Jurisprudence : CEDH, 04-10-2012, Req. 43631/09, HARROUDJ c/ FRANCE

CEDH, 04-10-2012, Req. 43631/09, HARROUDJ c/ FRANCE

A9350ITH

Référence

CEDH, 04-10-2012, Req. 43631/09, HARROUDJ c/ FRANCE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/6870296-cedh-04102012-req-4363109-harroudj-c-france
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Abstract

Dans un arrêt rendu le 4 octobre 2012, la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé que le refus d'adoption d'une enfant recueillie au titre de la kafala n'était pas contraire au respect de la vie familiale, protégé en vertu de l'article 8 de la CESDH (CEDH, 4 octobre 2012, Req. 43631/09).



CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HARROUDJ c. FRANCE

(Requête n° 43631/09)

ARRÊT

STRASBOURG

4 octobre 2012

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Harroudj c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Mark Villiger,

Karel Jungwiert,

Boštjan M. Zupanèiè,

Ann Power-Forde,

Angelika Nußberger,

André Potocki, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2012,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 43631/09) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Katya Harroudj (" la requérante "), a saisi la Cour le 10 août 2009 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ").

2. La requérante est représentée par Me M. Bescou, avocat à Lyon. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante allègue une violation des articles 8 et 14 de la Convention.

4. Le 15 septembre 2010, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. La requérante est née en 1962 et réside à Villeurbanne.

6. Née le 3 novembre 2003 en Algérie, Zina Hind fut abandonnée à sa naissance par sa mère biologique qui accoucha sous X. Son père étant également inconnu, Zina Hind devint pupille de l'Etat algérien le 3 décembre 2003. Le directeur de l'action sociale de Bourmedes fut désigné comme tuteur.

7. Par un acte de recueil légal du 13 janvier 2004, le président du tribunal de Bourmedes (Algérie) accorda à la requérante, alors âgée de quarante deux ans et célibataire, le droit de recueil légal, dit kafala, sur l'enfant Zina Hind. Il autorisa également Zina Hind à sortir du territoire algérien et à s'établir en France.

8. Par une ordonnance du 19 janvier 2004, le président du tribunal de Bordj Menaiel (Algérie) accueillit la requête en concordance des noms et autorisa le changement de nom de Zina Hind en Hind Harroudj.

9. Hind Harroudj entra en France le 1er février 2004. Elle réside depuis lors avec la requérante et la mère de celle-ci.

10. Le 8 novembre 2006, la requérante déposa une requête en adoption plénière concernant l'enfant Hind. A l'appui de cette demande, elle fit valoir que permettre à Hind d'être adoptée était la solution la plus conforme à " l'intérêt supérieur de l'enfant " au sens des articles 3 - 1 de la Convention sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et 1er de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

11. Par un jugement du 21 mars 2007, le tribunal de grande instance de Lyon rejeta sa demande d'adoption, après avoir relevé que la requérante était titulaire de l'autorité parentale en vertu de la kafala et qu'elle pouvait prendre à l'égard de l'enfant toutes les décisions dans son intérêt. Le tribunal estima que la kafala apportait à la mineure la protection reconnue par les conventions internationales dont tout enfant a besoin. Il rappela enfin qu'en application de l'article 370-3 du code civil (paragraphe 23 ci dessous), l'adoption d'un enfant ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, ce qui était le cas en l'espèce, le code de la famille algérien énonçant que " l'adoption est interdite par la Charia et la loi " (paragraphe 17 ci-dessous). La requérante interjeta appel de ce jugement.

12. Par un arrêt du 23 octobre 2007, la cour d'appel de Lyon confirma le jugement :

" Attendu que l'article 370-3 alinéa 2 du Code civil, introduit par la loi du 6 février 2001 relative à l'adoption internationale, dispose que " L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France " ;

Attendu que la règle de conflit, en tant qu'elle renvoie à la loi du statut personnel, n'est pas discriminatoire et est conforme aux articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ainsi qu'au droit international ; qu'ainsi l'article 4 a. de la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale prévoit que l'adoption ne peut être prononcée que si les autorités compétentes de l'Etat d'origine ont établi que l'enfant est adoptable, ce qui n'est pas le cas lorsque l'adoption est interdite ;

Attendu que Hind Harroudj est née en Algérie ;

Attendu que l'article 46 du Code de la famille algérien autorise la kafala, mais prohibe l'adoption ; qu'en droit français, l'adoption simple ou plénière crée un lien de filiation au profit des adoptants et ne saurait être assimilé à la kafala ; que le code de la famille algérien ne prévoit pas d'exception à la prohibition de l'adoption lorsque l'enfant n'a pas de filiation établie ; que le décret exécutif du 13 janvier 1992 relatif au changement de nom n'établit pas de lien de parenté, l'attributaire du recueil légal conservant la dénomination de tuteur ;

