Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Sociétés

[Chronique] Droit des sociétés

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N4419BZP

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par Quentin Némoz-Rajot, Maître de conférences, Centre de droit de l’entreprise, Équipe de recherche Louis Josserand

le 17 Février 2023

Le difficile recours au dol en présence d’une garantie de passif

♦ CA, Lyon, 3e ch. A, 21 janvier 2021, n° 18/08219 N° Lexbase : A21534D4

Mots-clés : cession • dol • garantie de passif

La remise en cause d’un contrat sur le fondement des vices du consentement n’est jamais tâche aisée, qui plus est lorsqu’il s’agit d’une cession de titres. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date du 21 janvier 2021 l’illustre parfaitement en matière de dol.

En l’espèce, la cession des parts sociales d’une SARL ayant pour objet principal l’exploitation d’un fonds de commerce de bar, restauration et discothèque fut conclue fin 2015 pour 20 000 euros, soit antérieurement à la réforme du droit des obligations issue de l’ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK. L’acte de cession prévoyait une garantie de passif plafonnée à 8 000 euros (correspondant au solde à payer) au profit des deux cessionnaires. Quelques semaines après le début de l’exploitation du fonds, différents passifs antérieurs à la cession, mais non mentionnés lors de celle-ci, apparurent. Les mésaventures des cessionnaires se poursuivirent puisque les locaux de la société furent cambriolés, ce qui les poussa à déclarer la cessation des paiements de la SARL et conduisit le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse à prononcer la liquidation judiciaire de l’entreprise. Les deux cessionnaires décidèrent alors de demander, sur le fondement du dol, la nullité de la cession des parts sociales réalisée fin 2015. Dans un jugement du 6 avril 2018, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse rejeta cette demande tout comme le fit ensuite la cour d’appel de Lyon dans l’arrêt commenté.

Après avoir rappelé les règles d’application dans le temps de l’ordonnance précitée du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK pour justifier sa non-application au cas d’espèce, les magistrats lyonnais s’appuient sur les conditions imposées par l’article 1116 du Code civil N° Lexbase : L0838KZ3 dans sa version en vigueur au moment des faits. Le dol paraît être le fondement le plus évident en matière de nullité d’une cession de titres fondée sur les vices du consentement. L’erreur sur la valeur n’est en effet pas retenue en droit français (C. civ., art. 1137 N° Lexbase : L1978LKH), tandis que l’erreur sur la substance (devenue après la réforme du droit des obligations l’erreur sur les qualités essentielles) est difficile à caractériser. Le dol correspond, quant à lui, à la malhonnêteté d’une partie visant à induire l’autre en erreur afin de la pousser à contracter. C’est donc une erreur provoquée qui altère le consentement du contractant par un vice de même nature que l’erreur. Toutefois, à la différence de celle-ci, le dol est volontairement causé par le cocontractant, mais encore faut-il parvenir à le prouver  ! Il est ainsi nécessaire de rapporter la preuve d’un élément intentionnel et d’un élément matériel pour caractériser un dol. Par ailleurs, le demandeur doit également établir le caractère déterminant du dol.

Sur ce dernier point, l’arrêt énonce que l’absence d’un passif en cours était, pour les cessionnaires, « un élément déterminant de leur consentement à l’acquisition des parts sociales de la société ». Par ailleurs, l’existence d’un passif antérieur à la cession (10 868 euros), mais non révélé par les cédants lors de celle-ci est reconnue par les juges. Cependant, cela n’est pas suffisant pour caractériser le dol et autoriser l’annulation de la vente. Si la lettre de la loi en vigueur au moment des faits imposait d’établir l’existence de manœuvres dolosives, la jurisprudence admettait déjà la réticence dolosive désormais qualifiée légalement de « dissimulation intentionnelle » (C. civ., art. 1137, al. 2 N° Lexbase : L1978LKH). L’absence de manœuvres dolosives stricto sensu n’interdisait donc pas le recours au dol. Aussi, ne pas révéler un passif impayé pouvait constituer une réticence dolosive ou du moins constituer l’élément matériel du dol. Cependant, comme le souligne l’arrêt avec justesse : « le dol ne se présume pas ». Or en l’espèce, les demandeurs ne parvenaient pas à démontrer le caractère intentionnel de la non-révélation de certains passifs antérieurs par les vendeurs. La jurisprudence est traditionnellement attachée à cette exigence, pour la victime, de démontrer une intention de tromper (v. par exemple : Cass. com. 28 juin 2005, n° 03-16.794, F-P+B N° Lexbase : A8466DIE) et la lettre de la loi nouvelle le souligne tout particulièrement. Dès lors, si la rédaction de l’arrêt aurait pu être plus « pédagogique », sa solution ne peut qu’être approuvée, qui plus est au regard de la présence d’une clause de garantie de passif.

