La lettre juridique n°982 du 25 avril 2024

La lettre juridique - Édition n°982

Éditorial

[A la une] Surpopulation carcérale : les Jeux ne sont pas faits !

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N9134BZC

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par Matthieu Quinquis, Avocat et président de l’Observatoire international des prisons – Section française

Le 25 Avril 2024

On annonce un été de tous les records. Tandis que Paris s’apprête à accueillir des centaines de milliers d’athlètes et spectateurs durant les Jeux Olympiques et Paralympiques, les prisons françaises connaîtront-elles également, et à leur manière, un afflux exceptionnel ?

À quelques semaines du début des épreuves, nul ne peut encore ignorer l’étendue et l’intensité du déploiement sécuritaire. Après que le Parlement a entériné en mai 2023 les aspirations du Gouvernement en matière d’élargissement de la surveillance technologique (drones et vidéosurveillance algorithmique), les forces de l’ordre investissent progressivement l’espace public, jusqu’à atteindre prochainement les quelques 30 000 policiers et gendarmes quotidiennement mobilisés. Sans attendre, les préfectures ont d’ores et déjà engagé des plans « zéro délinquance » ciblant principalement les vols, les trafics divers et la vente à la sauvette. En somme, la délinquance de rue.

Semblant plus que jamais agir « au service de la police » - et ainsi donner raison à Michel Foucault, la Justice se voit dans le même temps sommée de s’organiser pour faire face à l’augmentation des contrôles et arrestations. Et, dans la droite ligne de son homologue de l’Intérieur, le Garde des Sceaux a exigé par circulaire du 15 janvier 2024 la mise en œuvre d’« une politique pénale déterminée prévoyant des réponses rapides, fortes et systématiques à l’ensemble des infractions pénales ayant pour objet ou pour effet de troubler le bon déroulement » des Jeux Olympiques et Paralympiques. Entendez ainsi poursuites, défèrements et comparutions immédiates.

La mise en branle de cette machine sécuritaire et judiciaire conduira inévitablement à un sursaut des incarcérations. En comparution immédiate, la peine d’emprisonnement ferme est prononcée dans 70 % des cas, soit huit fois plus souvent que dans toute autre audience pénale, toute chose égale par ailleurs.

Ces perspectives arrivent sans doute au pire moment (si tant est qu’il en existe un bon). Jamais la France n’a compté autant de prisonniers et prisonnières, dépassant au 1er avril 2024 la barre des 77 000. Ce chiffre vertigineux est encore plus étourdissant quand on se rappelle qu’au terme du confinement du printemps 2020 – et à l’arrivée d’Éric Dupont-Moretti place Vendôme – nous étions descendu à 58 000. En seulement quatre années, par le seul effet d’absurdes politiques répressives et sans corrélation avec une éventuelle augmentation de la délinquance, la population carcérale a explosé de près de 33 % !

Parallèlement, la surpopulation ne cesse de s’aggraver, les conditions de vie en détention de se dégrader. Dans les maisons d’arrêt, les personnes détenues s’entassent dans des cellules exigües, souvent vétustes, sinon insalubres, et subissent des atteintes au droit à la vie, des traitements inhumains et dégradants ou encore des violations graves du droit au respect de la vie privée et familiale.

En matière d’incarcération, il n’y a pourtant pas de fatalité. En écho aux recommandations européennes invitant en mars dernier « les autorités à instamment reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation », des propositions émergent depuis longtemps pour engager un mouvement de déflation carcérale. Qu’il s’agisse de la dépénalisation d’un ensemble de comportements, d’un moindre recours à la comparution immédiate, à la détention provisoire et à l’emprisonnement ou du développement des peines de substitution, ces outils doivent permettre, sur le long terme, de renverser la tendance et favoriser le respect de nos textes qui disposent que l’emprisonnement doit être l’exception.

Dans l’attente, et pour faire face à l’urgence de la situation, l’instauration d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale s’impose avec évidence. Son principe est simple : adapter le nombre de personnes incarcérées à la capacité opérationnelle des établissements et ainsi mettre fin à la surpopulation et lutter contre les conditions indignes de détention.

Ce dispositif est discuté de longue date au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat ; il apparaît dans des rapports de Dominique Raimbourg en 2010 et 2013, a été de nouveau formulé au cours de l’actuelle législature par les députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon, ainsi que dans des propositions de loi des groupes CRCE au Sénat et LFI à l’Assemblée nationale. Le mécanisme est par ailleurs encouragé par le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE). En début d’année, de nombreuses associations et organisations, dont l’Observatoire international des prisons (OIP), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Emmaüs France, le Conseil National des Barreaux (CNB) ou encore le Syndicat de la magistrature, ont soutenu l’adoption d’un tel outil.

Seul contre tous, le ministre de la Justice refuse encore d’en envisager la mise en œuvre. À l’inverse de ces appels, il alimente la surenchère sécuritaire en pressant l’adoption, avant les épreuves olympiques et paralympiques, d’une proposition de loi réprimant la répétition de comportements dans les transports. En cause ? La mendicité, le fait d’empêcher la fermeture des portes ou de jouer de la musique... Ici, à l’inverse de toutes les recommandations, l’incarcération est une nouvelle fois érigée en la solution idéale.

L’urgence est pourtant ailleurs. En matière de surpopulation, il n’y a pas de fatalité. Et s’ils le souhaitent, le Gouvernement et le Parlement peuvent encore prévenir un retour de flamme carcéral. Les jeux ne sont pas faits.

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Baux d'habitation

[Brèves] Locations touristiques de courte durée dans un immeuble en copropriété : conformité à la destination d’un immeuble à usage mixte professionnel-habitation ?

Réf. : TJ Paris, 8e ch., 2e sect., 4 avril 2024, n° 22/02674 N° Lexbase : A209127L ; TJ Paris, 8e ch., 2e sect., 29 février 2024, deux jugements, n° 22/02321 N° Lexbase : A694427C et n° 21/03182 N° Lexbase : A56772TG ; TJ Paris, 8e ch., 3e sect., 23 février 2024, n° 21/11598 N° Lexbase : A11492RY ; TJ Paris, Communiqué de presse, 18 avril 2024

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N9136BZE

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 25 Avril 2024

► Par quatre décisions rendues entre février et avril 2024, la huitième chambre du tribunal judiciaire de Paris a retenu l’absence de conformité de l'activité de location touristique de courte durée avec la destination d'un immeuble à usage mixte professionnel-habitation soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis ; il fait ainsi droit aux demandes des syndicats de copropriétaires de cesser ou faire cesser, sous astreinte, dans les lots concernés, toute activité de location meublée de courte durée.

Aux termes d'un arrêt rendu le 8 mars 2018 (Cass. civ. 3, 8 mars 2018, n° 14.15.864, F-D N° Lexbase : A6736XGL), la Cour de cassation a considéré qu'une cour d'appel avait pu souverainement estimer que la location meublée de courte durée, ou même pour de longs séjours, dans des « hôtels studios meublés » avec prestations de services, pouvait être incompatible avec la destination d'un immeuble résidentiel à usage mixte professionnel-habitation.

Le tribunal judiciaire de Paris a été saisi distinctement par quatre syndicats des copropriétaires se plaignant de l'activité commerciale de location meublée de courte durée de l'un de leurs copropriétaires.

Dans chacune de ces affaires, s'est posée principalement la question de savoir si l'activité de location touristique de courte durée pouvait être compatible avec la destination d'un immeuble à usage mixte professionnel-habitation.

Tenant compte du caractère principalement résidentiel des immeubles concernés, le tribunal judiciaire de Paris a répondu par la négative aux termes de quatre décisions rendues par deux compositions différentes de la huitième chambre civile.

Dans ses décisions, le tribunal relève notamment que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue une activité commerciale qui contrevient directement aux clauses du règlement de copropriété précitées relatives à l’usage que les copropriétaires doivent faire de leur lot, justifiée par la destination bourgeoise de cet immeuble impliquant une occupation pérenne et paisible, au regard de ces caractéristiques et de sa situation ».

De plus, « la possibilité ouverte à des lots en rez-de-chaussée d'exercer une activité de nature commerciale n'est pas de nature, en elle-même, à justifier une autorisation générale, proscrite par le règlement de copropriété, d'exercice de toute activité commerciale dans tous les autres locaux à usage de bureaux en rez-de-chaussée, conformément à la destination bourgeoise de l'immeuble impliquant une occupation pérenne et paisible » (en ce sens, CA Aix-en-Provence, 1-2, 25 mars 2021, n° 19/18856 N° Lexbase : A39324ML ; voir également, CA Paris, 4-2, 31 mai 2023, n° 22/18593 N° Lexbase : A57869YX et 25 octobre 2023, n° 19/11631 N° Lexbase : A06311RS).

Aussi, « lorsqu'un copropriétaire entend changer l'affectation de ses parties privatives, il doit indépendamment du respect des règles d'urbanisme s'assurer que cette affectation est compatible avec les dispositions du règlement de copropriété, qu'elle ne porte pas atteinte à la destination de l'immeuble et qu'elle ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires » (ex. : CA Paris, 4-2, 24 mars 2021, n° 17/15876 N° Lexbase : A33184MT).

C’est ainsi que dans ces quatre affaires, le tribunal a décidé de faire droit aux demandes des syndicats de copropriétaires en ordonnant aux propriétaires en cause de cesser ou faire cesser dans les lots concernés toute activité de location meublée de courte durée, sous astreinte (d’un montant allant de 800 à 1 000 euros) par jour de retard et par infraction constatée par voie d'huissier de justice.

À noter, en revanche, que dans chacune de ces affaires, les syndicats des copropriétaires sont déboutés de leur demande d'interdire de manière générale aux propriétaires toute location des lots en cause. En effet, le principe étant la liberté d'usage de son lot par tout copropriétaire, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires ou à la destination de l'immeuble, les lots peuvent être loués en tant que bureaux, voire le cas échéant, à titre d'habitation, dans le respect de la destination bourgeoise de l'immeuble et à la condition d'avoir obtenu une autorisation préalable de l'assemblée générale des copropriétaires.

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Concurrence

[Brèves] Infraction au droit de la concurrence : la CJUE précise le régime du délai de prescription applicable aux actions en dommages et intérêts

Réf. : CJUE, 18 avril 2024, aff. C-605/21 N° Lexbase : A813227C

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N9107BZC

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par Vincent Téchené

Le 25 Avril 2024

► Le délai de prescription applicable aux actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l’Union ne peut commencer à courir, indépendamment et séparément pour chaque dommage partiel résultant d’une telle infraction, à partir du moment auquel la personne lésée a pris connaissance ou peut raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance du fait qu’elle a subi un tel dommage partiel ainsi que de l’identité de la personne qui est tenue à la réparation de celui-ci, sans que la personne lésée ait pris connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction aux règles de la concurrence et sans que cette infraction ait pris fin ;

Par ailleurs ce délai de prescription ne peut être ni suspendu ni interrompu au cours de l’enquête de la Commission européenne concernant une telle infraction ;

En outre, la Directive n° 2014/104, du 26 novembre 2014, entrée en vigueur le 26 décembre 2014, ne prévoit pas que le délai de prescription soit suspendu, à tout le moins, jusqu’à un an après la date à laquelle la décision constatant cette même infraction est devenue définitive.

Faits et procédure. Heureka, une société tchèque, exploite un portail de comparaison des prix de vente. Elle allègue que le moteur de recherche de Google privilégiait systématiquement, sur ses pages de résultats de recherche générale, le propre comparateur de prix de cette société. En conséquence, celui d’Heureka était moins consulté. Heureka s’estime dès lors lésée par Google et s’appuie dans ce contexte sur une décision (non encore définitive) de la Commission européenne constatant l’abus de position dominante par Google (Comm. européenne, décision C(2017) 4444 final, du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenneet de l’article 54 de l’accord sur l'Espace économique européen ; v. également, Trib. UE, 10 novembre 2021, aff. T-612/17 N° Lexbase : A45317BG ayant rejeté pour l’essentiel le recours introduit par Google et Alphabet).

C’est dans ces conditions que le juge tchèque, saisi d’un recours en dommages et intérêts par Heureka, a interrogé la Cour de justice de l'Union européenne sur la compatibilité avec le droit de l’Union de l’ancien délai de prescription prévu en droit tchèque qui s’applique encore à ce recours. Ce délai de trois ans commence à courir, pour chaque dommage partiel, à partir du moment où la personne lésée a pris connaissance du fait qu’elle a subi un tel dommage ainsi que de l’identité de l’auteur de l’infraction. En revanche, le régime national n’exige pas la connaissance du fait que le comportement concerné constitue une infraction ni que celle-ci ait pris fin pour que le délai de prescription commence à courir. Ce régime ne prévoit pas non plus que ledit délai doit être suspendu ou interrompu au cours de l’enquête de la Commission et jusqu’à un an après la date à laquelle la décision de la Commission, constatant cette même infraction, devienne définitive.

Décision. La Cour de justice de l'Union européenne juge que le droit de l’Union s’oppose à la réglementation tchèque applicable jusqu’à la transposition tardive de la Directive n° 2014/104, du 26 novembre 2014 N° Lexbase : L9861I4Y. À cet égard, la Cour considère que, même avant l’expiration du délai de transposition de cette directive, le droit de l’Union exigeait que, afin que le délai de prescription puisse commencer à courir, l’infraction au droit de la concurrence doit avoir pris fin et la personne lésée doit avoir pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts, et notamment du fait que le comportement concerné constitue une telle infraction. En effet, ces deux conditions sont nécessaires pour permettre à la personne lésée d’être effectivement en mesure d’exercer son droit de demander réparation intégrale du préjudice subi en raison d’une infraction au droit de la concurrence.

