La lettre juridique n°543 du 10 octobre 2013 :

[Jurisprudence] Mentions manuscrites dans le cautionnement : la Cour de cassation tiraillée entre pointillisme et pragmatisme

Réf. : Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-19.094, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1490KLR) et Cass com., 17 septembre 2013, n° 12-13.577, FS-P+B (N° Lexbase : A4914KLL)

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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique de l'Encyclopédie Lexbase "Contrats spéciaux"

le 10 Octobre 2013

Décidément, il sera bientôt nécessaire de créer une nouvelle chambre à la Cour de cassation, spécialement en charge du contentieux relatif aux mentions manuscrites dans le cautionnement ! En l'espace d'une semaine, deux chambres de la Cour de cassation ont rendu deux décisions qui démontrent la difficulté à appliquer les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation.

Dans la première espèce (Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-19.094), la caution invoquait la nullité des deux engagements par elle souscrits. Elle avançait que, dans le premier, les deux mentions manuscrites imposées par les textes susmentionnés n'étaient séparées par aucun signe de ponctuation, ce qui avait pour effet de les rendre incompréhensibles. Elle reprochait au second cautionnement de séparer les deux mentions par une virgule, de sorte que la seconde mention commençait par une lettre minuscule, et non majuscule. La cour d'appel de Dijon, sensible à cette argumentation, avait annulé les deux cautionnements dans un arrêt du 26 janvier 2012. Ainsi, après le célèbre "arrêt de la virgule" (1), voici le bientôt culte "arrêt de la minuscule" ! La Cour de cassation casse cette décision, retenant que "ni l'omission d'un point ni la substitution d'une virgule à un point entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité, ni l'apposition d'une minuscule au lieu d'une majuscule au début de la seconde de ces formules, n'affectent la portée des mentions manuscrites conformes pour le surplus aux dispositions légales".

Dans la seconde espèce (Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-13.577), la caution souhaitait voir annuler son engagement, au motif qu'elle avait apposé sa signature avant et non après la mention manuscrite. La cour d'appel de Poitiers (CA Poitiers, 15 novembre 2011, n° 11/00841 N° Lexbase : A5333H3W), approuvée par la Cour de cassation, a prononcé la nullité du cautionnement, relevant que l'article L. 341-2 du Code de la consommation précise que la caution fait précéder -et non suivre- sa signature de la mention manuscrite. Ces deux décisions illustrent à merveille les hésitations qui assaillent les juges (et le désarroi qui frappe les justiciables...) quant à l'application des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation.

I - Des décisions conformes à la jurisprudence antérieure

Ces deux décisions s'inscrivent dans l'évolution jurisprudentielle antérieure.

Ainsi, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que la validité du cautionnement n'est pas remise en cause lorsque la mention manuscrite diffère du modèle légal, dès l'instant que le sens n'en est pas changé (2) et que les différences demeurent minimes (3). La mention écrite par la caution n'a donc pas à être la photographie parfaite des textes du Code de la consommation.

Il est dès lors parfaitement justifié de valider un cautionnement, comme l'a fait la Cour de cassation dans sa décision du 11 septembre dernier, dans lequel la caution a remplacé un point par une virgule, ou une lettre majuscule par une minuscule. Toute solution contraire aurait été la porte ouverte à toute sorte d'abus et de mauvaise foi.

La solution adoptée par la Chambre commerciale dans son arrêt rendu le 17 septembre dernier n'est pas moins inattendue. Si la Cour accepte qu'une seule signature, apposée par la caution à la suite des mentions, n'entraîne pas la nullité du contrat (4), elle considère, en revanche, que le cautionnement doit être annulé si la signature précède la mention. La Chambre commerciale avait déjà retenu pareille solution en début d'année (5).

Ces deux décisions n'ont donc rien de novateur. Ce n'est pas pour autant qu'elles sont inintéressantes. En effet, elles consolident des positions jurisprudentielles qui sont extrêmement instructives sur la hiérarchisation des formes qu'opère la Cour de cassation.

