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Le 05 Mai 2021
Lexbase Hebdo - édition publique vous propose cette semaine un numéro spécial sur la conférence organisée par le barreau de Marseille le 27 novembre 2020, intitulé « Les contrats publics à l'épreuve de la crise sanitaire », l'épidémie de covid-19 étant venue bouleverser totalement la vie des acteurs des contrats publics, qu’ils soient donneurs d’ordres ou prestataires, grands ou petits et quel que soit leur coeur de métier.
Retrouvez ici les interventions de :
- Bertrand Dacosta, Conseiller d’État, président de la 10ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État, Présentation générale (N° Lexbase : N7394BYI)
- Guillaume Delaloy, Chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique DAJ du ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, L'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 : bilan et perspectives d'un texte d'exception (N° Lexbase : N7395BYK)
- François Lichère, Professeur agrégé de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur de la Chaire de droit des contrats publics, L’exécution dégradée des contrats administratifs de la commande publique et la crise sanitaire (N° Lexbase : N7397BYM)
- Xavier Debosque, Directeur Juridique Eiffage Génie Civil, Suspension et Exécution dégradée : retour d'expérience (N° Lexbase : N7399BYP)
- Nicolas Morizot, responsable des achats au ministère des Solidarités et de la Santé, La gestion des approvisionnements et fournitures de première nécessité (N° Lexbase : N7400BYQ)
- Laurent Bessozi, Directeur général adjoint des services en charge des achats, de la commande publique et des affaires juridiques Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, L’achat et la commande publique au sein de la Région Sud PACA : une agilité éprouvée et confortée lors de la crise sanitaire du printemps 2020 (N° Lexbase : N7401BYR)
- Jean Grataloup, Directeur juridique du département des Bouches-du-Rhône,Table ronde : la gestion de la crise (première partie) (N° Lexbase : N7407BYY)
- Ghislaine Markarian, Présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille, Table ronde : la gestion de la crise (seconde partie) (N° Lexbase : N7411BY7)
- Dominique Bonmati, Présidente du tribunal administratif de Marseille, Brève introduction des travaux de l’après-midi (N° Lexbase : N7412BY8)
- Jean Grataloup, Directeur juridique du département des Bouches-du-Rhône, Faut-il adapter les modes de passation ? (N° Lexbase : N7413BY9)
- Sabine Ibanes, directrice juridique, groupe NGE et Camille Cros, Avocate au barreau de Marseille, Innovation contractuelle : comment tenir compte de la crise sanitaire dans les nouveaux contrats ? (N° Lexbase : N7424BYM)
- Christian Baillon-Passe, Avocat au barreau de Marseille, L'impact de la crise sanitaire sur les occupations du domaine public (N° Lexbase : N7416BYC)
- Frédéric Marty, chargé de Recherches CNRS – Groupe de Recherche en Droit, Economie, Gestion (GREDEG), Université de Nice Sophia-Antipolis, La commande publique, outil de relance ou de soutien économique ? (N° Lexbase : N7425BYN)
- Jean-Claude Ricci, Agrégé des facultés de droit, Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, Rapport de synthèse (N° Lexbase : N7434BYY)
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par Bertrand Dacosta, Conseiller d’État, président de la 10ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État
Le 04 Mai 2021
Dans quelle mesure les stipulations contractuelles, les dispositions textuelles – anciennes et nouvelles – et les règles jurisprudentielles ont-elles permis et vont-elles permettre, dans les prochains mois ou dans les prochaines années, de gérer les contrats publics dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de la covid-19 ?
Nul doute que les participants à ce colloque auront été, d’ici quelques heures, éclairés, autant qu’on puisse l’être, par la richesse des interventions et des échanges programmés à l’occasion de ces 18èmes Rencontres de Droit et Procédure Administrative, dont il appartiendra au professeur Ricci de nous livrer la synthèse.
Certes, l’organisation même de ces rencontres, chacun de nous peut le constater, est affectée par les contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire, mais ces contraintes ont été heureusement surmontées grâce à l’usage de modes de communication électronique qui ne sont pas tributaires, elles, du confinement. Il reste à espérer que les 19ème Rencontres de Droit et Procédure Administrative se dérouleront dans une autre ambiance…
Dès le début de cette crise, et pour nous en tenir au champ de la commande publique, deux approches se sont fait jour et, d’une certaine manière, téléscopées.
En premier lieu, les décideurs publics ont, très rapidement, mis l’accent sur le fait qu’il pouvait exister des solutions d’ordre jurisprudentiel aux difficultés rencontrées par les opérateurs économiques ayant conclu des contrats avec des personnes publiques.
Ainsi, le 28 février 2020, dans une déclaration sur l’impact économique de l’épidémie de covid-19, le ministre de l’Economie et des Finances affirmait-il : « L'État considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises. Ce qui veut dire que pour tous les marchés publics de l'État, si jamais il y a un retard de livraison de la part des PME ou des entreprises, nous n'appliquerons pas de pénalités, car nous considérons le coronavirus comme un cas de force majeure. J'écrirai aux PME et aux entreprises pour les informer de cette décision. J'écrirai également aux différentes associations de collectivités locales, l'Association des maires de France, à Régions de France (RF) ou l'AVF pour les inviter à en faire de même dans les marchés publics des collectivités locales ».
Trois semaines plus tard, la direction des affaires juridiques de ce même ministère rendait publique une note qui rappelait que la force majeure « exonère les parties au contrat de toute faute contractuelle » et que, lorsqu’elle joue, « les entreprises ne doivent donc pas se voir appliquer de pénalités, ni quelque autre sanction contractuelle que ce soit ». Et, selon cette note, deux des trois conditions cumulatives (l’imprévisibilité et l’extériorité de l’événement) étaient assurément remplies, seule la troisième (l’irrésistibilité) devant être vérifiée au cas par cas.
Se voyait ainsi rappelé le caractère opérant d’une notion dégagée depuis plus d’un siècle, avec notamment la célèbre décision du Conseil d’État du 29 janvier 1909, « Compagnie des messageries maritimes » [1].
Toutefois, dès cette période, dès le mois de mars 2020, prenait corps l’idée que l’application des règles prétoriennes, pour utile qu’elle puisse être, ne permettrait pas de surmonter toutes les difficultés que la crise allait soulever en termes d’exécution des contrats publics, sans même parler de la nécessité d’aménager, au moins provisoirement, les modalités de leur passation.
Cette seconde approche, fondée sur l’adoption de textes ad hoc, trouve son fondement initial dans la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid- 19 (N° Lexbase : L5506LWT), dont l’article 11 habilite le Gouvernement, parmi bien d’autres sujets, à prendre par ordonnance toute mesure « adaptant les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».
Saisi de ce texte, le Conseil d’État avait simplement estimé « que l’intérêt général qui s’attache à la prévention de la défaillance d’entreprises causée par la crise sanitaire actuelle est susceptible de justifier une atteinte aux contrats en cours ».
Les travaux parlementaires, eu égard aux délais dans lesquels ils ont dû être organisés, n’apportent malheureusement que peu d’éléments sur l’intention précise du législateur.
Deux jours après la promulgation de la loi (!) allait être signée l’ordonnance n° 2020- 319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5734LWB). M. Delaloy, qui est particulièrement bien placé pour procéder à cet exercice, nous présentera l’objet et le bilan de ce texte, qui a été ultérieurement modifié, dans quelques minutes.
Il faut toutefois avoir à l’esprit que d’autres dispositions sont, pardonnez-nous l’expression, dans les tuyaux. Je pense, en particulier au projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (la fameuse loi « ASAP »…), adoptée définitivement par le Parlement mais en cours d’examen par le Conseil constitutionnel. Ce texte introduit dans le Code de la commande publique, à la fois dans la partie relative aux marchés et dans celle relative aux concessions, un livre nouveau, « Dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles ». Il s’agit, si l’on comprend bien, d’une sorte de codification des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020, qui auront ainsi vocation à être réactivées à chaque fois que les circonstances l’exigeront – en espérant que la nécessité de procéder à une telle réactivation ne sera pas trop fréquente…
Là aussi, M. Delaloye pourra nous éclairer.
Comme vous avez pu le constater en lisant le très riche programme de ces rencontres, nous nous intéresserons ensuite aux thématiques de l’exécution dégradée, de la suspension et de la résiliation des contrats publics en période de crise sanitaire, avant de bénéficier de retours d’expérience émanant de praticiens particulièrement bien placés, puis d’envisager les enseignements, pour l’avenir, de cette crise.
Pour ma part, je me bornerai à rechercher quelques instants si des enseignements pouvaient raisonnablement, au printemps 2020, être tirés de l’expérience des épidémies passées.
Pour le dire autrement, l’exécution des contrats publics a-t-elle déjà été, depuis le début du XXème siècle, confrontée au risque épidémique et les notions de force majeure ou d’imprévision ont-elles alors été mobilisées ?
Après tout, en effet, ce n’est pas la première fois, même en s’en tenant à l’époque contemporaine, que notre pays est frappé par une pandémie.
Chacun – les medias se sont abondamment chargés de nous le rappeler – a à l’esprit la terrible grippe espagnole de 1918-1919. Mais il y en a eu d’autres, à commencer par la grippe asiatique de l’hiver 1957-1958, qui s’est sans doute traduite par au moins 20 000 morts (les estimations vont de 10 000 à 100 000, on est loin de la précision chirurgicale des chiffres qui nous sont donnés quotidiennement…).
De ces épidémies, le droit public conserve-t-il une trace ?
Au risque d’être décevant, pas vraiment…
Pourtant, rien ne s’oppose, en principe, à ce qu’une épidémie soit regardée comme un cas de force majeure ou puisse donner lieu à l’application de la théorie de l’imprévision.
Certes, les trois conditions exigées par la jurisprudence pour que la force majeure soit constituée sont pour le moins exigeantes.
L’acclimatation de la notion de force majeure dans le droit administratif s’est même effectuée avec l’idée qu’il convenait d’être plus rigoureux qu’en droit privé. C’est l’idée qu’exprimait le commissaire du Gouvernement Tardieu en concluant sur la décision « Compagnie des messageries maritimes » de 1909 : « étant donné que les entrepreneurs, fournisseurs ou concessionnaires des services publics sont chargés d’une mission qui présente un intérêt général, les tribunaux administratifs ont le droit, à raison précisément de cet intérêt général qui est en jeu, de se montrer plus sévères dans l’appréciation de la conduite de l’entrepreneur, et d’exiger de lui plus d’efforts pour assurer l’exécution de son contrat que les tribunaux judiciaires n’en exigeraient d’un entrepreneur privé ».
Toutefois, a priori, la condition tenant à l’extériorité est remplie en ce qui concerne une épidémie, tout du moins pour une épidémie qui n’est pas étroitement circonscrite dans le temps et dans l’espace. On voit mal qu’un entrepreneur de travaux publics puisse être regardé comme ayant les moyens de l’empêcher ou de la faire cesser.
La condition de l’irrestibilité est d’appréciation plus délicate. Ainsi, aujourd’hui, si les prestations confiées à une entreprise peuvent être assurées à distance par le télétravail et si, par ailleurs, ses salariés ne sont pas eux-mêmes affectés, ni l’épidémie elle-même, ni les mesures prises par les pouvoirs publics telles que le confinement, ne constituent un obstacle à l’exécution du contrat. A contrario, on conçoit bien qu’un confinement strict, comme celui mis en place au printemps 2020, ait entraîné une impossibilité absolue d’exécuter certains contrats. Ici, d’ailleurs, ce n’est pas tant l’épidémie elle-même qui est en cause que les décisions de l’administration et l’on peut dériver vers la théorie du fait du prince
Quant à la condition d’imprévisibilité, elle n’est évidemment pas remplie pour toute épidémie. L’approche du juge est, en la matière, très casuistique. Une épidémie qui revient régulièrement, a fortiori chaque année, n’est bien sûr pas imprévisible. A contrario, la jurisprudence n’exige pas que l’événement soit radicalement impossible à prévoir. Il faut et il suffit que son occurrence soit suffisamment rare pour qu’il ne puisse être raisonnablement envisagé par les parties au moment de la conclusion du contrat. Ainsi, s’agissant d’événements naturels tels que des intempéries, celles-ci ne seront pas regardées comme imprévisibles si on en connaît deux ou trois exemples au cours du siècle écoulé ; en revanche, un événement dont le risque d’occurrence est centennal est qualifié d’imprévisible. Parfois, c’est la conjonction d’événements prévisibles qui peut conduire à un événement imprévisible. Une bonne illustration en est donnée par une décision du Conseil d’Etat du 15 novembre 2017, « Société Swisslife assurances de bien » [2], à propos de crues du Rhône survenues en 2003, avec le cumul de précipitations d’une ampleur exceptionnelle (trois occurrences au cours des deux derniers siècles) et d’une tempête marine, d’où une crue centennale…
De plus en plus rares, compte tenu des progrès scientifiques, sont les épidémies totalement imprévisibles, comme pourraient l’être des épidémies reposant sur un mode de contamination jusque-là inconnu. A cette aune, l’épidémie de grippe espagnole n’était sans doute pas impossible à concevoir à l’avance, et celle de la covid-19 faisait partie des risques annoncés par certains. Malgré tout, l’une comme l’autre, au regard notamment de leur ampleur et de leurs effets, peuvent sans doute être qualifiées d’imprévisibles au sens et pour l’application de la force majeure.
Une épidémie peut donc être un cas de force majeure.
Certains contrats le prévoient d’ailleurs expressément. Le Conseil d’État a ainsi été confronté, il y a quelques années, à un litige portant sur un contrat conclu par une commune et ayant pour objet la cession des droits d’exploitation du spectacle d’un chanteur, spectacle annulé in extremis par l’intéressé, invoquant une maladie. On constate, en lisant la décision du Conseil d’État, que le contrat comportait une clause aux termes de laquelle il « se trouverait suspendu, résolu ou résilié de plein droit et sans indemnité d’aucune sorte en cas d’accidents indépendants des parties reconnus de force majeure nécessitant la fermeture de la plupart des salles de spectacles tels que : calamités publiques, guerre, révolution, émeute, mouvement populaire, accident de la circulation, deuil national, grève, épidémie, maladie dûment constatée d’un artiste et tout autre cas de force majeure ». En l’espèce, le chanteur avait fait valoir non pas une épidémie, mais une simple maladie. Le Conseil d’État a toutefois estimé que si les parties avaient entendu illustrer certains cas de force majeure, elles n’avaient pas entendu faire obstacle à l’application des critères caractérisant l’événement de force majeure, en particulier celui de l’imprévisibilité lors de la conclusion du contrat, ce qui l’avait conduit à juger, en l’espèce, que l’état de grande fatigue du chanteur ne revêtait pas en soi un caractère imprévisible à la date de conclusion du contrat [3].
En d’autres termes, ce n’est pas parce que les parties prévoient que la survenance d’une épidémie peut faire obstacle à l’exécution du contrat que le juge ne vérifiera pas que cette épidémie satisfait aux conditions fixées par la jurisprudence…
Ceci étant, si une épidémie n’est pas nécessairement un cas de force majeure, elle peut l’être.
Et il n’y a pas de raison qu’elle ne puisse pas être le facteur déclencheur de l’application de la théorie de l’imprévision, si elle entraîne un bouleversement de l’économie du contrat.
On découvre ainsi, en parcourant les (très) vieilles éditions du recueil Lebon, qu’une épidémie d’influenza ayant sévi sur les chantiers d’un entrepreneur, mais n’ayant affecté successivement qu’un nombre modeste d’ouvriers (moins de 10 % au total) n’a pas le caractère d’un événement de force majeure [4]. A l’inverse, présentent un tel caractère, sans que la décision permette d’en savoir beaucoup plus, des « épidémies de fièvre » qui, s’agissant d’un marché d’entretien de chemins vicinaux, « ont retardé l’extraction et le cassage des matériaux » [5].
Rien, en revanche, d’utile en ce qui concerne les épidémies plus récentes du chikungunya ou la dengue.
En prenant en mains les tables vicennales du recueil Lebon couvrant la période concernée par la grippe espagnole (les tables 1905-1924), on pourrait s’attendre à trouver au moins quelques hypothèses dans lesquelles le Conseil d’État aurait été amené à s’interroger sur l’application de la théorie de la force majeure (ou de l’imprévision) à propos de difficultés rencontrées par des cocontractants de l’administration en raison de cette maladie.
M’étant livré à l’exercice, avec un risque d’erreur lié à la police de caractère utilisée qui en rend la lecture délicate, je n’en ai, pour ma part, pas trouvé trace (et pas davantage, d’ailleurs, pour l’épisode de grippe asiatique de 1957-1958).
L’explication en réside sans doute dans le fait qu’en France, qui était encore en situation de guerre lors des deux premières vagues de l’épidémie, il n’y a eu, selon les historiens, aucune politique de confinement généralisé. Tout au plus certaines communes ont-elles fermé des lieux publics. La grippe espagnole a sans doute compliqué l’exécution d’un certain nombre de contrats, mais dans des proportions bien moindres que la guerre elle- même.
En revanche, il est très intéressant de relever que si le Conseil d’État a admis que la guerre pouvait constituer un cas de force majeure pour l’exécution de certains contrats signés avant le début des hostilités, il n’en va généralement pas de même dès lors que le contrat a été conclu postérieurement.
Deux exemples parmi des dizaines d’autres :
Le sieur Chalas conclut avec l’État, en octobre et décembre 1914, deux marchés ayant pour objet la fourniture de gamelles individuelles et de quarts pour le service de l’armée ; le ministre des armées lui inflige des pénalités de retard ; l’intéressé les conteste en invoquant la force majeure ; le Conseil d’État écarte ce moyen en jugeant « qu’à l’époque où il a traité, le sieur Chalas devait faire entrer dans ses prévisions les difficultés qui pouvaient, tant pour la fabrication que pour le transport des marchandises, résulter de l’état de guerre » [6] ;
Les sieurs Dreyfus et frères concluent, eux, avec l’État des marchés portant sur la fourniture de drap et de chaussettes à l’automne 1914 et invoquent, pour échapper à des pénalités de retard, l’encombrement des gares et des ports provoqué par la guerre ; le Conseil d’État leur répond « qu’aux époques où ils ont traité, c’est-à-dire deux mois au moins après le début des hostilités, ces fournisseurs devaient faire entrer dans leurs prévisions les difficultés qui pourraient résulter pour les transports maritimes et par voie ferrée de l’état de guerre » [7].
Et, dans la même logique, le cocontractant ne peut alors échapper à la résiliation de son contrat, s’il ne l’exécute pas, en s’abritant derrière la force majeure [8].
D’ailleurs, même lorsque le contrat a été signé avant août 1914, le juge s’assure que les conditions de la force majeure sont remplies. Et cela peut ne pas être le cas. Ainsi le Conseil d’Etat estime-t-il que la force majeure ne joue pas pour un marché conclu en décembre 1913, avec une motivation éclairante : « les circonstances de guerre invoquées par le requérant comme constituant un cas de force majeure n’ont pas eu ce caractère au regard de l’entrepreneur pour l’exécution de son marché ; en effet, si elles ont créé au sieur Daisy des difficultés (…), elles n’ont pas rendu impossible l’exécution des obligations du fournisseur » [9].
Nous sommes bien dans une approche « in concreto ».
Quoi qu’il en soit, à défaut de nous apporter des éléments sur la grippe espagnole, cette jurisprudence nous fournit un enseignement qui n’est pas dépourvu d’intérêt en 2020 : la force majeure risque d’être beaucoup plus difficile à invoquer pour les entreprises qui auront signé un contrat avec une personne publique à une date à laquelle la crise sanitaire avait déjà commencé. Toute la difficulté, cependant, est de déterminer la date à partir de laquelle l’entrepreneur ne peut pas ignorer le risque pesant sur l’exécution du marché : premiers cas de contamination sur le territoire, augmentation du nombre de cas dans le Grand-Est, début du confinement, déclaration d’état d’urgence sanitaire ?
Il est vrai que, dans ce cas, les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 permettront peut-être de prendre le relai.
En définitive, l’expérience du passé apporte quelques éléments d’éclairage sur ce qu’aurait pu être la position du juge, face à la crise sanitaire, en l’absence de toute disposition textuelle, mais la moisson n’est pas particulièrement abondante.
La moisson issue de cette journée d’études le sera assurément davantage !
Je laisse donc immédiatement la parole au premier intervenant, avec mes vifs remerciements aux organisateurs de ces rencontres, en particulier à Mme la présidente de la cour administrative d’appel de Marseille, à M. le bâtonnier Ringlé et au Professeur Lichère.
[1] CE, 29 janvier 1909, n° 17614 (N° Lexbase : A9583B8G).
[2] CE, n° 403367 (N° Lexbase : A2010WZH), aux tables.
[3] CE, 3 mars 2010, n° 323076 (N° Lexbase : A6448ESM).
[4] CE, 3 février 1905, Ville de Paris c/ Michon, p. 105.
[5] CE, 25 juin 1909, Carretier c/ Préfet d’Oran, p. 616.
[6] CE, 27 mars 1920, Chalas.
[7] CE, 5 novembre 1919, Dreyfus, p. 781.
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par Guillaume Delaloy, Chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique DAJ du ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance
Le 04 Mai 2021
Dans le domaine de la commande publique, le Gouvernement a rapidement pris la mesure de l’impact du covid-19 sur les entreprises. Dès le 28 février, le ministre de l’Economie et des Finances a invité les grands donneurs d’ordre de « faire preuve de solidarité vis-à-vis de leurs fournisseurs et des sous-traitants, ceux qui pourraient avoir de plus en plus de mal à s’approvisionner et à respecter les délais de livraison ». La Direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers a très vite mis en ligne sur son site un rappel du cadre juridique existant pour accompagner les acheteurs dans la passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire. La Direction des achats de l’État a également diffusé des recommandations aux principaux acheteurs de l’État et de ses établissements publics pour soutenir l’activité des entreprises, et tout particulièrement des PME.
Ces recommandations se fondaient sur le cadre juridique existant puisque le Code de la commande publique et les cahiers des clauses administratives générales proposent des outils permettant aux acheteurs de faire face à l’urgence et à des circonstances imprévues. Il est également possible de mobiliser les théories de la force majeure et de l’imprévision. Comme l’a rappelé le ministre de l’Économie qui a déclaré que l’épidémie devrait être « considérée comme un cas de force majeure pour les entreprises » et avait assuré que l’État n’appliquerait pas de pénalité en cas de retard d’exécution.
Toutefois, la mobilisation des concepts de force majeure (qui permet d’exonérer l’entreprise de sa responsabilité en cas d’impossibilité d’exécuter le contrat) ou de l’imprévision (qui permet d’indemniser le cocontractant qui poursuit l’exécution du contrat) nécessitent un examen in concreto, dès lors que celles-ci ne peuvent être appréciées qu’au cas par cas, au regard des circonstances de chaque espèce. Bien plus, le régime de la force majeure et de l’imprévision n’étant pas d’ordre public, leur application dépend, également, des stipulations contractuelles aménageant éventuellement la définition et la portée de ces théories. Elles ne peuvent donc pas toujours apporter des réponses aux difficultés rencontrées par les opérateurs économiques dans l’exécution de leurs contrats, sans parler de la théorie du fait du prince dont la notion et le champ d’application mêmes divisent encore la doctrine et les juges.
L’ampleur et l’urgence de la situation et les limites du cadre juridique existant appelaient donc la mise en place d’un régime spécifique, avec un texte d’exception, afin de répondre aux inquiétudes des opérateurs économiques et des autorités contractantes confrontés à des problématiques inédites. C’est ainsi que l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB), prise sur le fondement de l’article 11 de la loi n° 2020-290 d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5506LWT), est venue, dans les cas où ces théories juridiques classiques ne pouvaient être pleinement mobilisées, de compléter la palette des options offertes aux parties au contrat. Si le texte donne de la souplesse sur les procédures en cours, il s’agissait avant tout de trouver des solutions en cas de difficultés dans l’exécution des contrats que les règles générales, issues des textes ou de la jurisprudence, ne pouvaient régler dans l’urgence. L’ordonnance n’a toutefois pas l’ambition de couvrir tous les cas de figure qui peuvent se présenter. Dans ce cas, les solutions classiques gardent toute leur pertinence.
Comme l’intitulé de l’intervention m’y invite, mes propos s’organiseront en trois temps. Après avoir brièvement rappelé les objectifs poursuivis par l’ordonnance, je tenterai de faire un premier bilan de sa mise en œuvre avant d’esquisser les perspectives législatives ou réglementaires des prochains mois.
I. Les objectifs poursuivis par l’ordonnance
L’ordonnance poursuit deux objectifs : aider les entreprises titulaires de contrats publics à faire face aux difficultés financières qu’elles rencontrent du fait du ralentissement, voire de l’arrêt de leur activité, et permettre aux autorités contractantes de pouvoir s’approvisionner et assurer la continuité de l’action publique. C’est un texte destiné à faire face à l’urgence. Comme l’a fait observer le président Dacosta à l’instant, vous noterez d’ailleurs le temps très court qui s’est écoulé entre l’habilitation et la publication de l’ordonnance.
A. Les mesures de soutien aux entreprises
Il est ainsi prévu, d’une part, de permettre aux acheteurs de verser aux entreprises des avances supérieures au maximum de 60 % autorisé par le code sans qu’elles soient tenues de constituer une garantie à première demande. Cette faculté est ouverte pour les nouveaux contrats, mais aussi pour les contrats en cours. L’ordonnance autorise en effet expressément que le taux et les conditions de versement des avances puissent être modifiées en cours d’exécution. On peut même envisager qu’une entreprise qui aurait renoncé à l’avance au moment de la conclusion du marché sollicite son versement compte tenu des circonstances.
D’autre part, en cas de suspension d’un marché à prix forfaitaire, l’échéancier de paiement des prestations doit être respecté. Cela ne signifie pas que l’acheteur doit payer immédiatement l’intégralité du prix du marché. Seuls les paiements dont le montant et la date ont été fixés dans le contrat doivent être honorés. Il s’agit clairement d’une dérogation à la règle du service fait pendant la période de suspension. A l’issue de celle-ci, les parties devront s’entendre sur les modalités de la régularisation au regard des prestations qui auront été effectivement exécutées et de ce qui doit ou peut encore être exécuté. Prenons l’exemple d’un marché de nettoyage : les prestations payées en mars, avril et mai alors que le bâtiment est fermé ne peuvent plus être effectuées après le déconfinement ; les sommes versées pendant la suspension seront déduites du paiement des prestations effectuées ultérieurement. Si la durée du contrat n’est pas suffisante pour que le solde du marché reste positif, le titulaire pourra être contraint au remboursement du trop-perçu.
Enfin, lorsque l’exécution d’une concession est suspendue – par décision du concédant ou du fait d’une mesure de police telle que la fermeture administrative de certaines structures – le concessionnaire peut interrompre le versement des sommes qu’il doit à l’autorité concédante, comme les droits d’entrée ou les redevances domaniales. La suspension du paiement des redevances a d’ailleurs été étendue à tous les contrats portant occupation du domaine public par l’ordonnance du 22 avril 2020.
