Lexbase Public n°625 du 6 mai 2021 : Contrats administratifs

[Actes de colloques] Les contrats publics à l'épreuve de la crise sanitaire - La commande publique, outil de relance ou de soutien économique ?

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par Frédéric Marty, chargé de Recherches CNRS – Groupe de Recherche en Droit, Economie, Gestion (GREDEG), Université de Nice Sophia-Antipolis

le 05 Mai 2021

La métaphore guerrière a été utilisée par les plus hautes instances de l’État au plus fort de la crise de la covid-19. Elle peut être mise en perspective au point de vue économique avec la situation d’il y a un siècle en ce que certaines questions peuvent être indirectement transposées. Premièrement, pendant le conflit et donc pendant la pandémie : comment mobiliser les ressources et minimiser les destructions ? En l’espèce financer la dette publique et limiter la destruction du capital productif et de l’emploi. Deuxièmement, au sortir du conflit comment gérer la reprise de l’activité ? Troisièmement, comment gérer les dettes « de guerre » et les déséquilibres structurels qui ont été aggravés par la crise ?

 

L’enjeu pour les pouvoirs publics est bien évidemment de passer le cap de la crise et de préparer les conditions de la reprise. Celle-ci dès le mois d’avril était décrite comme pouvant prendre des formes diverses. La première est une forme en V. La deuxième est une forme en U. La troisième est une forme en L. La quatrième est celle d’un double plongeon… en d’autres termes de deux marches d’escaliers

 

Pourquoi ces différents scenarii ? Tout simplement parce que la crise n’est pas que conjoncturelle. Tout comme après 1918, une situation de retour à la normale est en grande partie illusoire et ce au moins pour deux raisons. Premièrement, la France a abordé cette crise dans une situation économique et budgétaire extraordinairement fragile. Deuxièmement, son positionnement économique avec un fort poids du secteur des transports dans l’industrie manufacturière et surtout du tourisme l’a rendu bien plus vulnérable à la crise que les États membres du nord de l’U.E.

 

De façon un peu téméraire cette présentation pourrait se faire en trois temps. L’avant, où il s’agit de mettre en exergue les faiblesses de notre économie avant le déclenchement de la crise sanitaire. Le pendant, où il s’agit de montrer les conséquences de la crise. L’après, où il s’agit de mettre en exergue ses conséquences et d’insister sur la place de ce qui constitue le cœur de notre sujet : la commande publique. Cela nous conduit plus raisonnablement à nous attacher en première partie aux effets de la crise en montrant que ses effets ont été d’autant plus sévères (I B) que nous l’avons abordé dans une situation de très forte fragilité (I A). En seconde partie sont abordées la place de la commande publique dans la relance voire la reconstruction de notre tissu économique dans le cadre d’un plan de relance qui « privilégie les secteurs structurants et porteurs d’emplois, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en renforçant la cohésion sociale et territoriale » (II A) et les enseignements qui peuvent être dégagés de l’économie industrielle quant à un recours efficace à celle-ci (II B).

 

I. Une crise qui aggrave les déséquilibres et les faiblesses du tissu économique français

 

 

Il s’agit de considérer successivement les facteurs de vulnérabilités économiques et sociales de la France avant la crise (A) et l’impact économique et budgétaire de celle-ci (B).

 

A. Une position défavorable avant la crise

 

 

La France abordait la crise dans des conditions de forte fragilité. Les effets de la crise de 2008 n’avaient été qu’imparfaitement absorbés.

 

Les données de cette section sont simplement tirées des Tableaux de l'économie française de l’INSEE dans leur édition 2020 publiée en février dernier. Elles visent à illustrer la situation d’avant la crise à la fois en matière sociale, économique et budgétaire.

 

Chômage

 

Une première caractéristique de l’économie française d’avant mars 2009 est un taux de chômage d’environ 9 % de la population active certes en baisse mais encore bien plus élevé qu’en 2001 ou en 2008 (avec des taux inférieurs à 8 %).

 

Il présente en outre deux spécificités. Il est bien plus élevé que dans les pays d’Europe du Nord et il frappe particulièrement les moins de 25 ans. Le taux de chômage français s’établit à 9,1% contre 3,4 % en Allemagne et le taux chez les moins de 25 ans est de 20,7 % en France contre 6,2 % chez nos voisins d’outre-Rhin.

 

Pauvreté

 

Une deuxième spécificité de l’économie française est l’existence de poches de pauvretés particulièrement importantes chez les indépendants (22,1 % de la catégorie socioprofessionnelle selon les données de l’INSEE pour 2017) et dans une moindre mesure les employés (12,6 %) contre 10,4 % pour l’ensemble des actifs en emploi (ces données sont calculées en fonction d’un seuil à 60 %). Ces deux catégories seront particulièrement touchées par la crise et les différents confinements.

 

Pour autant l’importance des transferts sociaux en France fait que la pauvreté y est bien inférieure en termes relatifs que dans la moyenne de l’Union européenne et même qu’en Allemagne et Belgique. Le taux de pauvreté français après redistribution est l’un des plus faibles d’Europe. Seuls les Pays-Bas obtiennent un meilleur résultat. Nous verrons que cette redistribution a un effet en termes de prélèvements obligatoires.

 

Les prestations sociales sont particulièrement élevées dans les dépenses des administrations publiques en France et les parts des consommations intermédiaires et des investissements de celles-ci sont très faibles. Les collectivités locales sont celles qui investissent le plus. Pour autant la faible part des investissements dans un contexte de taux d’intérêts bas et de déséquilibre budgétaire structurel peut faire craindre une baisse drastique de l’investissement public en cas de hausse des taux (qui sont à un niveau historiquement bas). Au-delà de cet effet d’éviction potentiel, une crise qui ferait jouer les transferts sociaux (comme stabilisateurs automatiques) pourrait également compromettre les capacités de la commande publique.

