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par Ghislaine Markarian, Présidente de la troisième chambre du tribunal administratif de Marseille
le 04 Mai 2021
1 - Introduction : ressenti personnel de la crise
Le premier confinement est survenu de manière brutale le 17 mars 2020 et a stoppé la dynamique juridictionnelle, puisque les tribunaux ont fermé.
L’activité s’est poursuivie de mon domicile sans pouvoir traiter les urgences, ce qu’a permis l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L9170LWK) permettant ainsi de poursuivre alors, tant bien que mal, une part d’activité juridictionnelle et notamment de traiter les référés en cours.
En revanche, le second confinement est resté sans conséquence pratique dès lors que les tribunaux sont restés ouverts et que toutes les audiences sont tenues.
2 - Organisation induite
Le premier confinement a contraint les magistrats et les personnels de greffe à demeurer chez eux.
Les ordonnances prises le 25 mars 2020 ont adapté les règles de fonctionnement des juridictions avec la possibilité notamment de tenir des audiences hors présence du public, par voie de communication audiovisuelle ou téléphonique, de tenir des audiences de référé sans audience (après information des parties et fixation d’une date de clôture d’instruction). Des mesures ont également été prises pour la signature, la lecture et la notification des décisions de justice, pour les échanges avec les parties par tous moyens. Ces dispositions ont été effectivement appliquées.
Seules des audiences de référés ont eu lieu avec ou sans audience et le Tribunal a eu à connaître de nombreux référés-liberté liés à l’épidémie de Covid. J’ai ainsi statué sur tous les référés enregistrés dans ma chambre sans audience publique ainsi que par voie d’ordonnances sur le fondement de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2796LPA).
En revanche, aucune audience collégiale ne s’est tenue. Les magistrats ont toutefois poursuivi leur activité et traité des dossiers, conservés en attente d’enrôlement.
S’agissant des greffes, le télétravail a été mis en place de façon à gérer l’enregistrement et le traitement des affaires. Fin mai les audiences collégiales ont repris avec une organisation séquencée.
Pour le second confinement, le travail juridictionnel s’avère en revanche plus aisé puisque l’activité juridictionnelle est maintenue dans sa plénitude et le télétravail mis en place s’est poursuivi soit en présentiel soit par voie d’échanges audio/visio notamment pour la tenue des séances d’instruction.
3 - L’activité
L’arrêt des chantiers n’a pas d’impact immédiat sur l’activité juridictionnelle.
Je n’ai pas été saisie de contentieux liés directement aux difficultés liées à la crise sanitaire ou liées aux diverses mesures mises en place pour faciliter l’exécution des contrats publics.
La commande publique a soutenu la trésorerie des entreprises cocontractantes des personnes publiques Les procédures de passation de marchés ou de contrats qui étaient envisagées ont été semble-t-il reportées. Les mesures prises par ordonnance ont permis en effet l’ajournement des marchés, la prolongation de marchés existants, la mise en œuvre de procédure négociées sans publication en cas d’urgence impérieuse ou le report de remise des candidatures et des offres, ou de la prolongation de la validité des offres.
D’où un infléchissement du nombre de procédures de référés marchés après le premier confinement (mars avril : référés déjà engagés ou liés à des procédures abouties : une dizaine d’affaires- 3 sur les mois de juin/juillet), infléchissement qui s’est poursuivi ensuite. Le nombre de référés précontractuels a ainsi diminué et reste en cette fin d’année inférieur à l’année passée.
4 - Le règlement des litiges
Pour l’instant, compte tenu notamment des mesures prises par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, qui a adapté le droit commun de la commande publique au contexte sanitaire actuel : délais de remise des plis, prolongation des contrats en cours, l’augmentation du montant des avances. Des mesures ont été également été prises pour empêcher l’application de pénalités contractuelles en cas de difficultés d’exécution des contrats, les difficultés liées à l’arrêt des chantiers et de fait à l’allongement de la durée des travaux ne sont pas encore parvenues au tribunal.
Ces difficultés se feront jour nécessairement lors de l’établissement des décomptes notamment pour les marchés de travaux qui sont forfaitaires et dès lors, que de manière générale, les marchés ne prévoyaient pas de stipulations particulières aménageant les cas de force majeure. De même, s’agissant de délégations de service public ou de concessions, des difficultés vont nécessairement voir le jour pour le paiement des redevances,
Les entreprises vont être confrontées à des difficultés économiques qui seront nécessairement source de contentieux et elles pourront également faire valoir l’imprévision du fait de la mise en péril économique des contrats.
Ces contentieux sont attendus car inéluctables au regard de la durée du confinement et des graves conséquences financières induites pour les entreprises.
5 - Le présent
A l’heure actuelle, la difficulté me semble-t-il pour la juridiction est de reprendre une activité normale, maintenir ses délais de jugement et la gestion de ses stocks et l’activité juridictionnelle se poursuit dans le respect de toutes les contraintes de sécurité sanitaire.
Le télétravail s’installe de manière pérenne dans son mode de fonctionnement notamment pour les agents de greffe, qui étaient tous auparavant en présentiel.
6 - L’avenir
Concernant la juridiction administrative, l’expérience du confinement impactera nécessairement son mode de fonctionnement puisque le confinement a emporté une nouvelle organisation du travail qui va demeurer.
Au plan contentieux, je m’attends à une augmentation de dossiers contentieux en lien direct avec le confinement et que nous n’avions pas nécessairement, qu’il s’agisse par exemple de délais de paiement, de délais d’exécution, de pénalités contractuelles, de résiliation pour cause notamment de difficultés financières des entreprises ou même de respect des mesures prises en matière de commande publique comme celles de l’ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 (N° Lexbase : L4300LXK), facilitant l’accès aux marchés publics et aux contrats de concession pour les entreprises en redressement judiciaire ou l’obligation de confier 10 % de l’exécution d’un marché à une PME.
S’agissant des procédures de passation, à mon sens, elles évolueront nécessairement afin d’intégrer des stipulations particulières aux périodes de crise et la rédaction des documents de consultation prendra acte de l’état d’urgence sanitaire actuel. Les CCAG à venir prendront vraisemblablement en compte et de manière plus encadrée de tels évènements (davantage que l’article 18-2 du CCAG Travaux).
7 - Au final, un vœu
Que l’on puisse se souhaiter, le 1er janvier 2021, une bonne et heureuse année et qu’elle répare les dommages de la précédente.
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