Mais l’ordonnance a également pour objet de protéger les titulaires de contrats publics contre les sanctions prévues par le contrat : elle prévoit qu’en cas de difficultés d’exécution directement liées à l’épidémie, ces titulaires bénéficient de reports de délais et les éventuels retards dans l’exécution des prestations ou la remise de documents ne peuvent donner lieu à des pénalités de retard. Elle précise également les conditions d’indemnisation du titulaire lorsque l’autorité contractante est amenée à modifier les conditions d’exécution du contrat, à annuler les prestations, voire à résilier le contrat du fait de l’épidémie.
Toutes ces mesures sont favorables aux entreprises, puisqu’elle s’applique nonobstant d’éventuelles stipulations contractuelles contraires. Néanmoins, elles ne peuvent être mises en œuvre que si elles s’avèrent nécessaires pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter sa propagation.
B. Assurer la continuité des approvisionnements
L’action des collectivités publiques ne s’est pas arrêtée avec la crise sanitaire et celles-ci ont dû faire face à des besoins urgents. Dans ce type de circonstances, le Code de la commande publique permet de recourir à un prestataire sans publicité ni mise en concurrence pour faire face à l’urgence impérieuse (CCP., art. R. 2122-1 N° Lexbase : L2625LRN). Mais dans bien des cas, les collectivités sont déjà engagées avec un ou plusieurs titulaires, notamment dans le cadre d’accords-cadres. Elles ont alors dû gérer les risques de défaillance de leurs cocontractants ou anticiper les difficultés d’une remise en concurrence pour éviter les ruptures d’approvisionnement.
Pour les accompagner, l’ordonnance a expressément autorisé la prolongation des contrats arrivant à échéance pendant la crise sanitaire, même au-delà de la durée maximale fixée par le code, afin de permettre aux prestataires de poursuivre l’exécution de la prestation jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée du temps qu’une nouvelle procédure puisse être organisée. De même, si le titulaire n’est pas en mesure de répondre à ses commandes, l’acheteur est autorisé à faire appel à un tiers, nonobstant toute clause d’exclusivité.
Les acheteurs peuvent également être confrontés à des difficultés pour mener à bien les procédures en cours. L’ordonnance leur permet alors de dépasser le formalisme de la procédure pour prolonger les délais de réception des candidatures et des offres ou même d’aménager les modalités de la consultation pour permettre aux entreprises de soumissionner malgré tout.
II. Le bilan
Il est difficile de dresser un bilan précis de l’application de ces mesures. La DAJ n’est pas destinataire d’informations spécifiques permettant de quantifier les difficultés rencontrées ou d’apprécier l’efficacité des mesures.
Toutefois, les échanges avec les fédérations professionnelles et les associations d’acheteurs ne indiquent qu’elles ont été plutôt bien accueillies malgré les interrogations soulevées par certaines rédactions et qui ont donné lieu à des précisions tant dans les fiches techniques que la « foire aux questions » publiées sur le site internet de la direction des affaires juridiques. Elles ont notamment permis d’apaiser les relations contractuelles en donnant un mode d’emploi dans certaines situations. Les dispositions les plus appréciées des entreprises sont notamment l’exonération des pénalités de retard et la poursuite du paiement des marchés à prix forfaitaires.
Mais il est vrai que l’ordonnance n’a pas répondu à toutes les attentes. A cet égard, qu’il me soit permis de revenir ici sur une interrogation et sur une absence.
A. Une interrogation, qui rejoint d’ailleurs le titre de ces rencontres : le champ d’application du texte au regard de la notion de « contrat public » ?
Le législateur a habilité le gouvernement à intervenir non seulement dans le champ des contrats de la commande publique, qui sont clairement identifiables, mais aussi, d’une façon plus large, dans celui des contrats publics, termes qui n’ont pas manqué de susciter des interrogations quant à leur contenu exact.
La notion de contrats publics est plus large que celle de contrat administratif puisqu’elle englobe certains contrats de droit privé passés par des entités qui ne sont pas des personnes morales de droit public, mais qui appartiennent néanmoins à ce que l’on peut appeler la « sphère publique », c’est-à-dire les structures qui répondent à la définition de l’organisme de droit public au sens du droit de l’Union européenne et qu’on retrouve dans la définition du pouvoir adjudicateur du code de la commande publique. L’ordonnance n’a néanmoins pas vocation à s’appliquer à tous les contrats passés par ces structures et le vocable utilisé dans ses dispositions permet de saisir sans difficulté le champ d’application de chacune d’entre elles.
L’extension de l’ordonnance aux contrats publics permet également d’inclure dans son champ les contrats de la commande publique qui ont été passés et conclus en application des textes antérieurs à l’entrée en vigueur du code de la commande publique et qui, de ce fait, ne sont pas « soumis » à ce code. A l’inverse, les contrats qui sont passés en application du code de la commande publique soit volontairement, soit en vertu d’une disposition spécifique ne sont pas à proprement parlé « soumis » au Code de la commande publique et ne relèvent pas de l’ordonnance (organismes de Sécurité sociale par exemple) [1], sauf à ce qu’ils soient des contrats publics. Ainsi les sous-concessions autoroutières sont des contrats administratifs en vertu de l’article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L2125INZ) dès lors qu’elles emportent occupation du domaine public.
B. Une absence : la question des surcoûts
La question des surcoûts liés à l’épidémie est un sujet majeur. Elle constitue bien souvent un point de blocage et un frein à la reprise des marchés. Les entreprises ont en effet dû supporter des frais de garde et de surveillance du chantier, d’immobilisation de matériel et de personnel, des pertes de rendement ou des travaux supplémentaires, induits notamment par les mesures de prévention et de protection sanitaire des personnels.
L’ordonnance ne traite pas de cette question, dès lors qu’elle avait pour but pour but de faire face à l’urgence.
Elle n’aborde qu’incidemment le sujet au 6° de son article 6 qui offre aux entreprises concessionnaires une protection portant exclusivement sur les éventuels surcoûts d’exploitation. Les dispositions de cette ordonnance relatives aux contrats de concession sont limitées dans leur application : « Lorsque, sans que la concession soit suspendue, le concédant est conduit à modifier significativement les modalités d’exécution prévues au contrat, le concessionnaire a droit à une indemnité destinée à compenser le surcoût qui résulte de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux, lorsque la poursuite de l’exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire ». L’évaluation du surcoût est ainsi liée à la survenance de dépenses exceptionnelles ou imprévues qui ne peuvent être normalement supportées par le concessionnaire, au vu de l’équilibre initial du contrat de concession et de la situation économique du concessionnaire. Ainsi, la théorie de l’imprévision est évoquée en filigrane dans cette disposition.
Néanmoins, nombre d’entreprises concessionnaires ont dû faire face à une forte baisse de l’activité liée aux mesures de confinement puis à la mise en place des précautions sanitaires post-confinement. Elles sont ainsi exposées à un déficit d’exploitation qui ne résulte pas d’une augmentation des coûts de l’exploitation, mais d’une diminution de leurs recettes. En outre l’imprévision n’est pas réservée exclusivement aux contrats de concession. Elle doit pouvoir également être invoquée pour tout contrat.
A cet égard, l’ordonnance n’a pas vocation à réécrire la jurisprudence qui continue à jouer dans tous les cas mais uniquement, dans ce cas particulier qu’elle évoque, à faire obstacle à toute clause moins favorable.
Le Gouvernement a fait le choix de ne pas traiter le sujet par la voie normative car il existe une multitude de cas particuliers et une règle générale aurait semblée inadaptée à la plupart d’entre eux. Il a donc préféré la voie de la circulaire (circulaire n° 6177/SG du 9 juin 2020 N° Lexbase : L3565LXC), et encore dans un champ limité puisqu’elle concerne uniquement les marchés publics de travaux publics ou de bâtiment conduits sous maîtrise d’ouvrage de l’État, afin d’inviter les parties prenantes à s’accorder sur un partage de la prise en charge des surcoûts. Une note interministérielle du 20 mai 2020 appelle également les préfets de régions et de départements à promouvoir des chartes ou accords régionaux de reprise des chantiers visant une répartition solidaire et responsable des surcoûts.
Ainsi, la reprise des marchés dans un contexte dégradé peut donner lieu à la conclusion d’un avenant transactionnel combinant à la fois des modifications ou ajouts de prestations, rémunérées par un prix, et l’allocation d’une indemnité, dans le respect de l’encadrement des avenants fixé par le code de la commande publique. Compte tenu de la faible prévisibilité de certains surcoûts, ces démarches peuvent être concomitantes ou postérieures à la reprise des chantiers.
III. Quelles perspectives ?
Conscient que les acheteurs et les entreprises doivent encore être accompagnés dans ce contexte dégradé et pour tirer les enseignements de la crise sanitaire, le Gouvernement a décidé de pérenniser certaines mesures de l’ordonnance du 25 mars.
Tout d’abord, le décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020 (N° Lexbase : Z3042893) a modifié le Code de la commande publique pour supprimer le taux maximal des avances dans les marchés publics et l’obligation de constituer une garantie à première demande.
Ensuite, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dite loi « ASAP »), adoptée par les deux assemblées fin octobre, insère dans le Code de la commande publique un dispositif de « circonstances exceptionnelles », activable par décret, afin de pouvoir adapter, en urgence, le droit commun de la commande publique en cas de survenance d’une nouvelle crise majeure. Ce dispositif s’inspire, sans les reprendre toutes, des mesures de l’ordonnance de mars afin de permettre aux acheteurs et aux entreprises de surmonter les difficultés liées à une crise majeure.
Ils pourront notamment :
- aménager les modalités pratiques de la consultation (visites de chantier, délais de remise des plis...), sans toutefois modifier les conditions de la mise en concurrence ;
- prolonger les contrats qui arrivent à échéance pendant la période de circonstances exceptionnelles, lorsque l’organisation d’une procédure de mise en œuvre ne peut être mise en œuvre ;
- proroger, de façon proportionnée, le délai d’exécution des marchés lorsque l’exécution des prestations concernées en temps et en heure occasionnerait pour le titulaire une charge manifestement excessive ;
- surtout, quelles que soient les clauses du contrat, les entreprises ne pourront être sanctionnées en cas de difficulté d'exécution liées à la crise (exonération des pénalités de retard, interdiction de l'exécution aux frais et risques du titulaire défaillant).
La loi « ASAP » modifie également l’article L. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L0687LZH) afin de permettre au pouvoir réglementaire de prévoir des cas de dispense de procédure pour un motif d’intérêt général. Cette mention permet de sécuriser juridiquement les évolutions réglementaires qui pourraient intervenir pour simplifier et accélérer la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique. Ces mesures doivent encore être validées par le Conseil constitutionnel [2].
Mais surtout, à plus court terme, l’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, de prorogation de l’état d’urgence sanitaire (N° Lexbase : L6696LYN), habilite le Gouvernement, jusqu’au 16 février 2021, à prolonger ou rétablir l'application des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 et à les modifier le cas échéant.
Toutefois, la DAJ n’a pas été destinataire de demande particulièrement forte en ce sens. Dans le cadre des consultations que nous menons pour identifier d’éventuels besoins, certains acheteurs nous demandent de pouvoir passer des marchés de gré à gré, sans publicité ni mise en concurrence, dans le cadre de la « deuxième vague » de l’épidémie pour s’approvisionner en équipement de protection individuelle ou pour organiser rapidement des campagnes de dépistage. Toutefois, d’une part, l’ordonnance de mars ne contient pas de disposition permettant de déroger aux principes de la commande publique et, d’autre part, le droit commun des marchés publics prévoit déjà des aménagements en cas d’urgence ou d’urgence impérieuse.
Les principales difficultés qui nous sont remontées par des fédérations professionnelles concernent les retards de chantier en raison de l’absence du personnel, non plus à cause du confinement, mais parce que les salariés sont en congé maladie pour cause de virus ou considérés comme « cas contact » et donc placés en quarantaine. Les mêmes motifs rendent difficile le recours aux intérimaires.
Toutefois, ces situations ne semblent justifier en elle-même une prorogation de l’ordonnance que pour les contrats conclus après le 23 juillet 2020, dès lors que les mesures de l’ordonnance de mars peuvent toujours être mobilisées dans le cadre des contrats conclus jusqu’à cette date si des difficultés liées à l’épidémie se font encore sentir. En outre, on suppose, ou du moins on espère, que pour les contrats conclus après cette date, qui ont donc été passés à une période où le risque d’une « deuxième vague » était connue, les parties ont pu intégrer le risque sanitaire dans leurs prévisions et prévoir contractuellement les mesures pour y faire face, ne serait-ce que par une clause de réexamen.
Quoi qu’il en soit, la DAJ n’est pas opposé par principe à une extension du champ d’application temporel de l’ordonnance si le besoin s’en faisait sentir.
[1] Par analogie avec les jurisprudences « Blanchisserie de Pantin » du 29 juillet 2002 (CE n° 246921 N° Lexbase : A3022AZX) et « Société Seco-Rail » du 7 mars 2005 (CE n° 271289 N° Lexbase : A2107DHI), à propos de l’application de l’article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (N° Lexbase : L0256AWE), dite « Murcef », selon lesquels les marchés passés par des organismes non soumis au code des marchés publics mais passés volontairement ou en vertu de textes particuliers qui ont renvoyé au code, ne sont pas passés en application du Code des marchés publics.
[2] Le Conseil constitutionnel a validé les mesures commande publique de la loi « ASAP » par sa décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020 (N° Lexbase : A721138L)
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par François Lichère, Professeur agrégé de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur de la Chaire de droit des contrats publics
Le 04 Mai 2021
Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur le sujet [1], de sorte que le présent article se propose de s’en démarquer par les sources nourrissant la réflexion : il sera largement fait part aux conclusions issues du premier rapport de la Chaire de droit des contrats publics, créée le 1er septembre 2020, et qui portait sur le thème « crise sanitaire et contrats publics ».
La crise issue de la pandémie de coronavirus a au moins ce mérite d’avoir permis l’émergence d’un nouveau concept, celui « d’ exécution dégradée ». Cet adjectif apparaît même, en droit positif, dans l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB), du moins dans sa version issue de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 (N° Lexbase : L7287LWS) qui a ajouté un article 6.7 permettant la suspension des redevances d’occupation du domaine public lorsque « les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière ». Elle traduit une réalité que l’on peut définir, de manière doctrinale, comme « l’exécution d’un contrat qui est rendue plus difficile ou plus onéreuse du fait de la survenance d’un événement imprévisible ». On notera que se manifeste par-là la conception moderne de la dégradation, assimilée à la détérioration, loin de la conception initiale religieuse puis militaire.
Cette exécution dégradée pose deux principales questions : celle de la prise en charge des surcouts directs et indirects, mais aussi celle des adaptations éventuelles des contrats, notamment en termes de calendrier, laquelle question peut inclure celle de l’éventuelle suspension du contrat. Sur ces deux questions, il existe des différences notables entre marchés et concessions.
L’enjeu du sujet réside dans l’appréciation du caractère adapté des règles en la matière. Apprécier si une règle de droit est adaptée est éminemment subjectif. Elle dépend en effet de la position de celui qui l’apprécie. En tant qu’universitaire, elle implique de se poser la question de savoir si le droit offre suffisamment de clarté et de sécurité juridique aux parties contractantes.
Or, il est permis d’affirmer que tel n’est globalement pas le cas, que l’on se penche sur les clauses types ou sur les règles textuelles ou jurisprudentielles. Une fois ce constat établi, se pose la question de savoir s’il est possible d’adapter ces règles pour les contrats en cours.
I. Des règles de droit « dégradées »
Au-delà du jeu de mot, on entend souligner ici que peu de sources juridiques qui indiquent clairement les conséquences, notamment financières, d’une telle pandémie. C’est vrai pour les clauses types et encore plus pour les règles textuelles ou jurisprudentielles.
A. Des clauses ambivalentes ou inexistantes
Rares sont les clauses, dans les contrats administratifs, susceptibles de prendre en compte des événements tels qu’une épidémie ou une pandémie. Les cahiers des charges types des marchés publics n’y font pas allusion directement et la référence à la force majeure, dans le seul CCAG travaux qui plus est, n’ouvre droit à indemnité qu’au regard des conséquences accidentogènes [2]. On a pu se demander si, au regard de la crise sanitaire, on ne pouvait aussi s’abriter derrière la clause relative à une évolution de la législation sur la protection de la main d’œuvre, compte tenu des exigences de porter des masques de protection et plis généralement de mettre en place différents protocoles de distanciation sociale [3].
Mais outre le fait que le CCAG parle de législation et non de réglementation, alors que ce sont bien des normes réglementaires qui ont posé ces règles, ce que n’est pas en outre le guide OPPBTP d’avril 2020, il ne s’agit pas d’une législation spécifique à la protection de la main d’œuvre. En tout état de cause, même avec une interprétation accommodante, cela n’aurait été susceptible d’entrainer l’indemnisation que d’une petite partie des surcoûts impliqués par la crise sanitaire.
Seul l’article 49.1.1 du CCAG travaux ouvre un droit à indemnisation intégrale des conséquences de l’ajournement du marché. Mais très peu de maîtres d’ouvrages ont mobilisé cet article, d’après l’enquête de terrain menée par la Chaire, alors que beaucoup ont mis en œuvre une pratique de constat de non-exécution temporaire du marché, qui n’ouvre pas droit à indemnisation.
Les autres CCAG n’offrent guère plus de portes de sortie : tout juste trouve-t-on la possibilité de prolongement de la durée du marché en cas « d’impossibilité d’exécuter » un marché de fourniture ou de service courant.
Il est vrai que les nouveaux CCAG, entrés en vigueur le 1er avril 2021, ont adopté des clauses de suspension et de réexamen. La première introduit enfin un régime de la suspension du marché, qui n’’est pas de droit cela étant pour le cocontractant et peut ouvrir droit à indemnité seulement si la personne publique en décide ainsi ; la deuxième fonde une possibilité d’indemnisation de l’exécution dans des conditions dégradées, sans en faire pour autant un droit à indemnité là encore.
Paradoxalement, c’est en matière de concessions et marchés de partenariat que l’on peut trouver des clauses de prise en charge, au moins partielles, des conséquences indemnitaires de la survenance d’une épidémie. Ainsi, la matrice d’allocation des risques peut conduire à ce que des clauses épidémies ou pandémies soient incluses dans les contrats avec généralement un partage des surcouts, comme c’est le cas avec la matrice des risques annexée au guide sur les baux emphytéotiques hospitaliers. Le paradoxe réside dans le fait que lorsque de telles clauses sont présentes, le titulaire du marché de partenariat ou le concessionnaire supporte donc moins de risques que le titulaire d’un marché public classique alors que ces deux types de contrats sont censés confiés plus de risques d’exécution au cocontractant. Il reste que de telles clauses sont rares en pratique.
Faute de clauses contractuelles suffisantes, en règle générale, on doit se retourner vers les règles textuelles ou jurisprudentielles.
B. Des règles textuelles et jurisprudentielles imprécises
Textuellement, on ne trouve rien dans le Code de la commande publique qui puisse servir de base à la suspension du contrat, à l’allongement de sa durée ou à l’indemnisation du cocontractant, hormis le rappel de la théorie de l’imprévision à l’article L. 6 (N° Lexbase : L4463LRQ) pour les contrats administratifs, que l’on retrouvera, et le rappel de la force majeure comme cause de résiliation, ce qui ne permet pas de trouver des solutions, par hypothèse, à une exécution dégradée puisqu’il est alors mis fin à l’exécution du contrat.
Du côté du droit spécial, l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 a paré au plus pressé, et reste encore aujourd’hui intéressante pour l’allongement des délais d’exécution et l’absence de pénalités de retard. Mais des difficultés d’interprétation sont apparues dans l’enquête de terrain de la Chaire et l’on peut regretter que plusieurs dispositions, non évaluées, aient été inscrites dans le Code de la commande publique qui, par le truchement de la loi « ASAP » du 7 décembre 2020 (loi n° 2020-1525 d'accélération et de simplification de l'action publique N° Lexbase : L9872LYB), a intégré un nouveau livre VII relatif aux circonstances exceptionnelles qui peut permettre au gouvernement de déclencher, sans passer par le parlement, un mécanisme similaire à celui de l’ordonnance du 25 mars 2020.
Surtout, ladite ordonnance - comme ce nouvelle livre - ne traite pas des conséquences indemnitaires de la crise sanitaire - à l’exception d’un ambiguë article 6.6 pour les concessions - et ne met en place ni un régime de la suspension ni un régime de l’adaptation du contrat.
On doit donc se retourner vers les théories jurisprudentielles du contrat administratif, lesquelles ont montré leurs limites à l’épreuve de la pandémie.
Celle du fait du prince n’est susceptible de jouer que pour les contrats administratifs de l’État puisque ne peuvent être invoquées comme causes d’indemnisation pour fait du prince que les mesures prises par le cocontractant à un autre titre que ses pouvoirs contractuels, et en l’occurrence au titre des mesures de police administrative ; or, celles-ci, dans le cadre de la crise sanitaire, ont surtout été prises par l’État, compte tenu du peu de places laissées aux maires en vertu d’une ordonnance du Conseil d’État du 17 avril 2020 « Commune de Sceaux » [4].
Celle des sujétions imprévues, qui ne concerne a priori que les marchés de travaux, n’est probablement pas invocable en raison de l’exigence d’être en présence de difficultés matérielles d’exécution, lesquelles ne visent probablement pas des difficultés issues de réglementations comme l’arrêt « Commune de Lens » l’a démontré [5]. En outre, il faudrait prouver, pour les marchés à forfait, le bouleversement de l’économie du marché.
Cette notion de bouleversement et la difficulté à la prouver se retrouve pour la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision. La difficulté ne tient pas tant à prouver les surcoûts, pour les marchés publics, qu’à se mettre d’accord sur le pourcentage à partir duquel la jurisprudence admet un tel bouleversement. Entre les 6,67 % de la circulaire de 1974 et la jurisprudence actuelle qui admet le bouleversement parfois à 7 % [6] et la refuse à 11 % [7], l’incertitude est grande, d’autant que les critères qui pourraient fonder ces disparités ne sont pas connus, même à la lecture des conclusions des rapporteurs publics [8]. L’enquête de terrain menée par le Chaire montre que l’incertitude est encore plus grande dans l’esprit des praticiens car ce seuil varie chez eux entre 5 % et 50 % !
Il en va de même de la part des surcoûts laissés à la charge du cocontractant qui varie entre 5 et 20 % en jurisprudence, sans que l’on sache ce qui fonde ces variations.
Quant au bouleversement en matière de concession, il suppose un déficit d’exploitation sans que l’on sache sur quelle période s’apprécie ce déficit ni sur quelle base l’indemnité est calculée : situation d’équilibre ou par rapport à un bénéfice raisonnable ?
En fait, le droit des contrats - et pas seulement des contrats administratifs - est tout entier fondé sur le principe de responsabilité. Si une mauvaise exécution est constatée, ce que l’une des parties a failli, soit en n’exécutant pas ses obligations contractuelles positives, soit en n’assumant pas les risques impliqués par le contrat. Ce raisonnement, qui vaut en temps normal, ne paraît pas adapté à une circonstance exceptionnelle telle que celle de la crise sanitaire. Il convient donc d’adapter les règles.
II. Des règles de droit adaptables
Les règles de droit en vigueur semblent pouvoir être adaptées tant par le bas que par le haut, c’est-à- dire à la fois au niveau micro-juridique et macro-juridique.
A. Les adaptations au niveau micro-juridique : facultés et contraintes de la modification des contrats administratifs de la commande publique
Qu’elle soit unilatérale ou contractuelle, les modifications des contrats administratifs de la commande publique font l’objet d’un certain encadrement qui résultent désormais des Directives 2014/24/UE (N° Lexbase : L1896DYU) et 2014/25/UE (N° Lexbase : L8593IZB) du 26 février 2014. Pour autant, aucune contrainte notable n’est à relever en présence d’un événement imprévisible : la notion de circonstance qu’une autorité contractante ne pouvait prévoir semble pouvoir parfaitement accueillir les conséquences de la crise sanitaire. A cet égard, la limitation à 50 % d’augmentation du montant du marché ne devrait pas être un obstacle, non seulement parce qu’elle sera rarement atteinte en pratique, mais aussi parce qu’elle ne concerne que les pouvoirs adjudicateurs et pas les entités adjudicatrice. En outre, on peut même se demander si une compensation financière liée à un événement imprévisible ne pourrait pas conduire à considérer qu’il n’y a aucune modification substantielle, auquel cas il n’y a aucune limitation de montant. Il est vrai, néanmoins, que le fait que la Directive ait prévu le cas d’une circonstance qu’un acheteur diligent de ne pouvait prévoir doit conduire à considérer que la référence à la modification substantielle vise une autre hypothèse, à l’image des modifications pour motifs d’intérêt général.
L’enquête de terrain menée par la Chaire a toutefois identifié des freins à de tels avenants, qu’on pourrait qualifier de « psycho-juridiques ». Il se dégage souvent, chez les autorités contractantes, un sentiment d’insécurité juridique à adopter des avenants. La crainte du reproche de libéralités voire du délit de favoritisme ou d’un rapport défavorable des chambres régionales des comptes y est pour beaucoup. Ce sentiment est aussi alimenté par une ambiguïté, que ne lèvent pas totalement les textes de droit souple, à l’image de la note de la direction des achats de l’État du 16 juin 2020, actualisée le 6 aout 2020 [9], entre ce que le cocontractant est en droit de réclamer et ce que les parties sont en droit de modifier contractuellement. Il s’en infère que, trop souvent, l’avenant sera possible en pratique uniquement si le cocontractant prouve qu’il est en situation de réclamer une indemnité au titre de l’imprévision, alors que le Code de la commande publique, que ce soit pour les marchés comme pour les concessions, ne prévoit aucune contrainte de cet ordre en présence d’une circonstance imprévue.
Il est à noter que des solutions alternatives à l’avenant se font jour. Certaines demandes indemnitaires font l’objet d’une transaction ou feront l’objet d’une réclamation au titre de l’article 50 du CCAG travaux. D’autres ont pris la forme de « prix nouveau », ce qui ne va pas de soi compte tenu de cette notion résultant de l’article 14.1 du CCAG travaux qui concerne « les prestations supplémentaires ou modificatives, dont la réalisation est nécessaire au bon achèvement de l'ouvrage, qui sont notifiées par ordre de service et pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix ». Autrement dit, le véhicule juridique de la prise en charge de l’indemnisation n’apparaît pas comme sécurisé.
Une autre manière d’aménager les contrats en cours serait d’introduire, par voie d’avenant et en raison de la survenance d’une circonstance imprévisible, une clause de réexamen non prévue initialement. En effet, les conséquences d’une telle circonstance ne sont pas toujours connues à la date de sa survenance, ainsi que le démontre l’exemple de la crise du coronavirus. Selon nous, une telle clause pourrait être introduite par voie d’avenant sans qu’’il y ait de réel risque d’illégalité tant elle ne semble pas remettre en cause les conditions initiales de concurrence, du fait de la survenance dans l’intervalle d’une circonstance imprévisible. Mais là encore, des craintes apparaissent en pratique, ainsi que l’enquête de terrain l’a prouvé, de sorte qu’il pourrait être ajouté expressément cette possibilité dans le Code de la commande publique, comme le recommande le rapport de la Chaire. Il s’agirait d’une adaptation, parmi d’autres, qui pourraient être faîte au niveau macro-juridique.
