Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Affaires

[Chronique] Droit des affaires (mars – avril 2021)

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par Cécile Granier - Maître de conférences et Jordi Mvitu Muaka - Doctorant, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3

le 28 Juillet 2022

Actualité des baux commerciaux 

Mots-clés : baux commerciaux, conditions d’application, loyers, fermeture administrative, Covid-19

♦ CA Lyon, ch. 10, cab 10 H, 1er avril 2021, RG n° 18/07781 N° Lexbase : A09004NN 

♦ CA Lyon, 8e ch., 31 mars 2021, RG n° 20/05237 N° Lexbase : A98784MS 

Comme souvent en droit des affaires, le bail commercial occupe une bonne place au sein de l’actualité contentieuse de la cour d’appel de Lyon. Deux décisions retiendront spécifiquement notre attention dans la présente chronique. L’une se rapporte aux conditions d’application du statut des baux commerciaux ; l’autre est relative à l’exécution du bail commercial et apporte une réponse à la brûlante question du paiement des loyers commerciaux pendant les périodes de fermeture administrative consécutives à la crise sanitaire. 

Une décision datée du 1er avril 2021 est, en premier lieu, venue rappeler la nécessaire identité de la personne titulaire du bail et de celle détenant le fonds de commerce exploité dans les lieux loués pour pouvoir bénéficier du statut des baux commerciaux. La configuration d’espèce aboutissait en effet à une dissociation des qualités de titulaire du bail et de propriétaire du fonds de commerce. Une association avait conclu un bail avec un EPIC portant sur un immeuble afin que soit notamment installée dans les lieux loués une cafétéria. Dès l’origine, il avait été convenu avec le bailleur que ce fonds de commerce de restauration ne serait pas directement exploité par l’association, mais par une société commerciale – une EURL – détenue à 100 % par l’association et constituée spécifiquement à cette fin. Le bail prévoyait dès lors une autorisation de sous-location au profit de l’EURL, autorisation qui fut effectivement utilisée pour conclure un contrat de sous-location entre l’association preneuse et sa filiale à 100 %. À la suite de la mise en redressement du preneur et à la cession du bail à une autre association, le bailleur s’opposa à un renouvellement et fit parvenir au preneur, à l’échéance du contrat, un congé mettant fin au bail. L’association cessionnaire du bail refusa toutefois de quitter les lieux en se prévalant du statut des baux commerciaux et en arguant de la nullité du congé du fait du non-respect de la réglementation protectrice du statut des baux commerciaux.  

Dès lors, ce statut pouvait-il venir au secours du preneur alors que le titulaire du bail (l’association) n’était pas le propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux (l’EURL) ?  

La réponse apportée par la cour d’appel de Lyon s’avère négative. Pour bénéficier du statut des baux commerciaux, les qualités de titulaire du bail et de propriétaire du fonds doivent être cumulées par une même personne. L’association ne pouvait ainsi se prévaloir du statut protecteur des baux commerciaux. Plusieurs arguments juridiques difficilement contestables plaidaient en ce sens. Tout d’abord, la lettre de l’article L. 145-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2327IBS posant les conditions d’application du statut : sont concernés par la réglementation des baux commerciaux, « les baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers […] ». Il découle de ce texte que le fonds doit être détenu par un commerçant immatriculé au RCS. Or en l’espèce, seule la société commerciale pouvait se prévaloir d’une telle immatriculation. Du fait de leur défaut de commercialité et d’immatriculation corrélative, les associations se voient traditionnellement refuser l’application du statut des baux commerciaux (voir Rép. min., n° 44492, JOAN, 25 mai 1992). Ajoutons également que la jurisprudence interprète les conditions issues de ce texte comme étant cumulatives : il faut un bail portant sur un immeuble et détenu par le propriétaire du fonds. Ainsi, le locataire-gérant qui n’est pas propriétaire, mais seulement exploitant du fonds ne peut se prévaloir du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-1, al. 2 N° Lexbase : L2327IBS ; Cass. com., 27 février 1973, n° 71-10.653, publié au bulletin N° Lexbase : A6836AGB). C’est ensuite le principe de l’effet relatif des contrats qui vient au soutien d’une telle solution. L’EURL ne pouvait opposer au bailleur principal le statut des baux commerciaux puisqu’elle n’était pas partie à ce bail, mais était simplement titulaire d’un contrat de sous-location autorisé. Le principe de l’autonomie patrimoniale des personnes morales achève enfin de convaincre du bien-fondé de la décision. Bien que le propriétaire du fonds soit une filiale à 100 % de l’association, l’EURL et l’association constituent deux personnes distinctes, dotées de deux patrimoines distincts. La filiale ne peut donc se prévaloir de la titularité du bail conclu par l’association. C’est donc fort logiquement que la cour relève qu’il est indifférent que la société commerciale soit entièrement détenue par l’association.  

