Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Famille et personnes

[Chronique] Droit des personnes et de la famille (février – avril 2021)

Lecture: 21 min

N2373BZW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Droit des personnes et de la famille (février – avril 2021). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/86756029-chronique-droit-des-personnes-et-de-la-famille-fevrier-avril-2021
Copier

par Aurore Camuzat - Doctorante et Aurélien Molière - Maître de conférences, Directeur du Master Droit de la famille, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3

le 28 Juillet 2022

Les difficultés liées à la preuve de la nationalité française

Mots-clés : nationalité, possession d’état

♦ CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/08770 N° Lexbase : A67154H8

♦ CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/04411 N° Lexbase : A63304HW

♦ CA Lyon, 2e ch. A, 24 février 2021, n° 19/06094 N° Lexbase : A04394I4

Les trois arrêts commentés sont relatifs au contentieux de la nationalité. À l’instar du sexe ou du nom, la nationalité est un des éléments permettant l’identification d’une personne. Il est possible de la définir comme un lien juridique rattachant une personne physique à un État et consacrant son appartenance à une population. Il ne faut pas non plus oublier la dimension éminemment politique de la nationalité. Le contentieux en la matière est important, à tout point de vue, car elle constitue autant un élément de l’état des personnes que l’un des aspects de la souveraineté étatique. Cette dualité et l’importance des droits attachés à la nationalité française expliquent que le contentieux lié à l’obtention de cette nationalité soit abondant. Les trois arrêts commentés en sont un parfait exemple. Le premier concerne l’attribution de la nationalité par le droit du sang (CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/04411 N° Lexbase : A63304HW), le deuxième est relatif à l’acquisition de la nationalité par déclaration (CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/08770 N° Lexbase : A67154H8) et le dernier illustre la mise en œuvre de règles spécifiques, en matière de nationalité, liées à l’indépendance de l’Algérie (CA Lyon, 2e ch. A, 24 février 2021, n° 19/06094 N° Lexbase : A04394I4).

Dans deux affaires (CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/04411 N° Lexbase : A63304HW et CA Lyon, 2e ch. A, 24 février 2021, n° 19/06094 N° Lexbase : A04394I4), la délivrance d’un certificat de nationalité française a été sollicitée auprès du greffe du tribunal d’instance. Les deux demandes ont été rejetées aux motifs que la preuve de la nationalité française n’était pas rapportée. Dans la troisième affaire (CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/08770 N° Lexbase : A67154H8), une déclaration de nationalité, fondée sur la possession d’état de Français, a été soumise au greffe du tribunal d’instance. Un refus d’enregistrement lui a été opposé, au motif que la possession d’état était équivoque et que l’acte de naissance produit n’avait pas de force probante.

Face à ces refus, les trois requérants ont saisi le tribunal de grande instance de Lyon. Si pour celui, qui se fondait sur le droit du sang, et celui qui se fondait sur la possession d’état, les demandes ont été accueillies et la nationalité française obtenue, tel n’a pas été le cas pour le troisième homme qui a vu sa demande rejetée.

Dans les deux premières affaires, le ministère public a fait appel des jugements afin de faire constater l’extranéité des demandeurs. Dans l’affaire relative à l’obtention de la nationalité française par possession d’état de Français, le ministère public soutenait qu’en l’absence d’état civil fiable, il n’était pas possible de revendiquer la nationalité française. De plus, les conditions requises pour faire jouer la possession d’état de Français n’étant pas remplies, la déclaration de nationalité devait être rejetée. Dans l’affaire relative à l’obtention de la nationalité française par droit du sang, le ministère public a soutenu que l’acte de naissance présenté était apocryphe. En l’absence d’un état civil fiable, il était nécessaire de constater l’extranéité du défendeur. Dans la troisième affaire, relative à la déclaration recognitive de nationalité rejetée, le demandeur a fait appel du jugement. À l’appui de sa demande, il soutenait qu’il était français, car il était né en Algérie, avant son indépendance, de parents français, également nés en Algérie.

