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par Sabine Ibanes, directrice juridique, groupe NGE et Camille Cros, Avocate au barreau de Marseille
le 05 Mai 2021
Camille Cros
Gabriel Eckert, Professeur de droit public, a parlé d’un « droit de crise de la commande publique qui s’était agrégé au droit commun – soit pour le compléter soir pour y déroger. Ce nouveau droit qui a modifié sensiblement les objectifs de la commande publique puisqu’à la finalité traditionnelle de la satisfaction des besoins publics, ce droit de crise a ajouté la protection des opérateurs économiques dans une logique interventionniste, laquelle pourrait préfigurer des évolutions plus profondes de la matière » selon lui.
A l’heure où nous parlons, des procédures sont lancées et des dispositions contractuelles sont fixées pour prendre en compte les coûts directs de la Covid-19 sur la réalisation de travaux.
Comment tenir compte de la crise sanitaire dans les nouveaux contrats ?
Sabine Ibanes
La réponse à cette question est multiple et sa sœur jumelle tendant à savoir quoi prendre en compte l’est également.
Même en limitant nos propos aux seuls nouveaux marchés publics (sans parler des contrats de concession), on s’aperçoit bien vite que la prise en charge par les acheteurs des surcoûts directs, voire indirects, de la covid-19 est hétérogène du fait de plusieurs facteurs :
- le type de donneur d’ordre (notamment sa taille) ;
- le type de marché public et sa durée ;
- le type activité (l’impact technico-financier est forcément différent pour un peintre, pour un canalisateur, pour un terrassier…) ;
- la localisation des travaux (urbain, rural) ;
- le niveau de coactivité.
Si nous pouvons considérer comme hors de notre sujet les surcoûts directs résultant de l'arrêt/ajournement du chantier auxquels les opérateurs économiques ont été confrontés lors du premier confinement, quid toutefois d’éventuels surcoûts liés à d’autres arrêts ou suspensions suite au signalement d’un cas covid arrêtant toute une équipe dont les autres membres vont être considérés comme cas contacts.
Dans les dossiers qui m’ont été remontés, j’ai pu constater que les surcoûts que certains maîtres d'ouvrage (MOA) prennent en considération sont principalement les surcoûts directs résultant de la mise en œuvre des mesures de santé et de sécurité sanitaire (gestes barrières) et parfois, plus rarement, les autres surcoûts supplémentaires (conséquences technico-financières de la covid-19 sur la réalisation des travaux y compris en l’impact en terme de planning c’est-à-dire sur les délais du calendrier général d’exécution des travaux).
Pour résumer, seules sont prises en considération, si elles le sont, les dépenses de l’opérateur économique que le donneur d’ordre public choisira de considérer comme « éligibles » à une quelconque prise en charge.
Camille Cros
Mais sur les chantiers, dans les contrats, les MOA prennent-ils en considération la crise sanitaire ?
Sabine Ibanes
Le double constat est simple :
La covid-19 a un coût - c’est certain - qui il diffère selon l’opération à réaliser. Avec le recul qui est le leur aujourd’hui, les parties à l’acte de construire sont en mesure de chiffrer de manière plus ou moins précises ce que coûte la covid-19 à date.
Ensuite, la prise en considération de ce coût dans les nouveaux contrats, va dépendre de la position du donneur d’ordre public vis-à-vis de la crise : les MOA ayant une enveloppe budgétaire suffisante ont quasiment tous pris la mesure des conséquences technico-financières sur leurs marchés de la crise du covid-19 ; chacun à sa manière : il y a une sorte de curseur du niveau de prise en charge, reflet de l’implication de chacun. En revanche, s’agissant des MOA disposant d’une enveloppe budgétaire plus petite c’est le principe inverse : ils considèrent que c’est le problème des entreprises et ne participe à aucun coût y afférent.
Camille Cros
Comment cela se traduit-il en pratique ?
Sabine Ibanes
Par une situation finalement assez familière dans ce contexte inédit, chacun poursuit sa quête habituelle devant conduire au seul paiement de l’ouvrage commandé ou à la juste rémunération de l’ouvrage à réaliser.
Alors, nous laissons à l’appréciation de chacun certaines rédactions constatées conduisant au jour de la survenance d’un nouvel évènement extraordinaire à une modification unilatérale du contrat au bon vouloir du donneur d’ordre après quand même un temps d’échange avec l’opérateur économique à condition qu’au jour de la signature du contrat :
Dans le contexte actuel, le titulaire reconnaît avoir pris en compte la covid-19 dans la construction de son offre et plus particulièrement dans son prix et dans l’établissement de son planning, mais aussi le risque d’occurrence d’une situation d’épidémie, de pandémie ou de crise sanitaire pendant la durée du marché. Est jointe au marché une annexe où le titulaire a joint décrit très précisément sa procédure.