Dans la configuration d’espèce, comment la société exploitante aurait-elle pu bénéficier du statut des baux commerciaux ?  

Deux solutions semblent envisageables. La première consiste à prévoir une application conventionnelle du statut. Le bailleur peut, en effet, décider de se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux dès lors que sa volonté est non équivoque (Cass. civ. 3, 30 mars 2017, n° 16-11.970, F-D N° Lexbase : A0818UTH). En l’espèce, tant l’intitulé du bail (« Contrat de bail soumis aux dispositions du Code civil ») que ses dispositions exprimaient de façon claire la volonté du bailleur de conclure un bail non soumis au statut des baux commerciaux. La seconde solution aurait consisté à conférer la titularité du bail à la société commerciale et non à l’association. C’est d’ailleurs la solution qui est suggérée par la réponse ministérielle précitée relative à la situation des associations. Après leur avoir dénié un droit au statut des baux commerciaux, cette réponse évoque une solution « […] il reste loisible aux associations qui souhaitent développer une activité commerciale dans les meilleures conditions de constituer à cet effet une société qui bénéficiera de tous les droits attachés à ce statut » (Rép. min., n° 44492, préc). Certes, mais encore faut-il conférer directement à la société constituée la titularité du bail ! 

Dans une décision rendue la veille (CA Lyon, 8e ch., 31 mars 2021, n° 20/05237 N° Lexbase : A98784MS), c’est, en second lieu, à une question de forte actualité que fut confrontée la cour d’appel de Lyon : un fondement juridique légitime-t-il le refus d’un preneur de payer les loyers commerciaux correspondant aux périodes de fermeture administrative imposées pendant la crise sanitaire ?  

Dans une affaire où le preneur faisait feu de tout bois en évoquant une multitude d’arguments pour se soustraire au paiement des loyers correspondant à la période du premier confinement, la cour produit un arrêt pédagogique, à la motivation claire, par lequel elle semble fermer la porte à une suspension du paiement des loyers commerciaux en cas de fermeture administrative d’un commerce. Tant l’absence d’ambiguïté de la décision que sa motivation laissent transparaître une volonté de tarir, ou plutôt, de maîtriser un contentieux aux potentialités exponentielles. En l’espèce, le preneur d’un bail commercial plusieurs fois renouvelé avait, en mars 2020, cessé de payer son loyer, après avoir fait part à son bailleur de la nécessité de suspendre leur paiement pendant la période de fermeture administrative. Ne l’entendant pas de la sorte, le bailleur assigne en juin 2020 devant le juge des référés du tribunal judiciaire la société preneuse en paiement des loyers. C’est dans le cadre d’un appel formé contre la décision du juge des référés ayant fait droit à la demande de paiement que la cour rejette, un à un, les arguments développés par l’appelant.  

Sans surprise, c’est au premier chef la force majeure – cause d’exonération de la responsabilité contractuelle en cas d’inexécution d’une obligation – qu’invoque le preneur pour justifier le non-paiement des loyers. L’épidémie de Covid-19 est présentée par ce dernier comme un événement en présentant les caractéristiques : imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité. La cour d’appel de Lyon ne souscrit toutefois pas à cette analyse. Affirmant le caractère imprévisible de l’épidémie, elle refuse néanmoins de retenir son irrésistibilité au regard de la nature de l’obligation du preneur. L’obligation concernée est en effet « de nature pécuniaire » dès lors « elle est toujours susceptible, par sa nature d’être exécutée, de simples difficultés d’exécution provisoire, dues en l’occurrence non à l’épidémie elle-même, mais aux mesures administratives prises pour la contenir, n’étant pas de nature à caractériser une irrésistibilité ». La cour d’appel de Lyon rejoint ainsi une position retenue par certains juges des référés ainsi que par la cour d’appel de Grenoble et qui exclut la possibilité d’invoquer la force majeure pour les obligations tenant au paiement d’une somme d’argent (CA Grenoble, ch. com., 5 novembre 2020, n° 16/0453 N° Lexbase : A643333N, Dalloz actualité, 4 décembre 2020, obs. M. Pagès et S. Torrent ; pour une synthèse de la jurisprudence sur cette question, voir R. Boffa, M. Mekki, « Chronique de droit des contrats », D. 2021, p. 310). Notons que l’emploi de l’adverbe « toujours » et la référence à la nature de l’obligation semblent condamner toute exception à cette exclusion de la force majeure. Reste maintenant à savoir si la position de la Cour de cassation sera aussi tranchée et sévère pour les preneurs. 