La question essentielle reposait sur la preuve de la nationalité française, à travers la charge de la preuve, les moyens employés et leur force probante. S’il est vrai que la preuve de la nationalité ne se confond pas toujours avec la preuve de l’état des personnes, les deux problématiques n’en sont pas moins liées. En effet, la plupart des modes d’obtention de la nationalité française, tant par l’effet de l’attribution, que de la déclaration ou de la naturalisation, implique la preuve d’un élément de l’état des personnes, à travers l’utilisation des actes de l’état civil (C. Bidaud, Preuve de la nationalité et actes de l’état civil étrangers, in La nationalité : enjeux et perspectives, éd. Institut universitaire Varenne, coll. « Colloques et Essais », 2019).

Dans les trois arrêts commentés, la charge de la preuve pesait sur les intéressés. En effet, celle-ci incombe à l’individu dont la nationalité est en cause (C. civ., art. 30 N° Lexbase : L2713AB4). Il revenait à chacun des intéressés de rapporter la preuve de leur nationalité française. Se pose alors la question des modes de preuve mobilisables, tant pour la question de l’attribution de la nationalité par le droit du sang (I) que de l’acquisition de la nationalité par déclaration (II). 

I. La preuve de l’attribution de la nationalité par le droit du sang

Lorsque la nationalité française est acquise par le droit du sang (C. civ., art. 18), la preuve est double. Il est nécessaire de prouver la nationalité française de l’un des parents et l’existence d’un lien de filiation légalement établi vis-à-vis de celui-ci. En pratique, de telles preuves sont rapportées par la production d’actes de l’état civil, présumés probants (C. civ., art. 47 N° Lexbase : L4366L7T). Toutefois, cette présomption de force probante est de plus en plus souvent remise en cause, puisque si l’acte est irrégulier, falsifié ou inexact, toute force probante est exclue. Tel est également le cas lorsqu’il est apocryphe. Le problème est qu’il n’existe aucune définition unanime de ce terme. Dès qu’il existe une anomalie, un simple doute relatif à l’acte de l’état civil étranger, il sera qualifié d’apocryphe et mis à l’écart.

Dans l’arrêt du 17 février 2021 (CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/04411 N° Lexbase : A63304HW), les juges d’appel de Lyon ont soulevé des incohérences, remettant en cause le caractère probant du jugement supplétif, produit par l’intéressé, et de l’acte de naissance dressé sur la base de ce jugement. Afin de démontrer l’absence de fiabilité de l’état civil de l’intéressé, les juges d’appel de Lyon semblent avoir apprécié la validité du jugement supplétif par analogie à l’article 47 du Code civil. S’ils n’ont pas, explicitement, caractérisé le jugement supplétif et l’acte de naissance d’irrégulier, de falsifié, d’inexact ou d’apocryphe (à la différence du ministère public), ils ont conclu à leur absence de fiabilité. L’absence d’emploi du terme « apocryphe » par les juges d’appel est louable, car il n’existe aucune définition unanime de ce terme et qu’elle n’avait aucun intérêt à être mobilisée en l’espèce. De plus, l’examen des arguments employés permet de relever le caractère irrégulier de l’acte de naissance, à travers l’irrespect de certaines conditions de forme de la loi sénégalaise. Tel semble être également le cas s’agissant du jugement supplétif, où certaines mentions permettent de douter de sa régularité. L’acte de naissance de l’intéressé et le jugement supplétif n’étant pas probants, il ne pouvait les utiliser pour rapporter la preuve du lien de filiation l’unissant à son père. Ce faisant, il ne pouvait acquérir la nationalité française par le droit du sang.

II. La preuve de l’acquisition de la nationalité française par déclaration

Il est nécessaire de distinguer l’acquisition de la nationalité française par l’effet de la possession d’état de Français (A), du cas particulier de la déclaration recognitive liée à l’indépendance de l’Algérie (B).

A. La preuve de la possession d’état de Français

Un individu peut acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’il ait « joui, d’une façon constante, de la possession d’état de Français, pendant les dix années » précédant la déclaration (C. civ., art. 21-13 N° Lexbase : L2359ABY). En ce cas, la preuve à rapporter est également double. Il est nécessaire de justifier d’un état civil fiable (C. civ., art. 47 N° Lexbase : L4366L7T) et de caractériser l’existence de la possession d’état de Français. La jurisprudence est constante en la matière, « la possession d’état de Français se caractérise non seulement par le fait pour l’intéressé de se comporter comme un Français et d’être traité comme tel par le public et les autorités françaises, mais aussi d’exercer les droits et d’assumer les obligations liées à cette qualité. » (v. pour exemple, Cass. civ. 1, 22 mars 1960, Vve Israël). À l’instar de la possession d’état en matière de filiation, la possession d’état de Français doit être continue, non équivoque et ne pas avoir été constituée par fraude (Cass. civ. 1, 2 décembre 2015, n° 14-28.047, F-D N° Lexbase : A6931NYD).

