Lexbase Social n°537 du 25 juillet 2013 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le législateur peut-il confier à un accord d'entreprise le soin de prévoir le recours à la messagerie électronique et à l'intranet de l'entreprise ?

Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2013, n° 13-40.021, F-P+B (N° Lexbase : A6677KI7)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 25 Juillet 2013

Alors que le Conseil Constitutionnel continue de rejeter les QPC qui lui sont transmises avec une belle régularité, la Cour de cassation, qui bloque la plupart des questions qui lui sont soumises, laisse filtrer celles qui lui semblent mériter un examen de conformité. C'est cette fois-ci l'article L. 2142-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2166H94), relatif à l'usage dans l'entreprise de la messagerie électronique et de l'intranet, qui passera à la question, avec, nous semble-t-il, des chances de succès tout aussi limitées que les précédentes.
Résumé

La disposition subordonnant l'utilisation par les syndicats d'un moyen de communication actuel et devenu usuel à une autorisation ou à un accord de l'employeur est de nature à affecter l'efficacité de leur action dans l'entreprise et la défense des intérêts des travailleurs.


I - Présentation de la QPC

Cadre juridique applicable. Le droit de communication syndicale dans l'entreprise résulte de la loi n° 68-1179 du 27 décembre 1968 (N° Lexbase : L4372IX9). Le législateur y avait choisi, comme mode de communication, l'affichage sur panneaux et la distribution de publications et tracts.

La possibilité reconnue aux syndicats représentatifs de l'entreprise d'utiliser les ressources de l'intranet ou de la messagerie électronique de l'entreprise résulte de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8), qui a complété les dispositions de l'ancien article L. 412-8 du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD), et a subordonné la détermination des modalités de mise à disposition de ces moyens à la conclusion d'un accord d'entreprise devant préciser "notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message".

La Cour de cassation a précisé que les syndicats ne pouvaient revendiquer de droit d'accès à l'intranet ou à la messagerie de l'entreprise en l'absence d'accord d'entreprise (1), ni les salariés d'ailleurs qui sont tenus par les termes et limites de l'accord (2), mais a considéré que les syndicats pouvaient parfaitement, sans accord, adresser à certains salariés des mails à partir d'une messagerie n'appartenant pas à l'entreprise, ce droit n'entrant pas dans les prévisions de l'article L. 2142-6 du Code du travail (3).

Par ailleurs, et quoi qu'en dise l'accord, il doit, désormais, bénéficier, au-delà des syndicats représentatifs de l'entreprise, à tous les syndicats affiliés ou implantés dans l'entreprise et qui bénéficie de l'ensemble des prérogatives syndicales d'entreprise depuis la réforme de la démocratie sociale de 2008 (4).

QPC. Ce sont ces dispositions qui sont ici contestées dans le cadre d'une QPC, le demandeur ayant formulé la question en ces termes : "la rédaction de l'article L. 2142-6 du Code du travail en ce qu'elle subordonne la diffusion de tracts de nature syndicale sur la messagerie électronique de l'entreprise à un accord d'entreprise ou à un accord de l'employeur est-elle conforme à l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) et à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1358A98) ?". Ces articles étant relatifs à la liberté syndicale (al. 6) et à la liberté de communication (art. 11).

Transmission. Pour la Cour de cassation, la question doit être transmise, car elle présente un caractère sérieux, "la disposition subordonnant l'utilisation par les syndicats d'un moyen de communication actuel et devenu usuel à une autorisation ou à un accord de l'employeur étant de nature à affecter l'efficacité de leur action dans l'entreprise et la défense des intérêts des travailleurs".

II - Des chances de succès très limitées

Jurisprudence constitutionnelle relative à la liberté syndicale. L'entrée en vigueur de la procédure de QPC, au 1er avril 2010, a permis aux acteurs de soumettre le volet "démocratie sociale" de la loi du 20 août 2008 "à la question", et, partant, au Conseil constitutionnel d'enrichir sa jurisprudence relative à la liberté syndicale.

Au titre de la liberté syndicale de l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil protège avant tout la liberté de se syndiquer et de choisir son syndicat ; cette conception minimaliste ne s'étend pas réellement aux prérogatives syndicales dont il appartient au législateur de fixer le contenu (5).

Les principales mesures de la loi de 2008 ont été validées et les atteintes à la liberté syndicale invoquées n'ont pas été retenues, pour des raisons variables.

