Cahiers Louis Josserand n°7 du 29 juillet 2025 : Droit transitoire

[Doctrine] Le droit transitoire – approche européaniste

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N2759B3L

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par Ludovic Pailler, Professeur agrégé de droit privé et sciences criminelles, Centre de Recherche sur le Droit International Privé (EDIEC-EA4185), Université Jean Moulin Lyon 3

le 01 Août 2025

1. Alors que le présent propos doit permettre d’illustrer la diversité des approches du droit transitoire, sous l’angle européen, l’auteur est pris de vertige quant à la tâche qui lui est confiée. Elle est bien trop vaste pour tenir dans le cadre imparti. Aussi le vocable approche sera-t-il pleinement exploité pour justifier la focale mise sur des morceaux choisis pour l’intérêt particulier qu’ils nous semblent présenter.

2. Avant d’y venir, il nous faut élaguer le champ de l’étude, en commençant par jouer sur un autre mot du titre de notre intervention, l’adjectif dual qui caractérise l’approche. Il y a au moins deux Europes. Nous n’en retiendrons qu’une, l’Union européenne. Car en droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH), le droit transitoire est lui-même double. D’une part, c’est le droit transitoire inhérent à l’adoption de textes nouveaux qui modifient les règles applicables à la procédure devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ou instituent de nouveaux droits et libertés. Le Protocole additionnel n° 15, qui vient notamment réduire de 6 à 4 mois le délai pour introduire une requête, précise, dans l’article 8, l’effet dans le temps des dispositions nouvelles dont l’entrée en vigueur est prévue par l’article 7. Le règlement de la Cour, qui depuis 1959 a déjà subi 58 modifications ou refontes, comporte lui-même quatre articles (111 à 114) qualifiés de « dispositions transitoires », qui précèdent un article 117 relatif à l’entrée en vigueur du texte. L’ensemble demeure trop marginal pour offrir une véritable approche. D’autre part, le droit transitoire du droit de la CESDH pourrait ressortir de la jurisprudence de la CEDH relative à l’application de la loi dans le temps. Nombre de dispositions transitoires ou de successions législatives, relevant de matières diverses, ont été confrontées aux exigences des droits fondamentaux [1]. L’ensemble nécessite une étude minutieuse, car certainement animé d’une logique propre, notamment liée à l’accent mis sur les effets du droit transitoire plutôt que sur ses méthodes.

3. L’Union européenne offre certainement un cadre plus homogène, en même temps qu’elle permet de réduire la focale à une échelle soutenable. La relative jeunesse de ce droit pourrait encore être un facteur propre à réduire la difficulté, quoiqu’elle n’exclue pas les modifications successives ou refontes du droit dérivé, parfois à répétition. Le règlement sur la marque communautaire du 20 décembre 1993 [2] en est l’illustration parfaite, qui, sans compter les modifications liées à l’adhésion de nouveaux États membres, a été modifié un an plus tard [3] puis en 2003 [4], en 2004 [5] et en 2006 [6] avant d’être codifié en 2009 [7] et de nouveau modifié en 2015 [8] pour être recodifié en 2017 [9] pour être de nouveau modifié en 2023 [10].

3. Si cette inconstance n’est qu’un épiphénomène, considérant les modifications incessantes de certains pans des droits nationaux, le droit de l’Union présente quelques particularités qui, a priori, rendent d’autant plus ardue l’identification d’un droit transitoire propre. Tout d’abord, le droit de l’Union, pris comme un ordre juridique autonome, n’est pas un système, un tout cohérent [11]. Il comprend peu de métanormes. Certes, l’article 297 du TFUE N° Lexbase : L2614IPI règle l’entrée en vigueur des textes. Mais aucune règle écrite ne précise les effets dans le temps des règles nouvelles, ni les conflits de règles dans le temps. Aucun renvoi aux droits nationaux, qui emporterait une diversité des solutions, n’est envisageable sauf à rendre illusoire l’harmonisation ou l’uniformisation escomptée. L’application dans le temps du droit de l’Union requiert des règles uniformes étroitement liées à la nature et à la teneur des dispositions. Ensuite, une autre difficulté tient à la diversité, au nombre et à l’hétérogénéité des matières dans lesquelles le droit de l’Union prend pied en ignorant largement la division entre droit public et droit privé. S’ajoutent de potentiels conflits transitoires entre des conventions internationales qui n’intègrent pas l’ordre juridique de l’Union et le droit de l’Union, notamment lorsqu’il vient se substituer à elles ou a vocation à le faire, même s’ils sont généralement réglés par les dispositions transitoires du droit dérivé [12].

