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N2922BUR
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 03 Juillet 2014
En condamnant la France pour ne pas reconnaître la commune parentalité des commanditaires d'une gestation pour autrui (GPA), la Cour condamne la vision française théorique et formaliste de la filiation. En effet, par deux arrêts rendus le 26 juin 2014, la CEDH juge contraire à l'article 8 de la Convention le refus de reconnaître en droit français une filiation légalement établie aux Etats-Unis entre des enfants nés d'une GPA et le couple ayant eu recours à cette méthode ; dans les deux affaires, la Cour a conclu à l'unanimité à la non-violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention s'agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais à la violation de l'article 8 s'agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée.
2 000 enfants seront directement concernés et les demandes devraient affluer devant les TGI ; aux juges maintenant d'appliquer la jurisprudence supranationale de la Cour européenne.
Alors on crie deçà delà au forcing législatif ! A la perte de souveraineté française en cette matière (aussi) ! D'aucuns éminents professeurs concluent à l'obligation, à court terme, de légaliser la GPA et voire de réformer notre droit de la filiation de l'enfant incestueux au regard des principes rappelés par les juges de Strasbourg : "au regard de l'importance de la filiation biologique en tant qu'élément de l'identité de chacun, on ne saurait prétendre qu'il est conforme à l'intérêt d'un enfant de le priver d'un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie".
Pour le second certainement, encore qu'il conviendra d'établir avec exactitude les droits du parent incestueux qui, jusqu'à présent, n'existaient pas aux yeux de la loi. L'enjeu paraît limité, l'inceste pénalement condamnable demeurant encore un tabou fort dans les sociétés occidentales. Toujours est-il qu'il n'est pas certain que l'enfant incestueux tire vraiment profit, notamment sur le plan psychologique, de cette double parentalité nouvellement établie.
Pour la GPA, cela semble plus complexe. La loi française devra reconnaître la double filiation de l'enfant commandité par gestation pour autrui. Certains avancent l'idée d'une obligation à court terme de légaliser la GPA actuellement hors la loi pour éviter autant que possible une rupture d'égalité selon les moyens financiers des commanditaires, futurs parents. Il faudrait à tout prix que l'on évite un tourisme de la GPA pour fortuné tandis que les moins aisés rongeraient leur frein. Et pourtant, cette finalité ne sera certainement pas atteinte. Si la loi française reconnaissait, enfin, la GPA, ce serait sous la condition, classique au demeurant, de l'inaliénabilité pécuniaire du corps humain ! Et, si on retirait l'aspect financier du commodat, la loi s'attacherait alors au contrôle de l'intention purement libérale de la gestion pour autrui, hors indemnisations des frais afférents strictement à la grossesse et à l'enfantement... et encore. Contrôles fiscaux, vérification de l'intention libérale, nullité la convention de GPA et pénalisation de sa commercialité pourraient être au rendez-vous. Quid alors de la réalité de la GPA en France ? On sait que la rémunération perçue par la mère biologique de l'enfant, en contrepartie de l'enfantement et de l'abandon de ses droits, à l'étranger est sinon essentielle du moins présente un caractère important de ce commodat bien particulier... Interdire toute rémunération directe ou indirecte et la réalité de la GPA pourrait n'être que peau de chagrin ; l'offre altruiste réduite à rien ou peu, la GPA continuerait d'être un recours pour fortunés... A réalisme réalisme et demi !
Alors sans doute que, pour la forme, la France légalisera la GPA pour ne pas paraître réactionnaire et réfractaire à l'harmonisation européenne. Mais, les effets escomptés, la libéralisation de la GPA en France, ne seront pas au rendez-vous ; elle légitimera finalement et surtout l'aliénabilité du corps humain à titre gratuit, au même titre que le don de sang ou d'organe -et l'on connaît la pénurie en la matière- aux conséquences sans commune mesure : la naissance d'un enfant !
Un mot sur l'abandon de l'autorité parentale par la mère biologique : il n'est également rien de moins certain que la loi permette une telle renonciation. Et, l'accouchement sous x n'est pas un bon exemple ou une voie à suivre, puisqu'il ne permet pas un tel abandon à proprement parler ; le consentement anonyme n'existant pas, l'enfant serait confié de fait à l'assistance publique ! La mère biologique n'étant pas anonyme, et la tri-parentalité via la reconnaissance d'une autorité parentale partagée avec le conjoint de l'un des parents homoparental n'étant qu'à quelques encablures législatives, là aussi, l'un des principaux buts recherchés par les commanditaires de la GPA, à savoir une autorité parentale exclusive sur leur enfant commandité, risque de ne pas être au rendez-vous.
Le réalisme familial est décidément d'une appréhension bien plus complexe qu'en matière fiscale, qui de tout temps ne se prive pas de taxer le produit d'une activité même illégale... C'est sans doute parce que la famille légale est encore empreinte d'une certaine "moralité", pas nécessairement laïque... Alors que la fiscalité est parfaitement amorale.
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N2967BUG
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
Le 03 Juillet 2014
Jean-Marie Burguburu : Le 5 juin nous avons eu une belle manifestation avec la réunion des conseils de l'Ordre dans la journée pour voter dans les mêmes termes la motion proposée par le CNB ; autrement dit dans les 161 barreaux de France, y compris le barreau de Paris, cette motion condamnant l'insuffisance des moyens de l'AJ a été votée ; cela n'était jamais arrivé. Ce jour-là les barreaux ont (selon les retours de 130 barreaux sur 161) fait grève : pour tous une grève du secteur assisté, pour d'autres une grève plus complète (secteur libre) et pour d'autres encore la mise en oeuvre de conclusions contestant la régularité de la procédure pour défaut de financement. Après le 5 juin je suis allé porter cette motion au directeur de cabinet de la Chancellerie qui hélas ne m'a donné aucune réponse. Le 26 juin, la grève a à nouveau eu lieu mais de manière plus prononcée. Nous avons demandé une manifestation "Palais mort" : comprenant le secteur assisté et le secteur libre -sauf urgences évidemment-. Certains barreaux sont même allés jusqu'à la fermeture de leurs cabinets.
Nous attendons trois choses de la Chancellerie à la suite de ces mouvements.
La première est la prise de conscience par la Chancellerie de l'exaspération des avocats sur ce sujet qui touche, au-delà de la communauté des avocats, le fonctionnement d'une société démocratique dans le libre accès à la justice pour les plus démunis.
Deuxièmement, nous attendons les propositions du ministère de la Justice sur la nécessaire revalorisation du financement de l'aide juridictionnelle soit au titre du montant de l'UV, soit globalement au titre des fonds abondant l'AJ qui sont actuellement de l'ordre de 300 millions d'euros, alors que la ministre avait, au moment de sa prise de fonctions, évoqué le doublement de ce montant...
Troisièmement, nous attendons enfin l'ouverture de discussion avec la profession, c'est-à-dire avec le CNB, sur une conception modernisée et plus ouverte de l'AJ qui éviterait, d'une part, au justiciable un parcours du combattant et, d'autre part, aux avocats de se retrouver dans la position de quémandeurs d'indemnisations misérables.
Lexbase : Aujourd'hui l'idée de la Chancellerie semblerait tendre vers une taxation du CA des cabinets. Par ailleurs, la DGCCRF ouvrant une enquête sur l'information donnée des honoraires des avocats, et l'Autorité de la Concurrence ayant été saisie sur les honoraires de certaines professions juridiques règlementées, peut-on parler de coïncidence ? N'y a-t-il pas une tendance à vouloir trouver de nouvelles sources de financement via les professions juridiques ?
Jean-Marie Burguburu : Concernant l'enquête de la DGCCRF, elle porte sur la prévisibilité des honoraires et non sur leur montant. C'est une question récurrente et difficile : les avocats peuvent-ils annoncer à l'avance le montant de leurs honoraires aux clients solvables (et non l'aide juridictionnelle) ? Il est normal que les clients puissent être avertis et pourtant cet avertissement est relatif non pas au montant des honoraires mais aux systèmes de calcul des honoraires ; c'est-à-dire la facturation de provisions successives en fonction des tâches accomplies, les honoraires facturées au taux horaire qui doit être annoncé ou les honoraires fixés avec un forfait initial majoré d'un honoraire complémentaire de résultat. Mais, chaque fois que les barreaux ont mis en place un barème d'honoraires, ces barèmes se sont fait "retoquer" par la Chancellerie pour cause d'atteinte à la concurrence. Concernant, ensuite, la mise en question par le Gouvernement des honoraires des professions règlementées (notaires, greffiers, huissiers), la question est celle de l'application d'un honoraire proportionnel au montant en jeu quel que soit le travail effectué. Le Gouvernement estime que la perception d'honoraires sur cette simple base, même avec un taux dégressif, est insuffisante. Enfin, pour les avocats qui ont une clientèle solvable les honoraires, qui sont libres, peuvent être modérés, importants ou très importants, alors que pour les avocats AJ la rémunération est toujours largement insuffisante. Une unité de valeur fixée entre 23 et 25 euros ne permet pas de rémunérer les avocats à un tarif décent, honnête. Dès lors les avocats sont en droit de manifester leur mécontentement et de prétendre à un autre traitement.
Lexbase : Le 27 juin l'Assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers a été élargie aux syndicats et au CNB et la Garde des Sceaux s'est déplacée et est intervenue, devant une assemblée désireuse de réponses. Quelle a été votre réaction aux propos de la Garde des Sceaux ? Quelles sont les suites envisagées ?
Jean-Marie Burguburu : En présence de la profession assemblée, la Garde des Sceaux n'a pas apporté de réponse satisfaisante à nos questions. Certes, la démodulation des unités de valeur (UV) servant à calculer le montant des indemnités perçues par les avocats, est abandonnée, certes une amélioration de 10 % du budget de l'AJ est annoncée, mais rien ne vient pour combler le retard de financement. Bien au contraire, la taxe envisagée sur le chiffre d'affaires des avocats est toujours d'actualité.
La profession va donc à nouveau manifester le lundi 7 juillet à l'appel du Conseil national des barreaux. Outre une journée de grève totale ce jour-là, une grande manifestation sur la voie publique conduira les représentants de la profession du siège du CNB à l'Hôtel Matignon.
Nous demanderons à être reçu par le cabinet du Premier Ministre et nous verrons quelle sera, en période d'arbitrage budgétaire, la position du Gouvernement sur le financement de l'aide juridictionnelle.
Nous en tirerons toutes les conséquences.
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Réf. : Cass. civ. 1, 25 juin 2014, n° 11-16.444, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1547MS4)
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N2954BUX
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Le 10 Juillet 2014
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Réf. : CA Aix-en-Provence, 26 juin 2014, n° 13/23414 (N° Lexbase : A8681MRX)
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N3017BUB
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Le 03 Juillet 2014
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newsid:443017
Réf. : Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-17.574, F-P+B (N° Lexbase : A1660MSB)
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N3030BUR
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Le 05 Juillet 2014
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newsid:443030
Réf. : Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-81.471, F-P+B+I (N° Lexbase : A7730MRQ)
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N2912BUE
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Le 03 Juillet 2014
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newsid:442912
Réf. : Cass civ. 1, 13 mai 2014, n° 12-16.784, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0457MLI)
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N2919BUN
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par Samuel Deliancourt, premier conseiller, cour administrative d'appel de Marseille, chargé d'enseignement à l'Ecole de Formation des Avocats de Centre-Sud (EFACS)
Le 03 Juillet 2014
La commune de Châteauroux souhaitait obtenir le départ ou, à tout le moins, le paiement de loyers de la part de l'Union départementale des syndicats CGT de l'Indre, de l'Union départementale des syndicats FO de l'Indre et de l'Union interprofessionnelle des syndicats CFDT de l'Indre, lesquelles occupaient à titre gracieux depuis de très nombreuses années, "de longues années" indique la Cour de cassation, des locaux respectivement de surfaces de 950 m², 483 m² et 387 m² lui appartenant. A cet effet, le maire a proposé auxdites associations de conclure une convention de mise à disposition par décisions du 24 janvier et du 16 mars 2004, sur la base d'un contrat de bail, moyennant une participation financière de 51,96 euros m² par an, ce qui correspondait au versement d'un loyer mensuel de 4 113,50 euros pour le syndicat CGT, de 1 675,71 euros pour la CFDT et de 910 euros pour la CGT. Les trois associations ont refusé de signer cette convention, de s'acquitter des loyers et de libérer les lieux. Elles ont chacune contesté ces décisions devant les juridictions administratives, mais leurs requêtes furent rejetées (3). La commune les a finalement assignées aux fins d'expulsion devant le tribunal de grande instance de Châteauroux, compétent puisque que les locaux occupés relevaient du domaine privé communal (4), lequel fit droit à sa demande par jugement du 24 juin 2008. Sur appel des syndicats, la cour d'appel de Bourges a, dans un arrêt du 26 mars 2009, infirmé le jugement entrepris au motif "qu'en fixant de nouvelles conditions d'occupation des locaux, contraires à une tradition de gratuité et inadaptées à la capacité financière des trois syndicats, sans leur faire en outre une offre de relogement, la commune de Châteauroux ne leur permettait plus de remplir normalement leurs missions d'intérêt général et portait ainsi directement atteinte au droit d'exercer librement une activité syndicale". Le débat simple en termes d'occupation domaniale s'est déporté sur le terrain de l'exercice d'une activité syndicale et des conditions d'effectivité de celle-ci. Peut-être stupéfaite par la "tradition de gratuité" opposée par la juridiction d'appel, la commune s'est pourvue devant la Cour de cassation. Par une décision du 3 juin 2010, rendue notamment au visa de l'article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4) et de l'article 1er du premier protocole de la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9), la première chambre civile a annulé cet arrêt en jugeant que le respect de l'exercice effectif des libertés syndicales ne créait aucune obligation aux communes de consentir des prêts gracieux et perpétuels de locaux de leur domaine privé (5). L'affaire fut renvoyée devant la Cour d'appel d'Orléans. Cette dernière s'est prononcée le 30 janvier 2012 (6) et a estimé que les syndicats occupants ne démontraient nullement que la position adoptée par la commune à leur égard était discriminatoire, en l'absence de preuves apportées que d'autres syndicats occuperaient à titre gratuit des dépendances communales. Le jugement d'expulsion fut, ainsi, confirmé. Mais, une nouvelle fois saisie, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé cet arrêt dans la décision rapportée au motif que la cour d'appel n'avait pas recherché "si les écarts qu'elle constatait entre le montant de ces redevances et celui des loyers que la commune exigeait des trois unions départementales, à peine de résiliation des conventions, étaient justifiés par les caractéristiques propres aux locaux qu'elle mettait à leur disposition, ou par tout autre élément objectif" (7). L'affaire est une nouvelle fois renvoyée, cette fois devant la cour d'appel de Paris. Un rappel des principes s'impose, de même qu'une explication quant à la portée de cette décision rendue par la Cour de cassation.