B. Les adaptations au niveau macro-juridique : les aménagements législatifs possibles
Il ne faut pas sous-estimer l’apport de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020. Rédigée dans l’urgence, ayant été adaptée dès le 22 avril 2020, accompagnée d’une fiche technique et d’une foire aux questions très fournies, elle a certainement joué un rôle important de sécurisation et d’assouplissement des mécanismes contractuels, en particulier au niveau des délais et des pénalités de retard.
Mais il reste qu’elle ne répond pas aux interrogations soulevées plus haut. L’absence de toute disposition spécifique relative à l’indemnisation traduit un choix politique. Alors qu’il avait été envisagé d’adopter une loi imposant une obligation de négociation, le Gouvernement s’est finalement contenté d’une circulaire du Premier ministre du 9 juin 2020 mais qui ne concerne que les marchés de travaux de l’Etat et ses « opérateurs » et qui a eu en pratique des effets sur eux seuls, à quelques exceptions près.
Pourtant, la prolongation des effets de la crise pose question. Faudrait-il aller jusqu’à une imprévision législative, sur le modèle espagnol décrit dans le rapport de la Chaire ? Sans aller jusque-là, il peut être recommandé de préciser, par voie législative, le régime de l’imprévision tant les critères du bouleversement et de la répartition des surcoûts sont méconnus. D’une certaine manière, toute indemnité d’imprévision équivaut à une modification des contrats en cours. Il ne serait donc pas incohérent, comme le recommande le rapport de la Chaire, d’introduire ces précisions dans la partie relative aux modifications des marchés publics et des concessions. Cela conduirait en outre à permettre de faire jouer ces précisions pour les contrats en cours puisque la loi « ASAP » a précisé que les règles de modifications valaient désormais pour tous les marchés, même passés antérieurement au 1er avril 2016, sur le modèle de ce qui avait été décidé pour les concessions.
Serait ainsi sécurisé le cadre légal afin d’éviter la multiplication des recours et d’harmoniser les situations. D’une certaine manière, on peut en effet estimer que le principe d’égalité n’est, à l’heure actuelle, pas respecté non parce que qu’il y aurait des clauses différentes ou des situations factuelles différentes mais parce qu’il existe des positions de principe des personnes publiques différentes. Est- il trop tard pour intervenir compte tenu de la perspective des effets des vaccins ?
Certainement pas car les contentieux vont être innombrables et longs.
On mettrait ainsi fin à un certain paradoxe : dans beaucoup de domaines, des législations d’exception ont été prévus alors qu’en matière contractuelle, on applique les principes traditionnels qui se sont pourtant avérés inadaptés.
[1] Voir l’analyse de toutes les publications parues sur le thème sur le site de la chaire.
[2] Article 18.3 : « En cas de pertes, avaries ou dommages provoqués sur ses chantiers par un phénomène naturel qui n'était pas normalement prévisible, ou en cas de force majeure, le titulaire est indemnisé pour le préjudice subi, sous réserve (…) ».
[3] Article 6.2 : « En cas d'évolution de la législation sur la protection de la main-d'œuvre et des conditions de travail en cours d'exécution du marché, les modifications éventuelles demandées par le représentant du pouvoir adjudicateur afin de se conformer aux règles nouvelles, donnent lieu à la signature, par les parties au marché, d'un avenant ».
[4] CE, 17 avril 2020, n° 440057 (N° Lexbase : A87973KZ).
[5] CE, 30 juillet 2003, n° 223445 (N° Lexbase : A2385C99).
[6] CAA Marseille, 17 janvier 2008, n° 05MA00492 (N° Lexbase : A4417D7Q).
[7] CE, 1er juillet 2015, n° 383613 (N° Lexbase : A5834NMZ).
[8] Ariane.
[9] Direction des achats de l’État, Traitement des réclamations et des demandes de modifications des titulaires de marchés publics liées à l'épidémie de Covid-19.
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par Xavier Debosque, Directeur Juridique Eiffage Génie Civil
Le 04 Mai 2021
Madame La Présidente, Monsieur Le Président, Monsieur le Bâtonnier, Chers Tous
Tout abord, je souhaitais saluer le principe même de cette journée. En effet, la crise que nous traversons exige une réponse pratico-pratique entre les différents intervenants à l’acte de construire et nous en sommes ici les représentants.
Aussi, par les Rencontres de droit et de procédure administrative, ce qui est le fil conducteur et le titre même de notre rendez-vous, on a là le premier retour d’expérience, c’est-à-dire la nécessité absolue de devoir échanger encore plus en période de crise et, comme cela a été indiqué par Mr Dalaloy les échanges ont été facilités par le pouvoir règlementaire et les nombreux textes publiés.
Ce retour d’expérience doit également, outre les aspects positifs intrinsèques d’une telle journée, être
introduit par le contexte actuel de l’activité des travaux pratiques.
Tout d’abord il faut bien se dire que les hypothèses d’activité pour l’année 2020 étaient, au premier trimestre, tout à fait en ligne avec 2019, et la période antérieure.
Je vous en parle ensuite, mais tenais dès à présent à l’indiquer.
Notre secteur d’activité « BTP » s’inquiète. Le député Nadaud avait dit « Vous le savez à Paris, lorsque le bâtiment va, tout profite de son activité » mais tout ne se passe pas à Paris !
Les perspectives 2021 ne sont pas encore fleurissantes. Nous constatons, dans le contexte de la crise sanitaire qui nous occupe, un quart d’appel d’offres en moins, ce pourcentage pouvant aller jusqu’à -38 % pour les communes.
La Fédération des Travaux publics a lancé une opération : « Nous sommes un secteur prioritaire, mais vous ne pouvez rien faire sans nous ».
En effet, sachez que les entreprises ont su faire face pendant ces moments exceptionnels. Nous sommes donc prêts, engagés, mobilisés.
C’est un appel aux maires de France…mais notre rencontre d’aujourd’hui est sans doute également le lieu pour vous faire part de ce message.
Celui-ci découle du contexte sanitaire inédit que nous avons traversé et qui s’est manifesté au mois de mars dernier par des suspensions et une poursuite dégradée des chantiers dont je vais maintenant vous parler.
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par Nicolas Morizot, responsable des achats au ministère des Solidarités et de la Santé
Le 04 Mai 2021
I. Présentation du champ des fournitures acquises en urgence par l’État en réponse à la crise sanitaire
Lorsque la première vague de l’épidémie causée par le covid-19 frappe la France au printemps 2020, le système normal de droit commun (marchés conclus en direct et centrales d’achat hospitalières) sur lequel les établissements de santé s’appuient pour subvenir à leurs besoins en matériels et consommables afin d’alimenter leurs services de réanimation ne suffit plus.
Le ministère des Solidarités et de la Santé, déjà en première ligne depuis plusieurs semaines sur le dossier de l’acquisition en urgence de quantités colossales de masques FFP2 et chirurgicaux, est donc saisi de l’urgence d’alimenter les établissements de santé français dans des délais très contraints.
Le ministère fait alors appel à Santé Publique France (SPF), établissement public placé sous sa tutelle et son bras armé pour faire face aux crises sanitaires. Ce recentrage au niveau national des achats de fournitures de première nécessité permet de donner aux autorités un contrôle direct de la réponse à la situation exceptionnelle rencontrée et d’affecter ces fournitures aux territoires et établissements au plus juste. Il permet aussi à la France de bénéficier d’une meilleure visibilité sur les marchés internationaux en limitant le nombre d’interlocuteurs et d’acquérir des quantités phénoménales de produits qu’une myriade d’établissements isolés n’auraient pu obtenir.
Les matériels requis pour répondre à l’urgence couvrent un champ très large : masques, blouses, lunettes, charlottes, médicaments, automates, kits de dépistage, respirateurs, consommables divers, etc.
En raison de l’amplitude de ce portefeuille d’achat, la Direction générale de la Santé (DGS) est venue épauler SPF, tant dans la passation des marchés que dans la gestion de l’acheminement en France de ces produits via la constitution d’un pont aérien Chine-France en recourant à un marché interministériel déjà existant. Ce partage des tâches, dépassant le cadre prévu par le Code de la santé publique, reflète la capacité d’adaptation des cadres juridiques classiques lorsque le contexte le requiert dès lors qu’un ordre politique est donné en ce sens.
II. Mise en place d’une organisation achat et logistique ad hoc
Corollaire d’un pilotage national étatique de la réponse à la crise sanitaire, une organisation achat spéciale a été constituéE au sein de la direction de crise du ministère des Solidarités et de la Santé.
Cette organisation, unique en son genre, s’est appuyée sur les ressources humaines ministérielles existantes et sur des renforts interministériels. La gestion des approvisionnements et fournitures de première nécessité est donc aussi un défi humain relevé via une mobilisation générale de l’État.
Afin d’assurer cette gestion, une supply-chain a été constituée, d’abord dans l’urgence puis affinée au fur et à mesure à l’aune du retour d’expérience.
Premier niveau de cette supply chain, le nécessaire sourcing, faisant suite à l’identification des besoins, s’est fait en France et à l’international en s’appuyant sur le réseau diplomatique de la France, en particulier en Chine. Ce réseau s’est avéré essentiel pour identifier et réaliser un premier tri des opportunités d’achat.
La vérification du respect des normes techniques des produits identifiés, étape indispensable pour ne pas acquérir des miroirs aux alouettes, a été réalisé en France par les différents laboratoires publics mobilisés (ANSM, LNE, etc.) en même temps qu’étaient négociés les conditions du contrat (quantités, conditions logistiques, incoterms, prix, conditions de paiement, etc.).
À cette étape préliminaire s’est ajoutée un criblage des sociétés pour éviter les arnaques qui se sont multipliées comme jamais.
La décision d’opportunité finale avec arbitrage sur les conditions de validation technique, paiement et contractuelles était prise par la cellule de crise logistique et le cabinet ministériel.
La contractualisation, deuxième étape cruciale à accomplir dans un contexte d’urgence maximale nécessitant une contractualisation en urgence impérieuse (marchés négociés sans mise en concurrence ni publicité), revenait ensuite aux équipes achat de SPF et de la DGS. Compte tenu des sommes en jeu, cette deuxième étape était le dernier filet de sécurité avant signature des marchés et un lien avec l’équipe sourcing a permis à plusieurs reprises d’arrêter des marchés trop risqués et au résultat incertain.
Troisième étape, la supply chain en elle-même s’est appuyée sur une cellule dédiée au pont aérien puis à la logistique jusqu’au dernier kilomètre afin de distribuer les produits acquis. Requérant un travail de tous les instants pour coordonner les avions, les bateaux et les camions, cette étape continue encore à ce jour, les derniers bateaux étant arrivés il y a peu et certains produits toujours sous tension devant encore être distribués sur le territoire métropolitain et en outre-mer.
Dernière étape, le suivi de l’exécution des marchés et de mise en paiement n’en est pas moins important. Pour la seule DGS, ce sont 360 millions d’euros qui doivent être tracés et dont l’emploi doit être justifié.
III. Adaptation du Code de la commande publique au contexte et enjeu de la préservation de la sécurité juridique des marchés
Outil régulièrement critiqué en raison d’une rigidité alléguée, le Code de la commande publique a su démontrer sa pleine souplesse dans le cadre de la crise sanitaire rencontrée par la France au printemps 2020.
Avant l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB), les services avaient déjà pleinement mis en œuvre le régime dérogatoire permis par le principe d’urgence impérieuse. Point de débat de juridique, cette notion est avant tout un levier à la main des décideurs politiques, responsables in fine de la réponse de l’État à la situation affectant l’ensemble des citoyens.
Cette ordonnance est venue apporter un cadre d’action mieux sécurisé, en particulier pour les signataires des marchés publics exposés de par le caractère exceptionnel des dépenses engagées et des dérogations à la méthode habituelle de passation de ces marchés.
Néanmoins, cette ordonnance ne doit pas être interprétée comme un blanc-seing. La réponse à l’urgence requiert toutefois de conserver un cadre juridique suffisant et une approche intellectuelle raisonnable et critique pour protéger l’État et ses représentants face à un marché international en pleine ébullition et à des cocontractants dont la solidité ou l’honnêteté n’était parfois pas prévisible.
Ainsi, par exemple, la possibilité d’accorder une avance jusqu’à 100 % du montant du marché sans devoir constituer une garantie à première demande s’est avérée essentielle pour conclure des contrats avec des acteurs chinois exigeant un paiement avant que les chaines de production ne se mettent en route. Pour autant, ce dispositif s’est avéré hautement risqué pour des signataires devant engager leur responsabilité personnelle pour des millions d’euros sans possibilité de récupérer les sommes avancées en cas de problème, nécessitant une vigilance accrue de la part des équipes en charge de la contractualisation pour trier les offres et cadrer l’emballement découlant de cette disposition.
Pour ce faire, les marchés passés par l’État ont toujours bénéficié de cahiers de charges suffisamment robustes et adaptés au fur et à mesure du retour d’expérience pour garantir une protection satisfaisante, en particulier sur les aspects financiers et de la qualité des produits acquis. Cette protection juridique, parfois débattue du fait d’une apparente lourdeur, a su démontrer son efficacité lors de livraisons incomplètes ou de qualité insatisfaisante.
En outre, compte tenu de la nécessité de rendre des comptes auprès des citoyens et des organes de contrôle, les marchés ont été passés dans un souci de garantir une transparence maximale de l’action publique.
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par Laurent Bessozi, Directeur général adjoint des services en charge des achats, de la commande publique et des affaires juridiques Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur
Le 04 Mai 2021
I. Un contexte de crise inédit où la protection sanitaire et les contraintes inhérentes se sont imposées à tous
Le 12 mars 2020, le Président de la République, dans une allocution télévisée, annonçait la fermeture des écoles et demandait aux Français de limiter au maximum leurs déplacements.
Le 17 mars, devant l'ampleur de ce qui allait devenir une crise sanitaire majeure à l’échelle de la planète, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sur le territoire métropolitain allaient s’appliquer des mesures générales de restriction aux libertés individuelles fondamentales que sont la liberté d’aller et de venir, d’entreprendre, d’exercice du culte ou encore d’une profession.
Le 24 mars, enfin, l’état d’urgence sanitaire était instauré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5506LWT).
Toutes ces mesures d’exception adoptées pour tenter d’enrayer la propagation de l'épidémie de Covid-19 ont fait prévaloir le sanitaire sur toute autre activité, y compris celles relevant de l’économie. Durant ce premier confinement, il a fallu pourtant tenter de préserver ce qui pouvait l’être de l’activité économique dans la perspective de lendemains meilleurs et pour éviter une crise sociale majeure.
Aussi, l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 dispose que « le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi et notamment toute mesure adaptant les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».
C’est sur le fondement de cette habilitation que l’ordonnance, n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics (N° Lexbase : L5734LWB), a été publiée. Ses dispositions relèvent d’un régime d’exception qui instaure une souplesse inédite afin de préserver, notamment, les intérêts des entreprises.
Ces mesures sont venues compléter des dispositifs préexistants, visant à gérer des situations exceptionnelles, prévus par le droit de la commande publique, issu de la Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA) dite « Directive marchés ». C’est ainsi que des outils tels que « l'urgence simple » permet de réduire les délais de l’appel d’offres, ou encore plus dérogatoire, « l'urgence impérieuse » autorise à signer tous les marchés, quel que soit le segment d’achat ou le montant, sans publicité ni mise en concurrence.
Au-delà de ces dispositifs européens parfaitement transposés dans le droit national et dans le cadre d’un large consensus politique, la loi instituant l’état d’urgence et l’ordonnance de mars 2020, établissent donc un régime dérogatoire pour les contrats de marchés publics « en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois », soit jusqu’au 23 juillet.
Ces dispositions tendent à la fois vers un assouplissement du régime juridique de passation des nouveaux contrats et vers une adaptation des règles d'exécution des contrats en cours. Elles peuvent s’ordonner autour de 3 thématiques :
- assouplissement du régime juridique de passation des nouveaux contrats ;
- prolongation des contrats arrivés à échéance ;
- adaptation des règles d'exécution des contrats en cours.
L’application de ces mesures n’est néanmoins pas automatique. Elle est conditionnée par le caractère nécessaire « pour faire face aux conséquences, dans la passation et l'exécution de ces contrats, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » (article 1 de l’ordonnance).
C’est dans ce contexte que la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a dû adapter ses pratiques et modes de fonctionnement pour maintenir la continuité du service public en matière, notamment, de commande publique.
II. Une crise sanitaire révélatrice de collectivités locales solides regroupées autour de régions agiles
La fermeture administrative des services de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a précédé le confinement national. En effet, au début du mois de mars, les premiers cas d’agents porteurs du virus ont été signalés et, face au risque de propagation, le président de la Région, a adressé dans la nuit du 11 au 12 mars un message à l’ensemble des agents, les invitant à prendre toutes les dispositions nécessaires leur permettant d’envisager la poursuite de leurs missions au-delà de la fermeture des bureaux, le jeudi 12 mars à midi.
Il s’agissait bien évidement d’une situation parfaitement inédite pour une collectivité locale récente, créée en 1982 et ne bénéficiant de la protection constitutionnelle que depuis 2003. Dans le cadre d’un approfondissement de la décentralisation vers une régionalisation, la robustesse de son organisation à l’occasion de la gestion de cette crise pourrait qualifier la collectivité « Région » pour une évolution institutionnelle vers un modèle ibérique.
En effet, à l’occasion de cette crise, les Régions en général, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur en particulier, ont démontré la solidité de leur organisation, leur agilité et leur vivacité.
Sur les territoires, assez spontanément d’ailleurs alors que juridiquement, la décentralisation à la française, contrairement à la régionalisation, interdit toute hiérarchisation entre les autorités locales, les collectivités infrarégionales, partout en France, se sont rapidement et presque instinctivement retrouvées autour de leur Région, affirmant ainsi son rôle de plus en plus évident de collectivité qui rassemble et assemble.
Ce constat empirique devrait, à mon sens, faire l’objet de travaux de recherches universitaires car, faut-il ici le rappeler, les régions ont été, tout comme les départements, au 1er janvier 2016, dépossédées de la clause de compétence générale.
En matière de santé, notamment, les compétences des régions sont plus que limitées.
En effet, elles ont compétence pour « la définition des objectifs particuliers de santé, ainsi que la détermination et la mise en œuvre des actions correspondantes ; La participation aux différentes commissions exécutives des agences régionales de santé ; La contribution au financement et à la réalisation d’équipements sanitaires pouvant intervenir dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ; L’attribution d’aides pour l’installation ou le maintien des professionnels de santé dans les zones déficitaires en offres de soins ».
Il aura fallu des ressorts d’ingéniosité aux exécutifs régionaux et aux cadres territoriaux pour « rattacher » leurs interventions sanitaires aux compétences des Régions. Le raisonnement produit a alors été le suivant : par l’achat et la distribution de matériel de protection contre le virus, la Région participe à la limitation de la pandémie et donc à ses conséquences sur l’économie régionale.
Une crise, parce qu’elle met en tension les éléments, parce qu’elle est connue depuis la Grèce antique pour être le Kaïros, le « moment opportun », révèle les Hommes et les institutions. Cette crise sanitaire a, incontestablement fait émerger les Régions, collectivités jusqu’alors peu connues du citoyen, dans le paysage institutionnel français. Elles ont, démontré, à cette occasion, leur efficacité, leur capacité d’adaptation, leur résilience à tel point que de nombreux observateurs de la vie institutionnelle s’accordent à reconnaître qu’elles sont l’échelon territorial pertinent pour au moins la définition stratégique des politiques publiques et sans doute, également, pour l’organisation, avec les départements, les communes et les structures intercommunales de leur mise en œuvre.
Malgré le confinement, malgré de nombreuses attaques de leur système d’informations, les collectivités territoriales en général, les régions tout particulièrement, n’ont jamais cessé de fonctionner. La Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, bureaux fermés et personnel confiné, n’a jamais suspendu ses activités durant le confinement et a milité pour la réouverture des lycées sous réserve de mises en œuvre de protocoles stricts de protection sanitaire.
La réactivité de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a été possible dans la mesure où elle avait initié un plan « administration 3.0 » visant à dématérialiser ses procédures, à doter ses agents en équipements numériques mobiles et en ayant initié une démarche de télétravail, à l’époque jugée comme audacieuse. C’est dans ce cadre qu’avaient été déployés sur l’ensemble des appareils nomades, les outils et les applications informatiques.
C’est ainsi qu’au moment du confinement, près de 60 % des agents des services régionaux étaient dotés en ordinateurs portables, près de 90 % l’ont été au moment du déconfinement. Pour la Direction de la commande publique et des achats (DCPA), ces chiffres étaient respectivement de 80 % et 98 %. Cela s’explique par les missions et la sociologie de cette direction composée à plus 80 % d’agents de catégorie A de la fonction publique territoriale.
Alors qu’un fonctionnement en mode dégradé était attendu et accepté de tous - pour ce faire, un plan de continuité des activités avait été rédigé - aucun ralentissement significatif ni baisse d’activité n’ont été constatés pendant cette période pour la quasi-totalité des directions de la collectivité, dont la DCPA. Ainsi, les consultations ont été publiées aux dates prévues, les procédures ont été dématérialisées rendant possible la tenue des commissions d’appels d’offres et la notification des marchés. Seules les dates de remise des offres ont été décalées, afin de permettre aux entreprises de répondre dans de meilleures conditions.
III. Aux côtés de l’État, la Région a émergé à la fois sur les territoires et sur la scène internationale
Après les plus grands conflits armés entre les nations, les famines, les pandémies comptent, depuis que les Hommes ont la capacité de se mouvoir entre les continents, parmi les risques à l’incidence et à la gravité les plus importantes. Pour se protéger d’une épidémie aéroportée, le masque, utilisé depuis de nombreuses décennies en Asie, constitue la première barrière.
Les productions nationales de 1 million de masques par jour ont immédiatement été réquisitionnées par l’État. Toutefois, devant l’urgence et le manque d’anticipation, le ministère de la Santé, par le décretn° 2020-281 du 20 mars 2020, modifiant le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020, relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 (N° Lexbase : L5388LWH), a autorisé sous certaines conditions l’importation de masques en provenance du continent asiatique.
Le besoin était alors estimé à 40 millions de masques par semaine.
Le verrou juridique ayant été levé, les régions en général, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur tout particulièrement, ont mobilisé leurs acheteurs pour identifier des filières d’achats sûres et stables sur un marché asiatique qui leur était parfaitement inconnu.
Il a donc fallu à la fois faire preuve de prudence face à des sollicitations d’intermédiaires plus ou moins bien intentionnés et aussi d’audace pour intégrer les codes des entreprises chinoises.
Dans ce contexte, les accords de coopération entre la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et la province chinoise du Guangdong ont été d’une importance capitale. Ils ont notamment permis d’établir un dialogue direct entre le président de la Région et le gouverneur de cette province et ainsi sécuriser l’approvisionnement en masques chirurgicaux.
Pour limiter les risques, la stratégie politique a été de recourir à des transitaires bien connus des autorités locales et donc dignes de confiance. C’est ainsi que la Région a pu, durant le confinement, distribuer plus de 13 millions de masques essentiellement en direction du personnel soignant, des forces de sécurité et des communes de moins de 20 000 habitants qui n’avaient pas la possibilité de s’approvisionner en Chine. La filière d’approvisionnement sécurisée, il a fallu vérifier la conformité des masques aux normes CE, Les délais de livraison et sécuriser les contrats. Contrairement à d’autres acheteurs publics de taille comparable, le choix opéré par la Région a été de conserver ses modes de contractualisation tout en accompagnant les entreprises. Les contrats passés durant cette période sont donc strictement identiques à ceux conclus en période ordinaire et ce dans le strict respect du droit de la commande publique sous le régime de l’urgence impérieuse tel que codifié à l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L2625LRN).
En outre, cette période exceptionnelle a permis de mettre à l’épreuve une organisation récente mise en œuvre depuis janvier 2018 autour d’un binôme « acheteur / juriste ». Ce « stress test » en conditions réelles a qualifié ce modèle d’organisation.
Forte de ces expériences, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a constitué une cellule régionale de coordination des achats d’EPI associant les grands acheteurs publics de la région, les centrales d’achats, des établissements publics à l’instar de l’Institut Français de la Santé, afin d’apporter, sur la base du volontariat et dans une approche coopérative et souple, conseils et recommandations sur l’achat de ces fournitures très spécifiques.
La cellule s’est réunie plusieurs fois d’avril à juillet et a permis d’échanger sur les pratiques de chacun
dans la gestion de ces achats :
- partager l’information sur les fournisseurs qui disposent de stocks, sur les fabricants de produits manufacturés, ainsi que sur les fournisseurs des matières premières utiles à leur production ;
- qualifier ces mêmes fournisseurs pour minimiser les risques d’escroquerie ou les difficultés d’approvisionnement ;
- identifier les pratiques qui ont fonctionné mais aussi les erreurs commises afin que tous puissent tirer profit de ces retours d’expérience ;
- partager les conditions de paiement négociées et les niveaux de prix signés ;
- rechercher un appui auprès de l’UGAP pour, notamment, envisager les regroupements de volume entre acheteurs et mieux connaître les disponibilités ;
- disposer, en fin de crise, d’un observatoire des approvisionnements pour capitaliser les expériences et produire des bilans.
La Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a ainsi pu à la fois apporter directement son concours aux professionnels et aux populations, organiser les flux d’information entre les grands donneurs d’ordre publics et préserver le tissu économique.
Elle a déployé des dispositifs d’aides économiques exceptionnels et des opérations ponctuelles telles que la fête des terrasses ou encore « sauvons Noël en Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ». La Région a aussi su adapter ses relations contractuelles avec ses entreprises et la réalisation de son programme d’achats de 2020.
Enfin, et comme l’illustre par exemple l’émission d’ordres d’interruption de travaux, par l’indemnisation des entreprises qui ne pouvaient plus assurer le service ou encore la participation, étudiée au cas par cas, aux surcoûts liés à l’adaptation à la pandémie, la Région a eu, en cette période, une approche à la fois sérieuse, comptable des deniers publics mais aussi généreuse et solidaire avec le monde économique.
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par Jean Grataloup, Directeur juridique du département des Bouches-du-Rhône
Le 04 Mai 2021
La crise sanitaire a frappé par son ampleur et son caractère inédit.
Même si la gestion de crise a été excessivement complexe sur de nombreux points, les administrations et les collectivités locales plus particulièrement se sont dotées d’outils de gestion de crise.
Ainsi, 15 jours environ avant le confinement de mi-mars, les plans de continuité des activités (PCA) ont été établis ou réactualisés
L’ultra-mobilisation des agents et prestataires a permis de développer le télétravail qui n’était qu’en expérimentation au département au début de la crise (50 télétravailleurs au début de la crise, 2500 mi-juin).
