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par Laurent Bessozi, Directeur général adjoint des services en charge des achats, de la commande publique et des affaires juridiques Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur
le 04 Mai 2021
I. Un contexte de crise inédit où la protection sanitaire et les contraintes inhérentes se sont imposées à tous
Le 12 mars 2020, le Président de la République, dans une allocution télévisée, annonçait la fermeture des écoles et demandait aux Français de limiter au maximum leurs déplacements.
Le 17 mars, devant l'ampleur de ce qui allait devenir une crise sanitaire majeure à l’échelle de la planète, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sur le territoire métropolitain allaient s’appliquer des mesures générales de restriction aux libertés individuelles fondamentales que sont la liberté d’aller et de venir, d’entreprendre, d’exercice du culte ou encore d’une profession.
Le 24 mars, enfin, l’état d’urgence sanitaire était instauré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5506LWT).
Toutes ces mesures d’exception adoptées pour tenter d’enrayer la propagation de l'épidémie de Covid-19 ont fait prévaloir le sanitaire sur toute autre activité, y compris celles relevant de l’économie. Durant ce premier confinement, il a fallu pourtant tenter de préserver ce qui pouvait l’être de l’activité économique dans la perspective de lendemains meilleurs et pour éviter une crise sociale majeure.
Aussi, l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 dispose que « le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi et notamment toute mesure adaptant les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».
C’est sur le fondement de cette habilitation que l’ordonnance, n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics (N° Lexbase : L5734LWB), a été publiée. Ses dispositions relèvent d’un régime d’exception qui instaure une souplesse inédite afin de préserver, notamment, les intérêts des entreprises.
Ces mesures sont venues compléter des dispositifs préexistants, visant à gérer des situations exceptionnelles, prévus par le droit de la commande publique, issu de la Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA) dite « Directive marchés ». C’est ainsi que des outils tels que « l'urgence simple » permet de réduire les délais de l’appel d’offres, ou encore plus dérogatoire, « l'urgence impérieuse » autorise à signer tous les marchés, quel que soit le segment d’achat ou le montant, sans publicité ni mise en concurrence.
Au-delà de ces dispositifs européens parfaitement transposés dans le droit national et dans le cadre d’un large consensus politique, la loi instituant l’état d’urgence et l’ordonnance de mars 2020, établissent donc un régime dérogatoire pour les contrats de marchés publics « en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois », soit jusqu’au 23 juillet.
Ces dispositions tendent à la fois vers un assouplissement du régime juridique de passation des nouveaux contrats et vers une adaptation des règles d'exécution des contrats en cours. Elles peuvent s’ordonner autour de 3 thématiques :
- assouplissement du régime juridique de passation des nouveaux contrats ;
- prolongation des contrats arrivés à échéance ;
- adaptation des règles d'exécution des contrats en cours.
L’application de ces mesures n’est néanmoins pas automatique. Elle est conditionnée par le caractère nécessaire « pour faire face aux conséquences, dans la passation et l'exécution de ces contrats, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » (article 1 de l’ordonnance).
C’est dans ce contexte que la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a dû adapter ses pratiques et modes de fonctionnement pour maintenir la continuité du service public en matière, notamment, de commande publique.
II. Une crise sanitaire révélatrice de collectivités locales solides regroupées autour de régions agiles
La fermeture administrative des services de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a précédé le confinement national. En effet, au début du mois de mars, les premiers cas d’agents porteurs du virus ont été signalés et, face au risque de propagation, le président de la Région, a adressé dans la nuit du 11 au 12 mars un message à l’ensemble des agents, les invitant à prendre toutes les dispositions nécessaires leur permettant d’envisager la poursuite de leurs missions au-delà de la fermeture des bureaux, le jeudi 12 mars à midi.
Il s’agissait bien évidement d’une situation parfaitement inédite pour une collectivité locale récente, créée en 1982 et ne bénéficiant de la protection constitutionnelle que depuis 2003. Dans le cadre d’un approfondissement de la décentralisation vers une régionalisation, la robustesse de son organisation à l’occasion de la gestion de cette crise pourrait qualifier la collectivité « Région » pour une évolution institutionnelle vers un modèle ibérique.
En effet, à l’occasion de cette crise, les Régions en général, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur en particulier, ont démontré la solidité de leur organisation, leur agilité et leur vivacité.
