Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Covid-19

[Actes de colloques] Colloque "Covid-19 et droit de l’indemnisation" : Covid-19 et responsabilité contractuelle

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par Olivier Gout - Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Codirecteur de l’Équipe Louis Josserand

le 28 Juillet 2022

La crise de la Covid-19 a largement contrarié la vie contractuelle. Nombreux sont en effet les contrats qui ont été momentanément ou durablement impactés par les effets dévastateurs de la pandémie. Les raisons sont multiples et bien connues : maladie des contractants, confinements à répétition, fermetures temporaires d’établissements, restrictions voire interdictions de déplacements.

Les victimes contractuelles se comptent donc par dizaine de milliers pour ne pas dire par centaines de milliers et la question se pose de savoir comment le droit a pu ou peut leur venir en aide.

À vrai dire les victimes contractuelles peuvent être recensées des deux côtés d’un acte. Il y a celles qui ont été frustrées de ne pas avoir pu bénéficier des effets attendus du contrat passé [1], celles qui n’ont pas pu s’acquitter de leurs obligations en raison des contraintes liées à la crise, voire été empêchées d’exécuter le contrat, et qui ont été assignées en exécution ou en responsabilité. Peuvent donc être victimes de la situation les créanciers contractuels comme les débiteurs contractuels.

Seuls nous intéresseront, dans le cadre de cette intervention, les débiteurs contractuels, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas pu exécuter le contrat. La question se pose en effet de savoir, les concernant, s’ils peuvent se prévaloir de la situation de la pandémie et donc de la crise de la Covid-19, pour échapper à leurs engagements contractuels. Autrement dit, peuvent-il être comptables, ou jugés responsables, de l’inexécution du contrat ?

Comme il est possible de le mesurer, cette intervention peut être perçue comme étant en léger décalage avec les autres présentées dans le cadre de ce séminaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous l’avons intitulé « le cas particulier de la responsabilité contractuelle ». La question que nous nous sommes posée est en effet celle de savoir ce que peut risquer un contractant qui n’a pas pu exécuter un contrat ou pas pu l’exécuter correctement en raison de la crise de la Covid-19.

Ne pas exécuter un contrat peut engendrer plusieurs types de conséquences ou du moins des sanctions différentes qui peuvent tantôt affecter le contrat, tantôt affecter la personne à l’origine de l’inexécution [2]. L’inexécution d’un contrat peut entraîner sa résolution mais peut aussi conduire à engager la responsabilité civile de celui qui, à l’origine de l’inexécution, cause un préjudice à son cocontractant.

Dès lors, la question qu’il convient de se poser est de savoir s’il est possible de tirer argument de la crise de la Covid-19 pour justifier l’inexécution d’un contrat et échapper au paiement de dommages-intérêts alors même que cette inexécution peut être source de dommage pour le créancier. Pour le profane, la réponse est assurément affirmative et relève presque du bon sens. Mais pour le juriste, les données sont plus complexes car il importe de se demander si les conditions sont réunies pour échapper à sa responsabilité ou pour renégocier le contrat.

Avant d’aller plus loin, deux précisions, et non des moindres, s’imposent.

Tout d’abord, les observations que nous allons formuler, au moins dans un premier temps, concerneront pour l’essentiel des contrats conclus avant le mois de mars 2020. Pour quelle raison ? Parce que, dès lors qu’une pandémie peut être intégrée dans le champ contractuel, c’est-à-dire peut être envisagée par les contractants, il n’est plus possible, ou du moins plus difficile, de s’en prévaloir pour échapper à sa responsabilité du fait de l’inexécution du contrat. N’oublions pas que le contrat est un « acte de prévision » pour reprendre l’expression d’Hariou, ou « une emprise sur l’avenir » selon les mots de Ripert [3]. Il conviendra alors de dire quelques mots des contrats conclus postérieurement afin d’indiquer comment les contractants peuvent s’adapter pour échapper à leur responsabilité.