S’agissant du domaine de la commande publique au sens large, le PCA du Département des Bouches- du-Rhône a établi une organisation permettant la mobilisation des moyens financiers, techniques et humains :
- d’assurer les commandes ou/et d’en lancer de nouvelles en utilisant l’urgence impérieuse en tant que de besoin ;
- de prévoir le maintien de la chaine de paiement des fournisseurs pour éviter toute aggravation de la crise due à des retards de paiement et ce grâce notamment au télétravail des agents de gestion comptable et financière ;
- une front-line ultra-mobilisée pour assurer la continuité des services publics essentiels, passer les commandes (12 millions de masques achetés entre fin mars et mi-mai 2020), assurer la logistique (réception, stockage, distribution…), …
- un backoffice actif pour trouver des solutions pour lancer rapidement de nouveaux marchés, assurer les conditions de poursuite ou d’arrêt des contrats en cours, procéder à une analyse en temps réel des stipulations contractuelles ainsi que des incidences des différents textes (pour mémoire 62 ordonnances « Covid »), échanger avec les autres collectivités locales, administration et les organisations professionnelles…
Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement du CD 13, nous avons réfléchi et mis en place un mode opératoire rapide et efficace pour traiter les questions indemnitaires des incidences de la Covid-19. Ainsi, nous avons établi une procédure de « guichet unique » pour le traitement des réclamations et expérimenté le recours à la médiation administrative « simple » pour traiter certaines demandes (voir ci-après).
In fine, avec l’apport du télétravail, la continuité des activités est allée au-delà du simple « service minimum » que prévoyait le PCA d’origine.
Nous étions donc dans une situation de gestion de crise grave et extraordinaire (au sens littéral) avec toutes les difficultés que tout un chacun a connu mais une poursuite active de l’activité pour assurer les obligations de service public et de solidarité.
Outre la mobilisation incroyable des agents en première ligne, la crise a, me semble-t-il, révélé ou conforté la nécessité pour les collectivités locales de disposer, d’une part, d’une fonction achat forte (mobilisation des acheteurs sur des produits et des marchés géographiques nouveaux) et, d’autre part, de juristes qualifiés capables d’accompagner les donneurs d’ordres et les services pour analyser les textes, les contrats … et proposer des solutions opérationnelles pour faire face à la crise.
Focus sur le recours à la médiation administrative pour résoudre les litiges nés de la crise sanitaire en exécution des marchés
Un contexte d'augmentation des réclamations des opérateurs économiques liées à la crise sanitaire
Avec la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, le département a été saisi par certains opérateurs économiques titulaires de ses marchés publics de demandes par lesquelles ils ont sollicité l’indemnisation des conséquences de l’arrêt de l’exécution de leurs marchés ou accords-cadres (suspension ou annulation de bons de commande, suspension de marchés ou d’accords-cadres…).
L’examen de la plupart des demandes a pu s’avérer plus complexe au regard de la jurisprudence en vigueur, d’une situation quasiment inédite risquant de bousculer l’analyse du juge ou encore des nouveaux textes adoptés dans ce cadre particulier dont il était difficile d’appréhender toute la portée.
L’approche de la collectivité a été entendue comme bienveillante à l’égard de ses prestataires dans les circonstances extraordinaires de la crise sanitaire d’autant plus que pour certaines activités, seul le département était le donneur d’ordre (exemples : les associations assurant des prestations de médiation devant les collèges). Pour autant, le versement d’une indemnisation à une entreprise ne peut reposer que sur des éléments objectifs, découlant de la responsabilité du département (arrêts de prestations de son fait, résiliation d’un marché pour motif d’intérêt général…) sous peine de considérer que le département accorde une libéralité avec les conséquences d’une telle qualification.
I. La limite des solutions habituelles
Face à ces situations, les solutions habituelles sont apparues inadaptées, à savoir :
- un rejet de la réclamation et attente d’une éventuelle saisine du tribunal administratif par l’opérateur économique (or, le tribunal administratif fonctionnait en situation de crise et le traitement des recours susceptibles d’être nombreux lors du retour à la normale risquait d’être long sans parler d’un engorgement de la juridiction) ;
- la saisine du Comité Consultatif de Règlement Amiable des Différends en matière de Marchés Publics de Marseille (CCRA), instance de conciliation, qui apprécie les dossiers en droit mais également en équité et qui émet un avis permettant de donner une base à une discussion et à règlement du litige par la conclusion d’un protocole transactionnel en évitant le contentieux.
Toutefois, le traitement des dossiers devant le CCRA donne lieu à des procédures longues ce qui ne risquait pas de s’améliorer avec la crise.
II. La proposition de recourir à la médiation administrative
Aussi, la collectivité a décidé de recourir à la médiation administrative telle que prévue aujourd’hui par le Code de justice administrative [1].
Cette procédure offre comme principaux atouts la rapidité (moins de 3 mois), la simplicité, la confidentialité et le caractère définitif de l’accord qu’elle permet de trouver.
L’efficacité du dispositif incite à privilégier le choix du médiateur par les parties elles-mêmes. Le recours à la médiation nécessite un accord des deux parties en présence du médiateur.
Choix du médiateur
Le médiateur doit posséder la qualification requise pour l'objet du litige. Il doit aussi justifier d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation.
Le médiateur s'engage à respecter une charte éthique. Il doit respecter les principes de confidentialité, d'impartialité et de neutralité. Il a été fait appel aux services du Président du CCRA par ailleurs Conseiller d’État honoraire.
Affaires concernées par la médiation
L’objectif était de traiter par la voie de la médiation les litiges indemnitaires nés des conséquences pour les opérateurs économiques de la crise sanitaire du covid-19 sur l’exécution des marchés publics.
En conséquence, ont été exclues les demandes relatives à des litiges sans lien avec le covid-19 ou mêlant des causes autres notamment antérieures à la crise sanitaire.
Ont été également exclues les demandes que le département estimerait totalement infondées.
Autrement dit, une médiation pouvait être proposée à l’opérateur économique pour les litiges liés au covid-19 pour lesquels l’analyse du dossier conduit à ce que :
- l’opérateur économique a droit à une indemnisation mais apparaît un désaccord sur la totalité des demandes ou le quantum ;
- le principe d’une indemnisation peut se comprendre mais le fondement n’est pas forcément évident à déterminer.
C’est selon ce mode opératoire qu’ont été menées des actions de médiation suite aux réclamations de sociétés de transport d’élèves handicapés. Ces procédures ont abouti à un accord qui doit être définitivement formalisé par un protocole transactionnel
D’autres réclamations parvenues plus tardivement sont en cours d’examen et pourraient faire l’objet d’un traitement similaire.
Le bilan reste modeste mais cette expérience a démontré son intérêt. En évitant le contentieux, la médiation a permis de conserver des relations contractuelles plus sereines entre le département et ses prestataires pour résoudre des situations ni l’une ni l’autre des parties n’était réellement responsable. Il a permis également à la collectivité de se roder sur ce mode de règlement des litiges plutôt intéressant s’il est bien circonscrit.
Pour encourager la médiation, les règles de fonctionnement des collectivités locales pourraient utilement être assouplies par une délégation possible des attributions en la matière à l’exécutif par exemple.
[1] CJA, art. L. 213-1 (N° Lexbase : L1805LBH) et suiv., R. 213-1 (N° Lexbase : L9575LDY) et suiv.
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par Ghislaine Markarian, Présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille
Le 04 Mai 2021
1 - Introduction : ressenti personnel de la crise
Le premier confinement est survenu de manière brutale le 17 mars 2020 et a stoppé la dynamique juridictionnelle, puisque les tribunaux ont fermé.
L’activité s’est poursuivie de mon domicile sans pouvoir traiter les urgences, ce qu’a permis l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L9170LWK) permettant ainsi de poursuivre alors, tant bien que mal, une part d’activité juridictionnelle et notamment de traiter les référés en cours.
En revanche, le second confinement est resté sans conséquence pratique dès lors que les tribunaux sont restés ouverts et que toutes les audiences sont tenues.
2 - Organisation induite
Le premier confinement a contraint les magistrats et les personnels de greffe à demeurer chez eux.
Les ordonnances prises le 25 mars 2020 ont adapté les règles de fonctionnement des juridictions avec la possibilité notamment de tenir des audiences hors présence du public, par voie de communication audiovisuelle ou téléphonique, de tenir des audiences de référé sans audience (après information des parties et fixation d’une date de clôture d’instruction). Des mesures ont également été prises pour la signature, la lecture et la notification des décisions de justice, pour les échanges avec les parties par tous moyens. Ces dispositions ont été effectivement appliquées.
Seules des audiences de référés ont eu lieu avec ou sans audience et le Tribunal a eu à connaître de nombreux référés-liberté liés à l’épidémie de Covid. J’ai ainsi statué sur tous les référés enregistrés dans ma chambre sans audience publique ainsi que par voie d’ordonnances sur le fondement de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2796LPA).
En revanche, aucune audience collégiale ne s’est tenue. Les magistrats ont toutefois poursuivi leur activité et traité des dossiers, conservés en attente d’enrôlement.
S’agissant des greffes, le télétravail a été mis en place de façon à gérer l’enregistrement et le traitement des affaires. Fin mai les audiences collégiales ont repris avec une organisation séquencée.
Pour le second confinement, le travail juridictionnel s’avère en revanche plus aisé puisque l’activité juridictionnelle est maintenue dans sa plénitude et le télétravail mis en place s’est poursuivi soit en présentiel soit par voie d’échanges audio/visio notamment pour la tenue des séances d’instruction.
3 - L’activité
L’arrêt des chantiers n’a pas d’impact immédiat sur l’activité juridictionnelle.
Je n’ai pas été saisie de contentieux liés directement aux difficultés liées à la crise sanitaire ou liées aux diverses mesures mises en place pour faciliter l’exécution des contrats publics.
La commande publique a soutenu la trésorerie des entreprises cocontractantes des personnes publiques Les procédures de passation de marchés ou de contrats qui étaient envisagées ont été semble-t-il reportées. Les mesures prises par ordonnance ont permis en effet l’ajournement des marchés, la prolongation de marchés existants, la mise en œuvre de procédure négociées sans publication en cas d’urgence impérieuse ou le report de remise des candidatures et des offres, ou de la prolongation de la validité des offres.
D’où un infléchissement du nombre de procédures de référés marchés après le premier confinement (mars avril : référés déjà engagés ou liés à des procédures abouties : une dizaine d’affaires- 3 sur les mois de juin/juillet), infléchissement qui s’est poursuivi ensuite. Le nombre de référés précontractuels a ainsi diminué et reste en cette fin d’année inférieur à l’année passée.
4 - Le règlement des litiges
Pour l’instant, compte tenu notamment des mesures prises par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, qui a adapté le droit commun de la commande publique au contexte sanitaire actuel : délais de remise des plis, prolongation des contrats en cours, l’augmentation du montant des avances. Des mesures ont été également été prises pour empêcher l’application de pénalités contractuelles en cas de difficultés d’exécution des contrats, les difficultés liées à l’arrêt des chantiers et de fait à l’allongement de la durée des travaux ne sont pas encore parvenues au tribunal.
Ces difficultés se feront jour nécessairement lors de l’établissement des décomptes notamment pour les marchés de travaux qui sont forfaitaires et dès lors, que de manière générale, les marchés ne prévoyaient pas de stipulations particulières aménageant les cas de force majeure. De même, s’agissant de délégations de service public ou de concessions, des difficultés vont nécessairement voir le jour pour le paiement des redevances,
Les entreprises vont être confrontées à des difficultés économiques qui seront nécessairement source de contentieux et elles pourront également faire valoir l’imprévision du fait de la mise en péril économique des contrats.
Ces contentieux sont attendus car inéluctables au regard de la durée du confinement et des graves conséquences financières induites pour les entreprises.
5 - Le présent
A l’heure actuelle, la difficulté me semble-t-il pour la juridiction est de reprendre une activité normale, maintenir ses délais de jugement et la gestion de ses stocks et l’activité juridictionnelle se poursuit dans le respect de toutes les contraintes de sécurité sanitaire.
Le télétravail s’installe de manière pérenne dans son mode de fonctionnement notamment pour les agents de greffe, qui étaient tous auparavant en présentiel.
6 - L’avenir
Concernant la juridiction administrative, l’expérience du confinement impactera nécessairement son mode de fonctionnement puisque le confinement a emporté une nouvelle organisation du travail qui va demeurer.
Au plan contentieux, je m’attends à une augmentation de dossiers contentieux en lien direct avec le confinement et que nous n’avions pas nécessairement, qu’il s’agisse par exemple de délais de paiement, de délais d’exécution, de pénalités contractuelles, de résiliation pour cause notamment de difficultés financières des entreprises ou même de respect des mesures prises en matière de commande publique comme celles de l’ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 (N° Lexbase : L4300LXK), facilitant l’accès aux marchés publics et aux contrats de concession pour les entreprises en redressement judiciaire ou l’obligation de confier 10 % de l’exécution d’un marché à une PME.
S’agissant des procédures de passation, à mon sens, elles évolueront nécessairement afin d’intégrer des stipulations particulières aux périodes de crise et la rédaction des documents de consultation prendra acte de l’état d’urgence sanitaire actuel. Les CCAG à venir prendront vraisemblablement en compte et de manière plus encadrée de tels évènements (davantage que l’article 18-2 du CCAG Travaux).
7 - Au final, un vœu
Que l’on puisse se souhaiter, le 1er janvier 2021, une bonne et heureuse année et qu’elle répare les dommages de la précédente.
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par Dominique Bonmati, Présidente du tribunal administratif de Marseille
Le 04 Mai 2021
Comparée à celle des travaux de la matinée, où la présentation générale de la rencontre et la maîtrise du suspense qui conduit crescendo à son point culminant qu’est la table ronde finale, font peser une lourde charge sur la présidence de séance, la présidence de séance de l’après-midi, qui consiste essentiellement à assurer le cadencement des interventions jusqu’à la synthèse, très attendue, du Professeur Jean-Claude Ricci, apparaît considérablement simplifiée, d’autant qu’en matière de cadencement, la rythmique des audiences de confinement et post-confinement aura été cette année une fort utile formation préalable.
Elle possède néanmoins cette singularité que, située à ce délicat instant postprandial, elle se doit de maintenir éveillée l’attention du public et lorsque, comme aujourd’hui, on ne le voit pas, la tâche est un peu plus ardue !
Mais je plaisante. Plus sérieusement, cette remarque me conduit à joindre à ceux de Mme la présidente Helmlinger qui les a exprimés ce matin, en ouverture de ces rencontres, mes très chaleureux remerciements à M. le bâtonnier Marc Ringlé et rendre hommage à sa ténacité et à sa détermination à n’introduire, en dépit des calamités sanitaires, aucune solution de continuité dans l’annualité de ces rencontres qui nous rassemblent depuis 18 ans, en utilisant pour cela toutes les ressources de la technique audiovisuelle que la crise sanitaire nous a appris à domestiquer et à introduire massivement dans nos relations professionnelles, sociales et même familiales.
Je veux remercier également tous les professeurs, avocats, magistrats, hauts fonctionnaires et tous les intervenants, du secteur public et du secteur privé, qui ont contribué à bâtir cette journée d’échanges et en ont assuré la concrétisation.
Lorsque, il y a 10 ans nous tenions ces mêmes rencontres sur le thème « Contrat et crises », nous n’imaginions pas que, 10 ans plus tard, nous en dresserions un bilan sous l’empire d’une pandémie mondiale et d’une crise sanitaire inédite et sans précédent dans notre pays.
Et, plus encore, lorsque nous avons commencé à élaborer la charpente de cette journée en juillet dernier, nous ne parvenions pas non plus, ou peut-être, tout à l’espoir que cette crise serait derrière nous, ne le voulions-nous pas, envisager que nos rencontres de novembre se dérouleraient dans une période de réactivation de l’état d’urgence sanitaire et ne dresseraient, somme toute, qu’un simple bilan d’étape.
Bilan d’étape, perspectives ouvertes sur la sortie de crise sont les deux éclairages sous lesquels se placeront les interventions de cet après-midi.
En premier lieu M. Grataloup, qui est déjà intervenu lors de la table ronde, directeur juridique du département des Bouches-du-Rhône, se faisant également l’interprète de M. Rocchia, directeur de la commande publique de la métropole Aix-Marseille empêché pour raison de santé, s’interrogera sur la nécessité ou non de modifier les modes de passation des contrats pour faire face à une crise sanitaire.
Puis, Me Cros, Avocat au barreau de Marseille et Mme Ibanes, directrice du groupe NGE- génie civil, évoqueront, en duo, le besoin réel ou non et la possibilité de remanier et d’innover dans le texte même et le corps des contrats pour tenir compte de l’incidence d’une crise sanitaire de cet ordre.
En troisième lieu, Me Baillon-Passe, Avocat au barreau de Marseille, qui, peut-être, comme moi, sur le chemin de la maison de l’Avocat où nous nous trouvons, aura emprunté le cours Estienne d’Orves déserté, longé les rideaux baissés des bars et restaurants de ce lieu habituellement si festif ou contemplé les terrasses désolées de la place de la préfecture, nous entretiendra de la situation des autorisations et conventions d’occupation du domaine public qui, toutes, des plus simples aux plus complexes ont été affectées par cette crise.
Enfin, reprenant l’un des thèmes de votre table ronde, à l’heure même où les Etats-Unis de Joe Biden, comptent sur leur première femme secrétaire du Trésor, Janet Yellen, connue pour ses convictions néo-keynésiennes, pour les inspirer dans la sortie de crise, M. le Professeur Marty, de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, chargé de recherches au CNRS, traitera de la commande publique comme outil de relance ou de soutien économique.
Il reviendra, enfin, comme il est d’usage, au Professeur Ricci de prononcer, en direct de l’amphithéâtre Flavien, et avec le succès qu’on sait pouvoir lui garantir, sa toujours brillante et éclairante synthèse conclusive des travaux de la journée, après un temps d’échanges et de questions.
Sans plus tarder, je donne la parole à M. Grataloup pour le premier thème.
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par Jean Grataloup, directeur juridique, conseil départemental des Bouches du Rhône
Le 04 Mai 2021
Poser cette question revient à se demander si la « boite à outils » que constitue le Code de la commande publique dans ses dispositions en vigueur était suffisante pour faire face à une situation inédite nécessitant des achats imprévus et nouveaux.
Mais le Gouvernement et le Parlement semblent avoir répondu à cette question en modifiant le Code de la commande publique par la loi portant accélération et simplification de l'action publique (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 N° Lexbase : L9872LYB) dite loi « ASAP » qui modifie le Code de la commande publique.
Avant de voir si ces mesures d’assouplissement de la commande publique atteindront leur objectif affiché de relance économique, il convient de voir si les moyens à disposition des acheteurs que constitue le code de la commande publique étaient adaptés lorsqu’ils ont été confrontés à la crise sanitaire.
I. Le Code de la commande publique : une boite à outils plutôt adaptée pour faire face à des situations urgentes et inédites nées de la crise sanitaire
Confrontés à la crise sanitaire et au confinement de mars 2020, les acheteurs publics se sont trouvés confrontés à la nécessité de répondre en urgence à des besoins nouveaux et également inédits.
Pour faire face à ces besoins, ils se sont d’abord interrogés sur la réponse que pouvaient apporter leurs propres marchés et notamment les accords-cadres à bons de commande ou à marchés subséquents.
Ceux-ci ont permis de répondre à certaines demandes par exemple pour doter d’outils numériques les agents placés en télétravail. S’agissant des demandes supplémentaires non prévues, il a été possible de faire application des articles L. 2194-3 (N° Lexbase : L7167LQI) et R. 2194-5 (N° Lexbase : L4268LRI) du Code de la commande publique qui permettent d’apporter des modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévues.
Pour mémoire, il s’agit de circonstances extérieures qu’un acheteur (ou une autorité concédante) , bien qu’ayant fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation du contrat initial, n’aurait pu prévoir, compte tenu des moyens à sa disposition, de la nature et des caractéristiques du projet particulier, des bonnes pratiques du secteur et de la nécessité de mettre en adéquation les ressources consacrées à la préparation de l’attribution du marché et la valeur prévisible de celui-ci.
La notion de « circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » est plus large que l’hypothèse des sujétions techniques imprévues du Code des marchés publics de 2006. Elle est également plus large que les notions de cas fortuit ou de force majeure puisque le caractère imprévisible exigé ne concerne que l’acheteur. Elle était donc tout à fait adaptée aux achats résultant des circonstances de la pandémie et de ses conséquences. En outre, le Code de la commande publique que les modifications effectuées puissent entraîner une augmentation jusqu’à 50 % du montant initial du contrat.
Mais comment répondre de façon quasi-immédiate à des besoins résultant directement de la crise sanitaire incompatibles avec la durée de droit commun prévue pour la passation des contrats de la commande publique ?
Il a été tout d’abord possible de se tourner vers l’urgence « simple » prévue qui permet de réduire les délais de consultation des entreprises (par exemple, réduction du délai de l’appel d’offres de 35 jours à 15 jours en appel d’offres par application de l’article R. 2161-3 3° du Code de la commande publique N° Lexbase : L3980LRT).
Mais la situation était telle que ces assouplissements sont apparus très vite insuffisants pour certains types de besoins (masques, gel hydroalcoolique, respirateurs, matériel de protection des agents …).
Qui plus est, face à une situation d’urgence avec un marché concurrentiel tendu, la réduction « simple » qui implique une mise en concurrence, s’est révélées inadaptée aux circonstances.
Aussi, la majorité des acheteurs ont invoqué l’urgence impérieuse définie à l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L2625LRN) permettant de conclure des marchés sans publicité sans publicité ni mise en concurrence.
On rappellera toutefois les conditions strictes de recours à ces dispositions rappelées notamment par la Commission européenne dans une communication du 1er avril 2020 [1].
La passation de tels marchés doit être dûment justifiée par :
- des évènements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ;
- une urgence impérieuse rendant impossible le respect des délais généraux ;
- un lien de causalité entre l’événement imprévisible et l’urgence impérieuse qui en résulte [2].
Enfin, ces marchés doivent être limités aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d'urgence.
Eu égard aux circonstances, l’achat de masques, de solution hydroalcoolique, de protections pour les agents … semble totalement entré dans le champ des dérogations prévues par ces dispositions. Mais compte tenu de l’urgence, les acheteurs publics ont parfois eu recours à ces dispositions pour des prestations essentielles en tant de crise dont le caractère « strictement nécessaire » pourrait être discuté (prestations de communication pour diffuser des messages d’information, dispositifs d’informations et d’accès aux services publics, achats de réactifs, prestations de maintenance d’appareils de biologie médicale …).
Il s’agit là d’une zone grise qui peut avoir des conséquences juridiques sérieuses pour les acheteurs.
La boite à outils que constitue le code de la commande publique semble donc avoir plutôt bien répondu aux circonstances exceptionnelles rencontrées.
Pour autant, il semble que le gouvernement ait considéré que le dispositif était insuffisant en introduisant dans la « loi ASAP » des dispositions tendant à assouplir le processus de passation.
II. La loi « ASAP » : des mesures d’assouplissement du Code de la commande publique vraiment indispensables ?
La loi « ASAP » assouplit par diverses mesures le Code de la commande publique, l’objectif affiché par le gouvernement étant de favoriser la relance économique et l’accès des PME et sûrement de manière sous-jacente de tirer les enseignements de la crise.
1 - Reprise dans le Code de la commande publique des règles applicables en cas de circonstances exceptionnelles pour la passation et l’exécution des marchés et des concessions
Il est introduit au sein du Code de la commande publique un nouveau livre qui reprend peu ou prou l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB) modifiée [3].
Ainsi, lorsqu’il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l’existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que ces circonstances affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public, un décret peut prévoir l’application de l’ensemble ou de certaines des mesures du livre aux marchés publics en cours d’exécution, en cours de passation ou dont la procédure de passation n’est pas encore engagée (adaptations nécessaires à la poursuite de la procédure, prolongation des délais de réception des candidatures et des offres, prolongation de la durée des marchés en cours d’expiration …).
Rien de particulier sur ces mesures qui anticipent une nouvelle crise inédite mais qui paraissent peu envisageables d’appliquer puisque maintenant, à défaut d’être maîtrisée, cette crise est connue.
2 - Le seuil d’obligation de publicité et de mise en concurrence des marchés de travaux porté à 100 000 euros HT jusqu’au 31 décembre 2022
Cette mesure a vocation une relance de la commande publique en faveur des PME. On peut toutefois être extrêmement circonspect à l’égard d’une telle mesure.
Elle peut avoir un effet pour les « petits » acheteurs. Pour les autres, eu égard à l’obligation de recenser leur besoin par opération, les effets d’une telle mesure seront vraisemblablement extrêmement marginaux. Qui plus est, la conclusion de contrats de « gré à gré » demeure toujours très périlleuse eu égard du risque pénal. Le texte rappelle d’ailleurs que « Les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ». Comment respecter cette exigence sans mettre en concurrence ?
3 - L’introduction de l’intérêt général comme motif permettant de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence
Mesure qui fait l’objet de plus de polémique, la modification de l’article L. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L0687LZH) qui introduit l’intérêt général comme motif justifiant l’absence de publicité et de mise en concurrence d’un marché.
Certes, un décret devrait préciser cette disposition mais l’usage d’une telle possibilité fait craindre des risques, notamment devant le juge pénal.
En effet, les décisions des acheteurs publics et les collectivités locales notamment doivent être dictées par l’intérêt général. Alors, quelles sont ces motifs d’intérêt général qui permettraient de s’affranchir des règles de publicité et de mise en concurrence ?
La commande publique a connu ces quatre dernières années des réformes importantes. On s’aperçoit que dans l’ensemble, le code de la commande a permis de répondre à la crise avec les mesures législatives (les ordonnances) d’accompagnement nécessaires dictées par les circonstances. Il ne s’agit pas de remettre en cause a priori les mesures prévues par la loi « ASAP » mais ce dont ont besoin les acheteurs comme les opérateurs économiques, c’est de stabiliser. Il n’est pas sain de changer trop fréquemment les règles du jeu. L’accès des PME à la commande publique peut être favorisé par d’autres moyens : un « small business act » européen, des cahiers des charges plus lisibles, des actions de formations et d’informations sur la commande publique et son fonctionnement…
Quant au motif d’intérêt général, il convient d’attendre de voir comment il s’entend pour justifier l’absence de publicité et de mise en concurrence. On souhaite bien du plaisir au pouvoir réglementaire.
En revanche, le législateur devrait se pencher sur les freins de certaines dispositions régissant les collectivités locales qui pourraient permettre une commande plus efficace. Par exemple, la passation d’une convention de groupement de commande doit obligatoire être présentée devant l’organe délibérant d’une collectivité locale pour approbation et autorisation de signature. Un tel formalisme peut constituer un frein dans le rapprochement des collectivités pour établir des achats en commun ce qui aurait pourtant peut être extrêmement efficace en cas d’urgence ou de crise.
[1] JOUE, 1er avril 2020, 2020/C 108 1/01.
[2] CJUE, 15 octobre 2009, aff. C-275/08 (N° Lexbase : A9999ELW).