Est ensuite évoqué l’article 1722 du Code civil N° Lexbase : L1844ABW relatif à l’exécution du bail. Il prévoit que si pendant l’exécution de ce contrat, la chose louée est détruite totalement, le bail est résilié de plein droit et que, si elle l’est partiellement, le bailleur peut demander ou une diminution du prix ou la résiliation du bail. À nouveau, l’argument est rejeté par la cour, qui au terme d’une interprétation à la fois littérale et téléologique du texte, retient que l’impossibilité d’exécution ne peut être assimilée à une destruction (voir dans le même sens, mais au fond, CA Versailles, 12e ch., 6 mai 2021, n° 19/08848 N° Lexbase : A95754WK, Dalloz actualité, 25 mai 2021, obs. P. Jacquot). 

La bonne foi est également appelée en renfort du preneur. Pouvait-elle justifier une suspension, un report ou même une inefficacité de l’obligation de payer ? Pour la cour d’appel de Lyon, cela ne saurait être le cas. Outre l’absence d’éléments étayant la mauvaise foi du bailleur, le fait de demander le paiement d’un loyer sur le fondement du contrat de bail ne saurait être qualifié de comportement de mauvaise foi. Si l’exigence de bonne foi s’impose assurément au stade de l’exécution contractuelle, elle ne peut toutefois priver d’effet les obligations découlant d’un contrat. La solution retenue s’inscrit ainsi dans une jurisprudence traditionnelle selon laquelle l’exigence de bonne foi « n’autorise pas le juge à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties » (Cass. com, 10 juillet 2007, n° 06-14.768, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2234DXZ). Le contexte spécifique de crise sanitaire ne commande donc pas, pour la cour d’appel de Lyon, un assouplissement de cette limite classique. 

Sont enfin écartées l’absence de cause et l’exception d’inexécution au motif commun que le bailleur est bien, et depuis de nombreuses années, en possession des locaux loués dans lesquels un fonds de restauration est effectivement exploité. La fermeture administrative ne peut dès lors conduire à retenir une absence de cause ou un manquement grave à l’obligation de délivrance du bailleur justifiant la mise en œuvre de l’exception d’inexécution. Remarquons que la cour d’appel insiste sur le fait que l’impossibilité temporaire d’exploiter à laquelle est soumise le preneur n’est pas du fait du bailleur. Pourtant, l’origine de l’inexécution est traditionnellement indifférente au sein de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’exception d’inexécution, qui peut être invoquée tant en cas d’inexécution volontaire qu’en cas d’une inexécution résultant d’un événement de force majeure (Cass. civ. 24 février 1981, n° 79-12.710, publié au bulletin N° Lexbase : A5243DNI, Bull. civ. I, n° 65, p. 53). Concluant son raisonnement, la cour d’appel de Lyon estime in fine que la demande de paiement du bailleur ne génère aucune contestation sérieuse et ordonne le paiement des loyers. Avec cette décision, les preneurs qui auraient reporté le paiement des loyers correspondant aux périodes de fermeture administrative sont donc prévenus ! 

 

Par Cécile Granier

 

Responsabilité dans l’exécution du devoir de conseil du notaire et de l’expert-comptable rédacteur d’acte 

Mots-clés : devoir de conseil, responsabilité délictuelle, notaire, expert-comptable

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 16 mars 2021, n° 19/04346 N° Lexbase : A12924LG 

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 6 avril 2021, n° 19/03635 N° Lexbase : A57874NN 

S’il est habituel de trouver un devoir de conseil à chaque fois qu’un tiers professionnel intervient dans la réalisation d’une opération pour le compte d’autrui, il n’est pas toujours aisé d’en déterminer l’objet ni de connaître le préjudice qui découle de sa violation. Par deux arrêts récents, la cour d’appel de Lyon apporte à ces interrogations d’utiles précisions s’agissant particulièrement du notaire et de l’expert-comptable rédacteur d’acte.  