 

Les données INSEE telles que produites dans la dernière édition des Tableaux Economiques de la France montrent que les administrations centrales dépensent plus de 532 milliards d’euros annuellement, les administrations publiques locales 256 milliards et les administrations publiques de sécurité sociale plus de 598 milliards. Les prestations sociales pèsent de 107 milliards du côté des administrations centrales, 26 pour les administrations locales et près de 460 pour la Sécurité sociale. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec la formation brute du capital fixe (i.e. l’investissement) qui ne représente respectivement que 27 milliards pour les administrations centrales et 43 pour les administrations publiques locales. Il convient de surcroît de souligner que les dépenses liées aux intérêts sur la dette représentaient, pour la même année 2017, 35 milliards de dépenses (voir site de l'INSEE).

 

Dégradation de la balance commerciale

 

À ces faiblesses sociales s’ajoutent une dégradation de la compétitivité de l’économie française laquelle est en grande partie liée à une mauvaise spécialisation productive qui renforcera encore la vulnérabilité à la crise. Notre balance commerciale est en effet systématiquement déficitaire depuis près de vingt ans après avoir été redressée entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990 comme le montrent les données infra extraites de l’INSEE.

 

1978

1982

1986

1990

1994

1998

2002

2006

2010

2014

2017

0,3

-14, 3

0,0

-12,2

5,8

19,3

3,5

-29,9

-52,4

-58,5

- 63,5

 

Désindustrialisation

 

Cet affaiblissement commercial est en grande partie lié à la quasi-disparition de la contribution de l’industrie à la croissance de la valeur ajoutée. Seuls les services tirent leur épingle de jeu mais ceux-ci recouvrent les activités touristiques qui seront particulièrement touchées par la crise.

 

agriculture

industrie

construction

Services marchands

Services non marchands

2007

-0,01

0,28

0,26

1,81

0,22

2011

0,07

0,39

-0,11

1,58

0,31

2017

0,08

0,22

0,13

1,44

0,19

 

 

L’affaiblissement de l’industrie est également perceptible en matière d’évolution de l’emploi depuis la crise de 2008. Pour autant il ne fait pas oublier que les politiques d’externalisation des firmes conduisent à déplacer de nombreux emplois vers les services à l’industrie, notamment en matière d’ingénierie. Le poids du secteur tertiaire en est mécaniquement accru. Pour autant, pour un indice base 100 en 2010, l’évolution de l’emploi salarié dans l’industrie (hors intérim) est passé de 125 en 2000 à 95 en 2018, ce qui témoigne de l’affaiblissement progressif de l’appareil industriel français sur les deux dernières décennies.

L’affaiblissement de l’industrie en termes relatifs apparaît avec un déficit structurel observé depuis 2004 qui certes ne s’aggravait pas avant la crise mais ne donnait guère de signes de résorption. Le solde entre les exportations et les exportations exprimé en milliards d’euros est passé de -10,5 milliards en 2000 à -57,9 milliards en 2017.

2000

2003

2006

2009

2012

2015

2017

-10,5

-3

- 36,4

- 45,9

- 72,3

- 43,3

- 57,9

 

Indicateurs de compétitivité

 

L’affaiblissement de l’industrie française sur les vingt dernières années est particulièrement sensible quand on compare l’évolution de sa valeur ajoutée à celle de l’industrie allemande. L’Italie et surtout l’Espagne font bien mieux que la France.

 

2000

2017

Allemagne

492

773

Italie

248

295

Royaume-Uni

307

291

France

250

286

Espagne

121

190

 

 

Dépendance vis-à-vis du tourisme

 

De fait la place du tourisme dans l’économie française s’est accrue de façon spectaculaire passant à quelques 55,5 milliards d’euros en 2018 contre 35,7 en 2000. Il s’agit cependant d’une industrie où la concurrence prix est forte, le niveau de qualification de la main d’œuvre modeste et la sensibilité à la conjoncture macroéconomique, sécuritaire et sanitaire particulièrement élevée. Cette manne (rente ?) a donc un revers (malédiction ?) : elle rend l’économie extrêmement vulnérable et détourne les investissements des secteurs à forte valeur ajoutée.

 

Statistiques de dépôts de brevets

 

Cette spécialisation défavorable a des conséquences en termes d’intensité de l’effort en recherche-développement. A nouveau la situation de la France est bien plus défavorable que celle de l’Allemagne et la condamne à la recherche d’une compétitivité prix qui est inaccessible dans le cadre de la monnaie unique. Les données INSEE montrent que l’Allemagne a une dépense intérieure de recherche-développement égale à 3 % de son PIB contre seulement 2,2 %  en France.

 

Si on considère les secteurs qui déposent le plus de brevets en France, on constate qu’il s’agit principalement des firmes, telles Valeo, PSA, Safran, Renault, Michelin ou Airbus, lesquelles relèvent du domaine des transports lesquelles vont être les plus touchées par la crise (au point de vue conjoncturel) et par le renforcement des exigences induites par les politiques environnementales (au point de vue structurel).

 

À ces faiblesses en matière de recherche-développement s’ajoutent de mauvais résultats par rapport à l’Allemagne en matière d’enseignement scolaire. Ceci compromet l’insertion sur le marché du travail et prive les secteurs d’activité potentiellement les plus stratégiques d’une main d’œuvre performante.

 

Comptes publics

 

Ces faiblesses économiques et sociales vont se traduire par des prélèvements sociaux et des dépenses publiques très élevés. L’élément le plus spectaculaire tient bien évidemment aux dépenses de santé qui sont particulièrement élevées en France (ce qui s’explique aussi par le vieillissement de la population) et qui ont montré dans le cadre de la crise qu’elles ne garantissaient en rien la capacité du système de santé français à faire face à l’aléa.

 

Le dérapage de la dette publique, qui avait commencé avant même la crise de 2008, n’a pu être maîtrisé que tardivement. Loin de l’objectif des 60 % du PIB, elle s’est stabilisée à partir de 2014 entre 90 et 100 %, entravant d’autant plus les marges de manœuvres budgétaires de l’État quand bien même la faiblesse des taux d’intérêts (et les possibilités de refinancement de la dette) en limitait le coût. La dette publique qui représentait déjà 87,8 % du PIB en 2010 avait atteint 98,5 % en 2018 avant la crise de la covid-19.

 

Quoiqu’il en soit la dette française se situe à des niveaux exceptionnellement élevés par rapport au reste de l’UE et au reste de la zone euro. La dette publique française en 2018 (98,5 %) est supérieure à celle de la zone euro (86,8 %) et de la moyenne des États membres de l’UE (81,6 %). La dette de l’Allemagne ne représentait que 63,9 % de son PIB.

