Jurisprudence : CAA Marseille, 5e, 21-02-2014, n° 11MA04852

Références

Cour Administrative d'Appel de Marseille

N° 11MA04852
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre - formation à 3
lecture du vendredi 21 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la décision n°313518 du 19 juillet 2011 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la commune de Montpellier, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 06MA03165 en date du 21 décembre 2007 et a renvoyé l'affaire devant la même cour ;

Vu la requête, enregistrée le 9 novembre 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille, sous le n°06MA03165, présentée par la SCP Ferran Vinsonneau-Paliès Noy Gauer, avocat, pour la commune de Montpellier qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°0202935 du 30 juin 2006 du tribunal administratif de Montpellier qui a annulé la délibération du 28 janvier 2002 par laquelle son conseil municipal a décidé de construire une salle polyvalente rue Emile Picard ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme H...et autres devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) de condamner MmeH..., M.B..., Mme G...et Mme E... à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 janvier 2014 :

- le rapport de Mme Marchessaux, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Marzoug, rapporteur public ;

- et les observations de Me D...de la SCP Vinsonneau-Paliès Noy Gauer et Associés pour la commune de Montpellier ;

1. Considérant que, par une délibération du 28 janvier 2002, le conseil municipal de Montpellier a décidé de construire une salle polyvalente, d'inscrire au budget un crédit correspondant au coût de l'opération et d'autoriser le maire à présenter une demande de permis de construire ainsi qu'à signer les marchés publics nécessaires ; que cette salle polyvalente a été mise à la disposition de l'association des " Franco-Marocains " pour une période d'un an renouvelable par une convention signée le 2 juillet 2004 ; que, par un jugement du 30 juin 2006, le tribunal administratif de Montpellier a annulé, à la demande de Mme H...et autres, la délibération du 28 janvier 2002, au motif qu'elle décidait une dépense relative à l'exercice d'un culte, en méconnaissance de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ; que, par un arrêt n°06MA03165 du 21 décembre 2007, contre lequel la commune de Montpellier s'est pourvu en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a confirmé ce jugement ; que par une décision n°313518 en date du 19 juillet 2011, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la Cour ;



Sur le bien fondé du jugement attaqué et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :


2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " ; que l'article 2 de cette loi dispose : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. " ; qu'aux termes de l'article 13 de la même loi : " Les édifices servant à l'exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II. La cessation de cette jouissance et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret (...). L'Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. " ; qu'enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 19 de cette même loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice d'un culte " ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. " ;


3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d'entretien et de conservation des édifices servant à l'exercice public d'un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l'Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels et qu'il leur est interdit d'apporter une aide à l'exercice d'un culte ;


4. Considérant que les dispositions de l'article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales prévoient que : " des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. / Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public. / Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation " ; que ces dispositions permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu'elles mentionnent, d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ; qu'une commune ne peut rejeter une demande d'utilisation d'un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d'exercer un culte ;

5. Considérant, en revanche, que les collectivités territoriales ne peuvent, sans méconnaître les dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905, décider qu'un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte et constituera ainsi un édifice cultuel ;
6. Considérant qu'il ressort de la délibération du 28 janvier 2002 en cause, que celle-ci avait pour objet d'accepter le principe de la construction d'une salle polyvalente à caractère associatif et à vocation de réunion sur un terrain de 2400 m2, situé rue Emile Picard, comprenant, outre une salle de 797 m2, avec mezzanine, des espaces d'accueil, de bureaux et sanitaires et un logement de gardien ; qu'ainsi, cette délibération, susceptible d'engager les finances communales et donc faisant grief, ne prévoyait pas la construction d'un édifice public de culte ; que si en cours de séance, un conseiller municipal s'est interrogé sur un éventuel usage cultuel de la salle, le maire de Montpellier a confirmé la construction d'une salle polyvalente et la possibilité de la louer à une association, sans toutefois préciser un quelconque usage cultuel ; que, par ailleurs, les déclarations d'intention du maire de la commune de Montpellier livrées à la presse de mettre la salle à disposition d'une association des " Franco-Marocains " ne peuvent, en l'espèce, suffire à révéler que par la délibération du 28 janvier 2002 le conseil municipal de Montpellier a entendu décider la construction d'un édifice public consacré à un culte ; que, du reste, ce n'est que le 2 juillet 2004, soit postérieurement à l'adoption de cette délibération, que la commune a décidé de signer avec l'association des " Franco-Marocains " une convention d'occupation précaire de ladite salle ; qu'ainsi, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le conseil municipal de Montpellier avait, par la délibération attaquée, proposé d'édifier un édifice public du culte en méconnaissance des dispositions de l'article 2 précité de la loi du 9 décembre 1905 ;

7. Considérant qu'il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens présentées par Mme H...et autres devant le tribunal administratif de Montpellier et devant la Cour ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. " ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, la délibération en cause ne prévoit ni la construction d'un édifice public cultuel, ni une mise à disposition de la salle projetée ou l'octroi d'un financement direct à une association cultuelle ;
que, par suite, les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de l'article 1er de la constitution, des principes fondamentaux de la République et des articles 2 et 19 précités de la loi du 9 décembre 1905 ;

9. Considérant que si Mme H...et autres font valoir que la convention signée le 2 juillet 2004 avec l'association des " Franco-Marocains " contrevient aux dispositions de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 en ce qu'elle s'analyse comme une subvention déguisée dès lors qu'elle prévoit une mise à disposition gracieuse de la salle à cette association, un tel moyen est inopérant dans la mesure où la convention précitée, dont au demeurant ils ne demandent pas l'annulation, est sans lien avec la délibération attaquée ; qu'à supposer que Mme H...et autres excipent de l'illégalité de la convention du 2 juillet 2004 à l'encontre de la délibération du 28 janvier 2002, une telle exception est irrecevable dans la mesure où la convention n'est pas une mesure d'application de la délibération ;
10. Considérant enfin, qu'en se bornant à soutenir que le projet de construction élaboré par la direction du Patrimoine de la ville concernait les plans d'une mosquée et que le bâtiment projeté contiendrait des aménagements spécifiques à la religion musulmane, Mme H...et autres n'établissent pas que ladite délibération, laquelle au demeurant ne prévoir aucun de ces aménagements, méconnaîtrait l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 en vertu duquel il est interdit d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montpellier est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier à annuler la délibération en date du 28 janvier 2002 de son conseil municipal ; que, dès lors et dans cette mesure ce jugement doit être annulé et la demande de première instance de Mme H...et autres doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par la commune en première instance ;



Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :


12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Montpellier, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à MmeH..., M. B..., Mme G...et Mme E...quelque somme que ce soit au titre des frais que ceux-ci ont exposés et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner MmeH..., M.B..., Mme G...et Mme E...à verser à la commune de Montpellier la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°0202935 en date du 30 juin 2006 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a annulé la délibération du 28 janvier 2002 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par MmeH..., M.B..., Mme G...et Mme E...devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : MmeH..., M.B..., Mme G...et Mme E...verseront une somme de 2 000 (deux mille) euros à la commune de Montpellier au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Montpellier, M. A...B..., à Mme I..., Mme C...G...et Mme F...E...et au ministre de l'intérieur.
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