Sur les territoires, assez spontanément d’ailleurs alors que juridiquement, la décentralisation à la française, contrairement à la régionalisation, interdit toute hiérarchisation entre les autorités locales, les collectivités infrarégionales, partout en France, se sont rapidement et presque instinctivement retrouvées autour de leur Région, affirmant ainsi son rôle de plus en plus évident de collectivité qui rassemble et assemble.
Ce constat empirique devrait, à mon sens, faire l’objet de travaux de recherches universitaires car, faut-il ici le rappeler, les régions ont été, tout comme les départements, au 1er janvier 2016, dépossédées de la clause de compétence générale.
En matière de santé, notamment, les compétences des régions sont plus que limitées.
En effet, elles ont compétence pour « la définition des objectifs particuliers de santé, ainsi que la détermination et la mise en œuvre des actions correspondantes ; La participation aux différentes commissions exécutives des agences régionales de santé ; La contribution au financement et à la réalisation d’équipements sanitaires pouvant intervenir dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ; L’attribution d’aides pour l’installation ou le maintien des professionnels de santé dans les zones déficitaires en offres de soins ».
Il aura fallu des ressorts d’ingéniosité aux exécutifs régionaux et aux cadres territoriaux pour « rattacher » leurs interventions sanitaires aux compétences des Régions. Le raisonnement produit a alors été le suivant : par l’achat et la distribution de matériel de protection contre le virus, la Région participe à la limitation de la pandémie et donc à ses conséquences sur l’économie régionale.
Une crise, parce qu’elle met en tension les éléments, parce qu’elle est connue depuis la Grèce antique pour être le Kaïros, le « moment opportun », révèle les Hommes et les institutions. Cette crise sanitaire a, incontestablement fait émerger les Régions, collectivités jusqu’alors peu connues du citoyen, dans le paysage institutionnel français. Elles ont, démontré, à cette occasion, leur efficacité, leur capacité d’adaptation, leur résilience à tel point que de nombreux observateurs de la vie institutionnelle s’accordent à reconnaître qu’elles sont l’échelon territorial pertinent pour au moins la définition stratégique des politiques publiques et sans doute, également, pour l’organisation, avec les départements, les communes et les structures intercommunales de leur mise en œuvre.
Malgré le confinement, malgré de nombreuses attaques de leur système d’informations, les collectivités territoriales en général, les régions tout particulièrement, n’ont jamais cessé de fonctionner. La Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, bureaux fermés et personnel confiné, n’a jamais suspendu ses activités durant le confinement et a milité pour la réouverture des lycées sous réserve de mises en œuvre de protocoles stricts de protection sanitaire.
La réactivité de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a été possible dans la mesure où elle avait initié un plan « administration 3.0 » visant à dématérialiser ses procédures, à doter ses agents en équipements numériques mobiles et en ayant initié une démarche de télétravail, à l’époque jugée comme audacieuse. C’est dans ce cadre qu’avaient été déployés sur l’ensemble des appareils nomades, les outils et les applications informatiques.
C’est ainsi qu’au moment du confinement, près de 60 % des agents des services régionaux étaient dotés en ordinateurs portables, près de 90 % l’ont été au moment du déconfinement. Pour la Direction de la commande publique et des achats (DCPA), ces chiffres étaient respectivement de 80 % et 98 %. Cela s’explique par les missions et la sociologie de cette direction composée à plus 80 % d’agents de catégorie A de la fonction publique territoriale.
Alors qu’un fonctionnement en mode dégradé était attendu et accepté de tous - pour ce faire, un plan de continuité des activités avait été rédigé - aucun ralentissement significatif ni baisse d’activité n’ont été constatés pendant cette période pour la quasi-totalité des directions de la collectivité, dont la DCPA. Ainsi, les consultations ont été publiées aux dates prévues, les procédures ont été dématérialisées rendant possible la tenue des commissions d’appels d’offres et la notification des marchés. Seules les dates de remise des offres ont été décalées, afin de permettre aux entreprises de répondre dans de meilleures conditions.
III. Aux côtés de l’État, la Région a émergé à la fois sur les territoires et sur la scène internationale
Après les plus grands conflits armés entre les nations, les famines, les pandémies comptent, depuis que les Hommes ont la capacité de se mouvoir entre les continents, parmi les risques à l’incidence et à la gravité les plus importantes. Pour se protéger d’une épidémie aéroportée, le masque, utilisé depuis de nombreuses décennies en Asie, constitue la première barrière.