II - Le principe d'égalité des usagers des dépendances domaniales
Le maire est chargé, sous le contrôle du conseil municipal et du préfet, d'exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier, de conserver et d'administrer les propriétés de la commune et de faire, en conséquence, tous actes conservatoires de ses droits (8). Il est ainsi seul compétent (9) pour accorder ou refuser de faire droit aux demandes d'occupation.
Si l'immeuble est affecté à l'usage du public ou à un service public, à condition qu'il existe dans ce cas un aménagement indispensable (10), à l'instar d'une salle des fêtes (11), d'une maison des associations, d'un local dédié aux réunions, etc., la juridiction administrative sera compétente pour connaître de la légalité de la décision prise par le maire. Si la dépendance relève du domaine privé de la commune, il s'agit alors d'un acte de gestion dont le contentieux relèvera de la compétence des seules juridictions judiciaires, à moins que la contestation initiée par l'intéressé porte sur le refus de la personne morale de droit public gestionnaire du domaine privé d'engager une relation contractuelle (12). En l'espèce, le litige ayant trait à l'expulsion d'occupants sans titre du domaine public, la compétence judiciaire était acquise (13).
A - L'obligation de neutralité des immeubles relevant du domaine public
Les immeubles qui relèvent du domaine public des collectivités publiques sont soumis en tant que tels à une obligation de neutralité. Aussi une école ne peut être baptisée "Jack Lang" (14) ou le portrait du maréchal Pétain ne peut être affiché en mairie, quant bien même celui-ci aurait exercé des fonctions présidentielles (15). De la même manière, mais liée également à la santé publique, un immeuble ne peut afficher le portait d'un homme connu en train de fumer une cigarette (16). Il faut toutefois distinguer la neutralité de l'immeuble des activités qui peuvent y être exercées.
B - La possibilité de louer des locaux communaux à des associations, syndicats et partis
Le Code général des collectivités territoriales prévoit en son article L. 2144-3 (N° Lexbase : L6480A77) (17), issu de l'article 27 de la loi n° 92-125 du 6 février 1992, relative à l'administration territoriale de la République (N° Lexbase : L8033BB7)(18), "des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public. Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation". L'assemblée délibérante doit déterminer, par ses délibérations, les conditions dans lesquelles une salle des fêtes ou autre appartenant à la commune peut être louée à des groupements ou personnes privés et, à cette fin, de préciser, en fonction de l'affectation de l'immeuble et de l'intérêt d'une bonne gestion du domaine communal, la catégorie de bénéficiaires d'une telle mesure (19).
Ce texte a une portée transversale dès lors qu'il ne concerne pas seulement les immeubles relevant du domaine public (20), l'expression employée, plus large, étant celle de "local communal". Cette absence de précision permet de considérer que sont concernés tous les locaux appartenant à la commune. C'est ce que juge en l'espèce la Cour de cassation, en faisant application de ce texte dans un litige ayant trait à un immeuble relevant de son domaine privé : "ce texte, qui ouvre à la commune la faculté de mettre des locaux à la disposition des syndicats qui en font la demande, ne distingue pas selon la domanialité de ces locaux ; que l'exercice de cette faculté doit obéir au principe d'égalité" des citoyens devant la loi. L'égalité de traitement entre les différents usagers du domaine communal doit être respectée (21), ainsi que nous le verrons plus après.
Cette disposition législative n'astreint pas pour autant les communes à une obligation de mise à disposition. Il faut qu'il existe des locaux. Et, si tel est le cas, il n'existe pas un droit pour les associations, syndicats ou partis politiques à les utiliser ou les occuper, mais seulement "un droit à solliciter l'utilisation d'une salle communale", lequel peut être exercé à tout moment (22). La Cour de cassation fait ici état d'une simple "faculté" de mise à disposition. Les communes ne peuvent, cependant, légalement refuser de faire droit à une demande présentée en ce sens que pour des motifs dûment justifiés et limitativement énumérés. Ainsi qu'en dispose le texte même de l'article L. 2144-3, le maire doit apprécier la demande dont il est saisi, "compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public". L'absence de réglementation quant aux conditions d'utilisation de ces locaux de la part de l'assemblée délibérante ne constitue pas un motif de refus valable (23) et n'empêche pas le maire de se prononcer sur la demande (24). Celui-ci n'a pas dans ce cas à solliciter au préalable l'accord du conseil municipal (25). Doit, dans tous, les cas être respecté le principe d'égalité entre les usagers, ainsi que le rappelle la Cour de cassation.
C - Le principe d'égalité entre les usagers rappelé par la Cour de cassation
Le principe d'égalité entre les usagers du domaine public est un principe général du droit dégagé par le Conseil d'Etat dans l'arrêt "Biberon", qui n'a vocation à jouer qu'entre les personnes placées dans une situation identique (27). Il est donc possible de déroger à ce principe s'il existe des différences de situations appréciables, ou encore pour un motif d'intérêt général (28). La Cour de cassation donne une portée générale à ce principe dans l'arrêt présentement commenté. Il vaut pour les usagers des dépendances du domaine public mais également ceux du domaine privé. Cette approche est logique en l'absence de restrictions apportées par le texte précité de l'article L. 2141-3 du Code général des collectivités territoriales. Aussi, le moyen tiré de l'existence d'une discrimination, qui est une traduction du principe d'égalité, peut fonder une annulation comme justifier que soit ordonnée l'expulsion sollicitée par la commune, ce qui était ici l'objet du litige.
III - Les motifs de refus susceptibles d'être opposés aux demandeurs
Les motifs de refus tirés de l'atteinte à l'ordre public et de l'administration des propriétés ont été dégagés par la jurisprudence administrative (29), puis codifiés par la législateur en 1992 dans le Code des communes, élargis au fonctionnement des services, et figurent désormais à l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales.
A - Administration des propriétés communales et préservation de l'ordre public
Les motifs pouvant légalement fonder une décision de refus ont été mis en avant dans l'arrêt du 15 octobre 1969, "Association 'Caen-Demain'", dans lequel le Conseil d'Etat a jugé qu'une décision de refus ne pouvait être motivée que par les nécessités de l'administration des propriétés communales, qui peut se rattacher au principe de bonne gestion dégagé par la jurisprudence (30), ou par le maintien de l'ordre public (31). Sont, en effet, en jeu à la fois l'administration des propriétés communales et la liberté de réunion. La Haute juridiction administrative a également rappelé dans cet arrêt que le refus ne devait pas rompre l'égalité de traitement entre les usagers, ce qui revient à exiger une absence de discrimination entre les demandeurs. Un refus opposé à une association n'est donc légal que si cette décision est fondée sur l'un des trois motifs de refus limitativement énumérés par l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales et respecte le principe d'égalité de traitement des associations ayant, au regard de leur objet, la même vocation à l'utilisation des locaux (32). Une municipalité ne peut ainsi pas réserver l'accès d'un bâtiment communal à une (33) ou deux associations (34), sous peine de rompre le principe d'égalité entre elles. Le seul fait qu'une association compte plus ou moins de membres qu'une autre ne peut non plus justifier un refus de location (35), de même qu'une mise à disposition ne peut être conditionnée par le caractère subventionné ou non de l'association demanderesse (36). Il ne doit pas y avoir de discrimination entre les utilisateurs potentiels (37).
B - L'impossible refus fondé sur le seul caractère politique ou religieux de l'association demanderesse
Un maire peut-il refuser de permettre à une association présentant un caractère politique ou religieux d'occuper un local communal ? La jurisprudence n'admettait pas que le caractère politique ou religieux de l'association demanderesse puisse constituer un motif légal de refus (38). Le texte de l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales concernant expressément les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande, une association d'une telle nature ne peut logiquement pas se voir opposer un refus pour ce motif (39), même si la réunion doit se dérouler juste avant l'ouverture de la campagne électorale (40). Les partis politiques légalement constitués ont, en effet, le droit d'organiser des réunions et c'est sur ce motif que le juge des référés du Conseil d'Etat a, par exemple, suspendu l'interdiction faite au Front national d'organiser son université d'été à Annecy (41). Le refus ne sera légal que s'il est fondé et justifié par l'existence de risques d'atteinte à l'ordre public et/ou à l'intégrité matérielle des locaux ainsi mis à disposition et loués, dans des conditions telles qu'il ne pourrait être paré à tout danger par des mesures de police appropriées (42). Il en va de même s'agissant des associations à caractère cultuel (43), quant bien même celles-ci présenteraient un caractère sectaire (44) : un refus opposé pour ce seul motif encourt l'annulation (45). Le Conseil d'Etat a jugé dans un arrêt lu le 19 juillet 2011, "Commune de Montpellier", que "ces dispositions permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu'elles mentionnent, d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ; qu'une commune ne peut rejeter une demande d'utilisation d'un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d'exercer un culte" (46). Toutefois, les collectivités territoriales ne peuvent, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat (N° Lexbase : L0978HDL), décider qu'un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte, ce qui constituerait ainsi un édifice cultuel (47). Ceci étant, les associations, syndicats ou partis politiques ne bénéficient pas d'une mise à disposition gratuite et non limitée dans le temps.
IV - Une mise à disposition payante des immeubles communaux
A - Le principe de l'occupation payante
L'assemblée délibérante est compétente pour fixer les modalités et conditions d'utilisation des locaux communaux, ce qui implique la détermination de tarifs d'occupation (48). Les associations, syndicats ou partis politiques ont-il droit à la gratuité de l'occupation ? Le texte de l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales dispose que "le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation". Cette rédaction peut laisser à penser que le principe est la gratuité, l'occupation payante l'exception. Mais, d'une part, cette disposition doit à notre sens être lue, lorsque la dépendance relève du domaine public, à l'aune de l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L1665IPD), qui pose le principe que toute occupation est payante. Ce dernier texte fixe lui-même et de manière limitative des exceptions, parmi lesquelles figurent les associations à but non lucratif concourant à la satisfaction d'un intérêt général. Mais cette exception n'est pas de droit, c'est seulement une possibilité. Aussi, le seul fait pour une association (il faudrait déterminer si les associations, syndicats ou partis politiques demandeurs présentent effectivement ces caractères) de remplir ces conditions ne lui ouvre pas un droit à occupation si le conseil municipal n'a pas délibéré en ce sens. Ce n'est qu'un possible aménagement au caractère payant de l'occupation.
La question se pose quelque peu différemment lorsque la dépendance ne relève pas du domaine public, mais du domaine privé. Les dispositions précitées du Code général de la propriété des personnes publiques ne sont pas applicables et ce code ne prévoit rien d'identique concernant l'occupation de ces dépendances. L'occupation pourrait-elle être gratuite ? La première chambre civile de la Cour de cassation a apporté la réponse suivante dans l'arrêt du 3 juin 2010 déjà cité : "le respect de l'exercice effectif des libertés syndicales, autres que celles propres à la fonction publique territoriale, ne crée aucune obligation aux communes de consentir des prêts gracieux et perpétuels de locaux de leur domaine privé" (49). Il n'existe donc pas de droit à la gratuité, même pour l'exercice d'une activité syndicale et même si la liberté de réunion est une composante de la liberté syndicale. Cette position rejoint celle du Conseil d'Etat qui avait peu de temps auparavant jugé "qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'implique que soit maintenu sans limite de durée l'état actuel des locaux mis à disposition des sections locales d'organisations syndicales nationales par une collectivité territoriale" (50), avant de logiquement estimer que "la liberté syndicale n'implique pas qu'un syndicat puisse se maintenir dans des locaux administratifs mis gracieusement à sa disposition sans l'accord des autorités dont ceux-ci dépendent". L'occupation du domaine privé peut être payante. C'est pourquoi, par délibération du 12 février 2004, le conseil municipal de la commune de Châteauroux a pu décider du caractère onéreux de l'occupation des locaux municipaux et a déterminé le prix au mètre carré applicable en fonction des locaux, sans prévoir de dérogation au bénéfice des organisations syndicales. Cette jurisprudence commune aux deux ordres de juridictions conforte le principe de bonne gestion domaniale qui concerne les dépendances du domaine public (51), comme celles relevant du domaine privé (52). Il existerait sinon une différence de régime selon la nature publique ou privée de l'immeuble communal concerné. Le caractère indifférent de la domanialité est accentué par la position prise par la Cour de cassation qui exige une égalité des montants sollicités au titre la redevance perçue pour occupation du domaine public et le loyer exigé au titre de l'occupation du domaine privé.