4. Malgré ce paysage contrasté, la Cour de justice esquisse, au gré de ses arrêts, une théorie générale du droit transitoire de l’Union [13]. La toile qui en résulte pourrait décevoir. Son architecture générale ne présente que peu de spécificités par rapport aux grandes lignes du droit transitoire, notamment français, même si des différences peuvent surgir dans le détail de ses applications. Elle repose sur deux principes assez classiques – le principe de non-rétroactivité [14], sauf in mitius [15] et le principe d’applicabilité immédiate [16] – que la Cour de justice applique suivant une distinction autonome et peu systématique [17] entre les matières substantielles et procédurales.

5. À ce stade de notre propos, nous aurions pu disserter, assez simplement, sur les désordres d’un droit transitoire de l’Union qui manque de systématisation, compte tenu de la segmentation et de la sédimentation de ses composantes. Toutefois, deux phénomènes singuliers, ou relativement singuliers, ont retenu notre attention, car sources de questionnements qui ne sont pas totalement résolus. Le premier manifeste une forme de neutralisation des difficultés généralement soulevées par la succession dans le temps de deux textes en transposant au nouveau l’interprétation de l’ancien. Il ne se confond pas avec la continuité interprétative d’un même texte d’un cas d’espèce à l’autre ni ne se masque derrière l’euphémisme d’une interprétation du droit nouveau à la lumière de celle du droit ancien. Le second correspond à un segment de temps durant lequel la normativité du texte nouveau est incertaine, à raison de la distinction faite entre l’entrée en vigueur et l’entrée en application. L’actualité de chacun de ces phénomènes diffère. Le premier, la continuité internormative (I) est déjà bien ancré dans la jurisprudence de la Cour de justice tandis que le second, l’intertemporalité intranormative (II) soulève encore des questions prospectives.

I. La continuité internormative

6. La continuité internormative, prise comme le maintien de la substance de la norme malgré son changement formel, paraît être un oxymore. Ce serait omettre que toute réforme n’est pas une révolution complète. Il n’est pas rare qu’une partie variable du texte réformé demeure, formellement ou en substance, identique au droit antérieur. C’est dans ce contexte que prend pied la continuité internormative. Elle n’est pas inédite ou caractéristique du droit de l’Union puisque, sous d’autres formes, elle se rencontre dans les droits nationaux. De telles questions ont pu être soulevées, par exemple, à l’occasion de la réforme française du droit de la preuve, des obligations et du régime général des obligations [18]. Cependant, la Cour de cassation française n’a pas construit ou mis en lumière, à la différence de la Cour de justice, un raisonnement qui sous-tend et justifie la continuité internormative. Cette dernière pourrait bien se transformer en un principe supplémentaire du droit transitoire de l’Union facteur de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, celui de l’unité d’interprétation dans le temps des dispositions qui, substantiellement, sont de droit constant.

7. Aux termes de nos recherches, sans doute non exhaustives, la continuité internormative est employée dans deux séries de circonstances distinctes, lorsque la situation est nouvelle (A) et lorsqu’elle est continue (B).

A. La continuité appliquée à une situation nouvelle

 

8. La continuité internormative serait apparue en droit international privé de l’Union européenne. Elle est une création prétorienne dont le fondement est doublement fragile. D’une part, parce qu’elle s’appuie sur les motifs des instruments de droit dérivé qui sont, par nature, dépourvus de force contraignante. D’autre part, parce que la Cour de justice a dépassé la lettre des motifs pour en révéler l’esprit, lequel sera rétrospectivement acté par le législateur.

