Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Responsabilité

[Chronique] Droit de la responsabilité et assurances (février – mars 2021)

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par Pierrick Maimone - Doctorant, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3

le 28 Juillet 2022

Responsabilité du fait des produits défectueux et recours subrogatoire

Mots-clés : produit défectueux, recours subrogatoire

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 23 février 2021, n° 19/00626 N° Lexbase : A91214HB 

À la suite d’une surtension électrique, une société voit certaines de ses installations endommagées et saisit son assureur pour être indemnisée. Un rapport d’expertise est réalisé entre les différents protagonistes s’agissant de l’enchaînement des faits et de l’évaluation des dommages. Des suites de ce rapport, l’assureur indemnise pour partie la société victime et, convaincu par un second rapport que la responsabilité civile du fait des produits défectueux de la société ENEDIS peut être engagée, entame des démarches auprès de cette dernière et de son courtier pour obtenir le remboursement de l’indemnité versée à l’assuré et le paiement d’une somme permettant à celui-ci d’obtenir l’indemnisation des préjudices non couverts. Faute d’accord amiable, l’assureur, subrogé dans les droits de la victime, saisit le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse. Ce dernier, par un jugement en date du 13 décembre 2018, condamne la société ENEDIS à payer à l’assureur l’intégralité des sommes demandées. Dès lors, le défendeur interjette appel en demandant à ce que l’intégralité du jugement soit censurée en ce que les conditions de mise en œuvre de la subrogation légale ne seraient pas réunies et qu’il ne pourrait pas être assimilé à un fabricant au sens de l’article 1245-5 du Code civil N° Lexbase : L0625KZ8. Toutefois, les juges d’appel, non convaincus par ces arguments, confirment le jugement.

Du recours subrogatoire de l’assureur. L’assureur est subrogé dans les droits et actions de son assuré contre le tiers responsable du dommage jusqu’à hauteur du montant de l’indemnité versée (C. assur., art. L. 121-12 N° Lexbase : L0088AAI). Ici, seule l’une des conditions est débattue. En effet, pour que la subrogation légale puisse être mise en œuvre, la jurisprudence affirme régulièrement qu’il est nécessaire que soit faite la preuve du paiement préalable de l’indemnité à l’assuré (Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-14.812, F-P+B N° Lexbase : A5384NIA) et que l’assureur doit être tenu de la verser en application de la garantie (Cass. com., 16 juin 2009, n° 07-16.480), ce qui implique que le contrat soit communiqué. Reprenant ces conditions, la cour d’appel, relevant que la quittance de paiement de l’indemnité, que les conditions particulières de la garantie ont été fournies à l’appui des prétentions du demandeur et que l’indemnité a bien été versée en application de celle-ci, ne pouvait que conclure à la recevabilité du recours subrogatoire.

De la responsabilité du fait des produits défectueux. L’électricité étant un produit au sens de la loi (C. civ., art. 1245-2 N° Lexbase : L0622KZ3) et l’imputabilité des dommages à celle-ci étant caractérisée aux termes de l’expertise réalisée contradictoirement, seules la défectuosité du produit et la qualité de producteur pouvaient être discutées. S’agissant de la première, dès lors qu’il est régulièrement admis qu’une surtension électrique peut être considérée comme une carence dans la sécurité à laquelle une personne peut légitimement s’attendre (v. en ce sens : CA Versailles, 12e ch., 9 octobre 2018, n° 17/056791 N° Lexbase : A6371YEP ; CA Paris, 2-5, 16 mai 2017, n° 15/13734 N° Lexbase : A7344WEQ), les juges d’appel lyonnais confirment le caractère défectueux de l’électricité fournie et déduisent le lien de causalité entre la défectuosité de l’électricité et les dommages subis du lien d’imputabilité déjà établi. S’agissant de la seconde, la cour d’appel ne répond pas clairement aux prétentions de l’appelant. Néanmoins, est producteur tout fabricant d’une partie composante du produit (C. civ., art. 1245-5 N° Lexbase : L0625KZ8). Dès lors, ENEDIS peut être logiquement considéré comme producteur, car, en tant que distributeur d’électricité, il procède à des modifications de puissance, de fréquence et de tension de celle-ci et participe donc à sa fabrication en la transformant pour utilisation (v. en ce sens : CA Versailles, 12e ch., 9 octobre 2018, n° 17/056791 N° Lexbase : A6371YEP). Les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux étant réunies, et ENEDIS ayant été considérée comme producteur, la cour d’appel confirme le montant des sommes que celle-ci devra verser.

