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par Jean Grataloup, Directeur juridique du département des Bouches-du-Rhône
le 04 Mai 2021
La crise sanitaire a frappé par son ampleur et son caractère inédit.
Même si la gestion de crise a été excessivement complexe sur de nombreux points, les administrations et les collectivités locales plus particulièrement se sont dotées d’outils de gestion de crise.
Ainsi, 15 jours environ avant le confinement de mi-mars, les plans de continuité des activités (PCA) ont été établis ou réactualisés
L’ultra-mobilisation des agents et prestataires a permis de développer le télétravail qui n’était qu’en expérimentation au département au début de la crise (50 télétravailleurs au début de la crise, 2500 mi-juin).
S’agissant du domaine de la commande publique au sens large, le PCA du Département des Bouches- du-Rhône a établi une organisation permettant la mobilisation des moyens financiers, techniques et humains :
- d’assurer les commandes ou/et d’en lancer de nouvelles en utilisant l’urgence impérieuse en tant que de besoin ;
- de prévoir le maintien de la chaine de paiement des fournisseurs pour éviter toute aggravation de la crise due à des retards de paiement et ce grâce notamment au télétravail des agents de gestion comptable et financière ;
- une front-line ultra-mobilisée pour assurer la continuité des services publics essentiels, passer les commandes (12 millions de masques achetés entre fin mars et mi-mai 2020), assurer la logistique (réception, stockage, distribution…), …
- un backoffice actif pour trouver des solutions pour lancer rapidement de nouveaux marchés, assurer les conditions de poursuite ou d’arrêt des contrats en cours, procéder à une analyse en temps réel des stipulations contractuelles ainsi que des incidences des différents textes (pour mémoire 62 ordonnances « Covid »), échanger avec les autres collectivités locales, administration et les organisations professionnelles…
Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement du CD 13, nous avons réfléchi et mis en place un mode opératoire rapide et efficace pour traiter les questions indemnitaires des incidences de la Covid-19. Ainsi, nous avons établi une procédure de « guichet unique » pour le traitement des réclamations et expérimenté le recours à la médiation administrative « simple » pour traiter certaines demandes (voir ci-après).
In fine, avec l’apport du télétravail, la continuité des activités est allée au-delà du simple « service minimum » que prévoyait le PCA d’origine.
Nous étions donc dans une situation de gestion de crise grave et extraordinaire (au sens littéral) avec toutes les difficultés que tout un chacun a connu mais une poursuite active de l’activité pour assurer les obligations de service public et de solidarité.
Outre la mobilisation incroyable des agents en première ligne, la crise a, me semble-t-il, révélé ou conforté la nécessité pour les collectivités locales de disposer, d’une part, d’une fonction achat forte (mobilisation des acheteurs sur des produits et des marchés géographiques nouveaux) et, d’autre part, de juristes qualifiés capables d’accompagner les donneurs d’ordres et les services pour analyser les textes, les contrats … et proposer des solutions opérationnelles pour faire face à la crise.
Focus sur le recours à la médiation administrative pour résoudre les litiges nés de la crise sanitaire en exécution des marchés
Un contexte d'augmentation des réclamations des opérateurs économiques liées à la crise sanitaire
Avec la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, le département a été saisi par certains opérateurs économiques titulaires de ses marchés publics de demandes par lesquelles ils ont sollicité l’indemnisation des conséquences de l’arrêt de l’exécution de leurs marchés ou accords-cadres (suspension ou annulation de bons de commande, suspension de marchés ou d’accords-cadres…).
L’examen de la plupart des demandes a pu s’avérer plus complexe au regard de la jurisprudence en vigueur, d’une situation quasiment inédite risquant de bousculer l’analyse du juge ou encore des nouveaux textes adoptés dans ce cadre particulier dont il était difficile d’appréhender toute la portée.