Ensuite nous ferons fi, dans le cadre des développements à venir, des remèdes réglementaires qui avaient été proposés aux contractants. Le ministre de l’Économie avait annoncé, dès le 28 février 2020, que le coronavirus serait considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises [4] et précisé que, pour tous les marchés publics de l’État, les pénalités ne seront pas appliquées en cas de retard de livraison. Ainsi, les ordonnances du 25 mars 2020 [5] ont introduit des solutions exceptionnelles, et donc temporaires, pour gérer la situation liée à l’impossibilité d’exécuter un contrat au lendemain des confinement. Les mesures ainsi mises en place ne concernent qu’une poignée de contrats pendant une période limitée. Il ne paraît dès lors guère utile d’exposer ces situations contractuelles faites pour ne pas durer.

Notre réflexion se concentrera dès lors sur le droit commun des contrats, celui du Code civil, et conduira à nous poser la question de savoir si la crise de la Covid-19 peut justifier l’inexécution du contrat, ou du moins permettre d’échapper aux différentes sanctions de l’inexécution et en partie à la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle [6]. Il nous semble important de distinguer deux moments dans cette réflexion car si la pandémie paraît constituer aujourd’hui, et pour certains contrats, une circonstance atténuante, il n’en ira pas sans doute pas de même demain, fort de cette nouvelle expérience.

I. Aujourd’hui [7] – L’excuse de la Covid-19

Notre hypothèse de travail est celle dans laquelle un contractant ne peut exécuter le contrat en raison de la situation pandémique. Il importe en effet de noter, comme l’a récemment affirmé la Cour de cassation, à propos de l’article 1218 al. 1er du Code civil N° Lexbase : L0930KZH, qui vient définir les conditions requises pour pouvoir se prévaloir d’un événement présentant les caractéristiques de la force majeure, que le créancier qui n’a pas pu profiter de la prestation ne peut pas invoquer la force majeure pour demander la résolution du contrat [8]. Ainsi, celui qui aurait loué au début de l’année 2020 un appartement à la montagne pour skier en décembre 2020 ou en janvier 2021 ne pourrait se prévaloir de la force majeure pour se faire rembourser dès lors que le loueur est en mesure de lui proposer la location ainsi réservée. La solution peut paraître sévère pour notre malheureux vacancier, mais elle paraît conforme à la lettre et à l’esprit de l’article 1218 du Code civil N° Lexbase : L0930KZH.

Cela étant précisé, on s’accorde à considérer qu’il existe en France au moins deux remèdes qui peuvent être invoqués par celui qui ne parvient pas à exécuter le contrat pour échapper à une sanction. L’existence d’un événement présentant les caractéristiques de la force majeure et le recours au jeu de la révision pour imprévision. Revenons successivement sur ces deux outils.

A. La force majeure

On lit parfois, dans les écrits des juristes français, que lors de précédentes épidémies, les juridictions françaises étaient hostiles à reconnaître l’existence d’un cas de force majeure pour justifier la mauvaise exécution d’un contrat [9]. Seulement il importe de préciser que ces décisions n’émanent pas de la Cour de cassation et n’ont donc pas la même portée jurisprudentielle. Il est dès lors difficile de leur conférer un poids trop conséquent. De surcroît, il est possible de défendre l’idée que nous ne sommes pas exactement dans la même situation que les épidémies précédentes : il n’échappera à personne que la période que nous venons de traverser était, pour le moins, inédite. Qui pourrait raisonnablement le nier ? La crise liée à la situation sanitaire est internationale et a conduit à la mise en place de mesures particulièrement drastiques dans la plupart des pays du monde. Quant à son ampleur dans les différents pays concernés, elle est, là encore, sans commune mesure au regard des expériences vécues jusqu’alors. Les épidémies liées aux virus H1N1, à la Dengue ou Ebola ne sont donc pas véritablement comparables.

Quoi qu’il en soit, pour savoir si nous sommes confrontés à une situation présentant les caractéristiques de la force majeure, il convient tout simplement de vérifier que les conditions d’application telles qu’édictées par l’article 1218 du Code civil N° Lexbase : L0930KZH sont réunies. Quatre conditions sont posées par ce texte.

