La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010

La lettre juridique - Édition n°403

Éditorial

Enfant et homoparentalité : premiers pas dans la casa

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N6330BP7

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Quand j'étais enfant, mes parents me disaient que, si je voulais voir la France dans 20 ans, il me suffisait de regarder l'Amérique, aujourd'hui... Il faut dire qu'à la maison, c'était plus souvent Michel Sardou et son "gars venu de Géorgie", que Bertolt Brecht et son Capitalisme nu : en clair, comme pour 85 % des Français, l'anti-américanisme n'avait pas le droit de cité. Et, ce sentiment s'en trouvera renforcé, des années plus tard, en lisant la théorie de la translatio imperii, studii et religionis, de George Berkeley, écrite dès 1726, à savoir que le développement de l'humanité suivait d'est en ouest la course du soleil : l'Europe était à la pointe de la civilisation après que l'Orient et le Moyen-Orient eurent joué ce rôle. Les Amériques constituaient le prolongement logique de cette translation. Et, le Pacifique prendrait ainsi le relais... -on assiste aujourd'hui au réveil de la Chine et de ses "petits dragons", comme jadis au levé de l'astre naissant du premier étage du Château de Versailles, se disputant, au titre de vieilles prérogatives, les honneurs de l'ordinaire du nouveau roi commercial, culturel et financier-.

Mais, pour en revenir aux Amériques, il ne s'agit pas d'engloutir tout ce que l'Aigle apporte dans ses serres aux oisillons du plan Marshall, mais d'adopter une attitude constructive et objective vis-à-vis des bien ou mal faits de ce pays continent, un peu à l'image de Jean-François Revel dans son Obsession anti-américaine.

"Les Etats-Unis d'Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence sans jamais avoir connu la civilisation" scandent les uns ; on peut toujours se cacher derrière l'arrogance toute britannique d'Oscar Wilde, mais Marx n'est plus, les mannes de De Gaulle sont politiquement fantomatiques, et surtout, la culture de masse a bel et bien envahi l'espace social européen. Alors, il ne faut pas s'étonner dès lors que les institutions garantes des droits de l'Homme, la Cour européenne en tête, en charge non d'une harmonisation forcée des droits européens, mais d'une synthèse des sensibilités étatiques, soient, elles aussi, en proie à céder à l'américanophilie de la plupart des pays signataires de la Convention... C'est que l'exception culturelle française emprunte d'américanophobie n'est pas des plus en vogue à Strasbourg, surtout quand il y va, non plus du cinéma subventionné, mais de la conception de la famille.

Dans le détroit de Navarone, il y avait deux canons qui tiraient le feu près de l'île de Keros... La Cour européenne des droits de l'Homme aura tiré la première salve, en condamnant, dans l'arrêt "E. B. c/ France" du 22 janvier 2007, le refus d'agrément fondé sur l'orientation sexuelle d'un candidat à l'adoption ; la Cour de cassation, sous l'effet d'un bon café depuis 1964, se devait de marquer le pas et de chauffer le fût, ce 8 juillet 2010, en donnant force exécutoire à la décision d'un tribunal de Géorgie ayant prononcé l'adoption de l'enfant, née d'une mère américaine par insémination artificielle, par sa compagne française. Arrêt exceptionnel, avancée sociale lit-on dans la plupart des médias : on ne sait s'il incombait aux juges suprêmes de sortir l'égalité familiale, quelle que soit l'orientation sexuelle, des griffes de la mer Egée, mais on regrettera que le débat social français sur l'adoption par les couples homosexuels avance à coup de matraque européenne, sans que les représentants du Peuple ne lèvent le petit doigt pour reprendre la main sur cette question de société, toute mineure puisse-t-elle être pour d'aucuns. C'est à croire que ce n'est plus le Parlement qui est en prise avec la société, mais les juges... qui plus est européens.

Et, finalement, cet arrêt retentissant pose plus de problème qu'il n'en résout, faute de loi française progressiste en la matière. Comprenons bien que les couples homoparentaux étrangers seront mieux traités, au plan juridique, par les instances d'agrémentation françaises que les couples homoparentaux français : discrimination à rebours en quelque sorte ; en fait, une rupture d'égalité qui mènera l'article 365 du Code civil devant le Conseil constitutionnel, sous les fourches caudines d'une question prioritaire de constitutionalité. D'où l'on voit, à nouveau, que les juges européens, puis constitutionnels, risquent de mettre à bas, en peu de temps, l'édifice familial séculaire français qu'il conviendrait mieux de renégocier dans l'hémicycle parlementaire représentatif des sensibilités de la société. Comprenons, aussi, que l'inégalité sociale la plus criante retentira selon que les couples auront les ressources nécessaires pour résider, un certain temps, dans des pays accueillant du point de vue de l'adoption homoparentale.

On dit que l'Europe se rapproche de l'Amérique d'un centimètre par siècle ; que le Parlement français accélère la tectonique des plaques et l'on arrêtera d'envier "la jeunesse de l'Amérique [qui] est sa plus vieille tradition : elle dure depuis trois cent ans" -Oscar Wilde, encore lui !

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Modalités de la consultation du CHSCT en cas d'aménagement important modifiant les conditions de travail

Réf. : Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-13.640, CHSCT de l'UIRD sud c/ Société France Télécom, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6704E3P)

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N6334BPB

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Longtemps resté dans l'ombre des autres institutions représentatives du personnel, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) tend à occuper désormais une place de premier ordre au sein de l'entreprise (1). Un important arrêt rendu le 30 juin 2010 par la Cour de cassation, qui aura les honneurs de son rapport annuel, le confirme. Etait en cause, en l'espèce, l'obligation de consultation du CHSCT prévu par l'article L. 4612-8 du Code du travail (N° Lexbase : L1754H9T), lorsqu'est arrêtée une décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail. Outre qu'elle vient préciser ce que recouvre cette notion, la Chambre sociale affirme qu'en l'absence de CHSCT unique compétent pour l'ensemble des sites concernés, le projet qui excède nécessairement les prérogatives de chacun des CHSCT impose la consultation de tous les CHSCT territorialement compétents pour ces sites.
Résumé

Constitue une décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail au sens de ce texte, un projet de regroupement sur un même site d'un service commun réparti sur plusieurs sites intéressant 80 salariés, dont la mise en oeuvre doit entraîner le transfert hors de leur secteur géographique d'origine ou le changement des attributions de ces salariés.

En l'absence d'un CHSCT unique compétent pour l'ensemble des sites concernés, le projet qui excède nécessairement les prérogatives de chacun des CHSCT impose la consultation de tous les CHSCT territorialement compétents pour ces sites.

I - L'obligation de consulter le CHSCT

  • Les exigences légales

En application de l'article L. 4612-8 du Code du travail, "le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail".

Compte tenu de sa formulation pour le moins compréhensive, ce texte confère à l'obligation de consulter le CHSCT un champ d'application très large (2). Pour autant, on ne saurait considérer que toute "décision d'aménagement" doit lui être soumise dès lors qu'elle modifie les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (3). L'obligation de consulter le CHSCT est essentiellement bornée par le caractère "important" de la décision d'aménagement (4). Ainsi que le souligne un auteur, "l'aménagement important est celui dont les conséquences sont significatives d'un point de vue quantitatif (nombre de personnes concernées) ou qualitatif (impact notable sur les conditions de travail)". Ce même auteur n'en relève pas moins que "la jurisprudence fait primer l'approche quantitative, dans le cadre d'une lecture résolument extensive de la notion de projet important" (5).

Si l'arrêt rapporté ne paraît pas remettre en cause la véracité de cette dernière assertion, il démontre, toutefois, à notre sens que la Cour de cassation n'entend pas se désintéresser de l'approche quantitative.

  • L'affaire

Etait en cause, en l'espèce, une "Unité d'intervention Rhône et Durance" (UIRD), établissement secondaire de France Télécom couvrant les départements de la Drôme, de l'Ardèche, du Vaucluse, des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence. Cet établissement comporte deux CHSCT distincts. L'un dont la compétence concerne les sites de la Drôme et de l'Ardèche (CHSCT UIRD nord), l'autre les sites du Vaucluse et des Alpes (CHSCT UIRD sud).

Jusqu'en 2007, un service de pilotage de conduite d'activités était organisé qui comprenait 80 agents répartis sur plusieurs sites dont 19 étaient affectés sur le site d'Avignon. La société France Télécom a décidé le regroupement du service de pilotage de conduite d'activités et partant des salariés concernés sur le site unique de Montélimar. Reprochant à la société France Télécom de ne pas l'avoir consulté avant la mise en oeuvre du regroupement, le CHSCT UIRD sud a saisi le Président du tribunal de grande instance statuant en référé pour demander la condamnation de la société à surseoir au projet de redéploiement, la réintégration des agents et la consultation du CHSCT.

Pour dire n'y avoir lieu à référé sur la demande du CHSCT sud de l'Unité d'Intervention Rhône et Durance, l'arrêt attaqué a retenu qu'en considération de l'objet du projet de regroupement de l'activité "pilotage de conduite d'activité" de l'UIRD sur le seul site de Montélimar et de son incidence sur le redéploiement des agents du seul site d'Avignon, à qui aucune mutation n'était imposée et qui avaient le choix de rejoindre un autre poste sur le même site notamment dans des services existants, pour ceux qui n'ont pas pris leur retraite cette année là, le juge des référés a pu estimer à juste titre que le seul redéploiement des agents du site d'Avignon ne constituait pas un aménagement important au sens des dispositions de l'article L. 4612-8 du Code du travail, imposant à la direction de France Télécom de consulter ainsi le CHSCT de l'UIRD sud sur ce projet de réorganisation.

  • La solution de la Cour de cassation

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 4612-8 du Code du travail et 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC). Après avoir rappelé la teneur du premier de ces textes, la Chambre sociale vient affirmer que "constitue une décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail au sens de ce texte, un projet de regroupement sur un même site d'un service commun réparti sur plusieurs sites intéressant 80 salariés, dont la mise en oeuvre doit entraîner le transfert hors de leur secteur géographique d'origine ou le changement des attributions de ces salariés".

La solution retenue apparaît intéressante à au moins deux égards. Tout d'abord, et bien que la prudence soit ici de mise, elle tend à démontrer que la Cour de cassation entend contrôler l'interprétation que donnent les juges du fond de l'article L. 4612-8 du Code du travail (6). Une telle position apparaîtrait opportune si l'on a égard aux divergences d'appréciation que peut faire naître l'article L. 4612-8 et qu'illustre parfaitement l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté.

Ensuite, et à cet égard, la solution offre certains éclaircissements, même si elle reste limitée au cas d'espèce. En premier lieu, en se référant expressément au nombre de salariés concernés par la mesure, la Cour de cassation signifie qu'elle entend accorder de l'importance à ce critère afin de déterminer si la décision d'aménagement est importante ou non. Etaient en l'espèce concernés 80 salariés ; ce qui ne peut être tenu pour négligeable. Ce nombre doit, cependant, être relativisé si l'on a égard au fait que l'UIRD employait, au moment du litige, 825 salariés. En second lieu, à la différence de certaines juridictions, la Cour de cassation n'entend pas considérer comme importants des projets de regroupement sur un site unique sans qu'il soit acquis que les conditions de travail des salariés soient modifiées. Tout au contraire, la Chambre sociale prend soin de relever que la mise en oeuvre du projet de regroupement devait entraîner le transfert hors de leur secteur géographique ou le changement d'attributions des salariés (8).

En d'autres termes, il convient d'avoir tout à la fois égard au nombre de salariés concernés par la décision et à ses conséquences. Remarquons, cependant, que celles-ci ne doivent pas seulement être mises en relation avec la santé et la sécurité des salariés, mais aussi avec leurs conditions de travail. Sans doute n'y-a-t-il là qu'une simple application de l'article L. 4612-8. Mais, il faut alors se demander si, en fait, la consultation du CHSCT ne risque pas de faire double emploi avec celle du comité d'entreprise (9). Il importe, cependant, de rappeler que ces deux institutions n'ont pas le même rôle ou, plus exactement, les mêmes préoccupations.

II - Les modalités de la consultation en cas de pluralité de CHSCT

  • La pluralité de CHSCT dans une même entreprise

En l'espèce, pour repousser la demande du CHSCT UIRD sud, les juges d'appel avaient également retenu que le CHSCT UIRD nord avait été consulté sur l'ensemble du projet de réorganisation de l'activité et de ses incidences sur les agents regroupés à Montélimar. Cette argumentation est également censurée par la Cour de cassation, qui affirme "qu'en l'absence d'un CHSCT unique compétent pour l'ensemble des sites concernés, le projet qui excède nécessairement les prérogatives de chacun des CHSCT impose la consultation de tous les CHSCT territorialement compétents pour ces sites".

Cette solution doit être approuvée. Il importe de rappeler qu'une même entreprise peut comporter plusieurs CHSCT, comme elle peut comporter plusieurs comités d'établissements. Une telle démultiplication des institutions représentatives du personnel peut d'autant plus être envisagée pour les CHSCT qu'ils peuvent être mis en place au niveau de secteurs d'activités (10). Toutefois, si le Code du travail prévoit la constitution d'un comité central d'entreprise venant se superposer aux différents comités d'établissement, il n'a pas envisagé semblable institution pour les CHSCT. Par voie de conséquence, il n'existe pas, non plus, pour ces derniers une règle similaire à celle énoncée par l'article L. 2327-2, qui prévoit, rappelons-le, que "le comité central d'entreprise exerce les attributions économiques qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement".

Il résulte de tout cela que lorsqu'une décision intéresse plusieurs établissements ou plusieurs secteurs d'activité, il n'est pas possible de consulter un CHSCT "central". Aussi, dans un tel cas, faute de CHSCT compétent pour l'ensemble de ces périmètres, il n'y a pas d'autre issue que de consulter l'ensemble des CHSCT concernés.

  • La multiplication des consultations

Pour être parfaitement fondée au regard des textes applicables, la jurisprudence de la Cour de cassation risque de rendre bien complexe la mise en oeuvre des décisions de l'employeur dès lors que celui-ci est tenu de consulter les comités d'établissement, le comité central d'entreprise et les CHSCT. Dans une telle hypothèse, il conviendra de soigneusement coordonner ces consultations et, notamment, de déterminer leur ordre (11).

En tout état de cause, l'employeur devra veiller à respecter les prérogatives des uns et des autres. Car, outre une condamnation pour délit d'entrave, il encourra le risque de voir la mise en oeuvre de sa décision suspendue jusqu'à l'accomplissement de ses obligations. Suspension qui pourra être prononcée, ainsi que le laisse clairement entendre la Cour de cassation en visant l'article 809 du Code de procédure civile, par le juge des référés.


(1) Certains ont, à ce propos et à juste titre, pu parler de la "montée en puissance" du CHSCT. V. le titre éponyme de l'article de P.-Y. Verkindt, SSL, n° 1332, p. 10.
(2) V., en ce sens, P.-H. d'Ornano, La consultation du CHSCT en cas d'aménagement important modifiant les conditions de travail, JCP éd. S, 2010, 1226.
(3) On peut légitimement considérer qu'à l'instar du comité d'entreprise, doivent être soumis au CHSCT les accords collectifs dont l'objet entre dans le champ de ses attributions consultatives. Cela paraît d'autant plus envisageable que l'article L. 4612-8 vise "toute décision", sans préciser sa source (comp. C. trav., art. L. 2323-2 N° Lexbase : L2722H9P).
(4) On peut se demander pourquoi le législateur a éprouvé le besoin de qualifier la décision en lui accolant le terme "d'aménagement".
(5) P.-H. d'Ornano, art. préc..
(6) Selon M. d'Ornano, la Cour de cassation aurait choisi de se retrancher derrière l'appréciation souveraine des juges du fond (art. préc. et la jurisprudence citée). L'arrêt commenté pourrait constituer, de ce point de vue, un changement d'optique.
(7) P.-H. d'Ornano, art. préc. et la jurisprudence citée.
(8) Il est sans doute possible de considérer qu'il importe peu qu'au final aucun salarié ne soit transféré hors de son secteur géographique ou ne subisse un changement d'attribution. Seule compte l'éventualité d'une telle conséquence au moment où le projet de décision doit être soumis au CHSCT.
(9) V. l'article L. 2323-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2734H97), qui dispose que "le comité d'entreprise est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle".
(10) Cass. soc., 30 mai 2001, n° 99-60.474, Société Sita Ile-de-France c/ Syndicat Force ouvrière Sita Ile-de-France (N° Lexbase : A5670AT8), Bull. civ. V, n° 192 ; Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-60.438, Société Cegelec Nord et Est, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3155EIP). Il en résulte que plusieurs CHSCT peuvent coexister au sein d'un même établissement.
(11) V., sur la question, P.-H. d'Ornano, pour qui la consultation du CHSCT doit en bonne logique précéder celle du comité d'entreprise.


Décision

Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-13.640, CHSCT de l'UIRD sud c/ Société France Télécom, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6704E3P)

Cassation de CA Nîmes, 1ère ch., sect. A, 10 février 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 4612-8 (N° Lexbase : L1754H9T) ; C. pr. civ., art. 809 (N° Lexbase : L3104ADC)

Mots-clefs : CHSCT ; obligation de consultation ; décision d'aménagement (notion) ; pluralité de CHSCT

Lien base : (N° Lexbase : E3400ET4)

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Arnaud Brultet, Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Dijon

Lecture: 6 min

N4385BP4

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il évoque, pour nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui de la profession qu'il anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Arnaud Brultet, bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Dijon.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Dijon ?

