La lettre juridique n°880 du 7 octobre 2021

La lettre juridique - Édition n°880

Éditorial

[A la une] Hommage à Jean-Denis Bredin

Lecture: 4 min

N8938BYP

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par Olivier Cousi, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris

Le 06 Octobre 2021

Lorsqu’un homme décède, qu’il soit connu, reconnu ou anonyme, l’usage veut que l’on chante ses louanges ou que l’on reconnaisse publiquement les mérites et les talents du disparu, des qualités qui manqueront à ses pairs, ses amis, ses amours. Loin de m’insurger contre cette manière de rendre hommage à ceux qui s’en vont et sans vouloir ajouter des phases et aux phrases, il m’est apparu essentiel d’envoyer à mon tour un dernier signe de la main à mon confrère Jean-Denis Bredin.

Avocat reconnu, homme d’affaires avisé, écrivain engagé, Jean-Denis Bredin était un homme à facettes. Sa vie durant, il fut occupé à inventer de nouvelles manières d’exercer, d’écrire, de réussir, courant plus vite que les autres. Non pas par la force des choses, mais parce qu’il travailla toujours avec acharnement. On ne peut pas être docteur en droit à 21 ans, reçu premier à l’agrégation de droit à 28 ans, premier également au Concours de la Conférence du stage des avocats, en avançant le nez au vent. Non, pour arriver, à tous les sens du terme, comme Jean-Denis le fit, il faut avoir une angoisse à fuir, un chef-d’œuvre à construire ou un territoire à conquérir. Il faut en somme, être convaincu que l’on est sur Terre pour accomplir quelque chose.

Qui saurait dire laquelle de ses obsessions constituait sa motivation profonde ? Doit-on après sa mort s’autoriser à ausculter les raisons d’un homme ? Je ne crois pas. Néanmoins, quand on a beaucoup admiré quelqu’un, comme ce fut mon cas, on ne peut s’empêcher de chercher. Convaincu que l’on est le plus à même voire le seul à pouvoir toucher du doigt la vérité. J’ai cherché. J’ai parcouru tout ce qui fut écrit depuis le 1er septembre jour de sa mort, relu certains de ses livres, remémoré certaines de ses plaidoiries. Et je dois l’avouer, bien malgré moi, je n’ai trouvé aucune des réponses que je cherchais.

Mais vous le savez sans doute, lorsque l’on part, bille en tête, en quête d’une chose, on se trouve, plus souvent qu’il ne faudrait, confronté à un chemin de traverse. À la recherche des ingrédients et de la recette qui firent de mon confrère un homme à part, je me suis trouvé perplexe devant une grande question : pourquoi un homme aussi talentueux, un homme qui avait donc le choix, a-t-il choisi d’être avocat ? Épouser cette carrière, je le sais bien, ne garantit pas la richesse, la reconnaissance, ni le bonheur. On passe sa vie à lutter, à courir, à s’intéresser aux autres avant de penser à soi. Concrètement, c’est cela travailler à la défense de nos contemporains, rien d’autre et il faut pour tenir, un goût prononcé pour l’altérité.

Pourtant, le portrait que l’on fait de Jean-Denis Bredin, laisse imaginer à ceux qui ne connaissait que le célèbre avocat, une personnalité aux antipodes. Un homme qui mit autant d’acharnement à être premier partout, n’était-il pas obsédé par l’idée d’écraser les autres ? Un homme qui fonda l’un des plus réputés cabinets d’affaires de la place, ne souhaitait-il pas être plus riche que les autres ? Un homme qui ajouta au titre de docteur et d’agrégé, celui de professeur puis d’académicien, ne pensait-il pas avant tout à impressionner les autres ? Le parcours de Bredin révèle un homme éloigné du commun, hors-norme et pourtant jamais hors du monde.

La position qui fut la sienne lui permit de se battre pour des causes nécessaires. La présomption d’innocence, la liberté, l’équité. Des idées dont il fit le leitmotiv des nombreuses biographies qu’il écrivit comme de son exercice quotidien. On ne défend pas les grands patrons du CAC40, tout en retraçant le parcours de Joseph Caillaux ou de Charlotte Corday, sans épouser la conviction profonde que les différences de statuts, de richesses, de naissance, dont notre société est faite donnent lieu plus souvent que de raison aux quiproquos et aux amalgames. On est toujours victime de son histoire, de ses réussites comme de ses échecs. Raccommoder la toile, choisir les fils, coudre et découdre pour donner à voir un tableau achevé, voilà ce qu’est l’ouvrage d’un avocat, l’œuvre de défense. 

Jean-Denis Bredin, j’en suis convaincu, est devenu avocat, parce qu’il pouvait tout faire, mais qu’une seule chose lui paraissait essentielle : comprendre. Puisse son exemple inspirer de nombreux jeunes confrères, puisse son héritage confirmer chaque avocat, qu’importe son âge et sa condition, dans son serment.

newsid:478938

Droit pénal spécial

[Brèves] Rapport sur les violences sexuelles dans l’Église catholique : constat et recommandations pour lutter contre un fléau systémique

Réf. : CIASE, Les violences sexuelles dans l’Église catholique en France de 1950 à 2020, octobre 2021

Lecture: 3 min

N9036BYC

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par Adélaïde Léon

Le 07 Octobre 2021

► Le 5 octobre 2021, après plus de deux années de travaux, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église rendait son rapport. Un constat accablant, tant par la quantité des victimes que par le constat de l’absence criante de réaction de l’institution. Au terme de ce document, quarante-cinq recommandations sont formulées.

Créée en 2018 à l’initiative de l’Église catholique en France, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) avait quatre objectifs clairs :

  • faire la lumière sur les violences sexuelles en son sein de 1950 à nos jours ;
  • examiner les suites réservées à ces affaires ;
  • évaluer les mesures prises par l’Église ;
  • formuler toute recommandation utile.

Après deux ans et demi de travaux, la CIASE a remis son rapport le 5 octobre 2021 au président de la Conférence des évêques de France et à la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France.

Témoignages, auditions, entretiens, études et recherches ont permis à la Commission de produire un rapport sans précédent dressant un « lourd constat quantitatif et qualitatif », établissant un « diagnostic sévère ressortant de ce constat » et formulant des « pistes de traitement approprié du phénomène des violences sexuelles dans l’Église catholique ».

Les chiffres de ce rapport sont accablants : l’enquête en population générale permet d’estimer à 330 000 le nombre de mineurs victimes d’infractions sexuelles de la part de personnes en lien avec l’Église, dont 216 000 victimes de clercs, religieux et religieuses. Selon la commission : « L’Église catholique est ainsi, hors les cercles familiaux et amicaux, le milieu dans lequel la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée ».

Face à ce fléau, l’Église catholique a longtemps opposé une indifférence totale, se concentrant sur la protection de l’institution au détriment de la prise en compte des victimes. Analysant les données collectées dans le temps, le rapport établit que la reconnaissance des personnes victimes de violences sexuelles n’apparaît véritablement qu’à compter des années 2010. Dans les années qui suivent, malgré une augmentation notable du nombre de dénonciations et la mise en place de procédure de sanctions, le rapport souligne une occultation permanente des victimes, le choix de sanctions inadaptées, « tardives et inégalement appliquées » et une absence de coordination des autorités ecclésiastiques et judiciaires étatiques.

Le constat est sans appel : « L’état des lieux ainsi dressé révèle donc que le phénomène des violences sexuelles dans l’Église catholique en France de 1950 à nos jours est massif, en diminution dans le temps mais toujours présent, qu’il repose sur des mécanismes pluriels, clairement identifiés, et présentant un caractère systémique. Le traumatisme des victimes est aggravé par la qualité des auteurs ».

Le rapport sur les violences sexuelles dans l’Église catholique en France de 1950 à 2020 s’achève par les formulations de quarante-cinq recommandations couvrant un très large spectre portant notamment sur la vérification d’antécédents judiciaires des personnes intervenant auprès de mineurs ou de personnes vulnérables, la formation des religieux, la mise en place d’un service de suivi des violences sexuelles, la procédure d’identification des violences, les formes d’abus de pouvoir, la réforme du droit canonique, la constitution hiérarchique de l’Église catholique, la reconnaissance des infractions commises, la prise en charge des auteurs et la réparation des préjudices causés.

newsid:479036

Avocats/Champ de compétence

[Brèves] L’avocat sera désormais « mandataire d'intermédiaire d'assurances »

Réf. : Décision du 7 mai 2021 portant modification du règlement intérieur national de la profession d'avocat (art. 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée) (N° Lexbase : Z260631P)

Lecture: 1 min

N8935BYL

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par Marie Le Guerroué

Le 06 Octobre 2021

► La décision du 7 mai 2021 portant modification du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d'avocat et remplaçant l’avocat « intermédiaire d’assurances » par l’avocat « mandataire d’intermédiaire d’assurances » a été publiée au Journal officiel du 30 septembre 2021.

La Directive du Parlement européen et du conseil n° 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (N° Lexbase : L3623KYT) avait modifié la définition de l’intermédiation en assurance. Ces modifications avaient conduit la commission des règles et usages du CNB a proposé de modifier les articles 6.3.6 et 6.4 du RIN. Modifications approuvées et adoptées par l’Assemblée générale du CNB le 7 mai 2021 dans la décision à caractère normatif n° 2020-005.

Le nouveau texte remplace l’avocat « intermédiaire d’assurances » par l’avocat « mandataire d’intermédiaire d’assurances ».

À noter également que l’article 6.3.6 est désormais ainsi rédigé :

« L’avocat peut exercer à titre accessoire une activité, de mandataire d’un intermédiaire d’assurances.

Sa rémunération doit être conforme aux dispositions de l’article 11.3 du présent règlement.

Il est alors soumis au respect de la réglementation applicable et notamment aux obligations d’immatriculation et de formation prévues par le Code des assurances. »

newsid:478935

Copropriété

[Chronique] Chronique de droit de la copropriété – La jurisprudence des cours d’appel (juin à août 2021)

Réf. : CA Versailles, ch. 04 sect. 02, 2 juin 2021, n° 19/01981 (N° Lexbase : A76414T8) ; CA Colmar, ch. civ. 02, 1er juillet 2021, n° 20/00055 (N° Lexbase : A90354XW) ; CA Rennes, ch. 04, 8 juillet 2021, n° 19/03713 (N° Lexbase : A96824YA) ; CA Montpellier, ch. civ. 4, 21 juillet 2021, n° 18/05926 (N° Lexbase : A23314ZD)

Lecture: 14 min

N9005BY8

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par Pierre-Edouard Lagraulet, Avocat au Barreau de Paris, Docteur en droit et chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux

Le 06 Octobre 2021


Dans cette chronique, l’auteur revient, en premier lieu, sur un arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d’appel de Versailles rappelant que l’obligation contractuelle de désigner un scrutateur s’impose sauf s’il est rapporté la preuve de l’impossibilité d’y procéder (CA Versailles, ch. 04 sect. 02, 2 juin 2021, n° 19/01981). C’est ensuite un commentaire d’un arrêt du 1er juillet 2021 de la cour d’appel de Colmar qui est proposé, relatif à la question de la preuve de la notification du procès-verbal d’assemblée générale (CA Colmar, ch. civ. 02, 1er juillet 2021, n° 316/2021). Un arrêt de la cour d’appel de Rennes retient également l’attention en ce qu’il applique et rappelle les règles en matière de demande reconventionnelle (CA Rennes, ch. 04, 8 juillet 2021, n° 19/03713). L’auteur s’intéresse enfin à un arrêt de la cour de Montpellier ayant rappelé que le mandat ne pouvait être transmis par fusion-acquisition sur le fondement, discutable, de l’interdiction faite au syndic de se substituer (CA Montpellier, ch. civ. 4, 21 juillet 2021, n° 18/05926).