V - L'égalité entre redevances et loyers en cas d'occupation d'immeubles communaux, sauf différences objectivement justifiées
S'agissant des dépendances du domaine public, la redevance exigée pour leur occupation ou leur utilisation doit tenir compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation (53). Dans la présente affaire où était concernée l'occupation d'une dépendance du domaine privé communal, les syndicats occupants estimaient que la remise en cause de la gratuité de l'occupation faisait obstacle à l'exercice de leurs mandats, ce que la Cour de cassation a refusé de reconnaître, et que la position prise par la commune de Châteauroux étaient également emprunte de discrimination à leur égard, au motif invoqué que d'autres syndicats occuperaient gratuitement des dépendances autres de la commune. Ce motif avait été écarté par la cour d'appel qui a considéré que les dépendances occupées par les autres syndicats relevaient du domaine public communal et que cette occupation n'était nullement gratuite, les pièces fournies attestant des montants des redevances exigées en contrepartie. La Cour de cassation va plus loin et annule cet arrêt au motif que la cour d'appel n'a pas recherché "si les écarts qu'elle constatait entre le montant de ces redevances et celui des loyers que la commune exigeait des trois unions départementales, à peine de résiliation des conventions, étaient justifiés par les caractéristiques propres aux locaux qu'elle mettait à leur disposition, ou par tout autre élément objectif". Ce contrôle exigé n'a d'autres fonctions que de vérifier si le principe d'égalité entre les syndicats n'a pas été méconnu, c'est-à-dire si les trois associations occupantes ne sont pas victimes de discriminations. Les écarts entre les loyers et les redevances, s'ils existent, doivent être justifiés par des éléments objectifs, comme les caractéristiques propres aux locaux concernés, c'est-à-dire leurs situations, leurs accès, leurs superficies, leurs équipements, etc. La cour d'appel de Paris saisie sur renvoi devra apprécier ces circonstances de fait.
La commune de Châteauroux pourrait obtenir le paiement d'une indemnité au titre de l'occupation irrégulière et gratuite des locaux de la part des syndicats. Lorsqu'est concernée une dépendance du domaine public, le montant de l'indemnité due au titre de l'occupation irrégulière doit être égal au montant qui aurait été exigé si l'occupation avait été régulière (54). On peut penser qu'il pourrait en aller de même ici, bien que la dépendance relève du domaine privé, au regard de la justification exigée par la Cour de cassation (55). L'arrêt rapporté constitue une nouvelle étape s'agissant du régime de l'occupation des immeubles communaux, indifféremment de la qualification de dépendance du domaine public ou privé, en raison de la rédaction indifférente sur ce point du texte de l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales.
(1) Voir Cass. civ. 1, 2 avril 1963, Montagne, AJDA, 1963, p. 486, note J. Dufau.
(2) Voir Cass. civ. 1, 21 décembre 1987, n° 86-14.167, publié au bulletin (N° Lexbase : A4892CIZ), Bull. civ. I, n° 348, p. 249, CJEG, 1988, p. 107, note L. Richer, JCP éd. G, 1989, II, n° 21183, note B. Nicod, RFDA, 1988, p. 771, concl. L. Charbonnier, note B. Pacteau, RTD Civ. 1989, p. 145, chron. R. Perrot ; Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-29.475, F-P+B (N° Lexbase : A9863MCB), AJDA, 2014, p. 460, note P. Yolka, AJCT, 2014, p. 273, obs. F. Mokhtar.
(3) CAA Bordeaux, 2ème ch., 1er juillet 2008, trois arrêts, n° 07BX01216 (N° Lexbase : A2997EAA), n° 07BX01215 (N° Lexbase : A2996EA9), n° 07BX00895 (N° Lexbase : A2927EAN).
(4) Le cas échéant, le juge administratif aurait été compétent par détermination de la loi (C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2331-1 N° Lexbase : L2125INZ).
(5) Cass. civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-14.633, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1523EY3), Bull. civ. I, n° 127, JCP éd. A, 2010, n° 2230, note P. Yolka, AJDA, 2010, p. 1121, obs. S. Brondel, D. 2010, p. 1554, obs. G. Forest, AJCT, 2010, p. 84, note G. Le Chatelier, AJDI, 2011, p. 233, obs. F. de la Vaisière, RTDCiv., 2010, p. 557, obs. B. Fages.
(6) CA Orléans, 30 janvier 2012, n° 10/03616 (N° Lexbase : A6228IBB).
(7) Cass. civ. 1, 13 mai 2014, n° 12-16.784, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0457MLI).
(8) CGCT, art. L. 2122-21 (N° Lexbase : L9560DNE).
(9) Voir CAA Douai, 3 février 2005, n° 00NC01522 (N° Lexbase : A6627DGK), jugeant que, "s'il appartient au conseil municipal de délibérer sur les conditions générales d'administration du domaine public communal, le maire est seul compétent pour délivrer et retirer les autorisations d'utiliser des locaux appartenant à la commune".
(10) CGCT, art. L. 2111-1 (N° Lexbase : L2280IY4).
(11) CE 3° et 5° s-s-r., 29 décembre 1997, n° 164299, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5639ASN).
(12) Voir les conditions posées par T. confl., 5 mars 2012, n° 3833 (N° Lexbase : A3392IED), JCP éd. A, 2012, act. 202, 2180, note J. Martin et n° 2325, chron. C. Chamard-Heim, Contrats-marchés publ., 2012, comm. 143, AJDA 2012, p. 1684, note F. Mokhtar, Grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 2013, n° 66.
(13) Par ex. T. confl., 14 décembre 2009, n° 3715 (N° Lexbase : A8384EP9) ; T. confl., 19 mai 2014, n° 3942 (N° Lexbase : A5160MM3).
(14) TA Lille, 18 décembre 2007, n° 0601575 et n° 0601586, AJDA, 2008, p. 709, nos obs. Voir idem, Dénomination des places, voies et bâtiments publics, La Gazette des communes, 14 juillet 2008, p. 52.
(15) TA Caen, 26 octobre 2010, n° 1000282 (N° Lexbase : A8007GCK).
(16) Voir C. Lantero, La cigarette d'Albert Camus menace-t-elle (encore) la santé publique ?, AJDA, 8 octobre 2012, p. 1841.
(17) Cette disposition qui figurait à l'article L. 2143-3 du Code général des collectivités territoriales a été transférée par l'article 1er de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (N° Lexbase : L0641A37), à l'article L. 2144-3 du même code (N° Lexbase : L6480A77). Cette disposition figurait auparavant à l'article L. 318-2 du Code des communes (N° Lexbase : L5386HMG).
(18) Voir l'étude de F. Collière, La mise à disposition de locaux communaux au profit d'associations, syndicats et partis politiques, AJDA, 2006, p. 1817.
(19) CE 5° et 3° s-s-r., 21 mars 1990, n° 76765, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5544AQE), p. 74.
(20) Par ex. CAA Douai, 1ère ch., 15 mars 2007, n° 06DA01146 et 06DA01281 (N° Lexbase : A3017DWN). Voir CAA Bordeaux, 1ère ch., 28 décembre 2009, n° 09BX01310 (N° Lexbase : A5989KGW), JCP éd. A, 2010, n° 2147, note P. Yolka (qualifiant préalablement la dépendance concernée comme relevant du domaine public).
(21) Par ex. CE 2° et 6° s-s-r., 21 avril 1972, n° 78589, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4385B8W), p. 302 ; CE 3° et 5° s-s-r., 21 juin 1996, n° 134243, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9554AN8), p. 752 ; CAA Douai, 1ère ch., 15 mars 2007, n° 06DA01146 et 06DA01281, préc..
(22) CAA Versailles, 1ère ch., 2 novembre 2004, n° 02VE00140 (N° Lexbase : A1802MSK).
(23) CE 2° et 6° s-s-r., 21 avril 1972, n° 78589, publié au recueil Lebon, préc..
(24) CE 2° s-s., 12 octobre 1994, n° 151851, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2294ANB).
(25) CE 3° et 5° s-s-r., 21 juin 1996, n° 134243, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(26) CE, Sect., 2 novembre 1956, Biberon, publié au recueil Lebon, p. 403, concl. C. Mosset.
(27) Voir CE, Sect., 10 mai 1974, n° 88032, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0207AZP). S'agissant des usagers du domaine public, voir CE, Sect., 5 janvier 1968, Chambre syndicale patronale des enseignants de la conduite des véhicules à moteur, publié au recueil Lebon, p. 14, RDP, 1968, p. 905, concl. J. Fournier, JCP éd. G, 1968, II, n° 15529, note F. Vincent.
(28) Ibid.
(29) Par ex. CE 2° et 6° s-s-r., 21 avril 1972, n° 78589, publié au recueil Lebon, préc. ; CE 3° et 5° s-s-r., 15 mars 1996, n° 137376, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8105ANI), p. 83, JCP éd. G, 1996, IV, p. 174, obs. M.-C. Rouault.
(30) CAA Nantes, 30 décembre 1999, n° 97NT00499 (N° Lexbase : A0292AX4).
(31) CE, 1970, n° 76563, rec. p. 435, RDP 1970, p. 1458. Voir également, pour une motivation semblable, CE 1° et 4° s-s-r., 21 mars 1979, n° 07117, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4341B8B), p. 656.
(32) Par ex. CAA Bordeaux, 6ème ch., 19 décembre 2006, n° 04BX01469 (N° Lexbase : A4933DTU), pour la mise à disposition de la maison des associations à des écoles de danse.
(33) Par ex. TA Bastia, 11 octobre 2007, n° 0600977.
(34) CE 2° et 6° s-s-r., 26 octobre 1988, n° 76604, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0038AQH), pour la mise à disposition de courts de tennis municipaux.
(35) CE 3° et 5° s-s-r., 8 avril 1998, n° 165284, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7305ASD), pour des locaux communaux à usage de stand de tirs.
(36) TA Versailles, 18 mai 1988, n° 96240 (N° Lexbase : A1752BT3), rec. Tables, p. 773.
(37) CAA Bordeaux, 6ème ch., 19 décembre 2006, n° 04BX01469 (N° Lexbase : A4933DTU).
(38) Par ex. CE, 10 février 1984, n° 38010, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2645ALK). Voir aussi CE 3° et 5° s-s-r., 21 mars 1990, n° 76765, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5544AQE), p. 74, concernant la légalité d'une délibération excluant de la possibilité de bénéficier d'une salle des fêtes communale les associations, groupements et organismes à caractère politique ou exerçant des offices religieux au motif que ces exclusions étaient destinées à mettre l'utilisation des locaux appartenant à la commune à l'abri de querelles politiques ou religieuses. Une telle mesure n'a pas été considérée comme fondée sur un critère étranger à l'intérêt de la gestion du domaine public communal ni à l'affectation des immeubles et a été considérée comme n'introduisant pas, entre les utilisateurs éventuels de cette salle des fêtes, de discrimination non justifiée par l'intérêt général.
(39) Par ex. CE, 10 février 1984, n° 38010, publié au recueil Lebon, préc. ; CE 3° et 5° s-s-r., 15 mars 1996, n° 137376, publié au recueil Lebon, préc., JCP éd. G, 1996, IV, p. 174, obs. M.-C. Rouault ; CE 3° et 5° s-s-r., 30 avril 1997, n° 157115, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9371ADG), p. 701-704 ; CAA Nantes, 3ème ch., 24 juin 1999, n° 96NT00832 (N° Lexbase : A4850BH4).
(40) CE, 10 février 1984, n° 38010, publié au recueil Lebon, préc..
(41) CE, référé, 19 août 2002, n° 249666, publié au recueil Lebon ([LXB=249666]), p. 311, AJDA, 2002, p. 665 et p. 1017, note X. Braud, D. 2002, IR, p. 2452.
(42) CAA Lyon, 6ème ch., 30 mai 2006, n° 01LY01853 (N° Lexbase : A5958DQQ), à propos de la mise à disposition d'une salle de la Bourse du travail pour M. Gollnisch intervenant pour le Front national pour que s'y tienne une réunion publique.
(43) CE, référé, 30 mars 2007, n° 304053, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8164DUW), AJDA, 2007, p. 1242, note S. Damarey, Dr. adm., 2007, comm. n° 90, note F. Melleray, concernant un refus opposé à des témoins de Jéhovah.
(44) Ibid.
(45) Par ex. CE, référé, 26 août 2011, n° 352106, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7595HXL), AJCT, 2011, p. 566, note P. Rouquet.
(46) CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 313518, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0575HW9), AJDA, 2011, p. 1667, chron. A. Bretonneau et X. Domino, AJCT, 2011, p. 515, obs. M. Perrier. Voir également en ce sens, CE, référé, 26 août 2011, n° 352106, inédit au recueil Lebon, préc. ; CAA Marseille, 5ème ch., 21 février 2014, n° 11MA04852 (N° Lexbase : A9431MLU) (statuant sur renvoi du Conseil d'Etat).
(47) CE, référé, 26 août 2011, n° 352106, inédit au recueil Lebon, préc., AJCT, 2011, p. 566, note P. Rouquet.
(48) S'agissant d'immeubles relevant du domaine public, voir par ex. CE 2° et 6° s-s-r., 8 juillet 1996, n° 121520, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0093AP7), p. 272.
(49) Préc.
(50) CE, référé, 13 novembre 2009, n° 333414, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1353EPS).
(51) Par ex. CAA Nantes, 2ème ch., 28 mars 2007, n° 06NT00751 (N° Lexbase : A9753DW7) ; CE 4° et 5° s-s-r., 11 avril 2014, n° 362916, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1077MK4), à propos du domaine public hertzien.