 

Bilan

 

Au final, la France entre en mars 2020 dans la crise sanitaire avec des fondamentaux très dégradés, notamment en termes de santé (comme en témoignent les données sur l’espérance de vie en bonne santé bien plus faible en France qu’en Allemagne avec un différentiel de près de deux ans).

 

Les évaluations de la Commission européenne

 

Le Semestre européen de février 2020, établi par les services de la Commission, permet de souligner les faiblesses de la France avant même le déclenchement de la crise [1], faiblesses qui expliqueront, en partie, sa plus forte fragilité que certains de ses partenaires européens : « La France a poursuivi son effort de réforme, mais de nouvelles mesures sont nécessaires pour continuer d'améliorer les performances de son économie. Des problèmes structurels subsistent, notamment en ce qui concerne le niveau élevé de la dette publique et du chômage. La France a en outre enregistré un ralentissement de sa productivité, qui rend nécessaire de continuer à investir dans les compétences et d'avancer rapidement dans la mise en œuvre de la récente réforme du système d’enseignement et de formation professionnels, et des mesures visant à améliorer l’environnement des affaires ».

 

« La compétitivité de la France continue d’afficher des résultats contrastés. Après avoir diminué pendant de nombreuses années, les parts de marché à l’exportation se sont récemment stabilisées, mais le terrain perdu n’a pas été récupéré. La balance courante est restée globalement stable et la position extérieure globale nette s’est légèrement améliorée ».

 

B. Le coût de la crise

 

Données statistiques

 

La crise qui frappe la France en mars 2020 trouve celle-ci dans une situation de fragilité économique. Il convient d’insister sur la faible compétitivité extérieure en partie liée à une désindustrialisation et un positionnement défavorable (en termes d’innovation et de qualité hors prix) et de mettre en exergue l’importance de deux secteurs particulièrement vulnérables à la crise : le secteur des transports et celui du tourisme. Parmi les faiblesses il convient d’insister sur le poids de la dette publique et sur celui des transferts sociaux.

 

Quelques données de l’INSEE permettent d’illustrer les conséquences du premier confinement et de montrer comment se dessinait la reprise jusqu’en septembre … avant que le second confinement intervienne. Si la forme de la reprise rappelle bien un V (ce qui est rassurant), les niveaux atteints en septembre demeuraient inférieurs à ceux atteints en février et ce quel que soit l’indice considéré.

 

L’évolution du climat des affaires (données INSEE du 24 novembre 2020) 7 montre que le choc fut plus important que celui de 2008 et que la reprise de l’été a été très vite contrariée par l’anticipation du second confinement. L’indicateur est passé de 105 à 55 avec le premier confinement. Il était remonté à 90 durant l’été pour redescendre à 80 en début d’automne.

 

L’évolution des anticipations en matière d’emploi reprend exactement la même dynamique avec une baisse de 105 à 50 au premier trimestre, un retour à 90 en début d’été et une érosion à 85 au fil de la reprise de la pandémie en septembre-octobre.

 

Bien plus inquiétante est la hausse du taux de chômage dans la mesure où celle-ci est limitée par les généreux dispositifs de chômage partiel mis en œuvre par le gouvernement dès le mois de mars. Une crainte légitime est que ces données se dégradent encore début 2021 non seulement à cause des effets du second confinement mais aussi du fait des plans sociaux et des défaillances d’entreprises. Le taux est passé de 7 à 9 % avec la crise de la covid-19, en annulant ainsi tous les gains réalisés depuis 2016.

 

Il peut être à ce titre intéressant de considérer la statistique établie par l’INSEE quant à la part du sous-emploi dans l’emploi. Cette donnée mesure les effets du chômage partiel lors du premier confinement. Comme l’indique l’INSEE : « Sous l'effet du dispositif d'activité partielle pendant le confinement, le sous-emploi a connu un pic exceptionnel au deuxième trimestre, à 20,0 % des personnes en emploi, dont 15,4 % de personnes en situation de chômage technique ou partiel. Au troisième trimestre 2020, cette part se replie (– 12,8 points) en retrouvant un niveau plus habituel : 7,2 % ».

 

Le recours à l’activité partielle a été massif comme le montrent les données produites par l’OFCE en octobre 2020 [2].

 

Il convient enfin de s’attacher aux données relatives à l’activité. Comme l’indique, logiquement, l’INSEE « en août 2020, la production dans les services accélère (+ 4,1 %) mais reste inférieure à son niveau de février (-7,2 %). La première phase de la crise a été particulièrement forte dans le secteur du tourisme et des services ».

 

L’indice de la production dans les services est passé de 125 à 115 au plus fort de la crise pour le secteur de l’information et de la communication (base 100 en 2015) mais il s’était effondré de 120 à 20 pour le secteur de l’hébergement-restauration (qui était revenu à l’indice 100 cet été).

 

Dans l’industrie manufacturière, les conséquences ont été relativement moindres mais ont particulièrement frappé le secteur des équipements de transports qui constitue rappelons-le un des points forts de l’industrie française [3]. Le chiffre d’affaires dans le secteur des équipements de transport est passé de l’indice 130 à l’indice 40 au plus fort de la crise pour s’établir en début d’automne à 90.

 

Quelles sont les perspectives selon l’OFCE ?  

 

L’OFCE a produit, comme nous l’avons supra, des estimations réalisées en octobre 2020 avant le second confinement [4]. Le choc en termes de PIB était alors prévu de l’ordre de 9 % et était appelé à être absorbé à 55% par les administrations publiques. Le revenu des entreprises était – avant même le nouveau confinement – appelé à se réduire de 41 %. Non seulement la baisse de revenu des ménages devait alors (en moyenne) se limiter à 5 % mais ces derniers avaient accumulé une épargne additionnelle de quelques 86 milliards d’euros.

 

Pour les finances publiques, le déficit atteindrait 8,9 % du PIB en 2020 et encore 6,3 % en 2021. Également inquiétant en regard de la situation de départ, le taux de chômage devait atteindre 11 % fin 2020. Ces 810 000 chômeurs additionnels seront bien évidemment plus nombreux du fait de l’impact du second confinement.