Arnaud Brultet : Le barreau de Dijon compte 282 avocats, 308 avec les avocats honoraires. Il est à 60 % féminin (les deux dernières promotions ont chacune vu sortir 12 avocats dont 10 femmes). C'est un barreau jeune, la moyenne d'âge des avocats étant de 41 ans. Ainsi, je suis moi-même à 45 ans l'un des plus jeunes bâtonniers qu'ait connu Dijon. Le barreau de Dijon est un barreau performant particulièrement vigilant sur la formation continue de ses avocats. Toutes les disciplines juridiques y sont traitées avec une petite spécificité. En effet, mon prédécesseur, Thierry Berland, avait souhaité mettre en avant notamment le droit des victimes. Une permanence a été instaurée afin de permettre à chaque victime d'infraction de pouvoir bénéficier sous 24 h de l'assistance d'un avocat. Enfin, concernant les structures d'exercice, les plus gros cabinets sont composés de 8 à 10 avocats ; mais la majorité des cabinets est créée sous forme unipersonnelle.

Lexbase : Bâtonnier de ce barreau depuis janvier 2010, quelles sont les ambitions que vous nourrissez pour vos avocats et pour la vie même du barreau ?

Arnaud Brultet : Tout d'abord je souhaite insuffler une respiration démocratique à mon conseil de l'Ordre et communicante à mon barreau En effet, rien n'est décidé de façon unilatérale et je soumets toutes les questions à l'avis des membres du conseil comme des différentes organisations syndicales. Par exemple, c'est à l'occasion de l'assemblée générale ordinale du 24 juin 2010 que le barreau de Dijon s'est prononcé sur la question de l'avocat en entreprise à laquelle nous sommes opposés.

Je souhaite aussi rendre plus visible le rôle de l'avocat auprès des dijonnais. L'image de l'avocat encore associée parfois à celle de l'avocat du 19ème siècle doit se moderniser constamment. Nous avons d'ailleurs organisé, le 5 juin 2010, en salle des Etats de la mairie de Dijon, une journée de consultations gratuites. L'idée était que les avocats sortent de leur tour d'ivoire -la Cité Judiciaire- pour aller à la rencontre des justiciables. Cette manifestation a connu un franc succès ! Près de quarante-cinq avocats ont répondu aux questions les plus diverses de plus de trois cents citoyens allant du licenciement à la copropriété en passant par des victimes de cambriolage ou encore des questions très pointues, notamment environnementales par exemple concernant le droit de l'eau. La municipalité très satisfaite de cette affluence a, d'ores et déjà, proposé de réitérer l'expérience l'année prochaine

Lexbase : Le projet de loi sur la répartition des contentieux et l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, présenté en conseil des ministres le 3 mars 2010, envisage la simplification du divorce par consentement mutuel en permettant, en cas d'absence d'enfants mineurs, au couple qui se sépare de ne plus passer devant le juge. Quel est votre avis sur cette réforme ? Quel est son impact sur la profession ?

Arnaud Brultet : Comme vous le savez, ce texte envisage trois modifications importantes.

D'abord, la procédure de divorce par consentement mutuel serait allégée pour les couples qui n'ont pas d'enfant mineur en commun, en les dispensant de comparaître personnellement et systématiquement devant le juge aux affaires familiales. Le texte prévoit qu'un décret d'application viendra préciser les pièces nécessaires permettant au juge, dans le cas où les parties ne comparaissent pas, de vérifier que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé.

Ce premier point me pose un réel problème par rapport au consentement libre des époux. En effet, l'intérêt de prendre un avocat est de permettre un contrôle des relations entres époux. C'est bien la liberté du consentement dont il est question : il est important que l'un ou l'autre des époux ne soit pas en état de contrainte vis à vis de l'autre. Cela s'inscrit dans l'histoire du mariage républicain : le maire unie et le juge prononce la séparation. S'il n'y a plus de juge, et qu'il suffit de signer un papier, où seront les vérifications ?

Par ailleurs le projet de loi envisage la fixation d'un tarif maximum en matière de divorce par consentement mutuel. Cette modification ne me semble pas sujette à controverse. Les avocats sont clairs sur leurs honoraires et les barèmes indicatifs doivent être affichés dans les salles d'attentes. Aujourd'hui, le tarif proposé pour un divorce sans liquidation de régime matrimonial et sans enfant est d'environ 800 euros par époux. Et même si cela peu paraître un peu élevé (1 600 euros pour le couple), il n'est pas souhaitable pas qu'un système de tarification maximum soit élargi à tous les contentieux, certains dossiers étant extrêmement complexes.

Enfin, il est prévu l'instauration d'une médiation pour toute demande au juge de modification antérieure concernant les enfants. Sur cette question, je ne peux que manifester une certaine inquiétude. Tant qu'il s'agit de désigner des avocats médiateurs, il n'y a pas de difficulté car l'obligation de conseil revenant aux avocats qui ont l'indépendance et la garantie du secret professionnel, ils sont spécialement à même de veiller aux intérêts de leurs clients ; mais qui va-t-on en réalité désigner comme médiateurs ? Des travailleurs sociaux ? Des gens sans formation qui poseront simplement une plaque de médiateur sur leur porte ?

Lexbase : Face à la réflexion globale engagée par le Gouvernement sur la modernisation des professions juridiques, quel est votre sentiment sur les différentes réformes en cours ?

Arnaud Brultet : Tout d'abord, en ce qui concerne l'acte d'avocat, je maintiens qu'il n'a pas vocation à remplacer l'acte authentique. Les notaires sont des officiers ministériels et non les avocats : chacun doit conserver son rôle et son champ de compétence ; en revanche, la rédaction de contrats sous signature d'avocat a pour objectif de donner à nos actes une sécurité juridique supérieure parce que nous les auront signés ce que n'a pas actuellement par exemple un simple protocole d'accord.

Concernant cette fois les experts-comptables (1), leur position visant à élargir leur champ d'activité en faisant de la consultation juridique, normalement activité accessoire à leur mission comptable, une activité principale pose une difficulté réelle à la profession.

Ensuite, concernant la réforme de la procédure pénale et plus particulièrement celle de la garde à vue, une réforme est nécessaire pour garantir les libertés individuelles. Mettre en garde à vue un individu en état d'ébriété qui le manifeste sur a voie publique me semble inutile, mais dès lors qu'il y a garde à vue la présence de l'avocat est rigoureusement indispensable.

La réforme de la garde à vue pose de facto la question de son financement liée directement à celle de l'aide juridictionnelle (AJ). Pour Dijon, la dotation à l'aide juridictionnelle s'élevait à 3,5 millions d'euros au 1er janvier 2010 pour l'année 2010 et au 31 mai, il ne restait plus que 800 000 euros. C'est pourquoi, une dotation complémentaire doit être envisagée à l'automne. Bien entendu Dijon n'est pas le seul barreau concerné par la question du financement ; ceux de Lille, Bourges et Nantes sont en grève à ce sujet, qui au reste a été évoqué lors de l'assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers qui s'est tenue le 11 juin 2010.

Enfin, j'ajouterai un problème complémentaire liée à l'attribution de l'aide juridictionnelle : par les effets de seuil, un couple qui gagne le smic ne peut en bénéficier et si l'un des deux est concerné par un licenciement, soit il est contraint de se défendre tout seul, soit de se faire représenter par les syndicats.

Je terminerai par la question de l'avocat en entreprise qui divise les avocats ; c'est sur cette question que l'on peut constater combien le fossé est grand entre le barreau de Paris et la province entre les instances nationales et les barreaux de province qui n'ont pas forcément les mêmes attentes ou aspirations et qui mesurent le risque représenté par l'adoption de la réforme de l'avocat en entreprise.


(1) Sur le communiqué commun du Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables et du CNB, lire (N° Lexbase : N2213BPN).

newsid:394385

Droit de la famille

[Questions à...] Exequatur d'un jugement étranger prononçant l'adoption d'un enfant par un couple homoparental - Questions à Maître Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille

Lecture: 9 min

N6302BP4

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

Aux termes d'un arrêt rendu le 8 juillet 2010 et destiné à une publication maximale, la Cour de cassation fait un pas en avant vers l'égalité de traitement des enfants élevés par deux femmes ou deux hommes en reconnaissant qu'un enfant peut juridiquement avoir deux parents d'un même sexe (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1235E4I). Pour faire le point sur cet arrêt riche d'enseignements, Lexbase Hebdo - édition privée générale à rencontré Maître Caroline Mécary, avocate spécialisée en droit de la famille, qui travaille en particulier sur les questions relatives aux nouvelles familles. On lui doit, notamment, la première décision de la Cour de cassation sur la délégation de l'autorité parentale en février 2006 (Cass. civ. 1, 24 février 2006, n° 04-17.090, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1782DNC), ou encore la condamnation, par la Cour européenne des droits de l'Homme, sur le fondement des articles 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la Convention européenne, d'un refus d'agrément opposée par le Conseil général du Jura à une jeune femme homosexuelle (CEDH, 22 janvier 2008, Req. 43546/02, E. B. c/ France N° Lexbase : A8864D3P). Lexbase : Pouvez-vous, brièvement, nous présenter les faits de cette affaire ?

Caroline Mécary : En l'espèce, Mme B., qui est de nationalité française vit aux Etats-Unis où elle a fait la connaissance de Mme N., qui est de nationalité américaine. Ensemble, elles ont souhaité avoir un enfant ; elles ont fait les démarches nécessaires afin que Mme N. puisse avoir recours à une procréation médicalement assistée. C'est ainsi que cette dernière a donné naissance, en mars 1999, à une petite fille, A. N, de nationalité américaine. Mme B a ensuite déposé une demande d'adoption de la petite fille auprès de la Cour supérieure du comté de Dekalb. En 1999, la Cour après avoir examiné l'ensemble de la situation a estimé que la demande d'adoption était dans le meilleur intérêt de l'enfant. C'est ainsi que Mme B. a adopté aux Etats-Unis, A. N, l'enfant ayant deux parents de même sexe et son acte de naissance ayant été modifié en conséquence. Mme B. a, ensuite, sollicité la reconnaissance juridique en France de cette décision. Par un jugement rendu en 2007, le TGI a refusé d'accorder l'exequatur. Appel ayant été interjeté, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 9 octobre 2008 (CA Paris, 1ère ch., sect. C, 9 octobre 2008, n° 07/12218 N° Lexbase : A9098EA9), a confirmé le jugement ayant refusé de prononcer l'exequatur du jugement d'adoption américain. Un pourvoi en cassation a été formé.

Lexbase : Sur quels fondements les premières juridictions ont-elles refusé de prononcer l'exequatur du jugement américain ?

Caroline Mécary : Le jugement du TGI, rendu le 23 mai 2007, a rejeté la demande de Mme B., en affirmant que l'octroi de l'exequatur est soumis à cinq conditions : incompétence du tribunal étranger qui a rendu la décision, régularité de la procédure suivie devant cette juridiction, application de la loi compétente d'après les règles françaises de conflit de loi, absence de toute fraude à la loi et conformité à l'ordre public international. Il a estimé que si les quatre premières conditions étaient réunies, la dernière ne l'était pas. En effet, pour les juges du TGI, le jugement américain devait être assimilé à une adoption simple, ce qui aurait pour conséquence l'application de l'article 365 du Code civil (N° Lexbase : L2884ABG), et donc la perte par la mère biologique de l'enfant de l'autorité parentale, ce qui serait contraire à l'intérêt de l'enfant.

En appel, j'ai soutenu différents arguments.

D'abord, la Cour de cassation a, le 20 février 2007, dans un arrêt de principe, jugé que pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont réunies et non pas cinq, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement au juge saisi , la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-14.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2537DUI).

Ensuite, sur la question de la conformité à l'ordre public international français, l'atteinte résulterait de ce que, en France, l'article 365 prévoit en cas d'adoption simple que l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de l'autorité parentale car la mère biologique perd cette autorité parentale. Or, le jugement présenté à l'exequatur n'a pas été rendu en application du droit civil français mais en application du droit civil géorgien, qui, lui, maintient intégralement l'autorité parentale de la mère biologique, qui la partage avec l'adoptante, ainsi que le dit expressément le jugement présenté à l'exequatur.

Dès lors, le tribunal pouvait, conformément à une jurisprudence constante, procéder à une adaptation de la situation aux regards des règles de conflits de lois. Il aurait dû constater que la situation dont il était saisi se caractérisait par le fait que le droit américain et la loi française, telle que la jurisprudence l'interprète, prescrivent également le maintien de l'autorité parentale à la mère biologique. Il aurait dû comprendre que, dans les circonstances de l'espèce, une application mécanique des articles 370-5 (N° Lexbase : L8430ASZ) et 365 du Code civil engendrerait précisément un transfert écarté par l'une et l'autre législation, tandis que l'acceptation de la décision américaine les satisfaisait toutes les deux.

Néanmoins, la cour d'appel n'a pas souhaité aller dans ce sens et a confirmé le jugement déféré considérant que, selon les dispositions de l'article 365 du Code civil, l'adoptante est seule investie de l'autorité parentale, de sorte qu'il en résulte que la mère biologique est corrélativement privée de ses droits bien que vivant avec l'adoptante.

Lexbase : Quelle a été la position de la Cour de cassation ? Quelles sont les conséquences d'une telle décision ?

Caroline Mécary : Saisie d'un pourvoi, la Haute juridiction va censurer l'arrêt des juges parisiens, au visa de l'article 509 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6627H7L), ensemble l'article 370-5 du Code civil. A cet égard, elle énonce que le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français. Et il n'en est pas ainsi de la décision qui partage l'autorité parentale entre la mère et l'adoptante d'un enfant. En conséquence, la Cour annule l'arrêt et ordonne l'exequatur de la décision rendue le 10 juin 1999.

Cette décision a des effets considérables.

Tout d'abord, l'arrêt reconnaît la validité de l'adoption d'un enfant par le second parent de fait, et cela indépendamment de l'orientation sexuelle du second parent. La Cour de cassation admet donc qu'un enfant peut avoir deux parents de même sexe, c'est en ce sens que cet arrêt est une première. Il y aura un avant le 8 juillet 2010 et un après. Tous les couples placés dans la même situation que mes clientes (un parent biologique, un second parent adoptif avec un partage de l'autorité parentale) pourront bénéficier de cette jurisprudence.

Ensuite, je pense même que les adoptions conjointes devront, elles aussi, être reconnues, car il n'y pas à faire de différence entre un lien de filiation qui a été établi sur la base d'une naissance biologique et d'une adoption puisque on ne fait plus de différence entre les différentes filiations.

En conséquence, se retrouve posée la question de la pertinence de la législation française actuelle, qui ne permet pas l'adoption par le second parent de même sexe, ni l'adoption par des concubins ou des pacsés quelle que soit leur orientation sexuelle. En effet cette législation conduit à créer une discrimination à rebours, puisque des couples de même sexe résidant à l'étranger peuvent bénéficier sur le sol français de la reconnaissance de l'adoption, qui a été prononcée dans le pays étrangers, alors pour les couples de personnes de même sexe résidant en France, le second parent ne peut même pas adopter.

Lexbase : Justement, le même jour, la Cour de cassation a refusé, dans un arrêt concernant également un couple de femmes, d'accorder une délégation d'autorité parentale. Depuis, l'arrêt de 2006, qui avait permis la délégation pour les couples homoparentaux, la Cour de cassation semble en rester à une interprétation stricte des dispositions du Code civil. Quel est votre avis sur ce point ?

Caroline Mécary : Ce second arrêt  (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 09-12.623, FS-P+B+I N° Lexbase : A1240E4P) me paraît être un arrêt d'espèce, liée aux circonstances de l'espèce, et s'il ne l'était pas je crois qu'il faut alors analyser conjointement les trois arrêts de la Cour de cassation en date du 8 juillet 2010, c'est-à-dire en y incluant l'arrêt concernant le renvoi au Conseil constitutionnel d'une QPC portant sur la validité de l'article 365 du Code civil (Cass. QPC, 8 juillet 2010, n° 10-10.385, F-P+B N° Lexbase : A2176E4D), ces trois arrêts montrant que la loi de 1966 est totalement inadaptée à la situation des enfants élevés par deux femmes ou deux hommes.

Si l'on se replace, quelques années plus tôt, la Cour de cassation, par deux décisions très remarquées rendues le 20 février 2007, a mis un coup d'arrêt à l'adoption simple à la possible création de liens juridiques entre l'enfant, le parent et son concubin de même sexe (Cass. civ. 1, 20 février 2007, deux arrêts,  n° 04-15.676, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2536DUH et n° 06-15.647, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2676DUN). Dans ces deux affaires soumises à l'appréciation des juges, il s'agissait de femmes qui étaient liées par un Pacs et les enfants n'avaient pas de lien de filiation établi à l'égard du géniteur. Dans la première affaire, la cour d'appel de Paris avait rejeté la requête aux fins d'adoption simple présentée par la compagne de la mère biologique des enfants, aux motifs, d'une part, qu'une telle demande était contraire à leur intérêt dans la mesure où leur mère perdrait automatiquement son autorité parentale en cas d'adoption et, d'autre part, que les circonstances justifiant la délégation de l'autorité parentale à son profit n'étaient pas établies. Dans la seconde affaire, au contraire, la cour d'appel de Bourges avait prononcé, le 13 avril 2006, l'adoption simple par une femme du fils de sa compagne, estimant que l'adoption était conforme à l'intérêt de l'enfant et que la mère biologique pouvait solliciter un partage ou une délégation d'autorité parentale. La Cour de cassation a mis fin à cette apparente opposition en affirmant que l'article 365 du Code civil ne profite qu'au conjoint stricto sensu et non au partenaire d'un Pacs, car le prononcé de l'adoption simple a pour effet de déposséder le parent par le sang de l'autorité parentale alors même qu'il continue à élever l'enfant. La Cour de cassation a refusé d'assimiler le partenaire d'un Pacs à un conjoint, ce qui aurait permis à la mère biologique de partager avec l'adoptante les prérogatives de l'autorité parentale. Un recours a été déposé devant la CEDH sur cette question et l'affaire est en attente d'une fixation de date d'audience.

Lexbase : Au final, avec cet arrêt, un couple homoparental, binational ou non, d'ailleurs, vivant à l'étranger et bénéficiant d'un jugement d'adoption en sa faveur, peut le faire reconnaître juridiquement sur le sol français, alors que cela n'est pas possible au couple homoparental vivant sur le sol français. N'y a-t-il pas là un problème d'égalité devant le droit ?