La manière dont la crise sanitaire est prise en compte dans les nouveaux contrats dépend donc de la volonté et du niveau d’implication du donneur d’ordre public sur le sujet, ainsi que de son organisation interne.
En effet, même les MOA qui ont réalisé un véritable travail d’identification des coûts et manifestent la volonté de les gérer de manière transparente, ce qui est louable et doit être saluer, présentent des prises en charge différentes.
Entre les directives nationales et les pratiques des acheteurs locaux, les opérateurs économiques ne téléchargent pas les mêmes DCE et donc pas les mêmes prises en compte de la crise selon les marchés. Certains écartent les surcoûts indirects et s’agissant de la prise en charge des coûts directs octroyés, elle est souvent minorée depuis cet été en considération du fait que les entreprises ont plus de facilité pour se fournir que pendant le premier confinement.
La question est de savoir si le MOA veut participer aux surcoûts liés à la poursuite de travaux publics en période de crise sanitaire et ensuite s’il veut payer un prix identifié ou un coût noyé dans autre chose.
Plus le donneur d’ordre prendra en considération les coûts de façon précise (identification et détail) et transparente, plus il aura l’assurance de payer le juste prix et l’opérateur économique de recevoir une juste rémunération, mais également d’assurer la liberté d’accès à la commande publique et une égalité de traitement des candidats.
Sinon, nous allons tous vers une sorte de « dumping sanitaire ». Car en gardant les yeux bien fermés, la crise sanitaire (et peut être plus tard « le volet sanitaire » d’une opération de construction) peut facilement paraître comme ne coûtant rien ; du moins c’est ce que pourrait dire « le lauréat de l’offre économiquement la plus avantageuse sans prix covid-19 » ; alors que cela coûte à tous.
Camille Cros
Dans les procédures lancées récemment, comment les donneurs d’ordres qui décident de participer ou de prendre en charge les dépenses « covid » le font-ils ?
Sabine Ibanes
Parmi les dossiers consultations des entreprises qui ont été portés à ma connaissance, j’ai pu constater que l’insertion d’un prix « covid » se présente sous différentes formes : soit il y a une seule ligne de prix, soit il s’agit d’un véritable bordereau de prix unitaire « covid ».
a) Une seule ligne de prix : dans ce cas, il s’agira d’un forfait ou d’un forfait/personne/jour.
b) Un bordereau de prix unitaires « covid » pouvant être complété de manière différente (coefficient de majoration sur ensemble des prix (à l’instar d’un coefficient de frais généraux) ou composé de divers prix à étudier (ligne/ligne c’est-à-dire que l’entreprise étudie 2 offres :
- une offre avec des prix pour une exécution dans conditions normales d’exécution de temps et de lieu et a maxima incluant les données connues à ce jour ;
- et une offre avec des prix en situation de crise).
c) La particularité d’un MOA qui prévoit au niveau national un bordereau de prix « covid » prévoyant 6 prix « covid » qui seront ou pas présents dans le DCE de l’achat de travaux concerné selon l’activité (notamment « prix Covid06 » qui rémunère la perte de rendement peu utilisé).
A priori, l’intégration d’une ligne de prix dans le BPU ou d’un forfait « covid » n’est pas un mécanisme innovant, c’est d’ailleurs davantage un critère d’appréciation des offres.
Ce constat étant fait sur les pratiques en cours, revenons à nos propos introductifs et à l’idée, lancée par le Professeur Eckert, qu’un droit de la crise pourrait s’agréger au droit commun. Comment cette évolution pourrait prendre forme.
Il y a des pistes variées qui peuvent servir à alimenter la réflexion du rédacteur du marché public qui souhaite prendre en considération la crise sanitaire dans ses nouveaux marchés publics.
Camille Cros
Déjà il y a des pistes « supra-contractuelles ».
Sabine Ibanes
La mise en œuvre d’un indice « covid » est étudiée.
Un comité de suivi des surcoûts visant à régler le sujet des pertes de productivité sur les chantiers de BTP a été mis en place par le Gouvernement plus précisément sous l’égide du ministère de la Transition écologique (sous le pilotage du Commissariat général du développement durable).