Attendu que la kafala préserve l'intérêt de l'enfant en légalisant l'accueil des tuteurs ; qu'elle est expressément reconnue par l'article 20 alinéa 3 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ; que le droit musulman prévoit d'autres dispositions pour la transmission des biens ; qu'en conséquence, les dispositions précitées ne sont pas contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant. "

13. La requérante forma un pourvoi en cassation. Sous l'angle des articles 8 et 14 de la Convention, elle invoqua le droit au respect de la vie familiale de Hind, faisant valoir qu'il était dans l'intérêt de l'enfant qu'un lien de filiation soit établi avec elle. Elle allégua également que l'impossibilité d'adopter Hind portait une atteinte disproportionnée à sa propre vie familiale. Elle fit valoir que le refus d'adoption avait pour effet d'établir une différence de traitement au regard de la vie familiale de l'enfant en raison de sa nationalité et de son lieu de naissance, les enfants nés dans des pays ne prohibant pas l'adoption pouvant en bénéficier en France.

14. Par un arrêt du 25 février 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi :

" Mais attendu qu'après avoir relevé que la règle de conflit de l'article 370-3, alinéa 2, du code civil, renvoyant à la loi personnelle de l'adopté, était conforme à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, celle-ci n'ayant vocation à s'appliquer qu'aux seuls enfants adoptables, excluant ceux dont le pays d'origine interdit l'adoption, c'est sans établir de différence de traitement au regard de la vie familiale de l'enfant et sans méconnaître le droit au respect de celle-ci, que la cour d'appel, constatant que l'article 46 du code de la famille algérien prohibe l'adoption mais autorise la kafala, a rejeté la requête en adoption, dès lors que la kafala est expressément reconnue par l'article 20, alinéa 3, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 [adoptée le 20 novembre 1989] relative aux droits de l'enfant, comme préservant, au même titre que l'adoption, l'intérêt supérieur de celui-ci ; (...) "

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A. La Kafala

1. Le régime juridique de la kafala en droit islamique

15. L'adoption, issue du droit romain classique, qui la fondait sur " l'imitation de la nature " (" naturam imitatur " Institutions de Justinien) crée, entre l'adoptant et l'adopté, un lien juridique identique à celui existant entre un parent et son enfant. Bien que certains Etats opèrent une distinction entre plusieurs niveaux d'adoption (le plus souvent entre une adoption plénière et une adoption simple), cette caractéristique est toujours présente.

16. En droit islamique, l'adoption est interdite (haram). En revanche, ce droit dispose d'une institution spécifique: la kafala ou " recueil légal ". Dans les Etats musulmans, à l'exception de la Turquie, de l'Indonésie et de la Tunisie, la kafala se définit comme l'engagement bénévole de prendre en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un mineur.

17. Les modalités procédurales de l'établissement d'une kafala relèvent du droit national de chaque Etat musulman. Ainsi, les dispositions pertinentes du code de la famille algérien se lisent comme suit :

Article 46

" L'adoption (Tabanni) est interdite par la chari'a et la loi. "

Article 116

" Le recueil légal (kafala) est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal. "

Article 117

" Le recueil légal est accordé par devant le juge ou le notaire avec le consentement de l'enfant quand celui-ci a un père et une mère. "

Article 118

" Le titulaire du droit de recueil légal (kafil) doit être musulman, sensé, intègre, à même d'entretenir l'enfant recueilli (makfoul) et capable de le protéger. "

Article 119

" L'enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue. "

Article 120

" L'enfant recueilli doit garder sa filiation d'origine s'il est de parents connus. Dans le cas contraire, il lui est fait application de l'article 64 du code de l'état civil. "

Article 124

" Si le père et la mère ou l'un d'eux demande la réintégration sous leur tutelle de l'enfant recueilli, il appartient à celui-ci, s'il est en âge de discernement, d'opter pour le retour ou non chez ses parents.

Il ne peut être remis que sur autorisation du juge compte tenu de l'intérêt de l'enfant recueilli si celui-ci n'est pas en âge de discernement. "

2. La kafala dans les textes internationaux

18. Les articles 20 et 21 de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 sont ainsi libellés :

Article 20

" 1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'État.

2. Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l'adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d'une certaine continuité dans l'éducation de l'enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. "

Article 21

" Les États parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière (...) "

19. Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, adoptée dans le cadre de la Conférence de La Haye de Droit international privé, se lisent ainsi :

" Les États signataires de la présente Convention,

Reconnaissant que, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, l'enfant doit grandir dans un milieu familial, dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension, (...)