 

L’OFCE confirmait son hypothèse de reprise en V (avec un seconde barre plus courte que la première…) en tablant sur une croissance de 7 % en 2021, soutenue par un impact de 1,1 % du plan de de relance sur le PIB. Le plan devait encore permettre de gagner 0,9% de croissance additionnelle en 2022… mais encore une fois dans l’hypothèse aujourd’hui démentie par les faits qu’il n’y aurait pas de second confinement.

 

D’autres données produites par l’OFCE permettent d’ailleurs de montrer comment la baisse de l’activité dans les pays analysés a été corrélée avec la sévérité des mesures de confinement.

 

Cependant, ce confinement particulièrement préjudiciable en termes d’activité économique, l’a moins été en termes d’emploi grâce aux mesures gouvernementales. En effet, comme le note l’OFCE : « L’impact sur le marché du travail des chutes d’activité a été amorti dans de nombreux pays européens par des dispositifs de chômage partiel et par un recours accru au télétravail. L’activité partielle a ainsi permis de maintenir les salariés en emploi et de les indemniser en cas de réduction temporaire de leur durée du travail. Il en est résulté une hausse modérée du taux de chômage en Europe et un quasi-maintien du revenu des salariés ».

 

En matière de perspectives de reprise, la situation en France, comme dans d’autres pays telle l’Espagne qui sont dépendants de l’activité touristique, va grandement dépendre d’un éventuel retour à la normale… et donc de la levée des confinements et de la mise à disposition rapide des vaccins. Les données OFCE permettent de comparer dans les économies concernées le poids relatif des secteurs les plus touchés par la crise. Le secteur du tourisme est particulièrement important en France, en Italie et en Espagne.

 

L’économie française est, comme nous l’avons déjà relevé, très « présente » dans les secteurs perdants de la crise de la covid-19…

 

Il convient de prendre en considération, pour saisir la magnitude de la crise, le coût relatif de la crise par rapport à celles que la France a traversé ces cinquante dernières années. L’OFCE a évalué les impacts trimestriels sur le PIB de différentes crises. Les évènements de mai 1968 n’ont conduit qu’à une baisse de PIB de 2 % au deuxième trimestre 1969. Le second choc pétrolier n’a conduit qu’à une baisse inférieure à 1 %, la crise des subprimes à une baisse de 3 %. La crise de la covid-19 a fait chuter notre PIB trimestriel de quelque 20 %.

 

Un autre intérêt des données OFCE est de permettre de distinguer, pays par pays, les poids relatifs des plans d’urgence et des plans de relance. Au-delà du cas particulier américain, d’un plan de soutien massif sans plan de relance, lequel est lié sans doute au contexte électoral (plus de 10 % du PIB), il convient de relever que les impulsions françaises sont très raisonnables en comparaisons de celles de nos partenaires européens.

 

Ces dépenses ont un effet amortisseur mais ne permettront pas de contrecarrer la progression de la pauvreté comme cela est particulièrement craint en cette fin d’année 2020.

 

 

II. Une nécessaire relance au point de vue conjoncturel et restructuration au point de vue structurel ?

 

 

Il s’agit dans cette seconde section de s’attacher successivement à la réponse des pouvoirs publics au plus fort de la crise (A) et aux mesures de relance de l’activité (B). Il s’agit à la fois d’éviter le risque d’une dépression économique à court terme et d’engager des restructurations économiques à long terme.

 

 

A. Une relance qui passe par les soutiens publics au plus fort de la crise

 

Nous considérons successivement les conséquences potentielles du PGE (prêt garanti par l’État) et l’impact fiscal possible de la crise. Il convient d’insister sur le fait que les mesures de soutien annoncées dès le mois de mars avaient une double finalité à la fois en termes de demande et en termes d’offres. En matière de demande il s’agissait de fournir au travers de l’indemnisation du chômage partiel un moyen de remplacer les salaires qu’allaient perdre les salariés à cause du confinement et donc éviter une baisse trop nette de la demande et de prévenir des risques sur la solvabilité des ménages. En matière d’offre, il s’agissait d’éviter des licenciements de façon à préserver les compétences des firmes et de ne pas obérer leurs chances au moment de la reprise.

 

Les garanties d’État et les entreprises zombies

 

Au-delà même de la relance les craintes portent sur deux facteurs immédiats. Le premier à très court terme tient à l’effet anesthésiant des crédits publics, par l’intermédiaire notamment la mise en œuvre du prêt garanti par l’Etat [5], avec la problématique des entreprises zombies (voir illustration infra). Le second porte sur la peur d’un mur de faillites quand les aides vont cesser.

 

L’effet préventif ou retardant des aides sur les possibles défaillances d’entreprises a été analysé par les travaux de l’OFCE [6]  : « Le dispositif d’activité partielle, mis en place par le gouvernement, a été très efficace pour limiter les défaillances. En prenant en charge une partie de la masse salariale des entreprises, ce dispositif réduit considérablement le nombre d'entreprises insolvables. Sans lui, la part d’entreprises défaillantes serait passée de 3,2 % à 4,4 % en janvier 2021 et 4,6 % un an après le confinement, une valeur deux fois plus importante que celle attendue sans la crise. Sur le million d’entreprises étudiées, ce sont ainsi 12 000 qui sont restées solvables grâce au dispositif d’activité partielle ».

 

Le risque classique en économie en pareille situation est un double risque d’anti-sélection et d’aléa moral. Ne risque-t-on pas de soutenir en vain des canards boiteux ? Des entreprises peuvent-elles rester artificiellement sur le marché sans activité pour bénéficier des soutiens ? Cela retarde la réallocation du capital [7] et conduit à utiliser de façon sous-optimale des financements publics.

 

Cependant, les aides peuvent être considérées de façon plus favorable dès lors que la problématique est envisagée selon le dilemme rentabilité /solvabilité. Pour l’OFCE, « parmi les entreprises exposées au risque de faillite se trouvent des entreprises économiquement viables. Il est vraisemblable que leur fragilité provienne d’un niveau d’endettement initial important augmentant d’autant les coûts fixes ou d’une trésorerie trop faible sanctionnant tout écart de performance. »

 

Dans ce cadre-là, les aides sont légitimes et permettent de pallier une imperfection de marché. Leur coût budgétaire s’élève à 8 milliards d’euros.