 

I. De l’obligation contractuelle de désigner des scrutateurs et de l’impossibilité matérielle d’y procéder (CA Versailles, ch. 04 sect. 02, 2 juin 2021, n° 19/01981 N° Lexbase : A76414T8)

L’article 15 du décret du 17 mars 1967 (N° Lexbase : L5501IGT) impose avant toute décision d’assemblée générale de désigner un président et, s’il y a lieu, un ou plusieurs scrutateurs. Cette hypothèse a été définie par la jurisprudence non comme celle de la nécessité d’y procéder en raison du nombre de copropriétaires par exemple, mais de la stipulation du règlement de copropriété. Ainsi, à défaut de clause imposant la désignation de scrutateurs, leur désignation n’est pas obligatoire. À  l’inverse, lorsque le règlement l’impose, la formalité est considérée comme substantielle au même titre que la désignation du président de séance. Ainsi, le défaut d’élection de ces « assesseurs » notamment chargés de vérifier la feuille de présence emporte la nullité de l’ensemble des décisions de l’assemblée générale. Reste une zone d’ombre jurisprudentielle projetée sur la situation où une clause impose la désignation de plusieurs scrutateurs mais où l’assemblée générale ne paraît pas pouvoir les désigner. C’est la question à laquelle la cour d’appel de Versailles a dû répondre dans un arrêt du 2 juin 2021.

En l’espèce, le règlement de copropriété prévoyait explicitement, et cela n’était pas contesté, la désignation de deux scrutateurs. La formalité n’avait pas été respectée et le juge de première instance avait en conséquence annulé l’ensemble des décisions adoptées. Pour contester la décision, le syndicat des copropriétaires qui a interjeté appel soutenait que la désignation de plusieurs scrutateurs avaient été rendue impossible en l’absence de volontaires pour exercer ces fonctions et, d’autre part, que la clause du règlement de copropriété était illégale au regard de l’article 15 du décret et devait, en conséquence, être réputée non écrite.

Le second moyen paraissait intéressant au cas d’espèce car le règlement de copropriété, ancien, prévoyait que :

« II est formé un bureau composé de deux scrutateurs et un secrétaire.
Les fonctions de scrutateurs sont remplies par les deux membres de l'assemblée présents et acceptants qui possèdent et représentent le plus ».

Les juges du fond avaient toutefois, contre les arguments du syndicat, retenu que la clause comportait deux alinéas et que ceux-ci étaient parfaitement dissociables, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’une clause indivisible et qu’il était possible de réputer non écrit le second alinéa seulement. A donc été appliqué le mécanisme du « réputé non écrit partiel » par ailleurs précisé – c’est une coïncidence heureuse – le même jour par la Cour de cassation pour les contrats de consommation (Cass. civ. 1, 2 juin 2021, n° 19-22.455, FS-P N° Lexbase : A23484UI ; V° pour une étude sur ce mécanisme : A. Etienney-de-Sainte Marie, Contraintes et mystères du réputée non écrit « partiel » dans les contrats de consommation, D. 2021, 1466). Le fondement est toutefois ici différent car il ne s’agissait pas d’une application de l’article L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B), mais de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4850AH4). Le mécanisme est néanmoins identique et son application paraît se justifier en la matière, comme pour une éventuelle application aux dispositions de l’article 1171 du Code civil (N° Lexbase : L1981LKL) au contrat d’adhésion (V° A. Etienney-de-Sainte Marie, précit.; qualification qui peut justement être donnée au règlement de copropriété.

Le premier moyen ne manquait pas non plus de pertinence dès lors que la Cour de cassation a déjà retenu qu’en cas d’impossibilité prouvée de désigner des scrutateurs, malgré l’obligation d’y procéder, l’assemblée générale ne serait pas nulle (Cass. civ. 3, 30 septembre 2015, no 14-19.858, FS-P+B N° Lexbase : A5626NS8). En l’espèce, le syndicat produisait deux attestations de copropriétaires indiquant qu’aucun des copropriétaires présents à l’assemblée générale ne s’était présenté pour être le second scrutateur. Au contraire, mais peut-être pas contradictoirement, le copropriétaire poursuivant la nullité des décisions produisait également deux attestations indiquant qu’il n’avait pas été recherché de second scrutateur. La cour s’est donc référée au procès-verbal dans lequel aucune mention ne faisait état de la difficulté. En conséquence, il a été retenu qu’il n’avait pas été recherché en vain à désigner un second scrutateur et la décision des premiers juges fut confirmée.

On ne peut donc que conseiller au syndic, dans une telle situation, de détailler un peu l’état des débats et difficultés de séance. C’est d’autant plus dommage que la cour d’appel de Versailles paraissait prête à accueillir le moyen remarquant « que les jurisprudences citées par l'appelant au soutien de ses demandes concernaient des hypothèses dans lesquelles l'impossibilité de désigner un second scrutateur était prouvée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ».

II. Comment prouver la date de notification du procès-verbal d’assemblée générale des copropriétaires ? (CA Colmar, ch. civ. 02, 1er juillet 2021, n° 20/00055 N° Lexbase : A90354XW)

La notification des documents, selon les modalités de l’article 64 du décret du 17 mars 1967 (N° Lexbase : L5594IGB),  est tout à fait essentielle en droit de la copropriété car elle permet le plus souvent d’assurer, lorsqu’elle est correctement effectuée, la validité des convocations et mises en demeure. À l’inverse, la validité d’une assemblée générale ou d’une procédure de recouvrement peut être affectée par un défaut de notification comme les délais qu’elle aurait dû faire courir. Entre ces deux situations, de l’absence de notification et de celle parfaitement effectuée, se trouve une zone grise : celle de la notification rendue difficile à prouver, faute d’accusé de réception ou de date de première présentation inscrite sur le bordereau. C’était le cas que la cour d’appel de Colmar devait apprécier.

En l’espèce, un copropriétaire convoqué à une assemblée générale avait assigné son syndicat de copropriétaires en nullité des décisions d’une assemblée générale. Le syndicat avait alors soutenu en défense que la demande était irrecevable car introduite après le délai de deux mois de forclusion, délai courant à compter du lendemain de la notification du procès-verbal selon les dispositions de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4849AH3). Le moyen de défense avait été accueilli et le demandeur débouté. Désormais appelant, il soutenait la réformation du jugement arguant qu’un pli avisé mais non retiré par le destinataire ne pouvait faire courir le délai. Il soutenait surtout qu’en l’absence de mention de la date de première présentation sur le bordereau postal il n’était pas démontré la date de notification de sorte que le délai ne pouvait pas avoir couru. En conséquence, il ne pouvait, selon lui, être forclos.

Sur le premier moyen, la cour d’appel de Colmar a rappelé la jurisprudence constante en la matière : le délai commence à courir à compter de la première présentation, peu important que le pli soit ensuite retiré ou non (V° sur la légalité du dispositif : CE, 30 décembre 2002, n° 221746 N° Lexbase : A6526A4H). Cette pratique ne porte pas une atteinte injustifiée à son droit à un recours effectif et à un procès équitable garantis par les articles 6 et 13 de la CESDH « en l'absence de disproportion entre son droit légitime, en tant que copropriétaire, à pouvoir contester les décisions prises par l'assemblée générale et l'objectif légitime de sécuriser le fonctionnement des copropriétés en évitant qu'un copropriétaire puisse, en s'abstenant de retirer un courrier recommandé, empêcher le délai de recours de courir fragilisant l'exécution des décisions de l'assemblée générale. ».

Le second moyen était, à notre sens, plus problématique car il s’agissait de l’éventuelle impossibilité pour le syndicat de prouver la date de notification. La cour d’appel a toutefois pallié ce défaut, comme l’avait fait le premier juge, au regard de la date d’expédition du pli, le cachet de la poste faisant foi. Elle en a déduit que « bien que la date de première présentation ne soit pas renseignée, il résulte de cette mention que le destinataire a été avisé, or au vu de la date d'envoi du courrier, la première présentation était nécessairement antérieure de plus deux mois à l'assignation délivrée le 5 janvier 2017. ». En conséquence, la demande était forclose et donc irrecevable. La solution aurait pu, peut-être, être différente s’il avait été soutenu que la présentation n’avait pas été faite et que l’absence de date sur celle-ci en était le reflet (V° Cass. civ. 3, 17 septembre 2020, n° 19-16.079, F-D N° Lexbase : A36613U7 ; Cass. civ. 3, 13 septembre 2018, n° 17-24.824, F-D N° Lexbase : A7847X4E ; Cass. civ. 3, 10 juillet 2013, n° 12-23.488, FS-D N° Lexbase : A8965KIU), plutôt que de soutenir que le délai n’avait pu courir du fait du non-retrait et que la date de présentation n’était simplement pas prouvée.

Quoi qu’il en soit, il paraît ainsi se dégager une tendance jurisprudentielle (V° CA Basse-Terre, 18 décembre 2020, RG no 18/01524 N° Lexbase : A13884BZ  : Ann. Loyers mars 2021, 92, obs. J.‑M. Roux), tout à fait justifiée à notre sens, permettant de prouver la notification ou sa date en l’absence de l’accusé de réception comme de précisions sur le bordereau. C’est d’autant plus heureux pour les syndicats de copropriétaires que la période « Covid » n’a pas été exempte de difficultés en matière postale.

III. De la tentation parfois trop grande de formuler des demandes reconventionnelles (CA Rennes, ch. 04, 8 juillet 2021, n° 19/03713 N° Lexbase : A96824YA)

La tentation est parfois grande, pour le syndicat des copropriétaires, pour des copropriétaires ou même des tiers, lorsque des décisions d’assemblées générales sont judiciairement contestées de formuler une demande reconventionnelle de condamnation contre l’une des parties au paiement d’une dette impayée. C’était le cas d’espèce soumis à l’appréciation des juges de la cour d’appel de Rennes qui devaient se prononcer sur le lien entre ces demandes.

En l’espèce, deux copropriétaires indivis de lots de copropriété ont assigné le syndicat des copropriétaires en nullité de plusieurs décisions d’une assemblée générale, notamment celle ayant désigné un nouveau syndic. Étonnamment, l’ancien syndic fut également assigné. Ultérieurement, le syndicat a souhaité réitérer les mêmes décisions lors d’une assemblée générale postérieure. Elles ont alors été également contestées par les deux copropriétaires. Après jonction des deux instances, les deux copropriétaires ont vendu leurs lots et se sont désistés de leurs demandes. L’affaire aurait pu en rester là, le tribunal ayant constaté que le désistement était parfait. Il n’en fut rien car l’ancien syndic, qui paraissait plutôt là par hasard, avait formulé des demandes reconventionnelles qui avaient été jugées irrecevables : il entendait être payé de ses vacations pour un montant de 24 024,53 euros correspondant à ses honoraires pour la gestion d’importants travaux réalisés par le syndicat. Insatisfait, c’est donc lui qui interjeta appel afin de voir déclarer sa demande recevable et infirmer le jugement afin que soient condamnés les demandeurs à la première instance au paiement de la somme de 24 024,53 euros.