Cette garantie conventionnelle constitue certainement l’élément majeur qui a guidé l’appréciation souveraine des juges et justifié cette vérification méticuleuse de toutes les conditions du dol. Un double constat s’impose alors : une garantie de passif n’interdit en rien le recours à la théorie des vices du consentement, mais elle peut compliquer la caractérisation de l’élément intentionnel du dol. La formule retenue par les juges lyonnais sonne ainsi comme celle de l’attendu de principe d’un arrêt de la Chambre commerciale de la Haute juridiction en date du 3 février 2015 (Cass. com., 3 février 2015, n° 13-12.483, F-P+B N° Lexbase : A2396NBD) : « les garanties contractuelles relatives à la consistance de l’actif ou du passif social, s’ajoutant aux dispositions légales, ne privent pas l’acquéreur de droits sociaux, qui soutient que son consentement a été vicié, du droit de demander l’annulation de l’acte sur le fondement de ces dispositions ». Très logiquement, le cessionnaire n’est pas considéré comme ayant renoncé à la possibilité de se prévaloir de la protection de droit commun que la loi lui offre sur le fondement des vices du consentement. Le cumul des garanties légales et conventionnelles est donc solidement établi, ce qui devrait théoriquement accroitre la protection du cessionnaire. Toutefois, la présence d’une garantie de passif peut avoir d’importantes conséquences rendant poreuse la frontière entre le dol et la garantie conventionnelle tant les juges vont se fonder sur l’une pour apprécier l’existence ou non de l’autre. Selon la lettre de la garantie, l’élément matériel du dol et son caractère déterminant devraient être plus facilement rapportés. À l’inverse, comme en l’espèce, le caractère intentionnel du dol sera plus difficilement caractérisable puisque le but de la garantie est justement d’indemniser les passifs antérieurs à la vente, mais non révélés lors de celle-ci.

La présente affaire démontre donc qu’une garantie de passif peut finalement se retourner contre le cessionnaire qu’elle est censée protéger lorsque ce dernier entend agir sur le fondement du dol afin de remettre en cause la cession. Plus largement, elle rappelle combien il peut être complexe, pour la victime d’une réticence dolosive, de prouver que l’information en cause lui a été cachée sciemment par le cédant et non par simple négligence.

Par Quentin Némoz-Rajot

La prescription de l’action en responsabilité civile contre le dirigeant d’une société

♦ Lyon, 1re ch. civ. B, 19 janvier 2021, n° 20/02724 N° Lexbase : A93654CT

Mots-clés : dirigeant de société • délai de prescription • faute détachable des fonctions • responsabilité civile • souscription d’assurance décennale

La mise en jeu de la responsabilité civile personnelle des dirigeants de société constitue une source intarissable de contentieux. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date du 19 janvier 2021 le souligne tout en permettant de revenir utilement sur le point de départ du délai de prescription d’une telle action.

En l’espèce, un couple avait confié une mission de maîtrise d’œuvre à une société en 2014. Les maîtres de l’ouvrage confièrent ensuite des travaux de plâtrerie et de peinture à une autre société début 2016, société qui fut placée en liquidation judiciaire quelques mois plus tard. Entre-temps, un procès-verbal de réception avec réserves avait été établi concernant les travaux effectués. Avant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, les maîtres d’ouvrage demandèrent, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile [LXB= L1497H49], la désignation d’un expert judiciaire qui rendit un prérapport en date du 30 juillet 2019. Le gérant de la société de plâtrerie au moment des faits fut alors appelé en cause par le maître d’œuvre. En effet, il aurait possiblement commis une faute en ne souscrivant pas, pour sa société, une assurance obligatoire couvrant les activités exercées sur le chantier. Par ordonnance du 21 avril 2019, le juge des référés fit droit à cette demande en considérant qu’il existait un motif légitime d’étendre les opérations d’expertise en cours à l’ancien dirigeant. Ce dernier contesta alors cette ordonnance en estimant que toute action en responsabilité civile à son égard, en qualité de dirigeant, était prescrite en vertu de l’article L. 225-254 du Code de commerce N° Lexbase : L6125AIP.