Caroline Mécary : L'arrêt du 8 juillet 2010 relatif à l'exequatur du jugement d'adoption étranger est un arrêt de principe. Il a vocation à s'appliquer aux mêmes situations (couple vivant à l'étranger avec un parent biologique et un parent social, qui a pu adopter l'enfant de son partenaire) ; il devrait aussi s'appliquer aux couples vivants à l'étranger ayant pu bénéficier d'une adoption conjointe car il n'y a pas lieu de distinguer selon l'origine de la parenté. Or cela crée une discrimination à rebours car les couples sont traités différemment selon le lieu ou ils vivent : à l'étranger ou en France.

En tout état de cause, les trois arrêts ont une certaine cohérence : le premier sur l'exequatur est un pas très important, voire une révolution, puisqu'il reconnaît qu'un enfant peut avoir deux parents de même sexe ; le deuxième, qui semble limiter la voie de la délégation partage de l'autorité parentale, est une manière de dire ce n'est pas la bonne voie pour protéger un enfant ; et le troisième arrêt qui a transmis au Conseil constitutionnel une QPC portant sur le caractère discriminatoire de l'article 365 du Code civil (selon que vous êtes mariés ou non le parent par le sang perd ou non l'autorité parentale : si les couples hétérosexuels peuvent se marier et éviter cette perte ce n'est pas le cas des couples de femmes ou d'hommes, il y a donc bien une différence de traitement indirecte fondée sur le sexe). Et il se pourrait bien que le Conseil constitutionnel le dise. Ainsi si l'on regarde l'arc de ces trois décisions rendues par la Cour de cassation on peut penser qu'elle a décidé de tenir compte de l'évolution de la société en reconnaissant qu'un enfant peut avoir deux parents de même sexe, en limitant le partage de l'autorité parentale car ce n'est pas la voie la plus protectrice pour un enfant et en transmettant la QPC qui pourrait aboutir à une "abrogation" de l'article 365, ce qui lèverait l'obstacle juridique qui pèse actuellement sur l'adoption simple de l'enfant du partenaire dans un couple de personnes de même sexe.

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Fiscalité internationale

[Questions à...] Les droits du contribuable dans le cadre de la nouvelle coopération fiscale internationale - Questions à Franck Le Mentec, Avocat à la Cour, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral

Lecture: 4 min

N6410BP4

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 07 Octobre 2010

Depuis quelques années, la lutte contre la fraude fiscale internationale et l'objectif de transparence et d'échange de renseignements occupe une place de choix parmi les préoccupations des responsables politiques, justifiée par quelques scandales récents internationaux et par le fait que la crise financière mondiale a braqué les projecteurs sur les centres financiers en général. Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, la plus grande organisation fiscale internationale avec 91 Etats membres, placée sous l'égide de l'OCDE, a engagé, le 1er mars 2010, une vaste opération de "contrôle de conformité" des accords de coopération fiscale en vigueur, dont les premiers rapports, devraient être présentés lors de la réunion du Forum fiscal mondial, prévue les 28 et 29 septembre prochains à Singapour. C'est dans ce contexte que le Centre d'études des politiques fiscales et financières publiques (CEPFFP) organisait, le 15 juin 2010, une matinée d'études à la Sorbonne, sur le thème de la nouvelle coopération fiscale internationale. Au programme de ce colloque, étaient notamment présentés le rôle de l'OCDE dans l'émergence d'une nouvelle coopération fiscale internationale, l'approche française de la promotion de cette nouvelle coopération, ou encore des approches comparées de l'échange effectif de renseignements. Mais cette recherche accrue de transparence ne doit pas se faire au détriment des droits des contribuables. Tel était l'objet de l'intervention de Franck Le Mentec, Avocat à la Cour, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, Observatoire des Conventions fiscales internationales. Nous avons souhaité le rencontrer pour revenir sur cette question fondamentale des droits du contribuable. Lexbase : L'on assiste depuis quelques années à une intensification des procédures d'échange de renseignements, pouvez-vous, brièvement, faire le point sur les nouveaux outils d'échanges d'informations et de renseignements dont dispose l'administration fiscale française ?

Franck Le Mentec : Plus qu'une intensification, nous assistons à présent à un emballement des initiatives étatiques en ce domaine. Cela se traduit, premièrement, par le renforcement des cadres bilatéraux d'échanges, à la suite des décisions prises lors du G20 tenu à Londres en avril 2009, et multilatéraux, comme l'illustre la mise en place du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales. Deuxièmement, on peut relever la constitution de bases de données par les autorités fiscales, regroupant diverses informations sur les contribuables, tant en France (base EVAFISC) qu'au niveau européen (base EUROFISC). A n'en pas douter, des bases de données multilatérales, dépassant le cadre de l'Union européenne devraient prochainement voir le jour. On peut, notamment, relever à cet égard l'accord Swift en cours d'adoption, qui organise le transfert des données bancaires entre l'Europe et les Etats-Unis.

Lexbase : Quelle est la place du contribuable dans ce nouveau cadre ? Dans quelle mesure ses droits se trouvent-ils menacés ?

Franck Le Mentec : Notre propos ici n'est, bien entendu, pas de remettre en cause ce resserrement de la coopération fiscale internationale qui a pour objectif légitime de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale.

On s'aperçoit, cependant, que ces nouvelles procédures se mettent en oeuvre sans égard aux droits du contribuable, notamment ses droits de la défense et son droit à l'information.

En effet, l'échange d'information n'est conçu principalement qu'à travers le prisme étatique. A titre d'exemple, selon l'article 26 (ancienne et nouvelle version) de la convention-modèle OCDE, "les renseignements obtenus [...] ne sont communiqués qu'aux personnes et autorités concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts" -ce qui inclut le contribuable-. La Directive de 1977 reprend le même principe (Directive (CE) 77/799 du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs N° Lexbase : L9296AUT).

Toutefois, un grand nombre de conventions signées par la France est plus proche de la convention-modèle OCDE de 1963, en ce qu'elles prévoient que les renseignements obtenus ne peuvent être communiqués qu'aux personnes "chargées" de l'établissement de l'impôt, même si les conventions récemment signées tendent à reprendre le modèle OCDE (v. notamment les Conventions récemment signées avec l'Australie ou le Royaume-Uni).

Or, dans ce cas, l'administration ne s'estime pas compétente à transmettre au contribuable les renseignements qu'elle utilise à son encontre. Cette approche restrictive a été validée par le Conseil d'Etat (CE 8° et 9° s-s-r., 5 mars 1993, n° 105069 N° Lexbase : A8692AMU : RJF, 5/93, n° 674 ; Dr. fisc. 1993, n° 45, comm. 2127).

Autre illustration, en principe, le strict respect de la condition de réciprocité devrait être considéré comme essentiel, dès lors qu'il est imposé par l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) qui l'érige en condition de supériorité des Traités sur le droit interne.

L'administration fiscale française dispose de droits étendus, et notamment d'un accès total aux comptes bancaires des particuliers et des entreprises. Or, à l'heure actuelle, l'administration ne se prévaut pas, dans un tel cas, de la limitation tenant à la condition de réciprocité et elle transmet le cas échéant des documents bancaires à des pays qui, dans le cas inverse, les lui aurait refusés.

Par ailleurs, lorsque la France est le pays requis, pour que le contribuable soit éventuellement en mesure de saisir une juridiction de son désaccord sur le principe de la transmission de telle ou telle information, il conviendrait qu'il en soit averti au préalable. Tel n'est nullement le cas en France. D'autre pays, tels les Pays-Bas ou l'Allemagne, ont introduit quant à eux un processus d'information obligatoire.

Lexbase : Sur quels principes peut-on s'appuyer pour restaurer la place du contribuable ?

Franck Le Mentec : Les garde-fous traditionnels -que sont l'interdiction pour les Etats de pratiquer ce que l'OCDE nomme des "fishing expeditions", c'est-à-dire l'interdiction d'aller à la pêche aux renseignements, ou encore les règles applicables en matière de secret- apparaissent limités, dès lors que le contribuable ne peut en contrôler le bon respect.

Lexbase : Outre ces principes traditionnels, existe-t-il de nouveaux moyens ?

Franck Le Mentec : Le débat concernant la compatibilité des procédures d'échanges d'informations avec les règles applicables en matière de protection des données est actuellement en train de s'ouvrir.

On peut citer, notamment, l'avis très intéressant de la CNIL, rendu le 12 novembre 2009, concernant la création de la base française EVAFISC (délibération n° 2009-588 du 12 novembre 2009, portant avis sur un projet d'arrêté du ministère du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat portant création par la direction générale des finances publiques d'un fichier de comptes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales). Cet avis s'apparente à un rappel à l'ordre à l'intention des autorités fiscales ignorant les règles de protection des données personnelles.

De même, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a émis deux avis, comportant de fortes réserves sur les nouveaux outils de coopération mis en place. Un premier avis, en date du 30 octobre 2009, concerne les nouvelles mesures d'échange d'information qui vont être prises en matière de TVA et la création de la base EUROFISC.

Le second avis, rendu le 6 janvier 2010, concernant quant à lui la proposition de Directive du Conseil du 2 février 2009 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, comporte des réserves encore plus marquées que le premier avis. On relèvera, notamment, le paragraphe suivant : "le CEPD a remarqué que la proposition ne contient aucune disposition sur le principe de transparence, par exemple sur la manière dont l'échange d'informations est communiqué au grand public ou dont les personnes concernées seront informées du traitement des données. Le CEPD invite dès lors instamment le législateur à adopter une disposition concernant la transparence de l'échange d'informations".

Aussi, le droit communautaire ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ont été, à ce jour, peu sollicités en ce domaine, alors qu'ils peuvent constituer des armes juridiques efficaces.

newsid:396410

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Un mail de "recadrage" peut constituer un avertissement !

Réf. : Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-42.893, Société Médiance, F-D (N° Lexbase : A7223EXS)

Lecture: 6 min

N6296BPU

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le mail adressé à un salarié par son employeur contenant des critiques sur son travail et réclamant un changement radical dans sa façon de travailler constitue t-il un avertissement ? Oui, répond sans ambiguïté la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 mai 2010. La solution pourrait paraître surprenante. Les juges du Quai de l'Horloge nous ont sans doute habitué à plus de formalisme. Elle implique, en effet, qu'un "simple" mail -que nous qualifierons de "recadrage"- puisse constituer un avertissement, c'est-à-dire une sanction disciplinaire, ce qui n'est pas sans conséquence sur la suite de la procédure disciplinaire s'il doit y avoir... Et puis, surtout, il faut bien le reconnaître, elle n'est pas sans laisser un petit goût d'amertume. En effet, si elle a le mérite de la clarté, subsiste toujours le problème de la preuve de la notification de la sanction. Car, faut-il le rappeler, la décision de sanction doit être écrite et motivée, jusque-là pas de difficultés, mais, et c'est là que le bât pourrait blesser, elle doit être notifiée au salarié soit par lettre recommandée, soit par lettre remise en main propre à l'intéressé contre décharge (C. trav., art. R. 1332-2 N° Lexbase : L1736IAK). Dès lors, un simple mail ne saurait suffire. L'employeur devrait utiliser un courrier électronique recommandé, tel que prévu par l'article 1369-8 du Code civil (N° Lexbase : L6359G9E). Gageons qu'une telle complaisance découle du fait que l'avertissement reste une sanction mineure, n'ayant pas d'incidence directe sur la situation professionnelle du salarié, d'ailleurs, il reste la seule sanction disciplinaire n'imposant pas la tenue d'un entretien préalable... Lorsque l'employeur constate que l'un de ses salariés a eu un comportement fautif, il peut logiquement le sanctionner. La sanction disciplinaire est une mesure unilatérale prise par l'employeur à la suite d'un agissement fautif du salarié. Elle découle de son pouvoir disciplinaire -et non de son pouvoir de direction-. L'article L. 1331-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1858H9P) la définit classiquement comme toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. Ainsi, dès lors que la mesure prise par l'employeur à l'égard d'un salarié est la suite d'un comportement de ce dernier considéré par le premier comme fautif, elle constitue une sanction disciplinaire (1).

Si la loi interdit les sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 1331-2 N° Lexbase : L1860H9R) ou discriminatoires (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L6053IAG à L. 1132-4), en revanche, elle ne dresse pas de listes des sanctions que l'employeur peut prendre. Il revient donc au règlement intérieur de fixer la nature et l'échelle des sanctions disciplinaires (C. trav., art. L. 1321-1 N° Lexbase : L1837H9W). Notons qu'il peut prononcer une sanction moins grave que celle prévue par le règlement intérieur (2).

Précisions utiles : un comportement fautif ne peut résulter que d'un fait imputable au salarié (3). Le comportement fautif doit se rapporter à la prestation de travail pour être sanctionné (4). En effet, seuls les manquements aux obligations résultant du contrat de travail peuvent être considérés comme des fautes professionnelles (5).

De l'avertissement au licenciement disciplinaire, en passant par la mise à pied, la rétrogradation, voire la mutation, les sanctions disciplinaires sont donc nombreuses et offrent finalement un panel assez large à l'employeur, qui dispose ainsi de possibilités aux divers degrés de sévérité afin de sanctionner un salarié fautif.

La forme la moins sévère reste l'avertissement. La difficulté réside dans sa définition. On l'a vu, point d'approche légale. Nous retiendrons simplement ici l'article L. 1332-1 (N° Lexbase : L1862H9T), qui dispose qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui. Et la jurisprudence est étrangement assez peu prolixe en la matière. Les juges ont tout de même eu l'occasion d'affirmer qu'une lettre adressée par l'employeur au salarié pour lui faire des reproches et des mises en demeure constitue un avertissement (6). Par ailleurs, les avertissements, quel que soit leur nombre, n'ont pas par eux-mêmes d'incidence sur la situation du salarié et il n'est donc pas nécessaire de convoquer le salarié à un entretien préalable (7). C'est d'ailleurs le seul type de sanction pour lequel la loi n'impose pas la tenue d'un entretien préalable. On le sent donc bien ici, la frontière entre l'avertissement et la simple observation écrite est difficile à cerner (8).

Or, la caractérisation de la sanction disciplinaire est importante. En effet, de jurisprudence constante, l'employeur ne peut pas sanctionner deux fois la même faute (9). C'est là une simple application de la règle non bis in idem. Il est, ainsi, interdit, par exemple, qu'une faute sanctionnée par un avertissement soit ensuite sanctionnée par une mise à pied ou un licenciement (10). En revanche, la mise à pied conservatoire n'étant pas une sanction disciplinaire, le licenciement qui suit est justifié. Il n'y a pas non plus double sanction lorsque des fautes de même nature ont été commises plusieurs fois et l'employeur décide de prendre en compte les fautes précédentes pour sanctionner plus sévèrement la dernière faute. Lorsque l'employeur prend une nouvelle sanction à la suite de l'annulation d'une première sanction jugée disproportionnée, il ne se heurte pas au principe de non-cumul. Il est également interdit d'invoquer une sanction datant de plus de trois ans à l'appui d'une nouvelle sanction (C. trav., art. L. 1332-5 N° Lexbase : L1869H94).

Dans cette affaire, une salariée s'était vue adresser, de la part de son employeur, un message électronique articulant un certain nombre de critiques et réclamant un changement radical. Le lendemain, elle était convoquée à un entretien préalable à un licenciement. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

L'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamné au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts et au remboursement aux organismes sociaux des indemnités de chômage dans la limite de six mois, alors, selon le moyen, que le pouvoir de direction de l'employeur ne saurait être confondu avec son pouvoir disciplinaire, ni donc une directive ou un rappel à l'ordre du salarié avec une sanction disciplinaire. Dès lors, ne saurait constituer une sanction l'envoi au salarié d'un courrier électronique dans lequel l'employeur, tout en lui faisant part de son impression sur un certain relâchement, lui rappelle les directives qu'il doit mettre en oeuvre, l'invite à se ressaisir dans l'accomplissement de ses fonctions, et lui indique qu'il fera le point sur sa situation dans un délai donné. Un tel message manifeste de la part de l'employeur l'exercice de son pouvoir de direction et, le cas échéant, de contrôle, mais non pas disciplinaire. Ainsi, en décidant que le courrier électronique litigieux constituait une sanction et que les faits en cause ne pouvaient être sanctionnés une seconde fois par le prononcé du licenciement, tout en constatant que ce message enjoignait à la salariée de se conformer aux instructions, règlements, et pratiques en vigueur dans l'entreprise, ce qui révélait l'exercice par l'employeur de son pouvoir de donner des directives au salarié, mais non pas de son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel aurait violé l'article L. 1331-1 du Code du travail et le principe "non bis in idem".

A tort. Selon la Haute juridiction, après avoir relevé que, dans son message électronique, l'employeur adressait divers reproches à la salariée et l'invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d'août, la cour d'appel a justement décidé que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, de sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement, lequel devait, dès lors, être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

On le voit bien ici, au risque de se répéter, la frontière est bien mince entre de simples remarques et un avertissement. Dans cette affaire, l'employeur avait reproché, par mail, certains manquements de la salariée, ces manquements étant d'origine professionnelle, les juges du fond en ont déduit que ce mail constituait un avertissement. La solution n'est, cependant, pas nouvelle. En 2007, déjà, les juges du Quai de l'Horloge avaient retenu qu'un mail pouvait constituer un avertissement (11). En l'espèce, l'employeur avait adressé des reproches à la salariée dans un courrier, puis dans un mail, pour des faits qu'il estimait fautifs. Or, selon la Haute juridiction, la cour d'appel a pu en déduire que les mises en garde contenues dans ces documents constituaient des sanctions et que les mêmes faits ne pouvaient être une seconde fois sanctionnés.

