La lettre juridique n°881 du 14 octobre 2021

La lettre juridique - Édition n°881

Peines

[Brèves] Conduite sous l’empire d’un état alcoolique : application dans le temps des conséquences de l’annulation de droit du permis de conduire

Réf. : Cass. crim., 12 octobre 2021, n° 21-80.370, F-B (N° Lexbase : A867148N)

Lecture: 3 min

N9115BYA

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par Adélaïde Léon

Le 27 Octobre 2021

► La loi qui supprime la fixation du délai préalable à l’obtention d’un nouveau permis de conduire au profit de l’interdiction, à compter de cette obtention, de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif d’anti-démarrage par éthylotest électronique, a pour effet de rendre la sanction moins sévère et s’applique donc aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée.

Rappel des faits. Poursuivi devant le tribunal correctionnel pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique en récidive légale, un homme a été déclaré coupable et condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, à 400 euros d’amende, à l’annulation de son permis de conduire, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau titre avant un délai de six mois. L’intéressé et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. La cour d’appel a condamné le conducteur à quatre mois d’emprisonnement avec sursis probatoire, à 400 euros d’amende et a constaté l’annulation de son permis de conduire et fixé à trois mois l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau titre. L’intéressé a formé un pourvoi en cassation.

Moyens du pourvoi. Il est fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir constaté l’annulation du permis de conduire du prévenu avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pour une durée de trois mois alors que les dispositions nouvelles relatives à la peine, issue de la loi n° 2019-1428, du 24 décembre 2019, d’orientation des mobilités (N° Lexbase : L1861LUH), en ce qu’elles réduisent la durée pendant laquelle l’intéressé ne peut pas conduire, sont favorables au prévenu et sont donc d’application immédiate.

Décision. La Chambre criminelle censure les conséquences de la peine d’annulation de droit du permis de conduire. En effet, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 a modifié l’article L. 234-13 du Code de la route (N° Lexbase : L3340LUA) pour :

  • supprimer la fixation du délai préalable à l’obtention d’un nouveau permis de conduire ;
  • au profit de l’interdiction, à compter de cette obtention, de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif d’anti-démarrage par éthylotest électronique.

Selon la Cour et en vertu des dispositions 111-3 (N° Lexbase : L2104AMU) et 112-1 (N° Lexbase : L2215AMY) du Code pénal, cette nouvelle modalité de la peine d’annulation rendant cette sanction moins sévère, les nouvelles dispositions avaient vocation à s’appliquer aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée.

En n’appliquant pas ces nouvelles dispositions, la cour d’appel a méconnu les derniers articles précités.

Jugeant qu’elle est en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, la Cour de cassation n’ordonne pas le renvoi.

newsid:479115

Assurances

[Brèves] Le délai de prescription biennale en droit des assurances, prochainement sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel !

Réf. : Cass. QPC, 7 octobre 2021, n° 21-13.251, FS-D (N° Lexbase : A813148N)

Lecture: 1 min

N9110BY3

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Octobre 2021

► Par décision du 7 octobre 2021, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel deux QPC soulevées à l’encontre de l’article L. 114-1 du Code des assurances, qui pose le fameux délai de prescription biennale en droit des assurances, en ce qu’il instaurerait notamment une rupture d'égalité entre les justiciables, au regard du délai quinquennal de droit commun prévu à l’article 2224 du Code civil.

En effet, selon la Haute juridiction, les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP) soumet les actions dérivant du contrat d'assurance engagées par des assurés non professionnels à l'encontre de l'assureur à un délai de prescription de deux ans, alors que le délai de prescription de droit commun, prévu à l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), est de cinq ans, en sorte qu'il pourrait être considéré que la disposition contestée, d'une part, porte atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), d'autre part, instaure une rupture d'égalité entre les justiciables.

En effet, ces assurés, comme les autres consommateurs, se trouvent placés en position de faiblesse à l'égard de leurs cocontractants professionnels. Par ailleurs, la différence ainsi instaurée ne paraît pas justifiée par un motif d'intérêt général.

newsid:479110

Avocats/Champ de compétence

[Brèves] « Droit des enfants » : la nouvelle mention de spécialisation pour les avocats

Réf. : Arrêté du 1er octobre 2021 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2011 fixant la liste des mentions de spécialisation en usage dans la profession d'avocat (N° Lexbase : L4542L8Q)

Lecture: 1 min

N9042BYK

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par Marie Le Guerroué

Le 04 Novembre 2021

► L’arrêté du 1er octobre 2021 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2011 fixant la liste des mentions de spécialisation en usage dans la profession d'avocat a été publié au Journal officiel du 8 octobre 2021 ; les avocats sont désormais autorisés à faire usage du titre d’avocat « spécialiste en droit des enfants ».

CNB. Dans une résolution adoptée le 4 juin 2021, l’Assemblée générale du CNB avait proposé la création de la mention de spécialisation « droit des enfants » (AG CNB, Résolution, 4 juin 2021). Pour l’institution, à l'instar de la spécialisation de la justice des mineurs, la spécificité de l’avocat d’enfants s’est imposée et le besoin d’une défense structurée des mineurs ne cesse de s’accroître tant en matière pénale que civile. Selon elle, l’obtention d’un certificat de spécialisation, mention « droit des enfants », permettra à l’avocat d’enfants de disposer d’une légitimité accrue dans sa relation avec les magistrats et les cadres médicaux-sociaux spécialisés, qui s’inscrirait pleinement dans cette évolution.

Nouveau texte. La proposition a été approuvée par le garde des Sceaux et la nouvelle mention a été ajoutée aux 26 mentions déjà existantes par l’arrêté du 1er octobre 2021. Un nouvel alinéa « - droit des enfants ; » a donc été ajouté à l’article 1er de l'arrêté du 28 décembre 2011.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La formation professionnelle des avocats, Les spécialisations de l'avocat, in La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase (N° Lexbase : E39683RE).

 

newsid:479042

Avocats/Déontologie

[Focus] Le secret des confidences entre un avocat et son client en matière de conseil et la répression des infractions

Lecture: 19 min

N9031BY7

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par Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New York, Vice-président de la commission Libertés et droits de l’Homme du Conseil National des Barreaux

Le 04 Novembre 2021

Par son vote en première lecture en mai dernier de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire », l’Assemblée nationale, avec un avis de sagesse du ministre de la Justice, a indéniablement renforcé la protection du secret des confidences entre un avocat et son client en indiquant clairement, par l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, que « le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : Z80802KZ) portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code ».

Ce texte confirme, une nouvelle fois au regard des précisions successives apportées par le législateur à l’article 66-5 de loi du 31 décembre 1971, que le secret professionnel de l’avocat s’applique en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense. Il conforte la protection du secret des confidences entre l’avocat et son client ainsi que celui des consultations juridiques de l’avocat en confirmant que ce secret est bien opposable aux autorités de poursuite et d’enquête, sauf, bien entendu, lorsque l’avocat aurait sciemment aidé son client à commettre une infraction.

L’Assemblée nationale a su trouver un équilibre entre d’une part la protection nécessaire, dans un État de droit, du secret des confidences entre l’avocat et son client, et d’autre part l’objectif légitime de répression des infractions, notamment financières, puisqu’il n’a jamais été question d’accorder la protection du secret lorsque l’avocat a été l’auteur ou le complice d’une infraction.

Malheureusement, le Sénat, répondant à une inquiétude des services d’enquête, qui nous semble mal fondée, a voté en première lecture un amendement à l’article 3 du projet de loi par lequel le secret professionnel en matière de conseil dans les enquêtes pénales pour fraude fiscale, corruption et trafic d’influence ne serait pas opposable aux enquêteurs et magistrats : « le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête et d’instruction relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 (N° Lexbase : L6015LMQ) et 1743 (N° Lexbase : L3888IZZ) du Code général des impôts, aux articles 433-1 (N° Lexbase : L9482IYT), 433-2 (N° Lexbase : L9474IYK) et 435-1 (N° Lexbase : L5521LZI) à 435-10 (N° Lexbase : L9477IYN) du Code pénal, ainsi qu'au blanchiment de ces délits. »

Cette généralité de la négation du secret en matière de conseil, y compris lorsque l’avocat n’a pas participé à la commission d’une des infractions visées, n’est pas raisonnable ni efficace. Elle omet les vertus du secret des confidences entre un client et son avocat pour permettre à l’avocat de conseiller au mieux son client dans le respect des règles du droit. Elle nie le caractère indissociable du conseil dans l’exercice des droits de la défense. Elle met en péril la compétitivité des avocats français dans le secteur international du droit et de la compliance. Enfin, elle n’ajoute rien aux pouvoirs dont disposent déjà les enquêteurs et magistrats pour recueillir les preuves de la commission des délits visés et que la version de l’article 3 du projet de loi votée par l’Assemblée nationale ne menace pas.

Il revient dorénavant à la Commission mixte paritaire et, si celle-ci n’est pas conclusive, en dernier mot à l’Assemblée nationale, de fixer pour les années à venir le sort en France de l’étendue de la protection des confidences entre un avocat et son client dans le domaine du conseil.

L’enjeu est colossal, et ne nous y trompons pas, il ne concerne pas seulement la confiance que les justiciables, citoyens et entreprises, accordent aux avocats français et à l’État de droit en France. Il a aussi des implications pour l’économie française, la compétitivité de ses entreprises et l’effectivité des programmes de compliance que l’État demande aux entreprises de mettre en œuvre en France avec leurs avocats.

Si l’amendement du Sénat est maintenu dans la version finale de la loi, le régime du secret professionnel en France restera, dans le cadre de la procédure pénale, celui qui existe déjà sous l’empire de la jurisprudence actuelle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation : le secret professionnel de l’avocat n’est opposable aux autorités de poursuite et d’enquête que pour l’exercice des droits de la défense [1]. Selon cette jurisprudence, dans le domaine du conseil, toutes les confidences entre un avocat et son client, leurs correspondances et les consultations juridiques peuvent être saisies par les enquêteurs et magistrats si elles sont utiles à la manifestation de la vérité.

Encore faut-il bien s’entendre sur ce qui relève du domaine du conseil ou celui de la défense, tant les deux sont le plus souvent imbriqués. Or, la Chambre criminelle est allée très loin dans sa conception restrictive du domaine de la défense : les confidences faites à son avocat par un justiciable qui n’est pas encore mis en examen ou qui n’a pas fait l’objet d’une garde à vue ou été placé sous le statut de témoin assisté, restent dans le domaine du conseil et donc peuvent être saisies, écoutées et retranscrites (Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-83.205, FS-P+B, N° Lexbase : A7139Q9B).

À titre  d’exemple, cette jurisprudence, combinée avec l’amendement du Sénat, aurait pour conséquence dans une affaire de corruption, de trafic d’influence ou de fraude fiscale, que les confidences qu’une personne, non encore placée en garde à vue, non-mise en examen ou non placée sous le statut de témoin assisté -y compris lorsque l’enquête est déjà lancée- feraient à son avocat et les consultations juridiques de celui-ci sur la situation de son client pourraient être saisies, car pour la Chambre criminelle, ces confidences et consultations relèvent du domaine du conseil et non de l’exercice des droits de la défense.

Est-ce que les sénateurs savaient au moment de voter que cette jurisprudence de la Chambre criminelle n’est pas partagée par toute la Cour de cassation, ni même par le Conseil d’Etat, y compris en matière fiscale ?

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a déjà admis à plusieurs reprises, sur le fondement de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, que le secret professionnel de l’avocat en matière de conseil est opposable aux autorités publiques pour les consultations de l’avocat et les correspondances entre avocats et clients, y compris dans le cadre de contrôles fiscaux. La saisie de ces consultations juridiques et correspondances, ainsi que des factures de l’avocat, dans le cadre d’un contrôle fiscal du client par l’administration fiscale n’est pas régulière [2]

Le Conseil d’État l’a également jugé, aussi en matière de contrôle fiscal, en annulant une rectification opérée sur le fondement de la saisie de documents couverts par le secret de l’avocat en matière de conseil sans le consentement du client (CE 3° et 8° ch.-r., 12 décembre 2018, n° 414088, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1490YQA).