Malheureusement pour lui, la cour d’appel ne retint pas sa demande, rappelant avec rigueur que les demandes reconventionnelles, en application de l’article 70 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1285H4D), « ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Or, en l’espèce, les résolutions contestées étaient sans rapport avec la prétendue dette du syndicat à l’égard du syndic. La décision du juge de première instance, qui avait souverainement apprécié que la demande reconventionnelle ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, est donc, logiquement, confirmée.

Il en va de même, le plus souvent (le lien de connexité doit être apprécié au cas par cas), des demandes en paiement de charges formulées par le syndicat des copropriétaires à l’encontre des copropriétaires l’assignant en nullité de résolution d’assemblée générale.

IV. Fusion et mandat de syndics ne font toujours pas bon ménage (CA Montpellier, ch. civ. 04, 21 juillet 2021, n° 18/05926 N° Lexbase : A23314ZD)

Il est traditionnellement admis que la fusion-acquisition, ou même plus simplement que la cession du mandat de syndic, entraîne la disparition du contrat faute pour le mandant de donner son accord à l’opération (V° en ce sens, P.-E. Lagraulet, ETUDE : Le syndic de copropriété, La nature juridique de la fonction de syndic, Contrat intuitu personae, in Droit de la copropriété, Lexbase N° Lexbase : E75564D9 ; J.-M. Roux, Le syndic en fusion, Loyers et copr. n° 12, décembre 2010, étude 13). Cette règle n’est pas ici démentie par l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 21 juillet 2021 sur le fondement de l’article 18 interdisant au syndic de se substituer : « Or toute substitution d'une personne morale à une autre assurant les fonctions de syndic doit être entérinée par un vote en assemblée générale, la désignation du syndic ayant un caractère strictement personnel puisque la relation contractuelle est soumise à un intuitu personae fort. ».

Il nous paraît pourtant y avoir une erreur dans ce raisonnement qui tend à confondre substitution et fusion, et plus simplement substitution et cession. En effet, dans le cas de la substitution, le syndic est interdit de déléguer l’exercice de ses pouvoirs à un tiers. Il s’agit alors d’empêcher le syndic en exercice de se décharger de sa responsabilité et de le contraindre à exercer à titre personnel ses fonctions. Il reste, selon les termes de l’article 18, IV, de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : Z73068RS), « seul responsable de sa gestion ». Ainsi, dans l’hypothèse de la « substitution », lorsqu’elle est autorisée par l’assemblée générale, le syndic le demeure. Le lien contractuel initial est conservé (V° R. Laher, Mandat et confiance, RTD Civ 2017, 54). Cette interdiction, dérogatoire du droit commun, n’a donc rien à voir ni avec la cession d’un contrat de mandat, ni avec l’hypothèse de la transmission universelle du patrimoine. En effet, dans ce cas, le nouveau syndic exercera personnellement ses fonctions mais le lien initial sera rompu : l’ancien syndic cède sa place mais il n’y a pas substitution dans l’exercice des fonctions. C’est pourquoi il nous paraît que ce raisonnement échoue à convaincre de l’impossibilité pour le syndic de céder son contrat. Il pourrait être soutenu, plus pertinemment nous semble-t-il, que la fusion entraîne la disparition de la personne du syndic et qu’en conséquence, le mandat étant un contrat conclu intuitu personae, celui-ci prend fin. Mais il ne peut être soutenu, à notre sens, que l’interdiction de la substitution empêche la transmission du mandat (V° en ce sens, P.-E. Lagraulet, Le syndic de copropriété, Edilaix, p. 116) dès lors que la loi du 10 juillet 1965 ne dit rien sur ce sujet. La seule hypothèse pour justifier de ce raisonnement serait de considérer que la substitution étant interdite, la cession, et la fusion, doivent l’être a fortiori. Il resterait toutefois une confusion entre deux moyens distincts, substitution n’étant pas cession.

newsid:479005

Cotisations sociales

[Jurisprudence] Procédure URSSAF : avis de contrôle et déclaration d’appel

Réf. : Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, quatre arrêts, n° 20-13.662, FS-B+R (N° Lexbase : A256044L), n° 20-13.663 (N° Lexbase : A253744Q), n° 20-13.700 (N° Lexbase : A264444P) et n° 20-13.705 (N° Lexbase : A243344U), FS-D

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N8961BYK

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par Mehdi Belkacem et Léonore Marie, avocat et juriste, Avanty avocats

Le 06 Octobre 2021

 


Mots-clés : contrôle URSSAF • avis de passage • versement en lieu unique • procédure d’appel sans représentation obligatoire • déclaration d’appel • mentions obligatoires • nullité

En matière de contrôle URSSAF, le formalisme occupe une place à part entière, notamment pour assurer la protection des droits du cotisant. Les arrêts de la Cour de cassation du 9 septembre 2021 commentés ci-après constituent une bonne illustration.

D’une part, la Haute juridiction revient sur les évolutions issues de la réforme de la procédure d’appel introduites en 2017 en permettant l’appel général dans la procédure sans représentation obligatoire. D’autre part, elle rappelle que l’avis de passage de l’inspecteur URSSAF destiné à plusieurs entreprises doit être adressé à chaque employeur en charge du paiement des cotisations, y compris en présence d’un dispositif de versement en lieu unique.


À bien des égards, le formalisme est une composante essentielle du contrôle URSSAF. De nombreuses règles, portées dans le Code de la Sécurité sociale, participent à la formation d’un cadre juridique ayant notamment pour objectif la protection des droits des cotisants. De la première information préalable au contrôle, à la contestation portée devant les juridictions de l’ordre judiciaire, le droit procédural en matière URSSAF déborde de spécificités.

Le 9 septembre 2021 [1], la Cour de cassation a rendu une série d’arrêts illustrant et consacrant certaines d’entre elles, concernant d’une part, les formalités préalables au contrôle, et d’autre part, la contestation du redressement en cause d’appel.

L’avis de passage constitue une condition d’entrée de l’inspecteur dans l’entreprise, et un préalable conditionnant la validité des opérations de contrôle (sauf travail dissimulé). De ce fait, la Cour de cassation est régulièrement saisie de questions portant sur la régularité de son envoi par l’URSSAF. Parmi elles, l’identité du destinataire est l’une des sources de contentieux récurrentes. L’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9076LSX), dans sa version antérieure au décret du 8 juillet 2016 [2], prévoyait que l’avis de passage devait être adressé à la personne ayant la qualité « d’employeur ».

Or, dans le cadre d’une convention de versement en lieu unique (VLU), l’URSSAF peut avoir un interlocuteur unique, commun à plusieurs entreprises. La question s’est donc posée de savoir si l’envoi de l’avis de passage à cet interlocuteur unique suffisait à respecter les règles précitées.

Cette contestation du redressement a mené les entreprises cotisantes à mettre en œuvre la procédure d’appel applicable au contentieux de la Sécurité sociale, laquelle n’exige pas, en théorie, de représentation obligatoire par avocat [3]. À cette occasion, la Cour de cassation s’est pour la première fois prononcée sur l’application du nouveau cadre de l’effet dévolutif de l’appel au cas particulier d’une procédure sans représentation obligatoire (I.), avant de trancher la question du destinataire de l’avis de passage en présence d’un VLU (II.).

I. Simplification de la procédure d’appel

Le contentieux de la Sécurité sociale reste l’un des derniers domaines dans lequel la représentation par avocat n’est pas obligatoire. Une exception de plus en plus rare qui emporte l’application de règles procédurales moins contraignantes. La raison est on ne peut plus compréhensible : la procédure doit être à la portée de tout justiciable non représenté par un professionnel du droit.

Les nouvelles règles en matière de procédure d’appel introduites par le décret du 6 mai 2017 ont néanmoins contribué à complexifier les formalités à accomplir en supprimant le principe d’un appel général à la fois en matière de représentation obligatoire et non obligatoire [4]. Naturellement, une telle démarche n’a rien d’étonnant compte tenu de l’objectif de désengorgement des juridictions, mais pose nécessairement question en termes d’accessibilité de la justice pour les appelants.

Pour mémoire, en application de l’article 933 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8616LYR) dans sa version applicable depuis le 1er septembre 2017, la déclaration d’appel doit notamment « préciser les chefs du jugement critiqué auquel l’appel est limité » [5].

De même, l’appel n’a d’effet dévolutif que sur les chefs qu’il critique expressément (CPC, art. 562 N° Lexbase : L7233LEM).

Ainsi, en dehors des hypothèses de demande d’annulation du jugement ou d’objet indivisible du litige, la faculté d’appel général n’est désormais plus admise par le Code de procédure civile.

Dans plusieurs dossiers ayant donné lieu à une série d’arrêts datés du 9 septembre 2021, des appels interjetés en 2018 tendaient « à l’annulation ou à tout le moins à la réformation de la décision déférée ». Les déclarations litigieuses ne précisaient pas les chefs des jugements critiqués, se contentant d’un appel général, en théorie, exclu par le droit applicable.

Devant les juges du fond, l’URSSAF s’empresse de se prévaloir de cette carence, en soulevant l’irrecevabilité de l’appel en raison du non-respect du formalisme prescrit par les articles 562 et 933 du Code de procédure civile.

La demande est rejetée par les juges du fond qui rappellent qu’une irrégularité relative aux mentions portées sur la déclaration d’appel constitue un vice de forme et non de fond. La nullité est donc conditionnée à la justification d’un grief, ce que l’URSSAF n’apporte pas en l’espèce [6].

Si la solution de la cour d’appel permet, par une application stricte des textes relatifs à la nullité des actes de procédure, d’écarter l’irrecevabilité des déclarations d’appel, les pourvois formés par l’URSSAF donnerons l’occasion à la Cour de cassation d’aller beaucoup plus loin dans une logique protectrice des justiciables.

La préservation du droit à l’accès au juge. L’objectif de la réforme de 2017 opérée par le pouvoir réglementaire est clair : supprimer l’appel général en dehors des hypothèses d’annulation du jugement et d’objet indivisible [7]. Pour ce faire, le décret du 6 mai 2017 modifie le formalisme de la déclaration d’appel (CPC, art. 901 N° Lexbase : L8613LYN pour la procédure avec représentation obligatoire et 933 N° Lexbase : L8616LYR pour la procédure sans représentation obligatoire), ainsi que la condition de l’effet dévolutif (CPC, art. 562).

Désormais, la cour d’appel est uniquement saisie des chefs expressément critiqués [8]. Cette nouveauté a conduit la Cour de cassation à considérer, en présence d’un appel total, que l’effet dévolutif ne peut s’opérer (Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I N° Lexbase : A89403C4) [9]. Autrement dit, la cour d’appel est régulièrement saisie, mais se trouve dans l’impossibilité de statuer.

Rendu au cas particulier d’une procédure avec représentation obligatoire, l’arrêt du 30 janvier 2020 précise également que l’obligation de mentionner les chefs de jugements critiqués dans la déclaration (CPC, art. 901) :

  • participe à l’objectif d’une bonne administration de la justice et de sécurité juridique, tout en améliorant l’efficacité de la procédure d'appel ;
  • sans porter atteinte au droit d’accès au juge d’appel consacré par l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR ; CESDH).

Cette solution n’est toutefois pas transposée au contentieux URSSAF par la Cour de cassation dans ses arrêts du 9 septembre 2021.

Rappelant l’article 6 § 1 de la CESDH, elle estime que « le droit d’accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d’accomplir les charges procédurales leur incombant. L’effectivité de ce droit impose, en particulier, d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer avocat ».