Le contentieux du vaccin contre l’hépatite B à l’aune des mesures d’instruction de l’article 145 du Code de procédure civile

Mots-clés : causalité, mesure d’instruction, motif légitime, prescription, produits défectueux

♦ CA Lyon, 8e ch., 16 mars 2021, n° 20/01812 N° Lexbase : A10424L8

Par un arrêt en date du 16 mars 2021 N° Lexbase : A10424L8, la cour d’appel de Lyon se prononce sur la question de la légitimité d’une demande de prononcé d’une mesure d’instruction, dans le cadre du contentieux du vaccin contre l’hépatite B.

En l’espèce, un homme s’était vu inoculer, en 1995, le vaccin contre l’hépatite B produit par la société Sanofi Pasteur. En 2001, et à la suite de l’apparition de symptômes, le diagnostic tombe : il souffre de la sclérose en plaques. Cependant, ce n’est qu’en 2019, que ce dernier, et d’autres membres de sa famille, saisissent le juge des référés afin qu’une expertise médicale soit réalisée dans l’objectif de voir si un lien peut être établi entre l’inoculation du vaccin et le développement de la maladie et afin d’évaluer les préjudices qui en découlent. En première instance, le juge des référés déboute les demandeurs de leurs prétentions tendant à ce qu’une mesure d’instruction consistant en une expertise aux fins d’établissement des preuves avant tout procès au fond soit réalisée (CPC, art. 145 N° Lexbase : L1497H49 ; Cass. civ. 3, 10 décembre 1980, n° 79-11.035, publié au bulletin N° Lexbase : A9750CG9).

En effet, le président du tribunal judiciaire de Lyon, dans une ordonnance du 4 février 2020, évaluant le caractère légitime de la demande, estime que, bien que l’action au fond ne soit manifestement pas prescrite, le lien de causalité entre le vaccin et l’apparition de la maladie n’est pas suffisamment plausible pour que l’action au fond ait des chances d’aboutir. Dès lors, la demande est rejetée pour absence de motif légitime, lequel constitue l’une des trois conditions de mise en œuvre de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49.

Les demandeurs interjettent appel de cette décision pour que soit confirmé le fait que l’action au fond n’est manifestement pas prescrite mais que soit infirmé le fait que la causalité n’est pas suffisamment plausible, alors même que les éléments fournis à l’appui de la demande de prononcé d’une expertise, au premier rang desquels la proximité temporelle entre la vaccination et l’apparition des symptômes, permettent de caractériser des présomptions du fait de l’homme de nature à établir un tel lien. Ils estiment également que, à tout le moins, ce ne serait pas au juge des référés de se prononcer sur l’appréciation de la vigueur du lien de causalité en ce qu’il s’agit d’une condition de fond et que l’expertise a pour objectif, notamment, d’établir son existence. Ainsi, il serait contradictoire d’examiner le motif légitime de la demande d’instruction à l’aune de ce que cette dernière doit établir.