Les sénateurs auteurs de l’amendement n’ont pas fait état dans leur motivation au soutien de l’amendement de ces dernières jurisprudences ; les connaissaient-ils ?

En revanche, ils ont avancé l’argument selon lequel un très vieil arrêt du 18 mai 1982 de la Cour de justice des communautés européennes, l’arrêt « AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes », interdirait aux États de l’Union européenne de reconnaître le secret professionnel de l’avocat en matière de conseil.

Qu’il nous soit permis d’exprimer un désaccord profond sur cette interprétation du droit européen.

S’il est vrai que cet arrêt ancien n’a admis l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat que pour les avis rendus par des avocats indépendants dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, aucune disposition du droit européen n’interdit aux États membres de l’Union de reconnaître l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat en matière de conseil sous réserve de la non-participation de l’avocat à l’infraction. Et plusieurs dispositions, notamment dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (articles 6, 7, 8, 15, 16, 47 et 48) ou dans la Convention européenne de sauvegarde de droits de l’Homme (articles 6 N° Lexbase : L7558AIR et 8 N° Lexbase : L4798AQR) permettent cette reconnaissance.

Lorsqu’il était membre de l’Union européenne le Royaume-Uni disposait déjà d’un secret professionnel de l’avocat, dénommé legal privilege, qui s’applique en toutes matières, tant dans le domaine du conseil que celui de la défense. Les clients des solicitors (que l’on peut comparer à nos anciens conseils juridiques) peuvent invoquer le legal privilege pour s’opposer à la saisie des confidences qu’ils ont faites à leur solicitor ou bien des consultations juridiques de ces derniers en matière de conseil.

Quelle est la raison de cette règle de droit ? Il est d’usage en France de citer les mots d’Émile Garçon sur le « confident nécessaire » qu’est l’avocat pour son client, comme l’est le médecin pour son patient, ou le prêtre pour le catholique dans la confession. Une autre parole de justice mérite d’être citée, celle de la Chambre des Lords, qui justifie le legal privilege comme « …un corolaire nécessaire au droit de chaque personne d’obtenir des conseils juridiques provenant de personnes qualifiées (…). Un tel conseil ne peut être obtenu de façon efficace à moins que le client soumette tous les faits à son conseil sans avoir peur qu’ils puissent être ultérieurement divulgués et utilisés à son encontre » [3].

Aux États-Unis, le legal privilege est aussi opposable, tant en matière de défense que de conseil, aux autorités et à la partie adverse dans les procédures de discovery. La définition du legal privilege peut différer quelque peu selon les Etats et l’Etat fédéral mais l’on peut retenir celle donnée par le tribunal fédéral du district du Massachussets dans une décision du 10 mars 1950 : « the privilege applies only if (1) the asserted holder of the privilege is or sought to become a client ; (2) the person to whom the communication was made (a) is a member of the bar of a court, or his subordinate and (b) in connection with this communication is acting as a lawyer ; (3) the communication relates to a fact of which the attorney was informed (a) by his client (b) without the presence of strangers (c) for the purpose of securing primarily either (i) an opinion on law or (ii) legal services or (iii) assistance in some legal proceeding, and not (d) for the purpose of committing a crime or tort; and (4) the privilege has been claimed and (b) not waived by the client.”  [4].

Certes, comme le rappelle Monsieur le conseiller référendaire Nicolas Michon dans un article pertinent sur le sujet, dont nous ne partageons pas toutes les conclusions, il existe en droit nord-américain une exception au legal privilege dans les cas de crime ou de fraude « qui dépasse la participation de l’avocat à une fraude ou une infraction…notamment lorsque le client consulte un avocat pour des conseils qui lui serviront à commettre une fraude » [5].

Toutefois, nous pouvons critiquer l’étendue de cette exception : si un client consulte un avocat avec l’intention de frauder la loi, il ne peut ressortir de son cabinet, si l’avocat ne participe pas à la fraude, qu’avec des conseils pour la respecter. Il ne faut jamais oublier que l’avocat, respectueux de sa déontologie et du droit, est le deuxième ouvrier de l’œuvre de la loi, après le législateur et avant le juge. Qu’on cesse d’insinuer qu’il serait complice par nature dans le crime !

Mais l’amendement du Sénat ne prend même pas en compte l’exception de l’opposabilité du legal privilege admise par la Common Law. Il éradique de manière générale toute protection du secret en matière de conseil même si le client n’a pas cherché des conseils juridiques pour commettre une fraude et même si l’avocat n’a pas participé à la fraude !

Dans les pays de Common Law, le legal privilege est bien opposable aux autorités dans le domaine du conseil, sauf l’exception citée ci-dessus, et il n’est pas restreint, comme le juge en France la Chambre criminelle de la Cour de cassation ou le voudrait le Sénat pour le secret professionnel de l’avocat, à l’exercice des droits de la défense. Il est même reconnu pour les avis juridiques rendus par les in-house counsels, les avocats en entreprise.

Pourquoi en serait-il différemment en France ?

Aucune raison ne justifie que les justiciables clients des avocats français soient traités plus durement que ceux des avocats des pays de Common Law.

Au soutien de leur amendement, les sénateurs qui l’ont rédigé ont évoqué la crainte que le secret professionnel de l’avocat en matière de conseil ne soit une entrave à l’efficacité des enquêtes pénales pour fraude fiscale, corruption, trafic d’influence et blanchiment de ces délits.

Or, cette crainte n’est pas fondée dans la mesure où ni le droit actuel ni le texte voté par l’Assemblée nationale en première lecture du projet de loi n’interdisent aux enquêteurs de saisir les correspondances entre un avocat et son client ou les consultations juridiques qui contiendraient la preuve de la participation de l’avocat à la commission de ces délits ou bien encore les documents commerciaux, juridiques, comptables ou financiers du client, telle que ses contrats, sa comptabilité ou ses factures.

En réalité, comme l’a dénoncé fort justement le Conseil national des barreaux dans sa motion du 17 septembre 2021, l’amendement du Sénat traduit une « confusion inacceptable … entre, d’une part, les pièces d’un justiciable, qui ne sont pas couvertes par le secret professionnel de l’avocat et qui sont saisissables dans le cadre des enquêtes pénales si cela est utile à la manifestation de la vérité et, d’autre part, les consultations d’avocat, les correspondances entre avocat et client et les factures de l’avocat au client, qui sont couvertes par le secret et ne doivent en aucun cas pouvoir être saisies, sauf si elles recèlent la preuve de la participation de l’avocat à une infraction pénale. »

À l’heure où nous écrivons ces lignes, un nouveau scandale de fraude fiscale, révélé par le Consortium international des journalistes d’investigation dans une affaire dite Pandora Papers, met en cause des cabinets d’avocats qui auraient participé à la création de montages juridico-financiers afin d’aider leurs clients à commettre des actes de fraude fiscale.

Si l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire » était voté dans la version initiale de l’Assemblée nationale, les enquêteurs et magistrats Français, dans l’hypothèse où la justice française serait saisie de certains de ces cas, pourraient effectuer des investigations contre les cabinets d’avocats en France qui auraient participé à ces fraudes. L’amendement du Sénat n’ajoute rien aux pouvoirs d’investigations déjà reconnus en la matière.

En revanche, par sa négation générale du secret professionnel dans le domaine du conseil, y compris lorsque l’avocat n’a pas participé à la fraude, l’amendement du Sénat met en péril la confiance nécessaire que tout citoyen ou toute entreprise doit pouvoir trouver en son avocat.

Cette défiance manifestée par les sénateurs envers les avocats et leur mission de conseil ne manquera pas de produire des effets pervers qui sont préjudiciables, non seulement à l’État de droit et en la confiance des justiciables en la justice mais aussi à l’économie française, la compétitivité de ses entreprises et l’effectivité des programmes de compliance que l’État demande aux entreprises de mettre en œuvre en France avec leurs avocats.

Si les avocats français ne peuvent plus être considérés comme des partenaires de confiance par leurs clients dans leurs activités de conseil, si les confidences qui leur sont faites peuvent se retourner contre leurs clients, par un contournement des règles interdisant la contrainte de l’auto-incrimination, les citoyens ou entreprises se détourneront des avocats français pour être informés de leurs droits par des avocats, formés au droit français, d’un autre État qui reconnaît la protection de ce secret. Autre effet pervers de cette restriction de la protection du secret professionnel de l’avocat, l’État ne pourra plus compter sur les avocats français pour la mise en place des programmes de conformité dans les entreprises en France.

À titre d’exemple, n’oublions pas que les avocats, par les conseils qu’ils donnent à leurs clients, peuvent dissuader leurs clients de recourir à des montages illégaux ou risqués juridiquement. Encore faut-il, pour que les avocats puissent prodiguer des conseils appropriés, que leurs clients puissent leur exposer leur situation complète en confiance et donc qu’ils soient assurés que leurs confidences sont protégées de toute révélation ultérieure.

La tentation de l’administration de disposer du pouvoir d’aller chercher dans le cabinet d’avocat les confidences des citoyens et entreprises se double même d’une volonté de voir les avocats devenir délateurs de leurs clients. Les avocats sont pourtant déjà soumis à une obligation de déclaration de soupçons en matière de blanchiment. Des projets de les voir soumis à une obligation de déclaration de soupçons pour les infractions primaires sont à l’étude.

Cette négation du rôle légitime de l’avocat respectueux des lois n’est pas propre à la France. Récemment en Belgique, la Cour constitutionnelle Belge a mis un terme à cette dérive en annulant le 24 septembre 2020 une disposition législative qui imposait aux avocats Belges de procéder à une déclaration de soupçon d’une opération suspecte même si leurs clients, après avoir consulté leur avocat, avaient renoncé à cette opération (Cour constitutionnelle, arrêt n° 2020-114 du 24 septembre 2020) :

« Le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable…

Le secret professionnel de l’avocat est un principe général qui participe du respect des droits fondamentaux ; pour ce motif et en application du principe général de prévisibilité des incriminations, les règles dérogeant à ce secret ne peuvent être que de stricte interprétation (…). Ainsi la règle du secret professionnel ne doit-elle céder que si cela peut se justifier par un motif impérieux d’intérêt général et si la levée du secret est strictement proportionnée….

Les informations dont l’avocat a connaissance au sujet d’une opération ou d’une tentative d’opération suspecte que son client, sur ses conseils, renonce à exécuter sont connues de l’avocat dans le cadre de l’exercice de son activité de conseil juridique …sont couvertes par le secret professionnel et échappent à l’obligation de déclaration de soupçons…(B.17)".

Cette dérive existe aussi en France et elle doit cesser.

L’adoption de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire », dans sa version votée par l’Assemblée nationale en première lecture, est de nature à respecter l’équilibre entre la protection des confidences entre l’avocat et son client et l’objectif légitime de répression des infractions.

L’amendement du Sénat à cet article 3, par sa négation générale du secret professionnel du conseil de l’avocat est contraire au principe constitutionnel des droits de la défense. Il est vain de croire que la distinction entre conseil et défense est nette. Le conseil est consubstantiel à la défense et c’est pourquoi les avocats qui le savent bien soutiennent que ce secret est indivisible.

Permettre la saisie des confidences entre un avocat et son client ainsi que des consultations juridiques lorsque l’avocat n’a pas participé à l’infraction, c’est contourner le droit à ne pas s’auto-incriminer posé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Si l’amendement du Sénat est finalement adopté, il sera similaire à une obligation pour l’avocat de venir témoigner à la barre d’un tribunal pour révéler les confidences entre lui et son client et dire ce qu’il lui a conseillé ou déconseillé.