Reconnaissant que l'adoption internationale peut présenter l'avantage de donner une famille permanente à l'enfant pour lequel une famille appropriée ne peut être trouvée dans son Etat d'origine,

Convaincus de la nécessité de prévoir des mesures pour garantir que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que pour prévenir l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants, (...)

Sont convenus des dispositions suivantes :

Article premier

La présente Convention a pour objet :

a) d'établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international ; (...)

c) d'assurer la reconnaissance dans les États contractants des adoptions réalisées selon la Convention.

Article 2

(...)

2. La Convention ne vise que les adoptions établissant un lien de filiation.

Article 4

Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'État d'origine :

a) ont établi que l'enfant est adoptable ;

b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l'enfant dans son État d'origine, qu'une adoption internationale répond à l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) "

20. Les dispositions pertinentes de la Convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, adoptée elle aussi dans le cadre de la Conférence de La Haye de Droit international privé, se lisent comme suit :

Article premier

" 1. La présente Convention a pour objet :

a) de déterminer l'État dont les autorités ont compétence pour prendre des mesures tendant à la protection de la personne ou des biens de l'enfant ;

b) de déterminer la loi applicable par ces autorités dans l'exercice de leur compétence ;

c) de déterminer la loi applicable à la responsabilité parentale ;

d) d'assurer la reconnaissance et l'exécution des mesures de protection dans tous les États contractants ;

(...)

e) d'établir entre les autorités des États contractants la coopération nécessaire à la réalisation des objectifs de la Convention.

2. Aux fins de la Convention, l'expression " responsabilité parentale " comprend l'autorité parentale ou tout autre rapport d'autorité analogue déterminant les droits, les pouvoirs et les obligations des parents, d'un tuteur ou autre représentant légal à l'égard de la personne ou des biens de l'enfant.

Article 3

" Les mesures prévues à l'article premier peuvent porter notamment sur :

(...)

c) la tutelle, la curatelle et les institutions analogues ;

d) la désignation et les fonctions de toute personne ou organisme chargé de s'occuper de la personne ou des biens de l'enfant, de le représenter ou de l'assister ;

e) le placement de l'enfant dans une famille d'accueil ou dans un établissement, ou son recueil légal par kafala ou par une institution analogue ;

(...) "

Article 4

" Sont exclus du domaine de la Convention :

(...)

b) la décision sur l'adoption et les mesures qui la préparent, ainsi que l'annulation et la révocation de l'adoption ;

(...) "

3. Droit comparé

21. Sur les vingt-deux Etats contractants ayant fait l'objet d'une étude de droit comparé (Albanie, Allemagne, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Danemark, Espagne, Finlande, Géorgie, Grèce, Irlande, Italie, ex-République yougoslave de Macédoine, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Suède, Suisse, Turquie et Ukraine), où, compte tenu des facteurs historiques, soit la majorité de la population est traditionnellement musulmane, soit il y a une communauté ou des communautés musulmanes suffisamment importantes, aucun n'assimile une kafala établie à l'étranger à une adoption. Là où les tribunaux internes ont reconnu les effets d'une kafala prononcée à l'étranger, ils l'ont toujours assimilée à une tutelle, une curatelle ou un placement en vue de l'adoption.

22. Dans le droit interne des États examinés par la Cour, les règles de conflit de lois en matière d'adoption ne sont guère uniformes. Ils peuvent être repartis en quatre groupes, à savoir : a) les Etats privilégiant la loi du for (là où l'adoption a lieu) ; b) les Etats privilégiant la loi nationale de l'adopté ; c) les Etats privilégiant la loi nationale de l'adoptant ; d) les Etats opérant une approche cumulative (c'est-à-dire exigeant que les conditions posées tant par la loi nationale de l'adoptant que celle de l'adopté soient remplies). Dans neuf Etats (Belgique, Danemark, Finlande, Grèce, Irlande, Pays Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse), la loi nationale de l'adopté ne constitue réellement ou apparemment pas un obstacle à l'adoption. Toutefois, dans certains de ces Etats (Finlande, Suisse, Danemark, Suède, Belgique), la législation ou la pratique internes expriment une certaine réticence face à l'adoption d'enfants en provenance de pays interdisant l'adoption - par exemple, en imposant des conditions supplémentaires dans une telle hypothèse. Ainsi, en Belgique, une disposition spécifique a été introduite dans le code de droit international privé en décembre 2005, qui vise les " cas où le droit applicable dans l'Etat d'origine de l'enfant ne connaît ni l'adoption, ni le placement en vue d'adoption ". Le déplacement de l'enfant vers la Belgique en vue d'adoption et l'adoption elle-même ne sont pas interdits, mais sont soumis à une procédure stricte, comprenant notamment un rapport adressé par l'Etat d'origine de l'enfant à l'Etat belge, la preuve du consentement de l'enfant s'il a atteint l'âge de douze ans ainsi que l'accord des autorités d'origine et des autorités belges pour confier l'enfant aux adoptants.