La Cour précise que, en principe, la prise de connaissance des informations indispensables pour introduire un recours coïncide avec la date de publication du résumé de la décision de la Commission constatant l’infraction au Journal officiel, indépendamment du fait que cette décision n’est pas encore devenue définitive. Par ailleurs, la personne lésée peut s’appuyer sur une telle décision non définitive pour étayer son action en dommages et intérêts. Dans ce contexte, la Cour relève que le droit de l’Union exige également qu’il soit possible de suspendre ou d’interrompre la prescription pendant l’enquête de la Commission, afin d’éviter que le délai de prescription puisse s’écouler avant même que cette enquête soit clôturée. En effet, étant donné qu’il est, en général, difficile pour la personne lésée d’apporter la preuve d’une infraction au droit de la concurrence en l’absence d’une décision de la Commission ou d’une autorité nationale, il doit être possible pour celle-ci d’attendre l’issue d’une telle enquête, afin de pouvoir se fonder, le cas échéant, sur une telle décision dans le cadre d’une action ultérieure en dommages et intérêts.

En outre, la Cour de justice de l'Union européenne précise que la Directive n° 2014/104 prévoit désormais que le délai de prescription doit être suspendu, à tout le moins, jusqu’à un an après la date à laquelle la décision de la Commission constatant l’infraction concernée devienne définitive.

La Cour considère en définitive que l’ancien régime de prescription tchèque est incompatible avec le droit de l’Union. Il rend l’exercice du droit de demander réparation du préjudice subi en raison d’une infraction au droit de la concurrence pratiquement impossible ou excessivement difficile.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Application de la jurisprudence « Société Suez Eau France » sur les étapes essentielles d’une procédure de concession

Réf. : TA Caen, 26 mars 2024, n° 2400564 N° Lexbase : A828328B

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N9089BZN

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par Pierre Cailloce, Avocat au barreau de Paris, cabinet Cailloce Avocat

Le 25 Avril 2024

Mots clés : concession • délégation de service public • offre du requérant • irrégularité de l'offre • cahier des charges

Dans une ordonnance rendue le 26 mars 2024, le tribunal administratif de Caen retient que les modifications du cahier des charges, proposées par la requérante dans son offre, présentaient un caractère substantiel et suffisaient à entacher cette dernière d'irrégularité. Il se prononce également sur le moyen tiré de la méconnaissance des règles relatives au déroulement de la négociation, fixées dans le règlement de consultation, en estimant que la mention d'une clôture des négociations et la remise d'une offre finale n'interdisaient pas que l'autorité concédante se borne à solliciter la remise d'une « offre améliorée » et qu'elle attribue la convention sur la base de celle-ci*.


 

Le régime de passation des contrats de délégation de service public et depuis 2016, des contrats de concession de manière générale [1], a toujours été marqué par un plus grand libéralisme que celui applicable aux marchés publics, en particulier la faculté de négociation ouverte aux autorités concédantes.

Outre des contraintes différentes en matière de critères de sélection des offres [2], cette différence de régime s’est traduite, pour l’essentiel, par la consécration du principe de liberté de négocier ainsi que de l’absence d’obligation de « définir préalablement à l’engagement de la négociation, les modalités de celle-ci ni de prévoir le calendrier de ses différentes phases » [3].

En revanche, une fois qu’elle détermine les modalités de remise des offres ainsi qu’un calendrier précis, « le respect du principe de transparence de la procédure exige en principe qu'elle ne puisse remettre en cause les étapes essentielles de la procédure et les conditions de la mise en concurrence ».

Et c’est ainsi que « lorsqu’un règlement de consultation prévoit que les candidats doivent, après une phase de négociation, remettre leur offre finale à une date déterminée, cette phase finale constitue une étape essentielle de la procédure de négociation qui ne peut normalement pas être remise en cause au cours de la procédure ».

Dit autrement, la liberté d’organisation du déroulement de la négociation d’une autorité concédante se réduit d’autant qu’elle a été précise et prescriptrice dans le règlement de la consultation, s’agissant :

- des différentes phases de la procédure d’attribution ;

- des modalités de déroulement de la négociation ;  

- et des conditions et du calendrier applicable de remise de l’offre finale.

Car dans ce cas, certaines étapes de la procédure sont qualifiées « d’étapes essentielles » qui ne peuvent, par principe, pas faire l’objet de remise en cause en cours de procédure.

Ce régime juridique a retrouvé une seconde jeunesse médiatique, grâce à la décision « Société Suez Eau France » [4] du Conseil d’État, qui fut l’occasion de reprendre et de consacrer plus solennellement les règles applicables, tout en leur donnant de nouveau une application concrète.

Il a pu, ainsi, estimer qu’une autorité délégante pouvait :

- ne pas prendre en compte les offres finales remises par les candidats à une procédure de passation d’un contrat de concession relatif au renouvellement d’une délégation du service public de l’eau potable ;

- et attribuer le contrat sur la base des offres intermédiaires déposées préalablement à cette phase et après une mise au point avec chacun des candidats.

Cette manière de procéder se justifiait en raison de de la transmission par erreur à la société Veolia, de documents relatifs à la négociation menée entre le SEDIF et la société Suez Eau France.

Et au fond, pour le Conseil d’État, la qualification d’« étape essentielle », à laquelle il ne peut pas être dérogée et dont la tenue ne peut pas être remise en cause, existe si et seulement si :

- la négociation était une étape rendue obligatoire par l’autorité concédante et non facultative ;

- l’autorité concédante avait fixé des modalités impératives de déroulement de la consultation ;

- l’autorité concédante avait fixé un calendrier précis de déroulement de la consultation, avec des dates précises indiquées dans le règlement de la consultation, notamment de remise de l’offre finale.

Dans la décision commentée, un concurrent évincé d’une procédure de passation d’une concession de services portant sur la fourniture, l’installation, l’entretien la maintenance et l’exploitation de mobilier urbain publicitaire et non publicitaire, ainsi que la fourniture de services associés, estimait que la commune méconnaissait un article du règlement de la consultation et les modalités du déroulement de la négociation :

- en ne l’invitant pas à déposer une « offre finale » ;

- en attribuant la concession au regard de « l’offre améliorée ».

Elle estimait ainsi que la phase d’ « offre finale » était une « étape essentielle » de la procédure de passation au sens de la jurisprudence du Conseil d’État, ce qui interdisait à la Commune de la supprimer et l’obligeait à solliciter des candidats la remise de cette dernière.

Le juge rejette cette argumentation.

Il estime en effet, pour « regrettable » que soit le fait que la dernière correspondance de la commune faisait seulement référence à la notion « d’offre améliorée » et non pas « d’offre finale », qu'il devait être considéré, compte tenu des phases de la négociation telles que tenues, que celle-ci tenait lieu d'invitation à présenter l’offre finale prévue par l’article 9-3 du règlement de la consultation.

Le tribunal administratif retient que les étapes suivantes permettaient in fine aux concurrents de comprendre qu’ils étaient invités à remettre une offre finale :

- ouverture d'une phase de négociation avec la société requérante et l’attributaire ;

- invitation à une réunion de négociation accompagnée d’une liste des principales questions qui seront posées lors de la négociation ;

- information qu’une nouvelle offre pourra être déposée à une date fixée à I'issue de la réunion ;

- envoi d’un nouveau courrier transmettant une nouvelle liste de questions, des demandes de compléments et d’amélioration ainsi que les modalités de remise de l’offre améliorée

Ce faisant, le tribunal administratif de Caen reprenait la structuration d’une précédente décision du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Strasbourg.

En effet, dans des circonstances très similaires, il avait été jugé qu’aucun manquement ne pouvait être reproché à une autorité concédante :

- qui n’informait pas les candidats que l’offre, dont elle sollicitait le dépôt, était la dernière et meilleure offre et sur la base de laquelle le contrat serait attribué ;

- qui ne précisait pas, dans le courrier de demande de remise de la dernière offre, que cette dernière serait « l’offre finale », alors que cette dernière était mentionnée dans le règlement de la consultation et que ce document prévoyait la remise d’une « offre finale » à l’issue des négociations.

Ainsi, dans une ordonnance du 25 août 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a pu estimer :

« Aux termes de l'article L. 2152-7 du Code de la commande publique N° Lexbase : L9501MIQ : .(…) L'article 8-2 du règlement de la consultation disposait que : « À l'issue de la dernière phase de négociation, le coordonnateur invite les soumissionnaires ayant participé à celles-ci, à remettre une offre finale via PLACE dans un délai raisonnable et identique pour tous. Ce délai ainsi que les modalités de réponse sont déterminés dans l'invitation. L'offre finale reprendra les modifications apportées à sa proposition initiale et/ou intermédiaire. () À défaut de réponse ou de confirmation écrite dans le délai imparti par un candidat admis à négocier, l'analyse définitive est effectuée sur la base de la proposition initiale. À l'issue de la négociation, le coordonnateur attribue le marché au candidat ayant proposé l'offre économiquement la plus avantageuse, sur la base des critères annoncés ci-dessus.

Il résulte de l'instruction que par courriers des 30 juin et 3 juillet 2023, la requérante, de même que l'ensemble des autres candidats, a été invitée à répondre à une série de questions, par le biais de la plate-forme Place, portant sur l'ensemble des aspects du marché, afin de lui permettre de préciser et d'améliorer son offre. Pour regrettable que soit le manque de précision terminologique et de référence expresse à la notion « d'offre finale » prévue par les dispositions précitées du règlement de la consultation, il doit cependant être considéré que ces courriers tenaient lieu de l'invitation à présenter une offre finale prévue par l'article 8-2 précité. Il n'est d'ailleurs pas contesté que tous les autres candidats ont compris ainsi ces courriers et effectivement déposé une offre finale, tel n'ayant pas été le cas de la requérante. Cette dernière n'est par suite pas fondée à se prévaloir d'une méconnaissance des règles de la concurrence dans la procédure d'évaluation des offres » [5].

Et, en toute hypothèse, de manière incidente, le tribunal administratif complète son considérant 5 en indiquant que le règlement de consultation « ne prévoyait aucun calendrier relatif aux modalités de dépôt des offres et ne fixait pas précisément les conditions de remise de l’offre finale », reprenant ainsi les éléments qui permettent d’identifier l’absence « d’étape essentielle de la procédure » au sens de la jurisprudence du Conseil d’État.

C’est donc bien que les mentions, dans le règlement de la consultation, d’une remise « d’offre finale » ou encore de la « clôture des négociations », ne constituait pas une étape essentielle de la procédure, dont la commune pouvait ainsi s’affranchir sans méconnaître le principe de transparence.

Le juge retenait également que, à supposer même que la commune était dans l’obligation de solliciter la remise d’une offre finale par les candidats et que les dernières offres déposées auraient eu vocation à évoluer, les deux soumissionnaires étaient traités dans le respect du principe d’égalité dès lors qu’ils bénéficiaient :

- des mêmes délais ;

- des mêmes temps d'échanges avec l'autorité concédante ;

- et d’un volume comparable de questions, d’amendements et commentaires de sa part.

L’autre aspect intéressant de cette décision réside dans l’admission, par le juge, du moyen tiré de l'irrégularité de l'offre du requérant, qui était soulevé pendant l'instance et pour la première fois lors de l'audience :

« En I’espèce, la commune a, lors de l’audience, fait valoir que l'offre de la société était conditionnée à la modification du cahier des charges sur certains éléments identifiés lors des réponses apportées aux questions de la commune, notamment en ce qui concerne les redevances versées.

Compte tenu du caractère substantiel des modifications du cahier des charges, s'agissant des modalités financières de la concession ainsi contenues dans l’offre de la société requérante, la commune est fondée à soutenir que son offre devait être éliminée et ne pouvait pas être classée. Dans ces conditions, la société n'est pas susceptible d'avoir été lésée par les différents manquements qu'elle invoque, alors même que son offre a été classée à l'issue de la procédure de passation du marché ».

La substitution de motifs de rejet de l’offre d’un candidat évincé n’est pas nouvelle en matière de référé précontractuel et a pu être consacrée à l’occasion de la décision dite « Société Philip Frère » [6].

Comme le relevait le rapporteur public Monsieur Gilles Pellissier dans cette affaire :

« Toutes ces décisions nous paraissent aller dans le même sens d’une possibilité d’invoquer devant le juge du référé précontractuel ou contractuel tout motif susceptible de justifier de la régularité de la procédure ou au contraire d’en démontrer l’irrégularité. Le juge du référé en matière contractuelle n’est pas le juge de la légalité d’une décision – ce qui d’ailleurs ne fait pas obstacle à la substitution de motifs – mais de la régularité d’une procédure, qui peut être contestée autant que démontrée devant lui.

La seule limite qu’il convient à notre avis de poser à cette faculté tient au respect de la  procédure de passation elle-même. Le nouveau motif invoqué par le pouvoir adjudicateur  n’est recevable que s’il pouvait être retenu dans le cadre de la procédure de passation. Comme  le soulignait Nicolas Boulouis dans ses conclusions sur la décision « Communne de Rouen » précitée, « un changement de motivation faisant apparaître qu’il a été procédé à une nouvelle évaluation de  la candidature ou de l’offre pour les besoins de la cause serait inacceptable.

Aucune innovation jurisprudentielle ne vous sera nécessaire pour poser cette limite qui  résulte de l’application de la condition générale selon laquelle la substitution de motif ne doit  pas faire perdre au requérant le bénéfice d’une garantie de procédure. Or, toute la procédure de  sélection des candidatures puis des offres, et plus particulièrement le fait que dans le cadre de  la procédure d’appel d’offres, cette sélection soit réalisée par un organisme collégial, la  commission d’appel d’offres, représente une garantie du respect des principes d’égalité et de  mise en concurrence ».