Cette nuance fait écho à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) selon laquelle « les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois (CEDH, 26 juillet 2007, Req. 35787/03, Walchli c/ France N° Lexbase : A5133DXE, § 29, 26 juillet 2007). En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (CEDH, 27 juillet 2006, Req. 36998/02, Efstathiou et autres c. Grèce N° Lexbase : A5769DQQ, § 24) » [10].

Comme le souligne ici la Cour de cassation, le droit d’accès au juge consacré par la CESDH peut justifier l’application de règles procédurales différentes selon que la représentation de l’avocat est ou non obligatoire. En effet, un justiciable ne peut se voir imposer les mêmes exigences formelles qu’un avocat, professionnel du droit et auxiliaire de justice formé à la procédure.

La Haute juridiction a donc dû apprécier si les objectifs de bonne administration de la justice et de sécurité juridique justifient d’exclure la faculté pour un justiciable de former un appel général.

La renaissance de l’appel général. Dans le cadre de ses pourvois, l’URSSAF fait valoir que :

  • la cour d’appel a violé l’article 901 du Code de procédure civile en exigeant l’existence d’un grief ;
  • l’absence de la mention expresse des chefs du jugement critiqué prive d’effet dévolutif l’appel en application de l’article 562 du Code de procédure civile.

Cependant, comme le souligne la Cour de cassation, ce n’est pas l’article 901 précité, applicable à la procédure avec représentation obligatoire, mais bien l’article 933 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8616LYR) qui s’applique au cas particulier du contentieux « URSSAF ». Ses dispositions, relevant de la procédure sans représentation obligatoire, prévoient un formalisme allégé en raison de l’absence potentielle de professionnel du droit. L’objectif est de permettre à tout justiciable d’accomplir l’ensemble des actes de procédure exigés.

Ce rappel reste toutefois théorique dans la mesure où l’article 933 du Code de procédure civile oblige également de mentionner les chefs du jugement critiqué, comme en matière de représentation obligatoire.

Plus généralement, les dispositions de l’article 562 du Code de procédure civile sur l’effet dévolutif de l’appel, qui ne distinguent pas selon l’existence d’une obligation de représentation, devraient à la lettre conduire à priver les appels litigieux d’effet dévolutif.

Ce n’est cependant pas la conclusion à laquelle va arriver la Cour de cassation. Malgré une rédaction sans équivoque des règles procédurales, elle considère que :

« dans la procédure sans représentation obligatoire, un tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n'est pas tenu d'être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d'appel ne serait pas de nature à y remédier » (Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-13.662, FS-B+R N° Lexbase : A256044L) [11].

La Cour de cassation juge ainsi qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d’appel qui mentionne une demande de réformation du jugement, sans préciser les chefs du jugement critiqué, doit être considérée comme formant appel général de l’ensemble des chefs.

Sur le fondement du droit d’accès au juge prévu par l’article 6 § 1 de la CESDH, la position de la Haute juridiction vise très clairement à revenir sur la modification introduite par le décret du 6 mai 2017.

La Cour de cassation, garante de la conventionnalité du droit français, initie par cette série d’arrêt une jurisprudence appelée à durer dans le temps. En effet, la formation de section, de même que la publication à la fois au Bulletin d’information de la Cour de cassation, mais aussi au Rapport annuel, traduisent une volonté claire de modifier durablement le droit procédural sans représentation obligatoire.

En pratique, cela concernera notamment le contentieux du « contrôle URSSAF » qui relève de la procédure sans représentation obligatoire. La contestation de motifs de redressement souvent nombreux peut conduire à une multiplicité des chefs repris dans le jugement rendu en premier instance. Le cotisant souhaitant faire appel pourra donc, conformément à cette jurisprudence, interjeter appel général de la décision du tribunal, sans avoir à reprendre l’intégralité des chefs à contester et sans que la méconnaissance du formalisme prévu aux articles 933 et 562 du Code de procédure civile ne puisse lui être opposé. Afin d’éviter toute critique, la mention des différents chefs contestés pourrait néanmoins être portée en opportunité.

II. Avis de passage et versement en lieu unique

L’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9076LSX) prévoit que l’URSSAF, préalablement à tout contrôle, doit adresser un avis de passage à l’employeur. Cette formalité conditionne la validité des opérations de vérification. Son absence entraine la nullité du contrôle et, par voie de conséquence, de l’éventuel redressement.

Le VLU des cotisations et contributions sociales, qu’il soit facultatif (CSS, art. R. 243-8 N° Lexbase : L5544LE3) ou obligatoire (CSS, art. R. 243-6-3 N° Lexbase : L5545LE4), a pour objectif de centraliser le recouvrement et le contrôle de ces sommes auprès d’une seule URSSAF dite de « liaison ». En principe, le dispositif prend la forme d’un protocole conclu entre, d’une part, l’ACOSS (aujourd’hui, URSSAF Caisse nationale) et, d’autre part, une entreprise souhaitant centraliser le versement des cotisations et contributions de l’ensemble de ses établissements auprès d’une même URSSAF (arrêté du 15 juillet 1975 [12], art. 6). Dans le cadre d’un groupe de sociétés, l’une d’elle peut être mandatée pour signer le protocole pour le compte des autres membres, visés en annexe.

En application de ces textes, la jurisprudence a confirmé que l’Union de liaison à la compétence pour « toutes les opérations de calcul, d'encaissement, de contrôle et de contentieux liées au recouvrement des cotisations dues par l'entreprise pour ses établissements énumérés dans le protocole d'accord » conclu avec l’ACOSS [13]. En outre, elle indique que l’employeur reste soumis à son obligation de recevoir les agents de contrôle dans tous ses établissements [14].

À l’occasion de la visite d’un inspecteur URSSAF, la question s’est posée de savoir si l’avis de passage destiné à l’ensemble des entreprises du groupe pouvait être adressé à la seule entité signataire du VLU.

En l’espèce, diverses sociétés ont conclu avec l’ACOSS un protocole d’accord de versement en lieu unique (VLU) auprès de l’URSSAF de Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’organisme de recouvrement a adressé un avis de passage engageant un contrôle sur les années 2009 à 2011 à la seule société mandatée pour la signature du protocole.

La cour d’appel a annulé les redressements en indiquant que l’avis de passage n’a pas été adressé à l’ensemble des employeurs visés par le contrôle, et que les mentions des numéros SIREN, et de leurs adresses ne sont pas suffisantes pour prouver que chacune des sociétés a eu connaissance au préalable du contrôle. L’URSSAF s’est donc pourvue en cassation.

Dans ses arrêts du 9 septembre 2021, la Cour de cassation rejette les pourvois de l’URSSAF PACA au motif que l’avis de contrôle n’a pas été adressé aux « employeurs », cette qualité étant attachée à la personne chargée du paiement des cotisations et contributions sociales. Les articles R. 243-6-3 et R. 243-8 du Code de la Sécurité sociale prévoient que le VLU fixe l’URSSAF compétente pour recouvrer et contrôler l’application des cotisations et contributions sociales. Il est donc sans effet sur la détermination de la personne chargée de leurs versements.

L’article R. 243-6, I du Code de la Sécurité sociale dispose que les employeurs ont l’obligation de déclarer et verser les cotisations sociales pour chacun de leurs établissements. Comme le rappelle la jurisprudence, l’employeur est responsable tant du point de vue de ses propres contributions, que de celles de ses salariés [15].

Or, le mandat confié à une entreprise d’un groupe pour signer un VLU n’emporte pas le transfert automatique de la qualité de cotisant à cette seule entreprise.

C’est sur ce fondement que la Cour de cassation, dans ses arrêts du 9 septembre 2021 [16], exclut l’hypothèse d’un « mandat implicite » de réception de l’avis de passage. Elle réaffirme que seul l’employeur doit être rendu destinataire de l’avis de passage préalable au contrôle URSSAF. La circonstance qu’un VLU centralise le versement des cotisations auprès d’une union de liaison, et que l’une des entreprises soit mandatée par les autres membres du groupe pour sa signature, ne permet pas à l’URSSAF de se dispenser d’adresser l’avis de passage à l’ensemble des employeurs concernés.

À n’en pas douter, cette solution contribue à préserver les droits des cotisants en cas de contrôle, et s’inscrit dans la continuité de l’attendu de principe rappelé dans plusieurs arrêts des 23 janvier [17] et 26 novembre 2020 [18], selon lequel l’avis de passage doit être adressé à l’employeur. Elle fait d’ailleurs suite à plusieurs décisions rendues dans le même sens le 8 avril 2021 [19] pour des faits similaires.

L’envoi de l’avis de passage suppose donc par hypothèse de déterminer la qualité d’employeur, étant rappelé qu’une jurisprudence du 4 avril 2018 a pu préciser que la détermination de cette qualité [20] :

  • relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, en fonction des éléments de fait et de preuve apportés ;
  • repose sur un faisceau d’indices intégrant par exemple l’identification d’un numéro SIREN différent pour les établissements ou encore par la détermination de la personnalité juridique.

Transposabilité et opportunités en pratique. Les arrêts du 9 septembre 2021 ont été rendus sous l’empire de l’article R. 243-59, alinéa 1er du Code de la Sécurité sociale dans sa rédaction antérieure au décret du 8 juillet 2016 [21]. Ils restent toutefois transposables à la lettre actuelle du texte. En effet, si la référence expresse à l’employeur a disparu de l’article R. 243-59, ce dernier précise aujourd’hui que l’avis est envoyé à la personne contrôlée qui, au sens de l’article L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9970ACA) auquel il est renvoyé, vise notamment les employeurs. Le texte est d’ailleurs plus précis désormais en ce qu’il impose, au cas particulier d’une personne morale, d’adresser l’avis à son représentant légal et à l'adresse du siège social ou de l’établissement principal.

La solution posée par la Cour de cassation semble toutefois ouvrir la porte à une certaine flexibilité dans l’appréciation des dispositions sur l’envoi de l’avis de passage. Elle relève notamment dans sa décision que, selon la cour d’appel, « à aucun moment dans le protocole, il n’est indiqué que les sociétés concernées ont donné mandat à la société [signataire du protocole] pour recevoir l’avis de contrôle en leur lieu et place ».

Est-ce à dire que la solution retenue aurait été différente si le protocole avait donné un tel mandat ? La question n’est pas expressément tranchée par la Haute juridiction, mais force est de constater qu’il s’agit d’un élément pris en compte dans la décision des juges.

Une seule certitude, le droit procédural en matière URSSAF n’a pas fini d’alimenter la jurisprudence de la Cour de cassation. Au gré de ses ajustements, illustrés pas les arrêts du 9 septembre 2021 au cas particulier de l’avis de passage et de la procédure d’appel, la Haute juridiction continue sa recherche d’un cadre juridique cohérent, en tenant compte notamment de la nécessaire protection des droits des cotisants, et du principe essentiel d’accès au juge.

 

[1] Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-13.662, n° 20-13.663, FS-B+R (N° Lexbase : A256044L), n° 20-13.700, FS-D (N° Lexbase : A264444P) et n° 20-13.705, FS-D (N° Lexbase : A243344U).

[2] Décret n° 2016-941, du 8 juillet 2016, relatif au renforcement des droits des cotisants (N° Lexbase : L2678K93).

[3] CSS, art. R. 142-28 (N° Lexbase : L1083IG9), repris partiellement par l’article R. 142-11 (N° Lexbase : L6655LMG).

[4] Décret n° 2017-891, du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL).