B. Le droit français

23. La loi n° 2001-111 du 6 février 2001 a inséré dans le code civil de nouvelles dispositions relatives à l'adoption internationale, dont l'article 370-3, inséré dans le chapitre III (Du conflit des lois relatives à la filiation adoptive et de l'effet en France des adoptions prononcées à l'étranger) du titre VIII relatif à la filiation adoptive. Il se lit comme suit :

Article 370-3 (issu de la loi du 6 février 2001)

" Les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union. L'adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale de l'un et l'autre époux la prohibe.

L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France. (...) "

24. La loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a modifié l'article 21-12 du code civil relatif à l'acquisition de la nationalité française par déclaration de nationalité. Il se lit ainsi :

Article 21-12

" L'enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne de nationalité française peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.

Toutefois, l'obligation de résidence est supprimée lorsque l'enfant a été adopté par une personne de nationalité française n'ayant pas sa résidence habituelle en France.

Peut, dans les mêmes conditions, réclamer la nationalité française :

1° L'enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui, depuis au moins trois années, est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;

2° L'enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir, pendant cinq années au moins une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privé présentant les caractères déterminés par un décret en Conseil d'Etat. "

25. Le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de nationalité française (modifié par le décret n° 2010-527 du 20 mai 2010) se lit comme suit :

Article 16

" Pour souscrire la déclaration prévue à l'article 21-12 du code civil, le déclarant doit fournir les pièces suivantes :

(...)

4° Lorsque le déclarant est un enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française, le certificat de nationalité française, les actes de l'état civil ou tous documents émanant des autorités françaises de nature à établir que cette personne possède la nationalité française ainsi que tout document justifiant que l'enfant a été recueilli en France et élevé par cette personne depuis au moins cinq années ; (...) "

26. Avant la loi du 6 février 2001, les juridictions du fond et la Cour de cassation avaient adopté une position souple permettant la transformation de la kafala en adoption sous réserve de l'expression du consentement du représentant du mineur " au regard des effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption en forme plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de son pays d'origine " (Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 93-17634). A la suite de l'adoption de la loi, la Cour de cassation a modifié sa position en cassant les arrêts des cours d'appel prononçant l'adoption simple d'enfants marocain et algérien recueillis par kafala par des couples français (Cass., 1re civ., 10 octobre 2006, n° 06-15264 et n° 06-15265). Cette solution est constante depuis lors (par exemple, Cass., 1re civ., 9 juillet 2008, n° 07-20279 ; Cass., 1re civ., 28 janvier 2009, n° 08 10034 ; et plus récemment, Cass., 1re civ., 15 décembre 2010, n° 09 10439).

27. Dans des rapports de 2004 et 2005, et dans un avis de 2007, le Défenseur des enfants et le Conseil supérieur de l'adoption ont dénoncé les difficultés administratives pour l'enfant recueilli (accès aux visas, droits sociaux) engendrées par l'absence de lien de filiation avec le recueillant ainsi que celles relatives à l'acquisition de la nationalité. Le rapport sur l'adoption de J.-M. Colombani, déposé le 19 mars 2008, a relevé qu'une évolution des aspects juridiques de la situation semblait difficile et proposé une coopération avec les deux pays principaux pays concernés (Algérie et Maroc) notamment en vue d'adapter les conditions d'octroi de visa au titre du regroupement familial. Il a précisé que l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 permet aux enfants recueillis en kafala de bénéficier d'une mesure de regroupement familial en France si, par ailleurs, les autres conditions du regroupement familial sont remplies (ressources, logement). En 2010, le Médiateur de la République a invité le législateur à reconsidérer la question de la kafala, préconisé a minima d'ouvrir l'accès à l'adoption simple pour les enfants recueillis dans le cadre d'une kafala judiciaire et demandé la suppression " du délai de résidence de cinq ans fixé par l'article 21-12 du code civil pour pouvoir solliciter la nationalité française pour les enfants recueillis par kafala judiciaire et élevés par une personne de nationalité française, la possession de celle-ci étant pour eux le seul moyen d'être adoptables ". Enfin, des propositions de loi, l'une relative à l'adoption des enfants régulièrement recueillis en kafala, présentée par le sénateur A. Milon, le 10 mars 2011, l'autre sur l'enfance délaissée et l'adoption présentée par la députée M. Tabarot le 8 février 2012, ont été enregistrées, à la présidence de l'Assemblée nationale et à celle du Sénat. Elles tendent à l'assimilation des enfants recueillis dans le cadre d'une kafala judiciaire ou non judiciaire (proposition de loi Milon) à des enfants ayant fait l'objet d'une adoption simple.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