Si au cours des débats au sein de la commission mixte paritaire un accord n’est pas trouvé pour la suppression de l’amendement du Sénat, à tout le moins que les parlementaires précisent que la restriction souhaitée par les sénateurs ne trouvera à s’appliquer qu’en cas de participation de l’avocat à la commission de l’une des infractions visées par le texte de l’amendement. Il suffirait pour cela qu’ils ajoutent la précision à la fin du texte indiquée après le si suivant : « Le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête et d’instruction relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, aux articles 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du Code pénal, ainsi qu'au blanchiment de ces délits si les documents couverts par ce secret recèlent intrinsèquement la preuve de la participation intentionnelle de l’avocat à la commission de l’une de ces infractions. »

Lire aussi : Dossier spécial « Secret professionnel et droits de la défense », in Lexbase Pénal, avril 2021 (N° Lexbase : N7342BYL)
 

[1] Cass. crim., 30 septembre 1991, n° 91-84.403 (N° Lexbase : A0322ABK) ; Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-84.304, FS-P+B+I (N° Lexbase : A551937K).

[2] Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.008, FS-P+B (N° Lexbase : A6622IKH) ; Cass. com., 26 novembre 2013, n° 12-27.162, F-D (N° Lexbase : A4738KQK) ; Cass. com., 6 décembre 2016, n° 15-14.554, F-P+B (N° Lexbase : A3841SPX).

[3] R. Morgan Grenfell & Co. Ltd v. Special Commissioner of Income Tax et al., (2003) A.C. 563; (2002) 2 W.L.R. 1299 at 1302, per Lord Hoffman – Cité par Thomas Baudesson et Peter Rosher in Le secret professionnel face au legal privilège, RDAI/IBJL, n°1, 2006.

[4] United States v. United Shoe MacHinery Corporation, 89 F. Supp. 357 (D. Mass. 1950).

[5] N. Michon, Legal privilege et secret professionnel : éléments de comparaison, AJ Pénal, 2019 p. 588

newsid:479031

Commercial

[Textes] Le Registre national dématérialisé des entreprises

Réf. : Ordonnance n° 2021-1189, du 15 septembre 2021, portant création du Registre national des entreprises (N° Lexbase : L8996L7C)

Lecture: 18 min

N9067BYH

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par Benoît Joyeux, Responsable du pôle de droit des affaires du CRIDON Sud-Ouest

Le 13 Octobre 2021


Mots-clés : RNE • Registre national des entreprises • RCS • répertoire des métiers • registre de l’agriculture • CFE • guichet unique • déclaration notariée d’insaisissabilité • EIRL • conjoint commun en biens

À compter du 1er janvier 2023, toutes les entreprises exerçant sur le territoire français une activité de nature commerciale, artisanale, agricole ou libérale auront l’obligation de s’immatriculer auprès d’un nouveau registre, le Registre national des entreprises (RNE), et d’y renseigner, tout au long de leurs existences, l’ensemble des informations et pièces relatives à leurs situations.


 

Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement avait été autorisé [1], à des fins de simplification des démarches des entreprises, de réduction des coûts et des délais de traitement, notamment administratifs, et d'amélioration de l'accès aux informations relatives à la vie des entreprises, à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la publication de la loi dite « PACTE » du 22 mai 2019 (loi n° 2019-486 N° Lexbase : L3415LQK), des dispositions permettant notamment :

- d’une part, de créer un registre général dématérialisé des entreprises précisant la nature de leur activité, notamment artisanale ou agricole, et ayant pour objet le recueil, la conservation et la diffusion des informations concernant ces entreprises et de déterminer le régime juridique applicable à ce registre ;

- et d’autre part, de simplifier les obligations déclaratives des personnes immatriculées dans les registres et répertoires existants et les modalités de contrôle des informations déclarées.

Cette ordonnance, portant création du Registre national des entreprises (ou RNE), a été publiée, le 16 septembre 2021, au Journal officiel de la République française. Ses dispositions devront être complétées par des décrets, et elles entreront en vigueur le 1er janvier 2023 [2].

Le RNE, réalisé sous format numérique, sera régi par les nouveaux articles L. 123-36 (N° Lexbase : L9680L7N) et suivants du Code de commerce, créés par l’article 2 de l’ordonnance n° 2021-1189  [3].

La tenue de ce RNE est confiée à l’INPI [4].

À compter du 1er janvier 2023, le RNE se substituera totalement à certains répertoires et registres d'entreprises existants, ainsi disparaîtront :

- le répertoire des métiers (ou registre des entreprises en Alsace-Moselle) pour les activités relevant du secteur des métiers et de l’artisanat, géré par les chambres des métiers et de l’artisanat ;

- le registre de l’agriculture pour les activités agricoles, géré par les chambres d’agriculture ;

- le registre national du commerce et des sociétés, centralisant le RCS, géré par l’INPI [5].

En revanche, demeureront :

- le répertoire national des entreprises et de leurs établissements (SIRENE), tenu par l'Insee ;

- les registres tenus par les greffiers des tribunaux de commerce (le RCS) et les greffes des tribunaux d'instance dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;

- les registres tenus par les greffes des tribunaux de première instance statuant en matière commerciale dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Walis et Futuna, de la Polynésie française, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ;

- le registre spécial des agents commerciaux et le registre spécial des EIRL, tenus par les greffiers des tribunaux de commerce ou des tribunaux statuant en matière commerciale [6].

L’immatriculation au RNE deviendra, à compter du 1er janvier 2023, une obligation pour les entreprises (I). Cette formalité reposera sur la transmission dématérialisée d’un nombre certain de données à un guichet unique électronique des entreprises, créé à cet effet et se substituant aux centres de formalités des entreprises (II).

I. L’obligation de s’immatriculer au RNE

Il convient, d’une part, d’identifier les personnes qui seront tenues de s’immatriculer auprès du nouveau registre (A) et, d’autre part, de signaler les modifications qui seront apportées aux formalités et déclarations que devront accomplir certains entrepreneurs individuels (B).

A. Les personnes tenues de s’immatriculer au RNE

1°) Leur identification

Seront tenues de s’immatriculer au RNE sur leurs déclarations [7], les entreprises suivantes exerçant sur le territoire français une activité de nature commerciale, artisanale, agricole ou indépendante, savoir :

- les personnes physiques ayant la qualité de commerçant ;

- les sociétés et groupements d’intérêt économique jouissant de la personnalité morale ;

- les sociétés commerciales étrangères ayant un établissement en France ;

- les établissements publics français à caractère industriel ou commercial ;

- les autres personnes morales dont l’immatriculation au RCS est prévue par des lois et règlements ;

- les représentations commerciales ou agences commerciales des États, collectivités ou établissements publics étrangers établis en France ;

- les agents commerciaux ;

- les artisans ;

- les personnes exerçant une activité agricole au sens du Code rural et de la pêche maritime ;

- les personnes physiques exerçant en France une activité économique régulière et professionnelle, y compris une activité libérale réglementée ou non ;

- les entreprises étrangères sans établissement stable en France.

2°) Le maintien de l’immatriculation aux registres non supprimés (ou la pluri-immatriculation)

Toutes les personnes physiques et morales actuellement tenues de s’immatriculer au RCS [8] et les agents commerciaux tenus de s’immatriculer sur le registre spécial [9], demeureront toujours tenus d’être immatriculés à ces registres. À cette immatriculation obligatoire, s’ajoutera celle au RNE.

En revanche, pour les personnes physiques dont les registres disparaîtront, leur obligation d’immatriculation sera remplacée par une immatriculation unique au RNE. Seront concernées les personnes physiques exerçant une activité exclusivement artisanale ou exclusivement agricole.

B. Des dispositions spécifiques à certains entrepreneurs individuels

1°) Concernant les entrepreneurs individuels souscripteurs d’une déclaration notariée d’insaisissabilité

Les déclarations notariées d’insaisissabilité (DNI) souscrites par les entrepreneurs individuels immatriculés au RCS ou au registre spécial des agents commerciaux ou bien à celui des EIRL, ainsi que les renonciations totales ou partielles à l’insaisissabilité par ces mêmes personnes demeureront mentionnées sur ces registres [10]. En revanche, si l’entrepreneur individuel déclarant ou renonçant n’est immatriculé à aucun de ces registres précités, la DNI et, le cas échéant, la renonciation totale ou partielle à celle-ci, seront uniquement mentionnées au RNE, et non plus sur un support habilité à recevoir les annonces légales [11].

De plus, que l’entrepreneur individuel souscrivant ou renonçant totalement ou partiellement à une DNI soit ou non immatriculé au RCS, au registre spécial des agents commerciaux, ou bien à celui des EIRL, dans tous les cas, mention devra en être faite au RNE [12].

Par ailleurs, il convient de relever que la publication de la DNI ou de la renonciation totale ou partielle à celle-ci, qui aurait été faite sur un support habilité à recevoir les annonces légales, avant le 1er janvier 2023, continuera à produire tous ses effets après cette date [13].

2°) Concernant les entrepreneurs individuels mariés sous un régime communautaire

Jusqu’au 31 décembre 2022, seuls les entrepreneurs individuels exerçant une activité commerciale ou artisanale et mariés sous un régime de communauté légale ou conventionnelle sont tenus, lors de leur demande d’immatriculation au RCS ou au répertoire des métiers, de justifier que leur conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de leur profession, tel que le prévoit l’article L. 526-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5728IM4).

À compter du 1er janvier 2023, cette même obligation d’information – visant à protéger le conjoint commun en biens – s’appliquera à tous les entrepreneurs individuels mariés sous un régime de communauté, y compris et désormais à ceux exerçant une activité agricole ou libérale. En effet, l’article 526-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L9700L7E), modifié par l’article 11 de l’ordonnance n° 20212-1189, s’appliquera, à compter de cette date, lors de la demande d’immatriculation de l’intéressé au RNE notamment.

3°) Concernant les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée

À compter du 1er janvier 2023, la constitution d’un patrimoine d’affectation par un entrepreneur ayant adopté le statut d’EIRL résultera d’une déclaration effectuée [14] :

- soit au RCS, si l’activité est commerciale ;

- soit au RNE, si l’activité est artisanale ;

- soit au registre spécial des agents commerciaux, s’il s’agit de l’activité d’agent commercial ;                  

- soit au registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant commercialement, pour toutes les autres activités.

S’agissant des déclarations de constitution d’un patrimoine d’affectation qui auront été effectuées par des artisans ou des agriculteurs avant le 1er janvier 2023, et dès que l’entrée en vigueur (au 1er janvier 2023) des dispositions de l’ordonnance entraînera le rattachement de l’EIRL à un nouveau registre, les mentions inscrites et l'ensemble des documents publics déposés par l’EIRL au répertoire des métiers par l’artisan, ou au registre de l’agriculture par l’agriculteur, seront transférés par l’organisme teneur de ce registre à celui nouvellement compétent. Si l’activité de l’EIRL est artisanale, les mentions inscrites et l'ensemble des documents publics déposés au répertoire des métiers seront transférés par la chambre des métiers et de l’artisanat au RNE. Si l’activité de l’EIRL est agricole, les mentions inscrites et l'ensemble des documents publics déposés au registre de l’agriculture seront transférés par la chambre de l’agriculture au registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant commercialement [15].