Les juges ont adopté, dans ces deux affaires, le même modus operandi. Le principe de base est le même : la règle non bis in idem interdit à l'employeur de sanctionner deux fois les mêmes faits. Dans cette optique, dans un souci apparent de protection du salarié licencié pour faute grave, la Haute juridiction a considéré que le mail envoyé au salarié pour lui reprocher tel comportement devait être assimilé à un avertissement écrit. Dès lors, le licenciement prononcé pour les mêmes faits se retrouvait dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Surtout, ce qu'il est important de retenir, c'est que l'avertissement peut être établi en l'absence de toute mention explicite dans le mail, ce qui est le cas dans l'affaire nous intéressant, c'est-à-dire que les juges du fond peuvent la déduire à partir du seul contenu de ce même mail. Dès lors, mettre en garde un salarié dans un courriel, même de façon informelle, constitue un avertissement, lequel interdit donc une nouvelle sanction reposant sur les mêmes faits. Ce qui impose la plus grande vigilance...


(1) Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-46.547, M. Serge Denoize c/ Chambre de commerce et d'industrie de Marseille Provence, F-D (N° Lexbase : A9888DLS).
(2) Cass. soc., 20 avril 1989, n° 86-42.234, Société Cegedur Pechiney c/ M. Lascovitch (N° Lexbase : A8745AA7).
(3) Cass. soc., 21 mars 2000, n° 98-40.130, Mlle Benamsili c/ Société PCM 4 (N° Lexbase : A4970AG8).
(4) Cass. soc., 2 avril 1997, n° 94-43.352, Société SFOB c/ Monsieur Jean-Claude X (N° Lexbase : A1633ACH).
(5) Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370, M. Marino c/ Société Semitag (N° Lexbase : A6367AGW). Encore récemment, Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66.792, M. Ludovic Chaput, FS-P+B (N° Lexbase : A6840E3Q).
(6) Cass. soc., 13 octobre 1993, n° 92-40.474, M. Fernandez c/ Société Marnier Lapostolle (N° Lexbase : A3906AAW).
(7) Cass. soc., 19 janvier 1989, n° 86-45.505, Société à responsabilité limitée Soco c/ Mme Hy (N° Lexbase : A8823AAZ).
(8) Cass. soc. 13 octobre 1993, n° 92-40.474 (N° Lexbase : A3906AAW).
(9) Cass. soc., 25 juin 1986, n° 84-41.606, Société anonyme Cora Labuissière c/ Mme Fajs (N° Lexbase : A9530AA9).
(10) Cass. soc., 30 septembre 2003, n° 01-40.658, M. René, Luc Georgin c/ M. Michel Pautrat, F-D (N° Lexbase : A6589C9W).
(11) Cass. soc., 6 mars 2007, n° 05-43.698, Société Lexon, F-D (N° Lexbase : A6011DU8).

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Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Juillet 2010

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique sera présenté un arrêt rendu le 26 mai 2010 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans lequel, en retenant que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à l'exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés, la Haute juridiction cède face à l'impérialisme de la Cour de justice de l'Union européenne. Dans le second arrêt sélectionné cette semaine par l'auteur, rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2010, cette dernière retient que le préjudice sexuel relève de la catégorie du préjudice d'agrément.

  • Responsabilité du fait des produits défectueux : la Cour de cassation cède face à l'impérialisme de la Cour de justice de l'Union européennes (Cass. com., 26 mai 2010, n° 08-18.545, FS-P+B N° Lexbase : A7205EX7)

La loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX) a transposé en droit interne la Directive du Conseil des Communautés européennes du 25 juillet 1985, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9620AUT), prévoyant non seulement une unification des responsabilités contractuelle et délictuelle , mais encore, par un mécanisme de superposition, que les dispositions en question, insérées dans le Code civil aux articles 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX) et suivants, "ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité" (3). Et puisque, comme on l'a justement fait observer, le droit recouvert est, pour la victime, préférable au droit superposé, quant au risque de développement notamment, il paraissait cohérent de penser qu'elle aurait précisément intérêt à exercer une option en ce sens (4). Mais cette éventualité s'est trouvée largement compromise par la Cour de justice des Communautés européennes qui a pris le parti de neutraliser l'existence de dispositions des droits nationaux plus favorables aux victimes. La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par son arrêt du 26 mai dernier, à paraître au Bulletin, cède face à cette communautarisation du droit français.

En l'espèce, une société, qui avait acquis auprès d'une autre du matériel de stockage dont une partie était fabriquée et commercialisée par une troisième société, l'avait assignée en responsabilité après la chute des matériels de stockage lors d'opérations de manutention ayant provoqué la mort d'un de ses salariés. Elle faisait, cependant, avec son assureur qui avait versé diverses sommes aux ayants droit de la victime, grief aux premiers juges d'avoir déclaré irrecevable l'action récursoire à l'encontre du fournisseur desdits matériels au titre du défaut de sécurité du produit alors, selon le moyen que, d'une part, le fournisseur ou le vendeur non producteur commet, en fournissant un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre dans des circonstances normalement prévisibles, une faute délictuelle à l'égard du tiers blessé ou tué à raison de l'utilisation dudit produit et, d'autre part, que l'assureur avait fait valoir qu'il résultait des conclusions de l'expert judiciaire que la société qui avait fourni le matériel avait commis une faute engageant sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil et que cette faute était caractérisée par le fait qu'elle avait livré un matériel défectueux. Le pourvoi est cependant rejeté, au motif que "le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à l'exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés ; qu'ayant relevé, d'abord, que la société Ettax n'était que le fournisseur du matériel litigieux et non son fabricant, puis, que la société Acte IARD et la société FM connaissaient l'identité du producteur, et enfin, que celles-ci n'établissaient aucune faute distincte du défaut de sécurité du produit, la cour d'appel en a exactement déduit, sans dénaturer les conclusions qui lui étaient soumises, que l'action en responsabilité délictuelle fondée sur l'article 1382 du Code civil était irrecevable à l'encontre de la société Ettax par application des articles 1386-1 et suivants du Code civil ".

La solution, quand bien même on la regretterait, ne surprend pas. On se souvient, en effet, que, par un arrêt en date du 25 avril 2002 statuant sur le recours en interprétation de l'article 13 de la Directive, la Cour de justice des Communautés européennes avait eu à se prononcer sur la question de savoir si une législation nationale, en l'occurrence plus favorable aux victimes, devait être maintenue après l'entrée en vigueur de la loi de transposition. Et la Cour avait décidé que l'article 13 de la Directive, qui dispose que "la présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive" (d'où, en droit interne, C. civ., art. 1386-18 N° Lexbase : L1511ABL), devait être interprété en ce sens que "les droits conférés par un Etat membre aux victimes d'un dommage causé par un produit défectueux, au titre d'un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par ladite Directive, peuvent se trouver limités ou restreints à la suite de la transpositions de celle-ci dans l'ordre juridique interne dudit Etat" (5). Autrement dit, pour que d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle puissent s'appliquer, encore fallait-il qu'ils reposent sur des fondements différents de ceux sur lesquels repose le système instauré par la Directive. Or, comme on l'a fait observer, l'obligation de sécurité de résultat imposée au vendeur professionnel, et sur laquelle repose, pour l'essentiel, le droit commun de la responsabilité des dommages causés par un produit, correspond au "fondement" de la responsabilité du fait des produits défectueux issue de la Directive, au sens où la Cour entend le mot "fondement" (6). Aussi bien, toute possibilité de se prévaloir du droit commun, lorsqu'il se fonde sur un manquement à l'obligation de sécurité, se trouve-t-elle désormais exclue. Par où la solution aboutit à une régression de la protection des victimes.

On aurait certes pu imaginer, pour contourner ces solutions drastiques, soit de considérer que la violation d'une obligation de sécurité constitue une faute, soit de réintroduire l'obligation de sécurité du vendeur professionnel ainsi évincée dans la garantie des vices cachés, la Cour de justice des Communautés européennes réservant, précisément, les actions fondées sur la faute et la garantie des vices cachés. En rejetant le pourvoi, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale du 26 mai dernier, au motif que les demandeurs "n'établissaient aucune faute distincte du défaut de sécurité du produit", la Cour de cassation, en bon soldat aux ordres de la Cour de Luxembourg, ne paraît, en tout cas, pas décidée à recourir à de tels artifices, pourtant nécessaires pour pallier cette étrange et inquiétante diminution de la protection des consommateurs voulue par la Cour de justice, au demeurant contraire tant à l'évolution de notre droit civil qu'aux objectifs du droit communautaire, y compris de la Directive du 25 juillet 1985 dont l'exposé des motifs justifiait l'article 13 par "l'objectif d'une protection efficace des consommateurs".

  • Le préjudice sexuel relève de la catégorie du préjudice d'agrément (Cass. civ. 2, 17 juin 2010, n° 09-15.842, F-P+B N° Lexbase : A1020E38)

En dépit de certaines réticences, doctrinales notamment (7), la jurisprudence a assez rapidement admis le principe de la réparation du préjudice moral, tant d'ailleurs pour la victime immédiate que pour la victime par ricochet. La mise en oeuvre du principe a cependant suscité un certain nombre de discussions et d'hésitations. Ainsi s'est-on demandé si le droit à réparation du préjudice moral souffert par le de cujus pouvait se transmettre aux héritiers (8) ; ou bien encore souligne-t-on les difficultés d'appréciation et d'évaluation du préjudice moral (9). Ces questions sont bien connues. D'autres s'y ajoutent : ainsi, la jurisprudence s'étant orientée dans la voie de l'énumération des différentes sources de préjudice moraux, on s'interroge sur la qualification de certains préjudices moraux, à côté des souffrances endurées, autrement dit du pretium doloris ou du préjudice d'affection, d'où l'existence de débats sur la place du préjudice esthétique (10) ou du préjudice d'agrément (11), et finalement du préjudice sexuel, dont on se demande s'il relève, précisément, de la catégorie du préjudice d'agrément ou bien s'il doit en être distingué. Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 juin 2010, à paraître au Bulletin, invite précisément à y revenir.

En l'espèce, la victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule dont le conducteur était demeuré inconnu avait transigé avec le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, certains postes de préjudice ayant été réservés, puis avaient, avec sa compagne, assigné le Fonds devant un tribunal de grande instance, en présence des organismes sociaux, afin d'obtenir l'indemnisation de certains préjudices qui, selon eux, ne seraient pas compris dans la transaction. Ainsi en allait-il, d'abord, de demandes relatives à l'indemnisation de diverses aides techniques lui permettant d'avoir une vie plus normale, c'est-à-dire d'accéder à des lieux publics de détente et de plaisirs, comme la plage et les pistes de ski ; et, ensuite, de demandes relatives à l'indemnisation des pilules de Viagra. Ces deux séries de demandes ont été rejetées par les juges du fond, approuvés ici par la Cour de cassation. S'agissant des premières, la Cour relève, en effet, que "l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. X... fait valoir que le quad et ses accessoires et adaptations divers lui permettront d'accéder dans des lieux tels que les forêts, les plages et les montagnes ; que ces prétentions se rattachent incontestablement à l'indemnisation du préjudice d'agrément éprouvé par la victime, et en réparation duquel celle-ci a reçu à titre transactionnel la somme de 40 000 euros ; que la demande au titre du quad pour l'accès en forêt, d'une remorque de transport pour le quad, des adaptations du quad, d'un dual ski pour faire du ski assis et d'un fauteuil Tiralo pour accéder à la plage, sont irrecevables". Et s'agissant des secondes, la Haute juridiction décide que "le préjudice sexuel comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle à savoir : le préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi, le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel, qu'il s'agisse de la perte de l'envie ou de la libido, de la perte de la capacité physique de réaliser l'acte, ou de la perte de la capacité à accéder au plaisir, le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer" et que, au cas d'espèce, "par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que M. X... a perçu à titre transactionnel la somme de 40 000 euros en réparation de son préjudice sexuel, lequel n'est pas seulement limité à la perte de sensation de plaisir, ainsi que le soutient la victime, mais concerne l'atteinte, sous toutes ses formes, à la vie sexuelle", de telle sorte que, "de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la demande d'indemnisation formulée correspondait à un poste de préjudice déjà indemnisé dans la transaction, qu'elle a souverainement interprétée".

L'enjeu du débat était grand puisque, on l'aura compris, de la qualification du préjudice allégué dépendait le point de savoir si l'on devait considérer qu'il rentrait dans le préjudice d'agrément déjà indemnisé au titre de la transaction. Si on laisse ici de côté les demandes relatives à l'indemnisation de diverses aides techniques permettant à la victime de pratiquer certaines activités de loisirs dans la mesure où il paraissait assez évident qu'elles rejoignaient celles réglées dans la transaction au titre du préjudice d'agrément, il restait tout de même à régler la question du préjudice sexuel, dont on sait que la jurisprudence, à partir des années 1970, lui a affecté une indemnité particulière destinée à "réparer" non seulement la perte de la faculté de procréer, mais aussi celle du plaisir de l'acte sexuel et enfin ce qu'on a appelé le "préjudice d'établissement" (12). Sous cet aspect, on se souvient que, par un arrêt de sa deuxième chambre civile en date du 28 mai 2009, la Cour de cassation avait défini le déficit fonctionnel permanent comme comprenant "les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de la vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales", vidant ainsi de sa substance le préjudice d'agrément qui "vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir" (13). Deux arrêts récents, de la même deuxième chambre civile du 8 avril 2010 (14), d'ailleurs signalés dans le cadre de cette chronique, définissant tous deux le préjudice d'agrément comme "celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions d'existence", sont cependant revenus, comme l'entendait au demeurant la Cour de cassation avant l'arrêt du 28 mai 2009, à une conception moins restrictive du préjudice d'agrément (15), incluant le préjudice sexuel (16). Telle est la position que reprend l'arrêt du 17 juin dernier.

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Sur laquelle voir not. Y. Markovits, La directive CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, th. Paris I, éd. 1980 ; J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des produits, Etude de droit comparé, th. Paris I, 2004 ; M. Cannarsa, La responsabilité du fait des produits défectueux, Etude comparative, th. Lyon III, 2005.
(2) L'article 1386-1 du Code civil (N° Lexbase : L1494ABX), issu de la loi du 19 mai 1998, transcendant en effet la distinction des responsabilités contractuelle et délictuelle.
(3) C. civ., art. 1386-18, al. 1er (N° Lexbase : L1511ABL).
(4) F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 11ème éd., n° 987 p. 991.
(5) CJCE, 25 avril 2002, aff. C-183/00, María Victoria González Sánchez c/ Medicina Asturiana SA (N° Lexbase : A5768AYB) ; D., 2002, p. 2426, note Ch. Larroumet ; RTDCiv., 2002, p. 523, obs. P. Jourdain.
(6) P. Jourdain, obs. préc..
(7) G. Ripert, Le prix de la douleur, D., 1948, Chron. p. 1.
(8) Question finalement réglée par Cass. mixte, 30 avril 1976, n° 73-93.014, Consorts Goubeau c/ Alizan, publié au bulletin (N° Lexbase : A5436CKK) ; D., 1977, p. 185, note Contamine-Raynaud.
(9) M.-E. Roujou de Boubée, Essai sur la notion de réparation, th. Toulouse, éd. 1974 ; Lî-My Duong, Le traitement juridique du préjudice immatériel, JCP éd E, 2005, 525.
(10) M. Guidoni, Le préjudice esthétique, th. Paris I, 1977 ; L. Melennec, L'indemnisation du préjudice esthétique, Gaz. Pal., 1976, p. 2.
(11) L. Cadiet, Le préjudice d'agrément, th. Poitiers, 1983.
(12) M. Bourrie-Quenillet, Le préjudice sexuel : preuve, nature juridique et indemnisation, JCP éd. G, 1996, I, 3986 ; H. Groutel, Les facettes de l'autonomie du préjudice sexuel, Resp. civ. et assur., 1993, Chron. n° 7.
(13) Cass. civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-16.829, Etablissement français du sang, établissement public, FS-P+B (N° Lexbase : A3927EHW), Bull. civ. II, n° 131.
(14) Cass. civ. 2, 8 avril 2010, deux arrêts, n° 09-11.634, Société East Balt, FS-P+B sur le troisième moyen (N° Lexbase : A5844EUY) et n° 09-14.047, Caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, FS-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A5886EUK) ; nos obs. in La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Mai 2010, Lexbase Hebdo n° 396 du 27 mai 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N2150BPC).
(15) Ass. plén., 19 décembre 2003, n° 02-14.783, Société MAAF assurances c/ M. Cédric Gibert, P (N° Lexbase : A4684DAQ), D., 2004, p. 161, note Y. Lambert-Faivre.
(16) Cass. civ. 2, 14 février 2007, n° 05-11.819, M. Antonio Da Silva, F-D (N° Lexbase : A2078DUI).

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QPC

[Jurisprudence] La Cour de cassation, juge constitutionnel ?

Réf. : Cass. QPC, 18 juin 2010, 4 arrêts, n° 10-40.005 (N° Lexbase : A4056E3M), n° 10-40.006 (N° Lexbase : A4057E3N), n° 10-40.007 (N° Lexbase : A4058E3P) et n° 10-14.749 (N° Lexbase : A4055E3L) ; Cass. QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009 (N° Lexbase : A7369E3C)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Quelques semaines après l'entrée en vigueur de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la Cour de cassation vient de rendre cinq décisions intéressant directement le droit du travail, quatre relatives à la loi du 20 août 2008 (1) dans son volet "démocratie sociale" (Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.007, n° 10-40.005, n° 10-40.006 et n° 10-14.749) et une concernant la prescription quinquennale des gains et salaires (Cass. QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009). Aucune des questions posées n'ayant été jugée sérieuse, la Cour a refusé de les transmettre au Conseil constitutionnel (I), se comportant de fait comme un juge constitutionnel, loin de l'esprit de la réforme constitutionnelle intervenue en 2008 (II).
Résumés

Pourvois n° 10-40,005, n° 10-40.006 et n° 10-40.007 : l'exigence d'un seuil raisonnable d'audience subordonnant la représentativité d'une organisation syndicale ne constitue pas une atteinte au principe de la liberté syndicale et la représentation légitimée par le vote, loin de violer le principe de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail par l'intermédiaire des syndicats, en assure, au contraire, l'effectivité.