 

Mais le plus grand risque, ce sont les entreprises zombies. Ce dernier définit les entreprises zombies à partir de l’expérience japonaise des années 1990 : « Les entreprises zombie ne sont pas un phénomène nouveau. Les entreprises marginalement rentables ont occupé une place importante dans la “décennie perdue” du Japon dans les années 1990. Elles ont depuis gagné du terrain dans le reste du monde. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), qui regroupe plusieurs banques centrales, près d’une entreprise sur six cotées en bourse dans les pays riches pouvait être classée comme zombie à l’approche de la pandémie, contre environ une sur vingt dans les années 1980. Il s’agit d’entreprises qui ne génèrent pas suffisamment de revenus pour payer les intérêts de leurs emprunts pendant trois années consécutives et dont les valorisations sont faibles, ce qui laisse entrevoir des perspectives moribondes [8] ».

 

La crainte de favoriser cette possibilité est l’une des critiques faites au PGE (300 milliards euros). Les risques (qui sont démultipliés comme au Japon il y a trente ans par des taux d’intérêt réels négatifs) sont les suivants : une concurrence faussée sur le marché des biens et des services, des risques additionnels pour les comptes des banques, un poids croissant pour le budget public et surtout en termes de dynamique économique un retard de modernisation.

 

Il convient enfin de noter que le PGE n’est pas le seul dispositif de soutien des entreprises mis en place durant la crise. Les entreprises peuvent également s’appuyer sur le fonds de développement économique et social (FDES) pour aider les restructurations financières, les prêts bonifiés et les avances remboursables pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire, les prêts participatifs pour les TPE [9]et enfin des facilitations en termes d’affacturage.

 

Dette publique et équivalence ricardienne

 

Il convient également de prendre en considération l’impact négatifs sur la relance des risques perçus par les acteurs économiques et notamment les ménages liés au remboursement de la dette. Ces derniers peuvent anticiper (de façon adaptative ou rationnelle) de futures hausses des impôts et des prélèvements sociaux pour rembourser la dette qui devrait selon les estimations passer de 98 à 120 % du PIB. C’est la classique équivalence Barro / Ricardo en économie : Impôt (immédiat) et déficit génèrent les mêmes conséquences économiques dès lors que les agents économiques forment des anticipations rationnelles, ce qui neutralise théoriquement la relance escomptée d'un programme de dépenses publiques [10].

 

En effet, la crise s’est traduite, du moins dans sa première phase, par une épargne forcée [11] et une épargne de précaution des ménages et ce dans toute l’Europe comme le montrent les données OFCE [12]. Il est d’ailleurs à noter qu’en pourcentage du PIB l’épargne additionnelle est bien plus élevée au Royaume-Uni qu’en France.

 

Cette épargne (qui a été en grande partie causée par la baisse contrainte de la consommation qui a été liée aux confinements) est souvent dénoncée comme un obstacle à la reprise. Elle résulte également en grande partie de la prise en compte par les ménages de deux types de risques que sont la crise à venir : l’anticipation, comme nous l’avons noté supra, d’une forte hausse de la pression fiscale résultant de la dégradation spectaculaires de comptes publics qui étaient déjà fortement déséquilibrés avant la crise, mais aussi la crainte d’une nette dégradation de la conjoncture économique et de l’emploi quand les dispositifs d’aides aux entreprises vont cesser…

 

Ceci plaiderait en première approximation pour une pérennisation des soutiens mais elle se paie non seulement par le risque de maintenir artificiellement en vie des activités improductives ou non viables mais aussi par une aggravation inexorable de la pression fiscale. Or, les fonds publics ont un coût : coût de collecte et impact sur les incitations des entreprises et ménages imposés. Le coût des fonds publics est communément évalué en France à 1,2 [13]. En d’autres termes, un euro d’argent public coûte 1,2 euro à l’économie. Il faut donc que son « rendement » (ou son effet multiplicateur) dépasse 1,2 pour que la mesure publique soit « efficace » économiquement [14].

 

Sans revenir à la « controversée » Courbe de Laffer des années 1980 [15], cet effet désincitatif et coûteux de l’impôt est d’autant plus fort que le taux de prélèvements publics est élevé. Il l’est particulièrement en France comme le montrent les données INSEE. Le taux de prélèvements obligatoires est en effet passé de 30 % en 1960 à 45 % en 2018 (il est constamment supérieur à 40 % depuis 1981).

 

Le taux des prélèvements obligatoires en 2017 en France était tout simplement le plus élevé de l’UE. Des mesures de soutien ou de relance sont d’autant contrecarrées par de possibles anticipations « rationnelles » des agents économiques.

 

Or, comme l’indique le projet de loi de finances 2021 et comme nous l’avons vu avec les projections de l’OFCE, l’impact de la crise sur les comptes publics sera très sensible [16]. Le déficit 2020 sera supérieur à 10 % du PIB et le déficit 2021 était déjà prévu à 6,7 % avant l’arrivée de la deuxième vague.

B. Des conditions d’efficacité à prendre en considération

Une part significative des financements publics passe par des mesures de soutien. La question de leur efficacité est déjà centrale. Dès lors que l’on passe aux dimensions reliées à la relance, la question de l’efficacité de la gestion publique et de la dépense publique se pose avec encore plus d’acuité. La question préexistait à la crise comme le montre le rapport de la Cour des comptes Finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance, rendu public le 18 novembre 2020.

L’efficacité d’une relance n’est pas limitée à des dimensions conjoncturelles dans lesquelles il suffirait de réamorcer la pompe dans une logique de keynésianisme naïf. Une relance efficace économiquement passe par des politiques structurelles et non pas seulement conjoncturelles. Comme le note Jean-Luc Gaffard : « Les mesures requises de politique économique doivent satisfaire une double exigence, celle de stabilisation immédiate et celle de transformation structurelle. Il convient, certes, de massivement soutenir financièrement entreprises et ménages. Mais ce serait un leurre et une faute que de croire pallier ainsi les difficultés structurelles quitte à augmenter sans limite dépenses et dettes publiques, ou de persister, sans l’avouer ouvertement, dans la mise en œuvre des politiques dites de compétitivité et de flexibilité. La crise sanitaire devrait agir comme détonateur des réformes institutionnelles à même de permettre aux différents acteurs de sécuriser leurs choix à long terme et de construire l’avenir en commun ».