II. Les données transmises au RNE

Au préalable, il convient de relever que, contrairement à ce que les termes de l’article L. 123-37, nouveau, du Code de commerce (N° Lexbase : L9679L7M) pourraient laisser à penser, les inscriptions d’informations ou les dépôts de pièces annexées au RNE ne seront pas effectués directement audit registre par les personnes tenues de s’immatriculer, mais par l’intermédiaire du guichet unique électronique des entreprises mentionné à l’article L. 123-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L8959LQU) [16]. Le rapport au Président de la République précise, dans le même sens, que : « L'alimentation et la mise à jour de ce registre seront exclusivement assurées par l'intermédiaire de l'organisme unique mentionné à l'article 1er de la loi PACTE, qui succède, à la date d'ouverture du registre, aux centres de formalités des entreprises » [17]. Ceci précisé, il faut envisager successivement l’identification des informations et pièces qui devront faire l'objet d'une inscription ou d'un dépôt au RNE (A), et leur contrôle avant publication (B).

A. Leur identification

Les informations et pièces qui devront faire l'objet d'une inscription ou d'un dépôt au RNE, selon les catégories d'entreprises, sont simplement évoquées par l’article L. 123-37, nouveau, du Code de commerce. Ce texte renvoie, d’une part, à l’application d’autres dispositions du Code de commerce spécifiques à chaque entreprise individuelle ou sociétaire et, d’autre part, aux précisions qui seront apportées par un décret à paraître.

Ceci relevé, il est néanmoins possible, dès aujourd’hui, et en se fondant sur les termes de cet article L. 123-37 nouveau, d’identifier les informations, actes et pièces qui devront, le 1er janvier 2023, faire l’objet d’une inscription au RNE, ou d’un dépôt pour y être annexés. Cette identification s’effectuera en distinguant selon le type d’entreprise en présence.

1°) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 6° du I de l’article L. 123-1 du Code de commerce

Plus précisément, les personnes physiques ayant la qualité de commerçant, les sociétés et groupements d’intérêt économique jouissant de la personnalité morale, les sociétés commerciales étrangères ayant un établissement en France, les établissements publics français à caractère industriel ou commercial, les autres personnes morales dont l’immatriculation au RCS est prévue par des lois et règlements, les représentations commerciales ou agences commerciales des États, collectivités ou établissements publics étrangers établis en France devront inscrire au RNE, ou y déposer en annexe, l'ensemble des informations, actes et pièces figurant au registre du commerce et des sociétés en application du II de l'article L. 123-1 (N° Lexbase : L5559AIQ) et de toute disposition législative ou réglementaire particulière.

Très exactement et concrètement, il s’agira des informations et pièces mentionnées aux articles R. 123-37 (N° Lexbase : L7584LSP) et suivants du Code de commerce, dispositions relatives aux déclarations incombant aux personnes physiques et morales tenues à immatriculation au RCS. Ces dispositions seront éventuellement modifiées par le décret à paraître.

2°) Pour l’agent commercial

Un agent commercial devra inscrire au RNE, ou y déposer en annexe, l'ensemble des informations et pièces figurant au registre spécial des agents commerciaux, c’est-à-dire, celles prévues par les articles R. 134-5 (N° Lexbase : L7593LSZ) et suivants du Code de commerce.

3°) Pour les sociétés commerciales (SARL, SA, SAS, SCA et les SNC dont tous les associés sont des SARL ou des sociétés par actions)

Ces sociétés devront inscrire au RNE, ou y déposer en annexe, l’ensemble des documents prévus par les articles L. 232-25 (N° Lexbase : L7285LQU) et L. 232-26 (N° Lexbase : L7286LQW) du Code de commerce, relatifs aux comptes annuels et, le cas échéant, aux comptes consolidés qui sont déposés au RCS, le rapport de gestion, le rapport sur la gestion du groupe, les rapports des commissaires aux comptes, le rapport du conseil de surveillance, la déclaration de confidentialité, la proposition d’affectation du résultat soumise à l’assemblée et la résolution de l’affectation votée.

4°) Pour les sociétés et GIE dotés de la personnalité morale, les sociétés commerciales étrangères ayant un établissement en France, et les autres personnes morales soumises à immatriculation

Ces sociétés et entités devront inscrire au RNE, ou y déposer en annexe, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs définies par l’article L. 561-46 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0696LWP). Ces informations portent sur les éléments d'identification et le domicile personnel de ces bénéficiaires, ainsi que sur les modalités du contrôle que ces derniers exercent sur la société ou l'entité.

5°) Pour les entrepreneurs individuels ayant souscrit une déclaration notariée d’insaisissabilité

Ces entrepreneurs individuels devront inscrire au RNE, ou y déposer en annexe, l'information relative à l'existence de la déclaration d'insaisissabilité, ou à la renonciation à une telle insaisissabilité ou à l'insaisissabilité des droits sur la résidence principale.

6°) Pour les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL)

Ces entrepreneurs devront inscrire au RNE, ou y déposer en annexe, les informations et pièces relatives à la constitution et à la composition du patrimoine d’affectation, mais également et notamment le bilan et les éventuels documents comptables, ainsi que les informations relatives aux évènements affectant le fonctionnement et le sort de l’entreprise.

B. Le contrôle des données et leur accessibilité

« Un mécanisme innovant de validation des données déclarées et de contrôle de l'accès à l'activité ou de l'exercice de celle-ci est institué, au profit des sociétés et des entreprises individuelles, commerciales, du secteur des métiers et de l'artisanat ou dirigées par un actif agricole. Cette validation et ce contrôle sont réalisés par trois autorités distinctes, selon la forme juridique ou la nature de l'activité exercée par l'entreprise [...] » [18].

1°) Le contrôle et la validation préalables des données par certaines autorités

Les informations déclarées et les pièces transmises par la personne tenue à l'immatriculation ne seront inscrites et déposées au RNE qu’après validation par certaines autorités [19]. Ces autorités contrôleront que les entreprises relevant de leur champ de compétence satisfont aux conditions nécessaires à l'accès à leur activité ou à l'exercice de celle-ci [20]. Étant ici précisé que le fait de donner, de mauvaise foi, des indications inexactes ou incomplètes en vue d'une immatriculation, d'une modification de sa situation ou de la radiation du RNE sera puni d'une amende de 4 500 euros et d'un emprisonnement de six mois [21].

a) La validation et les contrôles opérés par les greffiers des tribunaux de commerce ou des tribunaux judiciaires statuant en matière commerciale

Lorsque la personne soumise à immatriculation au RNE est une personne physique commerçante, une société ou un GIE jouissant de la personnalité morale, une société commerciale étrangère ayant un établissement en France, un EPIC, une autre personne morale soumise à immatriculation au RCS, une représentation commerciale ou agence commerciale d’un État, d’une collectivité ou d’un établissement public étranger établi en France, un agent commercial, une personne physique ayant choisi d’exercer son activité agricole ou libérale sous le régime de l’EIRL : les inscriptions d'informations et les dépôts de pièces au Registre national des entreprises seront validés par le greffier du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant en matière commerciale [22].

Il doit être ici observé que la décision d'inscription d'une information ou le constat du dépôt d'une pièce au RCS, au registre spécial des agents commerciaux ou à celui des EIRL par l’une des autorités précitées, après réalisation des contrôles qui lui incombent, emportera validation de l'inscription de cette information ou du dépôt de cette pièce auprès du RNE [23].

b) La validation et les contrôles opérés par les présidents des chambres de métiers et d'artisanat

Lorsque la personne soumise à immatriculation au RNE est une personne physique ou morale exerçant une activité relevant du secteur des métiers et de l'artisanat mentionnées à l'article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 (N° Lexbase : L9475A8G) : les inscriptions d'informations et les dépôts de pièces au RNE seront validés par le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de région ou, par délégation, le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de niveau départemental [24].

Ces autorités contrôleront notamment que les conditions de qualification professionnelle requises sont effectivement respectées [25].

Ces mêmes autorités et le personnel des chambres des métiers et de l’artisanat vérifieront également que les personnes physiques ou les dirigeants des sociétés exerçant l’activité artisanale ne sont pas frappés de l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise individuelle ou sociétaire [26] ou de la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité pour crime ou délit [27]. Pour opérer ce contrôle, les autorités et le personnel précités pourront demander communication au Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce des informations et des données à caractère personnel enregistrées dans le fichier national automatisé des interdits de gérer [28].

Dès lors que la personne satisfera aux validations et contrôles opérés, elle sera alors immatriculée au RNE avec la mention « entreprise du secteur des métiers et de l’artisanat », sans que cela ne la dispense, le cas échéant, de son immatriculation au RCS. Tel sera notamment le cas de l’artisan accomplissant également des actes de commerce [29].

c) La validation et les contrôles opérés par les caisses départementales ou pluridépartementales de mutualité sociale agricole

Lorsque la personne soumise à immatriculation au RNE est une personne physique exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-2 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L1837IKA), les inscriptions d'informations et les dépôts de pièces au RNE sollicités à l'occasion de demandes d'immatriculation, d'inscriptions modificatives et de radiations, seront validés par la caisse départementale ou pluridépartementale de mutualité sociale agricole [30].

Dès lors que la personne satisfera aux validations et contrôles opérés, elle sera alors immatriculée au RNE avec la mention « entreprise dirigée par un actif agricole », sans que cela ne la dispense, le cas échéant, de son immatriculation au RCS. Tel sera notamment le cas de l’agriculteur accomplissant également des actes de commerce [31].

2°) L’accès aux données

a) Un accès public gratuit et dématérialisé, mais limité

Les informations inscrites et pièces annexées au RNE seront mises gratuitement à la disposition du public, sous forme électronique, à des fins de consultation ou de réutilisation. Toutefois, le grand public ne pourra accéder qu’à certaines informations relatives à l’identité et au domicile des personnes physiques. De même, il ne pourra pas consulter les documents comptables couverts par une déclaration de confidentialité [32].

b) Un accès sans restriction

En revanche, l’intégralité des informations inscrites et pièces annexées au RNE sera librement consultable, et sans restriction, non seulement par les personnes immatriculées elles-mêmes, mais également par les autorités, administrations, officiers de police judiciaire déterminés par l’article L. 123-53 nouveau (N° Lexbase : L9664L73) et par les autorités qui le seront par un décret en Conseil d’État [33].

 

[1] Loi n° 2019-486, du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, art 2 (dite loi « PACTE »).

[2] Ord. n° 2021-1189, art. 47 : « Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er janvier 2023, à l'exception de celles de l'article 46 [relatives aux prérogatives de l’INPI pour constituer le RNE] qui entrent en vigueur le lendemain de sa publication »

[3] Ord. n° 2021-1189, art. 2 : « 4° Après l'article L. 123-35 [du Code de commerce], est insérée une section 5 ainsi rédigée : "Section 5 - "Du registre national des entreprises" ».

[4] C. com., art. L. 123-50, nouv. (N° Lexbase : L9659L7U).

[5] À ne pas confondre avec le RCS tenu par les greffiers des tribunaux de commerce ou par les greffes des tribunaux dans certains départements et territoires.

[6] Sur tous ces points et en ce sens, v. not. C. com., art. L. 123-42 (N° Lexbase : L9682L7Q), créé par ord. n° 2021-1189, art.2.

[7] C. com, art. L. 123-36 (N° Lexbase : L9680L7N), créé par ord. n° 2021-1189, art. 2.

[8] C. com, art. L. 123-1 (N° Lexbase : L9676L7I), mod. par ord. n° 2021-1189, art. 2.

[9] C. com., art. L. 134-1 (N° Lexbase : L9693L77), mod. par ord. n° 2021-1189, art. 6.

[10] C. com., art. L. 526-2, al. 2 (N° Lexbase : L9699L7D), mod. par ord. n°2021-1189, art. 11.

[11] C. com., art. L. 526-2, al. 3, mod. par ord. n° 2021-1189, art. 11.

[12] C. com., art. L. 123-37, 5° nouveau (N° Lexbase : L9679L7M) et art. L. 526-2, mod. par ord. n° 2021-1189, art. 11.

[13] Ord. n° 2021-1189, art. 45, I.