Pourvoi n° 10-14.749 : subordonner la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus ne porte atteinte à aucun des droits et libertés garantis par la Constitution.

Pourvoi n° 10-40.009 : la question posée, relative à la durée de la prescription des actions en paiement des salaires, au demeurant conforme au droit commun, ne présente pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués.

I - Les refus de transmission

  • Procédure de la QPC

L'entrée en vigueur au 1er mars 2010 de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité a provoqué un incontestable engouement et fait naître autant de craintes que d'espoirs (2).

La procédure adoptée confit au Conseil constitutionnel le soin de dire si les dispositions légales contestées par les parties sont ou non inconstitutionnelles et aux juridictions de cassation un rôle de filtre afin de protéger le Conseil contre l'afflux de questions qui ne présenteraient aucun caractère de nouveauté, au regard des normes constitutionnelles concernées, ou de sérieux au regard des chances d'abrogation des dispositions légales déférées.

C'est la vérification par les juridictions de cassation du caractère "sérieux" du grief qui constitue incontestablement la principale source d'incertitudes sur l'avenir de la réforme, dans la mesure où la Cour de cassation et le Conseil d'Etat disposent ainsi d'un critère dont elles peuvent, ou non, faire une interprétation large ou restrictive, selon qu'elles souhaitent jouer un rôle de simple chambre de transmission des QPC ou, au contraire, un véritable rôle de "chambre des requêtes" chargée, en réalité, d'un pré-contrôle de constitutionnalité.

  • Premier bilan

L'examen des premières affaires traitées par la Cour de cassation depuis le 1er mars 2010 a montré qu'environ 20 % des questions transmises par les juridictions du fond, et examinées par la formation ad hoc ou présentées directement devant les différentes chambres et traitées par elles, à l'occasion d'un pourvoi, n'ont pas été transmises, généralement en raison du caractère non sérieux des arguments soulevés (3).

Jusqu'aux cinq premières décisions rendues les 18 et 25 juin 2010, la Cour de cassation n'avait pas eu à prendre parti sur le caractère sérieux de QPC portant directement sur des dispositions du Code du travail (4). C'est désormais chose faite avec quatre décisions en date du 18 juin, et portant sur la constitutionnalité de différentes dispositions issues de la loi du 20 août 2008, dans ses dispositions relatives à la démocratie sociale, et une relative à la prescription quinquennale des gains et salaires en date du 25 juin 2010.

  • Mise en cause de l'exigence d'un seuil d'audience électorale de 10 % comme critère de la représentativité syndicale

Trois des premières questions transmises à la Cour de cassation portaient sur la conformité à la Constitution du seuil d'audience électorale de 10 % exigé par la loi du 20 août 2010 pour établir la représentativité des organisations syndicales aux niveaux de l'entreprise, l'établissement et les groupes d'entreprises.

Plus précisément, les juridictions d'instance avaient transmis à la Cour la question de la conformité de l'article 2 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 modifiant les articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI) et L. 2122-3 (N° Lexbase : L3740IB7) du Code du travail au regard des droits et libertés garantis par l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), disposant que "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix" et à l'alinéa 8 de ce même Préambule, disposant que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises" (pourvoi n° 10-40.007). Dans une deuxième affaire, c'étaient également les articles 1er et 5 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, modifiant les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN), L. 2122-1, L. 2122-2, L. 2122-3, L. 2122-4 (N° Lexbase : L3798IBB), L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), L. 2143-4 (N° Lexbase : L3782IBP), L. 2143-5 (N° Lexbase : L3732IBT) et L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS) du Code du travail, qui étaient accusés de porter également atteinte au principe constitutionnel de sécurité juridique pris dans l'obligation qu'il emporte de clarté et d'intelligibilité de la loi (pourvoi n° 10-40.005). La troisième affaire mettait en cause l'article 8 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 au regard des dispositions des alinéas 5 et 6 du Préambule de la Constitution de 1946 (pourvoi n° 10-40.006).

Quoi que portant exactement sur les mêmes dispositions de la loi du 20 août 2008 et ne mobilisant pas toujours les mêmes droits et libertés garantis par la Constitution, ces trois questions ont reçu la même réponse et ont été soumises au même traitement, puisqu'aucune n'a été transmise au Conseil constitutionnel en raison de leur absence de nouveauté et de caractère sérieux.

Pour la formation ad hoc, en effet, "l'exigence d'un seuil raisonnable d'audience subordonnant la représentativité d'une organisation syndicale ne constitue pas une atteinte au principe de la liberté syndicale et où la représentation légitimée par le vote, loin de violer le principe de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail par l'intermédiaire des syndicats, en assure au contraire l'effectivité".

  • Mise en cause de la condition subordonnant la possibilité pour les syndicats de désigner des représentants au comité d'entreprise à la présence d'élus

Une autre question contestait la constitutionnalité du nouveau critère de désignation des représentants des syndicats de l'entreprise au comité d'entreprise, dans les entreprises de 300 salariés et plus, et qui impose d'y avoir "des élus".

Le tribunal qui avait saisi la Haute juridiction demandait, en effet, à celle-ci si l"es dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 sont [...] contraires aux droits et libertés à valeur constitutionnelle et, plus précisément, au principe de la liberté syndicale tel qu'il est consacré au sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, au droit des travailleurs à participer, par l'intermédiaire de leurs représentants, à la détermination de leurs conditions de travail, tel qu'il est consacré au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et au principe d'égalité devant la loi, tel qu'il est consacré à l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et aux articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 5 et 6 (N° Lexbase : L1370A9M) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen".

La réponse a été encore plus lapidaire que dans les autres affaires et le sort réservé à la question identique, la Cour ayant considéré que la question n'était ni nouvelle, ni sérieuse, "en ce que subordonner la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus ne porte atteinte à aucun des droits et libertés garantis par la Constitution" (pourvoi n° 10-14.749).

  • Mise en cause de la prescription quinquennale des gains et salaires

La dernière question concernait la constitutionnalité de la prescription quinquennale des gains et salaires de l'article L. 3245-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7244IAK), en ce qu'elle porterait atteinte au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, au principe d'égalité, au droit de propriété, au droit à un travail et au principe de non-discrimination.

Dans un arrêt en date du 25 juin 2010, la Cour de cassation a considéré que cette question n'était ni nouvelle, ni sérieuse, "au regard des exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués" (pourvoi n° 10-40.009).

II - La Cour de cassation et le contrôle de constitutionnalité

1. Appréciation des décisions au regard des griefs formulés

  • Conformité du seuil d'audience de 10 %

Les QPC posaient, tout d'abord, la question de la conformité du seuil d'audience de 10 % au droit à l'action syndicale (5) et au droit des salariés à la participation par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (6).

La Cour de cassation a considéré que "l'exigence d'un seuil raisonnable d'audience subordonnant la représentativité d'une organisation syndicale ne constitue pas une atteinte au principe de la liberté syndicale et [...] la représentation légitimée par le vote, loin de violer le principe de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail par l'intermédiaire des syndicats, en assure au contraire l'effectivité".

S'agissant de l'atteinte à la liberté syndicale, la Cour semble considérer que ce seuil ne remet pas en cause la liberté de se syndiquer (liberté syndicale) car il ne concerne que l'acquisition de la qualité de syndicat représentatif et non l'exercice même du droit syndical (droit de se syndiquer, de ne pas se syndiquer, de revendiquer). Dans une conception étroite du droit syndical réduite à la liberté syndicale (7), on ne saurait lui donner tort. Mais on ne pourra pas passer sous silence qu'une grande partie des prérogatives des syndicats est subordonnée à leur représentativité (8), même s'il faut également reconnaître, surtout après la loi du 20 août 2008, que les droits des syndicats non représentatifs, et présentant certains caractères (9), ont été sensiblement réévalués (10).

S'agissant de l'atteinte au principe de participation, la Cour de cassation considère, là aussi implicitement, qu'il n'y a pas de violation à exiger une audience minimale de 10 %, mais, au contraire, souci d'en assurer l'effectivité.

L'affirmation est un peu rapide. Le souci d'assurer l'effectivité du principe de participation constitue, en effet, la finalité de l'atteinte, mais ne permet pas d'affirmer qu'il y n'y a pas d'atteinte au principe de participation. En imposant un seuil d'audience pour l'accès aux prérogatives de négociation collective, la loi porte, en effet, nécessairement atteinte au principe lui-même (11). Se pose, alors, la question de la finalité de cette atteinte (assurer une meilleure effectivité du principe en donnant plus de légitimité aux acteurs), de sa proportionnalité (atteinte qualifiée de "raisonnable" par la Cour de cassation) et de l'adéquation des moyens mis en oeuvre à la finalité recherchée (peut-on atteindre le même objectif par des moyens portant moins atteinte au principe de participation ?). En fixant un seuil d'audience à 10 %, la loi du 20 août 2008 permet, il est vrai mécaniquement, à dix syndicats au plus d'y être représentatifs, ce qui semble, en effet, "raisonnable".

La Cour n'a pas répondu au grief tiré de la violation du principe de clarté et d'intelligibilité de la loi ? Mais on sait qu'un débat existe sur la possibilité d'invoquer ce grief dans la mesure où il ne semble pas constituer un droit ou une liberté que la Constitution garantit (12). Cet arrêt pourrait donc accréditer la thèse de l'exclusion, tout au moins dans le cadre de la QPC, de ce grief qui serait donc réservé au contrôle initial des conformités des lois.

  • Conformité de l'exigence d'élus pour désigner un représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises de 300 salariés et plus

Dans cette affaire, les demandeurs prétendaient que cette exigence portait atteinte au principe de liberté syndicale, de participation des travailleurs, ainsi qu'au principe d'égalité.

Mais, pour la Cour de cassation, "subordonner la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus ne porte atteinte à aucun des droits et libertés garantis par la Constitution" (pourvoi n° 10-14.749).

Ici encore, la Cour de cassation semble considérer que la solution relève de l'évidence : le principe de liberté syndicale ne serait pas atteint car cette règle n'empêche, bien entendu, pas les salariés de se syndiquer, et même à admettre que la liberté syndicale englobe plus largement le droit syndical, les syndicats (représentatifs, car tel était bien le problème pour ceux qui n'auraient pas d'élus, ou un seul) exercent, par ailleurs, leurs prérogatives dans l'entreprise par l'intermédiaire de leur délégué syndical, ou du RSS pour les syndicats non représentatifs ; le principe de participation ne serait pas concerné car les salariés l'exercent par le biais de l'élection de leurs représentants au comité ; le principe d'égalité ne serait pas, non plus, concerné car les syndicats ayant des élus ne seraient pas dans la même situation que ceux qui n'en ont pas, excluant ainsi toute atteinte au principe d'égalité.

Le moins que l'on puisse dire est que la motivation de l'arrêt, si tant est que la solution puisse être considérée comme "motivée", est des plus lapidaires. Certes, l'exigence semble là aussi raisonnable car on peut penser qu'en imposant la présence d'élus (en réalité d'un titulaire et d'un remplaçant (13)), la loi du 20 août 2008 a entendu renforcer la légitimité des syndicats présents au comité dans les grandes entreprises en ne permettant qu'à ceux qui ont connu un succès électoral de désigner des représentants. Mais le critère écarte de droit les syndicats représentatifs (audience de 10 % au premier tour) de toute présence dans les comités s'ils n'ont pas remporté de sièges au second tour, et limite donc ainsi la capacité d'action. Pour la Cour de cassation, il n'y a pas ici d'atteinte à la liberté syndicale, pour des raisons que nous avons déjà évoquées, et certainement pas d'atteinte au principe de participation puisque les salariés élisent leurs représentants dans ses mêmes entreprises. Mais que pensez de l'atteinte au principe d'égalité entre syndicats selon la taille de leur entreprise et l'existence d'élus ? Est-il raisonnable d'affirmer qu'il n'y a pas d'atteinte, postulant ainsi l'existence de situations différentes, sans autre explication ? Et comment faire pour déterminer si le seuil de 300 salariés, qui fait basculer l'entreprise d'un critère (la représentativité syndicale) vers un autre (avoir des élus), est parfaitement justifié au regard des finalités de la réforme (renforcer la légitimité syndicale) ?

  • Conformité de la prescription quinquennale

Ici encore, le refus de transmission au Conseil constitutionnel n'est nullement motivé, la Cour de cassation se contentant d'affirmer que les arguments soulevés, et tenant à la violation du "principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, [du] principe d'égalité, [du] droit de propriété, [du] droit à un travail et [du] principe de non-discrimination" ne sont pas sérieux.

On peut, là aussi, être d'accord sur la conformité de cette durée à la Constitution car le délai de cinq ans semble raisonnable pour concilier les droits en présence, le salarié ayant suffisamment de temps pour agir, une fois libéré de l'emprise de son employeur, et le délai ne faisant pas peser sur les entreprises une hypothèque trop durable, d'autant plus que la réforme de la prescription intervenue en 2008 a choisi la durée de cinq ans comme droit commun pour les actions mobilières et personnelles (14).

2. Appréciation des décisions au regard du rôle dévolu à la Cour de cassation dans la procédure de QPC

  • Appréciation au regard des objectifs de la réforme constitutionnelle de 2008

La réforme intervenue en 2008/2009, et applicable depuis le 1er mars 2010, a confié aux juridictions du fond le soin d'écarter les arguments "dépourvus de caractère sérieux" et aux juridictions de cassation les arguments "non sérieux". L'intensité du contrôle n'ayant pas été précisée par les textes, la Cour de cassation doit donc déterminer selon quels critères elle doit transmettre ou non les questions : s'agit-il de ne pas transmettre au Conseil les questions qui, en l'état de sa jurisprudence actuelle, ne sauraient prospérer, au risque d'empêcher ce dernier de changer sa jurisprudence, ou de procéder à ses propres analyses pour déterminer si les arguments pourraient aboutir à l'abrogation de la loi ?

En refusant de transmettre les trois questions posées, et singulièrement les deux concernant certains aspects de la réforme de la démocratie sociale intervenue en 2008, la Cour de cassation, qui s'est déjà prononcée sur la conventionnalité du seuil d'audience de 10 % (15), semble donc se réserver tous les contrôles de conformité (inconventionnalité et inconstitutionnalité) et ne transmettre au Conseil que les dispositions dont elle considère qu'elles sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, à l'image d'une chambre des requêtes.

La Cour de cassation prive ainsi le Conseil constitutionnel de la possibilité de statuer sur des questions qui semblent poser de véritables problèmes de constitutionnalité, comme le seuil de 10 %. Dans ces conditions, la Cour de cassation ne va-t-elle pas au-delà de la mission qui lui a été confiée dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 2008 en se livrant à un véritable contrôle de constitutionnalité des lois, et pas seulement à un contrôle de recevabilité des questions avant leur transmission, et en reléguant le Conseil constitutionnel au second plan, et ce contrairement aux objectifs clairement affichés de la réforme ? C'est en tout cas l'impression que donnent ces premières décisions.

  • Appréciation en opportunité

Au-delà de la question, centrale, de l'interprétation que la Cour de cassation fait du rôle qui lui a été dévolu dans le cadre de la réforme constitutionnelle intervenue en 2008, se pose la question de l'opportunité pour la Cour elle-même d'une telle position. Lorsqu'une QPC a été transmise au Conseil, la décision prise par ce dernier tranche définitivement la question de la conformité du ou des textes déférés à la Constitution, sauf changement de circonstances. Mais lorsque la Cour de cassation refuse de transmettre une QPC, la décision qu'elle prend n'interdit pas aux justiciables de reposer, dans d'autres instances, la même question concernant les mêmes dispositions, et ce en dépit du sort prévisible que la Cour réservera à ces questions. Or, il n'est pas totalement inepte de penser que les syndicats menacés par la réforme de la démocratie sociale, et singulièrement par les seuils d'audience, ne désarmeront pas tant que le Conseil constitutionnel ne se sera pas directement prononcé sur la ou les questions qui font aujourd'hui débat. En pensant limiter le flux des questions par une politique de transmission très restrictive, la Cour pourrait donc bien se trouver prise à son propre piège et voir revenir les mêmes questions...

  • Vers la réforme de la réforme

Il se murmure depuis quelques jours que le Président du Conseil constitutionnel aurait peu gouté les refus de transmission des QPC concernant la loi du 20 août 2008 et qu'une modification des procédures serait déjà à l'étude pour supprimer le critère du caractère "sérieux" des questions et faire ainsi sauter le verrou qu'il semble aujourd'hui constituer, verrou d'autant plus solide que les décisions relatives à la transmission des questions prises par les juridictions de cassation ne sont soumises à aucun recours. En attendant la réforme de la réforme, ne serait-il pas souhaitable que le dialogue des juges s'instaure véritablement et que cette réforme, capitale dans l'évolution du régime de protection des droits et libertés, ne meure pas étouffée ?