1/ Il importe d’établir, pour commencer, un événement échappant au contrôle du débiteur. Dès lors que l’inexécution est directement liée à l’épidémie de la Covid-19, la condition devrait être considérée comme remplie.

2/ Il faut vérifier, ensuite, que l’événement litigieux était imprévisible au moment de la formation du contrat. Plus précisément, indique le texte, l’événement ne devait pas pouvoir être raisonnablement être prévu au moment de la conclusion du contrat. Il convient alors de distinguer pour deux types de contrats ainsi que nous l’avons déjà laissé entendre :

  • ceux conclus avant le début de la pandémie : la Covid-19 est une maladie nouvelle, inconnue chez l’homme pour laquelle il n’existait pas de vaccin. De surcroît, la vitesse et l’ampleur de sa propagation au niveau national et mondial sont inédites. La condition de l’imprévisibilité semble donc exister ici [10] ;
  • en revanche, pour les contrats conclus ou renouvelés, ce qui juridiquement fait naître un nouveau contrat [11], après l’apparition de l’épidémie, la condition de l’imprévisibilité pourra ne pas être considérée comme remplie [12]. Les contractants ont ici été en mesure d’intégrer cet élément dans le champ contractuel. Ils tomberont sous le coup de la situation que nous évoquerons dans la deuxième partie de cet exposé.

3/ La troisième condition évoque, je cite le texte, « les effets ne pouvant pas être évités par des mesures appropriées ». Cette condition distingue un cas présentant les caractéristiques de la force majeure et celui d’un événement relevant de l’imprévision, la rendant « simplement » plus difficile ou onéreuse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la force majeure « financière » n’existe en principe pas pour le débiteur de l’obligation de payer une somme d’argent : comme l’a énoncé la Cour de cassation, que je cite : « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » [13]. En dehors de cette hypothèse particulière, on peut là encore admettre que cette condition est remplie dans le cadre de la Covid-19, notamment en raison des mesures de restrictions liées aux déplacements et de fermetures imposées.

4/ Enfin, la quatrième condition est celle relative à l’impossibilité d’exécution. Cette condition peut être réunie, par exemple, parce que le débiteur, ses salariés, les membres de son équipe ou ceux à qui il sous traite l’exécution du contrat, sont affectés par des syndromes invalidants. Par ailleurs, le confinement, le couvre-feu ou la fermeture d’établissements peuvent conduire à une désorganisation de la production rendant impossible l’exécution de prestations contractuelles.

En définitive, et pour conclure sur cette question, il semble tout à fait envisageable au regard de ce texte, et donc du droit français, de se prévaloir de l’existence d’un cas revêtant les caractéristiques de la force majeure, dès lors qu’il sera possible de prouver la réunion de ces quatre éléments. Cela a d’ailleurs déjà été admis par certaines juridictions du fond [14]. Une analyse s’imposera toutefois au cas par cas, car il est tout à fait possible de considérer que de nombreux contrats pouvaient être honorés. Pour ceux-ci alors, si la force majeure paraît difficile à envisager, reste la technique de l’imprévision.

B. L’imprévision

À côté de la force majeure, l’autre outil à la disposition des contractants est celui de la révision pour imprévision. Alors que la force majeure rend le contrat impossible à exécuter, l’imprévision engendre une difficulté d’exécution devenue excessivement onéreuse. Il convient alors de mobiliser l’article 1195 du Code civil N° Lexbase : L0909KZP. Ce texte dispose que « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer les risques, celle-ci peut demander une renégociation du contrat ».

Le caractère imprévisible de l’événement paraissant acquis, il importe de se demander si l’exécution « excessivement onéreuse » concerne seulement les hypothèses dans lesquelles le coût de la réalisation de la prestation devient « excessivement onéreux » ou si cela vise également l’hypothèse dans laquelle la valeur de la prestation reçue devient significativement inférieure au prix convenu. Si le texte semble seulement viser la première hypothèse, des auteurs considèrent que la diminution de la contrepartie, et donc un rapport coût-avantage devenu négatif, devrait être pris en compte [15]. L’avenir dira si cette proposition prospère, car un contentieux pourrait naître sur ce point, du fait notamment de litiges post-épidémie. Le juge tranchera.