[14] C. com., art. L. 526-7 (N° Lexbase : L9702L7H), si l’activité est artisanale, mod. par ord. n° 2021-1189, art. 11.

[15] Ord. n° 2021-1189, art. 45, II.

[16] Sur cette question v. C. com., art. L. 123-50, nouv. (N° Lexbase : L9659L7U).

[17] V. rapport au Président de la République, préc..

[18] Rapport au Président de la République, préc..

[19] C. com., art. L. 123-39, nouv. (N° Lexbase : L9683L7R).

[20] C. com., art. L. 123-40, nouv. (N° Lexbase : L9684L7S).

[21] C. com., art. L. 123-38, nouv. (N° Lexbase : L9681L7P).

[22] C. com., art. L. 123-41, nouv. (N° Lexbase : L9685L7T).

[23] C. com., art. L. 123-42, nouv. (N° Lexbase : L9682L7Q).

[24] C. com., art. L. 123-43, nouv. (N° Lexbase : L9687L7W).

[25] C. com., art. L. 123-45, nouv. (N° Lexbase : L9690L7Z).

[26] Interdiction prévue par l’art. L. 653-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L2082KG9).

[27] Peine complémentaire prévue au 11° de l'article 131-6 du Code pénal (N° Lexbase : L8530LX9).

[28] C. com., art. L. 123-44, nouv. (N° Lexbase : L9686L7U).

[29] C. com., art. L. 123-46, nouv. (N° Lexbase : L9689L7Y).

[30] C. com., art. L. 123-48, nouv. (N° Lexbase : L9691L73).

[31] C. com, art. L. 123-49, nouv. (N° Lexbase : L9661L7X).

[32] C. com., art. L. 123-52, nouv. (N° Lexbase : L9662L7Y).

[33] Sur cette question, v. C. com., art. L. 123-52, al. 3 et art. L. 123-53 (N° Lexbase : L9664L73).

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Contrats administratifs

[Brèves] Pas de force majeure en cas d'inexécution par une personne publique d'un contrat du fait des manquements d'un autre de ses cocontractants

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 4 octobre 2021, n° 440428, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A210248D)

Lecture: 4 min

N9041BYI

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par Yann Le Foll

Le 13 Octobre 2021

L'inexécution par une personne publique d'un contrat du fait des manquements d'un autre de ses cocontractants ne saurait constituer un cas de force majeure l’exonérant de sa responsabilité contractuelle.

Faits. Un stade municipal a été mis à la disposition, dans la durée, d'un club sportif en vue de l'organisation de rencontres de football programmées et, exceptionnellement, d'un autre cocontractant en vue de l'organisation d'un concert. Un accident mortel a été causé, au cours des opérations de montage de la scène de ce spectacle, par l'effondrement d'une structure métallique. Le stade a été rendu par suite indisponible pour accueillir, un mois plus tard, une rencontre sportive programmée.

Exclusion de la force majeure. L'indisponibilité du stade, bien que résultant de fautes commises par le cocontractant de la commune et les sous-traitants de celui-ci dans le montage de la structure scénique, n'aurait pu survenir sans la décision initiale de la commune de mettre le stade à disposition de ce cocontractant pour l'organisation d'un concert. Dès lors, l'effondrement de la structure scénique et l'accident mortel qui s'en est suivi ne résultent pas de faits extérieurs à cette commune et, dès lors, ne constituent pas un cas de force majeure de nature à l'exonérer de toute responsabilité contractuelle vis-à-vis du club sportif (censure CAA Marseille, 6 mars 2020, n° 19MA02108 N° Lexbase : A76053H7).

Rappelons que, dans son arrêt du 29 janvier 1909, « Compagnie des messageries maritimes », le juge administratif a considéré que pour être qualifiable de force majeure, l’évènement devait satisfaire aux conditions d’extériorité par rapport aux parties (CE, 9 novembre 1955, Société des transports routiers Aviat et Cie), d’imprévisibilité (à tout le moins, de ses conséquences) au moment de la conclusion du contrat (CE, 24 avril 1959, Secrétaire d’État aux Forces Armées c/ Établissements Forestiers), et d’irrésistibilité (CE, 23 juillet 1952, Société Les Avis Lesseure) au regard des moyens dont dispose le cocontractant pour l’exécution de ses obligations. 

Responsabilité contractuelle de la commune. La commune de Marseille n'ayant pas été en mesure de mettre le stade Vélodrome à disposition de la société Olympique de Marseille en vue de cette rencontre sportive, cette dernière, qui s'est trouvée contrainte d'organiser la rencontre dans un autre lieu sans que cela résulte de sa seule initiative. La société Olympique de Marseille est donc fondée à demander la réparation du préjudice qui en est résulté pour elle.

Évaluation du préjudice. La société Olympique de Marseille est fondée à soutenir que la commune de Marseille doit être condamnée à lui verser, à titre d'indemnité, une somme de 461 887 euros au titre :

- des pertes de recettes en raison du nombre de spectateurs ayant assisté au match dans le stade de substitution (Montpellier) notablement inférieur à celui qui aurait pu être accueilli dans le cadre d'un match organisé au stade Vélodrome à une telle période de l'année ;

- des frais de déplacement et d'hébergement pour les salariés, les stadiers et les supporters ;

- de l'achat d'encarts publicitaires destinés à informer le public de la délocalisation du match, pour le transport et l'entreposage au stade de la Mosson de matériels et de panneaux d'affichage publicitaires et pour l'achat de banderoles ;

- des frais inhérents à la location du stade de la Mosson à Montpellier ;

- du recrutement de personnels intérimaires à Montpellier, pour la tenue du guichet ou des opérations de manutention.

Appel en garantie.  L’article 6 de la convention de mise à disposition du stade à l'organisateur de spectacle prévoyait la responsabilité de celui-ci pour les dommages de toute nature pouvant survenir du fait ou à l'occasion de l'exécution de cette convention. Dès lors, nonobstant les manquements qui auraient pu être commis par les sous-traitants auxquels ce cocontractant a recouru pour le montage du dispositif scénique prévu pour la tenue du concert, il y a lieu d'accueillir les conclusions de la commune tendant à ce que ce cocontractant soit appelé en garantie.

En l'absence, au vu de l'instruction, de négligences de la commune de nature à atténuer les responsabilités incombant à son cocontractant en application de ces stipulations, ce cocontractant doit garantir la commune du montant total des sommes mises à sa charge.

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Droit des biens

[Jurisprudence] Partage & indivision : rappels de deux principes importants

Réf. : Cass. civ. 1, 15 septembre 2021, n° 19-24.014, F-D (N° Lexbase : A9215443)

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

Le 13 Octobre 2021


Mots-clés : indivision • bien indivis • partage judiciaire • partage en nature • égalité de partage • égalité en valeur • constitution de lots • tirage au sort • interdiction du partage par voie d’attribution • rémunération de l’indivisaire-gérant • partage de la plus-value issue des deniers personnels d’un indivisaire • conservation d’un bien indivis • amélioration d’un bien indivis

Le partage en nature avec attribution de lots afférents aux droits des indivisaires ne peut être ordonné que sous réserve d’une entente de l’ensemble des coindivisaires. Par conséquent, à l’occasion d’une procédure de partage judiciaire, le juge se voit interdit de procéder au partage par voie d’attribution.
La réalisation de travaux de conservation ou d’amélioration par un indivisaire sur le bien indivis aux frais de l’indivision ouvre droit à rémunération au sens de l’article 815-12 du Code civil, mais ne peut donner lieu au bénéfice de l’article 815-13 du Code civil. Ainsi, rémunération de l’indivisaire-gérant et plus-value des deniers engagés par celui-ci constituent deux branches distinctes.


 

(i) « L’art. 826 c. civ. dispose : « L'égalité dans le partage est une égalité en valeur. Chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à ses droits dans l'indivision. S’il y a lieu à tirage au sort, il est constitué autant de lots qu'il est nécessaire. Si la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d'égale valeur, leur inégalité se compense par une soulte. »
Il résulte de ce texte qu'à défaut d'entente entre les indivisaires, les lots faits en vue d'un partage doivent obligatoirement être tirés au sort, et qu'en dehors des cas limitativement énumérés par la loi, il ne peut être procédé au moyen d'attributions.
Après avoir constaté que Mme Y et M. G A proposent un partage en nature du bien indivis correspondant strictement aux droits des parties, l’arrêt relève que M. H A s'oppose à un tel projet.
Il en résulte que leur demande tendant à voir ordonner un tel partage, avec attribution au profit de chacun des indivisaires du lot afférent à ses droits, ne pouvait qu’être rejetée.
Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1°, et 1015 du code de procédure civile, l’arrêt se trouve légalement justifié.
[…]

(ii) Selon le premier de ces textes [C. civ., art. 815-12], l’indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis a droit à la rémunération de son activité dans les conditions fixées à l'amiable ou, à défaut, par décision de justice.
Aux termes du second [C. civ., art. 815-13], lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
Il en résulte que l'activité personnelle déployée par un indivisaire ayant contribué à conserver ou à améliorer le bien ne peut être assimilée à une dépense dont le remboursement donnerait lieu à application de l’art. 815-13 et que la plus-value de l'immeuble accroît à l'indivision, l'indivisaire pouvant seulement prétendre à une rémunération de son activité conformément à l'art. 815-12. »

Observations. L’arrêt commenté n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il réaffirme deux règles qui sont acquises depuis quelques années déjà, encore que la première soit plus solidement ancrée que la seconde. Il semble cependant que certaines cours d’appel, et pas des moindres comme celle censurée en l’espèce, ignorent encore ces règles, ou, à tout le moins, balbutient quant à leur application. Il n’est donc pas inutile pour la Cour de cassation de les rappeler, et pour nous de les exposer aux lecteurs.

La première règle est la suivante : dans une procédure de partage judiciaire, le juge ne peut attribuer tel bien à tel copartageant nominativement. C’est ce que l’on nomme plus techniquement l’interdiction du partage par voie d’attribution (I).

La deuxième règle est plus torturée, puisque la jurisprudence de la Cour de cassation a pu varier au fil des ans à son propos. Mais dans son dernier état, qui est celui de la décision commentée, il est aisé de l’énoncer : les domaines des articles 815-12 (N° Lexbase : L9941HNI) et 815-13 (N° Lexbase : L1747IEG) du Code civil ne doivent pas être mélangés. Au premier texte la rémunération de l’indivisaire-gérant, et au second le partage de la plus-value issue des deniers engagés par ce dernier. Nul ne doit mélanger les deux branches de cette distinction (II).

I. Le juge du partage ne peut attribuer tel bien à tel copartageant

La règle est d’une confondante clarté : lors d’un partage judiciaire, le juge ne dispose pas du pouvoir d’attribuer tel bien indivis à tel copartageant. C’est ce que rappelle fort opportunément la présente décision. Dès lors qu’un partageant n’était pas d’accord pour que les lots soient attribués à l’amiable, il était nécessaire d’en passer par un tirage au sort des lots composant la masse à partager. Les textes issus de la loi du 23 juin 2006 sont clairs (v. C. proc. civ., art. 1363 N° Lexbase : L5769LTT, 1375 al. 3 N° Lexbase : L6329H7K et 1376 N° Lexbase : L5770LTU). Mais la jurisprudence est fixée depuis le XIXème siècle en ce sens et n’a jamais varié depuis  (v. Cass. civ. 19 mars 1844, Jur. gén., V°. Succession, n° 1836 ; Cass. civ. 26 avril 1847, DP 1847, 1. 224 ; Cass. civ. 27 mars 1850, DP 1850, 1. 123 ; Cass. civ. 11 août 1875, DP 1875, 1. 461 ; plus récemment, v. not. Cass. civ. 1, 28 décembre 1962, Bull. civ. I, n° 571 ; Cass. civ. 1, 22 juillet 1985, Bull. civ. I, n° 235 ; Cass.  civ. 1, 14 mai 1992, n° 90-20.498, N° Lexbase : A5518AHT, Bull. civ. I, n° 141 ; Cass. civ. 1, 18 juillet 1995, n° 93-17.253, N° Lexbase : A7907ABH, Bull. civ. I, n° 329 ; Cass.  civ. 1, 13 janvier 2016, n°14-29.651, N° Lexbase : A9273N3T, Bull. civ. I, n° 8 ; D. 2016. 200  ; Dr. fam. 2016. Comm. 62, obs. M. Nicod ; encore plus récemment, v. Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-22.878, N° Lexbase : A5032ZQG ; Cass.  civ. 1, 28 mars 2018, n° 17-14.709, N° Lexbase : A8739XII ; Cass. civ. 1, 31 janvier 2018, n° 17-15.455 N° Lexbase : A4663XCP).