9. Dans le règlement « Bruxelles I » [19], qui communautarise la convention de Bruxelles [20], les motifs soulignent la continuité que doivent assurer les dispositions transitoires et la « même continuité […] en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de la convention » applicables aux procédures encore pendantes et non soumises au règlement nouveau. La Cour de justice en a retenu l’essence [21], à savoir la continuité des deux textes dont il résulte que « dans la mesure où le Règlement n° 44/2001 N° Lexbase : L7541A8S remplace désormais, dans les relations des États membres, la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les premières dispositions vaut également pour les secondes, lorsque les dispositions de la convention de Bruxelles et celles du règlement n° 44/2001 peuvent être qualifiées d’équivalentes » [22]. Dans la refonte du règlement n° 44/2001 [23], le législateur en tire les conséquences lorsqu’il indique qu’une « continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de la convention de Bruxelles de 1968 et des règlements qui la remplacent » [24]. La même logique transparaît dans le règlement « Bruxelles II ter » [25]. Il présente l’originalité de s’inscrire non seulement dans la continuité des instruments de droit dérivé auquel il succède, les règlements « Bruxelles II » [26] et « Bruxelles II bis » [27], mais également de la convention antérieure, dite « Bruxelles II » [28], qui n’est jamais entrée en vigueur. Dans une moindre mesure, ce vœu de continuité ressort également des motifs du règlement « Rome I » vis-à-vis de la convention de Rome [29]. Mais elle n’est pas systématique dans les instruments nouveaux de droit international privé de l’Union [30].

10. La continuité internormative présente l’intérêt de permettre à la Cour de justice d’invoquer une jurisprudence constante nonobstant la succession de deux textes [31], pour autant que le critère en est rempli : l’équivalence de dispositions anciennes et nouvelles. Que les dispositions successives soient rédigées en termes identiques n’est pas nécessairement déterminant [32], voire peut s’avérer superfétatoire [33]. L’essentiel tient à l’absence de changement au fond [34], ce qu’atteste la circonstance que le texte nouveau « occupe la même place et remplit la même fonction » que l’ancien [35] ou « reflète la même systématique » [36]. À défaut d’équivalence, notamment parce que le libellé du texte nouveau « diffère sensiblement » de celui de l’ancien, le premier devra être interprété à la lumière des objectifs et du système du nouvel instrument de droit dérivé [37].

11. La jurisprudence évoquée se concentre sur la succession des instruments « Bruxelles I », quand elle moins affirmée pour les autres instruments du droit international privé de l’Union [38]. Hors cette matière, elle n’est pas sans écho. Certains sont diffus [39], d’autres tout aussi forts. Toutefois, ils sont exprimés en termes distincts, car sans appui disponible dans les motifs, qui se réfèrent à la « portée en substance identique » des textes successifs [40]. L’ensemble tend à confirmer l’émergence d’un principe de continuité internormative. Les termes derniers cités sont d’ailleurs ceux par lesquels la Cour de justice nous paraît manifester l’existence dudit principe s’agissant des situations continues.

B. La continuité appliquée à une situation continue

12. Les situations continues sont celles débutées avant l’entrée en application du texte nouveau et qui se prolongent après, de sorte que, en application du principe d’application immédiate, deux périodes sont à distinguer, car respectivement régies par le texte nouveau et ancien. La continuité internormative ressort alors d’une interprétation unitaire ou conjointe de chacun à laquelle procède la Cour de justice.

13. Cette unité d’interprétation est assez récente. Sa première occurrence date d’un arrêt Dixons Retail plc rendu en matière de taxe sur la valeur ajoutée [41]. Y était en cause l’interprétation de la directive du Conseil n° 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ, qui est une refonte de la directive du Conseil n° 77/388 N° Lexbase : L9279AU9, plusieurs fois modifiée de façon substantielle. Dans l’affaire au principal, une partie des opérations devait être soumise au droit ancien, les autres au droit nouveau. Et la Cour de justice de relever, à titre liminaire et sans expliciter aucun objectif particulier pour se justifier, qu’« il n’est pas nécessaire d’opérer de distinction entre les dispositions résultant de ces directives, ces dernières devant être considérées comme revêtant une portée en substance identique pour les besoins de l’interprétation que la Cour sera amenée à donner dans le cadre de la présente affaire » [42]. Cette précision liminaire était d’autant plus évidente que les motifs de la nouvelle directive explicitent que la refonte ne devrait « en principe, pas provoquer des changements de fond dans la législation existante » [43]. En d’autres termes, la portée de l’arrêt pouvait apparaître limitée par la circonstance que la refonte avait été explicitement opérée à droit constant.

