Lexbase Public n°625 du 6 mai 2021 : Contrats administratifs

[Actes de colloques] Les contrats publics à l'épreuve de la crise sanitaire - Faut-il adapter les modes de passation ?

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par Jean Grataloup, directeur juridique, conseil départemental des Bouches du Rhône

le 04 Mai 2021

Poser cette question revient à se demander si la « boite à outils » que constitue le Code de la commande publique dans ses dispositions en vigueur était suffisante pour faire face à une situation inédite nécessitant des achats imprévus et nouveaux.

Mais le Gouvernement et le Parlement semblent avoir répondu à cette question en modifiant le Code de la commande publique par la loi portant accélération et simplification de l'action publique (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 N° Lexbase : L9872LYB) dite loi « ASAP » qui modifie le Code de la commande publique.

Avant de voir si ces mesures d’assouplissement de la commande publique atteindront leur objectif affiché de relance économique, il convient de voir si les moyens à disposition des acheteurs que constitue le code de la commande publique étaient adaptés lorsqu’ils ont été confrontés à la crise sanitaire.

I. Le Code de la commande publique : une boite à outils plutôt adaptée pour faire face à des situations urgentes et inédites nées de la crise sanitaire

Confrontés à la crise sanitaire et au confinement de mars 2020, les acheteurs publics se sont trouvés confrontés à la nécessité de répondre en urgence à des besoins nouveaux et également inédits.

Pour faire face à ces besoins, ils se sont d’abord interrogés sur la réponse que pouvaient apporter leurs propres marchés et notamment les accords-cadres à bons de commande ou à marchés subséquents.

Ceux-ci ont permis de répondre à certaines demandes par exemple pour doter d’outils numériques les agents placés en télétravail. S’agissant des demandes supplémentaires non prévues, il a été possible de faire application des articles L. 2194-3 (N° Lexbase : L7167LQI) et R. 2194-5 (N° Lexbase : L4268LRI) du Code de la commande publique qui permettent d’apporter des modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévues.

Pour mémoire, il s’agit de circonstances extérieures qu’un acheteur (ou une autorité concédante) , bien qu’ayant fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation du contrat initial, n’aurait pu prévoir, compte tenu des moyens à sa disposition, de la nature et des caractéristiques du projet particulier, des bonnes pratiques du secteur et de la nécessité de mettre en adéquation les ressources consacrées à la préparation de l’attribution du marché et la valeur prévisible de celui-ci.

La notion de « circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » est plus large que l’hypothèse des sujétions techniques imprévues du Code des marchés publics de 2006. Elle est également plus large que les notions de cas fortuit ou de force majeure puisque le caractère imprévisible exigé ne concerne que l’acheteur. Elle était donc tout à fait adaptée aux achats résultant des circonstances de la pandémie et de ses conséquences. En outre, le Code de la commande publique que les modifications effectuées puissent entraîner une augmentation jusqu’à 50 % du montant initial du contrat.

Mais comment répondre de façon quasi-immédiate à des besoins résultant directement de la crise sanitaire incompatibles avec la durée de droit commun prévue pour la passation des contrats de la commande publique ?

Il a été tout d’abord possible de se tourner vers l’urgence « simple » prévue qui permet de réduire les délais de consultation des entreprises (par exemple, réduction du délai de l’appel d’offres de 35 jours à 15 jours en appel d’offres par application de l’article R. 2161-3 3° du Code de la commande publique N° Lexbase : L3980LRT).

Mais la situation était telle que ces assouplissements sont apparus très vite insuffisants pour certains types de besoins (masques, gel hydroalcoolique, respirateurs, matériel de protection des agents …).

Qui plus est, face à une situation d’urgence avec un marché concurrentiel tendu, la réduction « simple » qui implique une mise en concurrence, s’est révélées inadaptée aux circonstances.

Aussi, la majorité des acheteurs ont invoqué l’urgence impérieuse définie à l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L2625LRN) permettant de conclure des marchés sans publicité sans publicité ni mise en concurrence.

On rappellera toutefois les conditions strictes de recours à ces dispositions rappelées notamment par la Commission européenne dans une communication du 1er avril 2020 [1].

La passation de tels marchés doit être dûment justifiée par :

- des évènements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ;

- une urgence impérieuse rendant impossible le respect des délais généraux ;

- un lien de causalité entre l’événement imprévisible et l’urgence impérieuse qui en résulte [2].

Enfin, ces marchés doivent être limités aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d'urgence.

Eu égard aux circonstances, l’achat de masques, de solution hydroalcoolique, de protections pour les agents … semble totalement entré dans le champ des dérogations prévues par ces dispositions. Mais compte tenu de l’urgence, les acheteurs publics ont parfois eu recours à ces dispositions pour des prestations essentielles en tant de crise dont le caractère « strictement nécessaire » pourrait être discuté (prestations de communication pour diffuser des messages d’information, dispositifs d’informations et d’accès aux services publics, achats de réactifs, prestations de maintenance d’appareils de biologie médicale …).