L’approche de la collectivité a été entendue comme bienveillante à l’égard de ses prestataires dans les circonstances extraordinaires de la crise sanitaire d’autant plus que pour certaines activités, seul le département était le donneur d’ordre (exemples : les associations assurant des prestations de médiation devant les collèges). Pour autant, le versement d’une indemnisation à une entreprise ne peut reposer que sur des éléments objectifs, découlant de la responsabilité du département (arrêts de prestations de son fait, résiliation d’un marché pour motif d’intérêt général…) sous peine de considérer que le département accorde une libéralité avec les conséquences d’une telle qualification.
I. La limite des solutions habituelles
Face à ces situations, les solutions habituelles sont apparues inadaptées, à savoir :
- un rejet de la réclamation et attente d’une éventuelle saisine du tribunal administratif par l’opérateur économique (or, le tribunal administratif fonctionnait en situation de crise et le traitement des recours susceptibles d’être nombreux lors du retour à la normale risquait d’être long sans parler d’un engorgement de la juridiction) ;
- la saisine du Comité Consultatif de Règlement Amiable des Différends en matière de Marchés Publics de Marseille (CCRA), instance de conciliation, qui apprécie les dossiers en droit mais également en équité et qui émet un avis permettant de donner une base à une discussion et à règlement du litige par la conclusion d’un protocole transactionnel en évitant le contentieux.
Toutefois, le traitement des dossiers devant le CCRA donne lieu à des procédures longues ce qui ne risquait pas de s’améliorer avec la crise.
II. La proposition de recourir à la médiation administrative
Aussi, la collectivité a décidé de recourir à la médiation administrative telle que prévue aujourd’hui par le Code de justice administrative [1].
Cette procédure offre comme principaux atouts la rapidité (moins de 3 mois), la simplicité, la confidentialité et le caractère définitif de l’accord qu’elle permet de trouver.
L’efficacité du dispositif incite à privilégier le choix du médiateur par les parties elles-mêmes. Le recours à la médiation nécessite un accord des deux parties en présence du médiateur.
Choix du médiateur
Le médiateur doit posséder la qualification requise pour l'objet du litige. Il doit aussi justifier d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation.
Le médiateur s'engage à respecter une charte éthique. Il doit respecter les principes de confidentialité, d'impartialité et de neutralité. Il a été fait appel aux services du Président du CCRA par ailleurs Conseiller d’État honoraire.
Affaires concernées par la médiation
L’objectif était de traiter par la voie de la médiation les litiges indemnitaires nés des conséquences pour les opérateurs économiques de la crise sanitaire du covid-19 sur l’exécution des marchés publics.
En conséquence, ont été exclues les demandes relatives à des litiges sans lien avec le covid-19 ou mêlant des causes autres notamment antérieures à la crise sanitaire.
Ont été également exclues les demandes que le département estimerait totalement infondées.
Autrement dit, une médiation pouvait être proposée à l’opérateur économique pour les litiges liés au covid-19 pour lesquels l’analyse du dossier conduit à ce que :
- l’opérateur économique a droit à une indemnisation mais apparaît un désaccord sur la totalité des demandes ou le quantum ;
- le principe d’une indemnisation peut se comprendre mais le fondement n’est pas forcément évident à déterminer.
C’est selon ce mode opératoire qu’ont été menées des actions de médiation suite aux réclamations de sociétés de transport d’élèves handicapés. Ces procédures ont abouti à un accord qui doit être définitivement formalisé par un protocole transactionnel
D’autres réclamations parvenues plus tardivement sont en cours d’examen et pourraient faire l’objet d’un traitement similaire.
Le bilan reste modeste mais cette expérience a démontré son intérêt. En évitant le contentieux, la médiation a permis de conserver des relations contractuelles plus sereines entre le département et ses prestataires pour résoudre des situations ni l’une ni l’autre des parties n’était réellement responsable. Il a permis également à la collectivité de se roder sur ce mode de règlement des litiges plutôt intéressant s’il est bien circonscrit.
Pour encourager la médiation, les règles de fonctionnement des collectivités locales pourraient utilement être assouplies par une délégation possible des attributions en la matière à l’exécutif par exemple.
[1] CJA, art. L. 213-1 (N° Lexbase : L1805LBH) et suiv., R. 213-1 (N° Lexbase : L9575LDY) et suiv.
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