En d’autres termes, il faut qu’à un moment où un autre de la procédure de passation du contrat de délégation de service public, la commission de délégation de service public en ce qui concerne le choix des candidatures et l’assemblée délibérante en ce qui concerne le choix de l’offre, l’irrégularité, selon le cas de la candidature ou de l’offre, ait pu faire l’objet :

- si ce n’est d’une prise de position de la part de cet organe collégial ;

- à tout le moins d’une mention dans les documents sur la base desquels il se prononce.

Sans se méprendre sur la portée de l’ordonnance commentée, elle confirme néanmoins la certaine souplesse dont peut bénéficier une autorité concédante dans l’organisation de la négociation et la vigilance dont doivent faire preuve les candidats, concernant leur stratégie d’optimisation des offres au fur et à mesure de cette dernière.

L’autorité concédante aura ainsi intérêt à ce que le règlement de la consultation ne prête pas à confusion sur les différentes étapes de la procédure, qu’il s’agisse :

- de l’existence ou non d’une négociation ab initio ;

- de la faculté d’attribuer le contrat sans négociation ;

- de la possibilité d’évincer les candidats au fur et à mesure de la procédure ;

- de l’existence ou non d’une phase d’offres finales et du calendrier précis de remise de ces dernières.

Et en cas de doute sur la clarté du règlement de la consultation, rien n’interdira, avant la remise de la « dernière et meilleure offre » mais une fois la demande de remise de celle-ci envoyée aux candidats, que l’autorité concédante précise qu’il s’agisse de l’offre sur la base de laquelle elle choisira le futur concessionnaire.

De la sorte, les candidats disposeront d’une information pouvant dissiper tout éventuel malentendu ou mauvaise interprétation.  

*Note : l’attention du lecteur est attirée sur le fait que l’auteur du présent article représentait l’autorité concédante pendant la procédure de référé précontractuel qui donnait lieu à l’ordonnance commentée.


[1] Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, relative aux contrats de concession et décret n°2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession N° Lexbase : L3476KYE.

[2] Avec l’obligation seulement de hiérarchiser ces derniers en matière de contrat de concession, contre une obligation de pondération en ce qui concerne les marchés publics.

[3] CE, 8 novembre 2017, n° 412859, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9863WXL.

[4] CE, 2 février 2024, n° 489820 N° Lexbase : A92462IB.

[5] TA Strasbourg, 25 août 2023, n° 2305545 N° Lexbase : A15621EL.

[6] CE, 17 juin 2015, n° 388596 N° Lexbase : A5443NL8.

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Droit des étrangers

[Brèves] Rejet par les Sages de la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers

Réf. : Cons. const., décision n° 2024-6 RIP, du 11 avril 2024, proposition de loi visant à réformer l'accès aux prestations sociales des étrangers N° Lexbase : A979123Z

Lecture: 3 min

N9137BZG

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par Yann Le Foll

Le 25 Avril 2024

► Est contraire à la Constitution l’article 1er de la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, proposition dès lors écartée.

Faits. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, en application du quatrième alinéa de l’article 11 et du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution N° Lexbase : L0890AHG, sur la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, dont il avait été saisi le 14 mars 2024 et qui avait été signée par 190 députés et sénateurs. Cette procédure est régie par les troisième à sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution N° Lexbase : L0837AHH et précisée par la loi organique n° 2013-1114, du 6 décembre 2013, portant application de l’article 11 de la Constitution N° Lexbase : L6137IYX.

Texte.  Modifiant plusieurs dispositions du Code de la construction et de l’habitation, du Code de la Sécurité sociale et du Code de l’action sociale et des familles, l’article premier de la proposition de loi prévoit que les étrangers en situation régulière non ressortissants de l’Union européenne ne bénéficient du droit au logement, de l’aide personnelle au logement, des prestations familiales et de l’allocation personnalisée d’autonomie que s’ils justifient d’une durée minimale de résidence stable et régulière en France ou d’affiliation à un régime obligatoire de Sécurité sociale au titre d’une activité professionnelle en France.

Position Cons. const. En subordonnant le bénéfice de prestations sociales, dont certaines sont au demeurant susceptibles de présenter un caractère contributif, pour l’étranger en situation régulière non ressortissant de l’Union européenne, à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle d’une durée d’au moins trente mois, les dispositions de l’article premier portent une atteinte disproportionnée à ces exigences.

Elles sont donc contraires à la Constitution. En effet, les exigences constitutionnelles résultant des dispositions des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées.

Si elles ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, cette durée ne saurait être telle qu’elle prive de garanties légales ces exigences.

Décision. Par conséquent, conformément à sa jurisprudence (Cons. const., décision n° 2021-2 RIP, du 6 août 2021 N° Lexbase : A64614ZC), le Conseil juge, sans qu’il n’ait à se prononcer sur la conformité à la Constitution de ses autres dispositions, que la proposition de loi ne remplit pas la condition prévue au 3° de l’article 45-2 de l’ordonnance n° 58-1067, du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel N° Lexbase : L0276AI3.

newsid:489137

Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] À propos de la réduction et de l’exonération ISF-PME

Réf. : CA Riom, 16 janvier 2024, n° 21/02548 N° Lexbase : A08422GB

Lecture: 17 min

N9059BZK

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord

Le 24 Avril 2024

Mots-clés : ISF • patrimoine • réduction ISF-PME • entreprises • holdings animatrices

Deux contribuables bénéficient de la réduction d’ISF prévue à l’article 885-0-V-bis du CGI N° Lexbase : L1404IZZ (souscription directe au capital des PME, réduction correspondant à 75 % des versements, mais plafonnée à 50000 euros). Ils bénéficient encore de l’exonération d’ISF de la valeur des titres reçus en contrepartie de leur souscription (CGI, art. 885 I ter N° Lexbase : L3945KWZ). Plus précisément, ils ont effectué une souscription à l’augmentation du capital de deux sociétés : la SAS Finaréa Oméga et la SAS Finaréa Alpha. Ces deux sociétés ont pour objet l’exercice d’une activité de gestion et d’animation des participations prises dans des sociétés éligibles au dispositif de la loi TEPA (loi n° 2007-1223, du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8). L’administration remet en cause la réduction au titre de l’ISF (CGI, art. 885-0-V-bis du CGI) et l’exonération d’ISF (CGI, art. 885 I ter) ; s’ensuivent une proposition de rectification puis un avis de recouvrement d’un montant de 18 463 euros.


 

 

Contentieux. Le TJ du Puy-en-Velay prononce – par un jugement en date du 23 novembre 2021 – la nullité de la procédure fiscale diligentée et condamne l’État au titre des dispositions de l’article 700 du CPC N° Lexbase : L5913MBM. Saisine de la CA de Riom il y a par l’État ; cette dernière infirme le jugement.

Avant de se pencher sur la substance de l’arrêt d’appel, quelques précisions inhérentes à l’application des dispositions mentionnées en amont. En vertu de l’article 885-0-V-bis du CGI, est institué un mécanisme de réduction d’impôt – la réduction ISF-PME – constituant une aide d’État au sens de l’UE et conforme au droit de l’UE. Sa finalité est de favoriser le financement des PME par des personnes assujetties à l’ISF ; celles-ci, en contrepartie des risques encourus, jouissent d’un avantage fiscal. Les augmentations de capital des deux SAS (12 000 euros pour chacune) ont bien été réalisées. Toutefois, l’administration estime que ces deux sociétés ne méritent pas la qualification de « holding animatrices » au moment où sont réalisées les souscriptions.

Deux points retiennent l’attention dans cette décision de la CA de Riom : la régularité de la procédure de redressement, le bien-fondé de la mesure de redressement.

La régularité de la procédure de redressement

La CA rappelle, de prime abord, les obligations qui échoient à l’administration afin que les droits des contribuables soient garantis. Dans l’hypothèse où l’administration conteste la régularité ou la réalité d’opérations de souscription déclarées à des fins de réduction fiscale, elle doit informer le contribuable - préalablement à la mise en recouvrement de l’impôt – de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers (documents sur lesquels elle se fonde pour fonder la rectification, cf. l’article L. 76 B du LPF N° Lexbase : L7606HEG). Il s’ensuit que le contribuable possède le droit de demander la communication des documents. Par ailleurs, l’administration doit – en vertu de l’article L. 57 du LPF N° Lexbase : L0638IH4 – motiver sa proposition de rectification en fonction des textes juridiques invoqués, des renseignements et documents produits ; la finalité d’une telle disposition est de permettre au contribuable de formuler des observations avant la mise en recouvrement. Au-delà de telle ou telle prescription, une « obligation générale » s’impose à l’administration : faire circulation – avant la mise en recouvrement – « un seuil suffisant d’informations pour documenter les faits sur lesquels elle base sa décision ». C’est ce grief que les contribuables invoquent à l’encontre de l’administration ; ils lui reprochent de ne pas avoir organisé une circulation idoine de l’information, la réponse du service étant jugée insuffisamment motivée. Au contraire, l’administration estime que les contribuables ont eu accès à toutes les informations nécessaires et privilégiées pour défendre leur cause. Leur qualité même d’actionnaires implique un libre accès aux informations. Ils ont ainsi pu exercer leur droit de défense via des « observations détaillées et circonstanciées ».

De plus, la CA de Riom énonce nombre d’éléments de documentation/renseignements fournis par l’administration aux contribuables : état individuel adressé par chaque société au capital de laquelle les contribuables ont souscrit … rappel du droit applicable suivant lequel une PME doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole, libérale, à l’exclusion des activités de gestion de patrimoine immobilier … position de la doctrine administrative assimilant une holding animatrice d’un groupe de PME à une société opérationnelle (donc droit à réduction et à exonération d’ISF, sous réserve du caractère exclusif de cette activité opérationnelle) … rappel de la différence entre « holding passive » et « holding animatrices » … rappel de la définition de la « holding animatrice » (entendue comme celle participant activement à la conduite de la politique et au contrôle de ses filiales, leur rendant si nécessaire des services spécifiques à titre purement interne au groupe, utilisant sa participation dans le cadre d’une activité industrielle ou commerciale qui mobilise des moyens spécifiques) … rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation permettant d’appliquer cette tolérance administrative aux seules sociétés faisant partie d’un groupe de sociétés et d’assimiler les « holdings animatrices » à des sociétés opérationnelles éligibles au mécanisme de réduction d’ISF … rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation quant au caractère animateur de la holding ( il doit être prouvé par la matérialité et l’effectivité du schéma institué au plus tard le jour du fait générateur) … rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation quant à la preuve de l’animation du groupe par une société (sa participation active à la conduite de la politique et au contrôle des filiales est essentiellement une question de fait, et ne se limite pas à l’édiction d’actes juridiques) … rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation quant aux moyens réputés suffisants pour définir la politique d’ensemble du groupe et prendre les décisions stratégiques obligatoires pour les filiales (cf. notamment le rôle essentiel du dirigeant en la matière).

Selon l’administration, la SAS Finaréa Oméga ne remplit pas les conditions pour être qualifiée de holding animatrice. Lors du versement de la souscription au capital en 2009 – condition pour bénéficier de la réduction d’ISF au titre de l’article 885-0-V bis du CGI – les critères posés par la doctrine administrative n’étaient en effet pas respectés. Le bénéfice du régime des holdings animatrices est réservé aux sociétés dont l’actif est « principalement composé de participations » ; or, elle ne détenait aucune participation en 2009 (date d’appréciation pour que reçoive application l’article 885-0-V bis du CGI). S’agissant de la SAS Finaréa Alpha, sa prise de participation dans une société opérationnelle repose sur : la conclusion d’un pacte d’associés et d’un contrat d’animation lors de l’entrée au capital … sa représentation dans la société opérationnelle dans laquelle elle a investi via un « gérant de participation ». Cependant, à la lecture de ces conventions (« analysées en détail dans la proposition de rectification » précise la CA), il appert que la SAS Finaréa Alpha ne pouvait pas définir la politique d’ensemble des sociétés visées ni prendre de décisions stratégiques relatives à leur fonctionnement et leur activité. La chose semble impossible au juge dans la mesure où SAS Finaréa Alpha détenait une participation minoritaire, était porteuse seulement d’un droit de véto au conseil de direction. Elle pouvait certes – par ce moyen – vérifier si la politique menée était conforme à ses intérêts et ceux de ses actionnaires ; rien de plus. À l’aune de tels éléments, la CA estime que l’administration a utilisé – pour arrêter sa décision contestée – « un ensemble de renseignements et de documents administratifs, de jurisprudences et de documents internes (…) parfaitement identifiés ». Les contribuables y avaient librement accès. Nonobstant leurs assertions et la position du TJ, l’administration pouvait s’abstenir d’établir une liste des pièces obtenues lors de la vérification de la comptabilité des sociétés. D’ailleurs – ajoute la CA – aucune disposition légale ou réglementaire n’impose de telles obligations ; l’administration a pour seule obligation d’invoquer les éléments et documents utilisés pour soutenir la motivation par elle développée. La discussion survenue entre l’administration et les contribuables est réputée ne pas avoir été viciée et ne pas avoir emporté violation de leurs droits. Lors de la procédure administrative de redressement est advenu un « dialogue normalement contradictoire », sans qu’existe une circulation carentielle de l’information préjudiciable aux contribuables. Il ne saurait être formulé à l’encontre de l’administration un autre grief, celui de ne pas avoir adressé d’éléments à décharge : dans sa proposition de rectification et lors du débat contradictoire, elle peut se contenter d’avancer les seuls éléments venant à l’appui de ses assertions. La CA infirme le jugement du TJ en ce qu’il a prononcé la nullité de la procédure fiscale.