En effet, il s’agit de ne pas ramener la crise à une fluctuation conjoncturelle aussi extrême soit-elle. Des mesures transitoires (de nature financière) ne peuvent permettre un retour à la normale… laquelle d’ailleurs était loin d’être satisfaisante et pérenne en termes économiques, comme nous l’avons vu dans notre première partie.

C’était déjà la conclusion, dans une optique bien moins interventionniste mais convergente sur le fond, du trimestre européen de février 2020 : « Des réformes et des investissements ciblés dans les compétences, les infrastructures numériques et la recherche et l’innovation ont le pouvoir de générer des gains de productivité dans l’économie. Selon le Conseil national de productivité, la faible croissance de la productivité des entreprises françaises peut en partie s’expliquer par des facteurs communs à la plupart des pays de l’UE. D’autres facteurs, spécifiques au pays, sont également en cause, tels que le niveau de compétences comparativement faible de la main- d’œuvre, un faible taux de pénétration des technologies de l’information et de la communication et des performances sous-optimales en matière d’innovation. La mise en œuvre de plusieurs plans d’investissement ainsi que les efforts de réforme en cours contribueront à résoudre ces problèmes. Il faudra toutefois du temps pour que ces mesures exercent pleinement leurs effets sur la productivité ».

Pour autant, comme le relève Jean-Luc Gaffard [17], les réformes structurelles en question ne peuvent pas (seulement) tenir à des politiques visant à réduire le poids de l’intervention publique per se et à flexibiliser les marchés. Non seulement les restructurations du système productif prennent du temps et ne peuvent ni simultanées ni instantanées mais chaque acteur fait face à titre individuel non pas à une situation de risque mais à une situation d’incertitude. Des anticipations fiables sur le long terme à même de déclencher des décisions d’investissements en pareil contexte ne peuvent reposer sur les seuls signaux de prix de court terme donnés par le marché.

La relance doit être un outil de modernisation et de restructuration de l’économie française. Même si elle n’a pas l’importance qu’elle mériterait la partie « investissement » des plans de soutien et de relance français est appelée à s’accroître en 2021.

Cette relance doit donc s’articuler dans le cadre d’une stratégie économique pérenne. Il s’agit en d’autres termes, de favoriser au travers de l’intervention publique la réallocation du capital mais sur des avantages productifs durable. Les éléments sur la souveraineté industrielle, sur la ré-industrialisation ou encore les entreprises stratégiques peuvent s’intégrer dans cette stratégie mais l’enjeu n’est pas de rapatrier des industries d’hier où l’avantage coût joue significativement en notre défaveur et qui de surcroît sont polluantes. Il s’agit donc de favoriser, au travers de l’intervention publique une restructuration de notre économie, notamment à des fins de transition écologique.

De nombreux enseignements peuvent être triés de l’économie industrielle. Un premier fait écho au problème général des aides publiques : les aides à l’exploitation ne créent pas d’incitations, elles ont un effet d’éviction, favorisent la recherche et la capture de rentes et ne font au final que retarder l’ajustement productif… en détournant les ressources publiques d’utilisations où elles seraient plus productives. Un deuxième enseignement est que les financements publics doivent viser à favoriser les activités amont (notamment R&D). Ils doivent participer au développement d’infrastructures générateurs d’externalité positives pour les investissements privés comme le très haut débit par fibre ou encore la 5G. De surcroît l’intervention publique même au travers de la commande publique peut viser à renforcer les coopérations inter- entreprises. Il est nécessaire de favoriser les complémentarités de mettre en place des coordinations qui ne soient ni dirigistes ni anticoncurrentielles. Les échos avec l’après-guerre sont nombreux. L’Etat peut viser à développer une stratégie d’une coordination et le Plan peut jouer ce rôle.

Comme le relève Jean-Luc Gaffard, une coordination peut passer par des pratiques qui sont souvent dénoncées comme revenant à des imperfections de marché. Il peut s’agir de contrats de long terme mais aussi de moyens de prendre des décisions non plus en situation d’incertitude mais au moins de risque. La coordination est nécessaire pour des investissements complémentaires. Elle peut passer par un tiers qui peut être l’État qui peut conforter les anticipations des parties comme le faisait le MITI au Japon et le Commissariat Général du Plan en France.

Il convient enfin de développer une stratégie d’attractivité des territoires : les financements publics doivent être dans une logique de construction d’avantages compétitifs, d’effets d’agglomération… condition sine qua non pour qu’ils soient pérennes. Les flux d’investissements étrangers en France sont encore moins importants que les flux d’investissements français à l’étranger (voir les données INSEE 2020). Il faut les renforcer et surtout les stabiliser.

Il s’agit de réduire une intervention qui limite l’État a un rôle de brancardier et de financeur automatique des difficultés conjoncturelles pour renouer avec des objectifs de renforcement de la compétitivité hors prix des entreprises. Cela passe par l’assainissement des comptes publics, une politique de concurrence forte, des réformes structurelles de nature à renforcer la compétitivité de notre économie et enfin une commande publique efficace.

La commande publique est non seulement un vecteur essentiel de la relance mais peut aussi être un vecteur essentiel de restructuration si elle s’appuie sur acheteurs public doté d’une forte expertise technique, d’une rationalité de long terme et doté de priorités et de stratégies qui ne se limitent pas à une logique de seule minimisation des coûts. La commande publique sous la Quatrième et sous les débuts de la Cinquième République participait de cette logique de modernisation et de recherche de compétitivité. Cela suppose un Etat capable de se donner des priorités et de coordonner les investissements des firmes ou a minima de construire un cadre favorable et non sclérosant au travers de son poids fiscal ou d’une réglementation excessive.