28. La requérante se plaint de l'impossibilité d'adopter l'enfant de nationalité algérienne, Hind, recueillie au titre de la kafala. Elle estime que le refus de reconnaissance d'un lien de filiation entre elle et Hind, qu'elle considère comme sa propre fille, porte une atteinte disproportionnée à sa vie familiale. Les parties pertinentes de la disposition en cause sont ainsi libellées :

Article 8

" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

A. Sur la recevabilité

29. Le Gouvernement soulève une exception tirée de l'absence d'épuisement des voies de recours internes. Il estime que la requérante ne saurait se plaindre de l'impossibilité d'adopter Hind dans la mesure où elle n'a effectué aucune réclamation de nationalité française au profit de l'enfant, en vertu de l'article 21-12 du code civil. Il précise qu'elle aurait pu effectuer cette demande dès le 1er février 2009 puisqu'elle l'a recueilli depuis le 1er février 2004.

30. La requérante conteste cette exception, estimant que cet argument est inopérant, à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

31. La Cour observe que l'atteinte alléguée à la vie familiale de la requérante concerne l'impossibilité d'adopter l'enfant, avec toutes les conséquences qui en découlent, dont l'absence d'acquisition immédiate de la nationalité française. La Cour considère que cette exception se trouve étroitement liée au bien-fondé du grief de la requérante. Par ailleurs, le Gouvernement soulève une partie de ces arguments dans le cadre de son argumentation au fond. En conséquence, la Cour décide de la joindre au fond.

32. Elle constate par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

33. La requérante estime que l'impossibilité d'adopter Hind constitue une atteinte à sa vie familiale. Elle fait valoir que, même si elle a pu, par décision judiciaire, lui donner son nom de famille, l'impossibilité de faire établir le lien de filiation est contraire à l'article 8 de la Convention. Elle rappelle que Hind est née en Algérie mais qu'elle n'a aucune attache familiale dans ce pays dans la mesure où ses parents biologiques demeurent inconnus. Etant arrivée en France à l'âge de trois mois et ayant grandi dans ce pays, la fillette y a également développé toutes ses attaches culturelles, sociales et affectives.

34. La requérante considère que le fait que les autorités internes ne reconnaissent pas le lien de filiation entre l'enfant et elle constitue une ingérence dans son droit à une vie familiale. Elle précise tout d'abord qu'en cas de décès, cette absence de filiation ne permettrait pas à Hind de demeurer auprès de Mme A., sa mère, qu'elle considère comme sa grand mère. Elle indique ensuite que la fillette serait exclue de toute vocation successorale. Enfin, elle reconnaît qu'il est possible pour l'enfant de solliciter la nationalité française, mais seulement après cinq années de résidence sur le territoire.

Selon elle, cette ingérence ne répond à aucun but légitime et l'intérêt de l'enfant, en raison de son caractère fondamental, doit primer l'intérêt de l'Etat d'entretenir de bonnes relations diplomatiques avec les pays interdisant l'adoption. Elle allègue à cet égard qu'il ne semble pas ressortir de l'évolution des législations belge et suisse, qui reconnaissent l'adoption d'un enfant recueilli par kafala, de quelconques tensions diplomatiques avec les pays de droit musulman.

35. Le Gouvernement fait valoir en premier lieu que le refus d'adoption ne constitue pas une ingérence dans la " vie familiale " de la requérante -dont l'existence doit cependant être admise en raison de l'âge auquel l'enfant a été recueilli et de la continuité de la vie commune - au motif qu'il ne fait pas obstacle au déroulement effectif de cette " vie familiale ". L'intéressée s'est vue reconnaître des droits à l'égard de l'enfant lui permettant d'agir au mieux de ses intérêts dans un cadre familial, dont celui notamment de prendre soin de lui et de le représenter dans les actes de la vie civile ou devant les tribunaux (article 390 du code civil, effet d'une tutelle en droit français).

36. Outre que la requérante n'a pas été privée de la possibilité d'avoir une vie de famille effective, le Gouvernement conteste avoir manqué à ses obligations positives inhérentes au respect de celle-ci. En effet, si l'absence d'adoption empêche la création d'un lien de filiation juridique, cette interdiction répond à l'intérêt supérieur de l'enfant et à la nécessité de ménager des intérêts concurrents.