[5] Décret n° 2017-1227, du 2 août 2017, modifiant les modalités d'entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L3858LGY).

[6] CPC, art. 114 (N° Lexbase : L1395H4G).

[7] Notice du décret n° 2017-891, du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile.

[8] CPC, art. 562.

[9] Confirmé par Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n°19-16.954, F-P+B+I (N° Lexbase : A56913QT).

[10] CEDH, 31 janvier 2017, Req. 19074/05, Hasan Tunç et autres c. Turquie (N° Lexbase : A5890TAE), §§ 33 ; voir également CEDH, 5 avril 2018, Req. 40160/12, Zubac c/ Croatie (N° Lexbase : A4684XKP).

[11] Confirmé par Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-13.663, n° 20-13.700, et n° 20-13.705.

[12] Arrêté du 15 juillet 1975, fixant les conditions de versement des cotisations de Sécurité sociale a un seul organisme pour les entreprises ayant plusieurs établissements (N° Lexbase : L8309LCQ).

[13] Cass. civ. 2, 31 mai 2006, n° 04-30.850, F-D (N° Lexbase : A7441DPB).

[14] Cass. civ. 2, 3 avril 2014, n° 13-16.021, F-P+B (N° Lexbase : A6275MIA).

[15] Cass. civ. 2, 17 décembre 2015, n° 14-29.125, F-P+B+I (N° Lexbase : A4785NZA) (jurisprudence relative à l’impossibilité pour le salarié d’obtenir la qualité de cotisant).

[16] Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-13.662, n° 20-13.663, n° 20-13.700 et n° 20-13.705.

[17] Cass. civ. 2, 23 janvier 2020, n° 19-12.353, F-D (N° Lexbase : A58793CQ).

[18] Cass. civ. 2, 26 novembre 2020, n° 19-16.450, F-D (N° Lexbase : A1557388).

[19] Cass. civ. 2, 8 avril 2021, n° 20-13.704, F-D (N° Lexbase : A12564P9), n° 20-13.703 F-D (N° Lexbase : A12904PH), n° 20-13.655, F-D (N° Lexbase : A13324PZ) à 659.

[20] Cass. civ. 2, 4 avril 2018, n° 17-14.284, F-D (N° Lexbase : A4411XKL).

[21] Décret n° 2016-941, du 8 juillet 2016.

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Droit des biens

[Brèves] Conditions d’opposabilité de l’acquisition/cession forcée de la mitoyenneté d’un mur ?

Réf. : Cass. civ. 3, 30 septembre 2021, n° 20-18.778, FS-B (N° Lexbase : A048448G)

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N9009BYC

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 07 Octobre 2021

► La cession de mitoyenneté s'opère par l'effet de la demande d'acquisition et à sa date, à la seule condition imposée au bénéficiaire de payer le prix de la mitoyenneté à acquérir, sans formalisme pouvant donner lieu aux formalités de publicité foncière.

L’article 661 du Code civil (N° Lexbase : L3262ABG), prévoit un mécanisme de « cession forcée » de la mitoyenneté d’un mur, ou dit autrement une « faculté absolue » d’acquérir la mitoyenneté d’un mur par le propriétaire joignant le mur, la seule condition imposée à ce dernier étant de payer le prix de la mitoyenneté à acquérir (Cass. civ. 3, 25 avril 1972, n° 71-10.119, publié au bulletin N° Lexbase : A9313CIR).

La Haute juridiction a depuis longtemps précisé les conditions du transfert de propriété, qui découlent directement de cette faculté « absolue » d’acquérir la mitoyenneté : « en l'absence de convention, la cession de la copropriété s'opère par l'effet de la demande d'acquisition et à sa date » (Cass. civ. 3, 18 janvier 1972, n° 70-12.531, publié au bulletin N° Lexbase : A9433CHT).

La question de l’opposabilité de cette cession aux propriétaires ultérieurs des fonds concernés n’avait, en revanche, jamais été soulevée à notre connaissance devant la Haute juridiction : la cession est-elle soumise aux formalités de publicité foncière, aux fins d’opposabilité aux propriétaires ultérieurs des fonds ? La réponse est négative comme l’indique la Haute juridiction.

En l’espèce, le syndicat des copropriétaires d’un immeuble qui souhaitait engager des travaux d’arasement du mur séparant la cour de l’immeuble du jardin de la propriété voisine s’était vu opposer une demande en revendication de la mitoyenneté du mur litigieux et en interdiction des travaux d’arasement.

Le syndicat faisait grief à l’arrêt d’accueillir les demandes, soutenant que l’acquisition de la mitoyenneté d’un mur (par les précédents propriétaires), acte de cession d’un droit réel, n’est opposable aux propriétaires ultérieurs des fonds concernés que si l’acte d'acquisition de cette mitoyenneté a fait l’objet d’une publication, ce qui n’était pas le cas selon lui.

L’argument est écarté par la Haute juridiction, qui relève que la cour d’appel avait souverainement retenu qu'avant cession de la mitoyenneté de l’exhaussement, le mur d’origine séparant la cour et le jardin était mitoyen, comme mentionné dans le compte de copropriété dressé le 2 mars 1881 et l'acte des 23 et 25 février 1895, par le jeu de la présomption de l’article 653 du Code civil (N° Lexbase : L3254AB7). Les juges d’appel avaient constaté que le précédent propriétaire avait, à sa demande, acquis la mitoyenneté de l’exhaussement de ce mur moyennant le paiement d’une somme due en règlement du compte de copropriété et dont il s'était acquitté.

Aussi, selon la Cour suprême qui énonce la règle précitée, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à une recherche (tendant à savoir si l’acte d'acquisition de la mitoyenneté de cet exhaussement avait bien été publié), que ses constatations rendaient inopérante.

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Droit des étrangers

[Brèves] La notification tardive des droits en garde à vue par un interprète porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’étranger

Réf. : Cass. civ. 1, 29 septembre 2021, n° 20-17.036, FS-B (N° Lexbase : A053648D)

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N8968BYS

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par Marie Le Guerroué

Le 27 Octobre 2021

►Toute personne gardée à vue doit être immédiatement informée des droits attachés à cette mesure et que si elle ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate ; tout retard dans la mise en œuvre de ces obligations, non justifié par des circonstances insurmontables, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’étranger.

Faits et procédure. Un ressortissant marocain avait fait l'objet d'un contrôle d'identité, suivi d'une garde à vue pour diverses infractions. À l'issue de sa garde à vue, un arrêté de placement en rétention lui avait été notifié. Le préfet avait saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de cette mesure. L’intéressé fait grief à l'ordonnance de prolonger sa rétention.

Ordonnance. Pour prolonger la rétention, l'ordonnance retient que, si sa garde à vue est irrégulière, en l'absence de preuve de circonstances insurmontables permettant d'expliquer le retard dans la notification de ses droits avec le concours d'un interprète et le défaut de remise, entre-temps, d'un formulaire en langue arabe, il n'est justifié d'aucun grief.

Réponse de la Cour. La Cour déduit, au contraire, des dispositions des articles 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4971K8M) et L. 552-13 (N° Lexbase : L3505LZT) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 (N° Lexbase : L4969IQ4) qu’il résulte du premier de ces textes que toute personne gardée à vue doit être immédiatement informée des droits attachés à cette mesure et que si elle ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate. Tout retard dans la mise en œuvre de ces obligations, non justifié par des circonstances insurmontables, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée au sens du second.

En statuant comme il l'a fait, le premier président a violé les textes susvisés.

Cassation. La Cour censure, par conséquent, l'ordonnance litigieuse.

newsid:478968

Procédure civile

[Brèves] Quid de l’exception de nullité : moyen ou prétention ?

Réf. : Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 19-12.244, F-B (N° Lexbase : A046348N)

Lecture: 2 min

N8963BYM

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 06 Octobre 2021

► Dans son arrêt rendu le 9 septembre 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce que, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; dès lors, la Haute juridiction vient confirmer l’arrêt d’appel ayant jugé que l’exception de nullité constituait une prétention et non un moyen.

Faits et procédure. Dans cette affaire, dans le cadre d’un litige opposant deux sociétés, la demanderesse s’estimant victime d’actes de concurrence déloyale par débauchage de son personnel et détournement fautif de sa clientèle a obtenu d’un président d’un tribunal de commerce statuant sur requête, la désignation d’un huissier de justice aux fins de constatations et investigations. Se fondant sur le procès-verbal de l’huissier, la demanderesse a assigné la défenderesse en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt rendu le 13 décembre 2018 par la cour d’appel de Douai d’avoir retenu qu’elle a commis des actes de concurrence déloyale à l’égard de la partie adverse, de l’avoir condamné à lui payer les sommes de 150 000 euros au titre de son préjudice financier et de 50 000 euros au titre de son préjudice d’image. En l’espèce, pour confirmer le jugement, les juges d’appel ont relevé que l’intimée ne faisait état de la nullité de la requête à fin de constat et du constat que dans le corps de ses écritures. Dès lors, la cour d’appel a retenu qu’elle n’était pas saisie de prétentions visant à faire juger que ces actes étaient nuls et que le constat devait être écarté des débats, ces prétentions n’étant pas reprises dans le dispositif de ses conclusions.

Solution. Énonçant la solution susvisée aux termes des alinéas 1 et 3 de l’article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7253LED), les Hauts magistrats valident le raisonnement de la cour d’appel et rejettent le pourvoi.

newsid:478963

Responsabilité médicale

[Brèves] Vaccination obligatoire : à la recherche de la probabilité de l’existence d’un lien de causalité

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 29 septembre 2021, n° 435323, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A028448Z)

Lecture: 3 min

N9004BY7

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par Laïla Bedja

Le 06 Octobre 2021

► Pour écarter toute responsabilité de la puissance publique dans le cadre d’un litige individuel portant sur les conséquences d’une vaccination obligatoire, le juge administratif doit, non pas rechercher si le lien de causalité entre l’administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l’affection dont souffre l’intéressé est ou non établi, mais s’assurer au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant le juge, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe ;

Si un lien de probabilité existe, alors le juge doit procéder à l’examen des circonstances de l’espèce et ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressé et les symptômes qu'il avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations ;

Enfin, s’il n’y a aucune probabilité qu’un tel lien existe, alors il doit écarter la demande d’indemnisation.

Les faits et procédure. Afin d’effectuer son service militaire, le requérant était dans l’obligation de se faire vacciner contre l’hépatite B, les injections ayant eu lieu en 1994 et 1995. Il a souffert à partir de septembre 1995 de divers troubles qu’il a attribués à cette vaccination, en lien avec une myofasciite à macrophages par ailleurs diagnostiquée en 1997. Une pension militaire d’invalidité lui a été attribuée pour ce motif en 2001. Mais le ministère de la Défense a toutefois rejeté sa demande d’indemnisation des préjudices non indemnisés par cette pension. Le requérant a alors saisi le juge administratif.

Le tribunal administratif (TA Orléans, 30 septembre 2017, n° 1500510 N° Lexbase : A2715ZU4) puis la cour administrative d’appel (CAA Nantes, 5 juillet 2019, n° 17NT03250 N° Lexbase : A1562ZSN) ont rejeté sa demande d’indemnisation. La cour a estimé, en se fondant sur différents travaux scientifiques, qu’aucun lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et le type de troubles ressentis par le requérant n’avait, à la date de son arrêt, été scientifiquement établi.