Il s’agit là d’une zone grise qui peut avoir des conséquences juridiques sérieuses pour les acheteurs.

La boite à outils que constitue le code de la commande publique semble donc avoir plutôt bien répondu aux circonstances exceptionnelles rencontrées.

Pour autant, il semble que le gouvernement ait considéré que le dispositif était insuffisant en introduisant dans la « loi ASAP » des dispositions tendant à assouplir le processus de passation.

II. La loi « ASAP » : des mesures d’assouplissement du Code de la commande publique vraiment indispensables ?

La  loi « ASAP » assouplit par diverses mesures le Code de la commande publique, l’objectif affiché par le gouvernement étant de favoriser la relance économique et l’accès des PME et sûrement de manière sous-jacente de tirer les enseignements de la crise.

1 - Reprise dans le Code de la commande publique des règles applicables en cas de circonstances exceptionnelles pour la passation et l’exécution des marchés et des concessions

Il est introduit au sein du Code de la commande publique un nouveau livre qui reprend peu ou prou l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB) modifiée [3].

Ainsi, lorsqu’il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l’existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que ces circonstances affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public, un décret peut prévoir l’application de l’ensemble ou de certaines des mesures du livre aux marchés publics en cours d’exécution, en cours de passation ou dont la procédure de passation n’est pas encore engagée (adaptations nécessaires à la poursuite de la procédure, prolongation des délais de réception des candidatures et des offres, prolongation de la durée des marchés en cours d’expiration …).

Rien de particulier sur ces mesures qui anticipent une nouvelle crise inédite mais qui paraissent peu envisageables d’appliquer puisque maintenant, à défaut d’être maîtrisée, cette crise est connue.

2 - Le seuil d’obligation de publicité et de mise en concurrence des marchés de travaux porté à 100 000 euros HT jusqu’au 31 décembre 2022

Cette mesure a vocation une relance de la commande publique en faveur des PME. On peut toutefois être extrêmement circonspect à l’égard d’une telle mesure.

Elle peut avoir un effet pour les « petits » acheteurs. Pour les autres, eu égard à l’obligation de recenser leur besoin par opération, les effets d’une telle mesure seront vraisemblablement extrêmement marginaux. Qui plus est, la conclusion de contrats de « gré à gré » demeure toujours très périlleuse eu égard du risque pénal. Le texte rappelle d’ailleurs que « Les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ». Comment respecter cette exigence sans mettre en concurrence ?

3 - L’introduction de l’intérêt général comme motif permettant de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence

Mesure qui fait l’objet de plus de polémique, la modification de l’article L. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L0687LZH) qui introduit l’intérêt général comme motif justifiant l’absence de publicité et de mise en concurrence d’un marché.

Certes, un décret devrait préciser cette disposition mais l’usage d’une telle possibilité fait craindre des risques, notamment devant le juge pénal.

En effet, les décisions des acheteurs publics et les collectivités locales notamment doivent être dictées par l’intérêt général. Alors, quelles sont ces motifs d’intérêt général qui permettraient de s’affranchir des règles de publicité et de mise en concurrence ?

La commande publique a connu ces quatre dernières années des réformes importantes. On s’aperçoit que dans l’ensemble, le code de la commande a permis de répondre à la crise avec les mesures législatives (les ordonnances) d’accompagnement nécessaires dictées par les circonstances. Il ne s’agit pas de remettre en cause a priori les mesures prévues par la loi « ASAP » mais ce dont ont besoin les acheteurs comme les opérateurs économiques, c’est de stabiliser. Il n’est pas sain de changer trop fréquemment les règles du jeu. L’accès des PME à la commande publique peut être favorisé par d’autres moyens : un « small business act » européen, des cahiers des charges plus lisibles, des actions de formations et d’informations sur la commande publique et son fonctionnement…

Quant au motif d’intérêt général, il convient d’attendre de voir comment il s’entend pour justifier l’absence de publicité et de mise en concurrence. On souhaite bien du plaisir au pouvoir réglementaire.

En revanche, le législateur devrait se pencher sur les freins de certaines dispositions régissant les collectivités locales qui pourraient permettre une commande plus efficace. Par exemple, la passation d’une convention de groupement de commande doit obligatoire être présentée devant l’organe délibérant d’une collectivité locale pour approbation et autorisation de signature. Un tel formalisme peut constituer un frein dans le rapprochement des collectivités pour établir des achats en commun ce qui aurait pourtant peut être extrêmement efficace en cas d’urgence ou de crise.


[1] JOUE, 1er avril 2020, 2020/C 108 1/01.

[2] CJUE, 15 octobre 2009, aff. C-275/08 (N° Lexbase : A9999ELW).

[3] Ordonnance portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19.

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