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir nos deux éditions spéciales Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 édition sociale et Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Nos obs., L'impact de la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité sur le droit du travail, Lexbase Hebdo n° 377 du 8 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9373BM4) (Réf. : Loi n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS).
(3) Nos obs., Question prioritaire de constitutionnalité et droit du travail : premier bilan après trois mois d'application, Lexbase Hebdo n° 398 du 11 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N3042BPD). Sur ces statistiques, voir le site de la Cour de cassation.
(4) Une QPC portait sur le livre IV du Code de la Sécurité sociale avait été transmise au Conseil constitutionnel qui l'a déclaré conforme, sous réserve que les victimes de fautes inexcusables soient intégralement indemnisées de leurs préjudices par le TASS (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, Epoux Lloret N° Lexbase : A9572EZK). Lire nos obs., Le Conseil constitutionnel et les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, Lexbase Hebdo n° 401 du 2 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4393BPE).
(5) Alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 : "Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix".
(6) Alinéa 8 du préambule de 1946.
(7) Et ne protégeant donc pas le droit syndical au sens du régime de l'action syndicale. Sur ces conceptions, L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 12ème éd., 2003, p. 377.
(8) Désignation d'un délégué syndical, d'un représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés, négociation collective des accords, notamment.
(9) Ancienneté d'au moins deux ans, respect des valeurs républicaines et indépendance vis-à-vis de l'employeur ou affiliation à une organisation syndicale représentative sur le plan national et interprofessionnel.
(10) Section syndicale, représentant de la section syndicale, négociation des accords préélectoraux, participation au premier tour des élections professionnelles, désignation de représentants dans les entreprises de 300 salariés et plus pour les organisations y ayant des élus.
(11) Même si la loi du 20 août 2008 a également doté d'autres acteurs, non issus des syndicats représentatifs, du pouvoir de négocier en l'absence de délégué syndical : représentants élus du personnel, dans les entreprises de moins de deux cents salariés, ou RSS en l'absence de possibilité de mandatement (c'est-à-dire dans les entreprises de deux cents salariés et plus dotées d'institutions représentatives du personnel).
(12) En ce sens, la circulaire SG/SADJPV du 1er mars 2010, relative à la présentation du principe de continuité de l'aide juridictionnelle en cas d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, p. 9.
13) En ce sens, les termes de la circulaire DGT du 13 novembre 2008, relative à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L8532IBM).
(14) C. civ., art. 2224 (N° Lexbase : L7184IAC).
(15) Conformité aux articles 4 de la Convention n° 98 de l'organisation internationale du travail (OIT), 5 de la Convention n° 135 de l'OIT, 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR), 5 et 6 de la Charte sociale européenne, 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R N° Lexbase : A9981EU9, Dr. soc., 2010, p. 647, chron. L. Pécaut-Rivolier et les obs. de G. Auzero, La réforme du droit de la représentativité déclarée conforme au droit international, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mars 2010 - édition sociale N° Lexbase : N0570BPS).


Décisions

1° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.005, Syndicat CFTC emploi, P+B (N° Lexbase : A4056E3M)

TI Raincy, 2 avril 2010, n° 11-10-000484, Pôle emploi Ile-de-France c/ Syndicat CFTC Emploi (N° Lexbase : A0437EXH)

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : seuil raisonnable ; représentativité syndicale ; atteinte à la liberté syndicale (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

2° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.006, Syndicat solidaires Sud Emploi Languedoc-Roussillon, P+B (N° Lexbase : A4057E3N)

TI Montpellier, 9 avril 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : seuil raisonnable ; représentativité syndicale ; atteinte à la liberté syndicale (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

3° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.007, Syndicat FO des métaux de Toulouse et de la région, P+B (N° Lexbase : A4058E3P)

TI Toulouse, 9 avril 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : seuil raisonnable ; représentativité syndicale ; atteinte à la liberté syndicale (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

4° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-14.749, Syndicat force ouvrière des personnels civils de la défense nationale confédération générale du travail force ouvrière, P+B (N° Lexbase : A4055E3L)

TI Cherbourg, 12 mars 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise ; conditions ; atteinte à la Constitution (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1918ET9)

5° Cass., QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009, Mme Gilberte Marchois, veuve Duffing, P+B (N° Lexbase : A7369E3C)

CA Besançon, 13 avril 2010, n° 10/00787, Madame Gilberte Marchois (N° Lexbase : A9460EXN)

Textes visés : C. trav., art. L. 3245-1 (N° Lexbase : L7244IAK) et L. 7321-1 (N° Lexbase : L3462H94) à L. 7321-5

Mots clés : prescription ; salaires ; conformité à la Constitution ; absence de caractère sérieux

Lien base : (N° Lexbase : E0951ETE)

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Urbanisme

[Chronique] Chronique de droit de l'urbanisme - Juin 2010

Lecture: 15 min

N6333BPA

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit de l'urbanisme, rédigée par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. Au sommaire de cette chronique, tout, d'abord un arrêt rendu le 18 juin 2010 par le Conseil d'Etat au terme duquel le règlement du plan local d'urbanisme ou, à défaut, les documents graphiques, doivent fixer des règles précises d'implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques et aux limites séparatives, celles-ci ne doivent pas nécessairement se traduire par un rapport quantitatif. Ensuite, dans une décision du 16 juin 2010, la Haute juridiction administrative a dit pour droit que le principe d'urbanisation en continuité est applicable à la construction d'éoliennes mais que ces ouvrages peuvent, cependant, déroger à ce principe dès lors qu'ils constituent des installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Enfin, dans un arrêt rendu lui aussi le 16 juin 2010, le Conseil a énoncé que la présence de marnières justifie la mise en place d'un plan d'exposition aux risques prévisibles.
  • Un rapport quantitatif n'est pas le seul mode d'expression des règles d'implantation des constructions (CE 1° et 6° s-s-r., 18 juin 2010, n° 326708, Ville de Paris, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9826EZX)

Si les auteurs d'un plan local d'urbanisme (PLU) ont le choix d'utiliser ou non les servitudes énumérées aux articles L. 123-1 (N° Lexbase : L9514HGH) et R. 123-9 (N° Lexbase : L3518HW9) du Code de l'urbanisme, un plan d'urbanisme doit, en revanche, comporter obligatoirement certaines règles et, notamment, préciser l'implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques et aux limites séparatives. Compte tenu des difficultés d'appliquer cette obligation dans certaines parties de la capitale et, notamment, dans le bois de Boulogne, le PLU de Paris n'avait pas fixé de distances minimales (solution qui est généralement utilisée pour réglementer l'implantation) mais s'était contenté de définir des obligations de résultat telles que celle faite à l'implantation des constructions de "respecter le milieu naturel et permettre leur insertion harmonieuse dans le site". Ceci avait valu à la ville de Paris de voir ces dispositions annulées au motif qu'elles ne fixaient pas des règles objectives régissant l'implantation et ne constituaient donc pas de véritables règles d'urbanisme.

Le Conseil d'Etat a adopté une solution plus souple en considérant que, si le règlement d'un PLU ou, à défaut, ses documents graphiques, doit "fixer des règles précises d'implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques et aux limites séparatives [...] ces règles ne doivent pas nécessairement se traduire par un rapport quantitatif". Le Conseil en a conclu que, si la cour administrative d'appel de Paris "avait estimé à bon droit que les règles d'implantation par rapport aux voies, emprises publiques et limites séparatives ne peuvent demeurer abstraites, elle avait cependant commis une erreur de droit en jugeant que ces règles doivent, quelles que soient les circonstances locales, déterminer entre ces voies, emprises et limites, et les constructions un rapport dont le respect puisse être concrètement apprécié".

Toutefois, les dispositions contestées sont considérées comme illégales en ce qu'elles "ne fixent aucune règle précise et se bornent à évoquer des objectifs généraux à atteindre". Il reste à mettre ce principe en pratique. Les règles sur l'implantation des constructions n'ont pas obligatoirement à être quantifiées mais elles doivent être toutefois suffisamment précises : l'exercice risque d'être difficile.

1 - Retour sur la solution très rigide retenue par la cour administrative d'appel de Paris

Par délibération des 12 et 13 juin 2006, le conseil de Paris a approuvé le plan local d'urbanisme de Paris (PLU). Outre une zone urbaine générale et une zone urbaine de grand service urbain, il comporte deux autres zones : une zone naturelle et forestière -zone N-, qui regroupe les bois de Boulogne et de Vincennes et qui est inconstructible en dehors des secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées ; une zone urbaine verte -zone UV-, qui regroupe les espaces verts publics, les cimetières, une partie des berges de la Seine et des canaux ainsi que leurs plans d'eau, des terrains consacrés à la détente, aux loisirs et aux sports, notamment les stades périphériques, et quelques établissements culturels comme le Muséum national d'histoire naturelle, le Jardin des plantes ou La Villette. Le propre de cette zone UV est ne pas être soumise aux règles d'inconstructibilité de la zone N mais sans avoir vocation, à la différence de la zone urbaine générale, à accueillir toutes les destinations.

La délibération des 12 et 13 juin 2006 a été déférée au tribunal administratif de Paris par des associations locales. Par deux recours, la ville de Paris se pourvoit en cassation contre les arrêts de la cour administrative d'appel de Paris, lesquels, après avoir infirmé les jugements de rejet du tribunal, ont annulé cette délibération en ce qu'elle approuvait les règlements des zones UV et N.

Pour prononcer ces annulations, la cour s'est fondée sur l'imprécision des dispositions figurant aux articles 6 et 7 des règlements de zones relatifs à l'implantation des constructions par rapport aux emprises publiques et aux limites séparatives. Elle a jugé que de telles règles "ne peuvent [...] demeurer abstraites mais doivent, qu'elles soient exprimées dans le règlement ou qu'elles résultent des documents graphiques, déterminer entre lesdites voies, emprises et limites et les constructions un rapport dont le respect puisse être concrètement apprécié". Elle a estimé que tel n'était pas le cas en l'espèce, dès lors qu'en zone N était simplement exigée une implantation permettant une "bonne insertion dans le paysage environnant" et en zone UV une absence d'atteinte grave "aux conditions d'habitabilité d'un immeuble voisin ou à l'aspect du paysage urbain" et une implantation respectant "le milieu naturel" et permettant une "insertion harmonieuse dans le site". Elle a donc retenu l'illégalité de ces dispositions et, les regardant comme indivisibles du reste des règlements des zones concernées compte tenu de leur caractère obligatoire, a procédé à l'annulation de ces règlements de zones dans leur ensemble.

La cour a donc exigé la définition de règles "quantifiées" sous forme d'un "rapport". Sa solution a été très critiquée par une partie de la doctrine qui plaide pour laisser davantage de marges d'appréciation aux autorités locales (1).

2 - Si les règles d'implantation des constructions par rapport aux emprises publiques et limites séparatives doivent être précises...

Le caractère obligatoire de la fixation par le PLU de règles d'implantation des constructions par rapport aux voies publiques et aux limites séparatives ne fait guère de doute. Si l'article L. 123-1 semble laisser aux auteurs des PLU une liberté plus grande que celle dont bénéficiaient les rédacteurs des POS, il n'a pas fait disparaître l'exigence d'un contenu minimal obligatoire des documents d'urbanisme. Il dispose, en effet, que "les plans locaux d'urbanisme [...] définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l'implantation des constructions". L'indicatif présent "définissent" est impératif et le tempérament des "circonstances locales" n'y change rien. Ce caractère impératif se dégage plus nettement encore de l'article R. 123-9, qui comporte un alinéa selon lequel "les règles mentionnées aux 6° et 7° relatives à l'implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques et par rapport aux limites séparatives, qui ne sont pas fixées dans le règlement, doivent figurer dans les documents graphiques". Si elles doivent être dans ces documents lorsqu'elles ne sont pas dans le règlement, c'est, d'abord, qu'elles doivent exister.

Ainsi, les règles d'implantation doivent tout de même être précises et l'on ne saurait se contenter de formulations vagues, qui, en réalité, fixent des règles qui n'en sont pas. Le parti a été pris de maintenir un contenu minimum obligatoire pour les PLU, qui comprend les règles d'implantation des constructions. Le plan doit donc avoir du contenu sur ces points et ce contenu doit pouvoir être contrôlé.

A cet égard, si l'article R. 123-9 admet que les règles d'implantation puissent ne pas être déterminées par le règlement, c'est sous réserve de l'être alors par les documents graphiques. C'est donc bien que l'on entre dans une logique de localisation dans l'espace, au moins minimale, qui suppose donc autre chose que des considérations générales et des formules évasives.

3 - ...cette précision n'est pas réductible et assimilable à un rapport quantitatif entre les constructions en cause et les emprises et limites concernées

La cour administrative d'appel de Paris avait exigé la formulation d'un "rapport" entre les voies et limites et les constructions. Cette exigence est, il est vrai, commode d'emploi et conforme aux intérêts de la sécurité juridique et c'est, d'ailleurs, la formulation la plus courante des règles d'alignement et de prospect, dans la ligne des règles supplétives du Code de l'urbanisme. Toutefois, si cette exigence peut être pertinente pour les zones urbaines, elle est plus discutable pour les zones naturelles ou agricoles, pour lesquelles l'espace peut être suffisamment disponible. D'ailleurs, même en zone urbaine, il faut pouvoir tenir compte de la spécificité de certains secteurs urbains. Selon le Conseil d'Etat, il faut ainsi pouvoir définir des règles précises, mais pas uniquement sous forme d'un rapport.

Le Conseil a, ainsi, annulé les arrêts de la cour administrative d'appel Paris en tant qu'ils ont annulé la délibération des 12 et 13 juin 2006 du conseil de Paris en tant qu'elle a approuvé les règlements des zones UV et N du PLU. Cette solution traduit sans doute la volonté du Conseil d'Etat d'accorder une certaine marge de manoeuvre aux collectivités locales dans la rédaction et l'application des plans locaux d'urbanisme en leur permettant, en particulier, de ne pas être prisonnières d'une arithmétique rigide impropre à prendre en compte la diversité des secteurs dont elles ont la charge.

4 - La sanction de règles d'implantation trop floues qui ne conduit cependant pas à annuler l'ensemble du PLU

Le PLU de Paris se bornait à faire référence, s'agissant des zones UV et N, à la "bonne insertion dans le paysage environnant", à "l'atteinte à l'aspect du paysage urbain", au "respect du milieu naturel" ou à "l'insertion harmonieuse dans le site". Ces formules sont elliptiques et renvoyaient, ainsi, au pouvoir d'appréciation du maire au cas par cas, sans que les documents graphiques ne comportent d'indications susceptibles de compenser ce laconisme. En se bornant à définir des objectifs généraux et non des règles proprement dites, elles ne satisfont pas, selon le Conseil d'Etat, aux exigences des articles L. 123-1 et R. 123-9.

Le Conseil a cependant jugé que cette illégalité n'entraînait pas l'illégalité de l'ensemble du PLU. S'il peut sembler difficile de faire vivre un PLU amputé, pour l'une de ses zones, de règles relatives à l'implantation des constructions, ou du moins si le document peut alors paraître "bancal", cela n'a pas empêché le Conseil d'Etat d'admettre la divisibilité de ces règles (2).

Ce faisant, le Conseil a donc "sauvé" le PLU de Paris, de sorte qu'il appartiendra seulement à la ville de Paris de compléter ce document.

  • Les projets d'éoliennes sont soumis à la loi "montagne" (CE 1° et 6° s-s-r., 16 juin 2010, n° 311840, M. Leloustre, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9801EZZ)

Dans cette affaire, étaient en cause des permis de construire délivrés en vue de la construction d'éoliennes dans une zone montagneuse. Or, les zones de montagne font l'objet d'une législation spécifique destinée à protéger le patrimoine montagnard français contre les risques liés à l'urbanisation. En effet, en vertu de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5826HD7) : "Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard". Plus encore, cet article dispose que, "sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants".

Le requérant invoquait la violation de ces dispositions par les permis de construire des éoliennes, en considérant qu'il s'agissait bel et bien d'une opération d'urbanisation au sens que lui donne le Code de l'urbanisme. Alors que la cour administrative d'appel (CAA Lyon, 1ère ch., 23 octobre 2007, n° 06LY02337 N° Lexbase : A2322D3E) avait jugé qu'eu égard à leurs caractéristiques techniques et à leur destination, l'implantation d'éoliennes ne constituait pas une opération d'urbanisation, le Conseil d'Etat considère, au contraire, qu'elle constitue bien une opération d'urbanisation visée par le législateur qui "a entendu interdire toute construction isolée en zone de montagne et a limitativement énuméré les dérogations à cette règle".

Une autre question se posait à la Haute juridiction : l'implantation d'éoliennes en discontinuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, peut-elle bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions du Code de l'urbanisme ? En effet, la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées peut bénéficier d'une dérogation à la règle de constructibilité en continuité des constructions existantes. Le Conseil d'Etat juge, en l'espèce, contrairement aux conclusions du rapporteur public, que "eu égard à son importance et à sa destination", le parc éolien en cause doit être regardé comme une installation ou un équipement public incompatible avec le voisinage des zones habitées et peut donc bénéficier d'une dérogation.

Compte tenu des obligations d'éloignement imposées aux éoliennes, toute autre solution aurait eu pour effet d'interdire totalement l'implantation de ces équipements sur la totalité de la zone montagne.

1 - L'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme qui pose le principe d'urbanisation en continuité est applicable à la construction d'éoliennes

Par un arrêté du 19 novembre 2004, le préfet de la Haute Loire a délivré deux permis de construire à la Société Siff Energies, filiale d'EDF, pour installer huit éoliennes, cinq sur le territoire de la commune de Freycenet-la-Tour, trois sur la commune de Moudeyres. Ces permis ont été attaqués sans succès devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et l'un des requérants, M. L., a fait appel devant la cour administrative d'appel de Lyon qui, par un arrêt du 23 octobre 2007, a partiellement annulé le jugement et annulé le premier permis en tant qu'il concernait deux des éoliennes. Surtout, la cour a estimé que la construction d'éoliennes ne constitue pas une opération d'"urbanisation" au sens des dispositions de l'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme.

Or, toute construction exigeant un permis de construire est, a priori et sous réserve d'objections décisives tenant à sa nature particulière, susceptible d'entrer dans le champ de cet article. En outre, estimer que les éoliennes, qui sont des constructions importantes, soumises à un permis de construire, échappent entièrement à ces dispositions destinées à organiser l'aménagement des zones de montagne reviendrait à ouvrir une brèche manifeste dans cette législation, à l'encontre de l'objectif d'urbanisation en continuité qu'elle poursuit. C'est dans cet esprit que, par un avis public du 12 octobre 1993 (3), la section des travaux publics du Conseil d'Etat a considéré comme une "urbanisation" au sens de la loi "littoral" (loi n° 86-2, 3 janvier 1986 N° Lexbase : L7941AG9) une centrale thermique isolée. De même, dans ses conclusions sous la décision du 15 octobre 1999 "Commune de Logonna Daoulas" (4), Laurent Touvet avait défini l'urbanisation comme étant la "transformation du paysage par des bâtiments quel que soit leur usage".