14. La continuité internormative n’en a pas moins été invoquée hors le contexte d’une réforme explicitement présentée comme étant à droit constant. C’est en matière de protection des données qu’un arrêt probant a été rendu par la Cour de justice. Pour rappel, la directive n° 95/46 d’harmonisation minimale N° Lexbase : L8240AUQ a été abrogée et remplacée par le RGPD N° Lexbase : L0189K8I. À propos d’un traitement débuté avant l’entrée en application de ce dernier, la Cour de justice rappelle que « l’article 8, paragraphe 1, de la directive 95/46 et l’article 9, paragraphe 1, du RGPD […] revêtent une portée similaire pour les besoins de l’interprétation que la Cour est amenée à donner » [44]. La première occurrence de cette mention en jurisprudence a permis à la Cour de justice de ne pas avoir à démêler une question d’application dans le temps pour laquelle lui manquaient des éléments factuels [45]. En d’autres termes, le recours à la continuité internormative a été fonctionnel, sans qu’il n’ait pour autant été subordonné à son utilité dans l’affaire au principal. C’est conjecturer que le critère de la continuité demeure celui d’une substance constante des dispositions en cause, à tout le moins d’une équivalence des dispositions successives. Cette équivalence, qui n’est pas l’identité, semble devoir s’apprécier à l’aune du triptyque interprétatif dont la Cour de justice use habituellement pour éluder le sens d’un texte : interprétation littérale, systématique et téléologique. Nul doute qu’il puisse en résulter de nouvelles questions préjudicielles qui permettront d’affiner la portée du principe émergent.

II. L’intertemporalité intranormative

15. L’intertemporalité intranormative a cela d’original qu’elle concerne un seul et même instrument pour lequel existe une période de latence comprise entre son entrée en vigueur et son entrée en application. Pour autant, la figure n’est pas totalement inconnue qui pourrait rappeler la distinction entre observabilité et applicabilité [46].

16. Dans la théorie française du droit transitoire, l’entrée en vigueur correspond à la date à partir de laquelle la loi nouvelle s’applique [47]. Il en est théoriquement de même en droit de l’Union [48]. Toutefois, en certaines matières, le législateur insère, parmi ses dispositions finales, un texte qui distingue l’entrée en vigueur de l’entrée en application pour différer cette dernière. Tel est par exemple le cas de l’article 99 du RGPD N° Lexbase : L0189K8I qui retarde l’applicabilité du règlement de deux ans pour donner le temps aux responsables de traitement et sous-traitant de se mettre en conformité [49]. L’objectif est d’éviter une trop forte perturbation de la sécurité et de la prévisibilité juridiques comme du marché intérieur lié à l’entrée en vigueur de nouvelles contraintes. Il en résulte que les textes nouveaux ne produisent leur effet juridique que pour les situations postérieures à leur entrée en application et laissent à l’empire du droit antérieur le soin de régir les situations antérieures, y compris celles nées entre l’entrée en vigueur du texte et son entrée en application [50]. Pour autant, l’entrée en vigueur est-elle, par elle-même, dépourvue de tout effet juridique ? En d’autres termes, toute efficacité juridique du texte nouveau est-elle exclue dans l’attente de son entrée en application ?

17. La question n’est pas inédite en droit de l’Union, pour avoir reçu des éléments de réponse s’agissant des directives. L’intertemporalité est bornée par la date d’entrée en vigueur et le terme du délai de transposition. Entre ces deux dates, les destinataires de la norme que sont les États membres sont incités à transposer la directive, laquelle est dépourvue d’efficacité ou d’invocabilité, faute d’être inconditionnelle, c’est-à-dire faute d’être transposée par les États membres. Pour autant, la Cour de justice lui confère une efficacité anticipée. Elle a admis, tout d’abord, une « invocabilité de prévention » [51] afin d’éviter qu’un État membre n’adopte un acte contraire à la directive avant le terme du délai de transposition, lorsqu’à cette dernière date le recours ouvert contre cet acte dans l’ordre juridique national serait prescrit. En d’autres termes, au cours de la période de latence, « si les États membres ne sont pas tenus d’adopter ces mesures avant l’expiration du délai de transposition, […] ils doivent s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement le résultat prescrit par cette directive » [52]. Ensuite, la Cour de justice a été jusqu’à imposer aux juridictions nationales d’interpréter le droit national en conformité avec les principes de l’ordre juridique de l’Union, considérant que la question couverte par la directive relevait du champ d’application du droit de l’Union à compter de son entrée en vigueur [53]. Cette dernière date suffit à rendre efficace l’exercice de sa compétence par le législateur de l’Union.