II - La hiérarchisation des formes

Les solutions retenues par la Cour de cassation dans les arrêts commentés sont en apparence contradictoires. La première chambre civile fait montre de souplesse, en acceptant des différences mineures entre le modèle légal et la mention effectivement apposée par la caution. La Chambre commerciale fait preuve de rigorisme, en invalidant un contrat au motif que la signature n'est pas apposée à l'endroit requis. Or, le fait que ces solutions soient la confirmation de jurisprudences antérieures écarte toute interprétation liée à l'arrêt d'espèce ou à "l'accident de parcours".

Que faut-il en déduire ?

Il serait tentant d'y voir une nouvelle manifestation des divergences, souvent constatées, entre les jurisprudences des première chambre civile et Chambre commerciale. Cependant, il est difficile de soutenir que la première chambre serait celle de la souplesse tandis que la Chambre commerciale serait celle de la rigueur. En effet, la Chambre commerciale a déjà, par le passé, adopté des positions pragmatiques quant aux mentions manuscrites (6).

Il serait encore plus tentant, pour le signataire de ces lignes, d'y voir une nouvelle expression de l'inutilité des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation. Nous avons déjà eu l'occasion, dans ces colonnes (7) et dans d'autres (8), de nous prononcer pour l'abrogation pure et simple de ces deux textes, qui génèrent davantage de problèmes qu'ils n'apportent de solutions.

Il est également possible de se demander si la Cour de cassation ne souhaite pas opérer une hiérarchisation des formes requises pour la validité d'un cautionnement. Des différences minimes dans le texte des mentions ne sont pas rédhibitoires, alors que l'emplacement de la signature de la caution l'est. Ainsi, la Cour de cassation montre son attachement à la signature, attachement partagé par certains juges du fond qui refusent par exemple d'assimiler signature et paraphe (9). La signature exprime l'accord de la caution sur les différentes clauses et stipulations du contrat. La Cour ne se satisfait pas que des éléments du contrat figurent après la signature, ce qui pourrait laisser penser que ceux-ci ont été ajoutés postérieurement à cette dernière.

Il apparaît donc que la Cour de cassation a décidé de hiérarchiser les formalités dans le cautionnement : si une légère liberté peut être accordée aux parties quant à la reproduction du modèle légal, la Cour se montre inflexible quant au rôle et à la place de la signature.


(1) CA Rennes, 22 janvier 2010, n° 08/08806 (N° Lexbase : A5135ESY), JCP éd. G, 2010, doctr. 708, n° 2, obs. Ph. Simler, arrêt cassé par Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7), nos obs., La mention manuscrite dans le contrat de cautionnement, encore et toujours !, Lexbase Hebdo n° 251 du 18 mai 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N2752BSQ).
(2) Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.623, F-P+B (N° Lexbase : A7128IUK), D., 2012, p. 2509, obs. V. Avena-Robardet, Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p.11, obs. Ch. Albigès : remplacement de la lettre X par la désignation du débiteur principal ; Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, F-P+B+I (N° Lexbase : A0814KC7), D., 2013, p.1460, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette : substitution du mot "banque" à ceux de "prêteur" et de "créancier".
(3) Cass. civ. 1, 16 mai 2012, n° 11-17.411, F-D (N° Lexbase : A7022ILN), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p.17, obs. Ch. Albigès.
(4) Cass. com., 27 mars 2012, n° 10-24.698, F-D (N° Lexbase : A0015IHZ) et Cass. com., 2 octobre 2012, n° 11-24.460, F-D (N° Lexbase : A9800IT7), JCP éd. G, 2012, 1291, n° 1, obs. Ph. Simler ; Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-25.887, F-D (N° Lexbase : A8820I33), Gaz. Pal., 21 mars 2013, p.15, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
(5) Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-22.831, F-D (N° Lexbase : A8764I3Y). Contra, cf. CA Lyon, 6 septembre 2012, n° 10/07918 (N° Lexbase : A0617ITZ).
(6) Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, préc. ; Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.623, préc..
(7) G. Piette, note préc., sous Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, préc..
(8) G. Piette et J. Lassere-Capdeville, note préc., sous Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, préc..
(9) CA Toulouse 22 mai 2012, n° 11/00598 (N° Lexbase : A7983ILA), JCP éd. G, 2012, doctr. 1291, obs. Ph. Simler ; RDBF, 2012, comm. 149, obs. A. Cerles.

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