Les faits concernaient dans le premier arrêt la réitération en la forme authentique de l’acte de vente d’un immeuble acquis par deux époux. Cet immeuble était loué à un tiers en vertu d’un bail commercial conclu pour une durée de neuf ans, lequel contenait une clause de renonciation à l’indemnité d’éviction du preneur afin de faciliter la reprise de l’immeuble par les époux propriétaires à une date future. De plus, la mise en location de l’immeuble acquis devait permettre aux époux de bénéficier d’une exonération de TVA sur son prix de vente. Cependant, en dépit de la résiliation du bail commercial, les époux durent verser au preneur une indemnité d’éviction du fait de la nullité de la clause de renonciation stipulée dans le bail commercial, et perdirent du reste le bénéfice du régime d’exonération à la TVA sur les ventes d’immeubles. 

Alléguant un manquement au devoir de conseil du notaire, les époux assignèrent celui-ci en responsabilité délictuelle. Il était reproché à l’officier public un défaut d’information sur la validité de la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction conformément à l’article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R. Les époux reprochaient également au notaire un défaut de mise en garde sur les conséquences fiscales d’une résiliation anticipée du bail commercial qu’ils projetaient de réaliser en amont de la vente et dont le notaire était informé. 

Le second arrêt évoque, pour sa part, la responsabilité de l’expert-comptable rédacteur d’acte. En l’espèce, l’associé-gérant d’une société unipersonnelle avait cédé ses parts à son père tout en maintenant son engagement de caution d’un prêt souscrit quelque temps avant la cession, également garanti par une inscription de nantissement sur le fonds de commerce. La rédaction de l’acte de cession ainsi que toutes les modifications statutaires et les formalités de publicité ont été réalisées par l’expert-comptable. Ce dernier éditait également les comptes d’une autre société dans laquelle l’associé cédant détenait des parts sociales. Plus tard, un avenant au contrat de prêt sera signé par les parties prévoyant à la fois l’annulation de la couverture assurance du cédant et son remplacement par la couverture assurance de l’acquéreur et surtout, le maintien de la caution personnelle et solidaire de l’associé cédant. À cette occasion donc, le cédant a réitéré seul son engagement de caution au profit du créancier. 

L’associé cédant est par la suite appelé en garantie en raison des impayés de la société débitrice. Une fois son engagement de caution exécuté, ce dernier tenta d’engager la responsabilité civile de l’expert-comptable rédacteur de l’acte de cession pour manquement à son devoir de conseil. Il lui reproche un défaut d’information sur les risques pour lui de rester caution du remboursement du prêt auquel il était devenu totalement étranger après la cession de toutes ses parts sociales et de sa démission du mandat de gérant. L’expert-comptable ne pouvait, en effet, ignorer les conditions d’attribution d’un prêt à une société unipersonnelle, ce qui doit nécessairement conduire à envisager la question de la caution de l’associé unique. Pourtant, non seulement la souscription du prêt était antérieure à la cession, mais le cédant caution avait délibérément consenti au maintien du cautionnement. Toujours est-il que ce dernier considère imputable au rédacteur d’un acte de cession de parts sociales l’obligation de s’interroger sur l’existence d’un engagement personnel du dirigeant. Et à ce titre, l’avenant signé ne l’exonère pas de sa responsabilité, car l’engagement de caution préexistait. 

Les deux contentieux se rapportaient donc au contenu du devoir de conseil, d’abord du notaire informé du projet de ses clients, et ensuite de l’expert-comptable chargé de la rédaction d’un acte de cession des parts sociales de l’associé cédant qui s’était porté caution d’une dette de la société. 

