Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Droit de la famille

[Chronique] Droit des personnes et de la famille

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N4417BZM

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par Aurore Camuzat, ATER au Centre de Droit de la Famille, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3 et Aurélien Molière, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur du Master droit de la famille, Directeur adjoint de l’IEJ responsable de la préparation ENM

le 17 Février 2023

AMP à l’étranger et adoption plénière : des conflits à trancher

♦ CA Lyon, 2e ch. A, 15 juin 2022, n° 21/03365 N° Lexbase : A912377Z

Il est des conflits qu’il est parfois difficile de trancher, notamment en raison d’un contexte familial particulier ou de l’utilisation de notions juridiques floues. Lorsque surgissent, en plus, des dispositions transitoires, la situation se complexifie davantage.

Après plusieurs années de vie en couple, malgré des relations parfois difficiles, deux femmes ont décidé d’avoir un enfant en ayant recours à une insémination artificielle avec tiers donneur. À la suite de sa naissance, le 2 août 2015, les deux femmes ont emménagé ensemble début 2017 et se sont mariées le 29 avril 2017. En parallèle, elles ont entamé des démarches afin que la mère d’intention puisse adopter l’enfant. Par un acte notarié du 4 novembre 2017, la mère biologique a consenti à l’adoption de l’enfant par sa conjointe. Environ deux ans plus tard, le 4 août 2019, alors que les relations entre les deux femmes s’étiolent, la mère d’intention a déposé une requête en adoption plénière de l’enfant de sa conjointe et a demandé que son nom de famille soit adjoint au nom de famille d’origine. La mère biologique a refusé de consentir à cette adoption, aux motifs qu’elles avaient rompu et qu’elles étaient en instance de divorce.

Se prononçant le 6 avril 2021, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a accueilli la demande d’adoption plénière de l’enfant, a statué sur le changement de nom de celui-ci, a indiqué le maintien de la filiation naturelle vis-à-vis de la mère biologique et a ordonné la transcription de ce jugement sur les registres de l’état civil avec la mention du terme « adoption » en marge de l’acte de naissance de l’adopté. La mère biologique, ainsi que ses parents, ont interjeté appel. S’ils ne remettaient pas réellement en cause les conditions de l’adoption plénière, ils considéraient cependant qu’il n’existait aucun projet parental commun et qu’il n’était pas de l’intérêt de l’enfant d’être adopté par la mère d’intention (II). De plus, entre la décision des juges de première instance et celle des juges d’appel, la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, visant à réformer l’adoption N° Lexbase : L4154MBH, est adoptée. Étant d’application immédiate, la question était alors de savoir les incidences que pouvait avoir une telle réforme sur ce litige (I).

I. L’incidence relative de l’article 9 de la loi réformant l’adoption

L’article 9, de la loi n° 2022-219, précitée N° Lexbase : L4154MBH, entré en vigueur le 23 février de cette année, met en place un dispositif transitoire permettant, sous certaines conditions et pendant trois ans, l’adoption forcée d’un enfant né dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation réalisée par un couple de femmes à l’étranger. Il en va ainsi, notamment, lorsque la mère biologique s’oppose à l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. L’une des conditions d’application de l’article 9 est le refus, sans motif légitime, par la mère biologique, de recourir à la reconnaissance conjointe, prévue par l’article 6, IV, de la loi n° 2021-1017, du 2 août 2021, relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C. En effet, l’article 6 permet à un couple de femmes d’effectuer une reconnaissance conjointe de l’enfant devant notaire, dans les trois ans suivant la publication de la loi bioéthique. Ainsi, si la mère biologique refuse de recourir à la reconnaissance conjointe notariée, alors même qu’il existait un projet parental commun et qu’un tel refus est contraire à l’intérêt de l’enfant ou que la protection de celui-ci l’exige, il est possible de recourir à l’adoption forcée, prévue par la loi réformant l’adoption.

Ce dispositif a été mis en œuvre pour la première fois par la cour d’appel de Lyon le 9 juin 2022 (CA Lyon, 2e ch. B, 9 juin 2022, n° 21/09303 N° Lexbase : A427077B). Dans cet arrêt, la mère biologique avait consenti à l’adoption plénière de l’enfant par sa conjointe avant de se rétracter trois semaines après. Elle était donc dans le délai légal de rétractation de deux mois, prévu par l’alinéa 3, de l’article 348-3 du Code civil N° Lexbase : L5152MEK. L’article 9, de la loi n° 2022-219, précitée N° Lexbase : L4154MBH a été appliqué par les juges, car ils ont considéré que le refus de consentir à l’adoption pouvait s’analyser en un refus de recourir à la reconnaissance conjointe.