Au départ, il avait pour but de s’intéresser uniquement aux surcoûts liés aux pertes de productivité mais l’initiative a été élargie à l’ensemble des surcoûts. Leur idée porte actuellement sur la création d’un calculateur n’ayant évidemment aucune force contraignante, ce serait un outil à disposition des donneurs d’ordre publics et des opérateurs économiques qui feraient évoluer les indices « matériels » (consommable) et « travail » à l’intérieur d’un index ; sous réserve que le marché prévoit une clause de révision des prix. Certainement des chantiers vont probablement servir de tests.
Camille Cros
Ton avis sur cet indice « Covid » ?
Sabine Ibanes
Je souligne et salue la volonté avérée de l’État d’aider les opérateurs économiques et d’une prise en charge par les donneurs d’ordres publics des surcoûts de la covid .
Mais je suis sceptique sur l’outil proposé. Je me demande si la variation de 2 indices ne pourrait-elle pas se révéler non significative à l’intérieur d’un index composé de beaucoup d’autres indices et notamment d’indices liés à des matières premières dont les fluctuations peuvent être significatives. Est-ce que cet indice ne sera-t-il pas noyé et finalement ne traitera pas l’impact réel de la covid-19 ?
D’autant plus qu’aujourd’hui les entreprises de BTP sont confrontées à des révisions négatives sur beaucoup de marché en l’état de la chute des prix du bitume impactant les index TP08, 09 et 10. Donc a maxima peut être que la variation positive des indices « covid » viendra compenser la variation négative de l’indice de la matière première concernée et conduire à une neutralité de la formule de révision ce qui est déjà une avancée. Mais d’un point de vue psychologique/de communication, les opérateurs économiques n’auront pas l’impression que les surcoûts de la covid_19 auront été pris en considération par leurs donneurs d’ordre. Pour ceux dont les marchés ne prévoient pas de clause de révision ce sera le cas et pour les autres c’est toujours compliqué d’expliquer à un exploitant que son gain vient du fait qu’il n’a pas perdu…
Camille Cros
Autre piste : La prise en charge de manière indirecte par l’État via un allégement de charge patronale, ton avis ?
Sabine Ibanes
Pareillement je souligne toute la bienveillance de l’idée. Mais la philosophie de cette intervention de l’État est plus de venir au soutien des entreprises affrontées à une défaillance financière et sociale c’est plus général et surtout ponctuel, certainement soumis à des conditions particulières d’éligibilité. Cela reste extérieur au contrat public et sans adéquation avec sa durée.
Mais c’est certainement la combinaison de plusieurs initiatives extra contractuelles et contractuelles qui permettra de combattre ensemble les impacts de la covid-19 sur le contrat et sur l’économie.
Camille Cros
Des innovations contractuelles sont déjà mises en place, d’autres sont annoncées, d’autres enfin seraient souhaitables.
Nous précisons qu’il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive. Sur quoi peut-on se concentrer ?
Les avances :
Il est désormais inscrit dans le Code de la commande publique que l’acheteur public peut prévoir dans son contrat une avance supérieure à 60 % et que pour les avances de l’ordre de 30 %, la garantie à parfaite demande n’est plus obligatoire.
Il est à saluer ce mécanisme, prévu par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB), désormais inscrit dans le code, mais il s’agit d’un pouvoir à la disposition du maître d’ouvrage qui ne saurait s’imposer à lui (décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020 N° Lexbase : Z3042893 qui est venu modifier notamment l’article R. 2197-8 du Code de la commande publiqueN° Lexbase : L3556LR7).
La loi « ASAP » (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, d'accélération et de simplification de l'action publique N° Lexbase : L8587LYP) vient intégrer des nouveaux mécanismes en droit des contrats publics
1 - Nous évoquerons rapidement le relèvement du seuil des formalités de passation des marchés publics de travaux à 100 000 euros HT valable jusqu’au 31 décembre 2022 qui vise à simplifier la conclusion de marchés d’un montant inférieur
2 - Pour nous attarder sur la création d’un nouveau livre dans le Code de la commande publique contenant des dispositions applicables en cas de circonstances exceptionnelles.
« Lorsqu’il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l’existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que ces circonstances affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public, un décret peut prévoir l’application de l’ensemble ou de certaines des mesures du présent livre aux marchés publics en cours d’exécution, en cours de passation ou dont la procédure de passation n’est pas encore engagée » (art. 44 quinquies du projet de loi).
Il sera désormais prévu dans le Code de la commande publique des dispositions qui pourront s’appliquer aux contrats lorsque les circonstances l’imposeront.
Le droit de crise rencontre là le droit commun évoqué par le Professeur Eckert.