[3] Ordonnance portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19.
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par Sabine Ibanes, directrice juridique, groupe NGE et Camille Cros, Avocate au barreau de Marseille
Le 05 Mai 2021
Camille Cros
Gabriel Eckert, Professeur de droit public, a parlé d’un « droit de crise de la commande publique qui s’était agrégé au droit commun – soit pour le compléter soir pour y déroger. Ce nouveau droit qui a modifié sensiblement les objectifs de la commande publique puisqu’à la finalité traditionnelle de la satisfaction des besoins publics, ce droit de crise a ajouté la protection des opérateurs économiques dans une logique interventionniste, laquelle pourrait préfigurer des évolutions plus profondes de la matière » selon lui.
A l’heure où nous parlons, des procédures sont lancées et des dispositions contractuelles sont fixées pour prendre en compte les coûts directs de la Covid-19 sur la réalisation de travaux.
Comment tenir compte de la crise sanitaire dans les nouveaux contrats ?
Sabine Ibanes
La réponse à cette question est multiple et sa sœur jumelle tendant à savoir quoi prendre en compte l’est également.
Même en limitant nos propos aux seuls nouveaux marchés publics (sans parler des contrats de concession), on s’aperçoit bien vite que la prise en charge par les acheteurs des surcoûts directs, voire indirects, de la covid-19 est hétérogène du fait de plusieurs facteurs :
- le type de donneur d’ordre (notamment sa taille) ;
- le type de marché public et sa durée ;
- le type activité (l’impact technico-financier est forcément différent pour un peintre, pour un canalisateur, pour un terrassier…) ;
- la localisation des travaux (urbain, rural) ;
- le niveau de coactivité.
Si nous pouvons considérer comme hors de notre sujet les surcoûts directs résultant de l'arrêt/ajournement du chantier auxquels les opérateurs économiques ont été confrontés lors du premier confinement, quid toutefois d’éventuels surcoûts liés à d’autres arrêts ou suspensions suite au signalement d’un cas covid arrêtant toute une équipe dont les autres membres vont être considérés comme cas contacts.
Dans les dossiers qui m’ont été remontés, j’ai pu constater que les surcoûts que certains maîtres d'ouvrage (MOA) prennent en considération sont principalement les surcoûts directs résultant de la mise en œuvre des mesures de santé et de sécurité sanitaire (gestes barrières) et parfois, plus rarement, les autres surcoûts supplémentaires (conséquences technico-financières de la covid-19 sur la réalisation des travaux y compris en l’impact en terme de planning c’est-à-dire sur les délais du calendrier général d’exécution des travaux).
Pour résumer, seules sont prises en considération, si elles le sont, les dépenses de l’opérateur économique que le donneur d’ordre public choisira de considérer comme « éligibles » à une quelconque prise en charge.
Camille Cros
Mais sur les chantiers, dans les contrats, les MOA prennent-ils en considération la crise sanitaire ?
Sabine Ibanes
Le double constat est simple :
La covid-19 a un coût - c’est certain - qui il diffère selon l’opération à réaliser. Avec le recul qui est le leur aujourd’hui, les parties à l’acte de construire sont en mesure de chiffrer de manière plus ou moins précises ce que coûte la covid-19 à date.
Ensuite, la prise en considération de ce coût dans les nouveaux contrats, va dépendre de la position du donneur d’ordre public vis-à-vis de la crise : les MOA ayant une enveloppe budgétaire suffisante ont quasiment tous pris la mesure des conséquences technico-financières sur leurs marchés de la crise du covid-19 ; chacun à sa manière : il y a une sorte de curseur du niveau de prise en charge, reflet de l’implication de chacun. En revanche, s’agissant des MOA disposant d’une enveloppe budgétaire plus petite c’est le principe inverse : ils considèrent que c’est le problème des entreprises et ne participe à aucun coût y afférent.
Camille Cros
Comment cela se traduit-il en pratique ?
Sabine Ibanes
Par une situation finalement assez familière dans ce contexte inédit, chacun poursuit sa quête habituelle devant conduire au seul paiement de l’ouvrage commandé ou à la juste rémunération de l’ouvrage à réaliser.
Alors, nous laissons à l’appréciation de chacun certaines rédactions constatées conduisant au jour de la survenance d’un nouvel évènement extraordinaire à une modification unilatérale du contrat au bon vouloir du donneur d’ordre après quand même un temps d’échange avec l’opérateur économique à condition qu’au jour de la signature du contrat :
Dans le contexte actuel, le titulaire reconnaît avoir pris en compte la covid-19 dans la construction de son offre et plus particulièrement dans son prix et dans l’établissement de son planning, mais aussi le risque d’occurrence d’une situation d’épidémie, de pandémie ou de crise sanitaire pendant la durée du marché. Est jointe au marché une annexe où le titulaire a joint décrit très précisément sa procédure.
La manière dont la crise sanitaire est prise en compte dans les nouveaux contrats dépend donc de la volonté et du niveau d’implication du donneur d’ordre public sur le sujet, ainsi que de son organisation interne.
En effet, même les MOA qui ont réalisé un véritable travail d’identification des coûts et manifestent la volonté de les gérer de manière transparente, ce qui est louable et doit être saluer, présentent des prises en charge différentes.
Entre les directives nationales et les pratiques des acheteurs locaux, les opérateurs économiques ne téléchargent pas les mêmes DCE et donc pas les mêmes prises en compte de la crise selon les marchés. Certains écartent les surcoûts indirects et s’agissant de la prise en charge des coûts directs octroyés, elle est souvent minorée depuis cet été en considération du fait que les entreprises ont plus de facilité pour se fournir que pendant le premier confinement.
La question est de savoir si le MOA veut participer aux surcoûts liés à la poursuite de travaux publics en période de crise sanitaire et ensuite s’il veut payer un prix identifié ou un coût noyé dans autre chose.
Plus le donneur d’ordre prendra en considération les coûts de façon précise (identification et détail) et transparente, plus il aura l’assurance de payer le juste prix et l’opérateur économique de recevoir une juste rémunération, mais également d’assurer la liberté d’accès à la commande publique et une égalité de traitement des candidats.
Sinon, nous allons tous vers une sorte de « dumping sanitaire ». Car en gardant les yeux bien fermés, la crise sanitaire (et peut être plus tard « le volet sanitaire » d’une opération de construction) peut facilement paraître comme ne coûtant rien ; du moins c’est ce que pourrait dire « le lauréat de l’offre économiquement la plus avantageuse sans prix covid-19 » ; alors que cela coûte à tous.
Camille Cros
Dans les procédures lancées récemment, comment les donneurs d’ordres qui décident de participer ou de prendre en charge les dépenses « covid » le font-ils ?
Sabine Ibanes
Parmi les dossiers consultations des entreprises qui ont été portés à ma connaissance, j’ai pu constater que l’insertion d’un prix « covid » se présente sous différentes formes : soit il y a une seule ligne de prix, soit il s’agit d’un véritable bordereau de prix unitaire « covid ».
a) Une seule ligne de prix : dans ce cas, il s’agira d’un forfait ou d’un forfait/personne/jour.
b) Un bordereau de prix unitaires « covid » pouvant être complété de manière différente (coefficient de majoration sur ensemble des prix (à l’instar d’un coefficient de frais généraux) ou composé de divers prix à étudier (ligne/ligne c’est-à-dire que l’entreprise étudie 2 offres :
- une offre avec des prix pour une exécution dans conditions normales d’exécution de temps et de lieu et a maxima incluant les données connues à ce jour ;
- et une offre avec des prix en situation de crise).
c) La particularité d’un MOA qui prévoit au niveau national un bordereau de prix « covid » prévoyant 6 prix « covid » qui seront ou pas présents dans le DCE de l’achat de travaux concerné selon l’activité (notamment « prix Covid06 » qui rémunère la perte de rendement peu utilisé).
A priori, l’intégration d’une ligne de prix dans le BPU ou d’un forfait « covid » n’est pas un mécanisme innovant, c’est d’ailleurs davantage un critère d’appréciation des offres.
Ce constat étant fait sur les pratiques en cours, revenons à nos propos introductifs et à l’idée, lancée par le Professeur Eckert, qu’un droit de la crise pourrait s’agréger au droit commun. Comment cette évolution pourrait prendre forme.
Il y a des pistes variées qui peuvent servir à alimenter la réflexion du rédacteur du marché public qui souhaite prendre en considération la crise sanitaire dans ses nouveaux marchés publics.
Camille Cros
Déjà il y a des pistes « supra-contractuelles ».
Sabine Ibanes
La mise en œuvre d’un indice « covid » est étudiée.
Un comité de suivi des surcoûts visant à régler le sujet des pertes de productivité sur les chantiers de BTP a été mis en place par le Gouvernement plus précisément sous l’égide du ministère de la Transition écologique (sous le pilotage du Commissariat général du développement durable).
Au départ, il avait pour but de s’intéresser uniquement aux surcoûts liés aux pertes de productivité mais l’initiative a été élargie à l’ensemble des surcoûts. Leur idée porte actuellement sur la création d’un calculateur n’ayant évidemment aucune force contraignante, ce serait un outil à disposition des donneurs d’ordre publics et des opérateurs économiques qui feraient évoluer les indices « matériels » (consommable) et « travail » à l’intérieur d’un index ; sous réserve que le marché prévoit une clause de révision des prix. Certainement des chantiers vont probablement servir de tests.
Camille Cros
Ton avis sur cet indice « Covid » ?
Sabine Ibanes
Je souligne et salue la volonté avérée de l’État d’aider les opérateurs économiques et d’une prise en charge par les donneurs d’ordres publics des surcoûts de la covid .
Mais je suis sceptique sur l’outil proposé. Je me demande si la variation de 2 indices ne pourrait-elle pas se révéler non significative à l’intérieur d’un index composé de beaucoup d’autres indices et notamment d’indices liés à des matières premières dont les fluctuations peuvent être significatives. Est-ce que cet indice ne sera-t-il pas noyé et finalement ne traitera pas l’impact réel de la covid-19 ?
D’autant plus qu’aujourd’hui les entreprises de BTP sont confrontées à des révisions négatives sur beaucoup de marché en l’état de la chute des prix du bitume impactant les index TP08, 09 et 10. Donc a maxima peut être que la variation positive des indices « covid » viendra compenser la variation négative de l’indice de la matière première concernée et conduire à une neutralité de la formule de révision ce qui est déjà une avancée. Mais d’un point de vue psychologique/de communication, les opérateurs économiques n’auront pas l’impression que les surcoûts de la covid_19 auront été pris en considération par leurs donneurs d’ordre. Pour ceux dont les marchés ne prévoient pas de clause de révision ce sera le cas et pour les autres c’est toujours compliqué d’expliquer à un exploitant que son gain vient du fait qu’il n’a pas perdu…
Camille Cros
Autre piste : La prise en charge de manière indirecte par l’État via un allégement de charge patronale, ton avis ?
Sabine Ibanes
Pareillement je souligne toute la bienveillance de l’idée. Mais la philosophie de cette intervention de l’État est plus de venir au soutien des entreprises affrontées à une défaillance financière et sociale c’est plus général et surtout ponctuel, certainement soumis à des conditions particulières d’éligibilité. Cela reste extérieur au contrat public et sans adéquation avec sa durée.
Mais c’est certainement la combinaison de plusieurs initiatives extra contractuelles et contractuelles qui permettra de combattre ensemble les impacts de la covid-19 sur le contrat et sur l’économie.
Camille Cros
Des innovations contractuelles sont déjà mises en place, d’autres sont annoncées, d’autres enfin seraient souhaitables.
Nous précisons qu’il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive. Sur quoi peut-on se concentrer ?
Les avances :
Il est désormais inscrit dans le Code de la commande publique que l’acheteur public peut prévoir dans son contrat une avance supérieure à 60 % et que pour les avances de l’ordre de 30 %, la garantie à parfaite demande n’est plus obligatoire.
Il est à saluer ce mécanisme, prévu par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB), désormais inscrit dans le code, mais il s’agit d’un pouvoir à la disposition du maître d’ouvrage qui ne saurait s’imposer à lui (décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020 N° Lexbase : Z3042893 qui est venu modifier notamment l’article R. 2197-8 du Code de la commande publiqueN° Lexbase : L3556LR7).
La loi « ASAP » (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, d'accélération et de simplification de l'action publique N° Lexbase : L8587LYP) vient intégrer des nouveaux mécanismes en droit des contrats publics
1 - Nous évoquerons rapidement le relèvement du seuil des formalités de passation des marchés publics de travaux à 100 000 euros HT valable jusqu’au 31 décembre 2022 qui vise à simplifier la conclusion de marchés d’un montant inférieur
2 - Pour nous attarder sur la création d’un nouveau livre dans le Code de la commande publique contenant des dispositions applicables en cas de circonstances exceptionnelles.
« Lorsqu’il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l’existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que ces circonstances affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public, un décret peut prévoir l’application de l’ensemble ou de certaines des mesures du présent livre aux marchés publics en cours d’exécution, en cours de passation ou dont la procédure de passation n’est pas encore engagée » (art. 44 quinquies du projet de loi).
Il sera désormais prévu dans le Code de la commande publique des dispositions qui pourront s’appliquer aux contrats lorsque les circonstances l’imposeront.
Le droit de crise rencontre là le droit commun évoqué par le Professeur Eckert.
Quelles seront ces mesures ? Les mécanismes de l’ordonnance n° 2020-319 de suspension, de non application de sanction,... peuvent sûrement présager de ce que contiendra ce nouveau livre.
Toutefois, ces dispositions ne s’appliqueront que si un décret le prévoit et pour une durée d’application limitée.
Enfin, il est à noter que les marchés publics conclus avant 2016 pourront désormais être modifiés alors que juste à présent, ces marchés de longue durée ne pouvaient être prolongés que par la conclusion d’un marché complémentaire.
Les acheteurs bénéficieront de la possibilité de modifier ces marchés publics conclus pour une durée longue, lorsqu’une telle modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir.
Cette mesure présente également l’avantage de clarifier la possibilité de modifier les marchés conclus avant 2016 en vue de commander des travaux, fournitures ou services supplémentaires (CCP, art. R. 2194-2 N° Lexbase : L3558LR9).
Dans l’ancien Code des marchés publics, il était possible de conclure un nouveau marché pour ces prestations complémentaires, il s’agit désormais d’une hypothèse de modification autorisée.
Sabine Ibanes
La révision des CCAG attendue pour le printemps 2021 est une piste d’innovation (à condition que ne soit pas révisé ce qui fonctionne…).
Camille Cros
Sur quoi pourrait porter les innovations du CCAG pour prendre en considération la crise sanitaire ?
Sabine Ibanes
L’application des pénalités de retard. Suspendues par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, les projets des futurs CCAG évoquent la disparition d’une application automatique et sans information préalable des pénalités.
Ne faudrait-il pas aller plus loin et envisager la suspension desdites pénalités en cas de circonstances exceptionnelles telles que prévues par le nouveau livre du Code de la commande publique?
Ensuite, l’innovation pourrait venir de la manière dont le contrat peut être modifié en cours d’exécution. En période de crise la rigidité du contrat public est inadaptée : le contrat doit pouvoir muter ou du moins présenter une flexibilité pour tenir comptes des circonstances exceptionnelles Concernant la modification des contrats en cours d’exécution il y a des mécanismes dans le CCAG travaux, notamment les articles 15 et 16 du CCAG travaux sur les variations de masse mais là, en période de crise, la matérialisation des changements dans l’exécution de relation contractuelle doit appréhender des notions de nature et géométries variables qui vont avoir un impact direct ou indirect sur la livraison de l’ouvrage. Si on ne fait pas différemment ce sont des risques de défaillances financières pour les petites entreprises, des collaborateurs d’entreprise privés qui réalisent une mission de service public en s’exposant au virus, c’est toute les difficultés des chaînes industrielles et tertiaires derrière le titulaire du marché (cocontranctants, prestataires…). Nous ne sommes plus dans nous dans la contractualisation ordinaire de imprévisible mais dans la contractualisation de l’extraordinaire.
Comment prendre en considération l’extraordinaire déjà de manière très humble en actant le principe que « le moment venu les parties feront tous leurs meilleurs efforts pour le faire » et donc en insérant dans les nouveaux CCAG des clauses de réexamen en temps de crise mais pour l’instant aucune rédaction n’a été communiquée ; c’est un minimum pour sauver la livraison de l’ouvrage sans que les opérateurs économiques type PME soient étranglés.
Sans attendre la révision des CCAG prévue pour le printemps, les parties peuvent prévoir dans leur CCAP une clause de réexamen ou de revoyure dans tous les marchés à venir tel que prévu par le Code de la commande publique.
Ne faudrait-il pas rendre obligatoire les clauses de réexamen dans les marchés publics d’une certaine durée ?
Camille Cros
Les clauses de réexamen visées à l’article R. 2194-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L4270LRL) pourraient constituer un outil susceptible de répondre à la situation de crise sanitaire, en ce qu’il permet notamment, dans le respect de l’équilibre des intérêts des parties, d’intégrer un mécanisme de sauvegarde visant à prévoir les modalités de prise en compte des incidences calendaires et financières d’un risque qui, sans pour autant être imprévisible, apparaît trop aléatoire pour être raisonnablement couru par une seule partie sans mettre en péril l’exécution même du contrat.
Ces clauses qui ont été présentées par certains comme ayant pour vocation de « prévoir le futur », trouvent pleinement leur utilité dans la situation exceptionnelle que nous traversons aujourd’hui et devraient donner “envie” aux acheteurs publics de les mettre en pratique.
Dans les marchés publics, ces clauses présentent un intérêt réel pour les marchés de plus de douze mois, ou encore les marchés complexe mêlant conception et exécution ou encore exploitation. La rédaction d’une telle clause présente un intérêt pour l’entreprise titulaire qui aura connaissance, dès la procédure de passation, des conditions de renégociation du contrat en cours d’exécution mais aussi pour l’acheteur qui fera l’économie d’une nouvelle procédure en cas de difficulté d’exécution.
Alors oui, à l’heure, où un évènement comme un virus a conduit à des disfonctionnements pérennes d’exécution des contrats. Rendre obligatoire des clauses de réexamen dans les contrats de plus de 12 mois donnerait l’opportunité aux parties de discuter de la suite du contrat. Cette obligation pourrait s’inscrire dans le nouveau livre prévu dans le Code de la commande publique par la loi « ASAP ».
Autre piste : rendre obligatoire les constats de l’article 12 du CCAG travaux en cours d’exécution.
Pourquoi cette traçabilité imposée serait-elle souhaitable selon toi ?
Sabine Ibanes
La traçabilité des travaux exécutés est essentielle tant pour acter de leur véracité que des conditions dans lesquelles ils sont réalisés et ce tant dans des conditions normales d’exécutions, qu’en cas de difficulté quelconque, qu’en période de crise.
Pour que les constatations contradictoires en cours d’exécution de l’article 12 du CCAG travaux deviennent l’outil performant d'une gestion contractuelle, commune loyale et de bonne foi du suivi d’un chantier, dans des conditions normales d’exécution comme en période exceptionnelle, il faut qu’il soit contraignant pour les parties et donc peut être prévoir un mécanisme de sanction tant pour l’entreprise que pour le donneur d’ordre ou son représentant en cas de non-respect. Et avant cela, que le contrat impose aux parties des périodes de constatations contradictoires réservées et donc des durées spécifiques à l’intérieur du calendrier global d’exécution pour constater matérialité du service fait.
L’intégration de ces mécanismes dans le Code de la commande publique les rendraient obligatoires à l’égard des parties, à l’inverse des CCAG auxquels il est toujours possible de déroger.
Camille Cros
Enfin, une dernière piste porterait sur le traitement contentieux des désaccords en cours d’exécution entre les parties au contrat.
Les projets des futurs CCAG 2021 veulent favoriser des relations apaisées entre les parties. Notamment, ils comporteront une clause indiquant tous les modes alternatifs de règlement des litiges, pour éviter des contentieux longs et coûteux : comités de règlement amiables (CCIRA), Médiateur des entreprises, etc. Le contenu du mémoire en réclamation sera détaillé, pour le mettre en cohérence avec les exigences de la jurisprudence administrative.
Toutefois, le Code de justice administrative ne propose pas de procédures d’urgence permettant de voir le juge du contrat statuer sur des demandes de toutes natures y compris indemnitaires formulées en cours d’exécution ou à un tiers (CCIRA, médiateur des entreprises…) d’aider les parties à trouver un accord et ce, au nom du principe d’intangibilité du décompte.
Tout est renvoyé à la phase du décompte et au mémoire de réclamation de l’article 50 du CCAG travaux qui contraint les entreprises à avancer des surcoûts qui pourraient bénéficier de l’intervention du juge ou d’un tiers pour qu’une solution intermédiaire et temporaire soit trouvée dans le respect de l’équilibre contractuel.
Cela irait dans le sens d’une meilleure protection du cocontractant de la personne publique, mais aussi d’une meilleure utilisation des deniers publics.
Une question débattue et traitée en cours d’exécution permettra d’éviter que la question ne soit traitée in fine en fin de chantier, voire plusieurs mois après la fin du chantier.
Conclusion
La liberté de contracter ou non s’est heurtée à l’apparition d’une crise imprévisible.
L’intervention du pouvoir règlementaire dans l’exécution des marchés publics par l’ordonnance n° 2020-319 a d’ores et déjà conduit le Gouvernement à des modifications législatives et règlementaires.
La prise en compte de cette crise ne saurait se limiter à des lignes de prix dans un bordereau, il n’est pas question ici de remettre en cause la nature du contrat d’adhésion du marché public, mais d’ouvrir des voies de dialogues, des mécanismes de preuve, des procédures spécifiques qui s’imposeraient aux deux parties pour permettre une adaptation du contrat à un contexte d’exécution particulier.
Certaines circonstances doivent permettre au droit public d’évoluer, nul doute que l’épisode qu’on traverse en est l’occasion.
Sabine Ibanes
Mais seul l’avenir nous dira si cette évolution permettra de consacrer la mission d’intérêt général qu’assurent les entreprises en exécutant leurs chantiers, certes en mode dégradé, en période de confinement et plus généralement de crise sanitaire.
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par Christian Baillon-Passe, Avocat au barreau de Marseille
Le 04 Mai 2021
La crise du covid-19 offre un écho singulier et puissant à la problématique évoquée par Madame La Professeure Françoise Thibault dans les Mélanges Jean-François Lachaume. C’était en 2007. Elle interrogeait : « Quelle peut- être la mesure d’évolution du droit administratif français ? » 1.
Loin de moi l’ambition de répondre à cette question vertigineuse. Néanmoins l’expérience vécue depuis mars 2020 éclaire cet enjeu récurrent du droit administratif, et du droit public en général.
À l’heure où il est de mode de critiquer la décision publique, la gestion des occupations du domaine public depuis mars 2020 offre un exemple de la capacité d’adaptation des décideurs publics et de la souplesse qui finalement est offerte par le système administratif français. Au prix de quelques accommodements pragmatiques et aussi faut- il le dire d’un certain courage juridique de la part des décideurs.
Quelques rappels permettront de mesurer la faculté d’adaptation du système.
1 - L’occupation du domaine public est, sauf exceptions, consentie à titre onéreux. C’est l’article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L9594LDP) qui le prévoit 2.
2 - L’occupation du domaine public est temporaire voire précaire.
3 - L’occupation du domaine public est encadrée soit par la délivrance d’autorisations (acte unilatéral) soit par des conventions d’occupation du domaine public (procédé contractuel) 3.
Le contexte du covid-19 a fourni l’occasion, plutôt spectaculaire, de mettre à mal quelques un de ces sacrés principes pour ne pas dire ces principes sacrés.
Que s’est- il passé ? Comment la gestion et l’utilisation du domaine public ont – elles été impactées ? Au prix de quelles questions et de quels enjeux ? La situation née du covid-19 ouvre-t-elle de nouvelles perspectives dans la manière, une fois que tout sera revenu à l’état normal, de gérer désormais ces occupations ?
Essayons de répondre à ces questions avec à la fois des considérations nationales et des éléments d’information plus locale au vu de la pratique qui s’est jouée à Marseille.
I. L’assouplissement dans les conditions matérielles d’occupation du domaine public en temps de crise
Comme on le sait, la mesure la plus spectaculaire a été de permettre l’extension des surfaces d’occupation du domaine public aux titulaires d’autorisation. Cela va des bars et restaurants a tous les exploitants du domaine public, type Vélib ou autres.
La question se pose de savoir de quelle manière juridiquement on a acté ces modifications.
L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5734LWB), ne vise que les contrats de commande publique et donc, en application de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 (N° Lexbase : L8339LD9), aussi les contrats d’occupation du domaine public.
A contrario, cette ordonnance ne concerne donc pas les actes unilatéraux d’occupation (permis de stationnement, permissions de voirie) et on le verra tout à l’heure, à ce titre, les titulaires de telles autorisations n’ont pas droit, en vertu de ce texte, à l’exonération du paiement de leurs redevances d’occupation.
L’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L7287LWS), a apporté des compléments et a abordé quant à elle de front la question des occupants du domaine public. J’y reviendrai.
Ainsi, le sort des occupants du domaine public n’a pas été sacrifié. D’autant que c’est au niveau local que les choses se sont d’abord jouées. Et le pragmatisme l’a largement emporté.
À Marseille par exemple, cela a été géré de façon très souple. Comment cela s’est-il passé ?
Il faut savoir qu’en plus de la soudaineté de la pandémie et des mesures à prendre, il y avait un autre problème qui rendait les décisions compliquées. Je rappelle qu’on est au lendemain des élections municipales. Avec les changements d’équipe, de délégations, le tout on s’en souvient dans un contexte ou l’équipe nouvelle a du mal - tractations, etc - à se mettre en place.
Dans ce contexte strictement impossible d’envisager de modifier les autorisations et les conventions en cours par avenant.
Les choses se sont en conséquence déroulées d’une manière souple.
Un courrier circulaire, simple et non AR, a été adressé aux occupants du domaine public pour leur indiquer qu’ils ont l’autorisation de s’installer - au vu des conditions de distanciation sociale - au- delà des limites qui leur sont consenties par les autorisations ou conventions.
Sans préciser la surface disponible. Cela eut été impossible.
Alors l’idée de la commune de Marseille et de ses services a été de se dire que les restaurateurs, les bars etc.. géreraient celà au mieux en tenant compte toutefois d’un impératif : il appartenait aux occupants de ne pas créer de « conflits d’usage » sur le domaine public.
La souplesse a donc eu comme contrepartie, pour rendre le système acceptable par tous, la responsabilisation des occupants. Cela plutôt bien fonctionné et c’est peut- être ce côté pragmatique qu’il faudra retenir. Ce mode de décision publique, fait de bon sens et de souplesse, ne manque ni d’efficacité ni d’un certain charme en ce qu’il déstabilise les modèles établis.
II. L’allègement des conditions financières de l’occupation du domaine public en temps de crise
A situation exceptionnelle, réponses exceptionnelles.