18. Considérant ce qui précède, la question prospective est celle de l’extension de cet acquis aux règlements, indépendamment des dispositions qui laissent aux États membres des marges d’appréciation au point de les confondre partiellement avec une directive [54]. La difficulté tient à ce que les destinataires de la norme diffèrent. Les règlements entrés en application sont d’effet direct dans les rapports de droit privé. Quoi qu’il en soit, l’entrée en vigueur d’un règlement n’est pas dépourvue de tout effet. Tandis que l’applicabilité directe est reportée dans le temps, elle donne à l’instrument de droit dérivé force obligatoire. Il est contraignant pour ses destinataires, mais sans pouvoir être le fondement des effets juridiques qu’il prévoit et qui demeurent subordonnés à son applicabilité.

19. La première conséquence de cette force obligatoire a été dessinée par la jurisprudence relative aux directives et peut être transposée sans difficulté aux règlements. La force obligatoire de l’instrument de droit dérivé fait basculer toutes les situations qui en relèvent dans le champ d’application du droit de l’Union. Elle est particulièrement intéressante lorsque ces situations n’étaient régies, auparavant, que par le droit national. Le juge national est alors contraint d’interpréter son droit national, non pas à la lumière du droit dérivé entré en vigueur, mais à la lumière du droit de l’Union applicable, dont les principes de droit primaire et la charte des droits fondamentaux. Cette première conséquence est, en revanche, de peu d’utilité en cas de succession d’instruments de droit dérivé sans extension de son champ d’application matériel ou spatial.

20. Le plus incertain tient à l’invocabilité du règlement virtuellement violé par un destinataire de la règle. La question est particulièrement pertinente s’agissant d’instruments qui procèdent d’une approche par les risques. Car ils chargent le destinataire de la norme d’adopter les mesures appropriées pour se conformer aux prescriptions du règlement. Cet opérateur n’est-il pas tenu, considérant la force obligatoire du texte, de s’abstenir d’adopter toute mesure qui compromettrait l’achèvement des buts qui lui sont assignés par le texte sans attendre que ce dernier y soit applicable ? Le droit de l’Union ne pourrait pas offrir les moyens de répondre par la positive à cette question, à défaut de pouvoir employer les mesures correctrices prévues par le texte nouveau comme celles prévues par le texte ancien. En revanche, c’est sur le fondement du droit national que pourrait être sanctionnée la méconnaissance d’une norme obligatoire de l’ordre juridique, notamment par le truchement de la responsabilité civile pour faute, au titre de la méconnaissance d’une obligation préexistante.

 

[1] V., entre autres, s’agissant du régime transitoire de la garde à vue, CEDH, 11 juillet 2019, Req. n° 62313/12, Olivieri c/ France N° Lexbase : A5429ZIW.

[2] Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire N° Lexbase : L5799AUC.

[3] Règlement (CE) n° 3288/94 du Conseil du 22 décembre 1994 modifiant le règlement (CE) n° 40/94 sur la marque communautaire en vue de mettre en œuvre les accords conclus dans le cadre du cycle d’Uruguay N° Lexbase : L5606AU8.

[4]  Règlement (CE) n° 1992/2003 du Conseil du 27 octobre 2003 modifiant le règlement (CE) n° 40/94 sur la marque communautaire pour donner effet à l’adhésion de la Communauté européenne au protocole relatif à l’arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, adopté à Madrid le 27 juin 1989.