(52) CE, Sect., 10 mars 1995, n° 108753, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2925ANN), à propos d'un refus de cession ; CAA Lyon, 1ère ch., 27 novembre 2007, n° 06LY00110 (N° Lexbase : A7573D4A), à propos d'une cession de dépendances.
(53) C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2125-3 (N° Lexbase : L4561IQY).
(54) CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 317675, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0301HSX), p. 242, JCP éd. A, 2011, n° 2224, note Ph. Yolka, Dr. adm., 2011, comm. n° 68, note F. Melleray.
(55) CE 3° et 8° s-s-r., 24 juin 2013, n° 348207, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7720KHE), JCP éd. A, 2013, n° 2295, note E. Langelier, Dr. adm., 2013, comm. n° 73, note G. Eveillard.
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Réf. : Décret n° 2014-676 du 24 juin 2014, relatif à l'accès des associations humanitaires aux lieux de rétention (N° Lexbase : L5624I3P)
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Le 05 Juillet 2014
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Réf. : Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-13.643, FS-P+B (N° Lexbase : A2254MRW)
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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille
Le 03 Juillet 2014
La question s'était d'abord posée de savoir, au stade de l'appel, si, compte tenu de la liquidation judiciaire et du principe de dessaisissement qui en découle en vertu de l'article L. 641-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L8860INH), le débiteur était recevable à exercer l'action en mainlevée. Bien sûr que non. Seul le liquidateur a ici qualité pour agir, sauf s'il décide de ne pas se prévaloir de cette règle. Etant donné qu'il ne s'en prévalait pas, l'action directement exercée par le débiteur était recevable.
La question se posait surtout de savoir s'il était possible de prendre une telle inscription hypothécaire dans la mesure où le bien immobilier avait antérieurement et régulièrement fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité.
Pour les juges du fond, la déclaration d'insaisissabilité n'empêche pas l'inscription de l'hypothèque (2). D'une part, les articles 2284 (N° Lexbase : L1112HIZ) et 2285 (N° Lexbase : L1113HI3) du Code civil, dérogatoires à l'article L. 526-1 du Code de commerce, siège de la déclaration d'insaisissabilité, ne visent que le droit de gage général des créanciers sans entrer dans la distinction entre les voies d'exécution et les mesures de sûreté, ni prescrire une interdiction pour un créancier de recourir à ces dernières. D'autre part, l'article 67 de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L9124AGZ) dispose que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire. Ainsi, lorsque le créancier ne dispose pas d'un titre exécutoire, il ne peut solliciter qu'une mesure conservatoire, conformément aux dispositions de ce texte. Or, une inscription d'hypothèque judiciaire s'analyse en une mesure de sûreté judiciaire et non en une saisie. Dès lors, l'inscription d'une hypothèque judiciaire à l'initiative d'un créancier est valable.
Le créancier, en l'espèce, n'a pas fait procéder à une saisie, effectivement interdite tant que durent les effets de l'insaisissabilité, mais à une inscription d'hypothèque judiciaire, mesure de sûreté, justifiée par les conclusions du rapport d'expertise judiciaire déposé le 1er février 2010 ayant constaté de nombreux désordres sur le véhicule objet de la vente intervenue entre les parties. Sa créance paraissant fondée en son principe et la cessation d'activité du commerçant constituant une circonstance susceptible d'en mettre en péril son recouvrement, les juges d'appel confirment la validité de l'hypothèque.
Dan son pourvoi, le vendeur soutient essentiellement que si l'inscription d'une hypothèque judiciaire n'est pas possible, c'est parce qu'elle impose, en cas de cession de l'immeuble, de distribuer le prix aux créanciers inscrits et qu'elle exclut, par conséquent, son remploi intégral par l'entrepreneur, devenu impossible, d'où une violation par la cour d'appel des articles L. 526-1 et L. 526-3 (N° Lexbase : L5727IM3) du Code de commerce et L. 532-1 (N° Lexbase : L5925IRU) et R. 251-1 (N° Lexbase : L2376IT8) du Code des procédures civiles d'exécution.
La Cour de cassation confirme le raisonnement des juges d'appel et rejette le pourvoi du débiteur. Selon elle, l'article L. 526-1 du Code de commerce est d'interprétation stricte. C'est la saisie qui est interdite, non pas la mesure conservatoire que constitue l'inscription provisoire d'une hypothèque. Il en résulte simplement que tant que dureront les effets de l'insaisissabilité, l'hypothèque ne pourra pas déboucher sur une saisie. A cet égard, l'impossibilité de procéder à l'inscription provisoire d'une hypothèque judiciaire ne saurait être tirée de l'application de l'article L. 526-3 du Code de commerce, reportant l'insaisissabilité en cas de cession de l'immeuble sur le prix obtenu et sur la nouvelle résidence principale acquise en remplacement, étant observé qu'à tout moment, la déclaration d'insaisissabilité peut faire l'objet d'une renonciation de la part de l'entrepreneur individuel. Par conséquent, la déclaration d'insaisissabilité n'a aucun effet sur l'inscription d'hypothèque.
D'aucuns critiqueront certainement la solution, mais pour nous, l'arrêt de la Cour de cassation est impeccable. Il consiste à dire que, certes, le bien immeuble est insaisissable, car protégé par la déclaration d'insaisissabilité, mais pour autant, une hypothèque peut être prise sur ce bien en ce qu'elle constitue une mesure de sûreté et non une voie d'exécution.
En d'autres termes, l'immeuble n'est pas saisissable. Mais il est disponible (3), de sorte qu'il est possible de le grever d'une hypothèque, d'autant plus que la suspension des poursuites ou l'interdiction des inscriptions ne s'appliquent pas ici puisque l'immeuble est hors procédure collective, pas plus que le dessaisissement du débiteur.
Au delà de la solution, et des raisons qui la fondent, Il faut d'abord envisager sa portée (I) puis la mettre en perspective avec l'ordonnance du 12 mars 2014 qui fait entrer la déclaration d'insaisissabilité dans les nullités de la période suspecte (II) pour, enfin, en tirer les conséquences pratiques (III).
I - La portée de la solution
En l'espèce, l'hypothèque avait été prise avant l'ouverture de la liquidation judiciaire. La solution vaut-elle également pendant la liquidation judiciaire ? Dit autrement, le créancier aurait-il pu prendre la même inscription hypothécaire après le jugement d'ouverture ? Il nous semble que la réponse doit ici être positive, dans la mesure où, avant ou après le jugement d'ouverture, le bien immeuble n'en reste pas moins extrait de la procédure collective.
L'immeuble, en effet, a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui est valable. Son principal effet est de le mettre à l'abri de la liquidation judiciaire.
Aussi, l'immeuble étant en tout état de cause hors procédure, il peut faire l'objet d'une inscription hypothécaire avant ou pendant la liquidation judiciaire. Le créancier n'est pas touché par le principe de l'interdiction des inscriptions. Certains créanciers, ceux par exemple auxquels la déclaration d'insaisissabilité n'est pas opposable parce que postérieure à la date de naissance de leurs créances, pourraient même saisir directement l'immeuble nonobstant la liquidation judiciaire puisque, encore une fois, l'immeuble est hors procédure.
II - Mise en perspective de la solution avec l'ordonnance du 12 mars 2014
On le sait, la Cour de cassation a toujours reconnu une efficacité très forte à la déclaration d'insaisissabilité précédent une liquidation judiciaire. L'acte n'est pas annulable au titre des actes passés en période suspecte car non translatif de propriété (4). Il n'est pas non plus assimilable à un contrat, éventuellement commutatif. Enfin, la déclaration n'est ni un paiement, ni un dépôt, ni une hypothèque, ni une mesure conservatoire (5) et n'a aucun rapport avec une levée d'option ou une fiducie.
Surtout, le liquidateur n'a pas qualité pour agir, que ce soit sur le terrain des procédures collectives (6), ou sur celui de la fraude paulienne (7), pour appréhender l'immeuble. Le liquidateur représente tous les créanciers et pas seulement une partie d'entre eux. Il ne peut donc au nom des créanciers tenter d'appréhender l'immeuble. La déclaration d'insaisissabilité y fait éternellement échec.
Et le juge-commissaire, pour sa part, ne peut dès lors autoriser, sous peine de commettre un excès de pouvoir, le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques de l'immeuble dont l'insaisissabilité lui est opposable (8). Et ce, même si dans le passif figurent des créanciers auxquels la déclaration d'insaisissabilité est inopposable.
L'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 214-326, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives N° Lexbase : L7194IZH) change un peu la donne car elle a ajouté un douzième cas à la liste des actes nuls de plein droit intervenus entre la date de cessation des paiements et le jugement d'ouverture. Est désormais visée "la déclaration d'insaisissabilité faite par le débiteur en application de l'article L. 526-1". La réforme nous semble toutefois timide (9). D'abord, le texte visant spécifiquement la déclaration elle-même, ne devrait pas être touchée par la nullité la déclaration faite avant la cessation des paiements et publiée après (10). De plus, la déclaration doit avoir été passée pendant la période suspecte. Sachant qu'il est possible de faire remonter la date de cessation des paiements au plus jusqu'à dix-huit mois en arrière, sauf décision définitive homologuant un accord de conciliation conformément à l'article L. 631-8, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3375ICY), la mesure devrait sans peine atteindre l'entrepreneur de mauvaise foi qui utilise la déclaration pour organiser son insolvabilité (11).
En réalité, la réforme est double. D'une part, le I de l'article L. 632-1 (N° Lexbase : L7320IZ7) a été enrichi d'un 12°. D'autre part, le II de l'article L. 632-1, qui visait jusque là "tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière" faits dans les six mois précédant la date de cessation des paiements, vise désormais aussi la déclaration d'insaisissabilité faite dans les six mois précédant la date de cessation des paiements. La nullité n'est alors plus de droit puisque le texte laisse au juge la faculté de la prononcer. Autrement dit, il est possible de remonter également sur vingt-quatre mois pour une déclaration d'insaisissabilité, mais il s'agit d'une nullité de droit facultative si l'on peut dire, le texte disposant que "le tribunal peut, en outre, annuler [...]". Il y a ainsi la déclaration d'insaisissabilité nulle de plein droit si elle est passée dix-huit mois au plus avant le jugement d'ouverture (C. com., art. L. 632-1, I), et la déclaration d'insaisissabilité que le tribunal peut annuler sur une période de six mois supplémentaires, soit sur vingt-quatre mois (C. com., art. L. 632-1, II).
Ajouté à cela que les actions en nullité des actes de la période suspecte sont, en pratique, assez rares, la réforme opérée par l'ordonnance du 12 mars 2014 semble plus timide que la solution apportée par l'arrêt sous commentaire, inédite à notre connaissance, qui va donc plus loin.
Reste à en tirer toutes les conséquences pratiques.
III - Les conséquences pratiques de la solution
Conséquence directe de l'arrêt, étant donné que la déclaration d'insaisissabilité est régulière, l'immeuble n'est pas réalisable par le liquidateur. Le créancier peut tout de même prendre une hypothèque, soit avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, soit après le jugement d'ouverture car l'immeuble est hors procédure collective. Cela signifie que lorsque l'immeuble sera vendu, le créancier hypothécaire aura un droit de suite sur le prix. Néanmoins, quel acquéreur se risquera à acheter un bien grevé d'une hypothèque ?
Si donc un entrepreneur individuel tombe en liquidation judiciaire et qu'il a régulièrement procédé à une déclaration d'insaisissabilité, avant la liquidation, cela n'empêche pas la prise d'une hypothèque par un créancier, même après la liquidation car l'immeuble est hors procédure collective. Toutefois, ce créancier n'est pas dispensé de déclarer sa créance à la procédure. Ce créancier pourrait se retrouver en concurrence avec des créanciers antérieurs auxquels la déclaration n'est pas opposable, ces derniers pouvant directement saisir le bien pour le faire vendre. Cependant, sur le produit de cette vente, le créancier hypothécaire a un droit de suite. Et alors de deux choses l'une : soit les créanciers saisissant obtiennent la mainlevée avant la vente (purge amiable), soit ils ne l'obtiennent pas et alors le créancier hypothécaire doit être payé sur le prix de vente pour qu'il y ait purge.
Si maintenant l'on met la solution de l'arrêt en relation avec la réforme et que, par exemple, la déclaration d'insaisissabilité est prise en période suspecte, celle-ci doit ou peut être annulée sur dix-huit ou vingt-quatre mois. Si l'action aboutit, l'immeuble "regagne" l'actif du débiteur. Une hypothèque est-elle ici possible ? Non, et ce en raison du principe de l'interdiction des poursuites et des inscriptions. Mais si l'hypothèque a été prise avant la l'ouverture de la liquidation judiciaire, celle-ci est parfaitement valable. Un liquidateur peut donc être autorisé par un juge-commissaire à faire vendre l'immeuble en principe par un notaire. Mais celui qui achète doit savoir qu'il achète l'immeuble grevé d'une hypothèque. Par conséquent, soit s'opère une purge amiable avant la vente, soit le paiement du prix emporte purge, étant précisé néanmoins que l'article L. 642-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L3334ICH), qui indique que le paiement complet du prix emporte purge des inscriptions, n'est applicable qu'aux cessions se réalisant par voie de plan, aucunement aux réalisations d'actifs isolés.