On rappelle que la plupart du temps aucune clause de suspension de redevance n’existe dans un contrat d’occupation du domaine public, sauf dans des montages sophistiqués où la convention est l’accessoire d’autres contrats. A fortiori, rien de ce genre dans les autorisations unilatérales.
A - La suspension et l’annulation du paiement des redevances
Du côté de l’Etat :
1 - on rappelle qu’il a notamment annulé pour 3 mois à compter du 12 mars 2020 les redevances et produits dus au titre de l’occupation du domaine public par les petites et moyennes entreprises des secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, du sport , de la culture et de l’évènementiel ;
2 - il y a eu aussi l’ordonnance du 25 mars 2020 qui a prévu la suspension du paiement des redevances.
L’ordonnance du 25 mars ayant immédiatement révélé ses limites :
- elle ne précise pas si cette suspension est de droit ou si elle doit être demandée et acceptée expréssement par l’autorité gestionnaire . Par sécurité on a pu conseiller de faire des lettres en ce sens ;
- par ailleurs, les entreprises qui s’acquittent annuellement de la redevance n’ont pu bénéficier de cette supension
3 - Durant la période de confinement, il a été demandé aux services de ne pas émettre les avis des paiements relatifs aux redevances domaniales pour les titres qui devaient être émis durant cette période.
Une autre voie aurait pu être envisagée en étalant les paiements, solution qui relève de la compétence des comptables et non de celle des ordonnateurs.
4 - Il y a eu l’ordonnance du 22 avril 2020 est venue modifier celle du 25 mars 2020 en y ajoutant un 7° ainsi rédigé :
« Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er (NDLR : soit au 24 juillet 2020). A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».
Là encore, au pied de la lettre, ne sont concernés que les contrats d’occupation. Pas les autorisations unilatérales.
Les redevances restant dues puisque simplement suspendues.
L’État a imaginé alors l’option consistant à un aménagement des paiements de la redevance, qui relève des comptables et non des ordonnateurs, qui permet de lisser le paiement des redevances, mais implique pour le comptable d'examiner au cas par cas la situation de chacun des exploitants et de prendre des décisions au vu des justifications apportées quant aux difficultés de paiement rencontrées. Solution trop compliquée.
L’État a voulu ensuite aller plus loin.
La seule solution juridique pour permettre à l’État et ses établissements publics qui disposent d'une autonomie juridique de pouvoir renoncer à une recette, étant la loi de finances.
D’où la loi de finances rectificatives pour 2020 en date du 30 juillet 2020 (loi n° 2020-935 N° Lexbase : L7971LXI) qui a prévu dans son article 1 que « les redevances et les produits de location dus au titre de l'occupation ou de l'utilisation du domaine public de l'Etat et de ses établissements publics par les entreprises appartenant à la catégorie des micro, petites et moyennes entreprises, au sens de l'annexe I au Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité, qui exercent leur activité principale dans les secteurs relevant du tourisme, de l'hôtellerie, de la restauration, du sport, de la culture et de l'événementiel, particulièrement affectés par les conséquences économiques et financières de la propagation de l'épidémie de covid-19, sont annulés pendant une période de trois mois à compter du 12 mars 2020. Lorsque la redevance ou le loyer est dû pour une période annuelle, l'annulation porte sur le quart de son montant.
II. Le bénéfice de l'annulation est subordonné au respect du règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis ».
Cette mesure va donc au-delà de la simple suspension du paiement des redevances domaniales, prévue par l'ordonnance du 22 avril 2020.
Les PME visées par ce texte étant celles :
- qui emploient moins de 250 personnes ;
- et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros.
Du coté des collectivités territoriales, chacun y est allé aussi de son pouvoir de décision. Les illustrations sont multiples.
Á Marseille, la commune a non seulement pas envisagé d’augmenter les redevances d’occupation alors que les surfaces occupées ont été étendues (ce qui est logique car vu les contraintes de distanciation ce n’est pas pour autant que les occupants avaient plus de clients) mais elle a renoncé par avance à percevoir les redevances et des indemnités d’occupation.
Elle a aussi renoncé à percevoir la taxe locale sur la publicité extérieure 4.
Il faut rappeler que l’ordonnance 2020-460 du 22 avril 2020,en son article 16, a prévu que « par dérogation aux articles L. 2333-8 et L. 2333-10 du Code général des collectivités territoriales ainsi qu'au paragraphe A de l'article L. 2333-9 du même code, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et la métropole de Lyon ayant choisi d'instaurer une taxe locale sur la publicité extérieure avant le 1er juillet 2019 peuvent, par une délibération prise avant le 1er septembre 2020, adopter un abattement compris entre 10 % et 100 % applicable au montant de cette taxe due par chaque redevable au titre de l'année 2020. Le taux de cet abattement doit être identique pour tous les redevables d'une même commune, d'un même établissement public de coopération intercommunale ou de la métropole de Lyon ».
Tout cela à Marseille s’est fait via une première délibération du 27 juillet 2020, qui a prévu un système à deux temps :
- 1er temps : On est à la sortie du confinement. On exonère des redevances d’occupation et taxe sur la publicité extérieure tous les commerces pendant une période de 3 mois (2 mois de confinement + 1 mois de relance de l’activité) 5 ;
- 2ème temps : nouvelle exonération pendant 1 mois pendant la fermeture.
Une autre délibération, du 5 octobre 2020, n’a concerné cette fois que la redevance d’occupation du domaine public (la taxe sur la publicité extérieure n’est plus concernée) et que les établissements concernés par l’arrêté préfectoral du 27 septembre 2020 ( restaurants, bars ) , celui - là même qui a fait l’objet d’un recours contentieux et donné lieu au jugement du tribunal administratif de Marseille l’ayant rejeté (TA Marseille, 30 septembre 2020, n° 2007302 N° Lexbase : A78123WA).
Ailleurs qu’à Marseille les mêmes solutions ont pu être prises.
Il faudra pour chaque collectivité chiffrer quand même le manque à gagner.
Au vu de mes investigations et sans que cela puisse valoir de chiffres officiels on peut avoir une idée de grandeur pour la ville de Marseille :
- 1 500 000 euros : coût de la première délibération du 27 juillet 2020 ;
- 100 000 euros : coût de la deuxième délibération du 5 octobre 2020.
B - La régularisation des situations
L'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 a posé que « Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er. A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires. »
Quelle est la portée précise de cette disposition ?
1 - Elle n’ouvre qu’une « faculté » de modification. Qui sera à l’appréciation des parties au contrat. Et non pas seulement nous semble-t-il à celle seule de la personne publique.
2 - Sur quoi portera l’avenant ?
- Uniquement sur la question du montant de la redevance ?
- Ou sur la totalité du contrat ?
Je penche pour ma part pour la seconde hypothèse.
III. De quelques questions en suspens ?
A - La question des aides d’Etat
Dès l’annonce des mesures visant à exonérer les occupants du domaine public du paiement des redevances il n’était pas illégitime de s’interroger sur la question de savoir si ces dispositifs ne constituaient pas des aides d’État au sens de la législation et de la jurisprudence de l’Union Européenne.
Il n’est hélas pas le temps de rappeler ici dans le détail le régime des aides d’État, rappelant simplement qu’aux termes de la jurisprudence constante de la CJUE cette qualification au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (N° Lexbase : L2404IPQ), requiert que quatre conditions soient remplies :
- il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ;
- cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres ;
- elle doit accorder un avantage sélectif à l’entreprise bénéficiaire ;
- elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, en ce sens, CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-659/17, Azienda Napoletana Mobilità N° Lexbase : A7374ZKC, point n° 20) 6.
L’intérêt de cette question fait d’autant moins de doute que précisément la Commission européenne s’est emparée du sujet.
La Commission européenne a ainsi face à la covid-19 décidé d’assouplir les règles et la procédure relatives aux aides d'État
Elle a ainsi publié, le 19 mars 2020, un « encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de covid-19 ».
Cette communication décrit notamment les possibilités offertes par les règles de l'Union aux États membres pour les aides dont l'objectif est de remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre.
Á noter que les mesures de financement des entreprises font l'objet d'une notification et d'une autorisation préalable de la Commission, mais leur champ de compatibilité est élargi et leur traitement accéléré.
Sont visées :
- les mesures de recapitalisation et de dette subordonnée afin de soutenir davantage l'économie dans le contexte de la pandémie de coronavirus ;
- les mesures de soutien aux micro et petites entreprises et aux jeunes pousses et encourager les investissements privés ;
- les mesures de soutien des entreprises confrontées à des pertes de chiffre d'affaires importantes.
Les autorités françaises ont ainsi notifié à la Commission plusieurs régimes temporaires, par exemple :
- le dispositif d'activité partielle ;
- le moratoire sur le paiement de taxes aéronautiques en faveur des entreprises de transport public aérien ;
- le régime d'aides sous la forme de prêts publics subordonnés ;
- la garantie de l’État en soutien à l’assurance-crédit ;
On rappele que la loi de finances rectificatives pour 2020 en date du 20 juillet 2020 a prévu dans son article 1 que « Les redevances et les produits de location dus au titre de l'occupation ou de l'utilisation du domaine public de l'Etat et de ses établissements publics par les entreprises appartenant à la catégorie des micro, petites et moyennes entreprises, au sens de l'annexe I au Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 sont annulés pendant une période de trois mois à compter du 12 mars 2020 mais que le bénéfice de l'annulation est subordonné au respect du Règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013, relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis ».
On ne voit pas la Commission demain, vu le contexte, s’emparer des difficultés éventuelles mais la question demeure. Je vous laisse y réfléchir notamment au regard du très récent arrêt de la CJUE du 17 septembre 2020 « Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation c/ Compagnies de pêches de Saint- Malo » (CJUE, aff. C-212/19 N° Lexbase : A88233TX) dans laquelle la CJUE a jugé qu’un allègement de cotisations salariales n’est pas une aide d’État.
B - La question de la responsabilité
Au- delà de la question de l’exonération des redevances d’occupation (phase 1) ou de la suspension de leur paiement (phase 2), se pose potentiellement la question des responsabilités.
Les titulaires d’autorisations du domaine public avaient vocation à exploiter les terrasses, les trottoirs occupés par leurs installations.
Indépendamment de la question des redevances, se pose donc la question des pertes d’exploitation et du chiffre d’affaires au vu des fermetures administratives qui leur sont imposées.
Nul doute que des procédures seront engagées en demande de réparation des préjudices ainsi subis par les exploitants.
Il me semble qu’il sera difficile pour les personnes publiques d’arguer du fait que les occupants du domaine public, surtout ceux qui sont titulaires de conventions, ayant bénéficié d’exonérations ou de la suspension du paiement, ne seraient pas recevables à agir en indemnisation du fait du non- respect du contrat ou de l’impossibilité de bénéficier du contrat en vertu des décisions administratives (Gouvernement, préfets).
Les contentieux risquent, selon la manière dont ils vont être noués, de poser des questions plutôt inédites et le paysage de l’exécution du contrat risque bien d’être bouleversé. A suivre donc avec intérêt.
Ce qui me conduit à ma conclusion.
Conclusion : Vers un nouveau droit de l’occupation du domaine public ?
Que nous enseigne cet épisode ?
1 - Qu’il faut intégrer la vie et le fonctionnement du contrat administratif dans la société du risque. Se dire enfin que le risque n’est plus exceptionnel, ni dans ses survenances, ni dans ses effets, ni dans sa durée.
2 - Et fait se poser la question : que peut- on imaginer demain ? Peut- être de concevoir un « nouveau contrat administratif.. » ?
Avec par exemple l’apparition d’un nouveau droit ? : celui de modifier le contrat administratif autrement que ce qui est permis à ce jour ( pouvoir de modification unilatérale par la personne publique).
L'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, je le rappelle a posé que « Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d'exploitation de l'activité de l'occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l'article 1er. A l'issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».
Comme je l’ai déjà dit cette forme d’écriture ouvre - potentiellement - un « droit » de demander la révision du contrat (ensuite on appréciera s’il y a ou pas matière à le modifier). Le juge j’en suis certain aura vocation bientôt à se prononcer sur l’existence de ce « droit » ou pas.
Par ailleurs, certes ce texte est destiné à ne s’appliquer que de façon exceptionnelle à la situation et aux conséquences de la covid-19. Toutefois, cela invite à réfléchir et peut- être se dire que les circonstances exceptionnelles sont l’occasion de repenser le droit du contrat public hors circonstances exceptionnelles. Un contrat plus équilibré, plus conforme à la réalité du terrain, moins « régalien », un contrat que les deux parties peuvent à tout moment rediscuté (avec les clauses à cet effet qui doivent alors être intégrées dans le contrat), un contrat qui dans le sillage de la jurisprudence « Béziers 1 » (CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802 N° Lexbase : A0493EQC) continuerait ainsi sa mue…
Jusqu’où cependant ? J’entends l’objection : si on vide le contrat administratif de sa substance et de son particularisme, où va alors le droit administratif ? En 2007 toujours dans les Mélanges Jean -François Lachaume Didier Truchet posait la question « Avons-nous encore besoin du droit administratif ? ».
Ne nous affolons pas.
A l’heure où parait-il « le droit civil dépérit », ce n’est pas moi qui le dit mais le Professeur Frédéric Rouvière9 qui reprend la formule de R. Libchaber 10, le droit administratif, lui, a fait depuis l’interrogation de Didier Truchet la preuve de sa survivance et de sa puissance.
Preuve d’ailleurs en est ce colloque. Je vous remercie.
9 RTD Civ. 2000 p.538 , « Qu’est-ce que le droit civil aujourd’hui ? » ;
10 R. Libchaber, Le dépérissement du droit civil, in F. Audren et S. Barbou des Places (dir.), Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? Fondation et recomposition des disciplines dans les facultés de droit, LGDJ, 2018, p. 243.
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par Frédéric Marty, chargé de Recherches CNRS – Groupe de Recherche en Droit, Economie, Gestion (GREDEG), Université de Nice Sophia-Antipolis
Le 05 Mai 2021
La métaphore guerrière a été utilisée par les plus hautes instances de l’État au plus fort de la crise de la covid-19. Elle peut être mise en perspective au point de vue économique avec la situation d’il y a un siècle en ce que certaines questions peuvent être indirectement transposées. Premièrement, pendant le conflit et donc pendant la pandémie : comment mobiliser les ressources et minimiser les destructions ? En l’espèce financer la dette publique et limiter la destruction du capital productif et de l’emploi. Deuxièmement, au sortir du conflit comment gérer la reprise de l’activité ? Troisièmement, comment gérer les dettes « de guerre » et les déséquilibres structurels qui ont été aggravés par la crise ?
L’enjeu pour les pouvoirs publics est bien évidemment de passer le cap de la crise et de préparer les conditions de la reprise. Celle-ci dès le mois d’avril était décrite comme pouvant prendre des formes diverses. La première est une forme en V. La deuxième est une forme en U. La troisième est une forme en L. La quatrième est celle d’un double plongeon… en d’autres termes de deux marches d’escaliers
Pourquoi ces différents scenarii ? Tout simplement parce que la crise n’est pas que conjoncturelle. Tout comme après 1918, une situation de retour à la normale est en grande partie illusoire et ce au moins pour deux raisons. Premièrement, la France a abordé cette crise dans une situation économique et budgétaire extraordinairement fragile. Deuxièmement, son positionnement économique avec un fort poids du secteur des transports dans l’industrie manufacturière et surtout du tourisme l’a rendu bien plus vulnérable à la crise que les États membres du nord de l’U.E.
De façon un peu téméraire cette présentation pourrait se faire en trois temps. L’avant, où il s’agit de mettre en exergue les faiblesses de notre économie avant le déclenchement de la crise sanitaire. Le pendant, où il s’agit de montrer les conséquences de la crise. L’après, où il s’agit de mettre en exergue ses conséquences et d’insister sur la place de ce qui constitue le cœur de notre sujet : la commande publique. Cela nous conduit plus raisonnablement à nous attacher en première partie aux effets de la crise en montrant que ses effets ont été d’autant plus sévères (I B) que nous l’avons abordé dans une situation de très forte fragilité (I A). En seconde partie sont abordées la place de la commande publique dans la relance voire la reconstruction de notre tissu économique dans le cadre d’un plan de relance qui « privilégie les secteurs structurants et porteurs d’emplois, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en renforçant la cohésion sociale et territoriale » (II A) et les enseignements qui peuvent être dégagés de l’économie industrielle quant à un recours efficace à celle-ci (II B).
I. Une crise qui aggrave les déséquilibres et les faiblesses du tissu économique français
Il s’agit de considérer successivement les facteurs de vulnérabilités économiques et sociales de la France avant la crise (A) et l’impact économique et budgétaire de celle-ci (B).
A. Une position défavorable avant la crise
La France abordait la crise dans des conditions de forte fragilité. Les effets de la crise de 2008 n’avaient été qu’imparfaitement absorbés.
Les données de cette section sont simplement tirées des Tableaux de l'économie française de l’INSEE dans leur édition 2020 publiée en février dernier. Elles visent à illustrer la situation d’avant la crise à la fois en matière sociale, économique et budgétaire.
Chômage
Une première caractéristique de l’économie française d’avant mars 2009 est un taux de chômage d’environ 9 % de la population active certes en baisse mais encore bien plus élevé qu’en 2001 ou en 2008 (avec des taux inférieurs à 8 %).
Il présente en outre deux spécificités. Il est bien plus élevé que dans les pays d’Europe du Nord et il frappe particulièrement les moins de 25 ans. Le taux de chômage français s’établit à 9,1% contre 3,4 % en Allemagne et le taux chez les moins de 25 ans est de 20,7 % en France contre 6,2 % chez nos voisins d’outre-Rhin.
Pauvreté
Une deuxième spécificité de l’économie française est l’existence de poches de pauvretés particulièrement importantes chez les indépendants (22,1 % de la catégorie socioprofessionnelle selon les données de l’INSEE pour 2017) et dans une moindre mesure les employés (12,6 %) contre 10,4 % pour l’ensemble des actifs en emploi (ces données sont calculées en fonction d’un seuil à 60 %). Ces deux catégories seront particulièrement touchées par la crise et les différents confinements.
Pour autant l’importance des transferts sociaux en France fait que la pauvreté y est bien inférieure en termes relatifs que dans la moyenne de l’Union européenne et même qu’en Allemagne et Belgique. Le taux de pauvreté français après redistribution est l’un des plus faibles d’Europe. Seuls les Pays-Bas obtiennent un meilleur résultat. Nous verrons que cette redistribution a un effet en termes de prélèvements obligatoires.
Les prestations sociales sont particulièrement élevées dans les dépenses des administrations publiques en France et les parts des consommations intermédiaires et des investissements de celles-ci sont très faibles. Les collectivités locales sont celles qui investissent le plus. Pour autant la faible part des investissements dans un contexte de taux d’intérêts bas et de déséquilibre budgétaire structurel peut faire craindre une baisse drastique de l’investissement public en cas de hausse des taux (qui sont à un niveau historiquement bas). Au-delà de cet effet d’éviction potentiel, une crise qui ferait jouer les transferts sociaux (comme stabilisateurs automatiques) pourrait également compromettre les capacités de la commande publique.
Les données INSEE telles que produites dans la dernière édition des Tableaux Economiques de la France montrent que les administrations centrales dépensent plus de 532 milliards d’euros annuellement, les administrations publiques locales 256 milliards et les administrations publiques de sécurité sociale plus de 598 milliards. Les prestations sociales pèsent de 107 milliards du côté des administrations centrales, 26 pour les administrations locales et près de 460 pour la Sécurité sociale. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec la formation brute du capital fixe (i.e. l’investissement) qui ne représente respectivement que 27 milliards pour les administrations centrales et 43 pour les administrations publiques locales. Il convient de surcroît de souligner que les dépenses liées aux intérêts sur la dette représentaient, pour la même année 2017, 35 milliards de dépenses (voir site de l'INSEE).
Dégradation de la balance commerciale
À ces faiblesses sociales s’ajoutent une dégradation de la compétitivité de l’économie française laquelle est en grande partie liée à une mauvaise spécialisation productive qui renforcera encore la vulnérabilité à la crise. Notre balance commerciale est en effet systématiquement déficitaire depuis près de vingt ans après avoir été redressée entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990 comme le montrent les données infra extraites de l’INSEE.
1978 | 1982 | 1986 | 1990 | 1994 | 1998 | 2002 | 2006 | 2010 | 2014 | 2017 |
0,3 | -14, 3 | 0,0 | -12,2 | 5,8 | 19,3 | 3,5 | -29,9 | -52,4 | -58,5 | - 63,5 |
Désindustrialisation
Cet affaiblissement commercial est en grande partie lié à la quasi-disparition de la contribution de l’industrie à la croissance de la valeur ajoutée. Seuls les services tirent leur épingle de jeu mais ceux-ci recouvrent les activités touristiques qui seront particulièrement touchées par la crise.
agriculture | industrie | construction | Services marchands | Services non marchands | |
2007 | -0,01 | 0,28 | 0,26 | 1,81 | 0,22 |
2011 | 0,07 | 0,39 | -0,11 | 1,58 | 0,31 |
2017 | 0,08 | 0,22 | 0,13 | 1,44 | 0,19 |
L’affaiblissement de l’industrie est également perceptible en matière d’évolution de l’emploi depuis la crise de 2008. Pour autant il ne fait pas oublier que les politiques d’externalisation des firmes conduisent à déplacer de nombreux emplois vers les services à l’industrie, notamment en matière d’ingénierie. Le poids du secteur tertiaire en est mécaniquement accru. Pour autant, pour un indice base 100 en 2010, l’évolution de l’emploi salarié dans l’industrie (hors intérim) est passé de 125 en 2000 à 95 en 2018, ce qui témoigne de l’affaiblissement progressif de l’appareil industriel français sur les deux dernières décennies.
L’affaiblissement de l’industrie en termes relatifs apparaît avec un déficit structurel observé depuis 2004 qui certes ne s’aggravait pas avant la crise mais ne donnait guère de signes de résorption. Le solde entre les exportations et les exportations exprimé en milliards d’euros est passé de -10,5 milliards en 2000 à -57,9 milliards en 2017.
2000 | 2003 | 2006 | 2009 | 2012 | 2015 | 2017 |
-10,5 | -3 | - 36,4 | - 45,9 | - 72,3 | - 43,3 | - 57,9 |
Indicateurs de compétitivité
L’affaiblissement de l’industrie française sur les vingt dernières années est particulièrement sensible quand on compare l’évolution de sa valeur ajoutée à celle de l’industrie allemande. L’Italie et surtout l’Espagne font bien mieux que la France.
2000 | 2017 | |
Allemagne | 492 | 773 |
Italie | 248 | 295 |
Royaume-Uni | 307 | 291 |
France | 250 | 286 |
Espagne | 121 | 190 |
Dépendance vis-à-vis du tourisme
De fait la place du tourisme dans l’économie française s’est accrue de façon spectaculaire passant à quelques 55,5 milliards d’euros en 2018 contre 35,7 en 2000. Il s’agit cependant d’une industrie où la concurrence prix est forte, le niveau de qualification de la main d’œuvre modeste et la sensibilité à la conjoncture macroéconomique, sécuritaire et sanitaire particulièrement élevée. Cette manne (rente ?) a donc un revers (malédiction ?) : elle rend l’économie extrêmement vulnérable et détourne les investissements des secteurs à forte valeur ajoutée.
Statistiques de dépôts de brevets
Cette spécialisation défavorable a des conséquences en termes d’intensité de l’effort en recherche-développement. A nouveau la situation de la France est bien plus défavorable que celle de l’Allemagne et la condamne à la recherche d’une compétitivité prix qui est inaccessible dans le cadre de la monnaie unique. Les données INSEE montrent que l’Allemagne a une dépense intérieure de recherche-développement égale à 3 % de son PIB contre seulement 2,2 % en France.
Si on considère les secteurs qui déposent le plus de brevets en France, on constate qu’il s’agit principalement des firmes, telles Valeo, PSA, Safran, Renault, Michelin ou Airbus, lesquelles relèvent du domaine des transports lesquelles vont être les plus touchées par la crise (au point de vue conjoncturel) et par le renforcement des exigences induites par les politiques environnementales (au point de vue structurel).
À ces faiblesses en matière de recherche-développement s’ajoutent de mauvais résultats par rapport à l’Allemagne en matière d’enseignement scolaire. Ceci compromet l’insertion sur le marché du travail et prive les secteurs d’activité potentiellement les plus stratégiques d’une main d’œuvre performante.
Comptes publics
Ces faiblesses économiques et sociales vont se traduire par des prélèvements sociaux et des dépenses publiques très élevés. L’élément le plus spectaculaire tient bien évidemment aux dépenses de santé qui sont particulièrement élevées en France (ce qui s’explique aussi par le vieillissement de la population) et qui ont montré dans le cadre de la crise qu’elles ne garantissaient en rien la capacité du système de santé français à faire face à l’aléa.
Le dérapage de la dette publique, qui avait commencé avant même la crise de 2008, n’a pu être maîtrisé que tardivement. Loin de l’objectif des 60 % du PIB, elle s’est stabilisée à partir de 2014 entre 90 et 100 %, entravant d’autant plus les marges de manœuvres budgétaires de l’État quand bien même la faiblesse des taux d’intérêts (et les possibilités de refinancement de la dette) en limitait le coût. La dette publique qui représentait déjà 87,8 % du PIB en 2010 avait atteint 98,5 % en 2018 avant la crise de la covid-19.
Quoiqu’il en soit la dette française se situe à des niveaux exceptionnellement élevés par rapport au reste de l’UE et au reste de la zone euro. La dette publique française en 2018 (98,5 %) est supérieure à celle de la zone euro (86,8 %) et de la moyenne des États membres de l’UE (81,6 %). La dette de l’Allemagne ne représentait que 63,9 % de son PIB.
Bilan
Au final, la France entre en mars 2020 dans la crise sanitaire avec des fondamentaux très dégradés, notamment en termes de santé (comme en témoignent les données sur l’espérance de vie en bonne santé bien plus faible en France qu’en Allemagne avec un différentiel de près de deux ans).
Les évaluations de la Commission européenne
Le Semestre européen de février 2020, établi par les services de la Commission, permet de souligner les faiblesses de la France avant même le déclenchement de la crise [1], faiblesses qui expliqueront, en partie, sa plus forte fragilité que certains de ses partenaires européens : « La France a poursuivi son effort de réforme, mais de nouvelles mesures sont nécessaires pour continuer d'améliorer les performances de son économie. Des problèmes structurels subsistent, notamment en ce qui concerne le niveau élevé de la dette publique et du chômage. La France a en outre enregistré un ralentissement de sa productivité, qui rend nécessaire de continuer à investir dans les compétences et d'avancer rapidement dans la mise en œuvre de la récente réforme du système d’enseignement et de formation professionnels, et des mesures visant à améliorer l’environnement des affaires ».
« La compétitivité de la France continue d’afficher des résultats contrastés. Après avoir diminué pendant de nombreuses années, les parts de marché à l’exportation se sont récemment stabilisées, mais le terrain perdu n’a pas été récupéré. La balance courante est restée globalement stable et la position extérieure globale nette s’est légèrement améliorée ».