[5] Règlement (CE) n° 422/2004 du Conseil du 19 février 2004 modifiant le règlement (CE) n° 40/94 sur la marque communautaire N° Lexbase : L0446DY8.

[6] Règlement (CE) n° 1891/2006 du Conseil du 18 décembre 2006 modifiant les règlements (CE) n° 6/2002 et (CE) n° 40/94 en vue de donner effet à l’adhésion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de La Haye concernant l’enregistrement international des dessins et modèles industriels N° Lexbase : L8039HXZ.

[7] Règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire (version codifiée) N° Lexbase : L0531IDZ.

[8] Règlement (UE) n° 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil sur la marque communautaire et le règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission portant modalités d’application du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil sur la marque communautaire, et abrogeant le règlement (CE) n° 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur N° Lexbase : L3614KWR.

[9] Règlement (UE) n° 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne N° Lexbase : L0640LGS.

[10] Règlement (UE) n° 2023/2411 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à la protection des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels et modifiant les règlements (UE) 2017/1001 et (UE) 2019/1753 N° Lexbase : L0098MKT.

[11] V., par ex., excluant que le traité CE puisse constituer une lex generalis applicable postérieurement à la cessation d’effet du traité CECA, qui aurait été pris comme une lex specialis, TPICE, 25 octobre 2007, T-27/03, SP SpA e.a. contre Commission.

[12] V., par ex., sur le conflit entre des conventions d’extradition et la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, CJUE, 10 juin 2010, C-396/08, Lotti et Matteucci N° Lexbase : A6446EYE.

[13] Les travaux sur le sujet sont assez rares, et la question discrètement traitée dans les manuels. V., toutefois et entre autres, P. Tavernier, Le juge communautaire et l’application dans le temps des règlements C.E.E., Annuaire français de droit international, octobre 1976, vol. 22, p. 169 ; G. Isaac,L’entrée en vigueur et l’application dans le temps du droit communautaire, in Mélanges dédiés à Gabriel Marty, PUSST, 1978, p. 697 ; L. Blatière, L’applicabilité temporelle du droit de l’Union européenne, Montpellier, 2016.

[14] CJCE, 25 janvier 1979, aff. C-98/78, A. Racke c/ Hauptzollamt Mainz N° Lexbase : A5728AUP ; CJCE, 12 novembre 1981, aff. C-212/80 à C-217/80, Salumi e.a. N° Lexbase : A6142AUZ

[15] CJCE, 23 février 1995, aff. C-358/93 et 416/93, Procédures pénales c/ Aldo Bordessa et Vicente Marí Mellado et Concepción Barbero Maestre N° Lexbase : A5838AYU ; CJCE, Gde ch., 3 mai 2005, aff. C-387/02, Silvio Berlusconi N° Lexbase : A0954DI8.

[16] CJCE, 14 avril 1970, aff. C-68/69, Bundesknappschaft c/ Élisabeth Brock N° Lexbase : A6617AUM.

[17] V., spéc., R. Amaro, La Cour de justice et les conflits de lois dans le temps, D., 2023, p. 98.

[18] V., notamment, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 3e éd., 2024, spéc. n° 49 et s.

[19] Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale N° Lexbase : L7541A8S.

[20] Cons. 19.

[21] V., déjà, conclusions de l’avocat général Philippe Léger sous l’affaire Owusu (C281/02), pt. 194.

[22] CJCE, 23 avril 2009, aff. C-67/08, Draka NK Cables, pt. 20.

[23] Règlement (UE) n° 1215/2012 N° Lexbase : L9189IUU - compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale.

[24] Cons. 34 Règlement n° 1215/2012 dit « Bruxelles I » refondu.

[25] Règlement (UE) n° 2019/1111 du Conseil, du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (refonte) N° Lexbase : L9432LQE.

[26] Règlement (CE) n° 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs N° Lexbase : L6913AUL.

[27] Règlement CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale N° Lexbase : L0159DYK.

[28] Convention de 1998 établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale.

[29] Cons. 15 et 22 Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) N° Lexbase : L7493IAR.

[30] Pour une absence d’écho à une telle continuité, Règlement (UE) n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2020, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes) (refonte) N° Lexbase : L8247LY4

[31] V., par ex., CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-189/08, Zuid-Chemie BV c/ Philippo's Mineralenfabriek NV/SA, pt. 23 N° Lexbase : A9692EIS.