Le bien-fondé de la mesure de redressement

Avant de statuer sur le sort des parties en présence – et de cogiter sur la qualité des deux SAS, Finaréa Oméga et Finaréa Alpha – la CA de Riom rappelle la teneur des dispositions applicables au litige. En vertu de l’article 885-0-V-bis du CGI, un contribuable peut bénéficier d’une réduction d’ISF à concurrence de 75 % du montant de son investissement lorsque ce dernier consiste en la souscription au capital d’une petite ou moyenne entreprise. Encore faut-il que celle-ci exerce exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et qu’elle se trouve « en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion (cf. les lignes directrices – 2006/C 194/02 - relatives aux aides d’État). Autre article du CGI visé : l’article 885 I ter qui exonère d’ISF les titres reçus en contrepartie d’une souscription au capital initial – ou aux augmentations de capital – de PME qui remplissent une condition d’activité mentionnée à l’article 885-0-V-bis. Mérite d’être assimilée à ce type de société une société qui a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe, ainsi qu’au contrôle des filiales-PME exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale ; encore faut-il qu’elle se trouve « en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion » et qu’elle réalise, « le cas échéant et à titre purement interne », la fourniture de services spécifiques, administratifs, comptables, financiers et immobiliers. Par la négative, il ne saurait y avoir éligibilité à l’article 885-0-V-bis du CGI pour une société holding ne contrôlant pas une filiale opérationnelle ; dans cette configuration, la holding n’est pas animatrice et ne peut être assimilée aux PME visées par cet article 885-0-V-bis. Si une société holding procède à des prises de participation dans des sociétés opérationnelles, elle mérite la qualité de holding animatrice seulement si sa participation active à la conduite de la politique du groupe est effective. En d’autres termes, il ne suffit pas que soient constatés un pouvoir d’animation découlant de la structure instaurée et des moyens permettant d’animer la filiale ; de la structure à l’effectivité en quelque sorte… C’est à l’aune de ces principes que la situation des deux sociétés visées dans le contentieux - Finaréa Oméga et Finaréa Alpha – doit être lue.

Voyons tout d’abord la situation de la SAS Finaréa Oméga. Selon l’administration, elle ne peut pas être qualifiée de « holding animatrice » ; elle ne serait donc pas éligible à la réduction ISF-PME (CGI, art. 885-0-V-bis). Les contribuables rappellent que l’objet social de cette SAS est la prise de participation dans des jeunes PME et l’animation de ces participations. A ainsi été institué un mécanisme lui permettant d’assumer un « rôle actif et stratégique » dans les PME visées : sont désignés des membres de son comité d’investissement – cf. les personnes « particulièrement qualifiées » présentes – percevant des jetons de présence à raison du travail d’analyse fourni (analyse de dossiers PME et sélection d’investissement). À titre d’exemple, il est fait mention de la sélection d’une PME (C. P.) en décembre 2009. La CA de Riom n’est pas convaincue par la chose et reprend l’argumentation de la DGFP : au jour du fait générateur de l’impôt - date d’appréciation des conditions permettant de jouir des bienfaits de la réduction d’ISF au sens de l’article 885-0-V-bis du CGI - et à la date du 1er janvier 2010 - date d’appréciation des conditions posées pour bénéficier de l’exonération des titres visée à article 885 I ter du CGI - la SAS Finaréa Oméga n’a pris aucune participation dans une société opérationnelle. L’investissement au cœur du présent contentieux a été réalisé dans une société qui était certes en phase de recherches d’investissement mais qui n’était pas éligible à l’avantage fiscal. Une société holding ne contrôlant pas une filiale opérationnelle ne mérite pas la qualité d’animatrice ; elle ne peut donc pas être assimilée aux PME auxquelles est applicable l’article 885-0-V-bis du CGI. Les contribuables sont ainsi déboutés de leur demande.

Voyons maintenant le sort de l’autre société, la SAS Finaréa Alpha. Les contribuables ont procédé à un versement au profit de cette société en mai 2010, à savoir postérieurement après son entrée au capital de deux autres sociétés. La CA de Riom opère un renversement du fardeau probatoire : il revient aux contribuables de « démontrer factuellement « que la société holding ne se contente pas de gérer un portefeuille de titres. Ils doivent prouver que leur société assume « de manière effective et vérifiable des relations de contrôle, de gestion et d’animation d’un ensemble de filiales constitué de PME ». Les contribuables développent une longue argumentation à l’appui de leurs prétentions, tentant de démontrer l’existence « effective et vérifiable » de telles relations. Ils invoquent les points suivants : l’objet social même de la SAS Finaréa Alpha (prise de participation dans de jeunes PME (animation-implication dans la gestion, « coaching actif » via des entrepreneurs confirmés) … l’apport d’un savoir-faire non possédé par les fondateurs des PME (projection stratégique à 5 ans minimum, plan d’action présentable à un comité d’investissement) … la création (cf. les statuts) d’un comité d’investissement composé de « personnes particulièrement qualifiées » et réalisant un travail d’analyse des dossiers des PME et de sélection des investissements … l’obligation, pour les fondateurs des PME, de reprendre le modèle de statuts types avec transformation en SAS … l’obligation, pour les fondateurs des PME, d’accepter un contrat d’animation détaillant les prestations fournies en contrepartie d’une rémunération et d’un pacte d’actionnaires type … aucune décision importante ne peut être prise sans l’accord de la holding (cf. la création d’un conseil de direction validant toutes les décisions stratégiques, avec voix prépondérante de la holding) … l’aval de la holding est nécessaire pour chaque dépense réalisée. Un ultime argument est avancé par les contribuables « l’esprit des actes préparés en amont de l’investissement ». En vertu de cet esprit, la SAS Finaréa Alpha entendait « s’assurer qu’elle aurait les moyens de jouer un rôle actif à l’égard des PME, qu’elle pourrait conseiller et assister leurs dirigeants fondateurs et leur apporter toute l’expertise de ses acteurs ». Il ne fait pas de toute – dans l’esprit des contribuables – que la SAS Finaréa Alpha a effectivement assumé ses missions en oeuvrant stratégiquement au profit des PME, et cela « avant même la présentation du dossier au comité d’investissement ». Elle l’a fait via ses recommandations, via la fixation d’un calendrier, en « imposant sa présence dans les organes de direction », en participant aux nombreuses réunions organisées avec les dirigeants fondateurs.

La CA de Riom ne s’avère pas convaincue. Elle constate la participation minoritaire de la SAS Finaréa Alpha dans des PME, « fait qui témoigne au moins d’une absence de contrôle de droit sur les sociétés opérationnelles ». Un « faisceau d’éléments » vient renforcer le sentiment du juge : à la date des versements réalisés, la SAS Finaréa Alpha jouait seulement un rôle d’investisseur. Il n’est point avéré – et démontré – qu’elle possédait alors de moyens propres (cf. des salariés, du matériel). Il convient, par ailleurs, de se pencher sur le pacte d’associés qui opère une césure entre investisseurs (la SAS Finaréa Alpha) et les entrepreneurs (les associés historiques). Or, il ressort que « les dirigeants de la société opérationnelle entendaient maîtriser la conduite de la stratégie de développement de la filiale et conserver le pouvoir final de décision » (cf. les termes mêmes du pacte, la composition et les règles de vote du conseil de direction). Certes, reconnaît la CA, il existe une exception et elle vise – ce qui n’est pas de peu – « les choix financiers d’une certaine importance ». Cependant, la convention d’animation pose seulement le cadre de la mise en œuvre des prestations de services fournies par la SAS Finaréa Alpha ; ne lui est pas conféré « un rôle de contrôle effectif ou d’animation réelle ». La CA de Riom ne trouve aucun élément de nature à prouver que la SAS Finaréa Alpha impulsait concrètement – au moment de la souscription par les contribuables – la stratégie des sociétés opérationnelles ou qu’elle en contrôlait la mise en œuvre. Les contribuables ne fournissent pas de documents probants (comptes-rendus de réunions, PV d’AG, rapports de gestion), à savoir toute pièce démontrant « l’implication déterminante réelle de la société Finaréa dans les décisions stratégiques ». La CA de Riom souligne combien il importe d’aller « au-delà de la qualification du contrat d’animation et du dispositif décrit à travers les conventions conclues ». C’est cela sans nul doute qu’il convient de retenir de cet arrêt : le formalisme et « l’esprit » ne constituent pas des éléments probatoires substantiels. Ce qui importe est la réelle mise en œuvre des moyens d’animation des filiales et la participation à la conduite de la politique du groupe.

Ultime requête des contribuables, rejetée : ils demandent à la CA de poser trois questions préjudicielles à la CJUE sur le fondement de l’article 267 du TFUE. La première question préjudicielle porte sur l’article 885-0-V-bis du CGI ; or, constate, la CA, la CJUE (cf. sa décision du 11 mars 2008) a estimé que l’article 885-0-V-bis du CGI ne fausse pas les règles de la concurrence en Europe. La seconde question préjudicielle vise la jurisprudence de la Cour de cassation et sa distinction entre « sociétés holdings pleinement animatrices d’un groupe » (et donc éligibles à la réduction ISF-PME) et celles qui ne le sont point. Sans faire œuvre pédagogique, la CA estime qu’il n’est pas nécessaire de se tourner vers la CJUE, et ce sur le fondement de la théorie de la jurisprudence claire : ne s’impose pas « un recours supplémentaire d’éclaircissement du droit applicable ». L’ultime question préjudicielle est centrée sur la possibilité, pour un contribuable, de réclamer la communication de rescrits délivrés à un autre contribuable : la CA se contente de répondre qu’une « telle communication serait sans intérêt » pour l’issue du présent litige.

Le jugement du TJ du Puy-en-Velay est infirmé. Les contribuables sont déboutés de toutes leurs demandes (et sont condamnés sur le fondement des articles 699 N° Lexbase : L0421ITR et 700 du CPC).

newsid:489059

Fiscalité internationale

[Brèves] Convention fiscale France-Luxembourg : prorogation pour l'imposition des revenus de l'année 2023 de l'aménagement exceptionnel de la méthode d'élimination de la double imposition

Lecture: 2 min

N9052BZB

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par Marie-Claire Sgarra

Le 24 Avril 2024

Une nouvelle prorogation de l’aménagement exceptionnel de la méthode d’élimination de la double imposition prévue par la convention fiscale entre la France et le Luxembourg pour l’imposition des revenus de l’année 2023.

 

Rappel. La nouvelle convention fiscale avec le Luxembourg, signée en 2018, a modifié la méthode d'élimination de la double imposition pour les résidents de France percevant des revenus de source luxembourgeoise. Ce changement doit permettre, sans alourdir l’impôt afférent à ces revenus luxembourgeois imposables exclusivement au Luxembourg, de les prendre en compte pour l’application de la progressivité de l’impôt à la taxation des autres revenus, afin d’en assurer le plein effet dans une logique de justice fiscale.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Luxembourg (Convention du 20 mars 2018), in Conventions fiscales internationales, Lexbase N° Lexbase : E17574ES.

Afin de laisser le temps aux foyers concernés de s’adapter, le Gouvernement a annoncé, par communiqué de presse du 1er octobre 2021, la possibilité, par tolérance, de rester sur l’ancien système pour les revenus perçus en 2020 et 2021 [en ligne]. Cette tolérance, qui figure au bulletin officiel des finances publiques (BOI-INT-CVB-LUX-30) et qui a été prorogée pour les revenus de 2022, l’est une nouvelle et dernière fois au titre des revenus de 2023.

L’administration fiscale a modifié ses commentaires en conséquence (BOI-INT-CVB-LUX-30 [en ligne]).

Mesures adoptées par le Gouvernement :

  • les frontaliers résidents de France et travaillant au Luxembourg peuvent depuis 2023 télétravailler en France 34 jours au lieu de 29 tout en restant intégralement imposables au Luxembourg ;
  • en cas de dépassement de ce seuil, dont la portée n’est que fiscale, le prélèvement à la source à la charge de l’employeur a été remplacé par le système des acomptes contemporains ;
  • un guichet spécial pour aider à la détermination de l’assiette imposable en vertu de la loi française va être mis en place à la Direction départementale des finances publiques de Moselle.

D’autre part, les contribuables concernés ont la possibilité d’adapter dès à présent leur taux de prélèvement à la source sur les revenus perçus en 2024 en vue d’anticiper l’impact des nouvelles règles sur leur niveau d’imposition, comme tous les autres contribuables.

À compter des revenus perçus en 2024, les stipulations de la convention s’appliqueront pleinement.

newsid:489052

Procédure pénale

[Brèves] Appel : la seule recevabilité de la constitution de partie civile suffit à aggraver le sort du prévenu

Réf. : Cass. crim., 23 avril 2024, n° 23-83.604, F-B N° Lexbase : A551628S

Lecture: 3 min

N9149BZU

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par Adélaïde Léon

Le 25 Avril 2024

► La cour d’appel ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver son sort ; Or la seule déclaration de recevabilité de la constitution de partie civile par la cour d’appel suffit à aggraver le sort du prévenu.

Rappels des faits et de la procédure. L’affaire concerne un micro-exploitant agricole pratiquant l’élevage de cochons gascons sur un terrain appartenant à une commune.

Cet exploitant a été poursuivi pour plusieurs contraventions liées à son activité et en particulier pour deux violations du règlement sanitaire départemental.