Par ailleurs il existe une autre question qui est de savoir si « l’excessive onérosité » doit être appréciée objectivement, c’est à dire au regard du contrat en cause, ou subjectivement, c’est-à-dire au regard des facultés du débiteur. L’appréciation objective semble devoir être privilégiée car le mécanisme de l’imprévision a été conçu pour corriger les bouleversements extérieurs aux contractants. Tel est en tout cas le sentiment de la majorité de la doctrine [16].

Pour cette raison, il n’est donc pas certain que l’imprévision permette de remédier à toutes les difficultés qu’éprouveraient certains débiteurs dont la situation économique serait obérée.

En tout état de cause, il faut noter que le système mis en place par l’article 1195 du Code civil N° Lexbase : L0909KZP a vocation à privilégier la négociation amiable. On peut penser, ou du moins espérer, qu’il en sera ainsi au regard du contexte né de la pandémie, ne serait-ce que parce qu’il ne paraît pas souhaitable de sanctionner systématiquement le contrat ou les contractants en difficulté quant à l’exécution de leurs obligations. La remarque est d’autant plus vraie pour les contrats qui sont nés postérieurement à la naissance de la pandémie.

II. Demain : L’adaptation des contrats aux pandémies à venir

On sait désormais qu’il va falloir vivre avec le coronavirus dans les années à venir. C’est peut-être l’un des seuls points sur lesquels les virologues s’accordent même si, encore aujourd’hui, il est particulièrement délicat de mesurer, avec le développement de la vaccination et les multiples variants, l’impact du virus et de ses mutations sur notre vie de demain. Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible d’ignorer que des épidémies mondiales de grande ampleur sont dorénavant susceptibles de troubler la vie juridique. Les contractants ne peuvent plus en faire fi. Dès lors, la question se pose de savoir quelles conséquences en tirer puisque, on l’a dit, il paraîtra difficile de se prévaloir d’un événement présentant les caractéristiques de la force majeure. Les juristes ne sont pas dépourvus de tout outil. La liberté contractuelle permettra aux contractants d’anticiper et de régir en amont les conséquences à tirer de l’existence d’une crise sanitaire. La loyauté contractuelle est par ailleurs susceptible de conduire à une adaptation du contrat.

A. La liberté contractuelle : la gestion contractuelle des crises à venir

Les contractants n’ont pas attendu la crise de la Covid-19 pour anticiper d’éventuelles difficultés d’exécution du contrat. Les contrats regorgent de clauses relatives au principe de la responsabilité ou au montant de la réparation. Ils contiennent également des clauses venant tirer les conséquences de changement de circonstances qui pourraient modifier la donne contractuelle telle qu’initialement envisagée par une ou deux parties. Il n’est pas question de dresser la liste de ces clauses, ni de faire état de leur régime juridique dans le cadre de cette présentation.

Toutefois, il paraît important d’insister sur le fait qu’il y a tout lieu de penser que les rédacteurs de contrats vont tirer les conséquences de la difficile expérience que nous venons de vivre afin de tenir compte des risques liés à la Covid-19 et aux pandémies d’une manière plus générale [17].

Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, le débiteur d’une obligation contractuelle pourrait, par exemple, s’engager à faire son affaire personnelle de la difficulté d’exécution ou d’impossibilité d’exécution que le risque de la Covid-19 pourrait engendrer [18] et donc à poursuivre l’exécution du contrat en dépit de l’augmentation du coût lié à la Covid-19. Ce contractant renoncerait ainsi à se prévaloir de l’imprévision et donc de l’article 1195 du Code civil N° Lexbase : L0909KZP. Ce type de stipulation est déjà présent dans de nombreux contrats puisque l’article 1195 N° Lexbase : L0909KZP est un texte supplétif de volonté, si bien que les contractants peuvent tout à fait y déroger.