Dans un arrêt en date du 17 février 2021 (CA Lyon, 2e ch. A, 17 février 2021, n° 19/08770 N° Lexbase : A67154H8), les juges d’appel de Lyon ont, successivement, vérifié la fiabilité de l’acte de naissance présenté par l’intéressé et les conditions de la possession d’état de Français. Après avoir rappelé la règle énoncée par l’article 47 du Code civil N° Lexbase : L4366L7T, les juges d’appel ont vérifié la conformité de l’acte de naissance à la loi malgache et considéré que rien ne permettait de remettre en cause la présomption de force probante. L’acte de naissance étant probant, l’état civil du défendeur était fiable.

La véritable problématique reposait sur la question de la possession d’état de Français. À la suite du refus de délivrance d’un certificat de nationalité française survenu en octobre 2015, le défendeur a souscrit une déclaration d’acquisition par possession d’état dans un « délai relativement bref ». Il était nécessaire de vérifier l’existence de la possession d’état de Français entre 2005 et 2015. Pour ce faire, les juges ont employé divers éléments, purement factuels. En se faisant inscrire sur les listes électorales, les listes de recensement, en participant aux élections et à l’appel de préparation à la défense, le défendeur s’est comporté comme s’il était français. En lui délivrant une carte nationale d’identité, un passeport, une carte électorale, une attestation de recensement et un certificat de participation à l’appel de préparation à la défense, le défendeur a été traité comme s’il était français par les autorités françaises. La possession d’état de Français du défendeur a été continue, non équivoque et constituée sans fraude. Ce faisant, les juges d’appel ont confirmé le jugement de première instance et, par extension, considéré que le défendeur était bel et bien français.

B. Le cas particulier de l’Algérie

Lorsque l’Algérie a accédé à l’indépendance, elle a perdu son statut de département français pour acquérir celui d’État à part entière. Dès lors, il a fallu régler la question de la nationalité. Une solution originale a été trouvée et mise en place par l’ordonnance n° 62-825, du 21 juillet 1962 et la loi n° 66-945, du 20 décembre 1966. Le choix a été fait de distinguer les personnes de statut civil de droit commun de celles de statut civil de droit local. S’agissant de la première catégorie, c’est-à-dire les personnes soumises au Code civil et domiciliées en Algérie lors de son accession à l’indépendance, elles conservaient leur nationalité française de plein droit. Au contraire, les individus de la seconde catégorie ayant obtenu la nationalité algérienne perdaient la nationalité française. Par exception, ils pouvaient la conserver à condition de justifier d’un établissement en France et de souscrire à une déclaration recognitive dans les trois mois suivant la publication de la loi du 20 décembre 1966. Le délai était suspendu durant la minorité.

Dans l’arrêt du 24 février 2021 (CA Lyon, 2e ch. A, 24 février 2021, n° 19/06094 N° Lexbase : A04394I4), les juges d’appel ont, très justement, écarté l’application des articles 18 N° Lexbase : L8904G9N et 19-1 du Code civil N° Lexbase : L0566DPN. Dans un premier temps, ils ont relevé l’absence de production des actes de naissance des parents de l’appelant. Il n’était pas possible de considérer que ces derniers étaient français avant l’indépendance de l’Algérie et de vérifier l’existence d’un lien de filiation légalement établi entre ces derniers et l’intéressé. De plus, ils ont relevé que celui-ci était de statut civil de droit local lors de l’accession à l’indépendance de l’Algérie. L’appelant aurait dû s’installer en France et effectuer une déclaration recognitive de nationalité à sa majorité, ce qu’il n’a pas fait. Dès lors, il était nécessaire de constater son extranéité.

Les trois arrêts commentés permettent de prendre conscience de l’importance du contentieux en matière de nationalité, et de la difficulté liée à la preuve. Si différents modes de preuves peuvent être mobilisés, la preuve reine en la matière est l’acte d’état civil. Or la remise en cause facilitée de sa force probante, sans compter l’emploi du terme « apocryphe », soulève de nombreuses questions, dont aucune n’a de réponse claire. C’est, en partie, pour ces différentes raisons que ce contentieux n’est pas près de s’essouffler.