Or selon les juges d’appel, ce dispositif exceptionnel « n’est cependant pas directement applicable aux faits d’espèce », car « la demande a été initiée par les parties au regard des dispositions des articles 345 et suivants du Code civil » (CA Lyon, 2e ch. A, 15 juin 2022, n° 21/03365 N° Lexbase : A912377Z). L’article 9 de ladite loi N° Lexbase : L4154MBH ne serait pas directement applicable à la situation litigieuse, car il s’agirait d’une demande d’adoption. Si cette exclusion est compréhensible, la justification des juges d’appel l’est nettement moins. En effet, la raison d’un tel refus ne tient pas tant à l’existence d’une requête en adoption plénière de l’enfant du conjoint qu’à l’existence du consentement de la mère biologique à une telle adoption. S’il est vrai que celle-ci s’oppose à l’adoption depuis 2019, il n’en reste pas moins qu’elle y a consenti dans un acte notarié le 4 novembre 2017. Or le délai de rétractation de deux mois est depuis largement écoulé (C. civ., art. 348-3, al. 3 N° Lexbase : L5152MEK). Dès lors, il ne serait pas possible d’invoquer l’article 9 de la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, visant à réformer l'adoption N° Lexbase : L4154MBH car il n’existerait pas réellement de refus de recourir à la reconnaissance conjointe notariée. Le consentement à l’adoption par acte notarié aurait ainsi toutes les caractéristiques d’une reconnaissance conjointe, sans pour autant en avoir les effets puisqu’aucun lien de filiation n’est établi entre l’enfant et la mère d’intention.

Les juges d’appel ont poursuivi leur raisonnement en précisant que les conditions légales de l’adoption plénière étaient réunies. Cela ne posait pas grandes difficultés ici, l’enfant n’ayant de filiation établie qu’à l’égard de la mère biologique et celle-ci ayant, vraisemblablement, consentie à son adoption par sa conjointe en 2017 (C. civ., art. 345-1, 1° N° Lexbase : L5150MEH et 348-1 N° Lexbase : L5145MEB). Les réelles difficultés portaient sur l’existence d’un projet parental commun et sur l’intérêt de l’enfant (II).

II. L’incidence prééminente d’un projet parental commun et de l’intérêt de l’enfant

À l’instar du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, les juges d’appel ont vérifié l’existence d’un projet parental commun et si l’adoption plénière de l’enfant est conforme ou non à son intérêt.

Les juges relèvent plusieurs éléments témoignant de l’existence d’un projet parental commun. Parmi eux figure l’investissement de la mère d’intention lors de la grossesse de sa compagne, lors de l’accouchement et lors de la prise en charge de l’enfant, qui a pour troisième prénom un prénom tahitien, en référence aux origines de la mère d’intention. L’existence d’un projet parental commun ne pouvant être contesté, il convenait alors de vérifier qu’il était de l’intérêt de l’enfant qu’il soit adopté de manière plénière par la mère d’intention, en application de l’article 353 du Code civil N° Lexbase : L5332ME9. Les juges d’appel précisent, par ailleurs, que ce critère de l’intérêt de l’enfant est rappelé tant par la Cour européenne des droits de l’Homme que par la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, visant à réformer l'adoption N° Lexbase : L4154MBH, pourtant non applicable aux faits d’espèce.

La mère biologique invoquait les nombreuses dissensions avec la mère d’intention et notamment une absence de contacts prolongée entre cette dernière et l’enfant. Ces arguments n’ont cependant pas convaincu les juges d’appel de Lyon. En effet, l’absence de contacts pendant deux ans et demi serait entièrement dû à l’exclusion volontaire de la mère d’intention par la mère biologique. De plus, celle-ci a partagé, pendant plusieurs années, la vie de l’enfant et avait le rôle de second parent. Elle a, par ailleurs, effectué les démarches nécessaires auprès du juge aux affaires familiales pour obtenir un droit de visite et d’hébergement, en tant que tiers, et devant le tribunal judiciaire pour adopter de manière plénière l’enfant de sa conjointe. Enfin, les juges ne manquent pas de rappeler que la mère biologique a consenti, en 2017, à une telle adoption. Dès lors, tous ces éléments leur ont permis de considérer qu’il était de l’intérêt de l’enfant d’être adopté de manière plénière par la mère d’intention.