Pour autant la problématique n’est pas seulement celle des grands projets ou celle des champions nationaux. La relance (ou la restructuration) passe par des projets plus modestes et suppose également un accès aux PME pour vivifier le tissu industriel français (qui est très faible à cet égard par rapport à celui de l’Allemagne, de la Suisse ou de l’Italie du Nord).

Cela suppose de réfléchir aux conditions du recours aux marchés publics dans le cadre du soutien à l’activité et de la relance.

L’encadrement de la commande publique a fait l’objet de plusieurs avancées dans le cadre du plan de relance. C’est notamment le cas du décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020, relatif aux avances dans les marchés publics (N° Lexbase : Z3042893). Il pérennise les mesures introduites par l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5734LWB). Il supprime le plafond de 60 % des avances qui était alors de 60 % du montant du marché. De la même façon, il supprime l’obligation de constituer une garantie.

Au-delà de ces mesures, le plan de relance va pour une grande part passer par la commande publique. Celle-ci étant devenue plus aisément accessible aux PME. Deux textes ont contribué à cette facilitation d’accès. Un décret du 22 juillet 2020 a tout d’abord relevé le seuil au-delà duquel il est besoin de lancer un marché public pour les travaux (de 40 000 à 70 000 euros) (décret n° 2020-893 N° Lexbase : L7038LXX). Une ordonnance du 17 juin 2020 (ordonnance n° 2020-738,  portant diverses mesures en matière de commande publique, prise sur le fondement de la loi n° 2020-319 du 25 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L4300LXK) avait également facilité l’accès aux PME et même aux entreprises en redressement. Tout d’abord, un plancher de 10 % du marché global aux PME et artisans. Ensuite, tout candidat pour être sélectionné doit sous-traiter à des PME. Pour ce qui est des entreprises en redressement, elles sont désormais admises à postuler à la commande publique, alors qu’avant, elles en étaient exclues. De la même façon, l’impact de la crise sur le chiffre d’affaires des entreprises ne peut pas être pris en compte comme critère de sélection.

Le plan de relance se distingue comme nous le verrons infra de la relance de 2008-2009 par la place accordée aux PME et aux collectivités locales qui constituent une part essentielle de la commande publique mais aussi de l’investissement public. Sur les 100 milliards consacrés à la relance, celles-ci vont recevoir 9 milliards de dotations d’investissement.

La question de l’accès des PME et / ou des entreprises locales fait écho aux débats sur le Small Business Act à la française. Il peut en tout état de cause être favorisé par deux facteurs. Le premier est l’accent mis sur la rénovation énergétique dans le plan de relance. Le second est – peut-être du fait même des contraintes liées aux délais – un accent mis sur le financement de nombreux projets et non de quelques grands projets.

La question des effets de la polarisation de la commande publique sur de grands projets a souvent été posée dans la littérature économique. Si elle peut avoir quelques avantages par rapport à un saupoudrage, elle peut présenter des faiblesses non seulement en termes d’utilité socio-économiques des investissements mais aussi de retombées sur l’ensemble du tissu industriel. Cette question est celle qui caractérise de nombreux contrats globaux. Il peut être à ce titre intéressant de comparer la relance actuelle et ses vecteurs possibles avec les marchés de partenariats (alors contrats de partenariats) typiques de la relance par l’investissement de 2008.

Ces contrats présentaient les avantages propres à une logique d’effet de levier des investissements privés mais en dehors de qualités indéniables en termes de contractualisation de la performance et de réponse à des écueils traditionnels de la commande publique (dépassement des coûts et/ou des délais et possible non atteinte des objectifs initiaux en termes de performance), cette voie contractuelle est moins de mise dans le contexte actuel. Premièrement, le contexte financier qui prévalait entre 2008 et 2012 était différent. La question financière ne se pose plus de la même façon quand les taux d’intérêt réels sur la dette publique sont négatifs. Les financements privés ne sont plus nécessaires comme ils l’étaient alors.) Deuxièmement, ces contrats étaient très longs à mettre en œuvre, notamment du fait de leur complexité (mise en œuvre d’un dialogue compétitif etc…) et des contraintes (essentielles) de l’évaluation préalable (évaluation comparée des modes de réalisation et vérification de la soutenabilité budgétaire des engagements). Troisièmement, ils posaient, malgré cette évaluation préalable, le problème essentiel de la sélection des investissements notamment en matière d’évaluation de l’utilité socio-économique des investissements (surdimensionnement, éléphants blancs, biais de bancabilité …) et créaient par leur durée et leur complexité même des phénomènes de vulnérabilité en regard de l’irréversibilité des renégociations et d’irréversibilités budgétaires [18].

Dans le cadre du plan actuel, le saupoudrage peut avoir son efficacité.

 

Premièrement, il renforce la place des collectivités locales lesquelles sont a priori mieux placées pour l’évaluation des besoins).

Deuxièmement, il prend en compte le fait que les effets économiques positifs sont souvent plus forts pour les infrastructures secondaires que pour les grandes infrastructures. Ces deux premiers points méritent une discussion spécifique.

En effet, les investissements publics lancés à des fins de soutien de l’activité, de renforcement de l’attractivité des territoires ou de relance par les investissements portent souvent sur des projets greenfield  [19]. Ce sont des projets visibles, tangibles et valorisables dans une logique de promotion de l’action publique bien plus que des projets d’amélioration des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement ou des projets de rénovation énergétique des bâtiments publics. Or, ces nouveaux investissements peuvent être sous-utilisés et ne créent pas en eux-mêmes une utilité collective [20]. La dépense budgétaire peut avoir un effet positif pour l’entreprise qui en bénéficie (et donc avoir un intérêt en termes de soutien à l’activité) mais s’avérer négative en termes de bien-être social, dès lors que ses retombées sont moindres que le coût des fonds publics investis [21]. Les raisons peuvent en être multiples. Elles peuvent venir de biais des décideurs en faveur des projets « emblématiques » mais aussi des difficultés à prévoir la fréquentation de grandes infrastructures sur des horizons temporels très éloignés, laquelle va à la fois dépendre de l’activité macroéconomique, de la réalisation d’équipements publics complémentaires et d’investissements privés qu’il va être impossible de séquencer et de coordonner. [22]. À l’inverse, les projets de taille plus modeste (des routes secondaires, des infrastructures de transport locales) sont moins sujettes à ces erreurs d’anticipation par leur nature même et du fait d’un horizon temporel plus raisonnable [23].