Quelles seront ces mesures ? Les mécanismes de l’ordonnance n° 2020-319 de suspension, de non application de sanction,... peuvent sûrement présager de ce que contiendra ce nouveau livre.
Toutefois, ces dispositions ne s’appliqueront que si un décret le prévoit et pour une durée d’application limitée.
Enfin, il est à noter que les marchés publics conclus avant 2016 pourront désormais être modifiés alors que juste à présent, ces marchés de longue durée ne pouvaient être prolongés que par la conclusion d’un marché complémentaire.
Les acheteurs bénéficieront de la possibilité de modifier ces marchés publics conclus pour une durée longue, lorsqu’une telle modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir.
Cette mesure présente également l’avantage de clarifier la possibilité de modifier les marchés conclus avant 2016 en vue de commander des travaux, fournitures ou services supplémentaires (CCP, art. R. 2194-2 N° Lexbase : L3558LR9).
Dans l’ancien Code des marchés publics, il était possible de conclure un nouveau marché pour ces prestations complémentaires, il s’agit désormais d’une hypothèse de modification autorisée.
Sabine Ibanes
La révision des CCAG attendue pour le printemps 2021 est une piste d’innovation (à condition que ne soit pas révisé ce qui fonctionne…).
Camille Cros
Sur quoi pourrait porter les innovations du CCAG pour prendre en considération la crise sanitaire ?
Sabine Ibanes
L’application des pénalités de retard. Suspendues par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, les projets des futurs CCAG évoquent la disparition d’une application automatique et sans information préalable des pénalités.
Ne faudrait-il pas aller plus loin et envisager la suspension desdites pénalités en cas de circonstances exceptionnelles telles que prévues par le nouveau livre du Code de la commande publique?
Ensuite, l’innovation pourrait venir de la manière dont le contrat peut être modifié en cours d’exécution. En période de crise la rigidité du contrat public est inadaptée : le contrat doit pouvoir muter ou du moins présenter une flexibilité pour tenir comptes des circonstances exceptionnelles Concernant la modification des contrats en cours d’exécution il y a des mécanismes dans le CCAG travaux, notamment les articles 15 et 16 du CCAG travaux sur les variations de masse mais là, en période de crise, la matérialisation des changements dans l’exécution de relation contractuelle doit appréhender des notions de nature et géométries variables qui vont avoir un impact direct ou indirect sur la livraison de l’ouvrage. Si on ne fait pas différemment ce sont des risques de défaillances financières pour les petites entreprises, des collaborateurs d’entreprise privés qui réalisent une mission de service public en s’exposant au virus, c’est toute les difficultés des chaînes industrielles et tertiaires derrière le titulaire du marché (cocontranctants, prestataires…). Nous ne sommes plus dans nous dans la contractualisation ordinaire de imprévisible mais dans la contractualisation de l’extraordinaire.
Comment prendre en considération l’extraordinaire déjà de manière très humble en actant le principe que « le moment venu les parties feront tous leurs meilleurs efforts pour le faire » et donc en insérant dans les nouveaux CCAG des clauses de réexamen en temps de crise mais pour l’instant aucune rédaction n’a été communiquée ; c’est un minimum pour sauver la livraison de l’ouvrage sans que les opérateurs économiques type PME soient étranglés.
Sans attendre la révision des CCAG prévue pour le printemps, les parties peuvent prévoir dans leur CCAP une clause de réexamen ou de revoyure dans tous les marchés à venir tel que prévu par le Code de la commande publique.
Ne faudrait-il pas rendre obligatoire les clauses de réexamen dans les marchés publics d’une certaine durée ?
Camille Cros
Les clauses de réexamen visées à l’article R. 2194-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L4270LRL) pourraient constituer un outil susceptible de répondre à la situation de crise sanitaire, en ce qu’il permet notamment, dans le respect de l’équilibre des intérêts des parties, d’intégrer un mécanisme de sauvegarde visant à prévoir les modalités de prise en compte des incidences calendaires et financières d’un risque qui, sans pour autant être imprévisible, apparaît trop aléatoire pour être raisonnablement couru par une seule partie sans mettre en péril l’exécution même du contrat.
Ces clauses qui ont été présentées par certains comme ayant pour vocation de « prévoir le futur », trouvent pleinement leur utilité dans la situation exceptionnelle que nous traversons aujourd’hui et devraient donner “envie” aux acheteurs publics de les mettre en pratique.
Dans les marchés publics, ces clauses présentent un intérêt réel pour les marchés de plus de douze mois, ou encore les marchés complexe mêlant conception et exécution ou encore exploitation. La rédaction d’une telle clause présente un intérêt pour l’entreprise titulaire qui aura connaissance, dès la procédure de passation, des conditions de renégociation du contrat en cours d’exécution mais aussi pour l’acheteur qui fera l’économie d’une nouvelle procédure en cas de difficulté d’exécution.