Les juges d’appel ont donc entièrement confirmé le jugement de première instance en ordonnant l’adoption plénière de l’enfant par la mère d’intention, l’adjonction du nom de famille de celle-ci à celui d’origine de l’enfant et la transcription du jugement d’adoption sur les registres de l’état civil.

L’arrêt est particulièrement intéressant en ce qu’il envisage, même s’il l’écarte, l’application de l’article 9 de la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, précitée N° Lexbase : L4154MBH dont l’objectif est de simplifier les démarches d’adoption lorsqu’il existe une situation problématique entre deux femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation à l’étranger. Il est également surprenant en ce que les arguments relatifs à l’existence d’un projet parental commun et la vérification de l’intérêt de l’enfant sont nettement développés. S’il est vrai que ce type de contentieux est encore relativement rare en pratique, il n’en reste pas moins qu’il risque de devenir plus fréquent dans les mois et années à venir ; la principale difficulté reposant sur la recherche d’un projet parental commun et l’intérêt de l’enfant. Or cette notion, certes prééminente, mais floue, suscite toujours de multiples interprétations. Reste à savoir ce qu’en dira la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par la mère biologique.

Par Aurore Camuzat

Lacération et pluralité de testaments : à la recherche des dernières volontés

♦ CA Lyon, 1re civ. B, 5 juillet 2022, n° 18/04224 N° Lexbase : A60438A3

La plupart des Hommes, que ce soit par imprévoyance, par superstition ou par l’effet d’une mort précoce, décèderont sans laisser de testament. Une minorité, au contraire, aura pris soin de coucher ses dernières volontés sur le papier. Parmi eux, quelques-uns l’auront fait à plusieurs reprises, dans des actes parfois distants de plusieurs années. La même question se pose alors à chaque fois : lequel exécuter ? À dire vrai, elle se dédouble, car elle touche à la fois à la validité et à l’efficacité des dispositions testamentaires. Ces deux difficultés étaient réunies dans une succession dont la cour d’appel de Lyon a eu à connaître. Elle s’est ouverte en présence de deux testaments olographes : l’un daté de 2002, mais lacéré (I), l’autre en parfait état, mais rédigé en 1998, donc antérieurement (II).

I. Le testament lacéré

La lacération du testament est souvent abordée sous le prisme de son efficacité. Pourtant, elle concerne sa validité. Ce que peut révéler un testament déchiré, c’est la volonté de son auteur de rétracter son consentement et de révoquer, ainsi, l’acte qui en est né. L’expression du consentement étant la condition première de la formation des actes juridiques (C. civ., art. 1128 N° Lexbase : L0844KZB), sa disparition, avant le décès du testateur et l’entrée en vigueur du testament, l’affecte dans sa validité. À dire vrai, elle le prive presque de toute existence, le consentement n’étant pas simplement vicié, mais tout bonnement absent.

En première instance, les juges ont estimé qu’aucun des testaments n’est valable, pour des raisons différentes, mais connexes. Ils ont observé que l’acte rédigé en 2002 avait été déchiré et que « les circonstances entourant cet événement attestaient d’une volonté de la testatrice d’anéantir les dispositions » qui s’y trouvent. Quant à l’acte daté de 1998, ils ont estimé qu’il ne peut être mis en œuvre, car il n’est « pas établi de manière expresse ou tacite une volonté de la testatrice de [le] rétablir ». Ce qui présuppose, dans l’esprit des juges, que l’acte de 1998 a été révoqué par celui de 2002 (v. infra, 2) et que la révocation du second ne suffit pas, à elle seule, à rétablir le premier.