La littérature économique montre que les biais dans les choix d’investissements en faveur des grands projets ne sont pas prévenus par les évaluations ex ante [24]. Ce risque serait d’autant plus significatif dans notre situation où la relance se fait dans des délais qui ne permettent pas de procéder avec les mêmes règles que pour les investissements réalisés dans le cadre du Plan Juncker et du Programme d’investissements d’avenir (PIA) [25] et où il s’agit à la fois de soutenir l’activité d’un tissu économique de PME et de s’inscrire dans une politique environnementale. Cela nous conduit à considérer la troisième caractéristique du plan actuel.

Troisièmement, il permet de mieux cibler les projets brownfield et les projets de rénovation énergétique qui sont l’une des priorités des pouvoirs publics dans le cadre de leur politique de transition écologique.

Quatrièmement, il reconnait le besoin articulation avec l’Etat qui peut porter stratégie d’ensemble de coordination des efforts de tous et de restructuration industrielle. Ce dernier point est essentiel. La dépense publique par les investissements ne créé pas de l’efficacité en elle-même. Un investissement improductif est une perte sèche pour l’économie. Comme le note Jean-Luc Gaffard [26] : « Il est nécessaire de réformer les procédures de gestion [des choix d’investissements publics] de manière à garantir que les dépenses publiques d’investissement ne se résument pas à une distribution de revenus déclenchant une hausse des consommations courantes via un effet multiplicateur, mais concourent par leur complémentarité au développement de dépenses privées d’investissement ».

 


[1] Commission européenne, (2020), Document de travail des servies de la Commission – Rapport 2020 pour la France, Semestre européen 2020: évaluation des progrès concernant les réformes structurelles, la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, et résultats des bilans approfondis au titre du Règlement (UE) n° 1176/2011, , Bruxelles, 26 février, SWD(2020) 509 final.

[2] Heyer E. et Timbeau X., (2020), Perspectives économiques 2020-2021, OFCE Policy Brief, 78, 14 octobre 2020.

[3] La situation de l’industrie reliée aux activités de transports est d’autant plus déterminante que celle-ci est étroitement liée à l’activité (notamment celle en lien au transport aérien) et peut être affectée par des évolutions fiscales et réglementaires relatives à la politique environnementale. Ce faisant, ces activités se caractérisent par une double vulnérabilité.

[4] Heyer E. et Timbeau X., (2020), op.cit.

[5] Le PGE consiste en un dispositif de garanties publiques permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises. D’un montant de 300 milliards d’euros celui permettra jusqu’au 30 juin 2021 d’obtenir pour les entreprises un prêt pouvant atteindre 3 mois de chiffre d’affaires 2019 ou 2 années de masse salariale.

[6] Guerini M., Nesta L., Ragot X., Schiavo S. 2020, Dynamique des défaillances d'entreprises en France et crise de la Covid-19, Sciences Po, OFCE Policy Brief, n°73.

[7] Les entreprises zombies ne sont pas près de mourir, Le Nouvel économiste, 5 octobre 2020.

[8] Les petites entreprises ne pouvant accéder facilement au PGE peuvent obtenir des prêts « junior », à rembourser en 7 ans.

[9] Brand T., (2007), Dette et fiscalité selon Barro, Regards Croisés sur l’Economie, 2007/1, pp. 135-137;

[10] Le premier confinement s’est traduit par une contraction de la demande de 30 %.

[11] 38 milliards d’euros en Italie, 62 en France, 76 en Allemagne et 89 au Royaume-Uni.

[12] Beau M., (2008), Le coût social marginal des fonds publics en France, Annales d’Economie et de Statistique, n° 90, pp. 215-232.

[13] On ne se place ici que sur le seul volet de l’efficacité et non sur celui de la répartition… ce qui a bien entendu un fort impact en termes de politique économique et ne saurait donc être tenu pour neutre en termes de choix publics

[14] Minea A. et Villieu P., (2009), Impôt, déficit et croissance économique : un réexamen de la courbe de Laffer, Revue d’Economie Politique, 2009/4, vol. 119, pp. 653-675.

[15] PLF 2021, La relance, site du Minefi.

[16] Gaffard J.L., (2020), De la crise sanitaire à la crise économique ou la double exigence, GREDEG Working Papers 2020-41, Groupe de Recherche en Droit, Economie, Gestion (GREDEG CNRS), Université Côte d'Azur.

[17] Gaffard J.-L., (2020), Ibid.

[18] Marty F. et Saussier S., (2018), Le phénix renaîtra-t-il de ses cendres ? Réflexions sur le recours des collectivités territoriales aux marchés de partenariat public-privé , Revue d'Economie Financière, 132, 2018-4, pp. 129-148.

[19] Construction d’une nouvelle infrastructure ou d’un nouvel équipement par opposition aux projets brownfield qui consistent en la rénovation d’une infrastructure existante

[20] Rodriguez-Pose A., Crescenzi R. and Di Cataldo M., (2018), Institution and the Thirst for ‘Prestige’ Transport Infrastructure, in Gückler J. et al., eds., Knowledge and Institutions, Springer, pp. 227-245.

[21] Acemoǧlu D. and Dell M., (2010), Productivity differences between and within countries, American Economic Journal: Macroeconomics, 2(1), pp. 169-188;

[22] Flyvbjerg B., (2009), Survival of the unfittest: Why the worst infrastructure gets built – and what we can do about it, Oxford Review of Economic and Policy, volume 25, pp. 344-367.

[23] Ottaviano G.I.P., (2008), Infrastructure and Economic Geography: An Overview of Evidence, European Investment Bank Papers, 13(2), pp. 8-35.

[24] Flyvbjerg B., (2009), op. cit.

[25] C’est la mission du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) qui est chargé de la mise en œuvre du Programme d'investissements d'avenir (PIA) et qui assure également l'évaluation socio-économique des grands projets d'investissement public ainsi que la coordination du plan d'investissement européen (« Plan Juncker »).

[26] Gaffard J.-L., (2020), op. cit.

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