Lexbase Public n°625 du 6 mai 2021 : Contrats administratifs

[Actes de colloques] Les contrats publics à l'épreuve de la crise sanitaire - La gestion des approvisionnements et fournitures de première nécessité

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par Nicolas Morizot, responsable des achats au ministère des Solidarités et de la Santé

le 04 Mai 2021

I. Présentation du champ des fournitures acquises en urgence par l’État en réponse à la crise sanitaire

Lorsque la première vague de l’épidémie causée par le covid-19 frappe la France au printemps 2020, le système normal de droit commun (marchés conclus en direct et centrales d’achat hospitalières) sur lequel les établissements de santé s’appuient pour subvenir à leurs besoins en matériels et consommables afin d’alimenter leurs services de réanimation ne suffit plus.

Le ministère des Solidarités et de la Santé, déjà en première ligne depuis plusieurs semaines sur le dossier de l’acquisition en urgence de quantités colossales de masques FFP2 et chirurgicaux, est donc saisi de l’urgence d’alimenter les établissements de santé français dans des délais très contraints.

Le ministère fait alors appel à Santé Publique France (SPF), établissement public placé sous sa tutelle et son bras armé pour faire face aux crises sanitaires. Ce recentrage au niveau national des achats de fournitures de première nécessité permet de donner aux autorités un contrôle direct de la réponse à la situation exceptionnelle rencontrée et d’affecter ces fournitures aux territoires et établissements au plus juste. Il permet aussi à la France de bénéficier d’une meilleure visibilité sur les marchés internationaux en limitant le nombre d’interlocuteurs et d’acquérir des quantités phénoménales de produits qu’une myriade d’établissements isolés n’auraient pu obtenir.

Les matériels requis pour répondre à l’urgence couvrent un champ très large : masques, blouses, lunettes, charlottes, médicaments, automates, kits de dépistage, respirateurs, consommables divers, etc.

En raison de l’amplitude de ce portefeuille d’achat, la Direction générale de la Santé (DGS) est venue épauler SPF, tant dans la passation des marchés que dans la gestion de l’acheminement en France de ces produits via la constitution d’un pont aérien Chine-France en recourant à un marché interministériel déjà existant. Ce partage des tâches, dépassant le cadre prévu par le Code de la santé publique, reflète la capacité d’adaptation des cadres juridiques classiques lorsque le contexte le requiert dès lors qu’un ordre politique est donné en ce sens.

II. Mise en place d’une organisation achat et logistique ad hoc

Corollaire d’un pilotage national étatique de la réponse à la crise sanitaire, une organisation achat spéciale a été constituéE au sein de la direction de crise du ministère des Solidarités et de la Santé.

Cette organisation, unique en son genre, s’est appuyée sur les ressources humaines ministérielles existantes et sur des renforts interministériels. La gestion des approvisionnements et fournitures de première nécessité est donc aussi un défi humain relevé via une mobilisation générale de l’État.

Afin d’assurer cette gestion, une supply-chain a été constituée, d’abord dans l’urgence puis affinée au fur et à mesure à l’aune du retour d’expérience.

Premier niveau de cette supply chain, le nécessaire sourcing, faisant suite à l’identification des besoins, s’est fait en France et à l’international en s’appuyant sur le réseau diplomatique de la France, en particulier en Chine. Ce réseau s’est avéré essentiel pour identifier et réaliser un premier tri des opportunités d’achat.

La vérification du respect des normes techniques des produits identifiés, étape indispensable pour ne pas acquérir des miroirs aux alouettes, a été réalisé en France par les différents laboratoires publics mobilisés (ANSM, LNE, etc.) en même temps qu’étaient négociés les conditions du contrat (quantités, conditions logistiques, incoterms, prix, conditions de paiement, etc.).

À cette étape préliminaire s’est ajoutée un criblage des sociétés pour éviter les arnaques qui se sont multipliées comme jamais.

La décision d’opportunité finale avec arbitrage sur les conditions de validation technique, paiement et contractuelles était prise par la cellule de crise logistique et le cabinet ministériel.

La contractualisation, deuxième étape cruciale à accomplir dans un contexte d’urgence maximale nécessitant une contractualisation en urgence impérieuse (marchés négociés sans mise en concurrence ni publicité), revenait ensuite aux équipes achat de SPF et de la DGS. Compte tenu des sommes en jeu, cette deuxième étape était le dernier filet de sécurité avant signature des marchés et un lien avec l’équipe sourcing a permis à plusieurs reprises d’arrêter des marchés trop risqués et au résultat incertain.

Troisième étape, la supply chain en elle-même s’est appuyée sur une cellule dédiée au pont aérien puis à la logistique jusqu’au dernier kilomètre afin de distribuer les produits acquis. Requérant un travail de tous les instants pour coordonner les avions, les bateaux et les camions, cette étape continue encore à ce jour, les derniers bateaux étant arrivés il y a peu et certains produits toujours sous tension devant encore être distribués sur le territoire métropolitain et en outre-mer.

Dernière étape, le suivi de l’exécution des marchés et de mise en paiement n’en est pas moins important. Pour la seule DGS, ce sont 360 millions d’euros qui doivent être tracés et dont l’emploi doit être justifié.

III. Adaptation du Code de la commande publique au contexte et enjeu de la préservation de la sécurité juridique des marchés

Outil régulièrement critiqué en raison d’une rigidité alléguée, le Code de la commande publique a su démontrer sa pleine souplesse dans le cadre de la crise sanitaire rencontrée par la France au printemps 2020.

Avant l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB), les services avaient déjà pleinement mis en œuvre le régime dérogatoire permis par le principe d’urgence impérieuse. Point de débat de juridique, cette notion est avant tout un levier à la main des décideurs politiques, responsables in fine de la réponse de l’État à la situation affectant l’ensemble des citoyens.

Cette ordonnance est venue apporter un cadre d’action mieux sécurisé, en particulier pour les signataires des marchés publics exposés de par le caractère exceptionnel des dépenses engagées et des dérogations à la méthode habituelle de passation de ces marchés.

Néanmoins, cette ordonnance ne doit pas être interprétée comme un blanc-seing. La réponse à l’urgence requiert toutefois de conserver un cadre juridique suffisant et une approche intellectuelle raisonnable et critique pour protéger l’État et ses représentants face à un marché international en pleine ébullition et à des cocontractants dont la solidité ou l’honnêteté n’était parfois pas prévisible.

Ainsi, par exemple, la possibilité d’accorder une avance jusqu’à 100 % du montant du marché sans devoir constituer une garantie à première demande s’est avérée essentielle pour conclure des contrats avec des acteurs chinois exigeant un paiement avant que les chaines de production ne se mettent en route. Pour autant, ce dispositif s’est avéré hautement risqué pour des signataires devant engager leur responsabilité personnelle pour des millions d’euros sans possibilité de récupérer les sommes avancées en cas de problème, nécessitant une vigilance accrue de la part des équipes en charge de la contractualisation pour trier les offres et cadrer l’emballement découlant de cette disposition.

Pour ce faire, les marchés passés par l’État ont toujours bénéficié de cahiers de charges suffisamment robustes et adaptés au fur et à mesure du retour d’expérience pour garantir une protection satisfaisante, en particulier sur les aspects financiers et de la qualité des produits acquis. Cette protection juridique, parfois débattue du fait d’une apparente lourdeur, a su démontrer son efficacité lors de livraisons incomplètes ou de qualité insatisfaisante.

En outre, compte tenu de la nécessité de rendre des comptes auprès des citoyens et des organes de contrôle, les marchés ont été passés dans un souci de garantir une transparence maximale de l’action publique.

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