Il importe donc peu que le juge puisse penser qu’il serait plus expédient d’attribuer tel bien à tel héritier, cela n’est pas admis. Il est donc inutile, pour les avocats, de le demander. C’est une demande impossible au contentieux puisqu’elle excède les pouvoirs du juge.

Le lecteur gardera donc bien à l’esprit la logique qui préside au partage judiciaire, que l’on rappellera ici pour la bonne forme.

(a) Lorsque l’on est en phase amiable (laquelle peut resurgir à tout moment en cas de contentieux, puisque le partage est amiable avant d’être judiciaire), ce sont les parties elles-mêmes qui procèdent aux attributions qui leur conviennent (de même qu’ils auront composé les lots amiablement). Où l’on voit l’un des mérites essentiel du partage amiable : éviter l’aléa du tirage au sort.

(b) Lorsque le partage amiable n’est pas possible, le partage contentieux ne laisse aucune marge de manœuvre, que ce soit aux parties, mais aussi au juge, ainsi que le rappelle la décision sous examen : les lots devront être tirés au sort. Cela se fera devant le notaire commis (cela est possible aussi devant le juge, mais c’est beaucoup plus rare), lequel aura le plus souvent composé lesdits lots, un pouvoir qui entre bien dans ses attributions (Cass. civ. 1, 16 avril 1991, JCP 1991. 21755, note J.-F. Pillebout). C’est donc à ce stade qu’il est interdit au juge de procéder par voie d’attribution. On notera que la motivation des juges du fond sur ce point de droit précis était totalement erronée (tirage au sort car grosse mésentente entre les copartageants créant un potentiel risque de blocage de la copropriété à raison de l'égalité de voix des indivisaires). Cependant, l’arrêt attaqué est sauvé in extremis par la Cour de cassation, par le seul constat que les conseillers d’appel avaient fait du refus d’un copartageant de partager à l’amiable. C’est logique : si un copartageant refuse toute attribution amiable (et quand bien même il serait le seul à réagir ainsi), il ne peut faire de doute que d’avoir eu recours au tirage au sort était à l’abri de toute critique puisque c’était la seule chose (licite) à faire.

(c) Enfin, s’il n’est pas possible de constituer des lots égaux, parce que les biens ne sont pas commodément partageables, il faudra procéder par voie de licitation judiciaire. (v. C. civ., art. 1686 N° Lexbase : L1796AB7, qui vise expressément la notion de « perte », et C. proc. civ., art. 1377 N° Lexbase : L1631IUX). Mais c’est là le dernier recours, une telle licitation étant subsidiaire aux autres façons de procéder, et ce caractère subsidiaire devant être respecté. Il conviendra donc de prouver (côté demandeur) et de motiver (côté juge) en quoi la vente à la barre des biens est la seule solution possible. Il ne saurait être question de recourir à cette façon de faire en première intention, juste parce que l’on veut aller vite, ou faire peur aux autres copartageants (mais on peut, évidemment, la demander dans une assignation en partage, à la condition de démontrer d’abord l’échec de toute voie amiable, et, ensuite, que les biens ne sont pas commodément partageables).

Il est donc aisé de voir qu’aucun texte, et aucune jurisprudence, ne donne au juge du partage le pouvoir général de procéder par voie d’attribution. Il ne disposera de ce pouvoir que dans des cas particuliers, qui sont ceux où une attribution préférentielle est prévue par la loi. Mais en dehors de ces cas spécifiques, le juge ne peut dire que tel bien ira dans le lot de tel copartageant. Le partage judiciaire est donc, par nature, un partage aléatoire en termes d’attributions.

II. Les articles 815-12 et 815-13 du Code civil : des domaines bien distincts

Le second point de droit tranché par l’arrêt ne repose pas, contrairement au premier, sur un jurisprudence presque bicentenaire. Tout au contraire, les arrêts ont pu varier dans le passé, et la présente décision n’est probablement qu’une phase de plus dans cette valse prétorienne à deux temps. Ce qui est en cause, c’est la ligne de partage entre les articles 815-12 (N° Lexbase : L9941HNI) et 815-13 (N° Lexbase : L1747IEG) du Code civil, et plus spécifiquement la question de savoir sur lequel de ces textes doit être ancrée la rémunération de l’indivisaire-gérant, c’est-à-dire de l’indivisaire qui a apporté une plus-value aux biens indivis par son industrie, ou en finançant en deniers l’amélioration du bien. Le moins que l’on puisse dire est que la jurisprudence a alors été frappée du syndrome du pendule, allant dans un sens, puis dans un autre.

En 1987, la Cour de cassation a décidé que l’indivisaire-gérant qui a, par son activité personnelle, amélioré l'état d'un bien indivis peut, comme celui qui l'a amélioré par ses impenses, demander qu'il lui en soit tenu compte eu égard au profit subsistant et selon l'équité (Cass. civ. 1, 25 mai 1987, n° 85-16.995, publié au bulletin N° Lexbase : A9592CI4, Bull. civ. I, n° 166, D. 1988. 28, note A. Breton ; Defrénois 1988. 33, obs. A. Breton ; RTD civ. 1988. 374, obs. J. Patarin ; RTD civ. 1989. 354, obs. F. Zénati). C’était donc le triomphe, un peu inattendu, de l’article 815-13 du Code civil. La plus-value apportée à la chose indivise l’était en vertu d’une impense.

Mais, en 1994, la Cour de cassation a désavoué cette solution, décidant que la plus-value accroissait à l’indivision (C. civ., art. 815-13) et que l’indivisaire-gérant avait droit à la rémunération de son industrie sur le fondement de l’article 815-12 du Code civil (Cass. civ. 1, 12 janvier 1994, n° 91-18.104, N° Lexbase : A5977AHT; Bull. civ. I, n° 10 ; Defrénois 1994, art. 35761, obs. L. Aynès ; D. 1994. 311, note R. Cabrillac ; D. 1995. Somm. 41, obs. Grimaldi ; RTD civ. 1996. 229, nos 6 et 7, obs. B. Vareille), même si des discussions doctrinales demeuraient sur la façon de comptabiliser le salaire de l’indivisaire-gérant (sur lesquelles, v. A. Chamoulaud-Trapiers, Rep. civ. Dalloz, Communauté légale : dissolution, n° 242 et les réf.).

En 2007, le pendule revint dans la position qui avait été la sienne vingt ans plus tôt, en 1987, puisqu’il fut décidé que l’indemnisation de l’indivisaire-gérant devait être fondée sur l’article 815-13, et ceci alors pourtant qu’il n’existait pas d’impense en l’espèce, seule l’industrie personnelle du gérant recevant cette qualification (Cass.  civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-13.320 N° Lexbase : A6852DUC ; Bull. civ. I, n° 109 ; LPA 2008, obs. A. Chamoulaud-Trapiers).

En 2010, le balancier revint cependant à son niveau de 1994 : la plus-value éventuelle du bien indivis résultant de l’industrie personnelle que l’un des indivisaires a pu déployer sur ledit bien profite à toute l’indivision et sera partagée entre les indivisaires en fonction de leurs droits dans cette indivision (Cass. civ. 1, 23 juin 2010, n° 09-13.688, N° Lexbase : A2717E3Z, Bull. civ. I, n° 146 ; RJPF 2010-10/19, obs. F. Vauvillé). L’indivisaire-gérant ne peut donc espérer fonder son droit à remboursement sur cette plus-value, son industrie personnelle n’est pas une « impense nécessaire ». En revanche, il a droit à une rémunération pour l’industrie qu’il a mise au service de la masse indivise. Cette question ressortit alors de l’article 815-12 du Code civil qui dispose qu’il « a droit à la rémunération de son activité dans les conditions fixées à l'amiable ou, à défaut, par décision de justice ».

Il est donc aisé de voir que la solution affirmée par la présente décision est dans la continuité de celle de 2010, dont on peut penser que la doctrine est désormais assez bien stabilisée. Le partage des eaux est donc clair :

- les deniers engagés sur le bien sont des impenses nécessaires qui doivent être remboursés sur le fondement de l’article 815-13. Là encore les choses se divisent en deux ;

> si une plus-value résulte de l’usage de ces deniers, elle sera partagée entre les coïndivisaires, et l’indivisaire solvens aura droit au remboursement de ses dépenses au profit subsistant via le bien connu mécanisme de la dette de valeur (éventuellement pondéré par l’équité, comme l’article815-13 le permet) ;

> si aucune plus-value ne résulte de l’usage des deniers, ou pire qu’une moins-value apparaît, le solvens aura droit au remboursement du nominal de sa dépense, puisqu’il s’agit d’impenses nécessaires. On retrouve là un raisonnement bien connu en d’autres matières utilisant aussi le mécanisme de la dette de valeur (v. C. civ. art. 1469 al. 2 N° Lexbase : L1606AB4, en matière de récompenses pour les dépenses « nécessaires ») ;

- l’industrie personnelle déployée par l’indivisaire-gérant relève du domaine de l’article 815-12 du Code civil. Il faudra donc que l’indivision lui rembourse cette industrie personnelle, selon des modalités qui ne sont pas données par la présente décision (la question n’était pas dans les débats).

On suivra donc avec attention le suite de cette jurisprudence, et spécialement la façon dont l’industrie est remboursée, car c’est aujourd’hui le gros point noir de cette jurisprudence. Mais gardons cela pour une autre fois, puisque l’arrêt commenté ne l’évoque pas…

Au total, la présente décision est fort riche pour un arrêt non publié au Bulletin civil. Les avocats auraient tort de ne pas lui prêter l’attention voulue, car c’est une décision à forte portée pratique, en dépit d’un substrat théorique assez touffu.

Quant aux magistrats, ils ne peuvent se permettre de ne pas maîtriser ces subtilités, lesquelles leurs rappelleront (s’il le faut) que le droit de l’indivision, et celui du partage, sont des eaux sombres et froides qui ne tolèrent aucune approximation. Bref, c’est du droit civil…  

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Droit pénal fiscal

[Focus] La convention judiciaire d’intérêt public

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par Virginie Pradel, Fiscaliste, Docteur en droit, Institut de recherche fiscale

Le 17 Janvier 2022


Mots-clés : CJIP • fraude fiscale • corruption

La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) constitue l’une des deux procédures alternatives au procès pénal fiscal, aux côtés de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Après une brève présentation de cette « nouvelle » procédure, nous reviendrons sur la récente CJIP conclue avec la banque JP Morgan.


 

I. Présentation de la CJIP

La CJIP a été introduite par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique [1], dite loi « Sapin II » et son décret d’application du 27 avril 2017 [2]. Ses modalités ont été précisées par une circulaire en date du 31 janvier 2018 [3] et par une dépêche du 21 mars 2019 de la Direction des affaires criminelles et des Grâces (DACG) [4].