Par Aurore Camuzat

Celui qui promet de donner est contraint à la forme authentique

Mots-clés : acte authentique, donation, formalisme, nullité

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 février 2021, n° 19/04035 N° Lexbase : A33824EY

L’actionnaire principal de la société A, la société B, lui a consenti plusieurs prêts. Ils l’ont été au moyen d’importantes sommes apportées à cette dernière par l’actionnaire minoritaire de la première. Des difficultés ont conduit à la cession de la société A pour un euro symbolique, entraînant la liquidation de la société B. Un protocole a été conclu entre les époux ayant dirigé la société B et l’auteur de l’apport, afin d’organiser le règlement de sa créance. Il a notamment été prévu que le couple cèderait la nue-propriété de deux appartements qu’ils recevraient en avancement de part des parents de l’épouse. Ce protocole n’a jamais été exécuté. Devant la cour d’appel de Lyon, en réponse à la demande d’exécution forcée formée par le créancier, il a été soutenu que cet accord était nul au motif qu’il contenait une promesse de donation défectueuse sur la forme.

L’article 931 du Code civil N° Lexbase : L0088HPX figure parmi ces articles dont l’interprétation, à première vue, peut soulever des difficultés. En effet, celui-ci énonce que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ». Une lecture approximative pourrait laisser croire que toute donation est soumise au formalisme de l’acte authentique. Ce n’est pourtant pas le cas. Il faut en réalité comprendre que la donation, lorsqu’elle est ostensible et lorsqu’elle a pour support un acte, doit adopter la forme authentique. Que seraient, sinon, le don manuel, la donation déguisée ou encore la donation indirecte ? Cette distinction étant faite, il convient également de rappeler que pour être valablement formée, la promesse doit respecter le formalisme de l’acte promis. Ainsi, en toute logique, la promesse de donner doit également être conclue en la forme authentique, à peine de nullité (Cass. civ. 1, 22 février 2017, n° 16-14.351, F-P+B N° Lexbase : A2608TPB ; AJ famille 2017. 250, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2017. 466, obs. M. Grimaldi ; Dr. famille 2017. 104, note M. Nicod). Or ce n’était pas le cas en l’espèce. La promesse insérée dans le protocole, conclue par acte sous signature privée, n’était logiquement pas valable.

La question de la validité de la promesse de donation étant réglée, il reste un autre point à régler : qu’en est-il de l’étendue de la nullité ? Se cantonne-t-elle à la promesse ou contamine-t-elle l’ensemble du protocole qui la contient ? La réponse est apportée de façon tout à fait classique. Le protocole litigieux apparaît aux yeux de la Cour comme « un tout indivisible tant par la volonté des parties clairement exprimée […] que par l’équilibre intrinsèque de l’acte ». Ainsi, la promesse ne peut pas être détachée de l’ensemble, sauf à dénaturer l’acte. C’est donc une nullité totale du protocole qui doit être prononcée.

La décision rendue par la cour d’appel de Lyon s’avère être particulièrement pédagogique. En effet, les juges prennent la peine d’expliquer aux parties que « le formalisme de l’article 931 répond à la nécessité de préconstituer une preuve durable de la donation, mais également au souci de protection de consentement des parties. En ce sens, il est essentiel que le donateur comme le donataire soient éclairés par un notaire sur les clauses de l’acte ». Si cet effort doit être salué, on peut regretter que l’affirmation soit à moitié exacte. Il est vrai que la forme imposée permet de protéger le donateur et ses proches, en l’éclairant sur les conséquences et la portée de son acte. Il en va de même du donataire, car cette convention qu’est la donation, malgré son caractère unilatéral, peut parfois renfermer des engagements de sa part sous la forme de charges qui sont autant d’obligations. En revanche, s’agissant d’une règle relevant du formalisme ad validitatem et non du formalisme ad probationem, la préconstitution d’une preuve durable semble échapper aux objectifs poursuivis par l’article 931 du Code civil N° Lexbase : L0088HPX. On concèdera qu’en imposant un acte authentique à peine de nullité, le législateur permet aux parties de disposer d’une telle preuve. Mais ce n’est pas le but recherché. En réalité, si une autre utilité doit être reconnue à cette règle de forme, c’est de garantir l’irrévocabilité de la donation.