C'est dire qu'avec l'arrêt du 11 juin 2014 et la réforme de mars 2014, on créé au moins deux nouvelles catégories de créanciers qui peuvent entrer en conflit ou en concurrence. D'un côté, les créanciers auxquels la déclaration est inopposable car réalisée en période suspecte, et donc nulle. D'un autre côté, les créanciers hypothécaires qui peuvent prendre à titre provisoire une telle inscription à tout le moins si l'immeuble reste hors procédure. Ces derniers ont donc tout intérêt à ce que la déclaration d'insaisissabilité reste efficace. Mieux, les créanciers disposent désormais de plusieurs outils pour appréhender l'immeuble. La déclaration peut leur être rendue inopposable car nulle, les créanciers étant toutefois suspendus à une action du liquidateur ou d'un autre organe, l'action en nullité des actes de la période suspecte étant attitrée. Si l'action aboutit, ils pourront procéder à une saisie immobilière. Et si l'action n'aboutit pas, si bien que l'immeuble demeure protégé par la déclaration d'insaisissabilité, ils pourront toujours en cours de procédure demander une hypothèque à titre conservatoire sur le fondement de l'arrêt du 11 juin 2014.
Avant que la Cour de cassation ne vienne donner cette solution logique, et avant que l'ordonnance du 12 mars 2014 ne fasse entrer la déclaration d'insaisissabilité au sein des nullités, la doctrine considérait déjà, et considère toujours, que les créanciers auxquels la déclaration n'est pas opposable peuvent provoquer la saisie de l'immeuble, ceux-ci n'étant pas atteint par l'interdiction des poursuites individuelles et voies d'exécution.
D'ailleurs, l'Institut français des praticiens des procédures collectives, consulté par le ministre du Redressement productif, dans le cadre de la réforme envisagée des procédures collectives, écrivait sur l'insaisissabilité : "En l'état du droit positif, la solution la plus probable est celle qui consiste à permettre aux créanciers auxquels l'insaisissabilité est inopposable, de procéder à la saisie de l'immeuble, mais dans le respect des règles qui gouvernent la procédure collective, c'est-à-dire à la condition que leur droit de poursuite ne soit pas paralysé [...]. Sont, au premier chef, concernés les créanciers hypothécaires auxquels l'insaisissabilité n'est pas opposable, qui peuvent invoquer une disposition de l'article L. 643-2 (N° Lexbase : L3367ICP) en vue d'exercer leur droit de poursuite individuel".
Rappelons que selon ce texte, "les créanciers titulaires d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et le Trésor public pour ses créances privilégiées peuvent, dès lors qu'ils ont déclaré leurs créances même s'ils ne sont pas encore admis, exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire.
Lorsque le tribunal a fixé un délai en application de l'article L. 642-2, ces créanciers peuvent exercer leur droit de poursuite individuelle à l'expiration de ce délai, si aucune offre incluant ce bien n'a été présentée.En cas de vente d'immeubles, les dispositions des premier, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 642-18 (N° Lexbase : L3475ICP) sont applicables. Lorsqu'une procédure de saisie immobilière a été engagée avant le jugement d'ouverture, le créancier titulaire d'une hypothèque est dispensé, lors de la reprise des poursuites individuelles, des actes et formalités effectués avant ce jugement".
Car, comme il l'a été très justement relevé, "l'enjeu pratique n'est pas de savoir si l'immeuble pourra ou non rester la propriété de l'entrepreneur individuel, il est de connaître celui qui fera vendre cet immeuble dans la mesure où, si ce n'est pas le liquidateur, ce sera, inéluctablement, l'un des créanciers à qui le droit commun reconnaît un droit de poursuite individuelle" (12).
Il en résulte que les créanciers auxquels la déclaration d'insaisissabilité est inopposable ont le droit de poursuivre la réalisation forcée par voie de saisie immobilière, conformément au Code des procédures civiles d'exécution, des biens de leur débiteur qui leur sont affectés en garantie (13).
Mais, avec la réforme de 2014, le liquidateur pourra aussi faire vendre l'immeuble. Exit donc la question de sa qualité à agir, sauf si la déclaration d'insaisissabilité n'est pas annulée. A l'inverse, si l'immeuble reste protégé, la question de la qualité du liquidateur demeure entière, la réforme de 2014 étant muette sur ce point. D'où la proposition notamment "d'entendre différemment la notion d'intérêt des créanciers [...] la réalisation de l'immeuble bénéficierait à tous les créanciers : à ceux qui récupéreront le produit de la cession et à ceux à qui la déclaration était opposable dans la mesure où ils ne sont alors plus en concours avec les premiers" (14).
Quant au problème de la distribution du prix, à qui profiterait le produit de la réalisation ? Aux seuls "créanciers auxquels la déclaration est inopposable", nous disent les juges aixois (15). Et précisera-t-on, à la lumière de l'ordonnance du 12 mars 2014, que les créanciers auxquels la déclaration est inopposable peuvent désormais être tant des créanciers antérieurs à ladite déclaration que des créanciers au nom desquels un liquidateur aura agi en nullité d'une déclaration d'insaisissabilité passée en période suspecte, créanciers auxquels on adjoindra, à la lumière cette fois-ci de l'arrêt du 11 juin 2014 puisqu'il faut à présent en tenir compte aussi, les créanciers non plus saisissant mais "simplement" hypothécaires qui pourront, par exemple, être bénéficiaires du reliquat si le produit de la vente permet le désintéressement des créanciers antérieurs.
(1) Dalloz Actualité, 26 juin 2014, obs. X. Delpech ; JCP éd. E, 2014, à paraître, note Ch. Lebel, et les références citées.
(2) CA Agen, 20 novovembre 2012, n° 11/01314 (N° Lexbase : A6043IX4), cf. Validité de l'inscription d'hypothèque judiciaire conservatoire portant sur l'immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité, Lexbase Hebdo n° 319 du 6 décembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N4782BTB).
(3) Sur les indisponibilités, cf. RLDA, octobre 2013, n° 86 ; et spéc. Ph. Delebecque, La constitution d'une sûreté sur un bien frappé d'une indisponibilité conventionnelle, citant Cass. civ. 1, 23 février 2012, n° 09-13.113, F-P+B+I (N° Lexbase : A1456IDB), Bull. civ. I, n° 39 : "les biens frappés d'inaliénabilité ne sont pas susceptibles d'hypothèque conventionnelle, comme ne se trouvant pas dans le commerce au sens de l'article 2397 du Code civil".
(4) CA Bordeaux, 2ème ch., 23 octobre 2007, n° 06/005181 (N° Lexbase : A1246D7B).
(5) CA Nancy, 2ème ch. com., 23 mars 2011, n° 09/02695 (N° Lexbase : A1543HM4), JCP éd. E, 2011, 1368, note Ch. Lebel ; Rev. proc. coll., 2012, n° 113, obs. C. Lisanti ; Rev. proc. coll., 2013, n° 14, obs. G. Blanc.
(6) Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6407HUT), Bull. civ. IV, n° 109 ; Ann. Loyers, 2011, p. 1624, obs. A. Cerati-Gautier ; D., 2011, Actu. p. 1751, obs. A. Lienhard ; D. 2012, Pan. 2201, obs. P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés, 2011, p. 526, obs. Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2011, 1551, note F. Pérochon ; JCP éd. E, 2011, 1596, §4, obs. Ph. Pétel ; LEDEN, juillet 2011, p. 1, obs. F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2011/13, comm. n° 203, obs. L. Fin-Langer ; LPA, 28 septembre 2011, note G. Teboul ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2011, 242, note L. Camensuli-Feuillard ; RD banc. fin., 2011, n° 171, obs. S. Piedelièvre ; Gaz. Pal., 7-8 octobre 2011, p. 11, note L. Antonini-Cochin ; RJCom., 2011, 510, note J.-P. Sortais ; LPA, 23 novembre 2011, note F. Reille ; Rev. proc. coll., 2012, n° 111, obs. C. Lisanti ; P.-M Le Corre in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 259 du 14 juillet 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6983BSG). Cf. également, Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15438, FS-P+B (N° Lexbase : A8907IEM), JCP éd. N, 2012, 1281, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 2012, 1325, note P.-M. Le Corre ; D., 2012, p. 807, obs. A. Lienhard ; RLDA, 2012, n° 72, note J.-L. Vallens ; D., 2012, n° 22, note F. Marmoz ; Bull. Joly Sociétés, 2012, n° 6, note M.-H. Monsèrié-Bon ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2012 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1549BTK).
(7) Cass. com., 23 avril 2013, n° 12.16.035, F-P+B (N° Lexbase : A6890KC8), JCP éd. N, 2013, 1228, note Ch. Lebel ; D., 2013, Actu. p. 1127, obs. A. Lienhard ; D., 2013, Pan. 2363, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés, 2013, p. 377, obs. Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2013, 1380, note Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2013, n° 126, obs. Fin-Langer ; LEDEN, juin 2013, p. 1, obs. F.-X. Lucas ; LPA, 11 juin 2013, note V. Legrand ; Gaz. Pal., 12-13 juillet 2013, p. 19, obs. J. Théron ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2013, p. 217, note L. Camensuli-Feuillard ; RD banc. fin., 2013, n° 135, obs. S. Piedelièvre ; Rev. proc. coll., 2013, n° 113, obs. F. Reille ; Defrénois, 2013, p. 784, note F. Vauvillé; Bull. Joly Sociétés, 2013, 511, note E. Mouial-Bassilana ; P.-M. Le Corre in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2013, Lexbase Hebdo n° 339 du 23 mai 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N7106BTD).
(8) Cass. com., 18 juin 2013, n° 11-23.716, F-D (N° Lexbase : A2064KHW), D., 2013. Actu. p. 1618, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2013, 1452, note Ch. Lebel ; Bull. Joly Sociétés, 2013, 667, note E. Mouial-Bassilana ; RD banc. fin., 2013, n° 159, obs. S. Piedelièvre. Cf. également, Cass. civ. 2, 6 juin 2013, n° 12-18.481, F-P+B (N° Lexbase : A3159KG4) ; JCP éd. E, 2013, 1452 ; D., 2013, p. 112 obs. A. Lienhard ; Rev. Sociétés, 2013, p. 377, obs. Ph. Roussel-Galle ; LPA, 11 juin 2013, p. 377, note V. Legrand.
(9) En ce sens V., A. Cerati-Gauthier, Le sort de la déclaration d'insaisissabilité depuis l'ordonnance du 12 mars 2014, Ann. des Loyers, juillet 2014.
(10) A. Cerati-Gauthier, art. précit..
(11) A. Cerati-Gauthier, art. précit..
(12) M. Sénéchal, in note F. Pérochon, JCP éd. E, 2011, 1551.
(13) TGI Nîmes, JEX en matière de saisie immobilière, 12 septembre 2013, n° 12/00194 ; CA Nîmes, 1er ch., sect. A, 6 février 2014, n° 13/04598 (N° Lexbase : A7566MDL).
(14) A. Cerati-Gauthier, art. précit..
(15) CA Aix-en-Provence 3 décembre 2009, n° 08/22422 (N° Lexbase : A2823EY9), LEDEN, janvier 2010, p. 3, obs. F.-X. Lucas.
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Réf. : Décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives (N° Lexbase : L5913I3E)
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Le 03 Juillet 2014
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Réf. : CEDH, 26 juin 2014, 2 arrêts, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7) et Req. 65941/11 (N° Lexbase : A8552MR8)
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N2924BUT
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
Le 03 Juillet 2014
La Cour européenne procède dans ces arrêts à une analyse détaillée et subtile de la situation provoquée par le recours, à l'étranger, à une convention prohibée sur le territoire national, en tentant de rechercher un équilibre entre le respect du refus de la France d'admettre les conventions des gestation pour autrui et l'intérêt des enfants en cause. La solution est finalement assez mesurée en ce qu'elle ne permet pas la consécration d'un droit à l'enfant mais protège le droit de l'enfant à son identité.
Se plaçant sur le terrain de ce qu'elle nomme les "obligations négatives", la Cour procède, tant à propos du droit au respect de la vie familiale qu'à propos du respect de la vie privée, à un contrôle de proportionnalité. Au regard des articles 16-7 (N° Lexbase : L1695ABE) et 16-9 (N° Lexbase : L1697ABH) du Code civil qui prévoient expressément la nullité d'ordre public des conventions de gestation pour autrui et des arrêts dans lesquels la Cour de cassation avait affirmé que ces conventions contrevenaient aux principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, la cour considère que l'ingérence était prévue par la loi. Le juge européen admet, en outre, que le refus de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l'étranger d'une gestation pour autrui et les parents d'intention est motivé par la volonté de l'Etat français de décourager ses ressortissants de recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire. La Cour européenne ne remet pas en cause le recours à l'exception d'ordre public international mis en oeuvre par la Cour de cassation, mais elle affirme qu'il est nécessaire de vérifier "si en appliquant ce mécanisme en l'espèce, le juge interne a dûment pris en compte la nécessité de ménager un juste équilibre entre l'intérêt de la collectivité à faire en sorte que ses membres se plient au choix effectué démocratiquement en son sein et l'intérêt des requérants -dont l'intérêt supérieur des enfants- à jouir pleinement de leurs droits au respect de leur vie privée et familiale". On peut penser que la Cour européenne adopterait le même raisonnement à propos des arrêts de 2013 et 2014 (2) qui se fondaient non plus sur l'ordre public mais sur la fraude.
La Cour observe qu'il n'y a de consensus en Europe ni sur la légalité de la gestation pour autrui, ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d'intention et les enfants ainsi légalement conçus à l'étranger et que "cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d'ordre éthique". Si le juge européen admet que les Etats doivent, en principe, se voir accorder une large marge d'appréciation lorsqu'il s'agit d'autoriser ou non la gestation pour autrui mais également de reconnaître ou non la filiation des enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l'étranger, il considère que cette marge d'appréciation doit être réduite dès lors qu'est en jeu la filiation, aspect essentiel de l'identité des individus. Ainsi, la Cour considère qu'il lui incombe de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l'Etat et ceux des individus directement touchés par cette solution eu égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d'un enfant est en cause, l'intérêt supérieur de celui-ci doit primer.