Sa demande est logiquement rejetée par la cour d’appel de Lyon qui prend soin de motiver notablement sa décision. Il est ainsi précisé que l’ancien gérant a omis de souscrire une assurance décennale pour la société qu’il dirigeait alors qu’une telle souscription est pourtant rendue obligatoire par la loi (C. assur., art. L. 241-1 N° Lexbase : L1827KGR). Or, aux termes d’une jurisprudence désormais bien établie, le gérant d’une société de construction qui ne souscrit pas d’assurance décennale commet une faute intentionnelle constitutive d’une infraction pénale et séparable de ses fonctions sociales et engage ainsi sa responsabilité civile personnelle (v. par exemple : Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-15.326, FS-P+B N° Lexbase : A1663Q7Q). On comprend dès lors mieux l’intérêt du maître d’œuvre à agir contre l’ancien gérant d’une société liquidée qui, de son côté, considérait prescrite une potentielle action en responsabilité civile à son encontre.

Dans les SA, les SARL, les SAS et les SCA, la durée du délai de prescription de l’action en responsabilité civile contre le dirigeant de droit est en effet, sauf crime, de trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, à compter de sa révélation. Au principe de la prescription triennale courant à compter de la date du fait dommageable, la loi introduit donc une exception en cas de dissimulation puisque le point de départ du délai peut être reporté au jour de la révélation du fait dommageable. Tel est finalement l’enjeu dans l’affaire portée devant la cour d’appel de Lyon le 19 janvier 2021. Selon l’ancien dirigeant, le point de départ du délai de prescription est « a minima » le jour du procès-verbal de réception des travaux (21 juillet 2016), ce qui rend l’assignation d’appel en cause du 29 octobre 2019 prescrite. Ce raisonnement est parfaitement justifié si l’on retient les travaux effectués comme fait générateur de responsabilité. Toutefois, pour la cour d’appel de Lyon, c’est très logiquement la non-souscription d’assurance qui constitue la faute susceptible d’engager la responsabilité civile personnelle du dirigeant et non pas la mauvaise exécution des opérations de plâtrerie et peinture. En conséquence, le point de départ du délai de prescription est différent, ce qui justifie également l’existence d’un juste motif au sens de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49. Sans l’exprimer littéralement, les juges d’appel estiment que la faute a été dissimulée au demandeur et fixe la date de sa révélation. En effet, ils considèrent que « par un courrier adressé aux parties le 10 avril 2018 au cours des opérations d’expertise, la société d’assurance MAAF a opposé un refus de garantie en invoquant que les activités de peinture de la société CHATONNOISE DE BÂTIMENT n’étaient pas couvertes par la police souscrite, que l’éventualité d’une carence de M. P. n’a donc été portée à la connaissance de la société DANK qu’à cette date ». L’analyse des magistrats lyonnais semble judicieuse et conforme à l’exception posée par l’article L. 225-254 du Code de commerce N° Lexbase : L6125AIP qui ne permet un report du délai de prescription qu’en cas de dissimulation de la faute commise par le dirigeant et non en cas de dissimulation des conséquences dommageables nées de cette faute. La non-souscription d’une assurance pourtant rendue obligatoire par la loi est bien constitutive d’une faute détachable des fonctions, faute ici révélée au demandeur par le courrier adressé par la compagnie d’assurance. À notre sens, la gravité de la faute tout comme sa nature justifient le raisonnement suivi qui, rappelons-le, ne vise qu’à étendre des opérations d’expertise au dirigeant d’une société liquidée pour insuffisance d’actif. En effet, comme le relève l’arrêt, il appartiendra aux juges du fond d’interpréter le contrat d’assurance afin de déterminer si la société liquidée était ou non assurée valablement et in fine d’éventuellement condamner l’ancien dirigeant.

Par Quentin Némoz-Rajot

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