Dalloz, 12e éd., 2008, n° 181 ; Cass. civ. 2, 26 mai 1992, Bull. civ. II, n° 154 ; RTD civ. 1992. 766, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 10-282.

[10] Article 1100-1 du Code civil N° Lexbase : L0591KZW : « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. Ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. »

[11] Par exemple : C.A. Montpellier, 1re ch., sect. D, 8 avril 2014, n° 12/05267 N° Lexbase : A9344MIW ; C.A. Montpellier, 1re ch., sect. D, 25 novembre 2014, n° 12/06581 N° Lexbase : A0600M4Y.

[12] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénedé, Droit civil. Les obligation, Coll. Précis, Dalloz, 12e éd., 2018, n° 856.

[13] La qualification d’obligation de résultat serait d’ailleurs extrêmement sévère pour les établissements accueillant des personnes âgées dès lors que par définition, la maîtrise de la propagation d’un virus est par nature aléatoire, quand bien même toutes les précautions ont été prises et respectées.

[14] Si l’obligation avait été qualifiée de résultat, le seul fait qu’un résident soit contaminé aurait permis d’établir le manquement contractuel, et donc, le fait générateur de responsabilité contractuelle. 

[15] Par exemple : protocoles sanitaires élaborés par le ministère des Solidarités et de la Santé du 13 mars 2021 et du 19 mai 2021.

[16] Cl. Lacour, « La liberté d'aller et venir en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes », in Alzheimer, étique et société (sous la dir. de F. Gzil et E. Hirsch), Coll. « Espace éthique - Poche », Erès, 2012, p. 365 et s.

[17] Défenseur des droits, « Rapport : Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD », 2021 [en ligne].

[18] La charte des droits et libertés de la personne accueillie, mentionnée à l’article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4862LWY, est annexée à l’arrêté du 8 septembre 2003.

[19] CE, 3 mars 2021, n° 449759 N° Lexbase : A66304IE.

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