Toutefois, pour que la lacération du testament constitue un obstacle à sa validité, encore faut-il qu’elle soit imputable au testateur ! En effet, si la destruction de l’acte figure parmi les cas limitatifs de révocation tacite, aux côtés de la rédaction d’un nouveau testament et de l’aliénation de la chose léguée (Cass. civ. 1, 8 juillet 2015, n° 14-18.875, F-P+B N° Lexbase : A7562NMZ), elle n’est efficace qu’à deux conditions. D’abord, elle doit être volontaire. Le testament détruit ou altéré dans un événement ayant les caractères de la force majeure (incendie accidentel, catastrophe naturelle, etc.) ne saurait être regardé comme étant révoqué. Ensuite, elle doit avoir été causée par son auteur, car c’est de sa volonté de tester dont il est question. La règle est logique : seul peut révoquer celui qui a testé. Si la destruction émane d’un tiers ayant agi spontanément, on ne peut considérer que le testateur a rétracté son consentement. Or en l’espèce, l’acte a été lacéré après le décès de la testatrice. Un héritier s’en est confessé devant le notaire et dans ses conclusions devant le conseiller de la mise en l’état. Le testament établi en 2002 n’a donc pas été révoqué. Il est valable et il doit produire les effets escomptés.

II. Le testament antérieur

Dès lors, que faire du testament rédigé en 1998 ? Est-il malgré tout valable ? S’il l’est, est-il pleinement efficace ? Ou est-on forcé d’admettre qu’il a été réduit au silence par le dernier testament en date ? Le profane se laissera sans doute abuser par l’expression « dernières volontés ». La suivre au pied de la lettre et sans nuance conduirait à retenir systématiquement l’ultime testament et à ignorer les autres. La méthode aurait le mérite de la simplicité, mais elle présente le défaut majeur de ne pas respecter la volonté du défunt.

Les dernières volontés du testateur, ce ne sont pas les volontés qu’il a exprimées en dernier. Ce sont celles qui produiront leurs effets en dernier, à compter de son décès et par-delà sa mort. Partant, il a très bien pu les extérioriser, non d’un bloc et en un trait de temps, mais à plusieurs reprises, à des moments différents de sa vie et dans des actes distincts. Dès lors, rien ne justifie, a priori, que l’on privilégie celui qui a été établi en dernier, au détriment de ceux qui l’ont été avant lui.

Il reste alors un point à régler : une fois admise la possible coexistence de plusieurs testaments, comment faut-il les articuler ? L’article 1036 du Code civil N° Lexbase : L0196HPX prévoit que « les testaments postérieurs, qui ne révoqueront pas d’une manière expresse les précédents, n’annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles ou qui seront contraires ». Le principe réside donc dans l’application cumulative des dispositions testamentaires. Seuls le constat d’une incompatibilité ou l’existence d’une contradiction obligent à exclure les plus anciennes au profit des plus récentes. Ce qui revient à considérer les premières comme étant révoquées, mais seulement à hauteur de l’incompatibilité ou de la contradiction constatée. Le testament antérieur peut alors être révoqué, en tout ou partie. Il peut aussi ne pas l’être du tout. Il en va ainsi lorsque toutes les dispositions testamentaires, peu important leurs dates, se complètent sans se contredire.

En l’espèce, les juges ont estimé que les dispositions contenues dans les testaments datés de 1998 et 2002 sont complémentaires. Elles doivent donc toutes être exécutées, cumulativement, en vue de régler la succession. Il en va du respect de la volonté du défunt, laquelle doit toujours constituer la boussole de l’interprète du testament.

Par Aurélien Molière

Déshériter l’héritier réservataire tout en le gratifiant : où s’impute le legs ?

♦ CA Lyon, 1re civ. B, 10 mai 2022, n° 21/05853 N° Lexbase : A46037WE

Sur les successions plane l’ombre des histoires familiales. Elles ressurgissent parfois sous forme de dispositions testamentaires. Leur interprétation ainsi que leur mise en œuvre peuvent être source de bien des difficultés ; surtout lorsque le testament est olographe. Dit autrement, quand le cœur a parlé sans la modération et la traduction juridique du professionnel du droit qu’est le notaire. La décision commentée en fournit une bonne illustration.

En 2012, une femme décède en laissant pour lui succéder sa mère et son mari. Dans un testament olographe qu’elle a rédigé en 2009, elle indique vouloir priver son époux de tout droit dans sa succession, à l’exception de l’usufruit des biens immobiliers et des meubles meublants. En 2016, un notaire est judiciairement désigné pour procéder aux opérations de liquidation et de partage. En 2021, le tribunal judiciaire de Lyon homologue le projet d’acte de partage et renvoie les parties devant le notaire pour signature de l’acte définitif. Son gendre interjette appel de la décision, car il conteste la façon dont les droits qui lui sont légués doivent être imputés (I), l’imputation étant de nature à influencer leur réalisation (II).