Annulation. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction annule l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel. En effet, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, il appartenait à la Cour, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration d'adjuvants aluminiques et les différents symptômes attribués à la myofasciite à macrophages était ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe.

Pour en savoir plus : v. C. Lantero et C. Hussar, ÉTUDE : Le lien de causalité, Présomption de causalité et vaccinations obligatoires, in Droit médical, Lexbase (N° Lexbase : E66334II).

newsid:479004

[Textes] Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : formation et étendue du cautionnement

Réf. : Ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021, portant réforme du droit des sûretés (N° Lexbase : L8997L7D)

Lecture: 19 min

N8978BY8

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, Directeur scientifique de l’Ouvrage Lexbase de Droit des sûretés

Le 06 Octobre 2021


Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 » et publié dans l’édition n° 691 du 7 octobre 2021 de la revue Lexbase Affaires. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici (N° Lexbase : N8992BYP).


 

79 436 jours. Il aura fallu attendre plus de 217 ans, depuis le 21 mars 1804 et la promulgation du Code civil, pour assister à une réforme d’ampleur du cautionnement. Certes, durant ces 79 436 jours, ce dernier avait été l’objet de quelques textes, mais soit très ponctuels (lois n° 84-148 du 1er mars 1984 N° Lexbase : L7474AGW ou n° 94-126 du 11 février 1994 N° Lexbase : L3026AIW par exemple), soit fort mal rédigés (loi n° 2003-721 du 1er août 2003 N° Lexbase : O1036A3R notamment). La réforme opérée par l’ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH) n’avait pas touché au cautionnement, faute d’habilitation législative. Au final, cette sûreté, la plus utilisée en pratique, devait donc s’accommoder de textes vieillissants, inutiles ou néfastes.

La réforme issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 était donc, particulièrement pour le cautionnement, très attendue. Les 33 articles auparavant consacrés au cautionnement sont remplacés par 37 articles, toujours numérotés de 2288 à 2320.

Dispositions générales. Les cinq premiers textes, regroupés dans une première section, contiennent des dispositions d’ordre général : une définition modernisée du cautionnement (C. civ., art. 2288 N° Lexbase : L0129L8B), une définition du cautionnement légal et du cautionnement judiciaire (C. civ., art. 2289 N° Lexbase : L0130L8C), l’affirmation que la solidarité du cautionnement peut être stipulée entre la caution et le débiteur principal, entre les cautions, ou entre tous (C. civ.,  art. 2290 N° Lexbase : L0131L8D), une définition de la certification de caution (C. civ., art. 2291 N° Lexbase : L0132L8E) et enfin une définition du sous-cautionnement (C. civ., art. 2291-1 N° Lexbase : L0133L8G). Ces textes permettent de poser un certain nombre de notions, avant de dérouler le régime du cautionnement, à savoir sa formation et son étendue, ses effets, et son extinction en trois sections successives. Il est important de signaler que le sous-cautionnement, inconnu du Code civil jusque-là, se voit formellement reconnu. Il est simplement permis de regretter, dans un souci de lisibilité, que l’expression de certification de caution, au contraire de celle de sous-cautionnement, ne soit pas employée par le texte. Il est cependant vrai que l’importance pratique des deux mécanismes est inégale. Le sous-cautionnement connaît des applications pratiques importantes, tandis que la certification de caution est en nette perte de vitesse, étant moins intéressante pour le créancier que des cofidéjusseurs solidaires [1].

Cautionnement commercial. Une autre disposition générale, ne figurant pas dans le Code civil mais dans le Code de commerce, concerne la commercialité du cautionnement. Contrairement à ce que préconisait le groupe de travail de l’association Capitant (C. civ., art. 2290, al. 2 de son avant-projet), l’ordonnance enrichit l’article L. 110-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L0093L8X) d’un alinéa énonçant que le cautionnement de dettes commerciales est commercial, entre toutes personnes. Ainsi, quelle que soit la qualité de la caution, son engagement est commercial dès lors que l’obligation principale l’est aussi. Cette solution a le mérite de la simplicité, soumettant au même droit (commercial) et à la même juridiction (tribunal de commerce) le cautionnement et le contrat principal. Cette solution consacre la volonté jurisprudentielle de rendre commercial le cautionnement donné par les dirigeants ou les associés de sociétés commerciales, par le détour à l’intérêt personnel de la caution [2]. Ce dernier critère devrait logiquement être abandonné, ce qui mérite d’être approuvé, car son imprécision était source de difficultés.

Reprise d’anciens textes. La formation et l’étendue du cautionnement sont l’objet de dix articles (C. civ., art. 2292 à 2301). Les cinq premiers, les articles 2292 à 2296, s’ils contiennent des règles importantes, n’apportent rien de nouveau. Il s’agit d’énoncer que le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures, déterminées ou déterminables (C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L0134L8H), que son caractère accessoire impose qu’il garantisse une obligation valable, sous réserve du cautionnement en connaissance de cause des dettes d’un incapable (C. civ., art. 2293 N° Lexbase : L0162L8I) et interdit qu’il excède l’obligation principale (C. civ., art. 2296 N° Lexbase : L0170L8S), qu’il doit être exprès et ne peut être étendu au-delà de ce qui était convenu (C. civ., art. 2294 N° Lexbase : L0167L8P), et qu’il s’étend, sauf clause contraire, aux  intérêts et autres accessoires de l'obligation garantie, ainsi qu'aux frais de la première demande, et à tous ceux postérieurs à la dénonciation qui en est faite à la caution (C. civ., art. 2295 N° Lexbase : L0168L8Q). Ces diverses dispositions sont la reprise des règles anciennes, telles qu’interprétées par la jurisprudence.

Nouveautés. Les articles 2297 à 2301, en revanche, apportent d’importants changements. Au travers de ces cinq textes, transparaît la volonté des rédacteurs de l’ordonnance d’introduire de la souplesse dans certains mécanismes (I), de prendre en considération la jurisprudence (II) et enfin de moderniser un point bien particulier, à savoir la solvabilité de la caution légale ou judiciaire (III).

I. La souplesse de certains mécanismes    

L’ordonnance fait preuve de souplesse en ce qui concerne les modalités du formalisme (A) et la sanction de l’exigence de proportionnalité (B). Il est intéressant de noter que ces deux mécanismes, auparavant prévus par le Code de la consommation, figurent désormais dans le Code civil. La solution est logique, puisque la jurisprudence avait décidé, fort justement au regard de la lettre des textes, d’appliquer ces mesures de protection à toutes les cautions, y compris celles s’engageant dans le cadre de leur activité professionnelle [3].

A. Le formalisme

Difficultés. Nul n’ignore les difficultés qu’ont suscitées les mentions manuscrites requises à peine de nullité par les articles L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) et L. 331-2 (N° Lexbase : L1164K7A) du Code de la consommation [4]. La raison en était principalement la méthode suivie par le législateur : en imposant un modèle, la question s’était rapidement posée de savoir quelles devaient être les différences tolérables entre ce modèle et la mention effectivement rédigée par la caution. La sécurité juridique en était sortie nettement affaiblie, sous les coups de boutoir de cautions de mauvaise foi [5], bien aidées en cela par certaines juridictions du fond [6].

Innovations. La réforme a entendu remédier à ces difficultés et enrayer ce contentieux stérile. Le nouvel article 2297 du Code civil (N° Lexbase : L0171L8T) comporte certaines innovations. La première, la plus évidente, est l’abandon d’un modèle légal. Désormais, la mention apposée par la caution, et toujours requise à peine de nullité, doit simplement énoncer qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. Il n’y a donc plus à craindre des débats judiciaires inutiles sur le point de savoir si une faute d’orthographe doit mener à l’annulation du cautionnement ou non. La caution pourra rédiger la mention comme bon lui semble, avec ses mots. Sa compréhension sera sans doute meilleure. La deuxième nouveauté est que la mention n’a plus à être manuscrite. Cette idée est à rapprocher de la nouvelle rédaction de l’article 1175 (N° Lexbase : L0140L8P), qui vise à permettre la conclusion des sûretés par voie électronique. La troisième nouveauté concerne le domaine du formalisme. Le nouvel article 2297 ne vise en effet que le créancier, sans plus de précision. La mention sera donc requise dans tous les cautionnements signés par une personne physique, que le créancier soit un professionnel ou non. L’impact pratique de cette dernière nouveauté devrait néanmoins être limité, car les cautionnements sont généralement signés au profit de créanciers professionnels. 

Cautionnement solidaire. La mention doit être enrichie en cas de renonciation aux bénéfices de discussion et de division, c’est-à-dire, concrètement, en cas de cautionnement solidaire. La mention doit alors préciser que la caution ne peut exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions (C. civ., art. 2297, al. 2). Ce qui est intéressant dans la rédaction de cet alinéa, c’est sa seconde phrase. Il est en effet disposé qu’à défaut de cette mention enrichie, la caution conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices. Il convient d’en déduire que la sanction n’est pas la nullité du cautionnement, ce qui conforte la jurisprudence de la Cour de cassation sur la sanction de l’article L. 331-2 du Code de la consommation [7].

Question en suspens. La lecture du nouveau texte laisse tout de même subsister une question. À la différence de l’article L. 331-1 du Code de la consommation, dont il s’inspire, le nouvel article 2297 du Code civil ne limite pas expressément l’exigence d’une mention apposée par la caution aux seuls actes sous seing privé. Faut-il en déduire que ce formalisme est requis également pour les actes notariés ? L’article 1369 (N° Lexbase : L1031KZ9) n’est ici d’aucun secours, puisqu’il dispose que l’acte notarié est « dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ». Or, la mention de l’article 2297 n’est pas manuscrite… Dans l’attente d’une correction très hypothétique de l’article 2297, ou d’une modification apportée à l’article 1369, il convient de penser que les actes notariés devraient demeurer dispensés de cette formalité. En effet, du point de vue de la protection de la caution, l’intervention du notaire est au moins aussi efficace que la rédaction de la mention, et est donc à même de remplacer cette dernière.

B. L’exigence de proportionnalité

Revenus et patrimoine. L’exigence de proportionnalité fait également peau neuve, avec l’article 2300 (N° Lexbase : L0174L8X) tel qu’il résulte de la réforme de 2021. Il est permis de lister trois nouveautés, même si l’une d’entre elles était déjà admise en jurisprudence. D’abord, le texte vise la disproportion manifeste aux revenus et au patrimoine de la caution, là où le texte ancien (C. consom., art. L. 332-1 N° Lexbase : L1162K78) visait les biens et revenus. Cette dernière expression, si les tribunaux en avaient eu une vision stricte, n’aurait englobé que les éléments d’actif du patrimoine de la caution, laissant de côté ses dettes. Une telle conception aurait été critiquable du point de vue de la protection de la caution, mais justifiée au regard de la lettre du texte. La jurisprudence n’a cependant jamais eu une telle vision du texte. Le nouvel article 2300, en parlant de revenus et de patrimoine, consacre cette conception plus large.

Plus de retour à meilleure fortune. Ensuite, le nouveau texte a abandonné l’hypothèse du « retour à meilleure fortune ». L’article L. 332-1 permettait au créancier de se prévaloir de son cautionnement lorsque la situation financière de la caution s’était améliorée et que son patrimoine lui permettait, au jour où elle était appelée, d’assumer la sûreté. L’abandon de cette hypothèse est, à en croire le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, destiné à « maintenir le caractère dissuasif du texte ». Lors de la conclusion du cautionnement, le créancier ne peut en effet plus parier sur une amélioration future de la situation financière de la caution. De notre point de vue, c’est surtout une source de complexité qui disparaît.