Il est même possible de s’exposer davantage en acceptant un remboursement du cocontractant empêché de bénéficier de la prestation en raison de la Covid-19 (tel serait le cas dans l’hypothèse où un client contaminé par le virus ou un touriste renoncerait à un voyage au regard de la situation ou à une réservation effectuée dans un hôtel). Le secteur du tourisme est particulièrement concerné et certaines plateformes n’ont pas hésité à s’engager à rembourser intégralement les réservations en cas d’annulation à la suite d’une évolution de la crise sanitaire. Les compagnies aériennes proposent également des formules de ce type.

Dans un registre voisin, les contractants peuvent envisager d’assouplir les règles contractuelles afin de limiter certaines conséquences normalement attachées à l’inexécution du contrat. À ce titre, ils pourront assouplir les délais d’exécution en cas de crise sanitaire, prévoir la possible rupture du contrat sans indemnité.

Les rédacteurs d’actes auront également dorénavant la tentation de préciser certaines notions, comme « le changement de circonstances imprévisibles » ou celle « d’exécution excessivement onéreuse » visées par l’article 1195 du Code civil N° Lexbase : L0909KZP. Ces clauses ne devront toutefois pas favoriser l’une des parties au détriment de l’autre au risque de tomber sous le coup de la législation relative aux clauses abusives qui joue dorénavant pour tous les contrats d’adhésion (C. civ., art. 1171N° Lexbase : L1981LKL).

S’agissant du cas particulier de la force majeure, un auteur a pu se demander si nous n’allions pas assister à une systématisation des clauses de force majeure, la caractérisation de la force majeure et de ses conséquences dépendant largement de l’appréciation au cas par cas des tribunaux [19]. Quoi qu’il en soit, les contractants pourront introduire des clauses dédiées et prévoir par exemple qu’une pandémie sera appréhendée par les contractants comme un événement présentant les caractéristiques de la force majeure ou alors l’inverse si tel est leur souhait, quitte à redéfinir la notion de force majeure dans leur contrat. S’ils recensent les hypothèses de force majeure, il serait souhaitable pour ces derniers de préciser que la liste est limitative ou énonciative. Il conviendrait également de bien indiquer quels sont les effets de la force majeure ou de la pandémie sur le contrat. Il s’agira au moins de la suspension du contrat, sauf peut-être lorsque cela dépassera un certain laps de temps. Et cela pourra conduire à la résolution du contrat, y compris si c’est le créancier qui se prévaut de la force majeure, notamment pour neutraliser la jurisprudence préalablement évoquée du 25 novembre 2020 (Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-21. 060, FS-P+B+I N° Lexbase : A551737H).

Encore une fois, loin de nous l’idée d’être ici exhaustif, mais simplement de convaincre de l’existence des nombreuses ressources contractuelles pouvant conduire à aménager la responsabilité contractuelle en cas de nouvelle pandémie depuis que la Covid-19 accompagne notre quotidien. Mais même en l’absence de ces clauses, le jeu de la bonne foi contractuelle pourrait venir prendre le relai et pour cette raison est un outil qui ne saurait être négligé.

B. Le respect de la loyauté contractuelle

L’exigence de loyauté contractuelle qui a pu, par le passé, conduire la jurisprudence à exiger que les parties renégocient un contrat [20], pourrait être à nouveau mobilisée. Depuis la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK), la bonne foi contractuelle visée par l’article 1104 du Code civil [21] fait partie des principes directeurs du droit des contrats et figure ainsi, avec le principe de la liberté contractuelle (C. civ., art. 1102 N° Lexbase : L0823KZI) et celui de la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1103 N° Lexbase : L0822KZH) au sein des dispositions liminaires du sous-titre consacré au contrat. Ces trois principes expriment les valeurs qui régissent dorénavant le droit des contrats, ou encore « la couleur contractuelle » de la discipline.