Alors oui, à l’heure, où un évènement comme un virus a conduit à des disfonctionnements pérennes d’exécution des contrats. Rendre obligatoire des clauses de réexamen dans les contrats de plus de 12 mois donnerait l’opportunité aux parties de discuter de la suite du contrat. Cette obligation pourrait s’inscrire dans le nouveau livre prévu dans le Code de la commande publique par la loi « ASAP ».
Autre piste : rendre obligatoire les constats de l’article 12 du CCAG travaux en cours d’exécution.
Pourquoi cette traçabilité imposée serait-elle souhaitable selon toi ?
Sabine Ibanes
La traçabilité des travaux exécutés est essentielle tant pour acter de leur véracité que des conditions dans lesquelles ils sont réalisés et ce tant dans des conditions normales d’exécutions, qu’en cas de difficulté quelconque, qu’en période de crise.
Pour que les constatations contradictoires en cours d’exécution de l’article 12 du CCAG travaux deviennent l’outil performant d'une gestion contractuelle, commune loyale et de bonne foi du suivi d’un chantier, dans des conditions normales d’exécution comme en période exceptionnelle, il faut qu’il soit contraignant pour les parties et donc peut être prévoir un mécanisme de sanction tant pour l’entreprise que pour le donneur d’ordre ou son représentant en cas de non-respect. Et avant cela, que le contrat impose aux parties des périodes de constatations contradictoires réservées et donc des durées spécifiques à l’intérieur du calendrier global d’exécution pour constater matérialité du service fait.
L’intégration de ces mécanismes dans le Code de la commande publique les rendraient obligatoires à l’égard des parties, à l’inverse des CCAG auxquels il est toujours possible de déroger.
Camille Cros
Enfin, une dernière piste porterait sur le traitement contentieux des désaccords en cours d’exécution entre les parties au contrat.
Les projets des futurs CCAG 2021 veulent favoriser des relations apaisées entre les parties. Notamment, ils comporteront une clause indiquant tous les modes alternatifs de règlement des litiges, pour éviter des contentieux longs et coûteux : comités de règlement amiables (CCIRA), Médiateur des entreprises, etc. Le contenu du mémoire en réclamation sera détaillé, pour le mettre en cohérence avec les exigences de la jurisprudence administrative.
Toutefois, le Code de justice administrative ne propose pas de procédures d’urgence permettant de voir le juge du contrat statuer sur des demandes de toutes natures y compris indemnitaires formulées en cours d’exécution ou à un tiers (CCIRA, médiateur des entreprises…) d’aider les parties à trouver un accord et ce, au nom du principe d’intangibilité du décompte.
Tout est renvoyé à la phase du décompte et au mémoire de réclamation de l’article 50 du CCAG travaux qui contraint les entreprises à avancer des surcoûts qui pourraient bénéficier de l’intervention du juge ou d’un tiers pour qu’une solution intermédiaire et temporaire soit trouvée dans le respect de l’équilibre contractuel.
Cela irait dans le sens d’une meilleure protection du cocontractant de la personne publique, mais aussi d’une meilleure utilisation des deniers publics.
Une question débattue et traitée en cours d’exécution permettra d’éviter que la question ne soit traitée in fine en fin de chantier, voire plusieurs mois après la fin du chantier.
Conclusion
La liberté de contracter ou non s’est heurtée à l’apparition d’une crise imprévisible.
L’intervention du pouvoir règlementaire dans l’exécution des marchés publics par l’ordonnance n° 2020-319 a d’ores et déjà conduit le Gouvernement à des modifications législatives et règlementaires.
La prise en compte de cette crise ne saurait se limiter à des lignes de prix dans un bordereau, il n’est pas question ici de remettre en cause la nature du contrat d’adhésion du marché public, mais d’ouvrir des voies de dialogues, des mécanismes de preuve, des procédures spécifiques qui s’imposeraient aux deux parties pour permettre une adaptation du contrat à un contexte d’exécution particulier.
Certaines circonstances doivent permettre au droit public d’évoluer, nul doute que l’épisode qu’on traverse en est l’occasion.
Sabine Ibanes
Mais seul l’avenir nous dira si cette évolution permettra de consacrer la mission d’intérêt général qu’assurent les entreprises en exécutant leurs chantiers, certes en mode dégradé, en période de confinement et plus généralement de crise sanitaire.
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