Dans les arrêts analysés, la cour d’appel de Lyon reconnaît une faute imputable aux deux professionnels. S’agissant du notaire, l’exercice de sa mission implique d’accorder une « attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets, sur les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ainsi que sur leurs incidences fiscales ». Il ne se limite pas uniquement à la validité et à l’efficacité du seul acte qu’il authentifie, mais s’étend à toutes les conséquences fiscales et financières de l’opération envisagée par le client. Sur ce point, l’arrêt analysé rejoint la position de la Cour de cassation qui impose la même attention à l’efficacité concrète de l’opération envisagée par les parties. Il est requis en revanche que les intentions des parties soient connues du notaire (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-14.192, F-D N° Lexbase : A5574RTM), ce qui était le cas en l’espèce, car l’arrêt souligne que le notaire « avait connaissance de la volonté des acquéreurs de mettre fin au bail commercial afin de reprendre leur liberté ». Par ailleurs, cet arrêt se rattache à la jurisprudence de la Cour de cassation quant aux incidences fiscales de l’acte authentifié, d’après laquelle il incombe au notaire non seulement de proposer la solution fiscale la plus avantageuse, mais également de souligner les incertitudes du choix des parties (Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 18-23.424, F-D N° Lexbase : A47103AP). Sur ce point également, la portée du conseil est tributaire des informations communiquées au notaire par les parties sur les objectifs de l’opération envisagée. En l’occurrence dans ce litige le notaire devait « compte tenu de leurs projets, les informer de façon claire et intelligible du fait que l’exonération totale de TVA était subordonnée à la location du bien pendant 20 ans et sur le montant de l’imposition applicable s’il était mis fin de façon anticipée au bail ». 

S’agissant ensuite de l’expert-comptable, les juges d’appel considèrent qu’en plus « de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il confectionne », il est également tenu « d’informer et d’éclairer les parties sur les effets et la portée de l’opération projetée ». Cette obligation implique d’informer le cédant de la persistance de son engagement de caution si ce dernier a conclu un acte de cautionnement. De surcroît, l’existence de cet engagement ne peut échapper à l’expert-comptable, car « il lui appartenait dans tous les cas de se renseigner sur l’ensemble des éléments essentiels pour lui permettre de remplir efficacement sa mission et notamment d’être en mesure d’éclairer utilement son client, au rang desquels figure nécessairement la question de l’existence ou pas de tels engagements ». La solution de cet arrêt ne le souligne pas, mais il est possible d’en déduire que l’avenant ne saurait l’exonérer de sa responsabilité. 

La seconde partie des arrêts analysés traite du préjudice réparable résultant des fautes professionnelles qualifiées. Le préjudice retenu dans ces deux litiges est la perte de chance qui, de manière générale, peut résulter du défaut d’information sur les risques et l’opportunité d’une opération envisagée par une partie. Aussi, les juges d’appel identifient non seulement « une perte de chance pour les époux acquéreurs de négocier le prix de vente ou de s’abstenir de contracter », mais également la perte de chance pour l’associé-cédant « d’obtenir la mainlevée de son engagement de caution ». 

Cependant, son évaluation n’est pas toujours aisée, car la perte de chance doit être « réelle », c’est-à-dire directe et certaine. Cela implique de vérifier que « mieux informé ou mieux conseillé, le créancier de l’obligation se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse ». Ainsi, le préjudice subi par les époux acquéreurs est considéré comme certain car mieux informés, ces derniers n’auraient possiblement pas conclu le bail commercial sur l’immeuble acquis. Son montant est calculé sur l’indemnité d’éviction versée par les époux acquéreurs. Quant au préjudice de l’associé cédant, les juges d’appel considèrent que la réalité de la perte de chance de son engagement personnel n’est pas démontrée. Le cédant n’avait, en effet, pas réussi à négocier et obtenir la levée de son engagement de caution dans le cadre de l’avenant au contrat de prêt entre la société unipersonnelle et la banque créancière. Par un raisonnement a fortiori, les juges d’appel statuent que même mieux conseillé, celui-ci n’aurait pas pu obtenir la levée de son engagement personnel lors de la cession de ses parts sociales. Ainsi, l’associé-cédant ne peut pas se prévaloir d’un préjudice réparable. 

Par ces deux arrêts donc, la cour d’appel de Lyon rappelle que le devoir de conseil apparaît à chaque fois qu’un tiers professionnel, en l’occurrence un notaire, un expert-comptable, voire un agent immobilier (Cass. civ. 1, 14 novembre 2019, n° 18-21.971, F-P+B+I N° Lexbase : A2144ZY3), accompagne la réalisation d’une opération pour le compte d’autrui.

 

Par Jordi Mvitu Muaka

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