L’argumentation des demandeurs ne convainc pas la cour d’appel de Lyon qui confirme la décision dans son intégralité. En ce sens, pour examiner le motif légitime qui relève du pouvoir souverain des juges (Cass.  civ. 2, 14 mars 1984, n° 82-16.076, publié au bulletin N° Lexbase : A4142CHU), et qui consiste à voir si l’action au fond susceptible d’être ultérieurement engagée n’est pas manifestement irrecevable ou vouée à l’échec (Cass. civ. 1, 29 avril 1985, n° 84-10.401, publié au bulletin N° Lexbase : A2924AAK), les juges d’appel examinent la question de la prescription de l’action au fond et celle de la vraisemblance du lien de causalité.

I. La prescription de l’action à l’aune des mesures d’instruction

L’examen de la prescription de l’action eu égard à la caractérisation du motif légitime de la mesure d’instruction n’est pas unanimement admis en jurisprudence (v. pour un refus d’examen de la prescription : Cass. com., 13 mai 2003, n° 01-10.955, FS-P N° Lexbase : A0173B7K ; v. pour un examen de la prescription : CA Bordeaux, 5e ch., 12 décembre 2006, n° 05/00330 N° Lexbase : A3874D4A).

Or, la question de la prescription est majeure en raison des différents délais en jeu. S’agissant de celui issu du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, l’action au fond est prescrite dans les trois ans à compter du jour où le demandeur a eu, ou aurait dû, avoir connaissance du dommage (C. civ., art. 1386-17 N° Lexbase : L1510ABK devenu art. 1245-16 N° Lexbase : L0636KZL ; Directive n° 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, art. 10, 1 N° Lexbase : L9620AUT), sans que la consolidation du dommage ne soit prise en compte dans l’écoulement du délai. Or, la directive mettant en place le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n’ayant pas été transposée dans les délais, se pose la question de son application, dès lors qu’en l’espèce, sa transposition est intervenue postérieurement à la connaissance du dommage. Dans ce cadre, et de façon constante, la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que le Conseil d’État, ne font que reconnaître un « effet direct vertical des directives [non transposées] dans un sens “ascendant” » (D. Simon, « Directive », Rép. droit européen, 2018, spéc. pt. 99 ; v. par ex. : CJCE, 26 février 1986, aff. n° 152/84, M. H. Marshall c/ Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority (Teaching) N° Lexbase : A7241AHN ; CE sect., 23 juin 1995, req. n° 149226 N° Lexbase : A4661ANX). Cela implique qu’une directive non transposée ne bénéficie d’aucun effet direct horizontal, en témoigne la non-application, par les juridictions, de la directive en cause pour tous les faits intervenus avant sa transposition (P. Jourdain, Les sources communautaires du droit français de la responsabilité civile, in Le renouvellement des sources du droit des obligations, dir. Association Henri Capitant, LGDJ, 1997, p. 36).

Par conséquent, et comme l’a fait la cour d’appel, seul le délai de prescription de droit commun peut être retenu, soit dix ans à partir de la date de consolidation du dommage, dès lors que l’action au fond fondée sur la responsabilité civile tend à la réparation des préjudices issus d’un dommage corporel (C. civ., art. 2226 N° Lexbase : L7212IAD ; créé par la loi n° 2008-561, du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I, qui prévoit en son article 16, II N° Lexbase : Z14289IB que, s’agissant de la réduction des délais de prescription, les nouvelles dispositions sont d’application immédiate). Ainsi, et dans la mesure où la sclérose en plaques est une maladie en constante évolution, l’action au fond n’est manifestement pas prescrite dès lors que le dommage n’est pas encore définitivement consolidé.

II. Le lien de causalité à l’aune des mesures d’instruction

Le second point que l’arrêt d’appel évalue, eu égard à la caractérisation du motif légitime, est la vraisemblance manifeste du lien de causalité. En effet, « cette exigence de causalité a concentré jusqu’à aujourd’hui les principales difficultés d’application de la responsabilité du fait des produits, notamment dans le domaine où celle-ci s’est principalement déployée, celui des effets secondaires des produits de santé » (S. Porchy-Simon, La Cour de cassation confirme la responsabilité de Monsanto dans l’intoxication au Lasso d’un agriculteur, Droit de l’environnement, 2020, n° 295, p. 388). Dès lors, cette exigence de causalité, dans ce contentieux particulier, est susceptible de vouer l’action au fond à l’échec.