En première instance, l’intéressé a été relaxé pour l’une de ces contraventions et déclaré coupable de l’autre. Les juges du premier degré ont également prononcé sur les intérêts civils.

Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. La cour d’appel a déclaré l’éleveur coupable d’avoir méconnu les prescriptions d’un règlement sanitaire départemental en implantant un élevage porcin à moins de cent mètres des habitations.

La cour d’appel a par ailleurs déclaré recevables les constitutions de partie civile de quatre personnes physiques et déclaré le prévenu responsable de leur préjudice.

L’intéressé a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Il était reproché à la cour d’appel d’avoir évalué à tort le champ d’application des règles sanitaires et d’avoir ainsi méconnu le principe de la légalité des délits et des peines en considérant que certaines dispositions s’appliquaient à l’élevage en question.

Il était par ailleurs fait grief à la cour d’appel d’avoir déclaré recevables les quatre constitutions de parties civiles et d’avoir déclaré le prévenu entièrement responsable du préjudice qu’elles avaient subi alors qu’elle ne pouvait aggraver le sort du prévenu appelant à l’égard d’une partie civile non appelante.

Décision. La Chambre criminelle rejette le moyen fondé sur l’application erronée des règles sanitaires aux faits d’espèce estimant que la cour d’appel pouvait déterminer la signification des termes employés dans le règlement sanitaire départemental au regard, notamment, du vocabulaire particulier utilisé dans le domaine technique ou professionnel concerné.

S’agissant du sort réservé aux quatre constitutions de parties civiles accueillies par la cour d’appel. La Haute juridiction casse l’arrêt attaqué au visa de l’article 515 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3906AZP lequel interdit à la juridiction d’appel, d’aggraver le sort du prévenu sur son seul appel.

En l’espèce, le prévenu était seul appelant des dispositions civiles du jugement.

La cour d’appel a infirmé partiellement la décision de première instance et déclaré recevables les constitutions de partie civile de quatre personnes physiques et déclaré le prévenu responsable de leur préjudice.

Selon la Cour, la seule déclaration de recevabilité de la constitution de partie civile suffisant à aggraver le sort du prévenu, en statuant de la sorte, la cour d’appel a méconnu les dispositions de l’article 515 du Code de procédure pénale.

Pour aller plus loin : J.-B. Thierry, ÉTUDE : Les voies de recours, L’appel contre les décisions des tribunaux correctionnels, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E0741ZME.

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Responsabilité

[Jurisprudence] Action en aggravation du dommage et absence de reconnaissance de la responsabilité de l’auteur présumé : pas de réparation !

Réf. : Cass. civ. 2, 21 mars 2024, n° 22-18.089, F-B N° Lexbase : A24692WD

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par Marianne Lahana, Avocate en droit de la santé – Barreau de Paris, Docteure en droit public

Le 24 Avril 2024

Mots-clés : indemnisation • dommage corporel • aggravation • prescription • responsabilité • consolidation

S'il résulte de l'article 2226 du Code civil que l'action en indemnisation de l'aggravation du préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu'un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l'aggravation, une demande en réparation de l'aggravation d'un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage a été reconnue.


 

En matière de réparation du dommage corporel, les préjudices de la victime peuvent faire l’objet d’une indemnisation, qu’ils correspondent à une demande initiale ou à l’aggravation d’un préjudice. Toutefois, cette réparation intervient sous réserve que certains principes cardinaux de la procédure civile soient respectés, comme l’imposent notamment l’article 2226 du Code civil N° Lexbase : L7212IAD et ses règles de prescription de l’action ainsi que l’article 1355 du Code civil N° Lexbase : L1011KZH et 480 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2318LUE concernant l’autorité de la chose jugée. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 21 mars 2024 a opéré une application stricte de ces principes.

Le 16 mai 1980, alors qu’il tentait de monter dans un train, le requérant a chuté et a subi divers traumatismes. Dans le cadre d’une expertise médicale réalisée en 1987, une date de consolidation de son état de santé a été fixée au 31 décembre 1982. Assignant la SNCF en responsabilité et en indemnisation en 2001, soit dix-neuf années après la consolidation de son état de santé, le requérant s’est vu débouté de son action par un jugement du 1er octobre 2003, la considérant prescrite.

Une action en aggravation introduite en l’absence de reconnaissance de la responsabilité de l’auteur du dommage initial est-elle recevable ?

Par son arrêt du 21 mars 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le requérant et a considéré que s’il résulte de l’article 2226 du Code civil que l’action en indemnisation de l’aggravation du préjudice est autonome au regard de l’action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu’un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l’aggravation, une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage a été reconnue.

La Cour de cassation refuse d’autoriser l’action en aggravation du fait du respect de principes cardinaux de la procédure civile (I) ainsi qu’en raison d’une action en aggravation hors reconnaissance de la responsabilité de l’auteur présumé du dommage (II).

I. Un refus jurisprudentiel conditionné au respect de principes cardinaux de la procédure civile

La Cour de cassation rappelle dans sa solution les règles essentielles et cardinales à respecter en matière de réparation du dommage corporel : il s’agit notamment de la nécessité de ne pas méconnaître l’autorité de la chose jugée (A) et des règles de la prescription en dommage corporel (B).

A. La nécessité de ne pas méconnaître l’autorité de la chose jugée

Dans cet arrêt, la Cour de cassation revient affirmer le principe essentiel de l’autorité de la chose jugée qui concerne l’impossibilité de soumettre à nouveau à un juge des prétentions qui ont déjà été tranchées à l’occasion d’une précédente instance, ainsi que le précise l’article 1355 du Code civil. Les conditions de l’autorité de la chose jugée nécessitent la démonstration d’une triple identité dont l’identité d’objet fait partie : ainsi, pour qu’il y ait autorité de la chose jugée, il faut que la chose demandée soit la même. 

Ce point est intéressant car il peut surprendre en l’espèce, tant la Cour de cassation a, dans l’arrêt qui nous concerne, maintenu une position très ferme s’agissant de cette première condition.

En effet, si le requérant évoquait dans ses moyens le fait que les demandes portées avaient un objet différent eu égard à ce que la demande d’aggravation ne portait pas sur les mêmes préjudices invoqués dans le cadre de la demande initiale, les juges du droit ont tranché ce moyen en rappelant qu’en vertu des articles 1351, devenu 1355, du Code civil et 480 du Code de procédure civile, c’est ce qui fait l’objet d’un jugement qui est relatif à l’autorité de la chose jugée. Cela reviendrait finalement à considérer que ce n’est pas l’invocation d’un préjudice distinct du préjudice initial qui compte dans l’identité d’objet, mais seulement l’invocation d’une indemnisation du préjudice subi dans son ensemble.

Par conséquent, peu importe que la demande d’aggravation porte sur des préjudices distincts de la demande initiale, si le jugement irrévocable portait sur le rejet de la demande d’indemnisation pour prescription de l’action, les conditions de l’autorité de la chose jugée sont réunies. Cette solution pourrait s’inscrire dans la lignée de la portée de l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 8 février 2024 [1], qui estimait alors que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs, tels que des éléments de préjudice distincts des dommages initialement garantis, sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.

Dans le présent cas d’espèce, il pourrait être ajouté « sauf à ce que cette situation ait été déclarée prescrite ».

Il ressort en effet de ce refus jurisprudentiel d’appliquer strictement un autre élément essentiel du droit civil, celui de la prescription de l’action (B).

B. Le rappel des règles de la prescription en dommage corporel

La Cour de cassation revient sur les contours de l’article 2226 du Code civil N° Lexbase : L7212IAD et rappelle l’interprétation qui en a été faite par la jurisprudence. En effet, selon cet article : « L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ». Il en résulte pour la Cour un raisonnement en deux temps : tout d’abord et comme cela a été vu, l’action introduite par le requérant tombe sous l’autorité de la chose jugée du fait d’un jugement rendu irrévocable en date du 1er octobre 2003. Ensuite, l’action introduite par le requérant en indemnisation de l’aggravation devant les juges du droit était autonome de l’action en indemnisation du préjudice initial, sous réserve que l’action initiale ne fût pas prescrite.

Ce faisant, la Cour de cassation revient sur l’appréciation qui avait été faite dans le cadre d’un arrêt de la deuxième chambre civile du 31 mars 2022 [2], et en confirme sa portée. Cet arrêt retenait que l'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial. Qu’en conséquence, se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que l'action de la victime tendant à l'indemnisation d'un préjudice de perte de droit à la retraite en lien avec son préjudice initial était prescrite et que les actions en indemnisation de l'aggravation du préjudice corporel, distinctes, n'avaient pu interrompre le délai de prescription.

En sus de son rappel des principes essentiels de la procédure en matière de dommage corporel, la position de la Cour de cassation a continué de s’inscrire dans un principe conditionnant la recevabilité de l’action à la reconnaissance de la responsabilité de l’auteur présumé du dommage (II).

II. Un refus jurisprudentiel de la réparation en aggravation d’un préjudice hors reconnaissance de la responsabilité de l’auteur présumé du dommage

La Cour de cassation vient préciser dans cet arrêt l’autonomie de l’action en aggravation par rapport à l’action du préjudice initial (A). Cette précision vient toutefois questionner la nécessité d’acquérir un positionnement jurisprudentiel sur les actions résultant uniquement d’une aggravation, en l’absence d’instance relative au dommage initial (B).

A. La précision de l’autonomie de l’action en aggravation par rapport à l’action du préjudice initial

La Cour de cassation rappelle dans sa solution les contours de l’article 2226 du Code civil : « l’action en indemnisation de l’aggravation d’un préjudice corporel est autonome au regard de l’action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu’un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l’aggravation, une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage a été reconnue ».

Au sein de cet article, deux principes fondamentaux gouvernent donc : tout d’abord, l’autonomisation des deux actions conduit à ce qu’un nouveau délai de prescription commence à courir à compter de la consolidation de l’aggravation. Toutefois, ce nouveau délai de prescription est soumis à la nécessité de l’établissement de la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage. Sans cette reconnaissance de responsabilité, la recevabilité d’un recours ne peut prospérer. Cette position ne découle pourtant pas de l’arrêt du 21 mars 2024. En effet, la Haute juridiction avait déjà été amenée à se prononcer par un arrêt de la première chambre civile du 14 janvier 2016 [3], énonçant alors « qu’une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage et le préjudice initialement indemnisé ont pu être déterminés ».

L’absence d’établissement de la responsabilité de l’auteur présumé du dommage fait ainsi obstacle à toute procédure en indemnisation de l’aggravation du dommage et par cet arrêt du 21 mars 2024, la Cour de cassation a refusé d’opérer un revirement de jurisprudence. 

Cette double jurisprudence vient, dès lors, questionner le positionnement qu’aurait pu adopter la Haute juridiction dans le cas où une unique procédure en aggravation aurait été intentée (B). 

B. La nécessité d’acquérir un positionnement jurisprudentiel sur les actions résultant uniquement d’une aggravation, en l’absence d’instance relative au dommage initial

La portée de cet arrêt conduit à s’interroger sur le fait de savoir quelle aurait été la position de la Haute juridiction si aucune instance n’avait été introduite avant l’aggravation. Cela reviendrait à une situation pour laquelle la prétendue victime n’a pas souhaité agir en réparation de son dommage initial et a préféré attendre une procédure en aggravation pour obtenir la réparation de son dommage. Bien qu’il n’y ait pas de position tranchée sur cette question, le Code civil et la jurisprudence précédemment cités nous donnent quelques indices qui pourraient vraisemblablement être pris en compte par la Cour :

- tout d’abord, l’article 2226 du Code civil, ainsi qu’il a été cité, en nous précisant bien que l’action en indemnisation de l’aggravation d’un préjudice corporel est autonome au regard de l’action en indemnisation du préjudice initial, ne précise aucunement que l’une est subordonnée à l’autre. Partant, il n’est pas possible de déduire, à la seule lecture de cet article, qu’une action en indemnisation de l’aggravation ne peut être intentée que sous réserve de l’introduction de l’action initiale ;

- néanmoins, et la jurisprudence vient éclairer cette question, l’arrêt précité du 14 janvier 2016 énonce clairement « qu’une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage ET le préjudice initialement indemnisé ont pu être déterminés ». La détermination du préjudice initialement indemnisé revient à considérer l’introduction d’une demande d’indemnisation initiale, en amont de la demande en aggravation.

En effet, en rattachant temporellement la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage à la détermination du préjudice initialement indemnisé, la Cour ne semble pas faire prospérer la possibilité que cette détermination puisse intervenir uniquement dans le cadre d’une action en aggravation. Par ces termes, la Cour de cassation semble introduire un double critère cumulatif conditionnant la demande en réparation de l’aggravation à l’introduction d’une demande de réparation initiale. Il conviendra toutefois que la jurisprudence vienne confirmer sa position sur ce point, afin que le champ procédural de la demande en aggravation soit clairement établi.

À retenir
L’absence de reconnaissance de la responsabilité de l’auteur présumé du dommage fait obstacle à toute procédure en indemnisation de l’aggravation du dommage.

En cas de prescription de l’action en indemnisation du préjudice initial, pas d’interruption du délai de prescription des actions en indemnisation de l’aggravation distinctes.

Peu importe que la demande d’aggravation porte sur des préjudices distincts de la demande initiale, si le jugement irrévocable portait sur le rejet de la demande d’indemnisation pour prescription de l’action, les conditions de l’autorité de la chose jugée sont réunies.
 

[1] Cass. civ. 2, 8 février 2024, n° 22-10.614, F-B N° Lexbase : A91362KL.

[2] Cass. civ. 2, 31 mars 2022, n° 20-19.992, FS-B N° Lexbase : A72107RH.