Ces considérations ont probablement conduit le Conseil d'Etat à estimer que la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit en estimant que le moyen tiré de la violation de cet article était inopérant au motif que la construction d'éoliennes ne constituait pas une urbanisation au sens de ce texte.

2 - Ces ouvrages peuvent cependant déroger à ce principe dès lors qu'ils constituent des installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées

L'article L. 145-3 du Code de l'urbanisme institue une dérogation au principe d'urbanisation en continuité que le texte au bénéfice des "installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées". Ce critère a été substitué par la loi du 2 juillet 2003 (loi n° 2003-590, urbanisme et habitat N° Lexbase : L6770BH9) à la rédaction de cet article résultant de la loi du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), qui réservait le cas des "installations ou équipements d'intérêt public".

Dans ses conclusions sous la décision "Leloustre", le rapporteur public, Cyril Roger-Lacan, estimait, notamment, que les éoliennes ne pouvaient recevoir une telle qualification dès lors qu'elles étaient "construites, détenues et exploitées par des sociétés privées et ne constituaient pas des services publics directement affectés aux besoins propres des collectivités voisines" et, qu'en outre, ni la loi relative au service public de l'électricité, ni l'avis d'Assemblée "Béligaud" du 29 avril 2010 (5), ne leur reconnaissent la qualité d'ouvrages publics.

Le Conseil d'Etat n'a pas été sensible à ces arguments qui auraient rendu beaucoup plus difficile la construction d'éoliennes dans les communes de montagne, en particulier dans celles, nombreuses, ne disposant pas de PLU : en effet, dans ces dernières communes, il ne peut être fait obstacle à la règle d'urbanisation en continuité que pour les constructions et installations sur délibération du conseil qui sont d'intérêt communal et qui ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la salubrité et à la sécurité publique, et n'entraînent pas un surcoût important de dépenses publiques. Or, la contribution des éoliennes à l'intérêt général n'est pas circonscrite au niveau local et ces ouvrages ne créent pas beaucoup d'emplois pérennes dans les communes sur lesquelles ils sont implantés et ont rarement pour vocation de les approvisionner en particulier. A l'inverse, les nuisances qu'elles peuvent engendrer -visuelles, sonores essentiellement- sont, quand à elles, très locales.

En qualifiant les éoliennes en cause d'installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, le Conseil d'Etat a probablement eu le souci de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile l'implantation d'éoliennes en zones montagneuses. Les deux critères retenus pour opérer cette qualification (importance et destination des éoliennes, critères qui sont cumulatifs) renvoient à l'utilité publique du projet, utilité appréciée en fonction de la puissance (en MW) des installations et de l'identité et du nombre de ses bénéficiaires : dès lors que l'électricité produite, loin de n'approvisionner que des personnes (sociétés) privées, bénéficie à une large population comprenant essentiellement des personnes physiques, le projet est réputé avoir une utilité publique.

  • Prévention des risques liés à la présence de marnières (CE 1° et 6° s-s-r., 16 juin 2010, n° 312331, M. Amoyal, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9802EZ3)

Certaines régions françaises, principalement la Haute-Normandie, connaissent des difficultés particulières en matière d'utilisation des sols en raison de la présence sur leur territoire de marnières. Celles-ci sont des cavités de 10 à 30 mètres de profondeur creusées par l'homme afin d'extraire la marne des plateaux de craie. Ces marnières ont, ensuite, été rebouchées sans qu'un véritable recensement n'ait été réalisé. Le danger réside alors dans le fait que des constructions ont pu être réalisées à l'emplacement d'anciennes marnières, constituant un risque non négligeable pour la sécurité publique.

Le Conseil d'Etat était saisi d'un litige relatif à l'effondrement d'une aire de stationnement jouxtant un centre commercial et situé à l'emplacement d'une ancienne marnière. Alors que le juge civil avait condamné l'architecte (maître d'oeuvre) à indemniser les préjudices subis, ce dernier s'était retourné contre la commune et contre l'Etat afin d'être garanti de cette condamnation. Le requérant et son assureur invoquaient alors les fautes tant du maire que du préfet, coupables de n'avoir pas adopté les mesures nécessaires pour prévenir la réalisation de l'accident. La cour administrative d'appel de Douai avait refusé de faire droit à leur demande et les requérants s'étaient pourvus en cassation devant le Conseil d'Etat.

En premier lieu, la Haute juridiction devait se prononcer sur les éventuelles fautes commises par le maire de la commune lors de la délivrance du certificat d'urbanisme positif et du permis de construire. Le requérant invoquait à cet effet la méconnaissance du principe de précaution. En effet, l'article R. 111-15 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7381HZE) dispose que "le permis [...] doit respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 (N° Lexbase : L2175ANU) et L. 110-2 (N° Lexbase : L2176ANW) du Code de l'environnement", qui définit le principe de précaution en ces termes : "principe [...] selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable". Mais, malgré une reconnaissance tant constitutionnelle qu'internationale de ce principe, le Conseil d'Etat juge que ces dispositions n'étaient pas applicables au moment de la délivrance du permis de construire. Il refuse donc de voir dans le principe de précaution un principe général préexistant à sa rédaction textuelle.

Le requérant invoquait, en second lieu, la faute du préfet qui, tenu depuis la loi du 13 juillet 1982 (loi n° 82-600, relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles N° Lexbase : L7772AIP), de réaliser des plans d'exposition aux risques naturels prévisibles, s'en était abstenu. La question était alors de savoir si la présence de marnières sur un territoire donné constitue un risque naturel au sens de l'article L. 562-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1711DKL), exigeant alors l'adoption d'un plan d'exposition aux risques naturels prévisibles. Le Conseil d'Etat, sanctionnant le raisonnement de la cour administrative d'appel, répond de manière positive à cette question. Toutefois, constatant que le préfet avait fait réaliser un recensement général des effondrements et des cavités souterraines, le Conseil estime que ce relevé précis rendait inutile, sur ce point, l'élaboration d'un plan d'exposition aux risques naturels prévisibles.

Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat


(1) V., par exemple, la note de J.-F. Inserguet à Construction-Urbanisme n° 5, mai 2009, comm. 68, et l'article du Pr. Fatôme sur l'influence de la crise sur le droit de l'urbanisme à la Revue de droit immobilier, 2010.
(2) CE, Sect., 3 décembre 1993, n° 90915, Murtin (N° Lexbase : A1711ANP), au Recueil, p. 346 ; CE, 30 décembre 1998, n° 172317, Barbe (N° Lexbase : A8668AST), au Recueil, p. 526.
(3) EDCE, 1993, p. 82.
(4) CE Contentieux, 15 octobre 1999, n° 198578, Commune de Logonna Daoulas (N° Lexbase : A3190AXG), BJDU, 5/1999, p. 345.
(5) CE Contentieux, 29 avril 2010, n° 323179, M. et Mme B. (N° Lexbase : A1274EXH) : retenant la qualification d'ouvrages publics pour les ouvrages de production d'électricité affectés au service public.

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Juillet 2010

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N6301BP3

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille I

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédures fiscales, réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III. Au sommaire de cette chronique, on retrouve, tout d'abord, une décision du Conseil d'Etat au sujet de la prorogation de la durée de l'examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques résultant du délai d'obtention des relevés de compte (CE 9° et 10° s-s-r., 26 mai 2010, n° 304299, mentionné dans les tables du recueil Lebon). A l'honneur, ensuite, une décision rendue par la Cour de cassation en matière d'assistance internationale au recouvrement (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-12.068, F-P+B). Enfin, l'auteur revient sur un arrêt important rendu par le Conseil d'Etat à propos de la participation de l'interlocuteur départemental à la Commission départementale (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2010, n° 308430, publié au recueil Lebon).
  • ESFP : prorogation de la durée de l'examen résultant du délai d'obtention des relevés de compte (CE 9° et 10° s-s-r., 26 mai 2010, n° 304299, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6876EXX)

L'examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques (ESFP) repose sur l'examen de cohérence entre, d'une part, les revenus déclarés et, d'autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie des membres du foyer fiscal. Un contrôle annoncé par un avis, qui n'en précise pas la nature et qui ne se limite pas à un examen sur place des documents se rattachant à l'activité professionnelle d'un notaire, mais qui porte également sur les revenus de la catégorie des salaires, sur les revenus fonciers et sur les revenus de capitaux mobiliers, constitue une vérification de cette nature (CE, 5 juin 1985, n° 43253 N° Lexbase : A2846AMD, RJF, 1985, 598, concl. Fouquet). A l'inverse des contrôles, eu égard à leur étendue limitée et à l'absence de toute vérification de cohérence entre les revenus déclarés et des éléments patrimoniaux ou de train de vie, ne sont pas des vérifications personnelles (CAA Bordeaux, 3ème ch., 24 mars 1998, n° 97BX01813 N° Lexbase : A6147BEE, RJF, 1998, 10, comm. 1072). Il revient au Conseil d'Etat, d'exercer un contrôle de qualification juridique des faits susceptibles d'établir un début de vérification de cette nature (CE, 2 juin 1999, n° 184896 N° Lexbase : A5179AX4, RJF, 1999, 7, comm. 820).

Le législateur a posé pour principe que l'ESFP ne peut s'étendre sur une période supérieure à un an à compter de la réception de l'avis de vérification (LPF, art. L. 12 N° Lexbase : L6793HWI). Par ailleurs, le même article dispose que ce délai peut être prorogé de trente jours lorsque le contribuable n'a pas usé de sa faculté de produire les relevés de compte bancaire dans le délai de soixante jours à compter de la demande de l'administration. Rien n'oblige l'administration à informer le contribuable des motifs de la prorogation du délai initial d'un an (CAA Marseille, 19 avril 1999, n° 96MA01940 N° Lexbase : A0194AXH, RJF, 2000, 3, comm. 324).

Pour faire un ESFP, l'administration va être amenée à demander au contribuable de produire, dans un délai de soixante jours à compter de sa demande, les relevés de comptes bancaires concernant tous les membres du foyer fiscal. Certains contribuables s'exécutent, d'autant plus facilement qu'ils disposent de ces relevés, et d'autres pas. Constitue un début d'ESFP le fait pour l'administration de demander des relevés bancaires lors d'un contrôle portant sur les droits de mutation, auquel il n'a été donné aucune suite et, après l'envoi de l'avis de vérification, d'utiliser les informations tirées de ces relevés dans le cadre d'une procédure de demande de justifications à laquelle s'intègre l'ESFP (CAA Lyon, 4ème ch., 13 novembre 1996, n° 95LY00225, RJF, 1997, 2, comm. 103 N° Lexbase : A0126AXX).

Quand les contribuables ne respectent pas le temps imparti, celui-ci peut être prorogé des délais nécessaires à l'administration pour obtenir les relevés de compte. Le point de départ est fixé au 61ème jour suivant la demande faite au contribuable. Mais si le contribuable a produit avant cette date ses identifiants bancaires, le point de départ des délais ne court qu'à compter de la date à laquelle l'administration demande aux établissements qui tiennent ces comptes que ces relevés lui soient remis. Le délai de prorogation s'achève lorsque l'administration reçoit le dernier relevé dont elle avait demandé communication (CAA Bordeaux, 4 mars 2004, n° 02BX02582 N° Lexbase : A6758DBW, RJF, 2004, 8-9, comm. 848).

Dans un avis rendu le 13 avril 2005, le Conseil d'Etat fait une différence entre le contribuable qui a fourni dans le délai de soixante jours, à compter de la demande du vérificateur, les références bancaires portant sur tous les comptes du foyer fiscal, et celui qui ne l'a pas fait (CE avis, 13 avril 2005, n° 274897 N° Lexbase : A8551DH8, RJF, 2005, 7, comm. 659).

Lorsque le contribuable n'use pas de la faculté de produire les relevés de ses comptes et qu'il s'abstient, dans le délai imparti, de préciser les coordonnées exactes de tous ses comptes, la durée de l'ESFP est prorogée d'un délai calculé à compter du 61ème jour de la demande formulée par le vérificateur. En revanche, s'il ne fournit pas les relevés de ses comptes mais précise, dans le délai légal, les coordonnées exactes de l'ensemble de ses comptes, le point de départ des délais nécessaires à l'administration pour obtenir les relevés ne court qu'à compter de la date à laquelle l'administration exerce son droit de communication auprès des établissements qui tiennent les comptes.

L'article L. 12 du LPF ne fait pas obstacle à ce que l'administration, après avoir demandé au contribuable de lui communiquer ses relevés de compte, exerce, avant même l'expiration du délai de soixante jours imparti au contribuable, son droit de communication auprès des institutions bancaires pour obtenir les relevés (CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2008, n° 285583 N° Lexbase : A8674D7E, RJF, 2008, 7, comm. 769).

Dans l'affaire qui nous occupe, le contribuable avait fourni certains relevés, les coordonnées de l'un de ses comptes bancaires, mais il n'avait pas indiqué l'existence de tous ses comptes.

Le Conseil d'Etat fait valoir que, en l'espèce, l'administration avait demandé communication des relevés bancaires auprès des établissements bancaires du contribuable. A suivre la Haute juridiction, cette procédure ne peut pas être regardée comme la communication des coordonnées de comptes bancaires du contribuable à l'administration.

L'administration ayant jugé que le contribuable n'a pas communiqué ses relevés dans les délais, elle bénéficie d'une prorogation du délai pour contrôler le contribuable à compter du 61ème jour de la notification de l'avis de vérification, soit le 30 août 1995. Ce nouveau délai court jusqu'à la réception des relevés demandés qui lui ont été fournis, pour les derniers, le 15 janvier 1996.

Le Conseil d'Etat a jugé, au cas particulier, que la cour administrative d'appel (CAA Paris, 2ème ch., 2 février 2007, n° 05PA02752 N° Lexbase : A4654DUW) n'a pas commis d'erreur de droit, dès lors que, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les différents comptes, le délai de prorogation ne court à partir de la demande de communication faite aux banques par l'administration, que lorsque le contribuable lui a communiqué les coordonnées de l'intégralité de ses comptes bancaires et s'achève à la réception du dernier relevé dont elle a demandé communication.

  • Assistance internationale au recouvrement : précisions sur les conditions de mise en oeuvre (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-12.068, F-P+B N° Lexbase : A3802EX4)

L'assistance internationale au recouvrement est l'une des questions qui permet d'apprécier le degré de coopération entre les administrations fiscales nationales dans l'intérêt bien compris des finances publiques de chacun.

L'article L. 283 A du LPF (N° Lexbase : L1718DAU) permet à l'administration de requérir des Etats membres de l'Union européenne, aide et assistance, au recouvrement des impôts. Ceux-ci sont tenus de se prêter assistance en matière de recouvrement et d'échanges de renseignements relatifs à certaines créances. Sont concernées par cette assistance mutuelle, les créances afférentes aux impôts sur le revenu et sur la fortune (LPF, art. L. 283 A). L'article L. 283 B du LPF (N° Lexbase : L0569IHK), quant à lui, prévoit que l'administration compétente donne suite à la demande d'assistance au recouvrement d'un Etat membre de la Communauté européenne. Il faut rappeler qu'il est nécessaire que cette demande d'assistance contienne une déclaration certifiant que la créance, ou le titre de recouvrement, ne sont pas contestés dans l'Etat requérant et, qu'en outre, les procédures de recouvrement mises en oeuvre dans cet Etat ne peuvent pas aboutir au paiement intégral de la créance. Les modalités d'application de l'assistance internationale au recouvrement sont fixées par les articles R. 283 A-1 (N° Lexbase : L8201DN3) à R. 283 B-10 du LPF.

Dans cette affaire, la cour administrative d'appel de Bordeaux a déjà statué qu'en faisant valoir que la créance dont le recouvrement est poursuivi, ferait l'objet de discussions avec l'administration fiscale allemande et en produisant des lettres de son avocat à cette administration ainsi que la réponse de celle-ci proposant de fixer une date de réunion pour répondre aux "questions qui restent ouvertes", la requérante ne justifie pas du dépôt d'une contestation de nature à suspendre l'exigibilité de la créance au sens de l'article L. 283 B précité (CAA Bordeaux, 4ème ch., 28 février 2008, n° 06BX01176 N° Lexbase : A1593D9U, RJF, 2008, 7, comm. 895). Cette solution était, à notre connaissance, inédite. La cour administrative d'appel n'a pas retenu le moyen tiré de ce que les documents fiscaux transmis par les autorités allemandes à l'appui de leur demande d'assistance n'auraient pas force exécutoire.

La Cour de cassation vient, en l'espèce, préciser que la déclaration ne doit pas être prescrite, à peine de nullité de la demande d'assistance au recouvrement.

Dans la présente affaire, il s'agissait du recouvrement d'impôts sur le revenu que les autorités allemandes voulaient faire recouvrer en France, sur le fondement des articles L. 283 A et L. 283 B précités. Les titres de recouvrement transmis par l'Etat membre requérant sont directement reconnus comme exécutoires. Ils sont notifiés au débiteur (LPF, L. 283 B).

En l'espèce le trésorier payeur général des créances spéciales du Trésor avait fait saisir, le 20 juin 2006, les parts d'une SCI appartenant au contribuable. Cette dernière demandait l'annulation de l'acte de saisie.

La cour a constaté que le montant réclamé était définitivement dû et recouvrable. Un commandement à payer du 31 août 2004 avait été validé par un jugement du 14 juin 2005. Celui-ci n'avait pas fait l'objet d'un appel. En outre, la requérante ne justifiait, ni d'une contestation en cours dans l'Etat requérant, ni d'une possibilité de recouvrement de la créance dans ce dernier. Enfin, l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence a retenu, sans pour autant inverser la charge de la preuve, que les vices de forme invoqués par la requérante ne sauraient lui avoir causé un quelconque tort. Autrement dit, la déclaration requise (LPF, art. L. 283 B) certifiant que la créance ou le titre de recouvrement ne sont pas contestés dans l'Etat requérant, n'est pas prescrite à peine de nullité de la demande d'assistance. En conséquence de quoi la cour d'appel a conclu à la régularité de l'acte de saisie.