L’exigence de bonne foi suppose ainsi au minimum, dans l’exécution du contrat, sincérité, sans malice ni tentative de nuire. Elle oblige les parties à coopérer et surtout à ne pas sacrifier les intérêts d’un des contractants. Autrement dit, une obligation de « confraternité contractuelle » doit régir les relations des parties [22]. Un auteur a ainsi soutenu que la Covid-19 pourrait engendrer une « nouvelle vague du solidarisme imposée par les circonstances » [23]. Et cet auteur d’ajouter que « le juge n’hésitera pas en période de crise à revenir aux instruments classiques, parmi lesquels le principe de bonne foi et le devoir de collaboration, si les outils trop stricts que sont la force majeure et l’imprévision ne permettent pas de lutter efficacement contre toutes les injustices » [24]. Le solidarisme contractuel pourrait ainsi trouver un écho particulier dans le contexte actuel chez les juges, compte tenu notamment de l’importance accordée à la solidarité dans les mesures mises en place par les pouvoirs publics dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire [25]. Un tribunal judiciaire a d’ailleurs déjà pu faire expressément référence à cette obligation d’exécuter loyalement les contrats affectés par la Covid-19. Les juges ont en effet rappelé que « selon l’article 1134 devenu 1104 du Code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives » [26].

Quoi qu’il en soit, et cela sera notre mot de conclusion, la vie contractuelle sera longuement marquée par cet épisode ou plutôt ce long feuilleton de la Covid-19. De là à dire qu’elle sera immunisée contre le virus, il est possible d’en douter…


[1] Tel est le cas de l’acquéreur d’une maison qui n’a pas été livrée dans les délais fixés ou de l’acheteur d’un produit commandé qui n’a pas pu être fabriqué comme initialement prévu.

[2] V. art. 1217 du Code civil N° Lexbase : L1986LKR.

[3] Cités l’un et l’autre par Ch.-E. Bucher, « La force majeure et l’imprévision remèdes à l’épidémie de covid-19 ? », Contrats Concurrence Consommation n° 4, Avril 2020, étude 5.

[4] Évidemment, cette déclaration ne lie pas les juges.

[5] Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période N° Lexbase : L5730LW7.

[6] Sur la question v. M. Behar-Touchais, L’impact d'une crise sanitaire sur les contrats en droit commercial - À l'occasion de la pandémie de Covid-19, JCP E 2020, n° 1162 ; J. Heinich, L'incidence de l'épidémie de coronavirus sur les contrats d'affaires : de la force majeure à l'imprévision, D. 2020. 611 ; C.-E. Bucher, Contrats : la force majeure et l’imprévision remèdes à l’épidémie de Covid-19, CCC avril 2020, n° 5 ; A. Tadros, Le Covid-19 et le droit des contrats, RLDC mai 2020, n° 181, n° 6787 ; A. Fevre et X. Hu, Épidémie de coronavirus (Covid-19) : est-ce un événement de force majeure ?, BRDA 6/20. inf. 26 ; E. Flaicher-Maneval et C. Flatrès, Les relations d'affaires à l'épreuve du Covid-19, BRDA 11/20, inf. 26 ; Pour aider les parties.

[7] Lorsque cette intervention a été présentée, certains contractants pouvaient subir directement les contraintes d’une situation qu’ils n’avaient pas pu anticiper. C’est dans cette mesure que nous employons cette expression « aujourd’hui ».

[8] Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-21.060, FS-P+B+I N° Lexbase : A551737H.

[9] Pour la grippe H1N1 voir par exemple : CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/0229 N° Lexbase : A7931MD4 ; CA Toulouse, 3e ch., 3 octobre 2019, n° 19/01579 N° Lexbase : A2641ZSM ; Pour la dengue voir par exemple : CA Nancy, ch. civ. 1, 22 novembre 2010, n° 09/00003 N° Lexbase : A1459GLM ; pour le Chikungunya v. par exemple : CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08/02114 N° Lexbase : A6009GPA ; CA Basse-Terre, 1re ch., 17 décembre 2018, n° 17/00739 N° Lexbase : A5434YRP ; Pour Ebola voir CA Paris, 6-12, 17 mars 2016, n° 15/04263 N° Lexbase : A8418Q7W.