37. Le Gouvernement rappelle que la Convention ne garantit pas le droit d'adopter et que l'adoption doit prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant : l'adoption consiste à " donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille " (Fretté c. France, n° 36515/97, § 42, CEDH 2002 I ; Pini et autres c. Roumanie, n°s 78028/01 et 78030/01, § 151, CEDH 2004 V). Le Gouvernement indique qu'il ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant de lui conférer un statut d'adopté qui n'est pas susceptible d'être reconnu par sa loi personnelle dans son pays d'origine et qui serait de nature à entraîner des conflits de lois. Il rappelle d'ailleurs que selon la Convention de New York relative aux droits de l'enfant la kafala est reconnue comme une des modalités de prise en charge des enfants délaissés par leur famille, conforme aux intérêts de cet enfant. En outre, si la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale du 29 mai 1993 n'est pas applicable en l'espèce, il paraît difficile à la France, partie à ce traité, de ne pas en respecter au moins l'esprit, alors que cette convention prescrit aux parties de vérifier que l'enfant est adoptable selon la loi du pays dont il est ressortissant.

38. Le Gouvernement fait état enfin des aménagements permettant à un enfant confié par kafala d'accéder au statut d'adopté et fait valoir que l'interdiction d'adopter un enfant confié par kafala n'est pas absolue. L'article 370-3 du code civil permet l'adoption du mineur dont la loi personnelle prohibe l'adoption si ce dernier est né et réside habituellement en France. Cette exception se justifie par le fait que l'enfant a vocation à devenir automatiquement français à sa majorité, en vertu de l'article 21-7 du code civil. Par ailleurs, en application de l'article 21-12 du code civil, l'enfant recueilli et élevé pendant au moins cinq ans par une personne de nationalité française peut réclamer la nationalité française. Le Gouvernement observe que la requérante n'a entamé aucune démarche en vue de faire obtenir la nationalité française à l'enfant qui lui a été confiée. Enfin, le Gouvernement souligne que l'article 370-3 alinéa 2 du code civil qui ne concerne que les enfants mineurs, ne fait pas obstacle à l'adoption de l'enfant à sa majorité.

39. A titre très subsidiaire, et si la Cour estimait qu'il y a eu ingérence dans la vie familiale de la requérante, le Gouvernement, outre ce qu'il a déjà soutenu sous l'angle des obligations positives, la considère proportionnée. La réclamation de la nationalité française, au bout de cinq années de résidence en France, rend possible l'adoption si le temps écoulé permet de s'être assuré que cette adoption n'est pas contraire à l'intérêt de l'enfant, lequel est intégré dans la société qui connaît l'adoption et dans laquelle il est manifestement destiné à vivre.

2. Appréciation par la Cour

(a) Principes applicables

40. La Cour rappelle que l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre d'éventuelles ingérences arbitraires des pouvoirs publics ; il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l'autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble. De même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A n° 290 ; Pini et autres, précité, § 149).

41. La Cour rappelle aussi que la Convention et ses Protocoles doivent s'interpréter à la lumière des conditions d'aujourd'hui (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 41, série A n° 31 ; Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A n° 26 ; Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 26, série A n° 32 ; Moretti et Benedetti c. Italie, n° 16318/07, § 61, 27 avril 2010). Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé que les dispositions de l'article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d'adopter (E.B. c. France [GC], n° 43546/02, 22 janvier 2008). Cela n'exclut toutefois pas que les Etats parties à la Convention puissent néanmoins se trouver, dans certaines circonstances, dans l'obligation positive de permettre la formation et le développement de liens familiaux (voir, dans ce sens, Keegan, précité, § 50 ; Pini et autres, précité, §§ 150 et suiv.). D'apreÌs les principes qui se deìgagent de la jurisprudence de la Cour, laÌ ouÌ l'existence d'un lien familial avec un enfant se trouve eìtablie, l'Etat doit agir de manieÌre aÌ permettre aÌ ce lien de se deìvelopper et accorder une protection juridique rendant possible l'inteìgration de l'enfant dans sa famille (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, n° 76240/01, § 119, 28 juin 2007).

42. La Convention ne doit pas être interprétée isolément mais en harmonie avec les principes généraux du droit international. Il convient en effet, en vertu de l'article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, de tenir compte de " toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ", en particulier celles relatives à la protection internationale des droits de l'homme. En ce qui concerne plus précisément les obligations positives que l'article 8 fait peser sur les Etats contractants en la matière, celles-ci doivent s'interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (Wagner et J.M.W.L., précité, § 120).

43. Que l'on aborde la question sous l'angle d'une obligation positive de l'Etat - adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l'individu en vertu du paragraphe 1 de l'article 8 - ou sous celui d'une obligation négative - une " ingérence d'une autorité publique ", à justifier selon le paragraphe 2 -, les principes applicables sont assez voisins.