B. Le coût de la crise
Données statistiques
La crise qui frappe la France en mars 2020 trouve celle-ci dans une situation de fragilité économique. Il convient d’insister sur la faible compétitivité extérieure en partie liée à une désindustrialisation et un positionnement défavorable (en termes d’innovation et de qualité hors prix) et de mettre en exergue l’importance de deux secteurs particulièrement vulnérables à la crise : le secteur des transports et celui du tourisme. Parmi les faiblesses il convient d’insister sur le poids de la dette publique et sur celui des transferts sociaux.
Quelques données de l’INSEE permettent d’illustrer les conséquences du premier confinement et de montrer comment se dessinait la reprise jusqu’en septembre … avant que le second confinement intervienne. Si la forme de la reprise rappelle bien un V (ce qui est rassurant), les niveaux atteints en septembre demeuraient inférieurs à ceux atteints en février et ce quel que soit l’indice considéré.
L’évolution du climat des affaires (données INSEE du 24 novembre 2020) 7 montre que le choc fut plus important que celui de 2008 et que la reprise de l’été a été très vite contrariée par l’anticipation du second confinement. L’indicateur est passé de 105 à 55 avec le premier confinement. Il était remonté à 90 durant l’été pour redescendre à 80 en début d’automne.
L’évolution des anticipations en matière d’emploi reprend exactement la même dynamique avec une baisse de 105 à 50 au premier trimestre, un retour à 90 en début d’été et une érosion à 85 au fil de la reprise de la pandémie en septembre-octobre.
Bien plus inquiétante est la hausse du taux de chômage dans la mesure où celle-ci est limitée par les généreux dispositifs de chômage partiel mis en œuvre par le gouvernement dès le mois de mars. Une crainte légitime est que ces données se dégradent encore début 2021 non seulement à cause des effets du second confinement mais aussi du fait des plans sociaux et des défaillances d’entreprises. Le taux est passé de 7 à 9 % avec la crise de la covid-19, en annulant ainsi tous les gains réalisés depuis 2016.
Il peut être à ce titre intéressant de considérer la statistique établie par l’INSEE quant à la part du sous-emploi dans l’emploi. Cette donnée mesure les effets du chômage partiel lors du premier confinement. Comme l’indique l’INSEE : « Sous l'effet du dispositif d'activité partielle pendant le confinement, le sous-emploi a connu un pic exceptionnel au deuxième trimestre, à 20,0 % des personnes en emploi, dont 15,4 % de personnes en situation de chômage technique ou partiel. Au troisième trimestre 2020, cette part se replie (– 12,8 points) en retrouvant un niveau plus habituel : 7,2 % ».
Le recours à l’activité partielle a été massif comme le montrent les données produites par l’OFCE en octobre 2020 [2].
Il convient enfin de s’attacher aux données relatives à l’activité. Comme l’indique, logiquement, l’INSEE « en août 2020, la production dans les services accélère (+ 4,1 %) mais reste inférieure à son niveau de février (-7,2 %). La première phase de la crise a été particulièrement forte dans le secteur du tourisme et des services ».
L’indice de la production dans les services est passé de 125 à 115 au plus fort de la crise pour le secteur de l’information et de la communication (base 100 en 2015) mais il s’était effondré de 120 à 20 pour le secteur de l’hébergement-restauration (qui était revenu à l’indice 100 cet été).
Dans l’industrie manufacturière, les conséquences ont été relativement moindres mais ont particulièrement frappé le secteur des équipements de transports qui constitue rappelons-le un des points forts de l’industrie française [3]. Le chiffre d’affaires dans le secteur des équipements de transport est passé de l’indice 130 à l’indice 40 au plus fort de la crise pour s’établir en début d’automne à 90.
Quelles sont les perspectives selon l’OFCE ?
L’OFCE a produit, comme nous l’avons supra, des estimations réalisées en octobre 2020 avant le second confinement [4]. Le choc en termes de PIB était alors prévu de l’ordre de 9 % et était appelé à être absorbé à 55% par les administrations publiques. Le revenu des entreprises était – avant même le nouveau confinement – appelé à se réduire de 41 %. Non seulement la baisse de revenu des ménages devait alors (en moyenne) se limiter à 5 % mais ces derniers avaient accumulé une épargne additionnelle de quelques 86 milliards d’euros.
Pour les finances publiques, le déficit atteindrait 8,9 % du PIB en 2020 et encore 6,3 % en 2021. Également inquiétant en regard de la situation de départ, le taux de chômage devait atteindre 11 % fin 2020. Ces 810 000 chômeurs additionnels seront bien évidemment plus nombreux du fait de l’impact du second confinement.
L’OFCE confirmait son hypothèse de reprise en V (avec un seconde barre plus courte que la première…) en tablant sur une croissance de 7 % en 2021, soutenue par un impact de 1,1 % du plan de de relance sur le PIB. Le plan devait encore permettre de gagner 0,9% de croissance additionnelle en 2022… mais encore une fois dans l’hypothèse aujourd’hui démentie par les faits qu’il n’y aurait pas de second confinement.
D’autres données produites par l’OFCE permettent d’ailleurs de montrer comment la baisse de l’activité dans les pays analysés a été corrélée avec la sévérité des mesures de confinement.
Cependant, ce confinement particulièrement préjudiciable en termes d’activité économique, l’a moins été en termes d’emploi grâce aux mesures gouvernementales. En effet, comme le note l’OFCE : « L’impact sur le marché du travail des chutes d’activité a été amorti dans de nombreux pays européens par des dispositifs de chômage partiel et par un recours accru au télétravail. L’activité partielle a ainsi permis de maintenir les salariés en emploi et de les indemniser en cas de réduction temporaire de leur durée du travail. Il en est résulté une hausse modérée du taux de chômage en Europe et un quasi-maintien du revenu des salariés ».
En matière de perspectives de reprise, la situation en France, comme dans d’autres pays telle l’Espagne qui sont dépendants de l’activité touristique, va grandement dépendre d’un éventuel retour à la normale… et donc de la levée des confinements et de la mise à disposition rapide des vaccins. Les données OFCE permettent de comparer dans les économies concernées le poids relatif des secteurs les plus touchés par la crise. Le secteur du tourisme est particulièrement important en France, en Italie et en Espagne.
L’économie française est, comme nous l’avons déjà relevé, très « présente » dans les secteurs perdants de la crise de la covid-19…
Il convient de prendre en considération, pour saisir la magnitude de la crise, le coût relatif de la crise par rapport à celles que la France a traversé ces cinquante dernières années. L’OFCE a évalué les impacts trimestriels sur le PIB de différentes crises. Les évènements de mai 1968 n’ont conduit qu’à une baisse de PIB de 2 % au deuxième trimestre 1969. Le second choc pétrolier n’a conduit qu’à une baisse inférieure à 1 %, la crise des subprimes à une baisse de 3 %. La crise de la covid-19 a fait chuter notre PIB trimestriel de quelque 20 %.
Un autre intérêt des données OFCE est de permettre de distinguer, pays par pays, les poids relatifs des plans d’urgence et des plans de relance. Au-delà du cas particulier américain, d’un plan de soutien massif sans plan de relance, lequel est lié sans doute au contexte électoral (plus de 10 % du PIB), il convient de relever que les impulsions françaises sont très raisonnables en comparaisons de celles de nos partenaires européens.
Ces dépenses ont un effet amortisseur mais ne permettront pas de contrecarrer la progression de la pauvreté comme cela est particulièrement craint en cette fin d’année 2020.
II. Une nécessaire relance au point de vue conjoncturel et restructuration au point de vue structurel ?
Il s’agit dans cette seconde section de s’attacher successivement à la réponse des pouvoirs publics au plus fort de la crise (A) et aux mesures de relance de l’activité (B). Il s’agit à la fois d’éviter le risque d’une dépression économique à court terme et d’engager des restructurations économiques à long terme.
A. Une relance qui passe par les soutiens publics au plus fort de la crise
Nous considérons successivement les conséquences potentielles du PGE (prêt garanti par l’État) et l’impact fiscal possible de la crise. Il convient d’insister sur le fait que les mesures de soutien annoncées dès le mois de mars avaient une double finalité à la fois en termes de demande et en termes d’offres. En matière de demande il s’agissait de fournir au travers de l’indemnisation du chômage partiel un moyen de remplacer les salaires qu’allaient perdre les salariés à cause du confinement et donc éviter une baisse trop nette de la demande et de prévenir des risques sur la solvabilité des ménages. En matière d’offre, il s’agissait d’éviter des licenciements de façon à préserver les compétences des firmes et de ne pas obérer leurs chances au moment de la reprise.
Les garanties d’État et les entreprises zombies
Au-delà même de la relance les craintes portent sur deux facteurs immédiats. Le premier à très court terme tient à l’effet anesthésiant des crédits publics, par l’intermédiaire notamment la mise en œuvre du prêt garanti par l’Etat [5], avec la problématique des entreprises zombies (voir illustration infra). Le second porte sur la peur d’un mur de faillites quand les aides vont cesser.
L’effet préventif ou retardant des aides sur les possibles défaillances d’entreprises a été analysé par les travaux de l’OFCE [6] : « Le dispositif d’activité partielle, mis en place par le gouvernement, a été très efficace pour limiter les défaillances. En prenant en charge une partie de la masse salariale des entreprises, ce dispositif réduit considérablement le nombre d'entreprises insolvables. Sans lui, la part d’entreprises défaillantes serait passée de 3,2 % à 4,4 % en janvier 2021 et 4,6 % un an après le confinement, une valeur deux fois plus importante que celle attendue sans la crise. Sur le million d’entreprises étudiées, ce sont ainsi 12 000 qui sont restées solvables grâce au dispositif d’activité partielle ».
Le risque classique en économie en pareille situation est un double risque d’anti-sélection et d’aléa moral. Ne risque-t-on pas de soutenir en vain des canards boiteux ? Des entreprises peuvent-elles rester artificiellement sur le marché sans activité pour bénéficier des soutiens ? Cela retarde la réallocation du capital [7] et conduit à utiliser de façon sous-optimale des financements publics.
Cependant, les aides peuvent être considérées de façon plus favorable dès lors que la problématique est envisagée selon le dilemme rentabilité /solvabilité. Pour l’OFCE, « parmi les entreprises exposées au risque de faillite se trouvent des entreprises économiquement viables. Il est vraisemblable que leur fragilité provienne d’un niveau d’endettement initial important augmentant d’autant les coûts fixes ou d’une trésorerie trop faible sanctionnant tout écart de performance. »
Dans ce cadre-là, les aides sont légitimes et permettent de pallier une imperfection de marché. Leur coût budgétaire s’élève à 8 milliards d’euros.
Mais le plus grand risque, ce sont les entreprises zombies. Ce dernier définit les entreprises zombies à partir de l’expérience japonaise des années 1990 : « Les entreprises zombie ne sont pas un phénomène nouveau. Les entreprises marginalement rentables ont occupé une place importante dans la “décennie perdue” du Japon dans les années 1990. Elles ont depuis gagné du terrain dans le reste du monde. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), qui regroupe plusieurs banques centrales, près d’une entreprise sur six cotées en bourse dans les pays riches pouvait être classée comme zombie à l’approche de la pandémie, contre environ une sur vingt dans les années 1980. Il s’agit d’entreprises qui ne génèrent pas suffisamment de revenus pour payer les intérêts de leurs emprunts pendant trois années consécutives et dont les valorisations sont faibles, ce qui laisse entrevoir des perspectives moribondes [8] ».
La crainte de favoriser cette possibilité est l’une des critiques faites au PGE (300 milliards euros). Les risques (qui sont démultipliés comme au Japon il y a trente ans par des taux d’intérêt réels négatifs) sont les suivants : une concurrence faussée sur le marché des biens et des services, des risques additionnels pour les comptes des banques, un poids croissant pour le budget public et surtout en termes de dynamique économique un retard de modernisation.
Il convient enfin de noter que le PGE n’est pas le seul dispositif de soutien des entreprises mis en place durant la crise. Les entreprises peuvent également s’appuyer sur le fonds de développement économique et social (FDES) pour aider les restructurations financières, les prêts bonifiés et les avances remboursables pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire, les prêts participatifs pour les TPE [9]et enfin des facilitations en termes d’affacturage.
Dette publique et équivalence ricardienne
Il convient également de prendre en considération l’impact négatifs sur la relance des risques perçus par les acteurs économiques et notamment les ménages liés au remboursement de la dette. Ces derniers peuvent anticiper (de façon adaptative ou rationnelle) de futures hausses des impôts et des prélèvements sociaux pour rembourser la dette qui devrait selon les estimations passer de 98 à 120 % du PIB. C’est la classique équivalence Barro / Ricardo en économie : Impôt (immédiat) et déficit génèrent les mêmes conséquences économiques dès lors que les agents économiques forment des anticipations rationnelles, ce qui neutralise théoriquement la relance escomptée d'un programme de dépenses publiques [10].
En effet, la crise s’est traduite, du moins dans sa première phase, par une épargne forcée [11] et une épargne de précaution des ménages et ce dans toute l’Europe comme le montrent les données OFCE [12]. Il est d’ailleurs à noter qu’en pourcentage du PIB l’épargne additionnelle est bien plus élevée au Royaume-Uni qu’en France.
Cette épargne (qui a été en grande partie causée par la baisse contrainte de la consommation qui a été liée aux confinements) est souvent dénoncée comme un obstacle à la reprise. Elle résulte également en grande partie de la prise en compte par les ménages de deux types de risques que sont la crise à venir : l’anticipation, comme nous l’avons noté supra, d’une forte hausse de la pression fiscale résultant de la dégradation spectaculaires de comptes publics qui étaient déjà fortement déséquilibrés avant la crise, mais aussi la crainte d’une nette dégradation de la conjoncture économique et de l’emploi quand les dispositifs d’aides aux entreprises vont cesser…
Ceci plaiderait en première approximation pour une pérennisation des soutiens mais elle se paie non seulement par le risque de maintenir artificiellement en vie des activités improductives ou non viables mais aussi par une aggravation inexorable de la pression fiscale. Or, les fonds publics ont un coût : coût de collecte et impact sur les incitations des entreprises et ménages imposés. Le coût des fonds publics est communément évalué en France à 1,2 [13]. En d’autres termes, un euro d’argent public coûte 1,2 euro à l’économie. Il faut donc que son « rendement » (ou son effet multiplicateur) dépasse 1,2 pour que la mesure publique soit « efficace » économiquement [14].
Sans revenir à la « controversée » Courbe de Laffer des années 1980 [15], cet effet désincitatif et coûteux de l’impôt est d’autant plus fort que le taux de prélèvements publics est élevé. Il l’est particulièrement en France comme le montrent les données INSEE. Le taux de prélèvements obligatoires est en effet passé de 30 % en 1960 à 45 % en 2018 (il est constamment supérieur à 40 % depuis 1981).
Le taux des prélèvements obligatoires en 2017 en France était tout simplement le plus élevé de l’UE. Des mesures de soutien ou de relance sont d’autant contrecarrées par de possibles anticipations « rationnelles » des agents économiques.
Or, comme l’indique le projet de loi de finances 2021 et comme nous l’avons vu avec les projections de l’OFCE, l’impact de la crise sur les comptes publics sera très sensible [16]. Le déficit 2020 sera supérieur à 10 % du PIB et le déficit 2021 était déjà prévu à 6,7 % avant l’arrivée de la deuxième vague.
B. Des conditions d’efficacité à prendre en considération
Une part significative des financements publics passe par des mesures de soutien. La question de leur efficacité est déjà centrale. Dès lors que l’on passe aux dimensions reliées à la relance, la question de l’efficacité de la gestion publique et de la dépense publique se pose avec encore plus d’acuité. La question préexistait à la crise comme le montre le rapport de la Cour des comptes Finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance, rendu public le 18 novembre 2020.
L’efficacité d’une relance n’est pas limitée à des dimensions conjoncturelles dans lesquelles il suffirait de réamorcer la pompe dans une logique de keynésianisme naïf. Une relance efficace économiquement passe par des politiques structurelles et non pas seulement conjoncturelles. Comme le note Jean-Luc Gaffard : « Les mesures requises de politique économique doivent satisfaire une double exigence, celle de stabilisation immédiate et celle de transformation structurelle. Il convient, certes, de massivement soutenir financièrement entreprises et ménages. Mais ce serait un leurre et une faute que de croire pallier ainsi les difficultés structurelles quitte à augmenter sans limite dépenses et dettes publiques, ou de persister, sans l’avouer ouvertement, dans la mise en œuvre des politiques dites de compétitivité et de flexibilité. La crise sanitaire devrait agir comme détonateur des réformes institutionnelles à même de permettre aux différents acteurs de sécuriser leurs choix à long terme et de construire l’avenir en commun ».
En effet, il s’agit de ne pas ramener la crise à une fluctuation conjoncturelle aussi extrême soit-elle. Des mesures transitoires (de nature financière) ne peuvent permettre un retour à la normale… laquelle d’ailleurs était loin d’être satisfaisante et pérenne en termes économiques, comme nous l’avons vu dans notre première partie.
C’était déjà la conclusion, dans une optique bien moins interventionniste mais convergente sur le fond, du trimestre européen de février 2020 : « Des réformes et des investissements ciblés dans les compétences, les infrastructures numériques et la recherche et l’innovation ont le pouvoir de générer des gains de productivité dans l’économie. Selon le Conseil national de productivité, la faible croissance de la productivité des entreprises françaises peut en partie s’expliquer par des facteurs communs à la plupart des pays de l’UE. D’autres facteurs, spécifiques au pays, sont également en cause, tels que le niveau de compétences comparativement faible de la main- d’œuvre, un faible taux de pénétration des technologies de l’information et de la communication et des performances sous-optimales en matière d’innovation. La mise en œuvre de plusieurs plans d’investissement ainsi que les efforts de réforme en cours contribueront à résoudre ces problèmes. Il faudra toutefois du temps pour que ces mesures exercent pleinement leurs effets sur la productivité ».
Pour autant, comme le relève Jean-Luc Gaffard [17], les réformes structurelles en question ne peuvent pas (seulement) tenir à des politiques visant à réduire le poids de l’intervention publique per se et à flexibiliser les marchés. Non seulement les restructurations du système productif prennent du temps et ne peuvent ni simultanées ni instantanées mais chaque acteur fait face à titre individuel non pas à une situation de risque mais à une situation d’incertitude. Des anticipations fiables sur le long terme à même de déclencher des décisions d’investissements en pareil contexte ne peuvent reposer sur les seuls signaux de prix de court terme donnés par le marché.
La relance doit être un outil de modernisation et de restructuration de l’économie française. Même si elle n’a pas l’importance qu’elle mériterait la partie « investissement » des plans de soutien et de relance français est appelée à s’accroître en 2021.
Cette relance doit donc s’articuler dans le cadre d’une stratégie économique pérenne. Il s’agit en d’autres termes, de favoriser au travers de l’intervention publique la réallocation du capital mais sur des avantages productifs durable. Les éléments sur la souveraineté industrielle, sur la ré-industrialisation ou encore les entreprises stratégiques peuvent s’intégrer dans cette stratégie mais l’enjeu n’est pas de rapatrier des industries d’hier où l’avantage coût joue significativement en notre défaveur et qui de surcroît sont polluantes. Il s’agit donc de favoriser, au travers de l’intervention publique une restructuration de notre économie, notamment à des fins de transition écologique.
De nombreux enseignements peuvent être triés de l’économie industrielle. Un premier fait écho au problème général des aides publiques : les aides à l’exploitation ne créent pas d’incitations, elles ont un effet d’éviction, favorisent la recherche et la capture de rentes et ne font au final que retarder l’ajustement productif… en détournant les ressources publiques d’utilisations où elles seraient plus productives. Un deuxième enseignement est que les financements publics doivent viser à favoriser les activités amont (notamment R&D). Ils doivent participer au développement d’infrastructures générateurs d’externalité positives pour les investissements privés comme le très haut débit par fibre ou encore la 5G. De surcroît l’intervention publique même au travers de la commande publique peut viser à renforcer les coopérations inter- entreprises. Il est nécessaire de favoriser les complémentarités de mettre en place des coordinations qui ne soient ni dirigistes ni anticoncurrentielles. Les échos avec l’après-guerre sont nombreux. L’Etat peut viser à développer une stratégie d’une coordination et le Plan peut jouer ce rôle.
Comme le relève Jean-Luc Gaffard, une coordination peut passer par des pratiques qui sont souvent dénoncées comme revenant à des imperfections de marché. Il peut s’agir de contrats de long terme mais aussi de moyens de prendre des décisions non plus en situation d’incertitude mais au moins de risque. La coordination est nécessaire pour des investissements complémentaires. Elle peut passer par un tiers qui peut être l’État qui peut conforter les anticipations des parties comme le faisait le MITI au Japon et le Commissariat Général du Plan en France.
Il convient enfin de développer une stratégie d’attractivité des territoires : les financements publics doivent être dans une logique de construction d’avantages compétitifs, d’effets d’agglomération… condition sine qua non pour qu’ils soient pérennes. Les flux d’investissements étrangers en France sont encore moins importants que les flux d’investissements français à l’étranger (voir les données INSEE 2020). Il faut les renforcer et surtout les stabiliser.
Il s’agit de réduire une intervention qui limite l’État a un rôle de brancardier et de financeur automatique des difficultés conjoncturelles pour renouer avec des objectifs de renforcement de la compétitivité hors prix des entreprises. Cela passe par l’assainissement des comptes publics, une politique de concurrence forte, des réformes structurelles de nature à renforcer la compétitivité de notre économie et enfin une commande publique efficace.
La commande publique est non seulement un vecteur essentiel de la relance mais peut aussi être un vecteur essentiel de restructuration si elle s’appuie sur acheteurs public doté d’une forte expertise technique, d’une rationalité de long terme et doté de priorités et de stratégies qui ne se limitent pas à une logique de seule minimisation des coûts. La commande publique sous la Quatrième et sous les débuts de la Cinquième République participait de cette logique de modernisation et de recherche de compétitivité. Cela suppose un Etat capable de se donner des priorités et de coordonner les investissements des firmes ou a minima de construire un cadre favorable et non sclérosant au travers de son poids fiscal ou d’une réglementation excessive.
Pour autant la problématique n’est pas seulement celle des grands projets ou celle des champions nationaux. La relance (ou la restructuration) passe par des projets plus modestes et suppose également un accès aux PME pour vivifier le tissu industriel français (qui est très faible à cet égard par rapport à celui de l’Allemagne, de la Suisse ou de l’Italie du Nord).
Cela suppose de réfléchir aux conditions du recours aux marchés publics dans le cadre du soutien à l’activité et de la relance.
L’encadrement de la commande publique a fait l’objet de plusieurs avancées dans le cadre du plan de relance. C’est notamment le cas du décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020, relatif aux avances dans les marchés publics (N° Lexbase : Z3042893). Il pérennise les mesures introduites par l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5734LWB). Il supprime le plafond de 60 % des avances qui était alors de 60 % du montant du marché. De la même façon, il supprime l’obligation de constituer une garantie.
Au-delà de ces mesures, le plan de relance va pour une grande part passer par la commande publique. Celle-ci étant devenue plus aisément accessible aux PME. Deux textes ont contribué à cette facilitation d’accès. Un décret du 22 juillet 2020 a tout d’abord relevé le seuil au-delà duquel il est besoin de lancer un marché public pour les travaux (de 40 000 à 70 000 euros) (décret n° 2020-893 N° Lexbase : L7038LXX). Une ordonnance du 17 juin 2020 (ordonnance n° 2020-738, portant diverses mesures en matière de commande publique, prise sur le fondement de la loi n° 2020-319 du 25 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L4300LXK) avait également facilité l’accès aux PME et même aux entreprises en redressement. Tout d’abord, un plancher de 10 % du marché global aux PME et artisans. Ensuite, tout candidat pour être sélectionné doit sous-traiter à des PME. Pour ce qui est des entreprises en redressement, elles sont désormais admises à postuler à la commande publique, alors qu’avant, elles en étaient exclues. De la même façon, l’impact de la crise sur le chiffre d’affaires des entreprises ne peut pas être pris en compte comme critère de sélection.
Le plan de relance se distingue comme nous le verrons infra de la relance de 2008-2009 par la place accordée aux PME et aux collectivités locales qui constituent une part essentielle de la commande publique mais aussi de l’investissement public. Sur les 100 milliards consacrés à la relance, celles-ci vont recevoir 9 milliards de dotations d’investissement.
La question de l’accès des PME et / ou des entreprises locales fait écho aux débats sur le Small Business Act à la française. Il peut en tout état de cause être favorisé par deux facteurs. Le premier est l’accent mis sur la rénovation énergétique dans le plan de relance. Le second est – peut-être du fait même des contraintes liées aux délais – un accent mis sur le financement de nombreux projets et non de quelques grands projets.
La question des effets de la polarisation de la commande publique sur de grands projets a souvent été posée dans la littérature économique. Si elle peut avoir quelques avantages par rapport à un saupoudrage, elle peut présenter des faiblesses non seulement en termes d’utilité socio-économiques des investissements mais aussi de retombées sur l’ensemble du tissu industriel. Cette question est celle qui caractérise de nombreux contrats globaux. Il peut être à ce titre intéressant de comparer la relance actuelle et ses vecteurs possibles avec les marchés de partenariats (alors contrats de partenariats) typiques de la relance par l’investissement de 2008.
Ces contrats présentaient les avantages propres à une logique d’effet de levier des investissements privés mais en dehors de qualités indéniables en termes de contractualisation de la performance et de réponse à des écueils traditionnels de la commande publique (dépassement des coûts et/ou des délais et possible non atteinte des objectifs initiaux en termes de performance), cette voie contractuelle est moins de mise dans le contexte actuel. Premièrement, le contexte financier qui prévalait entre 2008 et 2012 était différent. La question financière ne se pose plus de la même façon quand les taux d’intérêt réels sur la dette publique sont négatifs. Les financements privés ne sont plus nécessaires comme ils l’étaient alors.) Deuxièmement, ces contrats étaient très longs à mettre en œuvre, notamment du fait de leur complexité (mise en œuvre d’un dialogue compétitif etc…) et des contraintes (essentielles) de l’évaluation préalable (évaluation comparée des modes de réalisation et vérification de la soutenabilité budgétaire des engagements). Troisièmement, ils posaient, malgré cette évaluation préalable, le problème essentiel de la sélection des investissements notamment en matière d’évaluation de l’utilité socio-économique des investissements (surdimensionnement, éléphants blancs, biais de bancabilité …) et créaient par leur durée et leur complexité même des phénomènes de vulnérabilité en regard de l’irréversibilité des renégociations et d’irréversibilités budgétaires [18].
Dans le cadre du plan actuel, le saupoudrage peut avoir son efficacité.
Premièrement, il renforce la place des collectivités locales lesquelles sont a priori mieux placées pour l’évaluation des besoins).
Deuxièmement, il prend en compte le fait que les effets économiques positifs sont souvent plus forts pour les infrastructures secondaires que pour les grandes infrastructures. Ces deux premiers points méritent une discussion spécifique.