La Cour de cassation a, par conséquent, rejeté le pourvoi de la contribuable.

  • Participation de l'interlocuteur départemental à la Commission départementale (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2010, n° 308430, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1123EXU)

La charte des droits et obligations du contribuable vérifié, visé à l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L4149ICN), a pour fonction de rendre intelligible les procédures du contrôle fiscal et assure au contribuable une garantie tout à fait substantielle à savoir de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur. Puis, s'il le souhaite, elle lui permet d'avoir d'autres recours, notamment de saisir l'interlocuteur départemental et le conciliateur. Il s'agit en réalité de personnaliser le recours hiérarchique et de lui donner toute son efficacité. Le contribuable peut aussi saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires essentiellement sur des questions de fait. Les dispositions contenues dans ce document sont opposables à l'administration. Elle est remise obligatoirement au contribuable avant l'engagement du contrôle, elle est jointe à l'avis de vérification.

A l'inverse, la charte du contribuable (dite "Charte Copé") n'est pas opposable à l'administration et peut être remise au contribuable à toutes occasions (envoi de courrier, réception...). Ce document est en principe remis lors de la première intervention en vérification de comptabilité ou au premier rendez-vous en ESFP. Toutefois, la non-remise de la charte ne vicie pas la procédure de contrôle.

Il peut arriver que l'interlocuteur départemental siège, à un autre titre, dans cette commission car celle qui est territorialement compétente est en principe celle du département dans le ressort duquel le contribuable est tenu de déposer ses déclarations (instruction du 18 avril 2005, BOI 13 M-1-05 N° Lexbase : X0480AD7). Les contribuables ont, toutefois, la possibilité de saisir la commission d'un autre département pour des motifs de confidentialité (CGI, art. 1651 G N° Lexbase : L1880HML), ce qui ne semble pas le cas dans la présente affaire.

Sous réserve du secret professionnel relatif à d'autres contribuables, l'administration rédige un rapport, destiné à la commission, exposant le différend qui l'oppose au contribuable. Celui-ci doit être accompagné de tous les documents appuyant sa thèse. Les uns et les autres sont tenus à la disposition du contribuable, dans un délai de trente jours précédant la réunion de la commission (LPF, art. L. 60 N° Lexbase : L5469H9G).

L'avis rendu par la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires est très important car, lorsque l'administration suit cet avis, notamment quand il lui est favorable, le contribuable doit démontrer devant le juge de l'impôt les éléments de fait dont il se prévaut (CE, 27 juillet 1988, n° 50020 N° Lexbase : A6610API, RJF, 1988, 10, comm. 1139).

La cour administrative d'appel de Nancy a jugé, le 7 juin 2007, que l'interlocuteur départemental qui a participé à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui a eu à se prononcer sur les redressements, avait nécessairement pris parti sur les questions de fond dont il a eu par ailleurs à connaître dans son rôle d'interlocuteur départemental (CAA Nancy, 2ème ch., 7 juin 2007, n° 05NC00609 N° Lexbase : A8396DWU). Comment pourrait-il en être autrement ? La cour tirait pour conclusion que la société n'avait pas bénéficié de toutes les garanties auxquelles elle avait droit, en application de la charte des doits et obligations du contribuable vérifié, et qu'en conséquence la procédure contradictoire de redressement était entachée d'un vice substantiel. Cette position n'était pas partagée par toutes les cours administratives d'appel car certaines d'entre elles ont jugé que la circonstance que l'interlocuteur départemental ait participé à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, au cours de laquelle celle-ci s'est prononcée sur les redressements en litige, ne prive pas d'utilité le débat ultérieur entre le contribuable et l'interlocuteur (CAA Bordeaux, 3ème ch., 14 octobre 2008, n° 06BX01860 N° Lexbase : A6790EMG, RJF, 2009, 4, comm. 367).

Le Conseil d'Etat n'a pas suivi, en l'espèce, l'analyse de la cour administrative d'appel de Nancy. En effet, il a jugé que le fait que l'interlocuteur départemental ait participé à la séance de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires, au cours de laquelle celle-ci s'est prononcée sur les redressements en litige, n'est pas un événement de nature à priver l'utilité du débat ultérieur entre ce fonctionnaire et le contribuable.

Cet arrêt s'inscrit à la suite de celui rendu par le Conseil d'Etat par lequel il a été jugé que la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur sur les points sur lesquels persiste un désaccord est sans incidence sur le circonstance que le supérieur hiérarchique ait participé à une séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires relative au même litige, que celle-ci ait été ou non compétente (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2007, n° 271787 N° Lexbase : A8121DUC, RJF, 2007, 6, comm. 721).

La cohérence de la jurisprudence, en plaçant le supérieur hiérarchique et l'interlocuteur départemental sur le même pied, nous laisse dubitatif sur le point de savoir comment ces fonctionnaires qui ont "une double casquette" peuvent tout à la fois prendre parti et être les interlocuteurs des contribuables, sauf à considérer qu'ils n'ont pas à être impartiaux quand ils jouent ce rôle.

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Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Les conditions d'exercice du droit de retrait par un associé d'une SCP d'avocats

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 23 février 2010, n° 09/05901 (N° Lexbase : A9087ESD)

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N6171BPA

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole

Le 07 Octobre 2010

En dehors des sociétés à capital variable et, si les statuts le prévoient, des sociétés par actions simplifiées (1), le principe de l'intangibilité du capital social fait obstacle à l'octroi d'un droit de retrait aux associés des sociétés commerciales. Cette prérogative est donc l'apanage des membres des sociétés civiles (2), à moins que des dispositions spécifiques en aménagent l'exercice dès lors que les conditions posées ne portent pas atteinte au caractère d'ordre public du retrait. C'est le cas des sociétés civiles professionnelles, alors que depuis la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 (N° Lexbase : L5745IEI), les associés des sociétés civiles d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé ne sont plus privés du droit de retrait ; ils en disposent malgré toute stipulation statutaire contraire (3). Cependant, la mise en oeuvre de ce mécanisme fort utile auquel ont fréquemment recours les intéressés est encombrée d'incertitudes qui génèrent un contentieux récurrent que les nombreuses solutions dégagées par les tribunaux ne parviennent parfois pas à résoudre. Toujours est-il que le législateur, relayé par les associés eux-mêmes exprimant leur volonté dans les statuts, tente de réglementer le droit de retrait afin que les intérêts des parties en cause soient préservés lors de son exercice. Il s'agit d'éviter, d'une part, que cette prérogative soit exercée intempestivement ou frauduleusement, et d'autre part, qu'elle soit injustement contrecarrée. A défaut, il appartient aux juges de démêler les écheveaux des litiges. La recherche de l'équilibre entre les intérêts divergents des uns et des autres constitue l'enjeu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 février 2010, rapporté. 1. Bien que la sortie d'un associé risque de compromettre la survie de la société en raison du sacrifice de l'intérêt social au profit de l'intérêt individuel de l'intéressé, ce retrait paraît justifié dans les sociétés civiles, qui plus est, celles à caractère professionnel dans lesquelles l'intuitu personae occupe une place prépondérante. En effet, autant dans les SCP le retrait se présente comme un droit discrétionnaire mis en oeuvre "lorsqu'un associé le demande" (4), autant dans les autres sociétés civiles ce retrait est conditionné par le consentement unanime des autres associés ou, à défaut, par l'existence de justes motifs tels qu'une mésentente grave entre associés et l'atteinte à l'honorabilité du demandeur (5), lorsqu'il est autorisé par une décision de justice (6).

En outre, il ne paraît pas souhaitable, ni opportun de maintenir de force un associé au sein de la société, alors qu'il n'a plus l'envie d'affecter ses biens ou son industrie à l'entreprise commune. Sa présence pourrait nuire au climat social et ainsi perturber le fonctionnement de la société.

C'est donc tout à fait normalement qu'un avocat avait notifié, par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 28 juin 2004, sa décision de se retirer d'une société civile professionnelle (la DFC). Au sein de cette société créée en 1978 et ayant son siège social à Amiens, il avait exercé son activité depuis 1998 et avait détenu une part sociale parmi les 150 existantes.

L'affaire aurait pu s'arrêter là, puisque la société n'avait élevé aucune protestation contre le voeu légitime de se retirer émis par l'intéressé. Mais, un conflit naquit de ce que tous les collaborateurs de l'un des cabinets secondaires à la tête de laquelle s'était trouvé l'associé retrayant avaient adressé leur démission à la DFC au début d'août 2004. En outre, la presque totalité de la clientèle avait déserté ce cabinet.

Ladite société s'estimant lésée par ce retrait préjudiciable à son égard avait demandé à être indemnisée. Le différend avait donné lieu à un arbitrage le 11 décembre 2007 qu'elle avait sollicité auprès du Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Amiens sur le fondement d'une clause compromissoire prévue par les statuts. L'avocat retiré avait signé le règlement d'arbitrage le 2 juin 2008.

En dépit des contestations formulées par ce dernier, l'arbitre qui s'était déclaré compétent l'avait condamné à verser à la SCP une certaine somme d'argent représentant le préjudice subi par elle et en avait ordonné l'exécution provisoire.

A la suite de l'appel interjeté le 24 juin 2008 par l'avocat retiré, la cour d'appel d'Amiens saisie du litige avait, par son arrêt du 19 février 2009, au visa de l'article 47 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1212H4N), renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris. Ce texte permet effectivement la saisine ou le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction compétente dans le ressort de laquelle le magistrat ou l'auxiliaire de justice partie au litige exerce ses fonctions, ou devant une juridiction située dans un département limitrophe.

La juridiction de seconde instance parisienne déboute, en l'espèce, l'appelant de ses différentes demandes de réformation de la sentence arbitrale et d'allocation à son profit de diverses sommes d'argent réclamées notamment à titre d'indemnisation du préjudice dont il prétend avoir souffert.

2. La décision unilatérale de retrait prise par un associé et, par conséquent, imposée à sa société, a pour corollaire la liberté de réinstallation du retrayant. C'est justement cette réinstallation qui soulève des difficultés pratiques d'organisation du retrait, en particulier, celles ayant trait aux modalités et au délai de départ. En outre, on peut s'interroger sur les dangers auxquels se trouve exposée la société à cette occasion et le risque de fragilisation qui la menace, notamment lorsque la décision unilatérale du retrayant intervient alors même que la société vient d'effectuer d'importants investissements, ou pire, lorsque, comme en l'espèce, ce dernier entraîne dans son sillage les collaborateurs et la clientèle attachée au groupement. Cela signifie que le péril est particulièrement important pour les sociétés civiles professionnelles.

C'est ce que tend à sanctionner dans le présent litige la cour d'appel de Paris.

L'appelant estime, toutefois, avoir exercé sans aucune faute son droit de retrait. Il justifie son comportement au regard de la réalité de son statut qui n'a pas connu l'évolution promise. La seule part qu'il a détenu dans le capital de la société a été sans commune mesure avec le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au profit de la structure sociale. En dépit de sa participation à l'essor de la société successivement en tant que collaborateur, salarié et libéral, sa situation a continué à être celle d'un collaborateur de fait dépourvu de tout pouvoir de décision ou de direction de la SCP, son statut d'associé n'ayant été que symbolique.

A ces arguments, il ajoute d'autres griefs faits à la SCP tels que sa mutation unilatérale dans un autre cabinet secondaire, le litige survenu à propos de l'évaluation de sa part sociale, l'impossibilité pour lui d'effectuer normalement le délai de prévenance, des mesures vexatoires tout en l'empêchant de travailler...

Enfin, il conteste avoir été l'auteur d'un quelconque débauchage des collaborateurs et salariés du bureau où il a été en poste, ces derniers ayant délibérément choisi de quitter ce bureau et de le suivre. Il exclut, également, toute responsabilité de sa part dans un démarchage de la clientèle locale qui a été simplement informée de son départ, ou dans l'accomplissement d'un travail direct ou indirect durant la période où il était encore associé de la SCP. En effet, la clientèle prétendument détournée qui l'a suivi était une clientèle spécifique personnelle, sans corrélation géographique et attachée à lui pour ses compétences financières.

La juridiction d'appel parisienne réfute tous ces arguments en s'appuyant essentiellement sur ceux invoqués par la société intimée. La qualité de simple collaborateur de fait alléguée par l'appelant ne saurait être retenue dès lors que la détention d'une seule part suffit à lui conférer celle d'associé d'une SCP, d'autant plus que la loi n'exige pas une détention minimale de parts sociales pour pouvoir en bénéficier. Ainsi, l'associé sortant a perçu en guise de rémunération, outre 1/150ème du capital social, une somme équivalant à 35 % du montant net de ses propres encaissements, ajouter à cela que la SCP a assuré le paiement intégral de ses charges sociales.

De plus, la manifestation de l'intention de quitter la société, pas plus que l'expiration du délai de six mois pendant lequel doit être proposé le rachat des droits sociaux, ne constitue pas un événement susceptible de lui faire perdre la qualité de membre du groupement. Aussi, ne saurait-il impunément, tout en exerçant les fonctions d'avocat au nom de ladite SCP, accomplir celles-ci à titre individuel ou en qualité de membre d'une SEL. Effectivement, la jurisprudence signale que celui qui se retire d'une société civile ne perd sa qualité d'associé qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux (7). Aussi longtemps que ce remboursement n'a pas été effectué, il conserve les mêmes droits et demeure tenu des mêmes obligations que tout autre associé.

En l'espèce, l'intéressé était demeuré associé jusqu'au jour de la cession de sa part sociale et, par conséquent, était tenu d'exercer ses diligences d'avocat au bénéfice exclusif de la SCP. Au lieu de cela, à dater du 3 septembre 2004, il n'a plus exercé pour le compte de celle-ci. Quelques mois plus tard à partir du 2 novembre 2004, l'avocat retiré a repris à titre individuel son activité professionnelle au sein d'une SARL créée par un confrère et au sein de laquelle exerçaient également les collaborateurs du bureau secondaire de la SCP qu'il dirigeait auparavant. Un peu plus tard, par lettre du 21 janvier 2005, ce dernier a refusé le prix de rachat proposé par la société de sa part sociale, laquelle a donc sollicité la désignation d'un expert pour déterminer la valeur de celle-ci.

La société intimée ne remet pas en cause la faculté de retrait qui correspond à un droit discrétionnaire conféré par l'article 21 de la loi du 29 novembre 1966 et l'article 27 des statuts sociaux. Elle justifie son action en réparation par le préjudice que lui a causé le détournement de clientèle auquel s'est livré l'associé appelant.

En définitive, la cour d'appel de Paris accueille la demande de dommages et intérêts introduite par cette société. Elle relève des faits troublants qui révèlent manifestement des fautes commises par l'avocat retiré tels que, la reconstitution d'un cabinet dans la même ville que celle du cabinet secondaire de la SCP avec les mêmes collaborateurs et la même clientèle, l'aide apportée à un cabinet concurrent. Elle en déduit que ce comportement fautif se trouve bien à l'origine du préjudice subi par la société. Elle le déboute donc de toutes ses demandes de dommages et intérêts et confirme en toutes ses dispositions la sentence arbitrale déférée.


(1) C. com., art. L. 227-14 (N° Lexbase : L6169AIC) et L. 227-15 (N° Lexbase : L6170AID).
(2) C. civ., art. 1869 (N° Lexbase : L2066AB7) ; C. Lapoyade Deschamps, La liberté de se retirer d'une société, D., 1978, p. 123. ; I. Sauget, Le droit de retrait de l'associé, thèse Paris X, 1991 ; X. Fromentin, Les vertus du droit de retrait, JCP éd. N, 2009, n° 30, 1246.
(3) Loi n° 86-18 du 6 janvier 1986, art. 19-1, nouv. (N° Lexbase : L0989AIH).
(4) Loi n° 66-879, 29 novembre 1966, art. 21 (N° Lexbase : L3146AID) ; A. Cathelineau, Le retrait dans les sociétés civiles professionnelles, JCP éd. E, 2001, n° 22, p. 888 ; v., toutefois, les SCP de notaires pour lesquelles il faut distinguer le retrait ordinaire prévu par l'article 18, alinéa 1er, de la loi de 1966, du retrait spécial édicté par l'article 18, alinéa 2, de cette loi qui implique de faire constater la réalité de l'existence d'une mésentente par le TGI du ressort du siège de la SCP statuant en la forme des référés. Le législateur donne la possibilité à l'intéressé d'être nommé à la tête d'un office créé à cet effet et au même endroit par la chancellerie ; J.-F. Pillebout, Les conflits entre notaires associés, Prévention et remèdes, JCP éd. N, 1994, prat. p. 41 ; Cass. civ. 1, 13 avril 1999, n° 96-20.864, inédit au bulletin (N° Lexbase : A4915CST), Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 904, note J.-J. Daigre.
(5) CA Versailles, 31 janvier 2001, LPA, 27 septembre 2001, n° 193, p. 14, nos obs., à propos d'une SCI dont l'associé retrayant exerçait parallèlement la profession d'avocat..
(6) C. civ., art. 1869.
(7) Cass. com., 17 juin 2008, n° 06-15.045, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A2140D97), RJDA, 11/2008, n° 1144 ; Dr. soc., août-sept. 2008, n° 176, obs. R. Mortier ; JCP éd. G, 2008, II, 10169 et JCP éd. N, 2008, n° 41, 1306, notes C. Lebel ; sur ces arrêts, nos obs., La perte de la qualité d'associé de sociétés civiles après le remboursement de la valeur des droits sociaux, RLDA, novembre 2008, n° 1915 ; v., en général, M. Laroche, Perte de la qualité d'associé : quelle date à retenir ?, D., 2009, p. 1772.

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