[3] Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-30.086, F-P+B N° Lexbase : A9379N3R.

newsid:489112

Social général

[Brèves] Loi « DDADUE 4 » : dispositions relatives au droit social

Réf. : Loi n° 2024-364, du 22 avril 2024, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole N° Lexbase : L1795MMG

Lecture: 6 min

N9101BZ4

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par Lisa Poinsot

Le 24 Avril 2024

Publiée au Journal officiel du 23 avril 2024, la loi n° 2024-364, du 22 avril 2024, comporte, en son article 37, plusieurs dispositions relatives à l’articulation entre les congés payés et les arrêts maladie.

Congés de paternité et d’accueil de l’enfant. Les périodes de congés de paternité et d’accueil de l’enfant sont désormais assimilées à un temps de mission.

Récapitulatif des dispositions relatives aux congés payés en cas d’arrêts maladie.

L’acquisition de congés payés

Sont désormais considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :

  • les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Est ainsi supprimée la limite d’une durée ininterrompue d’un an ;
  • les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel.

Durée :

  • arrêt maladie d’origine non professionnelle : acquisition de deux jours ouvrables dans la limite de vingt-quatre jours ouvrables par an ;
  • arrêt maladie d’origine professionnelle : acquisition de deux jours et demi ouvrables par mois , dans la limite de trente jours ouvrables par an.

Le délai de report des congés payés de quinze mois

Principe : lorsqu'un salarié est dans l'impossibilité, pour cause de maladie ou d'accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu'il a acquis, il bénéficie d'une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser, à compter de l’information du salarié par l’employeur du nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.

Un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, peut fixer une durée de la période de report supérieure.

Hypothèse n° 1 : la durée de l’arrêt maladie est inférieure à un an

Si le salarié reprend son travail avant l’expiration de la période de prise des congés payés et s’il lui reste des jours de congés payés à prendre sur cette période, l’employeur peut :

  • soit les lui faire prendre, de sorte qu’il n’y pas de report mais un simple décalage des dates de congés payés ;
  • soit ne pas les lui faire prendre de sorte que les congés payés sont reportés dans un délai de quinze mois, à compter de l’information du salarié par l’employeur du nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.

Si le salarié reprend son travail après l’expiration de la période de prise des congés payés, ces derniers sont reportés dans un délai de quinze mois, à compter de l’information du salarié par l’employeur du nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.

Hypothèse n° 2 : la durée de l’arrêt maladie est égale ou supérieure à un an à la fin de la période d’acquisition, soit au 31 mai

Les congés payés acquis sont automatiquement reportés de quinze mois à compter de cette date.

Si le salarié reprend son travail avant l’expiration du délai de quinze mois, l’employeur doit l’informer du nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.

Si le salarié reprend son travail après l’expiration du délai de quinze mois, les congés payés reportés sont perdus. Mais, les congés payés acquis pendant cette période sont reportés à leur tour, de sorte que l’employeur doit informer le salarié du nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.

L’obligation d’information de l’employeur

L’employeur doit informer tout salarié, dans un délai d’un mois à la suite du retour de ce dernier dans l’entreprise après un arrêt maladie. Il doit l’informer du nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.

Cette information, qui est le point de départ du délai de report des jours de congés payés, peut être communiquée par tout moyen.

L’application rétroactive de la loi pour les salariés toujours en poste lors de l’entrée en vigueur

Les règles d’acquisition et de report des congés payés sont rétroactives. Elles sont ainsi applicables aux situations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi et ce, depuis le 1er décembre 2009.

En matière de contentieux, quels sont les salariés qui sont encore dans les délais pour saisir le CPH ?

Les salariés en poste doivent respecter un délai de forclusion de deux ans pour saisir la justice d’une demande en exécution de leur contrat de travail. Dès lors, l’action sera forclose en 2026.

Les règles de prescription pour les salariés qui ne sont plus en poste lors de l’entrée en vigueur de la loi

En pratique, quels sont les salariés qui sont encore dans les délais pour saisir le CPH ?

La loi ne prévoit pas de dispositions spécifiques, de sorte que c’est la prescription triennale qui s’applique en cas de rappels de salaires.

Le salarié qui n’est plus en poste au 23 avril 2024 peut agir en justice pour demander le versement d’une indemnité compensatrice de congés payés, dans les trois ans à partir de la date de la rupture de leur contrat de travail.

Ainsi, les salariés, dont le contrat de travail a été rompu avant avril 2021, semblent ne pas pouvoir saisir le CPH d’une demande de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés.

Pour aller plus loin :

  • v. infographie, INFO603, Les congés payés, Droit social N° Lexbase : X7382CNQ ; INFO769, Calculer les jours de congés payés acquis N° Lexbase : X3897CQE ; INFO770, Calculer les jours de congés payés acquis en cas de présence incomplète N° Lexbase : X3901CQK ; INFO771, Calculer les jours de congés payés acquis : tableau d'équivalence N° Lexbase : X3900CQI, Ressources humaines (RH) 
  • lire M. Tourneur, Congés payés et arrêt maladie : quelles sont les nouvelles règles issues du projet de loi DDADUE ?, Lexbase Social, avril 2024, n° 981 N° Lexbase : N9049BZ8 ;
  • v. ÉTUDE : Les congés payés annuels, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0003ETB ;
  • v. ÉTUDE : L’incidence de la maladie non professionnelle sur le contrat de travail, Les effets de la suspension du contrat pour maladie sur les congés, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3213ET8.

 

newsid:489101

Social général

[Pratique professionnelle] Gérer et anticiper les contraintes en droit du travail des Jeux olympiques et paralympiques 2024

Lecture: 17 min

N9109BZE

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par Damien Duchet, Avocat, Aguera Avocats

Le 25 Avril 2024

Mots clés : jeux olympiques • jeux paralympiques • anticipation et gestion des difficultés • contrôle de l’inspection du travail • contrôle URSSAF

Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) 2024 auront une incidence sur les entreprises en France soit parce qu’elles prennent part directement ou indirectement à l’organisation et la tenue des jeux, générant un surcroît d’activité significatif, soit parce que, au contraire, elles connaîtront un ralentissement, voire un arrêt de leur activité pendant cette période, compte tenu notamment des périmètres de sécurité prévus. Et entre ces deux situations, il y a les autres entreprises, celles qui devront continuer à fonctionner normalement, en dépit des contraintes occasionnées par les Jeux. Quel que soit le cas de figure, divers dispositifs, en droit du travail, existent pour y faire face.


329 épreuves, 10 500 athlètes, 15 millions de visiteurs, 185 kilomètres de voies olympiques… les chiffres JOP sont à la hauteur des contraintes que cet événement international va occasionner pour les entreprises et leurs salariés implantés à Paris et en Île-de-France, mais aussi ailleurs en France (Nantes, Châteauroux, Lyon, Saint-Étienne, Bordeaux, Marseille, Nice) :

► Des contraintes de déplacement :

  • des voies de circulation parisiennes seront réservées à la circulation des véhicules accrédités par Paris 2024 (A1, A4, A12, A13, boulevard périphérique et boulevard circulaire, certains axes parisiens), ce sont les « voies olympiques » ;
  • certaines épreuves auront lieu sur route ;
  • des stations parisiennes de métro et de tramway seront fermées tandis que d’autres seront surfréquentées.

► Des contraintes d’accès à certaines zones géographiques :

  • différents périmètres de sécurité, aux contraintes variables, ont été définis à Paris (gris, noir, rouge, bleu) ;
  • le périmètre rouge interdit toute circulation motorisée tandis que le périmètre bleu le réglemente ;
  • un laissez-passer numérique sera nécessaire pour accéder à certaines zones. La plateforme permettant d’obtenir ce laissez-passer sera opérationnelle le 10 mai.

Dans ce contexte, il est essentiel d’anticiper ces difficultés pour mettre en œuvre les dispositifs appropriés afin de préserver le bon fonctionnement de l’entreprise ou de faire face à une baisse conjoncturelle d’activité [1].

1. Comment assurer la continuité de son activité ?

► Le recours au télétravail

L’employeur peut mettre en place le télétravail [2] soit par un accord collectif, soit par une charte, soit par un accord individuel avec le salarié [3] :

  • accord collectif : une négociation devra s’engager avec les interlocuteurs dédiés (délégués syndicaux ou, à défaut, en recourant aux modes subsidiaires de négociation). Compte tenu de la proximité des JOP, s’il n’existe aucun accord collectif en vigueur, il semble plus opportun d’envisager une charte ou un accord individuel avec le salarié ;
  • charte : elle est élaborée par l’employeur après avis du comité social économique (CSE), s’il existe ;
  • accord écrit entre chaque salarié concerné et l’employeur :  le Code du travail prévoit que cet accord est formalisé par « tout moyen ». En pratique, un avenant au contrat de travail permettra de démontrer l’accord mutuel des parties sur le recours au télétravail, soit à durée déterminée pendant la période des JOP, soit à durée indéterminée s’il a vocation à être pérennisé au-delà des JOP.

Par exception, à défaut de recourir à ces trois modalités, le Code du travail prévoit qu’en cas de circonstances exceptionnelles, notamment en cas de menace d’épidémie ou de force majeure, le télétravail est considéré comme un simple aménagement du poste de travail, qui ne requiert pas l’accord individuel du salarié [4].

En fonction des entreprises (localisation, absence de transports, etc.), la notion de « circonstances exceptionnelles », qui ne se limite pas à la force majeure ou à la menace d’épidémie, le Code du travail contenant l’adverbe « notamment », pourrait être mobilisée pour imposer le télétravail aux salariés concernés.

► Les modes alternatifs de transport

Compte tenu des difficultés anticipées de déplacement à Paris et en région parisienne (transport en commun saturé, voies routières fermées), l’employeur peut inciter ses salariés à utiliser des modes alternatifs de transport.

Le forfait mobilité durable offre aux employeurs la possibilité d’attribuer une indemnité de 700 € [5], exonérée d’impôt et de cotisations sociales, aux salariés privilégiant les modes de transports dits à « mobilité douce » pour se rendre sur le lieu de travail :

  • le vélo (électrique ou non)
  • le covoiturage en tant que conducteur ou passager
  • les transports publics de personnes
  • les autres services de mobilité partagée
  • les cyclomoteurs et motocyclettes
  • l’engin de déplacement personnel que le salarié loue ou dont il est propriétaire (trottinette électrique).

Il est mis en place par accord collectif ou, à défaut d’accord, par décision unilatérale de l’employeur après consultation du CSE [6].

L’employeur peut également recourir au programme « objectif employeur pro-vélo » ou prévoir de se doter d’une flotte de vélos entreprise.

► L’aménagement des horaires/jours de travail

Sous réserve de ne pas être contractualisés et des stipulations conventionnelles applicables, l’employeur peut adapter les horaires et les jours de travail du salarié en :

  • aménageant l’horaire de travail quotidien du salarié en prévoyant une prise de service plus tôt ou plus tard ;
  • changeant la répartition des jours travaillés (demander à un salarié de travailler un jour de semaine initialement prévu en repos et lui octroyer le repos en weekend).

► Le recours au travail de nuit

En fonction des activités des entreprises concernées et de contraintes spécifiques (nécessité de délivrer un projet, commande urgente, etc.), le recours au travail de nuit peut être envisagé.

Il est mis en place :

  • par accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou à défaut accord de branche [7] ;
  • à défaut d’accord collectif, d’autorisation de l’inspection du travail [8], après avis des délégués syndicaux (DS) et du CSE [9].

Attention, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification du contrat de travail nécessitant l’accord écrit du salarié.

► Prévenir les risques psychosociaux et veiller à maintenir de bonnes conditions de travail

Pour les salariés qui continueront à travailler pendant la période des JOP, l’employeur doit également œuvrer en matière de prévention des risques psychosociaux, liés en particulier :

  • aux problématiques de déplacement ;
  • à la densité de la population ;
  • à l’isolement provoqué par un recours massif au télétravail ;
  • à l'angoisse liée à des situations de crise (cyberattaques, attentats).

Il est donc opportun d’anticiper ces risques, de les évaluer et de les prévenir en informant les salariés en amont, les sensibilisant et prévoyant le cas échéant certaines mesures spécifiques. À cette fin, une mise à jour du DUERP peut s’avérer utile [10].

2. Comment gérer la suractivité ?

Certaines entreprises seront confrontées à une forte hausse de leur activité compte tenu de leur domaine professionnel : événementiel, hôtellerie, restauration collective, sécurité, tourisme, en particulier.

Divers dispositifs existent pour y faire face :

► Le recrutement en CDD/intérim

Le législateur n’a pas prévu de motifs spécifiques liés à l’organisation des JOP. Deux solutions s’offrent aux entreprises :

  • le CDD ou contrat de mission pour accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
  • le CDD d’usage.

► Le recours aux salariés étrangers/détachement de salariés

Compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, les entreprises peuvent être tentées de recourir à des ressortissants d’un pays tiers (hors États membres de l’UE, l’EEE et la Suisse) et/ou faire appel à des salariés détachés.

Concernant les salariés étrangers, par principe, le ressortissant étranger est tenu de détenir une autorisation de travail, ou un titre de séjour valant autorisation de travail, pour exercer une activité professionnelle sur le territoire français.

Par exception, pour les courts séjours (jusqu’à 90 jours) :

  • il existe une exemption dans 7 domaines d’activité pour lesquels les étrangers n’ont pas à solliciter d’autorisation de travail [11] ;
  • parmi ces 7 domaines :  les manifestations sportives, telles que des compétitions ou tournois de niveau international et notamment les Jeux olympiques [12]. Sont dispensés de l'obligation de détention d'une autorisation de travail tant les sportifs que les personnes qui les accompagnent et participent directement à la manifestation ou sont accrédités par les organisateurs (arbitres, entraîneurs, médecins, sponsors, personnels techniques et organisateurs, etc.).