[10] Dans le même sens, G. Maire, Le contrat et l’après Covid-19, RLD civ., n° 185, 1er octobre 2020 ; J. Heinich, L’incidence de l'épidémie de coronavirus sur les contrats d'affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020, p. 611.

[11] V. art. 1214, al. 1er du Code civil N° Lexbase : L0924KZA : « Le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenue est identique au précèdent mais dont la durée est indéterminée ».

[12] Ainsi en a-t-il été décidé, il y a quelques années, à propos de l'épidémie de chikungunya qui ne présentait pas un caractère imprévisible dès lors qu'elle avait débuté quatre mois avant la signature du contrat : CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08/02114, préc. N° Lexbase : A6009GPA ; adde, à propos d'un contrat conclu pendant la guerre du Golf : Cass. soc., 10 décembre 1996, n° 93-44.847, inédit N° Lexbase : A1551CRU : « la crise du Golf était contemporaine de la signature du contrat de travail, ce dont il résultait que son incidence sur l’exécution du celui-ci n’était pas imprévisible ».

[13] Cass. com. 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B N° Lexbase : A8468MWK.

[14] T. com. Paris, 20 mai 2020, aff. n° 2020016407 N° Lexbase : A21473MH, sur le fondement d'une clause de force majeure, relevant que « la diffusion du virus revêt, à l'évidence, un caractère extérieur aux parties, qu'elle est irrésistible et qu'elle était imprévisible comme en témoignent la soudaineté et l'ampleur de son apparition ».

[15] V. sur la question, Th. Genicon, V° « Imprévision », in dir. D. Mazeaud, R. Boffa et N. Blanc, Dictionnaire du contrat : LGDJ, 2018, p. 653 ; O. Deshayes, Th. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2e éd., 2018, p. 449 et 450 ; Y. Picod, Contrat. Effets du contrat. Imprévision, JCl. Civil Code, fasc. Art. 1195, 2019, n° 58 ; P. Ancel, V° Imprévision, Répertoire de droit civil Dalloz, 2017, n° 75 ; F. Terré, Y. Lequette, Ph. Simler et F. Chénedé, Droit civil Les obligations, Dalloz, 2018, 12e éd., n° 639, p. 717. – S. Horn, La distinction entre onérosité excessive et coût manifestement disproportionné dans le nouveau droit des contrats, AJ contrat 2019, p. 333.

[16] V. sur la question, J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, précité.

[17] V. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie sur les contrats d’affaires, art. précité.

[18] En ce sens, G. Maire, Le contrat et l’après Covid-19, RLD civ., préc.

[19] H. Kenfack, Leçons de la pandémie de Covid-19 : la systématisation des clauses de force majeure et d'assurance perte d’exploitation ?, D. 2020, p. 2185.

[20] V. par exemple l’arrêt Huard : Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547 N° Lexbase : A4297ABR.

[21] L’article 1104 du Code civil N° Lexbase : L0821KZG dispose en effet que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

[22] V. par exemple sur l’ensemble de la question, D. Houtcieff, Droit des contrats, 5e éd. 2021, n° 642 et s. Bruylant, coll. Paradigme et les nombreux exemples.

[23] M. Mekki, De l’urgence à l’imprévu du Covid-19 : quelle boîte à outils contractuels ? AJ Contrat 2020, p. 164 ; v. dans le même sens, G. Maire, Le contrat et l’après Covid-19, RLD civ., n° 185, 1er octobre 2020.

[24] M. Mekki, ibid.

[25] V. en ce sens, S. Dwernicki, G. Loyrette, E. Chesneau, Covid-19 : quel avenir pour la force obligatoire du contrat ?, Petites affiches, 29 décembre 2020, n° 260, p. 9.

[26] TJ Paris, sect. 2, 18e ch., 20 juillet 2020, n° 20/04516 N° Lexbase : A52483RS.

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