Les productions nationales de 1 million de masques par jour ont immédiatement été réquisitionnées par l’État. Toutefois, devant l’urgence et le manque d’anticipation, le ministère de la Santé, par le décretn° 2020-281 du 20 mars 2020, modifiant le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020, relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 (N° Lexbase : L5388LWH), a autorisé sous certaines conditions l’importation de masques en provenance du continent asiatique.
Le besoin était alors estimé à 40 millions de masques par semaine.
Le verrou juridique ayant été levé, les régions en général, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur tout particulièrement, ont mobilisé leurs acheteurs pour identifier des filières d’achats sûres et stables sur un marché asiatique qui leur était parfaitement inconnu.
Il a donc fallu à la fois faire preuve de prudence face à des sollicitations d’intermédiaires plus ou moins bien intentionnés et aussi d’audace pour intégrer les codes des entreprises chinoises.
Dans ce contexte, les accords de coopération entre la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et la province chinoise du Guangdong ont été d’une importance capitale. Ils ont notamment permis d’établir un dialogue direct entre le président de la Région et le gouverneur de cette province et ainsi sécuriser l’approvisionnement en masques chirurgicaux.
Pour limiter les risques, la stratégie politique a été de recourir à des transitaires bien connus des autorités locales et donc dignes de confiance. C’est ainsi que la Région a pu, durant le confinement, distribuer plus de 13 millions de masques essentiellement en direction du personnel soignant, des forces de sécurité et des communes de moins de 20 000 habitants qui n’avaient pas la possibilité de s’approvisionner en Chine. La filière d’approvisionnement sécurisée, il a fallu vérifier la conformité des masques aux normes CE, Les délais de livraison et sécuriser les contrats. Contrairement à d’autres acheteurs publics de taille comparable, le choix opéré par la Région a été de conserver ses modes de contractualisation tout en accompagnant les entreprises. Les contrats passés durant cette période sont donc strictement identiques à ceux conclus en période ordinaire et ce dans le strict respect du droit de la commande publique sous le régime de l’urgence impérieuse tel que codifié à l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L2625LRN).
En outre, cette période exceptionnelle a permis de mettre à l’épreuve une organisation récente mise en œuvre depuis janvier 2018 autour d’un binôme « acheteur / juriste ». Ce « stress test » en conditions réelles a qualifié ce modèle d’organisation.
Forte de ces expériences, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a constitué une cellule régionale de coordination des achats d’EPI associant les grands acheteurs publics de la région, les centrales d’achats, des établissements publics à l’instar de l’Institut Français de la Santé, afin d’apporter, sur la base du volontariat et dans une approche coopérative et souple, conseils et recommandations sur l’achat de ces fournitures très spécifiques.
La cellule s’est réunie plusieurs fois d’avril à juillet et a permis d’échanger sur les pratiques de chacun
dans la gestion de ces achats :
- partager l’information sur les fournisseurs qui disposent de stocks, sur les fabricants de produits manufacturés, ainsi que sur les fournisseurs des matières premières utiles à leur production ;
- qualifier ces mêmes fournisseurs pour minimiser les risques d’escroquerie ou les difficultés d’approvisionnement ;
- identifier les pratiques qui ont fonctionné mais aussi les erreurs commises afin que tous puissent tirer profit de ces retours d’expérience ;
- partager les conditions de paiement négociées et les niveaux de prix signés ;
- rechercher un appui auprès de l’UGAP pour, notamment, envisager les regroupements de volume entre acheteurs et mieux connaître les disponibilités ;
- disposer, en fin de crise, d’un observatoire des approvisionnements pour capitaliser les expériences et produire des bilans.
La Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a ainsi pu à la fois apporter directement son concours aux professionnels et aux populations, organiser les flux d’information entre les grands donneurs d’ordre publics et préserver le tissu économique.
Elle a déployé des dispositifs d’aides économiques exceptionnels et des opérations ponctuelles telles que la fête des terrasses ou encore « sauvons Noël en Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur ». La Région a aussi su adapter ses relations contractuelles avec ses entreprises et la réalisation de son programme d’achats de 2020.
Enfin, et comme l’illustre par exemple l’émission d’ordres d’interruption de travaux, par l’indemnisation des entreprises qui ne pouvaient plus assurer le service ou encore la participation, étudiée au cas par cas, aux surcoûts liés à l’adaptation à la pandémie, la Région a eu, en cette période, une approche à la fois sérieuse, comptable des deniers publics mais aussi généreuse et solidaire avec le monde économique.
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