À noter que le fait d’embaucher et de faire travailler intentionnellement un salarié étranger non muni d’une autorisation de travail constitue un délit passible de sanctions pénales, administratives et civiles lourdes pour emploi irrégulier d’un étranger, telles que 5 ans d’emprisonnement et 15 000 € d’amende par étranger concerné.

Concernant le détachement, qui correspond à la situation où une entreprise régulièrement établie à l’étranger envoie ses salariés en France de manière temporaire, il sera soumis à autorisation de travail, sauf dans les cas suivants :

  • détachement intra-groupe ;
  • détachement d’un ressortissant de pays tiers qui travaille pour le compte d’un employeur établi sur le territoire d’un État membre de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse.

Les règles relatives au détachement devront être respectées (déclaration SISPIS, formulaire A1, etc.).

► Les dérogations aux durées maximales de travail et au temps de repos

À défaut de recruter d’autres salariés, l’employeur peut choisir de déroger aux durées maximales de travail et au temps de repos.

Pour rappel, les dispositions légales prévoient que :

  • la durée de travail effectif ne doit pas dépasser 10 heures par jour, 48 heures sur une même semaine et 44 heures sur une période de 12 semaines consécutives ;
  • le temps de repos quotidien est de 11 heures consécutives ;
  • le temps de repos hebdomadaire est de 24 heures consécutives.

Il est possible de déroger :

  • (i) à la durée maximale hebdomadaire absolue (48 heures/semaine) en déposant une demande d’autorisation à la DREETS, préalablement à la consultation du CSE. La durée hebdomadaire de travail peut être portée à 60 heures ;
  • (ii) à la durée maximale hebdomadaire moyenne (44 heures/période de 12 semaines) par :
    • une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, sous réserve que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de 46 heures sur 12 semaines ;
    • à défaut d’accord collectif, ce dépassement pouvant aller jusqu’à 46 heures sur 12 semaines peut être autorisé par l’autorité administrative (cf. procédure précédente prévue au (i)) ;
    • à titre exceptionnel, dans certains secteurs d’activité, dans certaines régions ou dans certaines entreprises, un dépassement de cette durée de 46 heures peut être autorisé par l’autorité administrative, pendant des périodes déterminées.
  • (iii) à la durée maximale quotidienne (10 heures/jour) pour la porter à 12 heures :
    • par convention ou accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut une convention ou un accord de branche, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ;
    • par autorisation de l’inspecteur du travail. Le dépassement peut être autorisé en cas de surcroît d’activité, imposé notamment pour l’un des trois motifs suivants : travaux devant être exécutés dans un délai déterminé en raison de leur nature, des charges imposées à l’entreprise ou des engagements contractés par celle-ci, travaux saisonniers ou travaux impliquant une activité accrue certains jours de la semaine, du mois ou de l’année.
  • (iv) à la durée minimale de repos quotidien (11 heures/jour), sous réserve de respecter une durée de repos de 9 heures.

Ce tableau résume les délais et les interlocuteurs à solliciter en cas de demande d’autorisation :

Dérogation à la durée maximale hebdomadaire absolue

Dérogation à la durée maximale moyenne hebdomadaire

Dérogation à la durée maximale quotidienne

Dérogation à la durée minimale de repos quotidien

DREETS : délai de 30 jours d’instruction (le silence vaut acceptation)

DREETS : délai de 30 jours d’instruction (le silence vaut acceptation)

Inspecteur du travail : 15 jours

Inspecteur du travail : 15 jours

► Le rachat des jours de repos/la modulation du temps de travail

  • Le rachat des jours de repos/la renonciation aux jours de repos des salariés au forfait annuel en jours

L’employeur et le salarié peuvent convenir que le salarié renonce à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises au titre des périodes postérieures au 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025.

Le salarié a droit à une majoration des journées ou demi-journées de repos travaillées au moins égale au taux de majoration de la première heure supplémentaire applicable dans l’entreprise.

  • La modulation du temps de travail

Un accord collectif peut prévoir un aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines ou sur l’année. Les heures effectuées au-delà de 35 heures par semaine ne sont donc pas des heures supplémentaires.

En l’absence d’accord collectif ou de branche prévoyant un dispositif d’aménagement du temps de travail supérieur à la semaine, l’employeur peut mettre en place une répartition sur plusieurs semaines de la durée du travail, dans la limite de 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés et 4 semaines pour les autres. Le dispositif est soumis à l’avis du CSE.

► La dérogation au travail dominical

La loi n° 2023-380 du 19 mai 2023, relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 N° Lexbase : L6792MHZ a prévu une dérogation temporaire et exceptionnelle au repos dominical avec l’attribution du repos hebdomadaire par roulement sur la base du volontariat et après autorisation préfectorale :

  • Pour qui ? Les commerces, et plus précisément les magasins de vente au détail mettant à disposition des biens et services situés dans les communes d’implantation des sites de compétition et dans les communes limitrophes.
  • Quand ? Du 15 juin au 30 septembre 2024.
  • Quelles contreparties ? Rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement perçue pour une durée du travail équivalente et repos compensateur équivalent en temps.

Le décret n° 2023-1078 du 23 novembre 2023 N° Lexbase : L3654MKK a également prévu une suspension temporaire du repos hebdomadaire du 18 juillet au 14 août 2024 dans les établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail pour les besoins de captation, de transmission, de diffusion et de retransmission des compétitions organisées dans le cadre des JOP de 2024 ainsi que pour assurer les activités relatives à l’organisation des épreuves et au fonctionnement des sites liés à l’organisation et au déroulement des Jeux.

En dehors de ces cas spécifiques prévus pour les JOP, les hypothèses habituelles de dérogation au travail dominical s’appliquent, à savoir :

  • entreprises soumises à des contraintes de production, d’activité ou de besoins du public nécessitant le fonctionnement ou l’ouverture le dimanche (activité devant être listée à l’article R. 3132-5 du Code du travail N° Lexbase : L9260MA9) ;
  • commerces de détail alimentaires le dimanche jusqu’à 13h ;
  • dérogation par le préfet pour les établissements où le repos simultané le dimanche pour tout le personnel serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal (nécessité d’un accord collectif ou d’une DUE) ;
  • dérogation par le maire pour les établissements de vente au détail habituellement soumis au repos dominical (dérogation annuelle et collective accordée par le maire désignant les secteurs et les dimanches où le travail est autorisé dans la limite de 12 par an) ;
  • zones touristiques ;
  • zones commerciales ;
  • gares.

► Différer la prise de congés payés

Si les salariés prennent une grande partie de leurs congés pendant la période estivale, l’employeur, confronté à une hausse d’activité pendant cette période due aux JOP, pourra décider de différer la prise des congés payés de ses salariés.

Pour ce faire, à défaut d’accord collectif, il appartient à l’employeur de fixer la période de prise des congés payés au moins 2 mois avant l’ouverture de la période des congés payés, après avis du CSE, et le salarié doit être informé au moins 1 mois avant son départ.

3. Comment faire face à une baisse d’activité ?

► L’activité partielle

Pour les entreprises dont l’activité va être ralentie, voire à l'arrêt, le recours à l’activité partielle est envisageable dans 5 cas limitativement énumérés :

  • conjoncture économique ;
  • difficultés d’approvisionnement ;
  • sinistres ou intempéries de caractère exceptionnel ;
  • transformation ;
  • toute autre circonstance de caractère exceptionnel.

Aucun de ces cas ne semble pouvoir être directement mobilisé dans le cadre des JOP et le législateur n’a pas eu la volonté d’ouvrir davantage le recours à l’activité partielle durant les JOP.

► Imposer la prise de congés payés

Comme dans l’hypothèse d’une suractivité, l’employeur peut, à l’inverse, imposer la prise des congés payés pendant la période des JOP en cas d’activité ralentie ou arrêtée.

► La formation des salariés/Le prêt de main-d’œuvre

Il peut enfin être judicieux de profiter d’une période de baisse/d’arrêt d’activité pour permettre à ses salariés de bénéficier d’actions de formations (plan de développement des compétences, CPF, projet de transition professionnelle, etc.) ou pour les mettre à disposition, à titre gratuit, auprès d’une entreprise dont l’activité n’est pas négativement impactée pendant cette période.

4. Comment anticiper les contrôles de l’administration ?

De nombreux contrôles de l’inspection du travail et de l’URSSAF sont attendus pendant les JOP, qui auront pour but de s’assurer que les décisions organisationnelles des entreprises respectent le cadre légal, notamment en matière de :

  • durées maximales de travail ;
  • temp de repos ;
  • licéité du travail dominical ;
  • travail dissimulé.

Il importe donc d’anticiper d’ores et déjà ces contrôles en prenant les mesures appropriées, notamment par le biais de délégations de pouvoir.


[1] Cet article a vocation à évoquer les outils disponibles, sans les présenter de manière exhaustive.

[2] C. trav., art. L. 1222-9 N° Lexbase : L2453MIP.

[3] Le ministère du Travail précise que l’employeur a le choix entre les trois cas de mis en place prévus, sans considérer qu’il existe une hiérarchie entre eux : Min. Trav, Télétravail, mode d'emploi, 26 mars 2018 (actualisé en dernier le 10 février 2021).

[4] C. trav., art. L. 1222-11 N° Lexbase : L8103LG9.

[5] BOSS, n° 1130.

[6] C. trav., art. L. 3261-4 N° Lexbase : L3215LUM.

[7] C. trav., art. L. 3122-15 N° Lexbase : L8125LGZ.

[8] C. trav., art. L. 3122-21 N° Lexbase : L6838K97.

[9] C. trav., art. R. 3122-9 N° Lexbase : L0711LI8.

[10] Le site « Anticiper les Jeux » permet aux entreprises de préparer un plan d’action personnalisé et adapté [en ligne].

[11] C. trav., art. L. 5221-2-1 N° Lexbase : L6016LRA et D. 5221-2-1 N° Lexbase : L8938LAB.

[12] Circulaire du 2 novembre 2006, relative à la dispense d'autorisation de travail pour les séjours inférieurs ou égaux à 3 mois, pour les étrangers, ressortissants de pays tiers, venant sur le territoire français en vue d'y exercer une activité professionnelle salariée [en ligne].


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Protection sociale

[Brèves] Prestations familiales : allongement à neuf mois de la durée de séjour sur le territoire national

Réf. : Décret n° 2024-361, du 19 avril 2024, relatif à la condition de stabilité de la résidence pour le bénéfice des prestations familiales N° Lexbase : L1746MMM

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par Laïla Bedja

Le 24 Avril 2024

► Un décret du 19 avril 2024, publié au Journal officiel du 21 avril 2024, a modifié la condition de stabilité de séjour pour l’ouverture des droits aux prestations familiales par les régimes de Sécurité sociale.

À compter du 1er janvier 2025, la durée de présence sur le territoire national nécessaire pour remplir la condition de séjour principale en France pour prétendre au versement des prestations familiales, sera de neuf mois au cours de l’année civile de versement (actuellement, six mois) (CSS, art. R. 111-2 N° Lexbase : L4744MIK).

newsid:489096

Sociétés

[Jurisprudence] Réorganiser la gouvernance n’est pas révoquer

Réf. : Cass. com., 4 avril 2024, n° 22-19.991, F-B N° Lexbase : A63312ZI

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N9077BZ9

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre

Le 23 Avril 2024

Mots-clés : société anonyme • directeur général • révocation • mandat social • évolution de la gouvernance

La décision du conseil d'administration d'une société anonyme de confier à son président la direction générale de la société, qui a pour effet de mettre fin aux fonctions jusqu'alors exercées par le directeur général, ne constitue pas une révocation de ce dernier, sauf à ce que celui-ci démontre que cette décision a été prise dans le but de l'évincer de son mandat social.

La solution n’avait pas encore été affirmée par la Cour de cassation, mais elle se comprend parfaitement. Formulée à propos d’une SA, elle apparaît transposable à d’autres sociétés, et notamment aux SAS.


 

1. L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 avril 2024 est intéressant en ce qu’il affirme une solution raisonnable, que la doctrine avait déjà formulée, mais qui n’avait pas encore eu l’occasion d’être consacrée à ce niveau. Il est jugé que la décision prise par le conseil d’administration d’une SA de faire évoluer la gouvernance d’une présidence dissociée vers une concentration des mandats de président et de DG entre les mains de la même personne ne constitue pas une révocation, sauf pour le mandataire social qui cesse ses fonctions à prouver qu’il a fait l'objet d’une révocation déguisée.

2. On se trouvait dans le cadre d’une SA, dont il est indiqué qu’elle était cotée en bourse. La consultation de l’arrêt d’appel attaqué [1] permet d’apprendre que la société avait embauché M. [U] comme directeur administratif et financier le 7 juillet 2015, alors qu’elle était dirigée depuis 2009 par un P-DG, qui en était aussi le fondateur. Le 10 décembre 2015, il était décidé de procéder à la dissociation des fonctions de président et de DG et M. [U] se voyait confier la direction générale, tandis que le fondateur conservait la présidence du conseil. Le fondateur démissionnait cependant de son mandat de président quelques mois plus tard et était remplacé à ce poste le 28 juin 2016 par M. [I]. Quelques mois plus tard encore, lors d’un conseil d'administration en date du 23 novembre 2016, était décidée à l’unanimité la réunion des fonctions de président et de DG entre les mains de M. [I]. Il est indiqué que cette décision entraînait ainsi la fin du mandat social de M. [U]. On précisera que si la nomination de M. [U] au poste de DG avait entraîné la suspension de son contrat de travail, ce contrat avait repris lors de la cessation du mandat social.