La Cour procède à ce contrôle, d'abord, sur le fondement du droit à la vie familiale de tous les requérants (I), puis sur celui du droit à la vie privée des seuls enfants (II).
I - L'absence de violation du droit au respect de la vie familiale
Existence d'une vie familiale. La Cour se référant aux arrêts du 22 avril 1997 et du 28 juin 2007 (3), constate au préalable qu'il existe bien une vie familiale entre les enfants nés de la convention de gestation pour autrui et leurs parents qui les élèvent depuis leur naissance, -les enfants étant âgés de 13 et 14 ans- précisant que "ce qui importe dans ce type de situations, c'est la réalité concrète de la relation entre les intéressés. Or il est certain en l'espèce que les premiers requérants s'occupent comme des parents des troisième et quatrième requérantes depuis leur naissance, et que tous les quatre vivent ensemble d'une manière qui ne se distingue en rien de la vie familiale dans son acception habituelle'".
Atteinte au droit au respect de la vie familiale. Selon la Cour, le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation affecte nécessairement la vie familiale des requérants. Plus précisément, elle vise l'impossibilité à laquelle se sont heurtés les enfants d'obtenir la nationalité française -la circulaire "Taubira" du 25 janvier 2013 (4) n'a pas été mise en oeuvre dans ces affaires- et les inquiétudes quant au maintien de la vie familiale entre la mère d'intention et les enfants en cas de décès du père d'intention ou de séparation du couple.
Absence de violation du droit au respect de la vie familiale. Toutefois, la Cour constate que les requérants sont en mesure de vivre ensemble en France "dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et qu'il n'y a pas lieu de penser qu'il y a un risque que les autorités décident de les séparer en raison de leur situation au regard du droit français". Elle en déduit que "la situation à laquelle conduit la conclusion de la Cour de cassation ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l'Etat, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale". Ce faisant, la Cour européenne des droits de l'Homme refuse d'imposer à l'Etat la reconnaissance de la vie familiale qui existe en fait, comme elle l'a déjà fait dans l'arrêt "Harroudj c/ France" du 4 octobre 2012 (5) ou l'arrêt "Gas et Dubois c/ France" du 15 mars 2012 (6).
II - La violation du droit au respect de la vie privée
La filiation élément de la vie privée. La Cour européenne précise que le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d'être humain dont la filiation est un aspect essentiel, et affirme qu'il y a une "relation directe entre la vie privée des enfants nés d'une gestation pour autrui et la détermination juridique de leur filiation".
Atteinte au droit à la vie privée. Dans un premier temps, la Cour européenne caractérise de manière générale une atteinte au respect de la vie privée des enfants sans distinguer entre la filiation maternelle et la filiation paternelle. Elle constate, en effet, que les enfants se trouvent dans une situation d'incertitude juridique quant à leur filiation du fait du refus des autorités françaises d'accorder tout effet au jugement américain, puisque les autorités françaises, sans ignorer qu'ils ont été identifiés ailleurs comme étant les enfants de leurs parents d'intention, leur nient néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française. Selon elle, les effets du défaut de reconnaissance du lien de filiation en France a des conséquences non seulement sur les parents "qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises", mais également pour les enfants. Doit donc être posée la question de la compatibilité de cette situation avec l'intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant.
Nationalité et successions. Plus particulièrement, la Cour constate que les enfants sont confrontés à une "troublante incertitude" quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité. En outre, le défaut de reconnaissance de leur filiation entraîne une absence de droits légaux dans la succession à venir de leurs parents qui ne saurait être compensée par leur désignation en qualité de légataire universel, qui les placerait dans une situation de tiers nettement défavorable.
Filiation paternelle. La Cour, dans un second temps, concentre plus particulièrement son analyse sur la filiation paternelle. Elle met en effet en avant l'importance de la filiation biologique en tant qu'élément de l'identité de chacun et affirme qu'"on ne saurait prétendre qu'il est conforme à l'intérêt d'un enfant de le priver d'un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l'enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance". Le refus de la Cour de cassation de permettre la reconnaissance de la filiation paternelle des enfants, que ce soit par la voie de la transcription de l'acte de naissance étranger, d'une reconnaissance paternelle ou encore de l'adoption ou de la possession d'Etat, est analysé par la Cour comme une grave restriction du droit à l'identité qui va au-delà de ce que permettait la marge d'appréciation de l'Etat, "étant donné aussi le poids qu'il y a lieu d'accorder à l'intérêt de l'enfant lorsqu'on procède à la balance des intérêts en présence". Ainsi, la Cour conclut à une violation du droit au respect de la vie privée des enfants.
Filiation maternelle. Toutefois, en limitant une partie de son raisonnement à la filiation paternelle, la Cour semble en réalité limiter sa condamnation à la non-reconnaissance de cette dernière. Il en résulterait alors que la non-reconnaissance de la filiation maternelle n'est pas condamnée par le juge européen. Une telle solution s'inscrirait dans la jurisprudence constante de la Cour tendant à refuser d'imposer aux Etats la reconnaissance ou l'établissement d'une filiation qui ne correspond pas à un lien biologique (7), en dehors du cadre de l'adoption. Cette lecture des arrêts "Mennesson" et "Labassee" est confirmée par le communiqué du greffe qui annonce une condamnation du défaut de reconnaissance de la filiation paternelle alors qu'elle correspond à la vérité biologique.
Effet limité de la condamnation. Finalement, la condamnation de la France dans ces deux affaires devrait avoir pour seul effet d'imposer à l'Etat la reconnaissance de la filiation paternelle des enfants concernés. Pour répondre aux exigences de la Cour européenne, les autorités françaises n'ont pas besoin de modifier la législation puisque celle-ci ne s'oppose pas à la reconnaissance de la filiation paternelle fondée sur la vérité biologique. Il suffirait que la Cour de cassation modifie sa jurisprudence soit pour admettre la transcription de l'acte de naissance étranger pour ce qui concerne la filiation paternelle, soit pour ne pas annuler la reconnaissance que celui-ci pourrait effectuer en France.
Il faut cependant espérer que la Cour de cassation n'aura pas à statuer une nouvelle fois dans ce type d'affaires et que les procureurs tireront dès aujourd'hui les conséquences des arrêts de la Cour européenne en ne contestant plus les filiations paternelles établies à l'égard des enfants nés de convention de gestation pour autrui à l'étranger, faisant ainsi effectivement primer l'intérêt supérieur de l'enfant, apprécié de manière concrète, comme l'impose l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL). Une circulaire du ministère de la Justice en ce sens serait la bienvenue...
Décision
CEDH, 26 juin 2014, 2 arrêts, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7) et Req. 65941/11 (N° Lexbase : A8552MR8). Lien base : (N° Lexbase : E4415EY8). |
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 juin 2014, n° 360708, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7727MRM)
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N2908BUA
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Le 03 Juillet 2014
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Réf. : Lire le communiqué de presse du ministère de l'Economie du 27 juin 2014
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Le 03 Juillet 2014
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Réf. : Cass. com., 6 mai 2014, n° 12-21.835, FS-P+B (N° Lexbase : A5482MLM)
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N2920BUP
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par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Bourgogne
Le 03 Juillet 2014
2. Ce principe a pour effet de déconnecter le droit fiscal du droit civil.
Civilement, que l'adoption soit simple ou plénière, une fois celle-ci prononcée, l'adopté a dans la famille de l'adoptant les mêmes droits successoraux qu'un enfant légitime (C. civ., art. 358 N° Lexbase : L2876AB7 et 368, al. 1er N° Lexbase : L2887ABK). Les enfants dont la filiation est légalement établie sont placés sur un pied d'égalité (C. civ., art. 310 N° Lexbase : L8851G9P). Toutefois, l'adopté simple et ses descendants n'ont pas la qualité d'héritiers réservataires à l'égard des ascendants de l'adoptant (C. civ., art. 368, al. 2).
La situation des adoptés simples en matière de droits de mutation à titre gratuit diverge de celle des autres enfants. Cette solution date de 1930 (loi du 16 avril 1930, art. 22). La procédure et les conditions de l'adoption simple sont plus souples que celles de l'adoption plénière. Il faut notamment souligner que l'adoption simple est permise quel que soit l'âge de l'adopté. Cela explique qu'environ deux tiers des adoptions prononcées le soient en la forme simple (en 2007, 13 400 adoptions ont été prononcées, 70 % l'ont été en la forme simple et 30 % en la forme plénière : lire Infostat Justice 106, 22 octobre 2009). La crainte du législateur et de l'administration fiscale est que l'adoption simple soit détournée de sa finalité -c'est-à-dire de l'établissement de rapports de parents à enfants- afin de contourner les règles de calcul des droits de mutation à titre gratuit. Le Conseil constitutionnel a considéré que les modalités de liquidation des droits de donation et de succession prévues par l'article 786 du CGI en cas d'adoption simple n'étaient contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit (Cons. const., 28 janvier 2014, n° 2013-361 QPC N° Lexbase : A0538MDB : Defrénois 2014, n° 4, 115d6, avec nos observations critiques). Les juges de la rue de Montpensier ont estimé qu'il en était de la sorte dans la mesure où le principe de l'absence de prise en compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple est tempéré par des exceptions.
3. Par exception, l'article 786, alinéa 2, du CGI prévoit huit cas de figure dans lesquels les droits de mutation à titre gratuit dus entre l'adopté simple et l'adoptant doivent être liquidés dans les conditions et au tarif applicables en ligne directe (v. plus particulièrement sur ces exceptions : nos obs., Précis de droit fiscal de la famille, 13ème éd., LexisNexis, 2014, n° 2361). Il en va de la sorte lorsque la transmission donne lieu au droit de retour légal prévu en cas d'adoption simple ou en cas de transmissions faites en faveur :
1° d'enfants issus d'un premier mariage du conjoint de l'adoptant ;
2° de pupilles de l'Etat ou de la Nation ainsi que d'orphelins d'un père mort pour la France ;
3° d'adoptés qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus ;
4° d'adoptés dont le ou les adoptants ont perdu, morts pour la France, tous leurs descendants en ligne directe ;
5° d'adoptés dont les liens de parenté avec la famille naturelle ont été déclarés rompus par le tribunal saisi de la requête en adoption, sous le régime antérieur à l'entrée en vigueur de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 ;
6° des successibles en ligne directe descendante des personnes visées ci-dessus (aux 1° à 5°) ;
7° et d'adoptés, anciens déportés politiques ou enfants de déportés n'ayant pas de famille naturelle en ligne directe.
4. L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 mai 2014 porte sur les conditions d'application de l'une de ces exceptions, en l'occurrence sur le cas de figure dans lequel l'adopté a, pendant un certain temps, reçu des secours et des soins de l'adoptant (CGI, art. 786, al. 2, 3°).
Un homme, né en 1954, est adopté en 1990 en la forme simple à l'âge de 36 ans par son grand-oncle.
En 1992 et 2004, l'adoptant a fait donation à l'adopté simple de divers biens par actes notariés. A l'occasion de ces donations, les droits de mutation à titre gratuit ont été calculés dans les conditions et au tarif applicable en ligne directe.
Après le décès de l'adoptant survenu le 30 janvier 2005, l'administration fiscale a adressé à l'adopté simple des proposition de rectification en soutenant que les règles de liquidation des droits de mutation à titre gratuit prévues en ligne directe n'étaient pas applicables à la donation de 2004 et à la déclaration de succession. Selon les services fiscaux, l'adopté simple n'apportait pas la preuve de ce qu'il avait reçu de son père adoptif des soins et des secours non interrompus dans sa minorité et dans sa majorité pendant dix ans au moins.
Le 6 mai 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2012 (CA Grenoble, 9 janvier 2012, n° 09/03804 N° Lexbase : A9201KR9), entre l'adopté simple et l'administration fiscale, au motif que "la notion de secours et de soins ininterrompus n'impose pas une prise en charge exclusive, mais seulement continue et principale, de l'adopté simple par l'adoptant".
5. Cet attendu appelle trois séries de remarques. Pour les comprendre, il faut avoir à l'esprit que l'article 786, al. 2, 3°, du CGI dispose : "Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il n'est pas tenu compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple. Cette disposition n'est pas applicable aux transmissions [...] faites en faveur : 3° D'adoptés qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus".
6. Tout d'abord, il résulte de l'article 786 (al. 2, 3°) du CGI que la fourniture des secours et des soins doit être non interrompue. Les mots ont un sens. Comme le relève à juste titre la Chambre commerciale de la Cour de cassation, cela implique que les secours et les soins doivent avoir été prodigués de façon continue ou, autrement dit, ininterrompue.
7. Ensuite, l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, censuré par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, ajoutait que l'adoptant devait avoir pris en charge l'adopté simple de façon exclusive.
Cette solution est conforme à la position de l'administration fiscale. Selon la doctrine administrative, "l'adoptant doit en principe avoir assuré la totalité des frais d'éducation et d'entretien de l'adopté pendant le délai prévu ; il ne suffit pas qu'il y ait simplement participé" (voir le BoFip - Impôts, BOI-ENR-DMTG-10-50-80-20120912 § 80 N° Lexbase : X5986ALB).