S'agissant, ainsi, du seuil d'audience de 10 % exigé des syndicats pour qu'ils puissent être représentatif dans l'entreprise, le Conseil a ainsi considéré que "la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de 1946, n'impose pas que tous les syndicats soient reconnus comme étant représentatifs indépendamment de leur audience" (6).

Il n'est pas non plus contraire à la liberté syndicale de subordonner à une condition d'ancienneté de deux ans l'exercice du droit syndical dans l'entreprise car cette exigence "constitue une condition raisonnable et proportionnée pour garantir la mise en oeuvre du droit de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs représentants et l'exercice par le syndicat de prérogatives au sein de l'entreprise, sans priver le salarié de la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, et ne porte atteinte à aucun des principes invoqués" (7).

La même solution a été retenue pour le seuil d'audience de 10 % exigé en principe des salariés pour qu'ils soient désignés comme délégué syndical car "en imposant aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, l'article L. 2143-3 (N° Lexbase : L6224ISC) associe les salariés à la désignation des personnes reconnues les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l'entreprise et à conduire les négociations pour leur compte" (8) (cons. 9).

De la même façon, subordonner, dans les entreprises d'au moins 300 salariés, la possibilité pour les syndicats de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise au fait d'y avoir "des élus" n'a pas été considéré comme attentatoire à la liberté syndicale (9).

Des chances de succès limitées. En premier lieu, l'article L. 2142-6 du Code du travail, mis en cause par la QPC, a été créé en 2004 avant la réforme de la démocratie sociale et confie aux seuls syndicats représentatifs le soin de fixer les modalités d'exercice du droit syndical, ce qui était logique avant 2008 mais fait difficulté depuis dans la mesure où l'exercice de ce droit a été étendu en 2008 à des syndicats non représentatifs affiliés ou implantés.

En second lieu, l'usage de l'intranet ou de la messagerie est devenu, selon la Cour de cassation, "actuel et usuel", ce qui justifierait un droit d'accès direct ne passant pas par l'entremise d'un accord. La Cour de cassation ne croit donc pas aux affirmations du rapporteur devant l'Assemblée nationale qui affirmait en 2004 que ce texte comme "visant à conforter et développer la présence syndicale dans les entreprises" (10).

Il ne nous semble pas, contrairement à ce qui a pu être suggéré (11), que cet argument soit de nature à entraîner la censure du texte, compte tenu de la nature particulière du moyen de communication dont il s'agit.

L'utilisation des serveurs de l'entreprise pose, en effet, des problèmes techniques, mais également de sécurité. On ne pourrait, en effet, imaginer un droit d'accord absolu et inconditionnel qui risquerait de menacer l'ensemble des serveurs en raison de la quantité des informations qui pourrait y circuler, ou des menaces possibles à la sécurité des réseaux. Il semble, dans ces conditions, légitime d'encadrer ce recours en y posant des conditions, et parfaitement justifié d'en confier la responsabilité aux partenaires sociaux dans le cadre d'un accord collectif d'entreprise (12).

Compte tenu de la marge de manoeuvre laissée au Parlement dans la mise en oeuvre de la liberté syndicale, et du fait que les syndicats conservent, de part le Code du travail lui-même, les moyens d'action traditionnels, le risque de censure semble limité.

Jurisprudence constitutionnelle en matière de liberté de communication. Il n'est tout d'abord pas inutile d'observer que l'argument, soulevé par le demandeur, n'a pas été appuyé par la Cour de cassation qui n'y fait pas référence dans ses motifs et préfère se concentrer sur la liberté syndicale, ou sur ce qu'on pourrait qualifier "la liberté de communication syndicale".

On sait que la liberté de communication, qui trouve sa source dans l'article 11 de la DDHC, est protégé par le Conseil constitutionnel depuis 1984 (13) et a été jugée comme "d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés", et que "les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi" (14).

Dans la décision rendue en 2010, à propos des dispositions de l'article L. 211-3 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5420DKX), conférant aux UDAF des prérogatives de représentation particulières, le Conseil constitutionnel, qui avait validé le texte, avait considéré qu'il n'y a pas d'atteinte à la liberté de communication lorsque les autres associations peuvent faire valoir leurs opinions auprès des pouvoirs publics par d'autres moyens (15).