En effet, les investissements publics lancés à des fins de soutien de l’activité, de renforcement de l’attractivité des territoires ou de relance par les investissements portent souvent sur des projets greenfield [19]. Ce sont des projets visibles, tangibles et valorisables dans une logique de promotion de l’action publique bien plus que des projets d’amélioration des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement ou des projets de rénovation énergétique des bâtiments publics. Or, ces nouveaux investissements peuvent être sous-utilisés et ne créent pas en eux-mêmes une utilité collective [20]. La dépense budgétaire peut avoir un effet positif pour l’entreprise qui en bénéficie (et donc avoir un intérêt en termes de soutien à l’activité) mais s’avérer négative en termes de bien-être social, dès lors que ses retombées sont moindres que le coût des fonds publics investis [21]. Les raisons peuvent en être multiples. Elles peuvent venir de biais des décideurs en faveur des projets « emblématiques » mais aussi des difficultés à prévoir la fréquentation de grandes infrastructures sur des horizons temporels très éloignés, laquelle va à la fois dépendre de l’activité macroéconomique, de la réalisation d’équipements publics complémentaires et d’investissements privés qu’il va être impossible de séquencer et de coordonner. [22]. À l’inverse, les projets de taille plus modeste (des routes secondaires, des infrastructures de transport locales) sont moins sujettes à ces erreurs d’anticipation par leur nature même et du fait d’un horizon temporel plus raisonnable [23].
La littérature économique montre que les biais dans les choix d’investissements en faveur des grands projets ne sont pas prévenus par les évaluations ex ante [24]. Ce risque serait d’autant plus significatif dans notre situation où la relance se fait dans des délais qui ne permettent pas de procéder avec les mêmes règles que pour les investissements réalisés dans le cadre du Plan Juncker et du Programme d’investissements d’avenir (PIA) [25] et où il s’agit à la fois de soutenir l’activité d’un tissu économique de PME et de s’inscrire dans une politique environnementale. Cela nous conduit à considérer la troisième caractéristique du plan actuel.
Troisièmement, il permet de mieux cibler les projets brownfield et les projets de rénovation énergétique qui sont l’une des priorités des pouvoirs publics dans le cadre de leur politique de transition écologique.
Quatrièmement, il reconnait le besoin articulation avec l’Etat qui peut porter stratégie d’ensemble de coordination des efforts de tous et de restructuration industrielle. Ce dernier point est essentiel. La dépense publique par les investissements ne créé pas de l’efficacité en elle-même. Un investissement improductif est une perte sèche pour l’économie. Comme le note Jean-Luc Gaffard [26] : « Il est nécessaire de réformer les procédures de gestion [des choix d’investissements publics] de manière à garantir que les dépenses publiques d’investissement ne se résument pas à une distribution de revenus déclenchant une hausse des consommations courantes via un effet multiplicateur, mais concourent par leur complémentarité au développement de dépenses privées d’investissement ».
[1] Commission européenne, (2020), Document de travail des servies de la Commission – Rapport 2020 pour la France, Semestre européen 2020: évaluation des progrès concernant les réformes structurelles, la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, et résultats des bilans approfondis au titre du Règlement (UE) n° 1176/2011, , Bruxelles, 26 février, SWD(2020) 509 final.
[2] Heyer E. et Timbeau X., (2020), Perspectives économiques 2020-2021, OFCE Policy Brief, 78, 14 octobre 2020.
[3] La situation de l’industrie reliée aux activités de transports est d’autant plus déterminante que celle-ci est étroitement liée à l’activité (notamment celle en lien au transport aérien) et peut être affectée par des évolutions fiscales et réglementaires relatives à la politique environnementale. Ce faisant, ces activités se caractérisent par une double vulnérabilité.
[4] Heyer E. et Timbeau X., (2020), op.cit.
[5] Le PGE consiste en un dispositif de garanties publiques permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises. D’un montant de 300 milliards d’euros celui permettra jusqu’au 30 juin 2021 d’obtenir pour les entreprises un prêt pouvant atteindre 3 mois de chiffre d’affaires 2019 ou 2 années de masse salariale.
[6] Guerini M., Nesta L., Ragot X., Schiavo S. 2020, Dynamique des défaillances d'entreprises en France et crise de la Covid-19, Sciences Po, OFCE Policy Brief, n°73.
[7] Les entreprises zombies ne sont pas près de mourir, Le Nouvel économiste, 5 octobre 2020.
[8] Les petites entreprises ne pouvant accéder facilement au PGE peuvent obtenir des prêts « junior », à rembourser en 7 ans.
[9] Brand T., (2007), Dette et fiscalité selon Barro, Regards Croisés sur l’Economie, 2007/1, pp. 135-137;
[10] Le premier confinement s’est traduit par une contraction de la demande de 30 %.
[11] 38 milliards d’euros en Italie, 62 en France, 76 en Allemagne et 89 au Royaume-Uni.
[12] Beau M., (2008), Le coût social marginal des fonds publics en France, Annales d’Economie et de Statistique, n° 90, pp. 215-232.
[13] On ne se place ici que sur le seul volet de l’efficacité et non sur celui de la répartition… ce qui a bien entendu un fort impact en termes de politique économique et ne saurait donc être tenu pour neutre en termes de choix publics
[14] Minea A. et Villieu P., (2009), Impôt, déficit et croissance économique : un réexamen de la courbe de Laffer, Revue d’Economie Politique, 2009/4, vol. 119, pp. 653-675.
[15] PLF 2021, La relance, site du Minefi.
[16] Gaffard J.L., (2020), De la crise sanitaire à la crise économique ou la double exigence, GREDEG Working Papers 2020-41, Groupe de Recherche en Droit, Economie, Gestion (GREDEG CNRS), Université Côte d'Azur.
[17] Gaffard J.-L., (2020), Ibid.
[18] Marty F. et Saussier S., (2018), Le phénix renaîtra-t-il de ses cendres ? Réflexions sur le recours des collectivités territoriales aux marchés de partenariat public-privé , Revue d'Economie Financière, 132, 2018-4, pp. 129-148.
[19] Construction d’une nouvelle infrastructure ou d’un nouvel équipement par opposition aux projets brownfield qui consistent en la rénovation d’une infrastructure existante
[20] Rodriguez-Pose A., Crescenzi R. and Di Cataldo M., (2018), Institution and the Thirst for ‘Prestige’ Transport Infrastructure, in Gückler J. et al., eds., Knowledge and Institutions, Springer, pp. 227-245.
[21] Acemoǧlu D. and Dell M., (2010), Productivity differences between and within countries, American Economic Journal: Macroeconomics, 2(1), pp. 169-188;
[22] Flyvbjerg B., (2009), Survival of the unfittest: Why the worst infrastructure gets built – and what we can do about it, Oxford Review of Economic and Policy, volume 25, pp. 344-367.
[23] Ottaviano G.I.P., (2008), Infrastructure and Economic Geography: An Overview of Evidence, European Investment Bank Papers, 13(2), pp. 8-35.
[24] Flyvbjerg B., (2009), op. cit.
[25] C’est la mission du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) qui est chargé de la mise en œuvre du Programme d'investissements d'avenir (PIA) et qui assure également l'évaluation socio-économique des grands projets d'investissement public ainsi que la coordination du plan d'investissement européen (« Plan Juncker »).
[26] Gaffard J.-L., (2020), op. cit.
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par Jean-Claude Ricci, Agrégé des facultés de droit, Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille
Le 05 Mai 2021
Je voudrais, en commençant ce rapport de synthèse, saluer, remercier et féliciter en particulier M. le Bâtonnier Marc Ringlé ainsi que son équipe pour avoir permis la tenue de ces Rencontres, en dépit de circonstances très difficiles, cela avec la complicité merveilleuse de la technologie la plus moderne.
Les organisateurs de ces Rencontres 2020, toujours fidèles à leur double objectif de coller au plus près de la réalité et de réfléchir à d’importantes questions pratiques, ont choisi le cadre de l’épidémie de Covid-19 pour y étudier les incidences que la crise du Covid a sur les contrats publics.
Cette crise, qui a commencé à l’automne 2019 pour se répandre à partir du mois de janvier 2020, puis de devenir pandémie avant, sans doute, de persister encore longtemps au moins à l’état endémique, revêt des traits uniques et singuliers. Par son caractère à la fois sanitaire, international, brutal et potentiellement mortel, touchant à peu près d’un seul coup l’ensemble de la France et des autres pays dans leurs activités les plus diverses, cette crise soulève des interrogations parfois inédites et cela dans de nombreux domaines dont celui de la santé n’est pas le moindre.
Au cours de cette journée – s’agissant des rapports de la crise sanitaire et du contrat public - nous nous sommes attachés d’abord à scruter ce que la crise fait aux contrats (I) ; ensuite, seront examinées quelques leçons pouvant être tirées de la crise sanitaire (II).
I. L’incidence de la crise sanitaire sur les contrats publics
Ce n’est bien évidemment pas la première fois que notre pays, et les autres, se trouvent confrontés à un bouleversement sociétal de grande ampleur et, dans le passé, les juristes et les responsables ont eu à gérer et à réparer les conséquences de crises, y compris sanitaires, très graves ainsi que l’a souligné M. le Président B. Dacosta.
Avant d’aller plus loin, je rappelle trois choses pour n’avoir plus à y revenir car elles sont transversales dans la thématique de cette journée.
1°/ Il est entendu que ce qui suit s’ajoute aux diverses simplifications et accélérations procédurales prévues par plusieurs textes depuis mars 2020. Elles ont été déjà développées durant cette journée.
2°/ Il faut se souvenir ici des innombrables difficultés liées, d’une part, à l’impréparation, au silence ou au comportement confus des contractants publics envers leurs partenaires, et, d’autre part, aux tracas engendrés par les précautions sanitaires en termes de temps, de coûts, de contrôle de leur respect, etc.
3°/ Ne perdons pas de vue, enfin, M. Delaloy l’a souligné, la complexité de la question du financement des surcoûts résultant de la crise : quel rôle pour les compagnies d’assurances ? Quelle prise en charge par les entreprises ? Quelle indemnisation par les cocontractants publics ou – pourquoi pas ? - par la solidarité nationale ?
Pour faire simple on peut distinguer chronologiquement trois séries de situations qu’ont illustré maints exemples donnés au cours de la table-ronde de fin de matinée. Au reste cette tripartition s’inspire des dispositions de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB) qui fixe, pour la durée de la crise, des règles et des principes d'adaptation du droit des contrats publics, qu’ils soient soumis ou non au code de la commande publique.
A. Les contrats en cours de négociation ou de conclusion au moment de la crise
Au stade de la négociation, l’accord ou même l’absence d’accord entre les candidats et le partenaire public pour interrompre cette phase ou pour la poursuivre ne devrait pas soulever de trop grandes interrogations.
Au stade de la conclusion du contrat, si son objet et/ou ses caractéristiques permettent la conduite de cette conclusion jusqu’à son terme car ni la procédure engagée ni le contenu du contrat ne sont affectés, il n’y aura, bien évidemment, pas de problème particulier.
En revanche, plus complexe est le cas où, d’évidence, ce qui a été entamé soit ne peut plus être poursuivi soit ne peut l’être qu’au prix de modifications substantielles de tous ordres possibles (durée, nature des prestations, leur volume, lieu d’exécution, etc.). En cette hypothèse, il sera encore plus malaisé d’envisager sa poursuite si les candidats et le partenaire public ne sont pas d’accord entre eux pour cela. Et, lorsqu’ils en sont d’accord, l’attitude des concurrents évincés est un facteur important, intéressés qu’ils sont à ce que les modifications voire le bouleversement de l’architecture contractuelle, soient adéquats et proportionnés à la situation nouvelle.
B - Les contrats déjà conclus et/ou en cours d’exécution au moment de la crise
Brevitatis causa, ceux-ci se rangent, me semble-t-il, en trois catégories.
De la première catégorie il n’y a rien à dire ici puisqu’elle concerne les contrats conclus antérieurement à l’épidémie dont l’exécution se poursuit pendant la crise sans difficultés particulières et aux conditions d’origine.
Une deuxième catégorie fait un peu plus difficulté, c’est celle où les parties contractantes conviennent d’interrompre l’exécution du contrat en cours en raison de la situation nouvelle et d’en reporter la poursuite d’exécution à des jours meilleurs. Encore faut-il, en ce cas, qu’un motif quelconque ne vienne pas contrecarrer la volonté des contractants, par exemple si des tiers sont intéressés, au contraire, à la poursuite du contrat, tels les usagers du service, les fournisseurs de celui-ci, les créanciers, etc. Cela se présente assez souvent dans la mesure où, en réalité, dans les contrats publics, les tiers, parfois plus que les cocontractants, sont intéressés par l’objet du contrat et donc par sa poursuite.
La troisième catégorie est des plus délicates puisqu’elle concerne la poursuite des contrats en cours bon gré mal gré en raison d’impérieux motifs comme celui de la continuité du service public ou du caractère vital de l’activité privée concernée par ces contrats et donc par leur interruption, tels les approvisionnements les plus divers (énergie, alimentation, pharmacie et produits de santé, banque, assurance, etc.).
C. Les contrats nés de la crise
Ici, la chronologie s’inverse puisqu’il n’existe aucun contrat non plus qu’aucune procédure de formation d’un contrat avant que ne surviennent les effets de la crise. Au contraire, c’est d’elle que les contrats vont naître.
Ici aussi, les situations sont très diverses.
Tantôt il ne s’agira que de contrats destinés à gérer des besoins très classiques nés de la crise : transporter des malades atteints du covid-19, fournir des bouteilles d’oxygène, approvisionner les distributeurs de billets de banque, etc. ne requiert pas en soi des formes ou des modalités contractuelles originales sauf un facteur et quel facteur, l’urgence.
Tantôt il faudra contracter sur des objets spécifiquement et directement tributaires de la crise ou commandés par elle, en particulier pour tout ce qui a trait à la satisfaction des besoins de première nécessité.
Dans l’une et l’autre de ces deux situations, la nécessité d’aller vite, la masse des besoins à satisfaire, la diversité des éléments à fournir, le tout sur fond de dramatisation par les media et d’angoisse des individus, conduisent bien évidemment à faire montre d’une très grande souplesse dans les procédures en sautant, le cas échéant, des étapes ou en se dispensant de satisfaire telle ou telle exigence car, en ces cas, selon l’aphorisme de Maurice Hauriou que le Doyen Jean Boulouis (1927-1997) aimait tant nous citer quand nous étions sur les bancs de la Faculté : « C’est bien joli les lois mais il s’agit de ne pas être morts avant qu’elles ne soient faites ».
Toutefois, il demeure toujours cette règle que, d’une part, doit être établie la réalité de la crise ainsi que l’étendue de ses incidences au cas d’espèce, et d’autre part, les accommodements juridiques doivent être adaptés et proportionnés à la fois au degré de gravité des effets de la crise et à leur durée.
Ce ne sont là pas d’autres choses que les lignes générales gouvernant la jurisprudence sur les circonstances exceptionnelles.
Pour conclure sur ce point, je formule quelques regrets.
Peut-être aurait-on pu jeter un œil comparatiste du côté des contrats privés conclus entre particuliers ou par l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements et dont le contentieux relève du juge judiciaire ?
Peut-être également, aurait-il fallu sans doute se pencher sur les contrats d’agents publics en cas de crise notamment s’agissant des recrutements, de la durée du travail et de la rémunération ?
Peut-être encore aurions-nous pu tenter de réfléchir à ce que devient, en pareille occurrence, la liberté contractuelle ? Notamment jusqu’à quel point les contraintes législatives et réglementaires permettent-elles encore, dans ces situations de crise, de parler véritablement de « contrats » ? Et le régime de responsabilité en découlant éventuellement, est-il celui de la responsabilité contractuelle ou celui de la responsabilité quasi-délictuelle ?
Enfin, nous aurions pu nous interroger sur le fossé existant entre le fort contentieux suscité par le droit des libertés face à la législation anti-covid et sa faiblesse extrême en matière contractuelle, même si Mme la Présidente Ghislaine Markarian nous a laissé entrevoir un certain développement futur de ce dernier contentieux
Mais, nous le savons bien, on ne peut tout dire dans un colloque…
II. Et demain, quel futur pour les contrats publics de crise ?
Quelles leçons, dans le futur, faut-il ou peuvent-elles être tirées de la crise sanitaire quant au régime des contrats ?
Après deux séries de remarques, générales mais importantes (A), nous indiquerons ce que l’on pourrait retenir des propositions qui ont été faites (B).
A. Sur deux séries de remarques générales
La première série de ces remarques concerne l’état actuel des solutions juridiques palliatives dont disposent déjà les contractants face à une crise (a). La seconde série de remarques se veut, elle, plutôt prospective (b).
a. Les possibilités déjà ouvertes aux contractants
Il faut rappeler que nous ne partons pas de rien en ce qui concerne le sujet de ce jour. Il y a d’abord la voie unilatérale (ce qui peut surprendre en matière contractuelle) permettant la prise d’un certain nombre de décisions relatives au droit des contrats en temps de crise y compris les réquisitions et les contractualisations forcées évoquées par M. le directeur Ch. Touboul.
Ensuite, outre les constructions jurisprudentielles bien connues de l’imprévision et de la force majeure contractuelle comme celle des travaux supplémentaires, les textes prévoient déjà la possibilité d’inclure dans les contrats publics des clauses de variation des prix qui permettent de réduire le moment du déclenchement de la théorie de l’imprévision voire de supprimer le besoin d’y recourir.
Également, il est loisible de prévoir dans le contrat des autorisations de prorogation des délais d’exécution ou autres et d’en fixer contractuellement les conditions. Cela est d’autant plus aisé qu’existent dans le Code de la commande publique et que fonctionnent les théories des « circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » (cf. CCP art. L. 2194-3 N° Lexbase : L7167LQI et R. 2194-5 N° Lexbase : L4268LRI) et de l’« urgence impérieuse » (cf. CCP art. R. 2122- 1 (N° Lexbase : L2625LRN).
Encore, s’offre la possibilité, d’une part, d’inclure dans le contrat des clauses de réexamen à condition de bien les rédiger (les magistrats me comprendront), d’autre part, de conclure des avenants tels les avenants de substitution, les avenants de modification pour circonstances imprévues (CCP, art. L. 2194-1 N° Lexbase : L4685LRX) ou des avenants pour travaux, services ou fournitures devenus nécessaires. Dans le même ordre d’idées – en dehors de toute disposition contractuelle - peuvent être invoqués des motifs d’intérêt général qui permettent de s’affranchir des règles de publicité et de mise en concurrence dès lors que, dans les circonstances de l’espèce, il est établi que l’intérêt général est mieux assuré par le non-respect de ces règles que par leur respect (cf. CCP, art. L. 2122-1 N° Lexbase : L0687LZH). Exactement comme pour la résiliation du contrat, qui est possible si elle est compatible avec l’intérêt, inopportune dans le cas contraire.
Enfin, il faut savoir être inventif, faire preuve d’imagination, ne pas attendre l’intervention de textes, comme l’attestent, par exemple, l’expérience si bienvenue du recours à la médiation administrative décrite par M. Jean Grataloup ou celle de la continuité de l’action publique maintenue absolument, telle l’attitude de la région PACA rappelée par M. Laurent Besozzi.
Tout ceci n’est donc pas rien, et il importe de s’en souvenir au moment d’évaluer certaines des propositions qui nous sont faites.
b. Des remarques plus prospectives
Elles me paraissent pouvoir être rassemblées en trois observations
1ère observation. La prochaine crise risque d’être fort différente, dans ses caractères comme dans ses effets, de celle que nous sommes en train de subir et à vouloir être trop précis, trop prévoyants dans la rédaction des clauses, nous courrions le risque d’avoir des solutions toutes prêtes mais inadaptées. Deux crises sanitaires ne se ressemblent pas forcément.
Ainsi, l’actuelle crise dure, à ce jour, depuis une quarantaine de semaines soit la durée cumulée de quatre à cinq épidémies saisonnières de grippe, ces dernières oscillant autour d’une durée moyenne de huit à dix semaines. En France, une saison de grippe provoque, en moyenne, douze à treize mille morts. Si l’on multiplie ce chiffre par quatre ou cinq nous arrivons à 50 à 60000 morts : la mortalité de la grippe est un peu supérieure à celle résultant du covid-19. Cependant, l’on voit bien que les deux phénomènes sanitaires, pourtant également contagieux et mortels de façon comparable, ne peuvent être – et ne sont pas - traités de façon identique. Il en va de même pour les solutions juridiques destinées à y faire face, notamment en matière de droit des contrats publics.
2ème observation. Il est très difficile d’évaluer la nécessité et l’effet des mesures juridiques contraignantes adoptées pour lutter contre cette crise sanitaire et ceci pour deux raisons au moins. La première est l’importance de notre ignorance sur cette maladie où l’on ne compte plus les controverses et les incertitudes médicales et scientifiques. Quelles leçons tirer, en droit des contrats, pour le futur, à partir d’une expérience aussi peu solidement connue ? La seconde est que, précisément, nous ignorons ce qui se serait passé si l’on avait fait autre chose ; dans ces conditions comment tirer des leçons sur ce que pourrait ou devrait être le contenu optimum d’un contrat face à une telle inconnue ?
3ème observation. Force est de constater combien les textes, normatifs ou pas, ainsi, par ex., des cahiers des charges, sont, au final, à la fois de peu d’utilité et tout de même, heureusement, assez malléables en raison du caractère exceptionnel des circonstances ainsi que l’ont montré M. Debosque et le Professeur François Lichère évoquant le thème de « l’exécution dégradée » du contrat, ce dernier souhaitant cependant une intervention législative clarificatrice.
En tout cas, la loi « Asap» (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, d'accélération et de simplification de l'action publique N° Lexbase : L9872LYB), du moins dans le domaine de la commande publique me paraît être l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Ceci pour dire combien a été excessive la débauche normative à laquelle s’est livré le pouvoir exécutif en énonçant une masse de règles et d’exceptions dont l’utilité reste à démontrer et dont le caractère massif est une offense à l’intelligence des juristes : le droit ne se résume pas, loin s’en faut, au seul droit positif. De plus, cela n’a peut-être pas suffisamment été souligné, l’élément factuel est ici prépondérant car se pose toujours la question de savoir si dans le cas d’espèce précis l’on se trouve bien exactement dans la prévision concrète qu’avait en vue l’auteur de la loi ou décret.
B. Sur les réflexions et propositions formulées
a/ Je mets à part l’intervention de M. Marty qui pose une très intéressante et importante question, prospective et assez peu juridique pour l’essentiel : quel rôle joue/doit jouer la commande publique dans une circonstance comme celle que nous vivons : être un outil de relance ou de soutien économique ? La première branche de l’alternative penche plutôt du côté de Keynes, tandis que la seconde se situe davantage dans une logique de libéralisme économique. Des facteurs multiples, combinés entre eux, président aux choix à effectuer.
Cependant, lorsque, comme c’est le cas actuellement, la crise laisse une économie dans un état encore plus délabré qu’il ne l’était avant la crise, le volume même de l’aide nécessaire atteint un niveau tel que celle-ci conduit davantage à une relance qu’à un simple soutien notamment grâce aux contrats de commande publique qui, ici, plus que des contrats, sont les instruments d’une politique publique. C’est aussi l’occasion d’observer combien les contrats de pur droit privé conclus exclusivement entre des personnes privées contraignent, du fait de leur effondrement massif, à élaborer des politiques publiques d’urgence faites de toutes sortes de composantes afin de permettre au plus court terme un rétablissement du fonctionnement normal de la machine économique (subventions, prêts à taux zéro ou très bas, exonérations de charges et/ou de droits et de taxes, etc.). En même temps, on aura observé que cette crise n’a pas encore été l’occasion de décider une restructuration profonde de notre système économique, c’est pourtant là l’urgence des urgences, particulièrement pour retrouver un tissu industriel français digne de ce nom, et c’est là l’enjeu majeur du plan gouvernemental de relance.
b/ Sont venues deux propositions et une réflexion.
– Comment tenir compte de la crise sanitaire dans les nouveaux contrats ?
Cette question me paraît concerner davantage l’aspect sanitaire de la crise que l’aspect crise lui-même. Pour les contrats futurs, que devons-nous tirer de cette crise, en tant qu’elle fut de caractère sanitaire ?
À vrai dire, assez peu de choses pour les contrats en général car, comme déjà relevé plus haut, deux crises sanitaires ne sont pas, de ce seul fait, comparables en termes d’effets sur les contrats. Cependant, l’on pourrait se demander s’il ne serait pas opportun de créer une nouvelle catégorie de contrats, celle des contrats de crise, qui serait ainsi une catégorie autonome, ceci éviterait de toucher au droit commun contractuel au moyen de dispositions très simples plutôt directives que contraignantes, le tout pouvant tenir sur une seule page recto-verso d’un code Dalloz.
Et si cette première solution, radicale et simple, effraie, il serait possible d’en adopter une autre qui consisterait à faire l’inventaire des clauses excessives ou trop rigides qui ont empêché une bonne réactivité de l’exécution contractuelle de crise ou qui ont montré leur potentielle nocivité pour la poursuite d’exécution du contrat et à en prévoir, en les énumérant, la suspension automatique, avec l’accord des parties naturellement, sous réserve, par ex., d’un référé à 48 ou à 72 heures.
- La réflexion sur les occupations temporaires du domaine public
Ici aussi, la souplesse, mais également la « bienveillance » pour reprendre le mot utilisé par Maître C. Baillon-Passe, doivent être les maîtres-mots qu’il s’agisse de conclure un contrat d’occupation, de modifier ou de prolonger le contrat d’occupation lorsque ne peuvent être maintenues les conditions originaires.
Je signale, en passant, qu’en Italie, a été adoptée une solution identique à celle décrite par Maître Baillon-Passe : il a été accordé unilatéralement à tous les commerces accueillant du public, en particulier coiffeurs, bars, restaurants et glaciers notamment, une autorisation générale d’occuper gratuitement, sans limite de temps et d’espace, toutes les dépendances du domaine public qui leur sont adjacentes, ce qui permet, tout en respectant les règles de sécurité, qu’ils puissent servir le nombre de clients et réaliser le chiffre d’affaire les plus proches possibles de ceux du temps normal.
Pour conclure, il me semble que dans ces situations extraordinaires il faut laisser toute leur place à la bonne foi, au bon sens juridique, à la bienveillance une fois admis que, par-delà son objet – qui est son contenu –, le contrat public, à la différence du contrat de droit privé, a aussi un but, la satisfaction de l’intérêt général. C’est là un aspect majeur, celui de la nature téléologique du contrat administratif ou public, ce qui ne se rencontre pas dans les contrats conclus entre des personnes privées.
C’est toujours la satisfaction de l’intérêt général qui doit guider les solutions, que la navigation du contrat public se fasse par temps calme ou au milieu des pires tempêtes. Et, pour le reste, souvenons-nous, pour paraphraser Shakespeare dans Hamlet : « qu’il y a plus de choses dans la crise que n’en rêvent les règles juridiques » [1].
[1] La citation exacte est : « Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu'il n'en est rêvé dans votre philosophie » (dans The tragical history of Hamlet, Prince of Denmark, I, 5).
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