La CJIP a, en outre, fait l’objet de plusieurs modifications législatives. La première modification a été opérée par la loi du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude [5], puis par la loi relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée du 24 décembre 2020  [6].

Par ailleurs, la CJIP est également régie par les « lignes directrices relatives à la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public », adoptées conjointement le 27 juin 2019 par le Parquet national financier (PNF) et l’Agence française anticorruption (AFA) [en ligne].

Alors que la CRPC est ouverte non seulement aux personnes physiques et aux personnes morales, la CJIP ne peut s’appliquer qu’aux personnes morales ayant commis l’une ou plusieurs des infractions limitativement énumérées à l’article 41-1-2, I du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5527LZQ). Il s’agit notamment des délits de corruption et trafic d’influence ainsi que toute infraction connexe.

En matière de fiscalité, la loi Sapin II ne visait initialement que le blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 (N° Lexbase : L6015LMQ) (fraude fiscale) et 1743 (N° Lexbase : L3888IZZ) du CGI (infractions assimilées à la fraude fiscale, relatives à la comptabilité, à l’entremise pour le dépôt de valeurs ou l'encaissement de coupons à l'étranger ainsi qu’à la fourniture de renseignements en vue de l'obtention d'agréments ou d'une autorisation dans le cadre de dispositifs d'investissements, notamment en outre-mer).

La loi du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude fiscale, a élargi le champ d’application de ce dispositif aux délits de fraude fiscale et assimilés visés aux articles 1741 et 1743 du CGI, et non plus au seul blanchiment de ces délits.

💡 La première CJIP homologuée en 2017 portait sur un cas de blanchiment de fraude fiscale par la Banque HSBC Suisse, laquelle a reconnu les faits et accepté de payer une amende de 300 millions d’euros. Celle-ci représente près de 20 % des avoirs des clients soustraits à l’impôt (1,6 milliard d’euros).

A. Les obligations pouvant résulter de la CJIP

Une CJIP est susceptible d'imposer trois sortes d'obligations à la personne morale :

  • le versement d'une amende d'intérêt public ;
  • la mise en place d'un programme de mise en conformité sous le contrôle de l'AFA ;
  • la réparation des dommages subis par les éventuelles victimes.

Le montant de l’amende d'intérêt public versée au Trésor public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements.

La CJIP doit préciser la portée du principe non bis in idem en rappelant que le cumul des sanctions pénales et fiscales est admis sous réserve que le montant global des sanctions éventuellement appliquées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.

Le versement de l’amende peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an.

La personne morale peut, en outre, être contrainte de se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l'AFA, à un programme de compliance destiné à s'assurer de l'existence et de la mise en ouvre en son sein des mesures et procédures énumérées au II de l'article 131-39-2 du Code pénal (N° Lexbase : L7402LBR).

B. Les étapes de la CJIP

C’est au procureur de la République qu’il revient de prendre l’initiative de la CJIP dans le cadre d’une enquête préliminaire [7] ou d’une information judiciaire [8].

Le procureur de la République doit informer par tout moyen la victime, lorsqu'elle est identifiée, de sa décision de proposer la conclusion d'une CJIP à la personne morale mise en cause. Il fixe alors le délai dans lequel elle peut lui transmettre tout élément de nature à établir la réalité et l'étendue de son préjudice.

Le procureur de la République doit indiquer à la personne morale mise en cause la possibilité de se faire assister par un avocat et doit adresser à la personne morale une proposition de CJIP comportant les éléments suivants :

  • la dénomination sociale de la personne morale concernée ;
  • un exposé précis des faits ainsi que la qualification juridique susceptible de leur être appliquée ;
  • la nature et le quantum des obligations proposées, les délais et les modalités dans lesquels elles doivent être exécutées, ainsi que, le cas échéant, le service chargé du contrôle du programme de mise en conformité ou de la réparation du préjudice résultant des infractions commises ;
  • le cas échéant, le montant maximum des frais exposés pour le contrôle de la mise en œuvre du programme de conformité qui sont supportés par la personne morale mise en cause ;
  • le cas échéant, le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l'infraction.

La proposition de CJIP est signée par le procureur de la République et, si la personne morale accepte, par ses représentants légaux, assistés le cas échéant de son avocat.

💡 Précisions : les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques. Ils sont informés, dès la proposition du procureur de la République, qu'ils peuvent se faire assister d'un avocat avant de donner leur accord à la proposition de convention.

Le procureur de la République saisit ensuite par requête le président du tribunal judiciaire aux fins de validation en joignant la proposition de convention à la requête et informe de cette saisine la personne morale et, le cas échéant, la ou les victimes.

À l’issue de l'audition, en audience publique, de la personne morale mise en cause et de la victime assistées, le cas échéant, de leur avocat, le président du tribunal (ou le juge du tribunal judiciaire qu’il a lui-même désigné) prend la décision de valider ou non la proposition de convention, en vérifiant le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l'amende aux limites prévues par l’article 41-1-2 et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements.

La décision du président du tribunal, qui est notifiée à la personne morale mise en cause et, le cas échéant, à la victime, n'est pas susceptible de recours.

En cas de validation par le président du tribunal du recours à cette procédure, la personne morale mise en cause dispose, à compter du jour de la validation, d'un délai de dix jours pour exercer son droit de rétractation, ce qui a pour effet d’entraîner la caducité de la proposition. À défaut de rétractation, les obligations que la convention comporte sont mises à exécution.

C. Les avantages de la CJIP

La CJIP présente plusieurs avantages pour la personne morale mise en cause :

  • elle préserve la réputation de celle-ci dès lors que l’ordonnance de validation n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation. La CJIP n'est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire ;
  • elle permet à celle-ci d’éviter une longue procédure ;
  • elle permet à celle-ci de préserver sa réputation ;
  • elle permet à celle-ci de préserver son accès aux marchés publics nationaux.

La CJIP présente également l’avantage pour l’État de défendre les intérêts des contribuables français face aux stratégies extraterritoriales d’autres pays tels que les États-Unis.

Le site de l’AFA recense pour l’heure moins d’une quinzaine de CJIP qui intéressent des entreprises françaises, mais également des entreprises étrangères telles que Bank of China, Google France et Google Ireland, HSBC private bank (Suisse) SA, etc.

III. Illustrations : la CJIP récemment conclue par la banque JP Morgan

Pour rappel, le 22 juin 2012, la DGFiP a déposé des plaintes pour fraude fiscale à l’encontre de plusieurs dirigeants de la société Wendel. Il leur était reproché une minoration de leurs déclarations à l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2007 dans la mesure où à partir de 2004, des cadres dirigeants du groupe Wendel ont procédé à une opération d’apport de titres suivi de leur rachat-annulation par la compagnie de l’Audon qui a dégagé une plus-value placée sous le régime du sursis d’imposition prévu aux articles 150-0 B (N° Lexbase : L3216LC4) et 150-0 D (N° Lexbase : L2206LYD) du CGI.

La banque JP Morgan a octroyé des prêts à certains cadres dirigeants leur permettant de disposer des liquidités nécessaires à l’acquisition des titres. L’administration fiscale a remis en cause I’opération d’apport et de rachat-annulation sur le fondement de l’abus de droit [9], estimant que cette opération avait eu pour seule finalité de permettre aux cadres dirigeants de Wendel, en interposant des sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession des titres tout en restant détenteurs des titres de la société reçus en échange de l’apport.

Le montant global des impositions éludées s’agissant des treize cadres dirigeants de la société Wendel s’élève à plus de 78 millions d’euros.

Selon l’administration fiscale, la banque JP Morgan, tout en étant écartée de la plupart des discussions relatives aux développements du schéma et du bénéfice fiscal de celle-ci, était informée de l’existence d’un risque de remise en cause par l’administration fiscale sur la base de l’abus de droit et avait d’ailleurs posé certaines conditions de nature à éviter la révélation des objectifs réels de l’opération.

Le PNF a saisi un juge d’instruction le 26 avril 2021 afin qu’il soit statué sur les faits de complicité de fraude fiscale susceptibles d’avoir été commis par la banque JP Morgan.

Sur requête du ministère public, le juge d’instruction a communiqué le 21 juillet 2021 la procédure au procureur national financier aux fins de mise en œuvre d’une CJIP.

La banque JP Morgan et le PNF ont signé une CJIP le 2 septembre 2021 qui prévoit que la banque doit s’acquitter d’une amende d’intérêt public de 25 millions d’euros dans un délai de trente jours calendaires.

Cette CJIP relative à un cas de complicité de fraude fiscale permet à l’administration fiscale d’obtenir une réparation substantielle tout en évitant une procédure longue et coûteuse.

Une autre CJIP en matière de fraude fiscale a été signée le 20 juin 2019 entre la société Carmignac Gestion et le PNF (consultable sur le site de l’AFA) [en ligne].

 

[1] Loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (N° Lexbase : L6482LBP).

[2] Décret n° 2017-660, du 27 avril 2017, relatif à la convention judiciaire d'intérêt public et au cautionnement judiciaire (N° Lexbase : L0758LES).

[3] Circulaire du 31 janvier 2018, relative à la présentation et la mise en œuvre des dispositions pénales prévues par la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, n° NOR : JUSD1802971C (N° Lexbase : L4045LIN).

[4] Dépêche 2019/F/0419/FA1, du 21 mars 2019, de présentation et des modalités d'échanges entre les parquets et l’Agence française anticorruption.

[5] Loi n° 2018-898, du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR).

[6] Loi n° 2020-1672, du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (N° Lexbase : L2698LZX).

[7] L’article 41-1-2 du Code de procédure pénale prévoit que, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale ayant commis un ou plusieurs des délits susmentionnés ou des infractions connexes, de conclure une CJIP.

[8] L’article 180-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5534LZY) offre au juge d’instruction qui serait saisi de faits qualifiés constituant un des délits mentionnés à l’article 41-1-2 la possibilité, à la demande ou avec l'accord du procureur de la République, de prononcer, par ordonnance, la transmission de la procédure au procureur de la République aux fins de conclure une CJIP.

[9] LPF, art. L. 64 (N° Lexbase : L9266LNI).

newsid:479100

Procédure civile

[Brèves] Publication au JO d’un nouveau décret en procédure civile : prise de date, contestation des honoraires, injonction de payer et modifications de diverses dispositions

Réf. : Décret n° 2021-1322, du 11 octobre 2021, relatif à la procédure d'injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d'avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile (N° Lexbase : L4794L83)

Lecture: 3 min

N9102BYR

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Octobre 2021

Le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021, publié au Journal officiel du 13 octobre 2021 vient clarifier certaines règles de procédure civile relatives à l’assignation à date, au dépôt de dossier dans le cadre d’une procédure écrite ; il vient également préciser l’articulation entre l’obligation de tenter un MARD préalable à la saisine du juge et la possibilité de saisir la juridiction d'une demande de conciliation, ainsi que les dérogations en matière de représentation devant le tribunal de commerce ; enfin, il vient simplifier la procédure d’injonction de payer, et énonce des dispositions relatives à la procédure participative, sur les décisions du Bâtonnier en matière de contestation d’honoraires et la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Sur la prise de date. Les règles de procédure civile relatives à l’assignation à date sont clarifiées. Le délai de deux mois pour la remise de l’assignation au greffe lorsque la date a été communiquée par voie électronique est supprimé, modifiant ainsi les articles 754 (N° Lexbase : L8652LY4) et 1108 (N° Lexbase : L8626LY7) du Code de procédure civile.

Sur le dépôt de dossier. Le décret rétablit la possibilité de procéder au dépôt du dossier en procédure écrite.

Sur les MARD et la conciliation. Le décret vient préciser l'articulation entre l'obligation de tenter un mode alternatif de règlement des différends préalable à la saisine du juge et la possibilité de saisir la juridiction d'une demande de conciliation.