C'est d'ailleurs en se fondant sur des considérations comparables que la Cour de cassation a admis qu'un accord collectif accordant aux syndicats un certain "droit de tirage" sur la messagerie électronique puisse valablement fonder des sanctions disciplinaires contre un salarié qui ne l'avait pas respecté, la Haute juridiction observant que "l'accord litigieux [...] n'interdit pas aux syndicats intéressés de procéder à la distribution directe de tracts papier aux heures d'entrée et de sortie du personnel" (16).

Le risque de censure nous semble par conséquent très limité dans la mesure où les syndicats, même sans accord, peuvent toujours communiquer par le biais des tracts et des affichages, "à l'ancienne" !


(1) Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 02-30.946, FS-P+B (N° Lexbase : A2904DGN).
(2) Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.279, F-D (N° Lexbase : A3890EXD).
(3) Cass. soc., 10 janvier 2012, n° 10-18.558, FS-P+B (N° Lexbase : A5268IAD) : la solution est fondée sur la notion de "diffusion" qui n'est pas réalisée par l'envoi d'un tract syndical aux seuls responsables d'agences. La solution avait déjà été affirmée pour des tracts syndicaux distribués en dehors de l'entreprise : Cass. soc., 28 février 2007, n° 05-15.228, FS-P+B (N° Lexbase : A4112DUT).
(4) Cass. soc., 21 septembre 2011, n° 10-19.017, FS-P+B (N° Lexbase : A9598HXR) ; v. nos obs., A propos du droit d'affichage et de diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise : question d'égalité ou de légalité ?, Lexbase Hebdo n° 456 du 6 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7962BSP) ; Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 11-14.292, FS-P+B (N° Lexbase : A5295IAD).
(5) Cons. const., décision n° 89-257 DC, du 25 juillet 1989, loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion (N° Lexbase : A8199ACN) ; Cons. const., décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, loi relative à la création du registre international français (N° Lexbase : L3701G8L), cons. 25 ; Cons. const., décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (N° Lexbase : A1487DTA), cons. 4 ; Cons. const., n° 2010-68 QPC du 19 novembre 2010 (N° Lexbase : A9735GIE), cons. 7 : "droit [...] de constituer librement une organisation syndicale ou d'adhérer librement à celle de leur choix".
(6) Cons. const., 7 octobre 2010, n° 2010-42 QPC (N° Lexbase : A2099GBD) ; v. nos obs., Le Conseil constitutionnel, les syndicats catégoriels et la réforme de la démocratie sociale, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2856BQT).
(7) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 11-40.072, FS-P+B (N° Lexbase : A4887H3E).
(8) Cons. const., décision n° 2010-63/64/65 QPC du 12 novembre 2010 (N° Lexbase : A4181GGX), cons. 9.
(9) Cons. const., décision n° 2011-216 QPC du 3 février 2012 (N° Lexbase : A6683IB7) ; v. nos obs., Le Conseil constitutionnel valide les modalités de désignation des représentants syndicaux dans les entreprises de 300 salariés et plus, Lexbase Hebdo n° 473 du 16 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0249BTE).
(10) J.-P. Anciaux, Rapport, Assemblée nationale fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi, relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, spéc. p. 37. Doutant de la pertinence de ce motif, il est vrai plus incantatoire qu'autre chose : J. Icard, "La diffusion d'informations syndicales par voie électronique", JCP éd. S, n° 14 du 3 Avril 2012, n° 1155.
(11) J. Icard, préc.
(12) Le législateur peut donc, après avoir fixé le principe, renvoyer pour le détail aux partenaires sociaux sans être taxé d'incompétence négative.
(13) Cons. const., décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse (N° Lexbase : A8097ACU), cons. 37 : "s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle".
(14) Cons. const., décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 - Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (N° Lexbase : A0503EIH). Cons. const., décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6284EXZ).
(15) Cons. const., décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, cons. 7, préc..
(16) Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.279, F-D (N° Lexbase : A3890EXD).

Décision

Cass. soc., 11 juillet 2013, n° 13-40.021, F-P+B (N° Lexbase : A6677KI7)

Renvoi (QPC)

Texte concerné : C. trav., art. L. 2142-6 (N° Lexbase : L2166H94)

Mots clés : liberté syndicale, messagerie électronique, intranet, QPC

Liens base : (N° Lexbase : E1837ET9)

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