I. Le secteur d’imputation

Le projet d’acte de partage prévoit d’imputer le legs « sur les droits réservataires du conjoint survivant ». L’appelant, quant à lui, estime qu’il doit l’être sur les droits qui lui sont conférés en qualité de conjoint successible. La différence paraîtra insignifiante au non-spécialiste. Elle s’éclaire à la lecture de certaines dispositions du Code civil. L’article 758-6 de ce code N° Lexbase : L9839HNQ prévoit que les libéralités reçues par le conjoint survivant s’imputent sur « les droits de celui-ci dans la succession ». Ils s’étendent aux trois quarts de la masse successorale lorsque le de cujus laisse comme seuls héritiers son conjoint et un ascendant privilégié (C. civ., art. 757-1 N° Lexbase : L3478AWQ). Mais dans cette même hypothèse, où le conjoint survivant n’est pas en concours avec des descendants, il dispose également d’une réserve sur le quart de la succession (C. civ., art. 914-1 N° Lexbase : L0062HPY). Dès lors, deux secteurs d’imputation aux proportions bien différentes sont envisageables : la vocation successorale ab intestat, d’une part, et la réserve héréditaire, d’autre part. L’enjeu de la discussion se révèle alors pleinement.

C’est sur la réserve, autrement dit sur le quart de la succession, que le legs litigieux a été imputé par le notaire. Comment l’expliquer ? En principe, la libéralité reçue par le conjoint s’impute sur ses droits successoraux. Ce qui peut l’empêcher, c’est si le de cujus l’en a privé. L’imputation, telle qu’elle doit normalement être réalisée, devient alors impossible. Or dans son testament olographe, la testatrice a écrit vouloir déshériter son mari, tout en maintenant ses droits en usufruit sur les immeubles et en lui laissant les meubles meublants. Comment faut-il comprendre cette volonté qui paraît, de prime abord, ambigüe et contradictoire, en ce qu’elle exhérède en même temps qu’elle gratifie ?

L’interprétation retenue par la cour d’appel est la bonne. La testatrice n’a pas eu la volonté de dépouiller son conjoint de tout droit dans la succession. L’aurait-elle voulu, elle ne l’aurait pu, car, en l’absence de descendant, il est un héritier réservataire. Son intention a donc été, non de supprimer, mais de réduire les droits de son mari à leur portion congrue, c’est-à-dire sa part de réserve. Ce faisant, elle l’a privé de tout droit dans la quotité disponible. De cette interprétation, il a logiquement été déduit que le legs doit s’imputer sur la réserve du conjoint survivant légataire, soit le quart de la succession.

II. Les conséquences de la solution

Que se passera-t-il si les droits légués à l’époux survivant excèdent sa part de réserve ? L’arrêt ne l’évoque pas (ce n’était pas l’objet du litige), mais la difficulté est prévisible, surtout s’agissant de droits immobiliers. Le risque est grand que la réserve du quart ne suffise pas à imputer le legs dans sa totalité.

En temps normal, le surplus doit s’imputer sur la quotité disponible. Mais, en l’espèce, c’est impossible puisque le de cujus en a privé le conjoint légataire dans son testament. À moins de considérer que la volonté de gratifier doive l’emporter sur celle d’exhéréder. Mais on voit mal pourquoi ce serait le cas et non l’inverse.

Si l’on s’en tient – et il le faut – à la volonté de la testatrice, l’objectif recherché dans son testament a été de s’assurer que son mari ne recevrait rien de plus que sa part de réserve et qu’il ne recueillerait tout au plus que l’usufruit des biens immobiliers et les meubles meublants. Dès lors, l’éventuel surplus ne peut s’imputer sur la quotité disponible. Le conjoint survivant en a été volontairement et pleinement évincé. Concrètement, il ne peut donc prétendre qu’aux droits légués, à concurrence de la part qu’il était impossible pour sa défunte épouse de lui retirer ; c’est-à-dire sa réserve. Par conséquent, il se pourrait bien que le legs ne puisse, en tout ou partie, s’exécuter autrement qu’en valeur. Est-ce vraiment ce que voulait la testatrice ? Il est impossible de le dire. Mais on ne peut s’empêcher de penser que les conseils avisés d’un notaire auraient été les bienvenus, pour l’éclairer sur les effets de sa volonté.

Par Aurélien Molière

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