3. On ne sait si M. [U] reprenait effectivement ses fonctions salariées, mais il estimait avoir fait l’objet d’une révocation sans juste motif lui ouvrant droit à une indemnisation, et il saisissait le tribunal de commerce, devant lequel il sollicitait à titre principal la somme de 180 000 euros à titre d'indemnité. Il était débouté tant en première instance qu’en appel, et la Cour de cassation rejette le pourvoi qu’il avait formé.

4. On reviendra dans un premier temps sur le dispositif de dissociation des fonctions de président du conseil et de DG et sur le passage d’un mode de gouvernance à l’autre (I) avant de voir la distinction, opérée par l'arrêt, entre le changement de mode de gouvernance et la révocation (II).

I. Le dispositif de dissociation et le passage d’un mode de gouvernance à l’autre

5. La loi NRE [2] a introduit la possibilité de dissocier la présidence du conseil d’administration et la direction générale de la SA à organisation moniste, ressuscitant dans notre droit une organisation qui existait jusqu’en 1940 [3] ! L’article L. 225-51-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2183ATZ introduit en 2001, et qui n’a pas été modifié depuis, institue une alternative (gouvernance « concentrée », avec un P-DG, ou gouvernance « dissociée », avec un président et un DG), puis il dispose que « dans les conditions définies par les statuts, le conseil d'administration choisit entre les deux modalités d'exercice de la direction générale visées au premier alinéa ». Il précise ensuite que « les actionnaires et les tiers sont informés de ce choix dans des conditions définies par décret en Conseil d'État » et l’article R. 225-27 N° Lexbase : L9370LUL prévoit que l’extrait du procès-verbal contenant la décision du conseil choisissant le mode de gouvernance fait l’objet d’un avis dans un support habilité à recevoir les annonces légales dans le département du siège social.

6. L’article L. 225-51-1 du Code de commerce évoque un choix opéré par le conseil d’administration [4], mais il ne précise pas le régime de ce choix et les conséquences du changement de gouvernance, qui entraîne dans un cas réduction des fonctions exercées (cas du P-DG qui ne conserve que la présidence ou la direction générale en cas de dissociation) et dans l'autre suppression complète du mandat social du président ou du DG en cas de concentration des fonctions après une dissociation). La question de l’impact de la réunion des mandats sociaux de président du conseil d’administration et de DG sur les mandats existants mérite particulièrement d’être posée. L’arrêt indique que le conseil d’administration ayant voté la réunion des fonctions entre les mains du président du conseil, cela avait entraîné la fin du mandat du DG. Est-ce nécessairement de cette manière que la concentration produit ses effets ? Nous écrivons avec Paul Le Cannu que « si la société passe de la formule “dissociée” à la formule “concentrée”, le directeur général peut devenir président et directeur général […], mais il se peut que ce soit le président non directeur général qui devienne directeur général » [5]. Certes, l’article L. 225-51-1 dispose en son premier alinéa que « la direction générale de la société est assumée, sous sa responsabilité, soit par le président du conseil d'administration, soit par une autre personne physique nommée par le conseil d'administration et portant le titre de directeur général », ce dont on pourrait déduire qu’en cas de passage à une gouvernance concentrée, la direction générale « fait retour » entre les mains du président. Le texte ne dit pas expressément cela, et il appartient donc au conseil, lorsqu’il rebat les cartes de la gouvernance, de préciser qui exercera, dans la formule concentrée, le mandat de P-DG. En l’occurrence, il avait été décidé que le couple président/DG serait remplacé par un P-DG et que le président exercerait la direction générale, ce qui posait la question de la nature de la cessation du mandat social du DG. S’agissait-il ou non d’une révocation ?

II. Le changement de gouvernance, par principe distinct d’une révocation

7. Le mandat social prend fin de plusieurs manières, dont la démission, la révocation, l’arrivée du terme prévu. Il prend également fin de manière indirecte, parce que tel événement survient, qui empêche qu’il continue, tel que le décès du dirigeant personne physique. Il est des événements indirects qui peuvent prendre place « au-dessus » du mandat social, si l’on peut dire. La transformation de la société est une première illustration, qui remplace une organisation sociétaire par une autre ; par exemple, une SA qui devient SARL voit son conseil d’administration disparaître au profit d’une gérance, mais sans que les administrateurs fassent l’objet d’une révocation. La jurisprudence a à plusieurs reprises écarté la qualification de révocation dans l’hypothèse du changement de forme sociale [6]. La dissolution, qu’elle soit suivie ou non d’une liquidation, voit également l’organisation en place disparaître sans que les mandataires sociaux concernés soient révoqués. La même solution a été formulée dans l’hypothèse où la SA passe d’une gouvernance à directoire et conseil de surveillance à une gouvernance à conseil d’administration [7]. Apparue plus récemment, l’hypothèse du passage d’une présidence dissociée à une présidence concentrée implique également qu’une personne physique perde le mandat social qu’elle détenait. Faut-il voir dans cette disparition du mandat social une révocation ?

8. L’un des enjeux était illustré par l’arrêt commenté. Le DG qui avait vu son mandat disparaître soutenait qu’il avait fait l’objet d’une révocation sans juste motif, ce qui devait lui ouvrir droit au versement de dommages-intérêts par la société, en application de l’article L. 225-55 du Code de commerce N° Lexbase : L5926AIC. Rappelons que cette indemnisation n’est prévue qu’au profit du DG qui n’est pas simultanément président du conseil, le P-DG étant quant à lui révocable ad nutum. Le DG écarté du fait du changement de gouvernance plaidait, devant la Cour de cassation, que « la seule volonté de mettre en place une nouvelle gouvernance dans l'entreprise ne constitue pas un juste motif de révocation du mandat social sauf à l'entreprise de rapporter la preuve que la décision de révocation est justifiée par la nécessaire préservation de l'intérêt social » (sic). La qualification de révocation peut également avoir une incidence lorsqu’ont été convenues ou décidées des indemnités s'appliquant dans ce cas précis de départ, ou encore lorsqu’une promesse de cession de droits sociaux est conditionnée à la survenance d’une situation formelle de révocation.

9. Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation prend parti sur la question de l’assimilation du changement de gouvernance à une révocation, en l’écartant clairement à titre de principe. Il est ainsi répondu au DG évincé que « la décision du conseil d'administration d'une société anonyme de confier à son président la direction générale de la société, qui a pour effet de mettre fin aux fonctions jusqu'alors exercées par le directeur général, ne constitue pas une révocation de ce dernier », à titre de principe. Est immédiatement apportée une réserve tenant au cas où le DG dont le mandat a été supprimé « démontre que cette décision a été prise dans le but de l'évincer de son mandat social ». Tant le principe que la réserve apportée se rencontraient déjà en doctrine [8].

10. La solution a sa logique. La révocation consiste à mettre fin au mandat social pour remplacer le mandataire social par un autre, ainsi que le confirme l’arrêt lorsqu’il mentionne que l’arrêt d’appel a « constaté que M. [U] n'a pas été révoqué de son mandat pour être remplacé par un nouveau directeur général et que son mandat dissocié de directeur général, qui n'existait que du fait de la gouvernance dualiste votée précédemment par les administrateurs, avait été supprimé ». Le changement de gouvernance ne donne pas lieu à un remplacement, mais à une réorganisation. On pourrait certes être troublé par le fait que tant la révocation du DG que la décision de mettre fin à la dissociation des fonctions relèvent de la compétence du conseil d’administration aux termes, respectivement, des articles L. 225-55, alinéa 1er et L. 225-51-1, alinéa 2, du Code de commerce. En dépit de cette identité de compétence, les deux opérations n’ont ni le même esprit ni le même objectif. La révocation vise à remplacer un mandataire social qui ne convient plus à la société, le changement de gouvernance modifie l’organisation sociétaire sans trouver sa cause, normalement, dans la personnalité des mandataires sociaux en fonction.

11. Ainsi qu’on l’a dit, une réserve est apportée, qui vise le cas où le changement de gouvernance s’analyserait en réalité en une « révocation déguisée », ce qui supposerait que le mandataire social écarté puisse démontrer que « la suppression de son mandat de directeur général procède d'une volonté de l'évincer ». La réserve se rencontrait déjà dans les décisions relatives à la transformation de la société, et elle se comprend parfaitement. Il ne faut pas permettre que les règles applicables à la révocation soient contournées par un changement de gouvernance faisant disparaître opportunément le mandat social tout en soustrayant cette opération à la qualification de révocation. La démonstration d’une telle manœuvre, qui relève du champ de la fraude, reposera notamment sur la preuve d’une intention de révoquer, manifestée peu avant le changement de gouvernance, mais non portée à terme, ou bien encore sur un retour rapide par la société au mode de gouvernance qu’elle avait pourtant abandonné, sans justification au regard de son intérêt social.

12. Dernière observation : la décision est formellement inscrite dans le cadre spécifique de la SA, mais elle nous semble transposable à d’autres formes sociales dès lors que l’on procédera à un changement d’organisation, dans un cadre légal ou statutaire, entraînant la disparition pure et simple d’un mandat social. La portée de la solution n’est clairement pas la même selon qu’elle est restreinte aux 29 918 SA ou qu’elle s’applique également aux 1 588 842 SAS existant en France aujourd’hui [9]. Ainsi, dans le cadre d’une SAS qui viendrait à modifier ses statuts et à faire disparaître un organe de direction, la suppression du mandat social ne devrait pas davantage s’analyser en une révocation, toujours sous réserve que la réorganisation opérée ne s’apparente pas à une révocation déguisée.

 

[1] CA Bordeaux, 8 juin 2022, n° 18/03513 N° Lexbase : A022577H.

[2] Loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ.

[3] V. sur cette réforme, not., D. Bureau, La loi relative aux nouvelles régulations économiques, Aspects de droit des sociétés, Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 553 ; J.-P. Bouère, P-DG ou président et directeur général ?, Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 695 ; P.-H. Conac, La dissociation des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général des sociétés anonymes selon la loi relative aux nouvelles régulations économiques, Droit 21, 2001, ER 052 ; S. Castagné, Les nouveaux modes de direction des sociétés anonymes après la loi NRE, Dr. Sociétés, 2003, chr. n° 1.

[4] Sur le pouvoir exclusif du conseil d’administration, v. CA Paris, 5-8, 1er février 2012, n° 10/19173 N° Lexbase : A7339IBG, Rev. Sociétés, 2012, p. 503, note J.-P. Mattout.

[5] V. ainsi P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, LGDJ, 10ème éd., 2023, sp. n° 788.

[6] V. ainsi Cass. com., 22 mai 1973, n° 71-12.731, publié N° Lexbase : A6828AGY, Rev. sociétés, 1974, p. 314, note Guilberteau ; CA Paris, 5-8, 22 septembre 2015, n° 14/12205 N° Lexbase : A4847NP9, Bull. Joly Sociétés, 2016, p. 141, note P.-L. Périn.

[7] Cass. com., 4 février 1997, n° 94-21.707, publié N° Lexbase : A1578ACG, Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 306, note P. Le Cannu, jugeant que « la cour d'appel a justement énoncé qu'en cas de substitution du conseil d'administration au directoire et au conseil de surveillance, le président du directoire ne peut prétendre que la suppression de son poste résultant de ce changement constitue une révocation sans juste motif » – CA Paris, 20 décembre 1982, Rev. sociétés, 1983, p. 786, note P. Le Cannu.

[8] V. ainsi P. Le Cannu et B. Dondero, op. cit. : « ce changement [passant de la formule « dissociée » à la formule « concentrée »] ne devrait pas être assimilé à une révocation, sauf fraude ».

[9] Chiffres au 7 avril 2024 [en ligne]

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Soins psychiatriques sans consentement

[Brèves] Rejet du défaut d’impartialité découlant de l’identité de juge procédant à l’examen de la poursuite et de la demande de mainlevée de la mesure

Réf. : Cass. civ. 2, 28 mars 2024, n° 22-20.599, F-B N° Lexbase : A23982X4

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par Laïla Bedja

Le 24 Avril 2024

► L'admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète étant une mesure provisoire qui peut faire l'objet à tout moment, indépendamment de son réexamen obligatoire tous les six mois, d'une demande de mainlevée, le défaut d'impartialité du juge des libertés et de la détention ne saurait se déduire du seul fait que celui-ci a précédemment statué, en application de l'article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique, sur la poursuite de la mesure.

Les faits et procédure. Mme X a été admise, le 26 mai 2022, en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète.
Par ordonnance du 3 juin 2022, confirmée par un arrêt du 17 juin 2022, la poursuite de la mesure a été autorisée par le juge des libertés et de la détention. Ayant formé une demande de mainlevée de la mesure fixée à une audience tenue par le juge des libertés et de la détention ayant autorisé la poursuite de la mesure, Mme X a sollicité sa récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime au motif que celui-ci avait déjà connu de l'affaire.

Le premier président de la cour d'appel ayant rejeté les demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime et de récusation, Mme X a formé un pourvoi en cassation.

La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. C’est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 111-6 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L2516LBS et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, que le premier président de la cour d'appel a rejeté les demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime et de récusation.

Pour aller plus loin : Étude : Les soins psychiatriques sans consentement, Le contrôle des mesures d'admission en soins psychiatriques par le juge des libertés et de la détention, in Droit médical, Lexbase N° Lexbase : E7544E9B

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