Toutefois, il ne faut pas oublier que l'article 786, alinéa 2, du CGI édicte des exceptions au principe posé par l'alinéa 1er de cette disposition. En matière fiscale, les exceptions sont d'interprétation stricte. L'article 786 (al. 2, 3°) du CGI ne prévoit une prise en charge exclusive de l'adopté simple par l'adoptant. La cour d'appel de Grenoble a donc ajouté une condition à cette disposition, ajout qui devait conduire à l'annulation de son arrêt.
8. Enfin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient que l'adopté simple doit avoir été pris en charge à titre principal par l'adoptant. Cette condition n'apparaît pas à la lecture de l'article 786 (al. 2, 3°) du CGI. Le critère fixé par cet article est quantitatif et non qualitatif. Comme précédemment (v. supra, n° 7), cela revient donc à y ajouter une condition non prévue par cette disposition.
La nécessité d'une prise en charge à titre principal de l'adopté simple par l'adoptant se comprend civilement. En vertu de l'article 365 du Code civil (N° Lexbase : L3826IR7), l'adoptant est le seul à être investi à l'égard de l'adopté simple de tous les droits d'autorité parentale. L'obligation parentale d'entretien découle des articles 203 (N° Lexbase : L2268ABM) et 371-2 (N° Lexbase : L2895ABT) du Code civil. L'obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants est une obligation alimentaire renforcée, c'est-à-dire une obligation qui recouvre le noyau de base des besoins vitaux (nourriture, vêtements, logement, soins médicaux et médicaments), mais aussi des dépenses relatives à l'éducation, au train de vie et aux loisirs. Cette obligation a une finalité éducative. Elle perdure donc au-delà de la majorité de l'enfant, tant que celui-ci poursuit des études (sauf si les études se poursuivent de façon déraisonnable). Civilement, c'est donc l'adoptant qui doit contribuer à titre principal à l'entretien et à l'éducation de l'adopté simple.
Après l'extinction de l'obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'adopté simple, l'obligation alimentaire peut naître si l'adopté simple se trouve dans le besoin. Il s'agit d'une obligation alimentaire simplifiée qui n'englobe que les besoins vitaux de son créancier. L'adoptant doit des aliments à l'adopté simple (C. civ., art. 367 N° Lexbase : L8334HWL). Les père et mère de celui-ci ne sont tenus de lui fournir des aliments qu'à titre subsidiaire, lorsqu'il ne peut les obtenir de l'adoptant (C. civ., art. 367).
Transposer fiscalement l'exigence civile d'une prise en charge à titre principal de l'adopté simple par l'adoptant soulève deux séries de difficultés.
La première est relative à la preuve de cette exigence. Lorsqu'un contribuable demande à bénéficier d'un avantage fiscal, il incombe à ce contribuable d'apporter la preuve qu'il respecte les conditions d'application de cet avantage. L'adopté simple doit donc être en mesure de prouver que l'adoptant lui a fourni à titre principal des secours et des soins soit dans sa minorité et pendant cinq ans au moins, soit dans sa minorité et sa majorité et pendant dix ans au moins. En pratique, l'adopté simple risque d'être confronté à d'insurmontables difficultés de preuve. Il semble illusoire d'imaginer que l'adopté simple conserve tous les justificatifs de nature à prouver qu'il a été pris en charge à titre principal par son adoptant et non par ses père et mère, surtout si l'adoptant a commencé à s'occuper de lui alors qu'il était mineur. Cela revient à imposer d'invraisemblables comptes d'apothicaire à l'adopté simple.
La seconde série de difficultés provient du fait que, bien souvent en pratique, la fourniture des secours et des soins débute avant le prononcé de l'adoption simple. Tel était le cas en l'espèce. L'adoption simple a été prononcée en 1990 alors que l'adopté -qui était alors âgé de 36 ans- avait vécu chez son grand-oncle de 1963 à 1974. Durant cette période, ce dernier n'était pas tenu de fournir des secours et des soins au futur adopté simple, et ce d'autant plus qu'il n'existe pas d'obligation alimentaire en ligne collatérale. Lorsque la fourniture de secours et de soins débute avant le prononcé de l'adoption simple, exiger que le futur adoptant ait pris en charge de façon principale le futur adopté conduit donc à exiger le respect d'une condition non imposée civilement.
9. Par ailleurs, l'adopté simple faisait valoir que les droits de mutation à titre gratuit afférents à la donation que son grand-oncle lui avait consentie en 1992 avaient été calculés, conformément à l'article 786, al. 2, 3° du CGI, dans les conditions et au tarif applicables en ligne directe. Ces modalités de liquidation n'ayant pas été remises en cause par l'administration fiscale, l'adopté simple prétendait qu'il s'agissait d'une prise de position formelle de cette dernière par rapport à sa situation en matière de droits de mutation à titre gratuit, prise de position opposable aux services fiscaux sur le fondement de l'article L. 80 B du LPF (N° Lexbase : L3693I38).
L'administration fiscale ne peut procéder à des rehaussements d'impositions antérieures lorsqu'elle a formellement pris position sur la situation de fait d'un contribuable au regard d'un texte fiscal (LPF, art. L. 80 A N° Lexbase : L4634ICM et L. 80 B, 1°).
Comme la Chambre commerciale de la Cour de cassation le rappelle à juste titre dans son arrêt du 6 mai 2014, ici commenté, le silence de l'administration fiscale ne peut être tenu pour une prise de position formelle au sens du LPF (il faut également souligner que la garantie prévue par l'article L. 80-B, 1° du LPF ne pouvait pas jouer, à défaut de rehaussement d'impositions antérieures).
Décision Cass. com., 6 mai 2014, n° 12-21.835, FS-P+B (N° Lexbase : A5482MLM)
Censure Lien base N° Lexbase : E0548AS4 |
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Réf. : CEDH, 1er juillet 2014, Req. 43835/11 (N° Lexbase : A2696MSN)
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Le 03 Juillet 2014
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Réf. : Ass. plén., 25 juin 2014, 13-28.369, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7715MR8)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 03 Juillet 2014
- l'Assemblée plénière n'est pas revenue sur le principe dégagé par la Chambre sociale (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, préc.), selon lequel le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L1277A98) n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail ;
- l'Assemblée plénière ne s'est pas non plus prononcée sur le caractère discriminatoire du comportement de l'employeur et la possibilité, ouverte par le Code du travail (art. L 1133-1 N° Lexbase : L0682H97) d'autoriser les différences de traitement lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.
- enfin, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a mis un terme aux débats divergents et animés sur la pertinence, le sens et la portée du label "entreprise de conviction", débat impulsé par la cour d'appel de Paris.
Résumé
Il résulte de la combinaison des articles L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) et L. 1321-3 (N° Lexbase : L8833ITC) du Code du travail que les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. La cour d'appel a pu en déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d'une association de dimension réduite, employant seulement dix huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché. Sont erronés, mais surabondants, les motifs de l'arrêt qualifiant l'association Baby Loup d'entreprise de conviction, dès lors que cette association avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes (...) sans distinction d'opinion politique et confessionnelle. |
I - Souplesse : appréciation in concreto du règlement intérieur comportant des restrictions à la liberté de religion
Le conseil de prud'hommes (CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, R G n° F 10/00587, préc.) avait attribué un label de conformité au règlement intérieur de l'association au regard des textes (C. trav., art. L. 1311-1 N° Lexbase : L1833H9R), comme la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° S 13/02981, prec.) ; contrairement à la Chambre sociale (Cass. soc., 19 mars 2013 n° 11-28.845, préc. : la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répond pas aux exigences de l'article L. 1321-3 du Code du travail relatives au règlement intérieur).
A - La solution : possibilité de restrictions à la liberté de religion, sous contrôle des juges du fond
- Cour d'appel de Paris, 27 novembre 2013
La formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur, en particulier celle qui résulte de la modification de 2003, est suffisamment précise pour qu'elle soit entendue comme étant d'application limitée aux activités d'éveil et d'accompagnement des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des locaux professionnels ; elle n'a donc pas la portée d'une interdiction générale puisqu'elle exclut les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche.
- Assemblée plénière, 25 juin 2014
La Cour de cassation, dans un premier temps, avait estimé que la clause de laïcité et de neutralité contenue dans le règlement intérieur d'une crèche (Baby Loup), applicable à tous les emplois de la crèche, était inopposable, parce que générale et imprécise (Cass. soc., 19 mars 2013 n° 11-28.845, préc.).
L'Assemblée plénière prend position, mais pour une solution exactement inverse. La solution doit être replacée dans son contexte normatif. La ligne directrice est fixée par le législateur (C. trav., art. L. 1121-1) (7), s'agissant du régime des libertés individuelles et art. L. 1321-3 (8), s'agissant du régime du règlement intérieur) : les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. C'est dire que le législateur a laissé le soin aux juges, d'apprécier in concreto la restriction, eu égard à l'emploi occupé par le salarié (lien entre restriction à la liberté de religion et nature de la tâche à accomplir) et eu égard à la finalité recherché par l'employeur (la restriction à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doit être proportionnée au but recherché).
L'Assemblée plénière a donc apprécié, in concreto, le règlement intérieur de l'employeur :
- l'Assemblée plénière en a retranscrit un extrait ("le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche") ;
- l'Assemblée plénière mentionne expressément, dans sa décision, que la cour d'appel de Paris a apprécié de manière concrète les conditions de fonctionnement d'une association de dimension réduite, employant seulement dix huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents ;
- l'Assemblée plénière a confirmé l'analyse de la cour d'appel de Paris, qui, des éléments de fait (ci-dessus) a conclu que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché.
B - Sa portée
Le règlement intérieur d'une crèche peut comporter la mention "le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche". L'Assemblée plénière n'a pas censuré l'employeur pour la rédaction, en ces termes, du règlement intérieur. Pourtant, la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, préc.) avait déduit, à partir de ce même extrait du règlement intérieur, la conclusion exactement inverse. En effet, la Cour avait relevé que le règlement intérieur de l'association Baby-Loup prévoit que "le principe de la liberté de conscience (etc.)", et en avait déduit que la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondait pas aux exigences de l'article L. 1321-3 du Code du travail (régime du règlement intérieur).
De manière générale, l'ensemble des crèches devraient donc pouvoir rédiger leur règlement intérieur dans les mêmes termes, puisque celui de Baby-Loup a été validé par l'Assemblée plénière. Mais la portée de cette décision prête à discussion : faut-il admettre que l'ensemble des entreprises pourront encadrer la liberté de religion, dans le cadre (et par) le règlement intérieur ? Les premières réactions doctrinales sont prudentes (9). L'Assemblée plénière prend la peine de préciser que les juges du fond ont apprécié la rédaction du règlement intérieur, en prenant en compte l'activité de la salarié, l'objet de l'entreprise (une crèche, gérée de manière associative), ses effectifs (18 salariés), ses conditions de fonctionnement.
II - Fermeté : à propos de la discrimination, du principe de laïcité et enfin, de la qualité d'entreprise de conviction
L'Assemblée plénière fait preuve d'une grande souplesse (en d'autres termes, d'un certain sens du pragmatisme), lorsqu'il s'agit "d'apprécier la validité d'un règlement intérieur". Mais cette position change, pour devenir fermeté, dès lors qu'il s'agit d'apprécier quelques principes ou qualifications juridiques : discrimination, laïcité et enfin, entreprise de conviction.
A - Une position de principe, au regard de la qualification de discrimination
1 - Deux qualifications possibles : atteinte à une liberté fondamentale ou discrimination
Le procureur général (avis, préc.) a très utilement rappelé la distinction entre :
- les atteintes aux libertés individuelles (art. L. 1121-1, "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché") ;
- et les discriminations (C. trav., art. L. 1132-1), sanctionnées par la nullité (C. trav., art. L. 1132-4) (10). La salariée avait invoqué la nullité de son licenciement, fondée sur la discrimination.
La Cour de cassation avait retenu (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, préc.) que le licenciement de Fatima A. a été prononcé pour un motif discriminatoire (sanction encourue, la nullité). Cette nullité découlait du fait que la clause du règlement intérieur instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondait pas aux exigences de l'article L 1321-3 du Code du travail. Dans la mesure où la clause du règlement intérieur portait atteinte à une liberté individuelle qui n'était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché (C. trav., art. L 1321-3), la Chambre sociale a déduit une discrimination fondée sur les convictions religieuses (C. trav., art. L 1321-3).
La cour d'appel de Paris (arrêt préc.) avait répondu à cette difficulté : les restrictions prévues par le règlement intérieur sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (au sens des articles L.1121-1 et L.1321-3 du Code du travail) ; elles ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse, et ne présentent pas un caractère discriminatoire (au sens de l'article L.1132-1 du Code du travail).
2 - Exit la qualification de discrimination
La Cour de cassation, dans sa décision rendue en 2013, visait les articles L. 1121-1 (droits des personnes et libertés individuelles), L. 1132-1 (discrimination), L. 1133-1 (différences de traitement autorisées) et L. 1321-3 du Code du travail (régime du règlement intérieur), enfin, l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4799AQS) (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, prec.). L'Assemblée plénière ne vise que les articles L. 1121-1 (droits des personnes et libertés individuelles) et L. 1321-3 du Code du travail (régime du règlement intérieur), mais ni les articles L. 1132-1 (discrimination) et L. 1133-1 du Code du travail (différences de traitement autorisées), ni l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Il faut donc en conclure que l'Assemblée plénière rejette la qualification de discrimination.