[32] V., cependant, CJUE, Gde ch., 18 octobre 2011, aff. C-406/09, Realchemie Nederland BV, pt. 39 N° Lexbase : A7784HYX ; v., plus explicitement, CJUE, 16 juin 2016, aff. C-12/15, Universal Music International Holding BV, pt. 23 N° Lexbase : A1128RTX.

[33] V., notamment, CJCE, 2 juillet 2009, C-111/08, SCT Industri AB i likvidation, pt. 23 N° Lexbase : A5497EIG.

[34] CJCE, Draka NK Cables, préc., pt. 24.

[35] CJCE, SCT Industri AB i likvidation, préc., pt. 23 N° Lexbase : A5497EIG.

[36] CJCE, Zuid-Chemie, préc., pt. 19 N° Lexbase : A9692EIS.

[37] CJCE, 14 décembre 2006, aff C-283/05, ASML Netherlands BV, pts. 18 à 22 N° Lexbase : A8823DSL.

[38] V., par ex., pour une interprétation de la convention de Rome à la lumière rétrospective du règlement « Rome I » pour s’assurer que la première se concilie avec le nouvel instrument, CJUE, Gde ch., 15 mars 2011, aff. C-29/10, Koelzsch, pt. 46 N° Lexbase : A8956G9L.

[39] V., notamment, s’agissant d’une continuité entre la directive n° 95/46 et le RGPD, CJUE, Gde ch., 22 juin 2021, aff. C-439/19, Latvijas Republikas Saeima, pt. 64 N° Lexbase : A76594WL.

[40] V., par ex., s’agissant du régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, CJUE, ord., 14 juin 2018, GS, aff. C‑440/17, pt. 30 N° Lexbase : A5735XXP ; v. également, en matière de protection des données à caractère personnel, CJUE, 17 juin 2021, aff. C-597/19, M.I.C.M., pt. 107 N° Lexbase : A76604WM.

[41] CJUE, 21 novembre 2013, aff. C-494/12 N° Lexbase : A8368KPM.

[42] Ibid., pt. 18.

[43] Con. 3 directive n° 2006/112 N° Lexbase : L7664HTZ.

[44] CJUE, Gde ch., 4 octobre 2024, aff. C-21/23, ND c. DR, pt. 75 N° Lexbase : A8088583.

[45] Dans l’arrêt Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, elle relève qu’« il n’est pas exclu que ce règlement soit applicable ratione temporis au litige au principal, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier » et procède à une interprétation unitaire des textes successifs pour guider le juge national (CJUE, 1er août 2022, aff. C-184/20, spéc. pts. 57 et 58 N° Lexbase : A45068DA).

[46] V., notamment, J. Héron, Principes de droit transitoire, Dalloz, 1996, p. 28 à 32.

[47] V., spéc., P. Roubier, Le droit transitoire, Dalloz, 2008, p. 11.

[48] TFUE, art. 297.1, al. 3 N° Lexbase : L2614IPI.

[49] Cons. 171 RGPD N° Lexbase : L0189K8I.

[50] V. en ce sens, sur l’abrogation de la directive n° 95/46 à compter de l’entrée en application du RGPD, art. 94 RGPD N° Lexbase : L0189K8I.

[51] D. Simon, V° « Directive », Rép. droit européen, Dalloz, avril 2024, spéc. n° 133.

[52] CJCE, 18 décembre 1997, aff. C-129/96, Inter-environnement Wallonie, pt. 45 N° Lexbase : A0375AWS ; v. également, s’agissant d’un recours en manquement, CJCE, 14 juin 2007, aff. C-422/05, Commission c. Belgique N° Lexbase : A8187DW7.

[53] CJCE, 17 janvier 2008, aff. C-246/06, Velasco Navarro, pt. 34 N° Lexbase : A6708D3T.

[54] Sur lesquelles, v., par ex., M.-É. Ancel, D’une diversité à l’autre. À propos de la « marge de manœuvre » laissée par le RGPD aux États membres de l’Union européenne, Rev. rit. DIP, 2019, p. 647.

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