Sanction. Mais la nouveauté la plus marquante en matière de proportionnalité concerne assurément sa sanction. Auparavant, le créancier ne pouvait se prévaloir de sa sûreté. Sans que l’on sache ce que recouvrait précisément cette sanction, il était certain qu’il s’agissait d’une politique du « tout ou rien ». Soit le cautionnement n’est pas manifestement disproportionné, et le créancier peut appeler la caution en paiement. Soit il l’est, et le créancier est privé de sa sûreté. La sanction retenue par le nouvel article 2300 est la réduction : le cautionnement « est réduit au montant à hauteur duquel elle [la caution] pouvait s’engager ». Si nous avons pu, il y a déjà longtemps, préconiser cette sanction [8], nous avouons être aujourd’hui plus réservés, car elle pourrait susciter des difficultés. En effet, le pouvoir d’appréciation du juge est en quelque sorte doublé. Sous l’ancien texte, il devait déterminer si le cautionnement est ou non manifestement disproportionné. Avec le nouveau, il devra en plus déterminer ce qu’est un cautionnement qui n’est pas manifestement disproportionné. Les motifs d’insatisfaction pour les cautions et les établissements de crédit ne vont pas s’atténuer…

II. La prise en considération de solutions jurisprudentielles

Cette prise en considération se fait selon deux axes diamétralement opposés. Dans l’article 2299 (N° Lexbase : L0173L8W), il s’agit de consacrer la jurisprudence (A), tandis que dans l’article 2298 (N° Lexbase : L0172L8U), il s’agit de la condamner (B).

A. La consécration de la mise en garde

Origine jurisprudentielle. Il s’agit ici d’une véritable consécration d’une solution jurisprudentielle. Progressivement, la jurisprudence avait mis à la charge du créancier un devoir de mise en garde de la caution, comparable à celui dont profite l’emprunteur. Ce devoir, qui ne profitait qu’aux cautions profanes, portait sur les capacités financières du débiteur principal et sur l’adéquation de l’engagement de la caution à ses ressources.  À défaut de mise en garde, le créancier engageait sa responsabilité, ayant fait perdre à la caution une chance de ne pas contracter [9].

À la recherche de la caution avertie. La principale faiblesse de la jurisprudence était qu’elle réservait le bénéfice de la mise en garde à la caution profane, excluant la caution avertie. La difficulté était alors de savoir ce qu’est une caution avertie. Après s’être attachée principalement aux qualités et fonctions de la caution (dirigeant [10], professionnel du droit [11], etc.), la Cour de cassation a fini par retenir une appréciation plus subjective, en se focalisant sur les connaissances et l’expérience de la caution [12]. C’est ainsi que certains arrêts se sont mués en curriculum vitae de la caution. Cette appréciation au cas par cas ne se conciliait guère avec l’exigence de sécurité juridique.

Nouveautés. Le nouvel article 2299 contient trois nouveautés. D’abord, la mise en garde ne porte plus que sur les capacités financières du débiteur principal. L’adéquation du montant du cautionnement aux ressources de la caution relève davantage de l’exigence de proportionnalité et a semblé redondante aux rédacteurs de l’ordonnance. Ensuite, la sanction est modifiée. Il ne s’agit plus de la responsabilité du créancier, mais d’une déchéance : à défaut de mise en garde, le créancier est déchu de son droit contre la caution, à hauteur du préjudice subi par celle-ci. Enfin, et c’est l’innovation majeure, le devoir de mise en garde profite à toute caution, dès lors qu’elle est une personne physique. Devant la difficulté à définir la caution avertie, l’ordonnance a fait le choix le plus raisonnable, à savoir celui de faire profiter toutes les cautions de cette mise en garde. La sécurité juridique en sort grandie, les créanciers n’ayant plus à se demander si telle caution est profane ou avertie.

Regret. Un simple regret est que le texte n’aborde pas la question du conjoint de la caution. Le lecteur se souvient que la Cour de cassation estime que le conjoint, lorsqu’il autorise son époux ou son épouse à s’engager en qualité de caution en application de l’article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU), n’a droit à aucune mise en garde de la part du créancier [13]. La Cour fonde cette solution sur une double idée : d’une part, le conjoint n’aurait pas droit à une mise en garde car l’autorisation qu’il donne ne fait pas de lui une partie à l’acte et, d’autre part, car « aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au créancier bénéficiaire du cautionnement de fournir des informations ou une mise en garde au conjoint » de la caution. Si ces deux affirmations sont exactes, elles n’emportent pas la conviction. Le conjoint demeure un tiers, mais pourquoi la mise en garde serait-elle limitée aux parties à un acte ? Un tiers particulièrement intéressé, comme l’est le conjoint, ne mérite-t-il pas aussi une telle information ? Le second argument ne tient pas : qu’aucun texte n’impose au créancier un devoir de mise en garde envers le conjoint de la caution n’est aucunement décisif. La meilleure preuve en est que lorsque la Cour de cassation a développé un devoir de mise en garde au profit de la caution, calqué sur celui dont bénéficie l’emprunteur, elle l’a fait sans le support d’aucun texte…

La mise en garde du conjoint de la caution est indispensable. En autorisant le cautionnement, le conjoint engage dans l’assiette du cautionnement les biens communs, et notamment ses revenus, puisqu’ils tombent en communauté. Or, le conjoint n’est pas nécessairement en mesure de comprendre les implications de l’autorisation qu’il donne [14].

B. La condamnation de l’inopposabilité des exceptions

Inopposabilité hier presque totale. Le contrat de cautionnement étant par essence accessoire au contrat qu’il garantit, il semble relativement logique de reconnaître à la caution le droit d’opposer au créancier les exceptions que le débiteur pourrait lui-même lui opposer. Le problème vient du fait que l’ancien article 2313 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN) était fort mal rédigé : il distinguait les exceptions inhérentes à la dette, que la caution peut opposer au créancier, et celles qui sont personnelles au débiteur, et qui sont inopposables par la caution. Mais sans préciser ce qu’il faut entendre par exceptions personnelles et exceptions inhérentes à la dette. Et c’est ainsi que la Cour de cassation a subitement décidé, en 2007, de qualifier d’exception personnelle le dol affectant la nullité du contrat principal [15]. Par la suite, ce sont toutes sortes d’autres exceptions qui ont été jugées personnelles, et donc inopposables par la caution : responsabilité d'un établissement bancaire pour rupture abusive de crédit [16] ou octroi abusif de crédit [17], inopposabilité sanctionnant le défaut de déclaration de créance en cas de liquidation judiciaire [18], octroi de délais au débiteur principal [19], absence de cause de l'obligation principale [20], prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1585K7T) [21], etc..

Même si cette jurisprudence ne portait pas véritablement atteinte au caractère personnel du cautionnement (dans l’arrêt de 2007, le contrat principal n’était pas nul, mais simplement annulable), la situation n’était pas satisfaisante : la caution ne mérite pas d’être tenue plus sévèrement que le débiteur principal. En outre, sur ce point, le cautionnement tendait à se rapprocher considérablement de la garantie autonome, ce qui n’est guère cohérent.

Opposabilité aujourd’hui presque totale. Le nouvel article 2298 est novateur. Il retient que la caution peut opposer toutes les exceptions, qu'elles soient personnelles au débiteur ou inhérentes à la dette. Ainsi, la difficulté de qualification des diverses exceptions est neutralisée. Seuls deux types d’exceptions ne peuvent être opposés au créancier par la caution. D’une part, cette dernière ne peut invoquer l’incapacité du débiteur principal, en application de l’article 2293, alinéa 2 (N° Lexbase : L0162L8I). Puisqu’il est possible de cautionner en connaissance de cause la dette d’un incapable, ce n’est pas pour que la caution entende ensuite anéantir le contrat sur ce fondement. D’autre part, l’alinéa 2 de l’article 2298 interdit à la caution de se prévaloir des mesures légales ou judiciaires accordées au débiteur en cas d'insolvabilité de sa part, sauf disposition spéciale contraire. Ceci restaure la véritable nature de sûreté du cautionnement. L’incapacité et l’insolvabilité sont donc les deux seules exceptions inopposables par la caution [22].

III. La modernisation de la solvabilité de la caution légale ou judiciaire

Solvabilité. Dans certaines hypothèses, la loi ou une décision de justice impose au débiteur de fournir un cautionnement. Tel est par exemple le cas de l’usufruitier (C. civ., art. 601 N° Lexbase : L9303I3X : cautionnement légal) ou du débiteur de la prestation compensatoire (C. civ., art. 277 N° Lexbase : L2672ABL : cautionnement judiciaire). S’il ne mentionne plus la condition de capacité, redondante avec le droit commun, et ne fait plus référence au domicile de la caution, le nouvel article 2301 (N° Lexbase : L0175L8Y) reprend une condition auparavant posée par les articles 2295 (N° Lexbase : L3048IEM) et 2296 (N° Lexbase : L1125HII), à savoir la solvabilité de la caution. Il serait en effet quelque peu inconvenant que le débiteur obligé légalement ou judiciairement à fournir une caution en présente une qui soit insolvable…

Néanmoins, l’article 2301 modernise cette condition de solvabilité, ce qui est bienvenu. Les anciens textes imposaient, sauf pour les dettes commerciales ou modiques, d’apprécier la solvabilité de la caution qu’au regard de ses seules propriétés foncières. Ce reliquat des années 1804 ne se justifiait plus en 2021. Il y a déjà bien longtemps que la fortune d’une personne ne se juge plus seulement au regard de ses seules propriétés immobilières.

Perte de solvabilité. En outre, le nouvel article 2301 se préoccupe de la question de la perte de solvabilité de la caution légale ou judiciaire postérieurement à la conclusion du contrat, question que les anciens articles 2295 et 2296 ignoraient complètement. L’article 2301 adopte une solution très souple : si la caution devient insolvable, le débiteur doit en fournir une autre. À défaut, il encourt la déchéance du terme ou la perte de l’avantage subordonné à la fourniture du cautionnement. Les cautions ne se trouvant pas toujours aussi facilement que les ennuis, l’alinéa trois accorde au débiteur la faculté de substituer au cautionnement une sûreté réelle « suffisante ». Cette faculté introduit une souplesse opportune dans le mécanisme du cautionnement légal ou judiciaire.

La seule difficulté sera l’appréciation du caractère suffisant de la sûreté réelle. Dans des situations conflictuelles (par exemple en cas de divorce), le créancier sera peut-être peu enclin à accepter la sûreté réelle proposée par le débiteur. Et c’est alors le juge qui devra apprécier le caractère suffisant de la sûreté réelle, ce qui accentue la judiciarisation de la matière.

 

[1] La faiblesse de la certification de caution en comparaison des cofidéjusseurs tient au fait que le certificateur garantit la défaillance de la caution et non celle du débiteur principal. Par conséquent, le créancier, confronté à l’impayé du débiteur, ne peut pas s’adresser directement au certificateur. Il doit d’abord demander paiement à la caution.

[2] Cass. req., 31 janvier 1872, DP 1872, 1, p. 252 ­– Cass. com., 5 octobre 1993, n° 91-12.372 (N° Lexbase : A5582ABD), Rev. sociétés, 1994, p. 47, note D. Legeais.

[3] V. not. Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase : A5284IAX), RD banc. et fin., mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles (mentions manuscrites) – Cass. com., 13 avril 2014, n° 09-66.309, F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault (proportionnalité).