44. La marge d'appréciation dont disposent les Etats contractants est de façon générale ample lorsque les autorités publiques doivent ménager un équilibre entre les intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il n'existe pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe sur l'importance relative de l'intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger (Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, §§ 77-81, CEDH 2007 I ; Chavdarov c. Bulgarie, n° 3465/03, §§ 46 à 48, 21 décembre 2010).

45. La Cour rappelle par ailleurs qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d'examiner sous l'angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A n° 299 A ; Mikuliÿ c. Croatie, n° 53176/99, § 59, CEDH 2002 I ; P. C. et S. c. Royaume-Uni, n° 56547/00, § 122, CEDH 2002-VI).

(b) Application en l'espèce

46. La Cour constate en premier lieu que le Gouvernement ne conteste pas l'existence d'une vie familiale entre la requérante et Hind, compte tenu de l'âge de l'enfant lorsqu'elle a été recueillie et de la continuité de la vie commune (paragraphe 35 ci-dessus).

47. Le Gouvernement exclut en revanche que l'impossibilité d'adopter l'enfant Hind constitue une " ingérence " dans la vie familiale de la requérante. La Cour partage cet avis. Elle observe à cet égard que la requérante ne se plaint pas d'obstacle majeur dans le déroulement de sa vie familiale mais qu'elle soutient que le respect de celle-ci impliquerait une assimilation de la kafala à une adoption plénière et donc à l'établissement d'un lien de filiation, ce que l'article 370-3 du code civil exclut dès lors que le pays d'origine de l'enfant interdit l'adoption. Dans ces conditions, elle juge plus approprié d'examiner le grief sous l'angle des obligations positives. A ce titre, la Cour opère une distinction entre, d'une part, la présente espèce, où le droit de l'Etat défendeur se limite à ne pas assimiler la kafala à une adoption et à désigner la loi personnelle de l'enfant pour déterminer si une telle adoption est possible, et, d'autre part, l'arrêt Wagner et J.M.W.L. précité, par lequel elle a décidé que les juges luxembourgeois, en prenant une décision de refus d'exequatur d'un jugement d'adoption prononcé par un tribunal péruvien, avaient passé outre au statut juridique créé valablement à l'étranger de façon non raisonnable et ainsi violé l'article 8 de la Convention. La Cour rappelle que la notion de " respect ", au sens de l'article 8, manque de netteté, surtout en ce qui concerne les obligations positives inhérentes à cette notion ; ses exigences varient beaucoup d'un cas à l'autre, en raison de la diversité des pratiques suivies et des conditions régnant dans les Etats contractants. De plus, la marge d'appréciation laissée aux autorités peut être plus large en cette matière que pour d'autres questions relevant de la Convention. Afin de déterminer s'il existe une obligation positive, il faut prendre en compte - souci sous-jacent à la Convention tout entière - le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu (Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n° 28957/95, § 72, CEDH 2002 VI).

48. Quant à la marge d'appréciation qu'il y a lieu d'accorder à l'Etat, la Cour constate tout d'abord qu'il ressort du droit comparé qu'aucun Etat n'assimile la kafala à une adoption mais que, en droit français et dans d'autres Etats, celle-ci a des effets comparables à ceux d'une tutelle, d'une curatelle ou d'un placement en vue d'une adoption. Ensuite, les données recueillies afin de savoir si la prohibition par la loi nationale de l'enfant mineur constitue un obstacle à l'adoption révèlent des situations variées et nuancées dans la législation des différents Etats. Il n'y a pas, de manière claire, communauté de vue entre les Etats membres (paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Il en résulte que la marge d'appréciation dont dispose l'Etat français doit donc être considérée comme ample.

49. En l'espèce, pour rejeter la requête en adoption de l'enfant Hind, les juridictions nationales se sont fondées sur l'article 370-3 alinéa 2 du code civil qui interdit le prononcé de l'adoption d'un mineur étranger dont la loi personnelle prohibe cette institution.

Elles ont également pris appui sur la Convention de New York relative aux droits de l'enfant dont l'article 20 qui reconnaît expressément la kafala de droit islamique comme " protection de remplacement ", au même titre que l'adoption. La Cour relève que ce même article cite, parmi les critères guidant le choix du mode de protection le plus adapté à l'enfant, son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. Elle observe par ailleurs que l'article 21 de cette même Convention, qui concerne l'adoption, indique que " les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale " (paragraphe 18 ci-dessus).

La Cour de cassation a d'autre part rappelé que l'article 370-3 du code civil était conforme à la Convention de La Haye du 29 mai 1993, inspirée par le souci de prévenir " l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfant ", même si cette convention ne vise que les adoptions " établissant un lien de filiation " (article 2 § 2), et a souligné que ces adoptions ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'origine ont établi que l'enfant est adoptable (article 4 a ; paragraphe 19 ci-dessus).