Par Aurélien Molière

Quelques rappels à propos du régime primaire des époux

Mots-clés : assistance, mariage, mandat entre époux, faute de gestion, direction de fait 

♦ CA Lyon, 3e ch. A, 29 avril 2021, n° 20/01013 N° Lexbase : A60474QZ

Les règles du mariage permettent-elles à un époux d’échapper à sa responsabilité lorsqu’il s’est rendu complice d’une faute commise par son conjoint ? La question peut prêter à sourire. Pourtant, elle résume assez bien l’argumentation d’une épouse qui, devant la cour d’appel de Lyon, tentait le tout pour le tout pour éviter sa condamnation. Le liquidateur judiciaire d’une société avait saisi le tribunal de commerce de Roanne d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre de son mari, gérant de fait. Elle était également visée en sa qualité de gérante de droit, statut qu’elle avait adopté à défaut pour son mari de le pouvoir en raison de sa profession d’enseignant. En appel comme en première instance, ses tentatives pour échapper à sa responsabilité ont été vaines.

Premièrement, elle soutient que c’est en exécution de son devoir matrimonial d’assistance qu’elle est devenue gérante en lieu et place de son époux. Autrement dit, c’est par obligation qu’elle se serait rendue complice de la violation commise par son conjoint. L’argument est, bien entendu, inopérant. D’abord, le seul fait pour elle d’avoir abandonné la gestion de la société à un tiers, gérant de fait, suffit à caractériser une faute. Elle était donc personnellement responsable. Ensuite, la cour rappelle ce qui semble être une évidence : « les obligations du mariage [n’imposent] pas à un époux de se rendre complice de la violation par son conjoint d’un statut qui lui interdit d’exercer une fonction ». Par conséquent, le devoir matrimonial d’assistance (art. 212) invoquée par l’appelante n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité. Le contraire serait pour le moins surprenant et inquiétant. 

Deuxièmement, elle indique à la cour avoir simplement consenti un mandat tacite à son époux, en vertu de l’article 218 du Code civil, afin qu’il puisse la suppléer dans ses fonctions de gérante. Ainsi, elle aurait bien été la véritable gérante de cette société et son époux serait uniquement intervenu en qualité de représentant. Une fois de plus, l’argument est facilement anéanti par la cour d’appel. Selon cette disposition du régime primaire « un époux peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue » (nous soulignons). L’on comprend immédiatement que ce mandat entre époux a un domaine limité. Il permet à l’un de représenter l’autre, par exemple, dans la gestion de ses biens propres (art. 1428) ou des biens communs soumis à la gestion exclusive du représenté (art. 1421, al. 2). Or, la cause intéresse les pouvoirs de gestion d’une société, lesquels sont totalement étrangers aux pouvoirs résultant du régime matrimonial adopté. La règle visée doit donc être écartée. En outre, les juges lyonnais observent que la qualification soutenue par l’appelante est erronée. La délégation de pouvoirs qu’elle a consentie à son mari n’est « pas un mandat, mais une faute de gestion ». 

Si, jusque-là, on ne peut qu’observer et approuver la rigueur de la décision rendue, la suite de la motivation est source d’interrogations. La cour d’appel affirme qu’« en abandonnant la gestion aux mains de son époux, [l’épouse] a ratifié cette gestion dont elle ne pouvait plus considérer qu’elle ne posait pas de problèmes à compter du premier contrôle fiscal ». Il y a, dans cette formule, un curieux contresens : comment la ratification d’une gestion pourrait-elle résulter d’un abandon de pouvoirs ? Plus directement, comment la ratification d’une gestion pourrait-elle avoir lieu avant la réalisation de cette gestion ? La ratification, par nature, peut seulement avoir lieu a posteriori, une fois réalisée la chose qu’il est question de ratifier. Cette affirmation maladroite est d’autant plus malheureuse qu’elle intervient à un stade déterminant de la motivation : la démonstration de la pleine et entière coresponsabilité de l’épouse à travers le rejet de la simple faute de négligence et la caractérisation d’une faute intentionnelle. Cet écart de raisonnement est regrettable, mais, fort heureusement, il n’entache que très partiellement la rigueur de la décision.

 

Par Aurélien Molière

newsid:482373

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.