[4] Pour une synthèse, v. G. Piette, Solutions pour mettre un terme au contentieux relatif aux mentions manuscrites dans le cautionnement », D., 2017, p. 1064.

[5] V. par exemple la caution qui invoquait la nullité de son engagement en se fondant sur le fait qu’elle avait remplacé la lettre X employée par le modèle légal par la désignation du débiteur principal : Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.623, F-P+B (N° Lexbase : A7128IUK), Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p. 11, obs. Ch. Albigès – v. égal. Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, F-P+B+I (N° Lexbase : A0814KC7), D., 2013, p. 1460, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette (substitution du mot « banque » à ceux de « prêteur » et de « créancier »).

[6] CA Rennes, 22 janvier 2010, n° 08/08806 (N° Lexbase : A5135ESY), JCP G, 2010, doctr. 708, n° 2, obs. Ph. Simler, arrêt cassé par Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7), D., 2011, p. 1132, obs. V. Avena-Robardet ; G. Piette, Lexbase Affaires, mai 2011, n° 251 (N° Lexbase : N2752BSQ) – CA Dijon, 26 janvier 2012, n° 10/00703 (N° Lexbase : A5927IB7), cassé par Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-19.094, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1490KLR), JCP G, 2013, 1074, note J. Lasserre-Capdeville ; G. Piette, Lexbase Affaires, octobre 2013, n° 354 (N° Lexbase : N8835BTE).

[7] Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0443G7K), D., 2011, p. 1193, note Y. Picod ; G. Piette, Lexbase Affaires, avril 2011, n° 246 (N° Lexbase : N9497BR8) – Cass. com., 10 mai 2012, n° 11-17.671, F-P+B (N° Lexbase : A1210ILE).

[8] G. Piette, La sanction du cautionnement disproportionné, Droit & Patrimoine, juin 2004, p. 44.

[9] Cass. com., 20 octobre 2009, n° 08-20.274, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2384EMA) – Cass. com., 8 septembre 2021, n° 19-20.497, F-D (N° Lexbase : A250644L).

[10] V. par exemple, Cass. com., 17 février 2009, n° 07-20.935, F-D (N° Lexbase : A2618EDC).

[11] Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-15.172, F-D (N° Lexbase : A2295EBM).

[12] Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24.694, F-D (N° Lexbase : A8875IBC), JCP G, 2012, p. 626, n° 5, obs. Ph. Simler.

[13] Cass. com., 9 février 2016, n° 14-20.304, FS-P+B (N° Lexbase : A0268PLI), D., 2016, p. 1415, note A. Molière ; G. Piette, Lexbase Affaires,   2016, n° 457 (N° Lexbase : N1668BWP) – Cass. com., 31 janvier 2017, n° 14-22.928, F-D (N° Lexbase : A4224TB3).

[14] G. Piette, Le cautionnement personnel, in L. Andreu et M. Mignot (dir.), L’avant-projet de réforme du droit des sûretés, Institut Universitaire Varenne, 2019, tome 75, p. 55, spéc. p. 69.

[15] Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602 (N° Lexbase : A5464DWB), JCP G, 2007, II, p. 10138, note Ph. Simler. 

[16] Cass. com., 22 septembre 2009, n° 08-10.389, F-D (N° Lexbase : A3399ELH).

[17] CA Douai, 13 novembre 2008, n° 07/02411 (N° Lexbase : A7729HHQ).

[18] Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0184HWQ), JCP G, 2011, p. 1259, n° 7, obs. Ph. Simler.

[19] CA Paris, 12 février 2009, n° 07/12109 (N° Lexbase : A4702EDI).

[20] CA Douai, 18 novembre 2010, n° 09/05422 (N° Lexbase : A8638GK7), RD banc. et fin., 2011, comm. 52, obs. D. Legeais.

[21] Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-16.147, F-P+B+I (N° Lexbase : A1641Z8B), RTD civ., 2020, p. 161, obs. Ch. Gijsbers ; G. Piette, in Panorama de droit des sûretés (second semestre 2019), Lexbase Affaires, février 2020, n° 623 (N° Lexbase : N2134BYP) .

[22] Pour le développement de cette idée, v. G. Piette, Les faiblesses du cautionnement, RLDA, octobre 2007, p. 103.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Holding mixte et déductibilité de la TVA ayant grevé des dépenses engendrées pour obtenir l'exécution d'une cession de titres à caractère purement patrimonial

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 28 septembre 2021, n° 440987, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6508478)

Lecture: 6 min

N8964BYN

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par Marie-Claire Sgarra

Le 08 Octobre 2021

Le Conseil d’État s’est prononcé, le 28 septembre 2021, sur la déductibilité de la TVA dans le cadre d'une opération patrimoniale mettant en cause une holding mixte.

Les faits :

  • une holding mixte a exposé des frais d'avocat et d'instance à l'occasion d’un litige qui s'est élevé entre les parties au sujet du versement d'une partie des dividendes à hauteur de 400 000 euros et de l'exécution de la promesse de rachat des titres d’une société tierce ;
  • à la suite d'une vérification de comptabilité de la holding, l'administration a remis en cause la déduction de la TVA ayant grevé ces frais d'avocat et d'instance ;
  • le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société holding tendant à la décharge des rappels de TVA ;
  • la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de la société holding, a annulé ce jugement et prononcé la décharge des droits et pénalités en litige (CAA Nancy, 8 avril 2020, n° 18NC03242 N° Lexbase : A87783KC).

🔎 Principe : la TVA qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe à la valeur ajoutée applicable à cette opération (CGI, art. 271 N° Lexbase : L8605LZQ).

👉 L'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit.

👉 Le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction.

👉 En l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti.

Au cas particulier de l’espèce

⚖️ Jugement de la cour administrative d’appel de Nancy : la CAA, après avoir constaté que la société exerçait une activité de holding mixte, a jugé

  • d'une part que la cession par cette société des titres de la société tierce avait le caractère d'une opération purement patrimoniale ;
  • d'autre part que cette société établissait que les frais d'avocat et d'instance qu'elle avait engagés en vue d'obtenir en justice le paiement du solde du prix de cette cession n'avaient pas été incorporés dans ce prix.

La société était donc en droit de déduire la TVA ayant grevé ces dépenses et, ce, dès lors qu’il résulte des éléments apportés ainsi que de la chronologie des opérations que ces frais n’ont pas été compris dans le prix de cession des titres

⚖️ Réponse du Conseil d’État. Dans le cas où ces dépenses se rattachent à une opération à caractère purement patrimonial, qui n'entre pas dans le champ de la TVA, ce qui implique qu'elles ne présentent pas un lien direct et immédiat avec l'ensemble de l'activité économique de la holding mixte assujettie à cette taxe, la taxe qui a grevé ces frais d'avocat et d'instance n'est pas déductible, indépendamment de la circonstance qu'ils n'ont pas été incorporés dans le prix de cession des titres.

« Si la société Saint-Exupéry Holding soutient que les dépenses d'avocat et d'instance engagées en vue d'obtenir en justice le paiement du solde du prix de la cession des titres de la société Westwings avaient pour objet la préservation des actifs nécessaires à la réalisation de son objet social, consistant en la fourniture de prestations de services au profit de ses filiales et de tiers, il ne résulte pas de l'instruction qu'au-delà de son statut de propriétaire de titres, elle se serait immiscée dans la gestion des sociétés Westwings et Metland et leur aurait fourni des prestations de services soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ».

💡 S'agissant de dépenses pour la réalisation d'opérations de cessions de titres, le Conseil d’État (CE 3° et 8° ssr., 23 décembre 2010, n° 307698, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6971GNI) avait distingué deux types de dépenses de frais de cession :

  • les dépenses exposées en vue de préparer la cession ;
  • les dépenses inhérentes à la transaction elle-même.

Les dépenses préparatoires (honoraires d’études et de conseils portant sur l’opportunité de la cession, frais d’audit, frais de valorisation des titres, etc.) sont réputées faire partie des frais généraux sauf si l'administration établit, soit que l’opération a revêtu un caractère patrimonial dès lors que le produit de la cession a été distribué, soit que, en l'absence d'éléments contraires produits par la société (par exemple, le contrat de cession), ces dépenses ont été incorporées dans le prix de cession des titres. Il est précisé que lorsque l’opération de cession envisagée n’aboutit pas, les dépenses préparatoires constituent, en tout état de cause, des frais généraux.

Les dépenses inhérentes (frais de courtage, commissions bancaires, honoraires d’intermédiation, frais de rédaction d’acte, etc.) sont présumées non déductibles, dès lors qu'elles présentent un lien direct et immédiat avec l'opération de cession de titres n'ouvrant pas droit à déduction, sauf si, compte tenu de la nature des titres cédés (selon que les titres sont ou non cotés) ou par tous éléments probants, tels que sa comptabilité analytique ou le contrat de cession, la holding établit que les dépenses en cause n'ont pas été incorporées dans le prix de cession.

Cf le BOFiP annoté BOI-TVA-DED-20-10-20 (N° Lexbase : X7625ALY).

 

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Voies d'exécution

[Brèves] Une marche supplémentaire vers le FICOBA conservatoire !

Réf. : Projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire (PJL), amendement n° 38 rect.

Lecture: 2 min

N9033BY9

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 08 Octobre 2021

Dans le cadre de la discussion autour du projet de loi confiance dans l'institution judiciaire (PJL), les sénateurs ont adopté, mardi 28 septembre 2021, à l’unanimité l’amendement n° 38 rectificatif, ayant pour objet de modifier une disposition du I de l’article L. 151 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9501I7Z), afin d’autoriser les huissiers de justice à effectuer une requête FICOBA dans le cadre d’une ordonnance de saisie conservatoire sur comptes bancaires rendue par le juge sur le fondement des articles L. 523-1 (N° Lexbase : L5921IRQ) et suivants du Code des procédures civiles d’exécution et de mettre fin à la distorsion introduite par la transposition du règlement européen susmentionné. Cet amendement prévoit un article additionnel après l’article 35 ainsi rédigé « Au I de l’article L. 151 A du Livre des procédures fiscales, après les mots : « d’un titre exécutoire », sont insérés les mots : « ou d’une décision de justice autorisant une saisie conservatoire sur comptes bancaires, ».

Pour appuyer cet amendement, il est rappelé que l’article L. 151 A du Livre des procédures fiscales énonce la possibilité pour les huissiers de justice d’avoir accès au fichier des comptes bancaires (Ficoba) lorsqu’ils sont porteurs d’un titre exécutoire, alors que cela n’est pas le cas dans le cadre d’une ordonnance de saisie conservatoire. Bien plus, la Cour de cassation a jugé que l’huissier de justice ne peut diligenter de requête FICOBA lorsqu’il est en possession d’une ordonnance de saisie conservatoire, dès lors qu’elle ne constitue pas un titre exécutoire.

Enfin, il est énoncé que cette autorisation instaure aujourd’hui une distorsion dans le cadre d’une procédure de saisie conservatoire, et une discrimination vis-à-vis des créanciers. Cette position est soutenue depuis quelques années par maître Sylvian Dorol comme l’illustre son commentaire dans la revue de droit et procédure de 2019 (S. Dorol, « Pour un FICOBA conservatoire », Droit et procédure, n° 4 / 72e année/mai-juin 2019).

Pour aller plus loin : lire. S. Dorol, Ficoba et saisie conservatoireBull. inf. Venezia & Associés, 2021, n° 18, p. 4, in Lexbase.

 

 

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