Enfin, la kafala entre explicitement dans le champ d'application de la Convention de la Haye de 1996, concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (paragraphe 20 ci-dessus).

50. Il résulte de ce qui précède que le refus opposé à la requérante tient en grande partie au souci du respect de l'esprit et de l'objectif des conventions internationales. Or, la Cour considère que la reconnaissance de la kafala par le droit international est un élément déterminant pour apprécier la manière dont les Etats la réceptionnent dans leurs droits nationaux et envisagent les conflits de loi qui se présentent.

51. De plus, la Cour relève que la kafala judiciaire est reconnue de plein droit par l'Etat défendeur et qu'elle y produit des effets comparables en l'espèce à ceux d'une tutelle dès lors que l'enfant Hind était sans filiation lors de son recueil. A ce titre, elle observe que les juridictions nationales ont souligné que la requérante et l'enfant avaient, à la suite de la requête en concordance des noms, le même nom de famille et que la première était titulaire de l'autorité parentale ce qui lui permettait de prendre à l'égard de l'enfant toute décision dans son intérêt. Certes, la kafala ne créant pas de lien de filiation, elle est dépourvue d'effets successoraux et ne suffit pas pour permettre à l'enfant d'acquérir la nationalité du recueillant. Cela étant, il peut être remédié aux restrictions qu'engendre l'impossibilité d'adopter l'enfant. Outre la requête en concordance de nom ici acquise du fait de la filiation inconnue de l'enfant en Algérie, il est possible d'établir un testament, qui a pour effet de faire entrer l'enfant dans la succession de la requérante et de nommer un tuteur légal en cas de décès du recueillant.

L'ensemble des éléments examinés ci-dessus fait apparaître que l'Etat défendeur, appliquant les conventions internationales régissant la matière, a institué une articulation flexible entre le droit de l'Etat d'origine de l'enfant et le droit national. La Cour relève à ce titre que le statut prohibitif de l'adoption résulte de la règle de conflit de lois de l'article 370-3 du code civil mais que le droit français ouvre des voies d'assouplissement de cette interdiction à la mesure des signes objectifs d'intégration de l'enfant dans la société française. C'est ainsi, d'une part, que la règle de conflit est écartée explicitement par ce même article 370-3 lorsque " le mineur est né et réside habituellement en France ". D'autre part, cette règle de conflit est volontairement contournée par la possibilité ouverte à l'enfant d'obtenir, dans un délai réduit, la nationalité française, et ainsi la faculté d'être adopté, lorsqu'il a été recueilli en France par une personne de nationalité française. La Cour observe à ce titre que l'Etat défendeur soutient sans être démenti que la jeune Hind pourrait déjà bénéficier de cette possibilité.

La Cour estime qu'en effaçant ainsi progressivement la prohibition de l'adoption, l'Etat défendeur, qui entend favoriser l'intégration d'enfants d'origine étrangère sans les couper immédiatement des règles de leur pays d'origine, respecte le pluralisme culturel et ménage un juste équilibre entre l'intérêt public et celui de la requérante.

52. Dans ces conditions, et après avoir rejeté l'exception du Gouvernement déduite du non épuisement des voies de recours internes, dont ne fait pas partie l'acquisition de la nationalité française, la Cour conclut, eu égard à la marge d'appréciation de l'Etat en la matière, qu'il n'y a pas eu manquement au respect du droit de l'intéressée à sa vie familiale. Partant, il n'y a pas eu de violation de l'article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 ET 14 COMBINÉS DE LA CONVENTION

53. La requérante allègue qu'en se fondant sur la loi personnelle de l'enfant, laquelle ne permet pas l'adoption, les dispositions du code civil français opèrent une discrimination injustifiée fondée sur l'origine nationale. Elle invoque l'article 14 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

Article 14

" La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) l'origine nationale (...) "

54. Le Gouvernement estime que la différence de traitement alléguée résulte d'une donnée objective relative à la loi personnelle de l'enfant qui répond à l'intérêt supérieur de l'enfant et est proportionnée au but poursuivi.

55. La Cour estime qu'au cœur du grief énoncé par la requérante sur le terrain de l'article 14 de la Convention se trouve l'impossibilité d'adopter l'enfant Hind en raison de sa loi personnelle. Cette question a été examinée sous l'angle de l'article 8, dont la non-violation a été constatée. Dans ces conditions, la Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose au regard de l'article 14 de la Convention et ne formule aucune conclusion séparée sur ce grief.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l'exception du Gouvernement déduite du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;

4. Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 14 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2012, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek, Greffière

Dean Spielmann, Président

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