Sur la représentation devant le tribunal de commerce. Le texte énonce les dérogations au principe de la représentation obligatoire par avocat devant le tribunal de commerce, complétant l’article 853 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8611LYL) d’un nouvel alinéa ainsi rédigé : « L'État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ».

Sur la procédure d’injonction de payer. La procédure est simplifiée prévoyant que l'ordonnance portant injonction de payer est immédiatement revêtue de la formule exécutoire.

Sur la procédure participative. Le décret vient supprimer le caractère automatique de la purge des vices de procédure et fins de non-recevoir lors de la conclusion d'une convention de procédure participative et confère à l'expertise décidée dans ce cadre une valeur identique à celle de l'expertise judiciaire.

Sur les décisions du bâtonnier en contestation d’honoraires. Le décret prévoit que certaines décisions rendues par le bâtonnier peuvent de plein droit être rendues exécutoires nonobstant l'existence d'un recours et que le bâtonnier pourra prévoir une telle possibilité, le cas échéant en fixant des conditions et garanties prévues par le Code de procédure civile.

Sur la reconnaissance et l’exécution des décisions. Enfin, le décret tire les conséquences de la loi n° 2019-983 du 26 septembre 2019 (N° Lexbase : L7423LSQ) autorisant l'adhésion de la France à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale pour son application dans certains territoires d'outre-mer.

Sous réserve des dérogations prévues au II de l'article 8, le décret rentrera en vigueur le 1er novembre 2021 et s'applique aux instances en cours à cette date.

Les spécificités et les apports de ce décret relatifs à la procédure civile seront prochainement mis en perspective à travers les regards croisés de Rudy Laher, Professeur à l’Université de Limoges et de Charles Simon, Avocat au barreau de Paris dans la revue Lexbase Droit privé.

 

newsid:479102

[Brèves] Cautionnement des époux et engagement des biens communs

Réf. : Cass. com., 29 septembre 2021, n° 20-14.213, FS+B (N° Lexbase : A052648Y)

Lecture: 4 min

N9039BYG

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par Vincent Téchené

Le 13 Octobre 2021

► Lorsque les cautionnements d'époux communs en biens ont été recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette et que l'un des cautionnements est annulé, la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l'autre conjoint, emportant engagement des biens communs en application de l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU).

Faits et procédure. Très classiquement, une banque a consenti un prêt à une société. Par un même acte, deux époux se sont rendus cautions solidaires en garantie du remboursement de ce prêt. La banque a ensuite consenti un nouveau prêt à la société, également garanti par le cautionnement solidaire des époux.

La débitrice ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement les époux, qui lui ont opposé la disproportion de leurs engagements, subsidiairement la nullité du cautionnement du mari, faute pour lui d'avoir rédigé la mention manuscrite prévue à l'article L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI), devenu L.  331-1 (N° Lexbase : L1165K7B), du Code de la consommation.

La cour d’appel (CA Colmar, 3 février 2020, n° 17/04954 N° Lexbase : A07863ET) ayant notamment retenu que seuls les biens propres pouvaient être engagés, la banque a formé un pourvoi en cassation

Pourvoi. La banque soutenait que dans le cas où des époux communs en biens se sont engagés dans un même acte par deux cautionnements simultanés garantissant la même dette, la signature de chacun d'eux vaut consentement à son propre engagement mais aussi à l'engagement de l'autre, de sorte que les biens communs sont engagés par chaque cautionnement en application de l'article 1415 du Code civil. Ainsi, selon elle, si la nullité d'un de ces actes est prononcée au motif que l'époux caution n'a pas rédigé la mention manuscrite exigée par la loi, sa signature vaut encore consentement au cautionnement de l'autre, lequel engage ainsi les biens communs.

Décision. Mais cet argument ne convainc pas la Cour de cassation qui, énonçant la solution précitée, rejette le pourvoi.

Précisions. Pour rappel, l’article 1415 du Code civil prévoit que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres. Le cautionnement d'une même dette souscrit séparément par deux époux n'engage pas la communauté en application de l'article 1415 du Code civil : cela ne suffit pas à établir en tant que tel le consentement exprès de chacun d'eux à l'engagement de l'autre (Cass. civ. 1, 9 février 1999, n° 97-11.873 N° Lexbase : A1211CQW – Cass. civ. 1, 12 octobre 2004, n° 01-16.946, F-D N° Lexbase : A5960DD4 – Cass. civ. 1, 8 mars 2005, n° 01-12.734, FS-P+B N° Lexbase : A2439DHS). Dans l’arrêt rapporté, la difficulté tenait au fait que contrairement à ces précédents, les époux s’étaient engagés dans un même acte

Par ailleurs, à compter du 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur de la réforme du droit des sûretés (ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D ; v. Dossier spécial « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 » (ss la dir. de G. Piette), Lexbase Affaires, octobre 2010, n° 691 N° Lexbase : N8992BYP), le nouvel article 2297 du Code civil (N° Lexbase : L0171L8T), texte relatif à l'exigence de la mention manuscrite, prévoit trois nouveautés importantes, qui limiteront grandement le risque de nullité de l’engagement  (v. G. Piette, Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : formation et étendue du cautionnement, in Dossier spécial, Lexbase Affaires, octobre 2010, n° 691 N° Lexbase : N8978BY8) :
- l’abandon d’un modèle légal ;
- la mention n’a plus à être manuscrite ;
- la mention sera requise que le créancier soit un professionnel ou non.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les conditions de formation du cautionnement, Le cautionnement souscrit par les époux communs en biens, in Droit des sûretés, (dir. G. Piette), Lexbase (N° Lexbase : E8519DGM).

 

newsid:479039

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] TVA : une vente avec faculté de rachat à réméré constitue une prestation de services

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 7 octobre 2021, n° 430136, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A561048B)

Lecture: 3 min

N9059BY8

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par Marie-Claire Sgarra

Le 21 Octobre 2021

Le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt du 7 octobre 2021, que l’exercice de la faculté de rachat dans le cadre d’une vente à réméré constitue une prestation de services.

Les faits :

  • une société exerce une activité consistant en l'acquisition de biens immobiliers à usage d'habitation auprès de particuliers par contrat de vente avec faculté de rachat ;
  • au cours de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, la société Victoria s'est acquittée, au titre de la restitution à leur propriétaire initial de neuf immeubles acquis par le biais de tels contrats, de la TVA, calculée sur la base de la différence entre le prix de vente du bien et son prix d'acquisition ;
  • la société a sollicité de l'administration fiscale la restitution de ces sommes en se prévalant de l'exonération prévue au titre des ventes d'immeubles achevés depuis plus de cinq ans, avant de saisir le tribunal administratif de Nantes d'une demande en restitution, rejetée ;
  • la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement (CAA Nantes, 28 février 2019, n° 17NT03537 N° Lexbase : A3611ZGT).

🔎 Principes :

  • la faculté de rachat est un pacte par lequel le vendeur se réserve de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement dont il est parlé à l'article 1673 du CGI (N° Lexbase : L3168LCC) ;
  • la faculté de rachat ne peut être stipulée pour un terme excédant cinq années (CGI, art. 1660 N° Lexbase : L1770AB8) ;
  • faute par le vendeur d'avoir exercé son action en rachat dans le terme prescrit, l'acquéreur demeure propriétaire irrévocable (CGI, art. 1662 N° Lexbase : L1710IE3) ;
  • le vendeur à pacte de rachat peut exercer son action contre un second acquéreur, quand même la faculté de rachat n'aurait pas été déclarée dans le second contrat (CGI, art. 1664 N° Lexbase : L1770IEB) ;
  • l'acquéreur à pacte de rachat exerce tous les droits de son vendeur ; il peut prescrire tant contre le véritable maître que contre ceux qui prétendraient des droits ou hypothèques sur la chose vendue (CGI, art. 1665 N° Lexbase : L1775ABD) ;
  • le vendeur qui use du pacte de rachat doit rembourser non seulement le prix principal, mais encore les frais et loyaux coûts de la vente, les réparations nécessaires, et celles qui ont augmenté la valeur du fonds, jusqu'à concurrence de cette augmentation ; il ne peut entrer en possession qu'après avoir satisfait à toutes ces obligations (CGI, art. 1673 N° Lexbase : L5312IMP).

⚖️ Solution du Conseil d’État

👉 La vente avec faculté de rachat entraîne le transfert de propriété du bien, en ce que tous les droits attachés à la propriété du vendeur sont transférés à l'acheteur qui peut ainsi disposer de l'immeuble vendu, notamment pour le revendre, et qu'elle constitue par suite une livraison de biens au sens de l'article 256 du CGI (N° Lexbase : L7687LUA).

👉 Toutefois, cette qualification ne saurait être retenue lors de l'exercice, par le vendeur initial, de la faculté de rachat, laquelle s'analyse comme une condition résolutoire replaçant les parties en l'état où elles se trouvaient avant la vente.

👉 Par suite, en jugeant que l'exercice de la faculté de rachat était constitutif d'une livraison de bien au sens et pour l'application des dispositions applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée, la cour a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en litige.

Le ministre est donc fondé pour ce motif et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

💡 Renvois jurisprudentiels

Le droit du vendeur se résume à un droit de créance lui permettant d'exiger la restitution du bien en conséquence de la résolution de la vente (Cass. com., 20 novembre 2007, n° 06-13.055, F-P+B N° Lexbase : A7092DZP).

 

newsid:479059

Travail illégal

[Brèves] Conformité à la Constitution du cumul des sanctions en matière de travail dissimulé

Réf. : Cons. constit., décision n° 2021-937 QPC du 7 octobre 2021 (N° Lexbase : A5632484)

Lecture: 2 min

N9068BYI

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par Charlotte Moronval

Le 27 Octobre 2021

► En cas de poursuite et de condamnation d’un employeur du chef de travail dissimulé, par dissimulation d’activité ou dissimulation d’emploi, le cumul des sanctions pénales prévues à l’article L. 8224-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0324LMX) et de la majoration du montant du redressement des cotisations et contributions sociales, prévue par l’article L. 243-7-7 du Code la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6948LNN), est conforme à la Constitution.

Procédure. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 juillet 2021 par la Cour de cassation (Cass. crim., 29 juin 2021, n° 21-80.887, F-D N° Lexbase : A21344YP) d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 8224-5 du Code du travail et L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale qui sanctionnent l’infraction de travail dissimulé.

Rappel. Deux catégories de sanctions, pour l’infraction de travail dissimulé, sont prévues :

  • une peine d'amende, une peine de dissolution et d'autres peines complémentaires (interdiction d'exercer, placement sous surveillance judiciaire, fermeture définitive, exclusion des marchés, etc.) (C. trav., art. L. 8224-5) ;
  • une majoration du montant du redressement des cotisations et contributions sociales, de 25 % ou 40 % selon la situation (CSS, art. L. 243-7-7).

Les critiques formulées contre ces dispositions. La société requérante soutenait que l'application cumulative de ces dispositions peut conduire à ce qu'un employeur soit poursuivi et sanctionné deux fois pour de mêmes faits de travail dissimulé. Il en résulterait une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines et du principe « non bis in idem » qui en découle.

La décision des Sages. Dans son considérant 6, le Conseil constitutionnel rappelle que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts.

En l’espèce, à la différence de l'article L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale qui prévoit uniquement une majoration du montant du redressement des cotisations et contributions sociales, l'article L. 8224-5 du Code du travail prévoit, outre une peine d'amende, une peine de dissolution et les autres peines précédemment mentionnées.

Dès lors, les faits réprimés par les articles précités doivent être regardés comme faisant l'objet de sanctions de nature différente. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines doit donc être écarté.

En savoir plus : v. ÉTUDE : Le travail illégal ou travail dissimulé, Les sanctions en cas de travail illégal, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E7319ESU).

newsid:479068

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