Si, dorénavant, les juridictions nationales et européennes admettent que la preuve du lien de causalité peut être rapportée par la mobilisation de présomptions du fait de l’homme, en se fondant notamment sur des considérations temporelles (v. notamment : CJUE, 21 juin 2017, aff.  C-621/15, N. W N° Lexbase : A1281WKN ; Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 14-18.118, FS-P+B+I N° Lexbase : A0213WWS), il n’en demeure pas moins que les juges français, et notamment ceux de la cour d’appel de Paris (O. Gout, Responsabilité civile : novembre 2016 – novembre 2017 , D. 2018, p. 35), sont réticents à admettre le lien de causalité entre le dommage et le produit défectueux (Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 14-18.118, FS-P+B+I N° Lexbase : A0213WWS). En effet, bien que certaines études scientifiques démontrent que le lien d’imputabilité entre le produit et l’apparition de la maladie est inexistant, il n’y a aucun consensus en la matière, et, même s’il existe une distinction entre les causalités juridique et scientifique, les juges ont encore des réticences à accorder une « indemnisation systématique » (S. Porchy-Simon, Préjudice et lien de causalité dans le droit français de la responsabilité, in Regards franco-brésiliens sur l’évolution du droit des obligations – Le juge et le contrat – L’objectivisation de la responsabilité civile, sous la coord. d’O. Gout, Éd. Universitaires européennes, 2017, p. 208), en ce qu’ils sont attachés à ce que le demandeur prouve la causalité scientifique (M. Bacache, Le lien de causalité et le projet de réforme de la responsabilité civile, in Comparaison de la réforme du droit français de la responsabilité civile avec le nouveau Code civil roumain, dir. P. Jourdain et M. Bacache, IRJS, 2018, p. 99), dans l’objectif que leur décision ait une plus grande légitimité.

Dans ce contexte, la cour d’appel considère que les éléments fournis à la demande ne sont pas suffisants pour justifier de l’existence d’un lien de causalité plausible, ou même de l’existence de présomptions du fait de l’homme suffisamment pertinentes pour l’établir. En ce sens, les juges relèvent que seul un document médical atteste, rétroactivement, de l’apparition de symptômes en 1998 et que ce sont surtout des attestations réalisées par des proches qui sont produites. Ainsi, l’intensité des preuves n’est pas suffisante, d’autant plus qu’aucun consensus médical n’existe en la matière. Cependant, un tel raisonnement peut être discuté. En effet, le référé probatoire de l’article 145 du code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 a pour objectif l’établissement de preuves pour une future action au fond et possède donc une « finalité éminemment probatoire » (G. Chabot, « Remarques sur la finalité probatoire de l’article 145 du nouveau code de procédure civile », D. 2000, p. 256, spéc. pt. 1). Or, s’attarder autant sur une condition de fond qu’est la causalité pour caractériser la légitimité de la mesure d’instruction, alors même que l’expertise demandée tend, en partie, à ce que ces liens de causalité et d’imputation soient examinés, semble être contradictoire avec cette finalité. On peut ainsi constater toute l’ambigüité de cet article (ibid., spéc. pt. 14).

Bien que cet arrêt rejette la demande d’expertise pour défaut de motif légitime lié au fait que les éléments de preuve ne peuvent caractériser un lien de causalité suffisamment plausible, les décisions de justice prises en référé n’ont pas autorité de chose jugée au principal (CPC, art. 488 N° Lexbase : L6602H7N). Les demandeurs sont donc libres d’intenter une action au fond sur le fondement de la responsabilité civile du fait des produits défectueux.

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