En ce sens, le Procureur général (11) s'était montré critique à l'égard de la Chambre sociale, qui aurait, selon lui, confondu atteinte aux libertés individuelles et discrimination fondée sur un motif prohibé. Pour le procureur général, Fatima a été licenciée parce qu'elle manifestait sa religion dans l'entreprise en violation des consignes de l'employeur (atteinte aux libertés individuelles), mais pas en raison même de sa confession musulmane (discrimination). "En effet, il n'est pas soutenu ou prouvé, que d'autres salariés de confession musulmane ont été sanctionnés du fait de leur appartenance à cette religion, ni que l'interdiction de manifester sa religion ne visait, en réalité, que les salariés de cette confession, ni enfin que ces mêmes salariés auraient été traités différemment des autres dans leur emploi ou leur travail à capacité professionnelle égale du fait de leur confession".
Bref, "ce n'est pas la foi musulmane qui a motivé le licenciement de Mme Y... mais la seule manifestation de cette foi". Conclusion "Mme Y... n'a donc pas été discriminée en raison de sa foi mais elle a subi une atteinte à sa liberté de manifester cette foi". La doctrine, en son temps, avait au contraire montré que la question de Baby-Loup, finalement, n'est pas celle de la place de la religion dans l'entreprise et sa gestion par l'employeur (not. dans le cadre d'un règlement intérieur), mais, plus spécifiquement, la place de l'islam dans l'entreprise, la capacité de l'employeur à la gérer et l'appréciation qu'en font les juges (12).
L'Assemblée plénière a donc suivi l'analyse du procureur général rejetant la qualification de discrimination.
B - Une position de principe, au regard de la qualification d'entreprise de conviction
La référence à cette qualification d'entreprise de conviction (ou entreprise de tendance) (13) est apparue assez tardivement dans la procédure contentieuse, devant la cour d'appel de Paris seulement (CA Paris, 27 novembre 2013, préc.). La cour d'appel lui avait donné un accueil favorable, suscitant une certaine perplexité de la doctrine. L'Assemblée plénière n'a pas été convaincue, suivant ici, là encore, les réflexions du Procureur général (14).
1- La solution
- CA Paris, 27 novembre 2013
La cour d'appel de Paris (CA Paris Pole 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° S 13/02981, préc.) avait reconnu qu'au regard tant de la nécessité (imposée par l'article 14 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 N° Lexbase : L6807BHL) de protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant, que de celle de respecter la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel, les missions de l'association peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse d'imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s'adresse. En ce sens, l'association Baby-Loup peut être qualifiée d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralité de ses employés.
Mais cette qualification d'"entreprise de conviction" retenue par la cour d'appel, dont la signification est précisée (l'employeur est alors en mesure d'exiger la neutralité de ses employés), revêt une portée très concrète et spécifique, dans la mesure où elle valide le règlement intérieur. La cour d'appel déduit de la consécration de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur, sa caractérisation. La formulation est suffisamment précise pour qu'elle soit entendue comme étant d'application limitée aux activités d'éveil et d'accompagnement des enfants à l'intérieur et à l'extérieur des locaux professionnels ; elle n'a donc pas la portée d'une interdiction générale puisqu'elle exclut les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche. Au final, pour la cour d'appel, les restrictions ainsi prévues sont, dès lors, justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché au sens des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du travail.
- Assemblée plénière, 25 juin 2014
L'Assemblée plénière a rejeté le pourvoi formé par la salariée (s'agissant du règlement intérieur) mais a admis le bien fondé de l'argumentation développée par la salariée, critiquant cette qualification d'entreprise de conviction. L'Assemblée plénière a en effet considéré comme erronés (mais surabondants) les motifs de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, qualifiant l'association Baby-Loup d'entreprise de conviction. En effet, cette association avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, "de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes (...) sans distinction d'opinion politique et confessionnelle".
L'effort de la cour d'appel pour valider le règlement intérieur et autoriser une restriction à une liberté fondamentale (liberté religion) n'était pas utile (15), en ce sens que la qualification d'entreprise de conviction n'a pas été retenue par l'Assemblée plénière. Pourtant, l'Assemblée plénière a validé le règlement intérieur, a écarté le comportement discriminatoire de l'employeur, a admis que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché. En d'autres termes, l'Assemblée plénière est parvenue au même résultat (validation du règlement intérieur) mais sans s'embarrasser de la qualification d'"entreprise de conviction". L'Assemblée plénière clos le débat sur la qualification d'"entreprise de conviction", ce dont il faut lui être reconnaissant, tant il avait été posé en des termes difficiles et complexes, par la cour d'appel de Paris.
2 - Et demain ?
L'Assemblée plénière a statué, s'agissant de la crèche, gérée par l'association Baby-Loup ; mais la solution vaut-elle pour toutes les entreprises, en général ? La solution préconisée par la cour d'appel de Paris, relativement à la qualité d'entreprise de conviction, n'avait pas suscité un grand mouvement d'enthousiasme, ni chez les auteurs, ni dans les institutions et autres organismes publics de recherche et de réflexion. Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme avait critiqué ce recours au label "entreprise de conviction", en des termes particulièrement nets et tranchés, ainsi d'ailleurs que l'Observatoire de la laïcité (Rapport annuel, 2014) (16).
C - Une position de principe, au regard de l'application du principe de laïcité
L'Assemblée plénière n'est pas revenue sur le principe dégagé par la Chambre sociale (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, préc.), selon lequel le principe de laïcité (article 1er de la Constitution) n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail.
Les entreprises doivent donc garder à l'esprit ce cadre de pensée, qui ne doit pas devenir un cadre d'action. La mise en place d'une "charte de laïcité" n'est pas, dans ce contexte, très pertinente, juridiquement (17).
(1) CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, R G n° F 10/00587 (N° Lexbase : A1067GNT) : références biblio. dans, L'athéisme (neutralité), un nouveau critère d'identification de l'entreprise de tendance ?, Lexbase Hebdo, n° 550 du 5 décembre 2013 - (édition sociale N° Lexbase : N9694BT9), présentation très complète dans l'Observatoire de la laïcité, rapport annuel, 2014, Avis de l'observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d'accueil des enfants, p. 13.
(2) CA Versailles, 27 octobre 2011, n° 10/05642 (N° Lexbase : A0942H4N).
(3) Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5857KA8) ; G. Henon et N. Sabotier, Revue juridique de l'économie publique n° 717, mars 2014, Chronique annuelle 2013 de droit du travail ; B. Bossu, Affaire Baby-Loup : le retour à la case départ, JCP éd. E, n° 51, 19 décembre 2013, 1710 ; P. Mbongo, Affaire Baby-Loup : l'entreprise de tendance laïque au secours de la cour d'appel de Paris, JCP éd. E, n° 49 du 5 décembre 2013, act. 888 ; Observatoire de la laïcité, rapport annuel, 2014 (note avis de l'Observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d'accueil des enfants, p. 13) ; autres références biblio. dans nos obs., préc.
(4) P.-H. Antonmattei, Le port de signes religieux dans l'entreprise : au-delà de Baby Loup, SSL n° 1611, Supplément du 23 décembre 2013 ; P.-H. Antonmattei, A propos de la liberté religieuse dans l'entreprise, RDT, 2014 p. 391 ; G. Calvès, Devoir de réserve imposé aux salariés de la crèche Baby Loup, quelle lecture européenne du problème ?, RDT, 2014 p. 94 ; F. Dieu, L'affaire Baby-Loup : quelles conséquences sur le principe de laïcité et l'obligation de neutralité religieuse ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2114 ; F. Laronze, Affaire Baby Loup : l'épuisement du droit dans sa recherche d'une vision apolitisée de la religion, Dr. soc. 2014 p. 100 ; J.-B. Vila, Glissement conceptuel ou remise en cause des principes de laïcité et de neutralité dans l'affaire Baby Loup ?, JCP éd. A, n° 15, 14 avril 2014, 2115 ; La tentation de la laïcité, Entretien avec F. Géa, SSL n° 1619, Supplément du 24 février 2014 ; J. Mouly, L'affaire Baby Loup devant la cour de renvoi : la revanche de la laïcité ?, D. 2014 p. 65 ; Une atteinte à la liberté religieuse, entretien avec N. Moizard, SSL, n° 1619, Supplément du 24 février 2014 ; J. Porta, obs. sous CA Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981, Droit du travail : relations individuelles de travail février 2013 - mars 2014, D. 2014 p. 1115 ; J.-E. Ray, À propos d'une rébellion.
(5) LSQ, n° 16612 du 18 juin 2014 ; SSL, n° 1637 du 30 juin 2014 ; F. Champeaux, Il fallait sauver le soldat Baby-Loup, SSL, n° 1637 du 30 juin 2014 ; L. Truchot, Conseiller-rapporteur (en ligne, site de la Cour de cassation) ; Avis, J.-C Marin, Procureur Général; J.-M. Pastor, Point final à la saga de la crèche Baby-Loup ?, AJDA 2014 p. 1293 ; Communiqué de presse de l'Observatoire de la laïcité suite à la décision de la Cour de cassation dans l'affaire "Baby-Loup ", 25 juin 2014.
(6) Observatoire de la laïcité, Rapport annuel, 2014 ; LSQ, n° 16595 du 21 mai 2014 ; JCP éd. S, n° 21, 27 mai 2014, act. 202 ; Commission nationale consultative des droits de l'Homme, Avis sur la laïcité, 26 septembre 2013, § 26 ("L'appréciation de la situation doit être faite in concreto, et les modalités de cette restriction doivent pouvoir être discutées avec intéressés au cas par cas").
(7) "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".
(8) "Le règlement intérieur ne peut contenir (2°) des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; (3°) des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison ...de leurs convictions religieuses (...)".
(9) F. Champeaux, SSL, n° 1637 du 30 juin 2014, préc., "La prochaine étape pourrait bien être celle des établissements pour personnes âgées dépendantes ou encore des magasins de vêtements dont le contentieux monte. Ce qui vaut pour la petite enfance vaut-il pour les personnes âgées ou pour le secteur du commerce ? (...) On en revient au point de départ et les entreprises n'ont toujours pas droit à l'erreur..."
(10) J.-C. Marin, Avis, préc., p. 11.
(11) J.-C. Marin, Avis, préc., p. 13-14.
(12) E. Dockès, Liberté, laïcité, Baby Loup : de la très modeste et très contestée résistance de la Cour de cassation face à la xénophobie montante, Dr. soc. 2013 p. 388 ( la laïcité semble un principe de neutralité susceptible d'atténuation, de souplesse... sauf lorsqu'il est question, directement ou indirectement, de religion musulmane et en particulier de voile. Alors il n'est pas de champ d'application trop large, ni de vigueur trop forte pour le principe de laïcité ).
(13) F. Gaudu, L'entreprise de tendance laïque, Dr. soc, décembre 2011, p. 1186.
(14) J.-C. Marin, Avis, préc., p. 15-30.
(15) Dans le même sens, F. Laronze, Affaire Baby Loup : l'épuisement du droit dans sa recherche d'une vision apolitisée de la religion, Dr. soc., 2014 p. 100.
(16) Avis sur la laïcité, 26 septembre 2013, § 25 p. 7 ("L'entreprise de tendance laïque comme prolongement de la liberté des non-croyants est une notion que le droit ne saurait admettre. D'une part, la laïcité est un principe constitutionnel d'organisation de l'Etat, et ne peut être considérée comme une "tendance". Si l'on fait de la laïcité une tendance, alors on la dévalue, en la réduisant à un choix, elle n'est plus le principe constitutionnel partagé par tous. D'autre part, quelles que soient les raisons pour lesquelles une entreprise souhaiterait exclure de son espace le fait religieux (paix sociale, image de marque...) la simple volonté de ne pas heurter les non-croyants ne saurait être une raison suffisante. Cela conduirait en effet à conférer un blanc-seing aux employeurs pour priver leurs salariés de leurs droits à exprimer leurs convictions religieuses") ; Observatoire de la laïcité, rapport annuel, 2014, avis de l'observatoire de la laïcité sur la définition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d'accueil des enfants, p. 20-21.
(17) En ce sens, Ch. Radé, L'entreprise et les chartes de laïcité, D., 2014 p. 816, s'agissant d'un groupe spécialisé dans le recyclage, ayant adopté d'une charte de la laïcité et de la diversité interdisant notamment les manifestations de convictions politiques ou religieuses, ainsi que les signes religieux ostentatoires dans ses différentes entreprises. Voir aussi, à propos de la laïcité, F. Laronze, Affaire Baby Loup : l'épuisement du droit dans sa recherche d'une vision apolitisée de la religion, Dr. soc. 2014 p. 100.
Décision
Ass. plén., 25 juin 2014, 13-28.369, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7715MR8) Rejet de (CA Paris Pôle 6, 9ème ch., 27 novembre 2013, n° S13/02981 N° Lexbase : A2251KQG) Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) et L. 1321-3 (N° Lexbase : L8833ITC) Mots-clés: Employeur ; Pouvoir de direction ; Etendue ; Restriction aux libertés fondamentales ; Restriction à la liberté religieuse ; Fondement ; Principe de laïcité ; Possibilité ; Exclusion ; Cas ; Organisme de droit privé ne gérant pas un service public. Liens base: ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 45140, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "La d\u00e9limitation du contenu du r\u00e8glement int\u00e9rieur", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: E2668ETY"}}) |
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Réf. : Ass. plén., 25 juin 2014, 13-28.369, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7715MR8)
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Le 12 Juillet 2014
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Réf. : Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-87.493, P+B+R+I (N° Lexbase : A7736MRX)
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Le 06 Août 2014
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Réf. : Cass. civ. 1, 25 juin 2014, n° 11-16.444, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1547MS4)
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Le 10 Juillet 2014
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Réf. : Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-87.493, P+B+R+I (N° Lexbase : A7736MRX)
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Le 06 Août 2014
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Réf. : Ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014, portant simplification et adaptation du droit du travail (N° Lexbase : L5689I34)
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Le 03 Juillet 2014
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